V.M. c. Directeur de l'État civil | 2025 QCCS 1304 |
COUR SUPÉRIEURE (Chambre civile / Chambre familiale) |
CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
DISTRICT DE | montréal |
| |
No : | 500-17-119125-212 |
| 500-04-079533-239 |
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DATE : | 25 avril 2025 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | ANDRES C. GARIN, J.C.S. |
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No : 500-17-119125-212 |
V... M... |
et |
J... P... |
et |
N... D... |
Demandeurs |
et |
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X |
Personne concernée |
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c. |
LE DIRECTEUR DE L’ÉTAT CIVIL |
et |
PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC |
Défendeurs |
et |
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ÉGALE CANADA INC. |
et |
ASSOCIATION DES JURISTES PROGRESSISTES |
Intervenantes |
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No : 500-04-079533-239 |
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COALITION DES FAMILLES LGBT+ |
et |
S... L... |
et |
L... MI... |
et |
SE... A... |
et |
SO... PA... |
et |
D... J... |
et |
E... JE... |
Demandeurs |
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c. |
PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC |
Défendeur |
et |
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ÉGALE CANADA INC. |
et |
ASSOCIATION DES JURISTES PROGRESSISTES |
Intervenantes |
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JUGEMENT
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MISE EN GARDE : Interdiction de divulgation ou de diffusion : le Code de procédure civile, RLRQ c. C‑25.01 (« C.p.c. ») interdit de divulguer ou de diffuser toute information permettant d’identifier une partie ou un enfant dont l’intérêt est en jeu dans une instance en matière familiale, sauf sur autorisation du tribunal (articles 15 et 16 C.p.c.). |
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INTRODUCTION
CONTEXTE
1. La famille M...-P...-D...
2. La Famille Pa...-J...‑Je...
3. La Famille L...-Mi...-A...
4. La Coalition
LES QUESTIONS EN LITIGE
ANALYSE
1. Le droit québécois limite la filiation à deux parents
1.1 La filiation : une introduction
1.2 Le droit civil n’admet que deux liens de filiation
2. Les moyens constitutionnels et quasi‑constitutionnels
2.1 Les droits à la sécurité de la personne, à l’intégrité et à la liberté
2.2 Le droit à la sauvegarde de la dignité
2.3 Le droit à la vie privée
2.4 Le droit à l’égalité garanti par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne
2.5 Le droit à l’égalité garanti par l’article 10 de la Charte québécoise
3. La justification aux termes de l’article premier de la Charte canadienne
3.1 L’objectif urgent et réel
3.2 Le critère de proportionnalité
4. Le redressement
4.1 Introduction
4.2 Les principes régissant la réparation constitutionnelle aux termes du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982
4.3 L’étendue de l’incompatibilité avec la Charte canadienne
4.4 Le choix du type de déclaration
4.5 La suspension de la déclaration d’invalidité
4.6 La demande d’exemption de la suspension de la déclaration d’invalidité
5. La filiation de X
6. Les frais de justice
DISPOSITIF
ANNEXE A
* * * *
- Sur le plan juridique, un enfant peut-il avoir plus de deux parents ?
- Voilà, exprimée d’une manière presque simpliste, la question par ailleurs fort complexe soumise au Tribunal.
- Traditionnellement, cette question recevait une réponse formelle et négative en droit québécois. Le modèle familial sur lequel notre droit de la filiation était construit consistait en un couple marié, formé de personnes de sexe opposé, qui était les parents biologiques des enfants issus de leur mariage.
- Or, ce modèle de la famille traditionnelle — aussi répandu soit-il ici et ailleurs en Occident — demeure un modèle. Il n’est pas universellement adopté et ne l’a jamais été. Par exemple, il y a toujours eu des enfants nés hors mariage : les dispositions du Code civil du Bas‑Canada sur les enfants dits « naturels » l’illustrent[1].
- Depuis la Révolution tranquille, le modèle familial traditionnel a perdu de l’importance au Québec. Très nombreux sont les Québécois qui vivent et élèvent des enfants en union libre en tant que conjoints de fait. De plus, le phénomène de la monoparentalité est maintenant bien connu dans notre société.
- L’homoparentalité existe également. Des couples de même sexe, mariés[2] ou non, élèvent des enfants qu’ils ont adoptés ou qui sont issus d’une procréation assistée.
- Depuis 1980, le droit québécois de la filiation a évolué pour reconnaître la validité de ces divers modèles familiaux. Pourtant, un aspect du modèle familial traditionnel — l’idée qu’un enfant ne peut avoir plus de deux parents — demeure ancré, semble‑t‑il, dans le droit de la filiation.
- Mais, comme pour les autres aspects du modèle familial traditionnel, il n’en est pas nécessairement ainsi. Il existe des familles dans lesquelles plus de deux personnes agissent comme parents, et sont les parents, d’un ou de plusieurs enfants. Ce sont des familles pluriparentales[3].
- Ailleurs, le droit a évolué pour refléter la réalité de ces familles. À ce chapitre, la législation de quatre ressorts canadiens[4] et de certains États américains[5] permet explicitement la reconnaissance légale de plus de deux parents.
- En outre, les tribunaux de trois provinces canadiennes — Ontario, Terre-Neuve-et-Labrador et la Colombie‑Britannique — ont exercé leur compétence parens patriae afin de combler une lacune dans la législation provinciale et de prononcer des déclarations reconnaissant que des enfants évoluant au sein de familles triparentales avaient chacun trois parents[6]. Dans ces affaires, les juges saisis de la question avaient conclu que cette reconnaissance était dans l’intérêt des enfants en cause.
- Ne pouvant invoquer une telle compétence parens patriae[7], les membres de trois familles pluriparentales québécoises ainsi que la Coalition des familles LGBT+ (la Coalition, collectivement les Demandeurs) invitent le Tribunal à interpréter les dispositions du Code civil du Québec (C.c.Q.) régissant la filiation de façon à permettre la reconnaissance de plus de deux liens de parenté.
- Subsidiairement, dans la mesure où le droit québécois limite la filiation à deux parents, ils contestent la validité constitutionnelle de cette limite au motif qu’elle est discriminatoire et qu’elle porte atteinte aux droits fondamentaux que sont la sécurité de la personne, l’intégrité de la personne, la liberté, la dignité et la vie privée.
- Ces demandes sont contestées par le Procureur général du Québec (PGQ).
- Le PGQ ne remet pas en question le bien‑fondé de l’organisation familiale de ceux qui adoptent un modèle familial pluriparental[8]. Il ne prétend pas non plus que les enfants qui évoluent dans une telle organisation familiale sont plus ou moins « équilibrés » que ceux qui évoluent dans une famille monoparentale ou biparentale[9].
- À ce titre, selon la preuve experte administrée, « les recherches démontrent que le bien-être des enfants dépend davantage de la qualité des relations parents-enfants que de la structure familiale et que les liens d’attachement sécure peuvent se développer entre un enfant et plusieurs figures parentales simultanément »[10].
- Par ailleurs, le PGQ ne plaide pas que la reconnaissance de plus de deux liens de filiation créerait des situations complexes, au point où, en cas de différend, il serait impossible ou excessivement difficile de prendre une décision dans l’intérêt de l’enfant.
- Le PGQ soutient simplement que le C.c.Q. ne peut être interprété comme autorisant la reconnaissance de plus de deux liens de filiation. Il ajoute que la limite de deux parents légalement reconnus en droit québécois ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux invoqués par les parties demanderesses.
- Pour les motifs qui suivent, le PGQ a raison de soutenir que le droit civil québécois limite la filiation légale à deux liens de parenté. En revanche, cette limite porte atteinte de façon injustifiée au droit à l’égalité garanti par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte canadienne). À titre de redressement, il convient de déclarer invalides les dispositions du C.c.Q. contestées par les Demandeurs, mais de suspendre cette déclaration pendant une période de 12 mois, afin d’accorder au législateur le temps nécessaire pour adopter une solution législative appropriée.
- Le présent jugement tranche deux demandes déposées dans deux dossiers distincts de la Cour supérieure. Ces demandes ont fait l’objet d’une instruction commune conformément à une ordonnance de gestion prononcée par l’honorable J. Sébastien Vaillancourt, J.C.S., le 25 mai 2023.
- Les demandeurs dans le premier dossier (500-17-119125-212) sont madame V... M..., madame J... P... et monsieur N... D.... Le Tribunal utilisera l’expression « le Dossier M...-P...-D... » pour référer spécifiquement à cette affaire lorsque nécessaire.
- Les demandeurs dans le deuxième dossier (500-04-079533-239) sont la Coalition, madame So... Pa..., madame D... J..., monsieur E... Je..., madame S... L..., monsieur L... Mi... et madame Se... A.... Lorsqu’il sera nécessaire de distinguer ce dossier du Dossier M...‑P...-D..., le Tribunal emploiera l’expression « le Dossier de la Coalition ».
- Pour référer spécifiquement aux personnes physiques s’étant portées demanderesses dans les deux dossiers, le Tribunal utilisera l’expression « les Demandeurs individuels ».
- Ensemble, les deux dossiers concernent trois familles. Il convient d’introduire ces familles et de présenter la Coalition.
- Les demandeurs dans le Dossier M...‑P...‑D... sont les adultes membres de la famille M...‑P...‑D.... Ils sont également les parents de X, qui aura bientôt 3 ans.
- Madame M... et monsieur D... sont mariés. Trois enfants sont nés de leur union. Ils sont tous deux membres des Forces armées canadiennes. En 2019, alors que madame M... est en mission au Koweït, elle fait la connaissance de madame P.... À l’époque, cette dernière est également membre des Forces armées canadiennes en mission au Koweït.
- Les deux femmes tombent amoureuses. Madame M... se définit comme bisexuelle, alors que madame P... est lesbienne. Madame M... est transparente avec monsieur D... et l’informe rapidement de sa nouvelle relation. Celui‑ci accepte la relation entre son épouse et madame P....
- À la fin de leurs missions respectives au Koweït, mesdames M... et P... retournent au Canada. Éventuellement, celles‑ci et monsieur D... décident de vivre ensemble, comme un trio amoureux, avec les enfants de madame M... et de monsieur D....
- En parallèle, madame P... souhaite devenir mère et madame M... veut l’accompagner dans ce projet. Avec Monsieur D..., elles décident que ce dernier sera le donneur des forces génétiques pour l’enfant que madame P... portera. Celle‑ci tombe enceinte et donne naissance le [...] 2022 à X[11].
- Mesdames M... et P..., ainsi que monsieur D..., agissent tous les trois comme les parents de X et souhaitent se voir officiellement reconnus comme tels. Cependant, le certificat de naissance de l’enfant n’identifie que madame P... comme mère, l’autre parent étant « non déclaré »[12]. Nous reviendrons sur cette question à la fin des présents motifs.
- Les autres enfants de la famille acceptent la présence de madame P... dans leur vie et acceptent X comme leur frère[13]. Les familles élargies des parties accueillent bien leur situation familiale.
- Un rapport d’expertise psychologique et des capacités parentales portant sur la situation de X est préparé par la psychologue Karine Poitras, Ph.D., et est déposé en preuve[14]. Ce rapport, rédigé alors que X n’a que quatre mois, conclut que[15] :
[…] [L’]enfant […] évolue depuis sa naissance dans une famille aimante composée de trois adultes jouant un rôle parental actif. Ils souhaitent s’impliquer comme parent, sont engagés face à l’enfant et considère [sic] le rôle parental de chacun face à X. Mme M..., Mme P... et M. D... sont engagés dans une relation polyamoureuse et la cellule familiale est organisée en conséquence.
- Selon madame Poitras, les évaluations psychologiques effectuées, de même qu’une analyse de la littérature scientifique, ne permettent pas d’observer une contre‑indication à ce que mesdames M... et P... et monsieur D... soient tous trois les parents de X[16].
- Mesdames Pa... et J... et monsieur Je... sont les parents de Y, qui est âgé de 13 ans.
- Mesdames Pa... et J... commencent à se fréquenter en 2008. Éventuellement, elles forment un couple et pensent à fonder une famille ensemble. Elles souhaitent chacune porter un enfant et veulent que leurs enfants aient un lien génétique entre eux.
- En tant que femmes lesbiennes, elles doivent trouver un donneur de forces génétiques pour devenir enceintes. Toutefois, il est important pour elles que le père de leurs enfants soit présent dans la vie de ceux‑ci. Ce souhait complique la recherche d’un père biologique pour réaliser leur projet.
- Monsieur Je... est un ami d’enfance du frère de madame Pa.... Depuis toujours, il caressait le rêve de devenir père.
- À l’âge de 40 ans, monsieur Je... fait le bilan de sa vie et met par écrit ses pensées quant à son souhait de devenir parent. Son texte prend la forme d’une lettre[17], qu’il envoie à plusieurs amis et connaissances, dont madame Pa.... Il y exprime notamment son souhait de trouver une femme qui serait la mère de son enfant et qui serait impliquée dans sa vie comme une maman.
- À l’été 2010, alors que mesdames J... et Pa... se penchent sur la question du donneur de forces génétiques pour leur projet parental, cette dernière reçoit un courriel de monsieur Je... accompagné de sa lettre. Elles sont enchantées par l’idée que monsieur Je... soit le père de leurs enfants et entrent en contact rapidement avec lui.
- Les trois se réunissent pour discuter de leurs valeurs, qui se rejoignent, et pour explorer la possibilité de participer à un projet parental. En septembre 2010, ils décident de former une famille dans le cadre d’un projet parental à trois. Selon leur projet, mesdames Pa... et J... porteraient un enfant chacune, et monsieur Je... en serait le père.
- Madame Pa... tombe enceinte et donne naissance à Y le [...] 2011. Toutefois, les tentatives de fécondation de madame J... n’ont pas fonctionné.
- Le certificat de naissance de Y identifie madame Pa... comme mère et monsieur Je... comme père[18]. Pourtant, Y a bien trois parents : monsieur Je... est son « Papa », madame Pa... est sa « Maman » et madame J... est sa « Mom ».
- Depuis 2015, mesdames Pa... et J... ne forment plus un couple. Dans les circonstances, afin d’assurer la stabilité de Y, celui‑ci vit principalement avec madame Pa.... Cependant, il passe régulièrement du temps avec madame J... et monsieur Je....
- Les témoignages de mesdames Pa... et J... et de monsieur Je... permettent d’observer qu’ils exercent une très belle et saine coparentalité. Ils discutent en cas de divergence d’opinions et prennent ensemble des décisions dans l’intérêt de Y, comme il se doit.
- Mesdames Pa... et J... et monsieur Je... souhaitent qu’ils aient tous les trois un lien de filiation reconnu avec Y. Ils se considèrent comme trois parents à valeur égale. Pour eux, la reconnaissance légale de madame J... comme mère refléterait leur réalité familiale et sécuriserait la situation juridique de celle‑ci à l’égard de leur fils.
- Mesdames L... et A... et monsieur Mi... sont les parents de deux garçons : Z, âgé de 7 ans, et A, âgé de 6 ans.
- Mesdames L... et A... se connaissent depuis 2004. D’abord des collègues de travail, elles deviennent des amies très proches. En parallèle, madame L... et monsieur Mi... font connaissance en 2005 et deviennent un couple. Ils font vie commune depuis 2007.
- En 2008, madame L... reçoit un diagnostic de leucémie. Les traitements qu’elle doit subir ont pour conséquence de la rendre infertile. Or, madame L... a toujours voulu avoir des enfants. Ainsi, avant de commencer les traitements nécessaires, elle se fait prélever des ovules en clinique de fertilité. Des embryons sont formés avec le sperme de monsieur Mi... et sont congelés.
- Pour ce qui est de madame A..., elle se marie en 2009, puis se divorce en 2017. Elle aussi souhaite avoir des enfants. C’est alors que les trois amis discutent de différentes options. L’une d’elles consiste à former une famille à trois.
- Si les discussions concernant cette option commencent un peu à la blague, elles deviennent très sérieuses lorsqu’ils constatent que c’est un projet qui pourrait fonctionner compte tenu de leurs valeurs communes. Mesdames L... et A... et monsieur Mi... forment ainsi un projet parental à trois.
- En février 2017, madame A... tombe enceinte. Monsieur Mi... est le donneur de forces génétiques. En octobre 2017, elle donne naissance à Z. Le certificat de naissance de Z indique deux mères : mesdames L... et A...[19].
- En parallèle, madame L... et monsieur Mi... trouvent une mère porteuse en Saskatchewan pour porter à terme un des embryons préservés par le couple.
- En août 2018, la mère porteuse donne naissance à A. Son certificat de naissance original de la Saskatchewan identifie trois parents : madame L..., monsieur Mi... et la mère porteuse[20]. Rapidement, des démarches sont entreprises en Saskatchewan afin de faire retirer le nom de la mère porteuse et un deuxième certificat de naissance est émis[21]. Le certificat de naissance québécois de A indique que madame L... est sa mère et que monsieur Mi... est son père[22].
- Pour Z et A, ils ont deux mères — madame A... et madame L... — alors que monsieur Mi... est leur père. Le couple formé par madame L... et monsieur Mi... exerce avec madame A... une garde partagée presque égale, mais flexible, des deux enfants. Leur parentalité à trois est acceptée par leurs familles respectives et leurs témoignages permettent d’observer qu’ils exercent une bonne et harmonieuse coparentalité dans l’intérêt de leurs fils.
- La Coalition existe depuis plus de 25 ans. Sa mission consiste à soutenir les familles LGBT+ et à défendre leurs droits. Elle intervient dans trois champs d’action. Notamment, elle :
- offre du soutien et des services aux familles LGBT+, par exemple en organisant des ateliers pour de futurs parents ;
- fait de la sensibilisation auprès du public, par exemple en proposant des formations dans les domaines de la santé et de l’éducation ;
- participe à la défense des droits des familles LGBT+, par exemple en intervenant auprès des élus et des médias.
- Les membres de la Coalition participent à plusieurs modèles parentaux, dont des familles monoparentales, recomposées, adoptantes et transparentales. On y compte également quelques familles pluriparentales.
- Ensemble, les deux demandes soumises au Tribunal soulèvent les questions suivantes :
- Interprétées correctement, les dispositions du C.c.Q. qui régissent la filiation permettent‑elles la reconnaissance de plus de deux liens de filiation ?
- Dans le cas d’une réponse négative, la limite de deux liens de filiation porte-t-elle atteinte :
- au droit à la sécurité de la personne garanti par l’article 7 de la Charte canadienne et au droit à l’intégrité de la personne protégé par l’article 1 de la Charte des droits et libertés de la personne[23] (la Charte québécoise) ?
- au droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte canadienne et par l’article 1 de la Charte québécoise ?*
- au droit à la sauvegarde de la dignité protégé par l’article 4 de la Charte québécoise ?*
- au droit à la vie privée protégé par l’article 5 de la Charte québécoise ?*
- au droit à l’égalité garanti par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne au motif que cette limite constitue de la discrimination fondée sur :
- la déficience physique ;*
- l’orientation sexuelle ;
- le mode de conception ;* ou
- le statut familial ?
- au droit à l’égalité garanti par l’article 10 de la Charte québécoise au motif que cette limite constitue de la discrimination fondée sur :
- le handicap ;*
- l’orientation sexuelle ; ou
- l’état civil ?
* Les moyens constitutionnels et quasi‑constitutionnels accompagnés d’un astérisque ne sont soulevés que dans le Dossier de la Coalition.
- Dans la mesure où la limite de deux liens de filiation porte atteinte à un droit protégé par la Charte canadienne ou par la Charte québécoise, cette limite peut‑elle se justifier aux termes de l’article premier de la Charte canadienne ou de l’article 9.1 de la Charte québécoise ?
- Dans le cas d’une réponse négative, quelle mesure de réparation constitutionnelle doit être prononcée ? et
- Dans le Dossier M...-P...-D..., le Directeur de l’état civil a-t-il rendu une décision déraisonnable en refusant d’inscrire le nom de madame M... comme mère dans le certificat de naissance de X ?
- La première question en litige consiste à déterminer si, correctement interprété, le C.c.Q. permet déjà la reconnaissance de la filiation d’un enfant avec plus de deux parents. Avant d’aborder les arguments interprétatifs invoqués de part et d’autre, il convient de faire le point sur l’institution juridique de la filiation en droit civil québécois.
- La « filiation » constitue le lien de droit qui unit un enfant à ses parents[24]. Elle est une construction juridique — c’est-à-dire une création du droit positif[25]. Lorsqu’elle est établie, la filiation est source de droits et d’obligations pour l’enfant ainsi que pour ses parents[26]. Comme l’explique la juge Savard (maintenant juge en chef du Québec)[27] :
[23] Un enfant est uni à ses parents par le lien de droit que constitue la filiation. Au‑delà du seul apport psychologique, l’importance de ce lien repose sur le fait qu’il est porteur de droits et d’obligations entre l’enfant et ses parents, notamment en matière d’obligation alimentaire (art. 585 C.c.Q.), d’autorité parentale (art. 599 C.c.Q.) ou de succession ab intestat (art. 653 et 655 C.c.Q.). Il importe donc qu’elle soit établie dans le respect de la règle de droit.
- L’auteur Michel Tétrault abonde dans le même sens[28] :
La filiation se définit comme le lien juridique qui relie l’enfant à son père (filiation paternelle) et à sa mère (filiation maternelle) : la parenté. Ce lien juridique entraîne la création de droits et d’obligations entre l’enfant et ses parents, notamment, l’obligation alimentaire, le droit de succéder et l’autorité parentale. La parentalité est un effet de la parenté.
- Tout comme la société dont il est issu, le droit qui régit la filiation au Québec a connu une évolution importante au fil des ans[29]. Le Code civil du Bas‑Canada, connaissait deux types de filiation selon l’état matrimonial des parents : les enfants dits « légitimes » conçus pendant le mariage et les enfants dits « naturels » nés hors mariage[30]. Les droits et obligations des enfants « naturels » étaient inférieurs à ceux des enfants « légitimes »[31].
- En 1980, lors de la réforme du droit de la famille au Québec, le législateur abolit cette distinction entre les enfants « légitimes » et les enfants « naturels ». Dorénavant, « Tous les enfants dont la filiation est établie ont les mêmes droits et les mêmes obligations, quelles que soient les circonstances de leur naissance »[32].
- Ainsi, la filiation dite « légitime » et la filiation dite « naturelle » sont remplacées par la « filiation par le sang ». Du même coup, le législateur introduit la filiation par adoption dans le droit codifié. En 2002, lors d’une réforme subséquente du droit de la famille au Québec, la notion de filiation par procréation assistée est ajoutée au C.c.Q.[33]
- Au moment de la naissance des quatre enfants dont la filiation est en cause en l’espèce, le lien de filiation en droit québécois se classait sous trois rubriques[34] : la filiation par le sang (articles 523 à 537 C.c.Q.), la filiation des enfants nés d’une procréation assistée (articles 538 à 542 C.c.Q.) et la filiation par adoption (articles 543 à 584.1 C.c.Q.)[35].
- Une précision s’impose en ce qui concerne la notion de « filiation par le sang ». Bien que cette filiation corresponde souvent à la réalité biologique, il n’en est pas nécessairement ainsi[36]. Comme l’explique la juge Savard[37] :
[25] […] [L]a qualification de « filiation par le sang » est imparfaite puisque celle-ci ne repose pas exclusivement sur la « vérité biologique » ou, dit autrement, sur le lien génétique. Voici ce qu’écrit le Comité consultatif sur le droit de la famille au sujet des fondements de la filiation par le sang en droit québécois :
Lors de la réforme de 1980, le législateur aurait très bien pu recentrer la filiation (par le sang) autour du lien génétique, comme certains semblent aujourd’hui le souhaiter. En permettant qu’une simple déclaration de naissance ou une possession constante d’état serve de base à l’établissement d’un lien de filiation, sans égard au facteur génétique, le législateur québécois en a toutefois décidé autrement. Bien qu’un tel lien de filiation puisse, à certaines conditions précises, être contesté en justice sur la base d’une preuve génétique, le Québec a clairement fait le choix d’attribuer à la volonté individuelle un rôle fondamental en matière de filiation. Tantôt fondée sur le sang, tantôt fondée sur la volonté, la filiation constitue donc, en droit québécois, un heureux mélange des genres.
- À titre d’exemple, selon l’article 530 C.c.Q., la filiation d’une personne dont la possession d’état est conforme à son acte de naissance ne peut être attaquée en justice, et ce, même à l’aide d’une preuve ADN, par ailleurs biologiquement concluante. C’est ce que l’on dénomme le « verrou de filiation »[38].
- Une autre réforme importante du droit de la filiation intervient en 2023[39], laquelle traite notamment des projets de grossesse pour autrui. Il en résulte qu’à présent, le C.c.Q. décline la filiation en deux grandes catégories : la filiation de naissance (articles 522.2 à 541.37 C.c.Q.) et la filiation par adoption (articles 543 à 584.1 C.c.Q.).
- En ce qui concerne la filiation de naissance, elle comprend deux sous‑catégories de règles : celles qui régissent la filiation par la reconnaissance ou par le sang (articles 523 à 525 C.c.Q.) et celles qui régissent la filiation des enfants issus d’une procréation impliquant la contribution d’un tiers, c’est-à-dire une procréation assistée (articles 538 à 541.37 C.c.Q.).
- Pour ce qui est de la procréation assistée, les règles de la filiation sont à leur tour classifiées en deux sous sous-catégories : les projets parentaux impliquant l’utilisation du matériel reproductif d’un tiers (articles 538 à 539.1 C.c.Q.) et les projets parentaux impliquant une grossesse pour autrui (articles 541.1 à 541.37 C.c.Q.).
- Signalons que les dispositions du C.c.Q. qui régissent la filiation sont d’ordre public[40].
- Par ailleurs, afin d’éviter toute confusion terminologique, il convient de mentionner la distinction entre les notions de « parenté » et de « parentalité ». La « parenté » est fondée sur le lien juridique de la filiation, alors que la « parentalité » est fondée sur l’exercice de fonctions parentales[41]. Le juge Kasirer (à l’époque juge à la Cour d’appel) explique ainsi les notions dans Droit de la famille — 191677[42] :
[100] La parenté se rattache à la filiation. Construction du droit positif, la « filiation » du Code civil – par le sang, par procréation assistée, ou par adoption – est le lien de droit qui unit un enfant à ses mères et pères. Elle inscrit l’enfant dans un ensemble ordonné de relations familiales (parfois qualifié, de manière quelque peu trompeuse, d’« ordre généalogique »), qui consacre divers liens de parenté, en ligne directe et collatérale, fondés sur le lien juridique de filiation dans ce qu’on pourrait appeler sa famille élargie.
[101] La parentalité, elle, renvoie à une idée plus large que la parenté et la filiation, touchant plus généralement la fonction parentale ou la « situation d’une personne qui tient le rôle de parent pour un enfant ».
- Il existe souvent une correspondance parfaite entre parenté et parentalité — les personnes ayant le lien de filiation avec l’enfant étant également celles qui exercent la fonction parentale[43]. En effet, les parents juridiques de l’enfant sont, sauf exception, investis de l’autorité parentale en raison du lien de filiation. En revanche, il n’en est pas toujours ainsi et une personne qui n’est pas un parent au sens juridique de la filiation peut exercer, dans les faits ou en droit, les fonctions d’un parent[44]. Citons à nouveau les propos du juge Kasirer dans Droit de la famille — 191677 :
[104] […] [U]ne personne qui est un tiers au sens du droit de la filiation peut néanmoins être appelée, dans les faits ou en droit, et parallèlement ou par substitution aux parents, à exercer le droit de garde, à apporter une assistance financière à l’enfant, ou à exercer des droits d’accès, et ce, sans nécessairement enlever à la mère ou au père son statut juridique de parent. Parfois qualifiée de « parent psychologique », de « parent social », voire de « tiers significatif », cette figure parentale n’est pas pour autant une mère ou un père au regard du droit de la filiation. Contrairement à d’autres traditions juridiques, l’établissement de la filiation en droit civil ne dépend pas de l’exercice, en fait ou en droit, des prérogatives de parentalité, et vice versa.
- Chacun des Demandeurs individuels exerce les fonctions de parent en relation avec ses enfants respectifs, en leur fournissant amour, surveillance, éducation et soutien économique — en somme, tout ce dont un enfant a besoin. On observe donc que la « triparentalité » ou encore la « pluriparentalité » — soit l’exercice des fonctions de parent par plus de deux personnes — existe.
- Les présentes affaires mettent plutôt en cause les notions de « triparenté » ou encore de « pluriparenté », soit la reconnaissance d’un lien de filiation avec plus de deux parents. En d’autres termes, s’il ne fait aucun doute que, dans les faits, plus de deux personnes peuvent jouer le rôle de parent à l’égard d’un enfant, la question soulevée ici consiste à savoir si un enfant peut avoir plus de deux parents juridiques.
- Les Demandeurs plaident qu’aucune disposition du C.c.Q. ne limite explicitement la filiation à deux parents et que son texte permet, au contraire, la reconnaissance de plus de deux liens de filiation. À l’appui, ils soutiennent que les dispositions du C.c.Q. régissant la filiation doivent être interprétées :
- de manière large et libérale, conformément à leur objectif qui consiste à assurer l’égalité de tous les enfants, sans égard aux circonstances de leur naissance ;
- de manière évolutive, afin de s’assurer que le droit commun québécois évolue avec la société ;
- en tenant compte du principe de l’intérêt de l’enfant ; et
- dans le respect des droits garantis par la Charte canadienne et par la Charte québécoise.
- Pour sa part, le PGQ soutient qu’il n’existe en droit positif québécois aucune norme reconnaissant l’existence de plus de deux liens de filiation. Si aucune disposition du C.c.Q. ne proscrit la triparenté ou la pluriparenté, l’économie générale du code s’y oppose.
- Le PGQ a raison. Avant d’expliquer pourquoi, il convient d’exposer les principes qui régissent l’interprétation du C.c.Q.
1.2.1 Les principes d’interprétation
- La question de savoir si le C.c.Q autorise plus de deux liens de filiation en est une d’interprétation. Dans l’arrêt Épiciers Unis Métro‑Richelieu[45], le juge LeBel expose succinctement les principes qui régissent l’interprétation du Code. Le Tribunal ne saurait mieux faire que de reproduire ses enseignements[46] :
20 Traditionnellement, les méthodes d’interprétation du Code civil du Québec et du droit d’origine législative des provinces de common law étaient différentes, voire clairement opposées (P.-A. Côté, Interprétation des lois (3e éd. 1999), p. 34 et suiv.). Dans les provinces de common law, les textes législatifs ou « statutes » étaient considérés comme un droit d’exception dont la nature justifiait souvent une interprétation restrictive, parfois empreinte de formalisme. Au contraire, le Code civil du Québec, qui établit le droit commun de cette province de droit civil, devait être interprété largement. Dans l’arrêt Doré c. Verdun (Ville), 1997 CanLII 315 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 862, le juge Gonthier précisa à ce propos que « contrairement au droit d’origine législative des ressorts de common law, le Code civil n’est pas un droit d’exception et son interprétation doit refléter cette réalité. Il doit recevoir une interprétation large qui favorise l’esprit sur la lettre et qui permette aux dispositions d’atteindre leur objet » (par. 15); voir aussi : General Motors Products of Canada Ltd. c. Kravitz, 1979 CanLII 22 (CSC), [1979] 1 R.C.S. 790, p. 813; J.‑L. Bergel, « Spécificité des codes et autonomie de leur interprétation », dans Le nouveau Code civil : interprétation et application — Les journées Maximilien-Caron 1992 (1993), 3, p. 8 et suiv.
21 Cette différence entre les méthodes d’interprétation du droit civil et du droit statutaire s’est toutefois estompée avec l’évolution des méthodes d’interprétation des lois. En fait, cette différence est pratiquement disparue aujourd’hui, puisque le droit statutaire ne s’interprète désormais plus automatiquement d’une manière restrictive. En effet, notre Cour a, maintes fois, décrit la méthode qu’elle privilégie en matière d’interprétation des lois. Cette méthode, généralement qualifiée de méthode moderne d’interprétation des lois, fut clairement définie par les juges Iacobucci et Major dans l’arrêt R. c. Jarvis, [2002] 3 R.C.S. 757, 2002 CSC 73, par. 77 :
Il est facile de décrire la méthode d’interprétation des lois : il faut déterminer l’intention du législateur et, à cette fin, lire les termes de la loi dans leur contexte, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet de la loi (Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21, art. 12; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27; R. c. Gladue, 1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688; E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87).
22 Cette méthode privilégiée est renforcée par le deuxième alinéa de l’art. 41 ainsi que l’art. 41.1 de la Loi d’interprétation du Québec selon lesquels « [u]ne [. . .] loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l’accomplissement de son objet et l’exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin » et « [l]es dispositions d’une loi s’interprètent les unes par les autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l’ensemble et qui lui donne effet. » Ainsi, pour interpréter une disposition du Code civil du Québec, il convient d’avoir recours, notamment, aux dispositions du code, aux lois connexes, aux objectifs législatifs ainsi qu’aux circonstances ayant entouré la rédaction du texte.
- En somme, le Tribunal doit appliquer la méthode moderne d’interprétation, qui consiste à lire les dispositions du C.c.Q. dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical du texte, d’une manière qui s’harmonise avec l’économie de la loi, son objet et l’intention du législateur[47]. Ce faisant, il doit rechercher une interprétation large et libérale qui favorise l’esprit des dispositions du C.c.Q. plutôt que leur libellé, et ce, afin d’assurer l’accomplissement de l’objet de la loi[48].
- Mentionnons également que le texte à interpréter s’inscrit dans le document qui exprime le droit commun québécois et qui sert donc de fondement aux autres lois[49]. Il s’agit en outre d’une codification – c’est-à-dire le fruit d’un effort rationnel de synthèse et d’organisation compréhensive de normes au sein d’une œuvre structurée et cohérente.
- À ce chapitre, le principe de la cohérence législative[50] joue un rôle important en matière d’interprétation du C.c.Q. Comme l’expliquent les professeurs Côté et Devinat[51] :
La préoccupation de cohérence dans l’interprétation se manifeste aussi bien en common law qu’en droit civil, mais elle prend, dans le cadre de l’interprétation d’un code, une importance toute particulière. D’une part, l’idée même de code, dans la tradition civiliste, connote les idées de système, de rationalité et de cohérence. D’autre part, le haut niveau d’abstraction généralement choisi pour l’expression du droit tend à accentuer la nécessité, pour l’interprétation de chaque disposition du Code civil, d’avoir à l’esprit les autres dispositions, l’économie générale et les principes généraux du droit. On ne s’étonnera donc pas de constater la fréquence et l’importance des arguments de cohérence dans l’interprétation du Code civil.
- Ce principe de cohérence impose une lecture globale du C.c.Q. Bref, pour déceler le sens d’un texte du Code, l’examen d’autres dispositions est non seulement utile, mais souvent nécessaire. Cette technique interprétative est bien exposée dans Quebec Civil Law: An Introduction to Quebec Private Law[52] :
[T]he idea of reading the Code as a whole also is an invitation to using various other codal articles to help fix the meaning of any given text. The logical interpretation of the Code therefore admits the methods of reasoning a contrario, by analogy, or by way of extrapolating a general principle from a series of specific texts to apply to the matter at hand. In this last case, which is especially interesting as an illustration of a technique of interpretation deriving from the conception of a civilian code, the general principle can then be said to constitute the policy of the enactment when read in its entirety. The exercise amounts to more than a simple cross‑referencing of codal articles because it strives to articulate what may be only implicit policy.
1.2.2 L’inexistence d’une disposition interdisant la pluriparenté n’est pas déterminante
- Les Demandeurs soutiennent qu’aucune disposition du C.c.Q. — que ce soit au moment de la naissance de leurs enfants ou aujourd’hui — ne limite explicitement la filiation à deux parents ni ne proscrit la reconnaissance d’un troisième lien de filiation. Ils ont raison. Cependant, ce constat ne suffit pas pour leur donner gain de cause.
- Le professeur Leckey (maintenant juge de cette Cour) explique[53] :
Crucially, parental status—filiation in the civil law or parentage in the common law—is a legal construct and must be established. It does not arise, unmediated, from brute facts such as siring a child or giving birth.
[Soulignements ajoutés]
- Quant à Maître Tétrault, il précise[54] :
Selon les dispositions du Code civil, il est impossible d’établir une filiation à l’égard d’un enfant hors des critères établis pour la filiation adoptive ou par le sang (et la procréation assistée). En effet, la seule notion du meilleur intérêt de l’enfant ou de liens psychologiques entre une personne et un enfant ne peut établir un lien de filiation, sous réserve de ce que l’on qualifie de possession d’état (art. 523 et 524 C.c.Q.).
- En somme, la filiation est une construction juridique, une création du droit positif. Il en résulte que l’absence d’une interdiction n’est pas particulièrement utile pour les Demandeurs. Ils doivent plutôt identifier dans le droit positif — en l’occurrence le C.c.Q. — une ou des dispositions créant le troisième lien de filiation dont ils réclament la reconnaissance.
1.2.3 Aucune disposition du droit positif ne crée explicitement plus de deux liens de filiation et l’économie générale du Code s’y oppose
- Comme mentionné, à l’époque de la naissance des enfants en cause, les règles québécoises régissant la filiation se classifiaient sous trois rubriques : (1) la filiation par le sang, (2) la filiation des enfants nés d’une procréation assistée et (3) la filiation par adoption.
- Aucun des enfants en cause ne fait l’objet d’une adoption. Cela dit, les règles concernant la filiation par adoption demeurent pertinentes pour la compréhension de l’économie générale du Code et nous y reviendrons.
- La preuve révèle que les circonstances entourant la conception d’au moins trois des enfants correspondent, dans les faits, à des procréations assistées. Cela dit, les dispositions du C.c.Q. régissant la filiation dans ce domaine ne s’appliquent qu’en cas de projet parental d’une personne seule ou de conjoints[55]. La notion de « conjoints » se limite à deux personnes[56].
- En l’espèce, les projets parentaux des Demandeurs impliquaient toujours plus de deux personnes, ce qui exclut nécessairement l’application des dispositions régissant la filiation des enfants nés d’une procréation assistée[57]. Ces dispositions demeurent néanmoins pertinentes pour comprendre l’économie générale du C.c.Q. en matière de filiation et nous y reviendrons également.
- Ainsi donc, c’est dans les dispositions régissant la filiation par le sang que les Demandeurs doivent trouver une assise pour une filiation tripartite. Au moment de la naissance de leurs enfants, ces dispositions se lisaient comme suit[58] :
TITRE DEUXIÈME DE LA FILIATION DISPOSITION GÉNÉRALE 522. Tous les enfants dont la filiation est établie ont les mêmes droits et les mêmes obligations, quelles que soient les circonstances de leur naissance. CHAPITRE PREMIER DE LA FILIATION PAR LE SANG SECTION I DES PREUVES DE LA FILIATION § 1. — Du titre et de la possession d’état 523. La filiation tant paternelle que maternelle se prouve par l’acte de naissance, quelles que soient les circonstances de la naissance de l’enfant. À défaut de ce titre, la possession constante d’état suffit. 524. La possession constante d’état s’établit par une réunion suffisante de faits qui indiquent les rapports de filiation entre l’enfant et les personnes dont on le dit issu. § 2. — De la présomption de paternité 525. L’enfant né pendant le mariage ou l’union civile de personnes de sexe différent ou dans les 300 jours après sa dissolution ou son annulation est présumé avoir pour père le conjoint de sa mère. Cette présomption de paternité est écartée lorsque l’enfant naît plus de 300 jours après le jugement prononçant la séparation de corps des époux, sauf s’il y a eu reprise volontaire de la vie commune avant la naissance. La présomption est également écartée à l’égard de l’ex-conjoint lorsque l’enfant est né dans les 300 jours de la dissolution ou de l’annulation du mariage ou de l’union civile, mais après le mariage ou l’union civile subséquent de sa mère. § 3. — De la reconnaissance volontaire 526. Si la maternité ou la paternité ne peut être déterminée par application des articles qui précèdent, la filiation de l’enfant peut aussi être établie par reconnaissance volontaire. 527. La reconnaissance de maternité résulte de la déclaration faite par une femme qu’elle est la mère de l’enfant. La reconnaissance de paternité résulte de la déclaration faite par un homme qu’il est le père de l’enfant. 528. La seule reconnaissance de maternité ou de paternité ne lie que son auteur. 529. On ne peut contredire par la seule reconnaissance de maternité ou de paternité une filiation déjà établie et non infirmée en justice. | TITLE TWO FILIATION GENERAL PROVISION 522. All children whose filiation is established have the same rights and obligations, regardless of their circumstances of birth. CHAPTER I FILIATION BY BLOOD DIVISION I PROOF OF FILIATION § 1. — Title and possession of status 523. Paternal filiation and maternal filiation are proved by the act of birth, regardless of the circumstances of the child’s birth. In the absence of an act of birth, uninterrupted possession of status is sufficient. 524. Uninterrupted possession of status is established by an adequate combination of facts which indicate the relationship of filiation between the child and the persons of whom he is said to be born. § 2. — Presumption of paternity 525. If a child is born during a marriage or a civil union between persons of opposite sex, or within 300 days after its dissolution or annulment, the spouse of the child’s mother is presumed to be the father. The presumption of paternity is rebutted if the child is born more than 300 days after the judgment ordering separation from bed and board of married spouses, unless the spouses have voluntarily resumed their community of life before the birth. The presumption is also rebutted as regards the former spouse if the child is born within 300 days of the dissolution or annulment of the marriage or civil union, but after a subsequent marriage or civil union of the child’s mother. § 3. — Voluntary acknowledgement 526. If maternity or paternity cannot be determined by applying the preceding articles, the filiation of a child may also be established by voluntary acknowledgement. 527. Maternity is acknowledged by a declaration made by a woman that she is the mother of the child. Paternity is acknowledged by a declaration made by a man that he is the father of the child. 528. Mere acknowledgement of maternity or of paternity binds only the person who made it. 529. An established filiation which has not been successfully contested in court is not impugnable by a mere acknowledgement of maternity or of paternity. |
- Il convient aussi de reproduire les articles 114 et 115 C.c.Q., régissant les déclarations de naissance (tels qu’ils se lisaient à l’époque[59]) :
114. Seuls le père ou la mère peuvent déclarer la filiation de l’enfant à leur égard. Cependant, lorsque la conception ou la naissance survient pendant le mariage ou l’union civile, l’un des conjoints peut déclarer la filiation de l’enfant à l’égard de l’autre. Aucune autre personne ne peut déclarer la filiation à l’égard d’un parent sans l’autorisation de ce dernier. 115. La déclaration de naissance énonce le nom attribué à l’enfant, son sexe, les lieu, date et heure de la naissance, le nom et le domicile des père et mère, de même que le lien de parenté du déclarant avec l’enfant. Lorsque les parents sont de même sexe, ils sont désignés comme les mères ou les pères de l’enfant, selon le cas. | 114. Only the father or mother may declare the filiation of a child with regard to themselves. However, where the child is conceived or born during the marriage or civil union, one of the spouses may declare the filiation of the child with regard to the other. No other person may declare the filiation with regard to one of the parents, except with the authorization of that parent. 115. A declaration of birth states the name assigned to the child, the sex and the place, date and time of birth of the child, the name and domicile of the father and of the mother, and the family relationship between the declarant and the child. Where the parents are of the same sex, they are designated as the mothers or fathers of the child, as the case may be. |
- La lecture de ces dispositions permet d’observer qu’aucune d’entre elles ne crée explicitement plus de deux liens de filiation[60].
- Toutefois, selon les Demandeurs, plus de deux personnes (qui se considèrent comme le père, la mère ou un parent) peuvent déclarer la filiation d’un enfant à leur égard aux termes de l’article 114 C.c.Q. Dans un tel cas, le Directeur de l’état civil doit dresser l’acte de naissance conformément aux déclarations reçues et la filiation de l’enfant avec chacun de ses parents sera prouvée par cet acte de naissance. Par ailleurs, dans la mesure où l’acte de naissance de l’enfant n’établit pas tous ses liens de filiation, la possession constante d’état suffit[61]. Enfin, ils soutiennent que plus de deux personnes peuvent reconnaître volontairement leur statut de parent en application des articles 526 à 528 C.c.Q.
- En réalité, l’argument des Demandeurs repose toujours sur l’absence de limite formelle à deux parents dans les dispositions qu’ils invoquent, car aucune d’entre elles ne crée expressément le lien de filiation additionnel qu’ils recherchent. Quoi qu’il en soit, l’économie générale du Code — laquelle constitue une dimension du principe de la cohérence législative — s’oppose formellement aux arguments interprétatifs des Demandeurs.
- En effet, lorsque le C.c.Q. est examiné dans son ensemble, on constate bien que le législateur, sans exclure la monoparenté, s’est inspiré d’un modèle de parenté foncièrement bipartite. Cette lecture globale du C.c.Q. fait ressortir une limite implicite, mais pourtant claire, à deux liens de filiation. Il en résulte que le droit positif québécois n’autorise pas — ou, plutôt, ne crée pas — le troisième lien de filiation recherché par les Demandeurs.
- Plusieurs dispositions du C.c.Q., tel qu’il se lisait au moment de la naissance des enfants, appuient cette conclusion.
- D’abord, les dispositions du C.c.Q. concernant l’adoption sont fondées sur l’existence d’un maximum de deux liens de filiation avant et après l’adoption.
- À ce titre, pour ce qui est du consentement à l’adoption, l’accord des « deux » parents est requis, et ce, dans la mesure où la filiation de l’enfant avec eux est établie (article 551 C.c.Q.)[62]. De plus, l’article 546 C.c.Q. prévoit qu’une personne « peut, seule ou conjointement avec une autre personne, adopter un enfant » (soulignements ajoutés). Une adoption à trois n’est pas possible. De surcroît, la nouvelle filiation créée par l’adoption succède aux filiations préexistantes de l’enfant (article 577 C.c.Q.[63]). Au terme d’une adoption selon le droit québécois, un enfant ne peut donc avoir que deux liens de filiation[64].
- Ensuite, il en est de même pour les enfants nés d’une procréation assistée.
- Comme mentionné, l’article 538 C.c.Q. prévoit qu’une personne seule ou des conjoints — c’est-à-dire deux personnes[65] — peuvent participer à un projet parental avec assistance à la procréation impliquant le recours aux forces génétiques d’un tiers. Selon l’article 538, le tiers n’est pas partie au projet parental et son apport de forces génétiques ne peut fonder aucun lien de filiation avec l’enfant (article 538.2 C.c.Q.). En somme, le C.c.Q. n’envisage que la création d’un ou de deux liens de filiation en cas de procréation assistée.
- Les Demandeurs plaident que les dispositions du C.c.Q. ne régissent qu’un projet parental d’une personne seule ou de deux conjoints. Selon eux, rien n’empêche l’existence d’un projet parental à trois. Si plus de deux personnes peuvent, dans les faits, former un projet parental et le mettre en application, force est de constater que le législateur n’envisage pas de tels projets parentaux. Surtout, il n’a pas créé plus de deux liens de filiation afin de répondre aux souhaits de ceux qui forment un projet parental à trois ou plus.
- En réalité, le C.c.Q. limite clairement la filiation à deux personnes en cas de procréation assistée. L’argument selon lequel cette limite disparaît dès lors que le projet parental implique plus de deux personnes et que le droit positif reconnaitrait alors une filiation multipartite ne résiste pas à l’analyse.
- De surcroît, plusieurs autres dispositions du C.c.Q. permettent d’observer que le législateur n’envisage que l’existence de deux parents juridiques.
- Par exemple, l’article 539.1 C.c.Q. traite de la situation où « les parents sont tous deux de sexe féminin » (soulignement ajouté). De même, l’article 52 C.c.Q. prévoit qu’en cas de désaccord sur le choix du nom de famille d’un enfant, celui‑ci se voit attribuer « un nom composé de deux parties », l’une provenant du nom du père ou d’un parent et l’autre du nom de la mère ou de l’autre parent (soulignement ajouté).
- D’autres dispositions du C.c.Q. utilisent l’expression « père et mère » au singulier, ou « l’autre parent » ou « les deux parents », ce qui laisse croire que le législateur n’envisage pas l’existence de plus de deux parents juridiques (voir notamment les articles 65, 66.1, 80, 201 et 553 C.c.Q.).
- À ce titre, les Demandeurs répondent que selon l’article 54 de la Loi d’interprétation, le singulier s’étend au pluriel et que l’utilisation de « père » et « mère » au singulier n’exclut pas la possibilité de plus de deux parents. Or, cette disposition prévoit que l’extension du singulier au pluriel s’applique lorsque le contexte s’y prête. Étant donné que la filiation dans le C.c.Q. est manifestement fondée sur un modèle familial bipartite, le contexte ne se prête pas à l’extension qu’ils proposent.
- Certes, plusieurs des dispositions mentionnées ne traitent pas de la filiation en tant que telle. Néanmoins, elles illustrent le fait que le modèle familial qui sous‑tend le C.c.Q. — qui transparaît à travers ses dispositions — est fondé sur la biparenté.
- Mentionnons enfin les modifications législatives de 2022 et de 2023[66].
- Elles sont entrées en vigueur après la naissance des enfants des Demandeurs et ne régissent donc pas leur filiation. Cela dit, il est intéressant d’observer qu’elles renforcent le modèle de parenté bipartite qui sous‑tend le C.c.Q. et notamment les règles de filiation qui y sont édictées. En effet, le nouvel article 523 C.c.Q. envisage nettement l’existence d’un maximum de deux parents en faisant référence, d’une part, à la mère ou au parent ayant donné naissance à l’enfant et, d’autre part, au père ou l’autre parent[67] :
523. La filiation de l’enfant s’établit à l’égard de la mère ou du parent par le fait de lui avoir donné naissance et, à l’égard du père ou de l’autre parent, par la reconnaissance d’un lien de filiation dans la déclaration de naissance conformément aux règles prévues au présent code. À défaut de cette reconnaissance dans la déclaration de naissance, la possession constante d’état suffit. [Soulignements ajoutés] | 523. The filiation of a child is established with regard to the mother or parent by the fact of their having given birth to him and, with regard to the father or other parent, by the acknowledgement of a bond of filiation in the declaration of birth in accordance with the rules prescribed by this Code. In the absence of such an acknowledgement in the declaration of birth, uninterrupted possession of status is sufficient. [Soulignements ajoutés] |
- Soulignons également les nouvelles dispositions qui prévoient que la possession constante d’état ne peut s’établir dans les cas où elle est exercée par plus d’une personne simultanément[68]. Enfin, les nouvelles dispositions régissant la filiation en matière de procréation assistée impliquant une grossesse pour autrui envisagent également un maximum de deux liens de filiation, puisque le projet parental pertinent émane encore d’une personne seule ou de conjoints[69].
- En somme, si le C.c.Q. n’interdit pas formellement plus de deux liens de filiation, aucune disposition du Code n’y donne explicitement ouverture et son économie générale y fait plutôt clairement obstacle.
- C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle arrive la jurisprudence. En effet, à plusieurs reprises, les tribunaux mentionnent spontanément, quoique dans des contextes différents, qu’un enfant ne peut avoir que deux parents en droit québécois[70]. Voici ce qu’écrit le juge Dussault à ce sujet dans l’arrêt Droit de la famille - 07528[71] :
[55] […] [M]ême après l’importante réforme de 2002, le concept de la pluriparentalité [sic] ne cadre pas avec l’économie générale du Code civil du Québec (voir, entre autres, les articles 51-54, 114, 539.1, et 578.1 de ce Code; Marie Pratte, « La filiation réinventée : l’enfant menacé ? », (2003) 33 R.G.D. 541, aux p. 560 et s., 600 et s.). Au Québec, contrairement à l’Ontario où, dans une situation factuelle très particulière, les lacunes du Children’s Law Reform Act (R.S.O. 1990, c. C.12) ont permis à la cour d’appel, qui n’a pu les croire intentionnelles, de reconnaître ce concept en exerçant leur compétence parens patriae (A.A. v. B.B., 2007 ONCA 2 (CanLII), 2007-01-02, docket: C39998), rien ne peut autoriser une telle interprétation. À moins qu’une modification législative claire en ce sens ne soit apportée, un enfant ne peut, dans l’état actuel du droit civil québécois, avoir trois parents.
[Soulignements ajoutés]
- Les demandeurs attaquent la valeur persuasive de cette jurisprudence. Ils plaident que dans les affaires où il est fait mention que le droit québécois limite la filiation à deux parents, la question n’était pas directement en cause. En outre, la mention de la limite de deux parents est accompagnée de peu, sinon d’aucune analyse véritable. Enfin, les demandeurs soulignent que dans l’arrêt Droit de la famille — 191677, le juge Kasirer se garde de se prononcer sur la question[72].
- Tout ceci est vrai. Cela dit, il serait hasardeux d’écarter du revers de la main les enseignements de la jurisprudence quant à la non‑reconnaissance de la pluriparenté en droit positif québécois. À tout évènement, ces enseignements reflètent la conclusion qui s’impose à l’issue d’une lecture globale et cohérente du C.c.Q.
- Il faut certes adopter une interprétation large et libérale des dispositions du C.c.Q. qui traitent de la filiation, notamment pour atteindre leurs buts, y compris celui d’assurer l’égalité des enfants, quelles que soient les circonstances de leur naissance. Cela dit, ni une interprétation large et libérale ni une lecture évolutive du Code n’autorisent la création judiciaire d’un lien de filiation qui ne trouve aucune source dans le C.c.Q. et qui, au contraire, est en porte-à-faux avec son économie générale[73].
1.2.4 En l’absence d’ambiguïté, les présomptions d’interprétation ne s’appliquent pas
- Les Demandeurs invoquent aussi deux présomptions interprétatives : (1) la conformité de la loi avec les droits garantis par la Charte canadienne et la Charte québécoise ; et (2) le respect de l’intérêt de l’enfant.
- Pour ce qui est de la présomption de conformité avec les droits fondamentaux, comme l’explique le juge Iacobucci dans l’arrêt Bell ExpressVu, ce principe interprétatif « s’applique uniquement qu’en cas d’ambiguïté véritable, c’est‑à‑dire lorsqu’une disposition législative se prête à des interprétations divergentes, mais par ailleurs tout aussi plausibles l’une que l’autre » (souligné dans l’original)[74].
- Or, aux termes d’une analyse contextuelle des dispositions du C.c.Q. qui régissent la filiation, il n’existe aucune ambiguïté quant à la possibilité d’établir plus de deux liens de filiation. Recourir à la présomption de conformité avec les Chartes n’est d’aucune utilité pour les Demandeurs.
- Qu’en est‑il de l’argument voulant que le principe de l’intérêt de l’enfant milite en faveur d’une interprétation du C.c.Q. favorable à la reconnaissance de plus de deux liens de filiation ?
- La notion de l’intérêt de l’enfant est omniprésente en droit québécois, et ce, pour toute question qui les concerne. Comme le précise l’article 33 C.c.Q., les « décisions concernant l’enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits ». Pour sa part, l’article 39 de la Charte québécoise — au même titre que l’article 32 C.c.Q. — consacre le droit de tout enfant « à la protection, à la sécurité et à l’attention que ses parents ou les personnes qui en tiennent lieu peuvent lui donner ».
- Cela dit, l’argument interprétatif des Demandeurs fondés sur le principe de l’intérêt de l’enfant ne peut être retenu.
- À ce chapitre, deux précisions s’imposent.
- D’abord, les Demandeurs ne plaident pas que le Tribunal devrait reconnaître un troisième lien de filiation pour leurs enfants au simple motif que cela serait dans leur intérêt. En effet, la notion de l’intérêt de l’enfant ne permet pas de passer outre les dispositions du C.c.Q. qui régissent la filiation. Comme l’explique le juge Rochon dans l’arrêt Droit de la famille – 111729, les règles relatives à la filiation sont elles‑mêmes édictées dans l’intérêt de l’enfant[75] :
[28] […] Dans l’élaboration des règles propres à la filiation, le législateur a tenu compte de façon implicite de l’intérêt de l’enfant. Que ce soit la filiation par le sang ou la filiation des enfants nés d’une procréation assistée ou encore de la filiation adoptive, l’intérêt de l’enfant sous-tend, à divers degrés, les règles adoptées par le législateur. Il serait erroné d’y ajouter ou d’y soustraire ou encore d’en formuler de nouvelles de façon individualisée, et ce, au nom du principe cardinal (de l’intérêt de l’enfant) déjà imbriqué aux textes législatifs.
- Ensuite, il existe deux acceptions de la notion de l’intérêt de l’enfant.
- D’une part, cette notion peut s’appliquer de façon individualisée à titre de guide dans la prise de toute décision concernant un enfant particulier. Il s’agit de l’acception in concreto de l’intérêt de l’enfant, appliquée tous les jours par des parents ou par les instances judiciaires en cas de différend concernant un enfant. Cette conception individualisée de l’intérêt de l’enfant ne peut servir d’outil interprétatif.
- D’autre part, l’intérêt de l’enfant peut également être une notion générale et abstraite (in abstracto), à savoir l’intérêt « qui oriente les décisions législatives générales concernant les enfants en tant que groupe de personnes spécifiques (la communauté des enfants) »[76].
- Cette notion abstraite de l’intérêt de l’enfant peut bien servir d’outil interprétatif en cas d’ambiguïté[77]. En effet, la protection de l’intérêt de l’enfant est un des grands objectifs des dispositions régissant la filiation. Face à une véritable ambiguïté dans le sens de celles‑ci, il conviendrait de retenir l’interprétation qui favorise l’intérêt de l’enfant dans le sens abstrait, puisqu’une telle interprétation est présumée correspondre à l’intention du législateur. De même, la présomption de conformité avec les obligations internationales du Canada pourrait aussi — toujours en cas d’ambiguïté législative — justifier le recours au principe de l’intérêt de l’enfant comme outil interprétatif[78].
- Cela dit et comme mentionné, une analyse contextuelle des dispositions du C.c.Q. qui régissent la filiation ne révèle aucune ambiguïté en ce qui a trait à l’existence en droit positif québécois de plus de deux liens de filiation. Dans les circonstances, l’on ne peut recourir à l’intérêt de l’enfant à titre de présomption ou d’outil interprétatif. En réalité, l’argument fondé sur l’intérêt de l’enfant invite le Tribunal, en guise d’interprétation, à créer un lien de filiation additionnel à la place du législateur, ce qu’il ne saurait faire.
- En définitive, les arguments des Demandeurs voulant que le C.c.Q. puisse et doive être interprété comme donnant ouverture à plus de deux liens de filiation doivent échouer. Qu’en est‑il toutefois de leurs moyens fondés sur la Charte canadienne et la Charte québécoise ?
- Dans la mesure où le C.c.Q. limite la filiation à deux parents, les Demandeurs contestent la validité de cette limite. Ils invoquent à ce titre des moyens constitutionnels et quasi-constitutionnels fondés sur la Charte canadienne ainsi que sur la Charte québécoise.
- Le Tribunal abordera chacun des moyens invoqués par les Demandeurs dans l’ordre qui suit : 1) le droit à la sécurité de la personne, à l’intégrité et à la liberté, 2) le droit à la sauvegarde de la dignité, 3) le droit à la vie privée, 4) le droit à l’égalité en vertu de l’article 15 de la Charte canadienne, et 5) le droit à l’égalité en vertu de l’article 10 de la Charte québécoise.
- Les Demandeurs plaident que la limite à deux liens de filiation porte atteinte aux droits protégés par l’article 7 de la Charte canadienne et par l’article 1 de la Charte québécoise. Ils soutiennent tous que cette limite met en cause la sécurité de la personne ainsi que le droit à l’intégrité. Les Demandeurs dans le Dossier de la Coalition ajoutent que le droit à la liberté est également en cause.
- Les dispositions pertinentes des Chartes se lisent ainsi :
Charte canadienne 7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Charte québécoise 1. Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu’à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne. Il possède également la personnalité juridique. | Canadian Charter 7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice. Québec Charter 1. Every human being has a right to life, and to personal security, inviolability and freedom. He also possesses juridical personality. |
- Il convient de commencer par les moyens des Demandeurs fondés sur l’article 7 de la Charte canadienne.
2.1.1 L’article 7 de la Charte canadienne : le droit à la liberté et à la sécurité de la personne
- L’article 7 de la Charte canadienne protège contre toute atteinte aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne qui n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale. Pour établir qu’une disposition législative contrevient à l’article 7 de la Charte canadienne, la partie demanderesse supporte un double fardeau. Elle doit établir que[79] :
- la disposition contestée met « en jeu » le droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne en entraînant une restriction, un effet préjudiciable, une atteinte ou encore un risque d’atteinte à ces droits ; et
- cette atteinte n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale.
- En l’espèce, les Demandeurs ne s’acquittent pas de leur fardeau de démontrer que la limite de deux liens de filiation met en jeu leurs droits à la sécurité de la personne ou à la liberté, ou encore ceux de leurs enfants. Voici pourquoi.
2.1.1.1 Le droit à la sécurité de la personne n’est pas violé
- Le droit à la sécurité de la personne protège à la fois l’intégrité physique et l’intégrité psychologique des individus[80]. Les Demandeurs invoquent en l’espèce la dimension psychologique de ce droit. À ce propos, dans l’arrêt G. (J.), le juge en chef Lamer explique que l’article 7 vise des atteintes psychologiques graves causées par l’État[81] :
60 Pour qu’une restriction de la sécurité de la personne soit établie, il faut donc que l’acte de l’État faisant l’objet de la contestation ait des répercussions graves et profondes sur l’intégrité psychologique d’une personne. On doit procéder à l’évaluation objective des répercussions de l’ingérence de l’État, en particulier de son incidence sur l’intégrité psychologique d’une personne ayant une sensibilité raisonnable. Il n’est pas nécessaire que l’ingérence de l’État ait entraîné un choc nerveux ou un trouble psychiatrique, mais ses répercussions doivent être plus importantes qu’une tension ou une angoisse ordinaires.
- En somme, pour que la sécurité de la personne protégée par l’article 7 de la Charte canadienne soit en cause, le préjudice psychologique doit à la fois être : 1) causé par l’État et 2) grave[82].
- À supposer que les conséquences psychologiques sur les familles pluriparentales de la limite de deux liens de filiation soient causées par l’État[83], la preuve n’établit pas que celles‑ci soient suffisamment graves pour mettre en jeu la protection offerte par le droit à la sécurité de la personne.
- En effet, voici ce que la preuve ordinaire administrée par les Demandeurs révèle :
La famille M...-P...-D...
- Lors de la naissance de X, en raison des restrictions sanitaires en lien avec la COVID‑19, l’infirmière s’opposait à ce que madame P... soit accompagnée par deux personnes, les règles de l’hôpital stipulant que seule une personne pouvait accompagner la mère qui donnait naissance. Finalement, toutefois, l’infirmière accepte la présence de madame M... et de monsieur D... ;
- Comme le nom de madame M... n’apparait pas sur le certificat de naissance de X, elle ne peut prendre une année de congé parental comme elle le souhaitait. Elle prend un congé sans solde et X est inscrit à la garderie à compter de l’âge de 4 mois ;
- X n’est pas reconnu comme le fils de madame M... et de monsieur D... pour les fins des assurances ni en ce qui a trait à leurs mutations éventuelles au sein des Forces armées canadiennes ;
- Expliquer leur situation familiale à leurs gérants de carrière respectifs peut s’avérer difficile. À ce titre, un gérant de carrière a décrit X comme l’enfant « illégitime » de monsieur D... ;
- Ils s’inquiètent pour ce qui est de la prise de décisions en lien avec X, notamment quant aux décisions médicales, puisque seul le nom de madame P... figure sur le certificat de naissance ;
La famille Pa...‑J...‑Je...
- Ils s’inquiètent en ce qui a trait aux décisions médicales advenant que madame J... se trouve seule avec Y. En effet, elle avait accompagné Y lors de l’administration de sa deuxième dose de vaccin contre la COVID‑19. L’infirmière responsable refuse initialement d’administrer le vaccin, mais accepte finalement après une discussion téléphonique avec madame Pa... ;
- Ils ressentent de l’insécurité en lien avec l’absence de reconnaissance juridique de la relation entre madame J... et Y. Ceci est source d’anxiété, particulièrement pour cette dernière ;
- Bien que les interactions avec les écoles fréquentées par Y soient positives jusqu’à présent, celui‑ci a fait l’objet d’une réaction négative de la part d’une famille du quartier ;
La famille L...-Mi...-A...
- Lors de la naissance de Z, il y aurait eu un signalement à la Direction de la protection de la jeunesse. À cette occasion, une travailleuse sociale mentionne aux trois parents que leur situation — soit un plan parental à trois — serait illégale. Il s’agit de la seule réaction négative importante vécue par la famille ;
- Madame A... n’a pas été impliquée dans les démarches de madame L... et de monsieur Mi... auprès d’une agence en vue d’identifier une mère porteuse, et ce, afin d’éviter toute discrimination à leur égard ;
- Madame A... ressent de l’insécurité en lien avec la prise de décisions concernant A, notamment les décisions médicales ou relatives à des voyages. À ce titre, lorsque A était hospitalisé, madame L... et monsieur Mi... ont veillé à ce que madame A... ne soit jamais seule avec lui afin d’éviter qu’elle n’ait à prendre une décision médicale urgente qu’elle n’était pas légalement autorisée à prendre ;
- Madame A... ressent de la tristesse parce qu’elle n’est pas reconnue comme la mère de A ;
- Monsieur Mi... ressent une certaine insécurité du fait que son nom ne figure pas sur le certificat de naissance de Z et que son rôle puisse être remis en cause ;
- Ils hésitent à expliquer leur situation familiale et ressentent un certain inconfort face au jugement des tiers.
- Pour ce qui est des experts mandatés par les Demandeurs, ils mentionnent :
- L’incertitude et l’anxiété qui résultent de la vulnérabilité légale des familles pluriparentales, surtout du parent non‑reconnu, lors d’interactions avec des institutions ou avec l’État[84] ;
- L’existence et l’effet cumulatif de micro‑agressions (blagues, questions maladroites, remarques intrusives, etc.) en lien avec la situation atypique des familles pluriparentales[85].
- Le professeur Lavoie utilise la notion de « stress minoritaire » pour décrire la situation vécue par les familles pluriparentales[86]. À ce stade, il convient d’ouvrir une parenthèse pour discuter de l’expertise de ce dernier.
- Le professeur Lavoie a livré à l’audience un véritable plaidoyer en faveur de la reconnaissance légale de la pluriparenté. Un tel argumentaire est difficilement compatible avec le rôle de l’expert, qui consiste à éclairer la Cour de façon objective et impartiale[87]. Sans remettre en cause ses qualités académiques, une certaine prudence s’impose dans l’appréciation de son rapport et de son témoignage[88].
- Par exemple, celui‑ci écrit dans son rapport que la situation qui résulte de l’absence de reconnaissance de certains coparents « crée des inégalités et fragilise le vécu de la famille, ce qui rejaillit négativement sur le bien-être des enfants concernés » (soulignements ajoutés). Or, la preuve ordinaire n’appuie aucunement cette affirmation et la situation des enfants des Demandeurs, qui se développent très bien, tend plutôt à la contredire. L’opinion non corroborée du professeur Lavoie selon laquelle la limite de deux liens de filiation a un effet négatif sur le bien‑être des enfants ne peut donc être retenue.
- Fin de la parenthèse.
- En tout état de cause, la preuve prépondérante permet de conclure que la limite de deux liens de filiation occasionne du stress aux parents qui choisissent un modèle familial pluriparental. Ce stress survient notamment à l’occasion d’interactions avec des institutions et avec l’État. Il est plus ressenti en lien avec le risque que les parents non reconnus ne puissent participer à des décisions qui relèvent de l’exercice de l’autorité parentale — en particulier celles qui concernent la santé de l’enfant.
- La preuve prépondérante révèle également que ceux qui adoptent un modèle familial pluriparental subissent des micro‑agressions. Avec le temps, celles‑ci peuvent sans doute devenir épuisantes. Les personnes qui évoluent dans un modèle familial s’écartant de la norme biparentale sont donc poussées à élaborer des stratégies afin de ne pas avoir à s’expliquer constamment et à répétition.
- Sans vouloir minimiser les désagréments vécus par les parents qui choisissent un modèle familial pluriparental en lien avec l’inexistence de plus de deux liens de filiation, force est de constater que la preuve ne révèle pas d’atteinte grave à l’intégrité psychologique de ceux‑ci ou de leurs enfants. À vrai dire, pour ce qui est des enfants des Demandeurs, la preuve n’établit aucune conséquence psychologique de la non‑reconnaissance de plus de deux liens de filiation[89].
- Nous sommes loin d’une situation comme celles en cause dans les arrêts G. (J.) et K.L.W. où l’État retire à un parent la garde de son enfant par voie d’appréhension. Comme nous le verrons, la limite de deux liens de filiation ne signifie aucunement que le parent non reconnu sera écarté de la vie de son enfant[90]. La preuve quant aux conséquences psychologiques de l’absence de reconnaissance évoque plutôt le passage suivant des motifs du juge en chef Lamer dans G. (J.)[91] :
59 […] Il est manifeste que le droit à la sécurité de la personne ne protège pas l’individu contre les tensions et les angoisses ordinaires qu’une personne ayant une sensibilité raisonnable éprouverait par suite d’un acte gouvernemental. Si le droit était interprété de manière aussi large, d’innombrables initiatives gouvernementales pourraient être contestées au motif qu’elles violent le droit à la sécurité de la personne, ce qui élargirait considérablement l’étendue du contrôle judiciaire, et partant, banaliserait la protection constitutionnelle des droits. […]
- En définitive, le stress, l’insécurité, l’incertitude et les désagréments dont il est question dans la preuve ne constituent pas des ingérences graves et profondes dans l’intégrité psychologique des parents qui choisissent un modèle familial pluriparental. Le droit à la sécurité de la personne n’est pas en jeu.
- Quant aux arguments des Demandeurs fondés sur le fait que les parents dont la filiation n’est pas reconnue ne bénéficient pas des mêmes droits et responsabilités à l’égard de leurs enfants que ceux qui profitent d’un lien de filiation[92], ils relèvent surtout du droit à l’égalité protégé par l’article 15 de la Charte canadienne et non du droit à la sécurité de la personne.
2.1.1.2 Le droit à la liberté n’est pas violé
- Les Demandeurs dans le Dossier de la Coalition soutiennent que la limite de deux liens de filiation porte atteinte au droit à la liberté protégé par l’article 7 de la Charte canadienne. Selon eux, cette limite : 1) impose une forme d’aménagement familial et 2) brime la liberté parentale.
- Commençons par l’argument selon lequel il y a imposition d’une forme d’aménagement familial. Ce moyen exige que l’on se penche sur la jurisprudence de la Cour suprême du Canada concernant la portée du droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte canadienne.
- Dès 1988, dans ses motifs concordants dans l’arrêt Morgentaler, la juge Wilson propose une acception large du droit à la liberté garanti à l’article 7 de la Charte canadienne, laquelle protège, outre la liberté physique, la dignité humaine, la vie privée et une mesure d’autonomie individuelle[93]. Cette vision de la portée du droit à la liberté est reprise quelques années plus tard par le juge La Forest dans ses motifs dans les arrêts B. (R.) c. Children's Aid Society of Metropolitan Toronto[94] (avec l’accord des juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier et McLachlin) et Godbout c. Longueuil (Ville)[95] (avec l’accord des juges L’Heureux-Dubé et McLachlin).
- Les motifs de la juge Wilson dans Morgentaler et du juge La Forest dans B. (R.) et Godbout ne reçoivent pas l’aval d’une majorité des juges de la Cour suprême du Canada dans ces affaires. Toutefois, il est maintenant établi que le droit à la liberté n’est pas limité au droit d’être à l’abri de toute contrainte physique[96].
- En effet, dans l’arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), le juge Bastarache — au nom d’une majorité de cinq juges — s’appuie notamment sur les motifs de la juge Wilson dans Morgentaler, ainsi que ceux du juge La Forest dans B. (R.) et Godbout, pour conclure que le droit à la liberté protège une sphère d’autonomie individuelle irréductible, laquelle comprend le droit de faire des choix personnels fondamentaux sans intervention de l’État[97].
- Cette acception du droit à la liberté est acceptée par une Cour suprême unanime dans l’arrêt Carter c. Canada (Procureur général)[98]. Il en résulte que le droit à la « liberté » protégé par l’article 7 de la Charte canadienne est en cause « lorsque des contraintes ou des interdictions de l’État influent sur les choix importants et fondamentaux qu’une personne peut faire dans sa vie »[99].
- En revanche, l’article 7 ne protège pas « toute décision qu’un individu peut prendre dans la conduite de ses affaires » ou encore « tout ce qui peut, même vaguement, être qualifié de “privé” »[100]. Les décisions visées par l’article 7 ne concernent « que les sujets qui peuvent à juste titre être qualifiés de fondamentalement ou d’essentiellement personnels et qui impliquent, par leur nature même, des choix fondamentaux qui participent à l’essence même de ce que signifie la jouissance de la dignité et de l’indépendance individuelles »[101].
- Compte tenu de l’acception large du droit à la liberté reconnue par la jurisprudence, l’imposition par l’État d’un modèle de vie familiale pourrait mettre en jeu ce droit. En effet, les décisions relatives au mode de vie familial — former une union, se marier, avoir des enfants ou non — participent à ces choix intrinsèquement privés et personnels qui relèvent de l’essence de la conception de l’autonomie individuelle protégée par la Charte canadienne[102].
- Toutefois, pour conclure à une atteinte à cette acception du droit à la liberté, il faut démontrer l’existence d’une contrainte ou interdiction étatique[103] qui influe sur le choix fondamental de l’individu de former une famille qui reflète ses propres valeurs, priorités et besoins. Or, force est de constater que ce n’est pas le cas en l’espèce.
- La limite en cause n’empêche en rien le choix d’un modèle familial pluriparental, et les familles demanderesses illustrent parfaitement cette réalité. Ainsi, en dépit de l’absence de reconnaissance légale d’un troisième lien de filiation, chacune d’elles a pu établir une famille où trois personnes sont les parents respectifs de X, de Y, de Z et de A. En outre, malgré la limite de deux liens de filiation, la preuve démontre que les personnes qui établissent de telles familles s’épanouissent bien au sein de celles‑ci.
- En somme, la limite de deux liens de filiation n’impose pas d’aménagement familial particulier. À ce titre, rien dans le droit québécois ne proscrit le choix effectué par les demandeurs individuels. De surcroît, ni la preuve ordinaire ni la preuve d’expert n’établit que la limite de deux liens de filiation représente une contrainte au choix exercé par ceux‑ci.
- En définitive, l’État n’a pas empêché les Demandeurs individuels de faire des choix personnels fondamentaux[104]. Il en résulte que le volet du droit à la liberté qui protège l’autonomie décisionnelle personnelle fondamentale de tout individu n’est pas en jeu.
- Qu’en est‑il maintenant de l’argument selon lequel la limite de deux liens de filiation brimerait la « liberté parentale » ?
- Dans l’affaire B. (R.), la Cour suprême s’est penchée notamment sur la question de savoir si l’administration d’une transfusion sanguine à un enfant, malgré l’opposition de ses parents, violait le droit à la liberté de ceux‑ci tel que garanti par l’article 7 de la Charte canadienne[105]. Dans ses motifs, le juge La Forest conclut que le droit à la liberté est en jeu, mais que l’atteinte à ce droit était conforme aux principes de la justice fondamentale.
- Selon le juge La Forest, le droit d’un parent de prendre soin de son enfant et de participer à des décisions d’importance fondamentale — comme les soins médicaux — fait partie de son droit à la liberté[106]. Tout en excluant l’idée que les parents auraient un droit de propriété sur leurs enfants, le juge La Forest explique que le rôle privilégié joué par les parents dans l’éducation de leurs enfants[107] :
[85] […] se traduit par un champ protégé de prise de décision par les parents, fondé sur la présomption que ce sont eux qui devraient prendre les décisions importantes qui touchent leurs enfants parce qu’ils sont plus à même d’apprécier ce qui est dans leur intérêt et que l’État n’est pas qualifié pour prendre ces décisions lui‑même. En outre, les individus ont un intérêt personnel profond, en tant que parents, à favoriser la croissance de leurs propres enfants. Cela ne signifie pas que l’État ne peut intervenir lorsqu’il considère nécessaire de préserver l’autonomie ou la santé de l’enfant. Cette intervention doit cependant être justifiée. En d’autres termes, le pouvoir décisionnel des parents doit être protégé par la Charte afin que l’intervention de l’État soit bien contrôlée par les tribunaux et permise uniquement lorsqu’elle est conforme aux valeurs qui sous‑tendent la Charte.
[Soulignements ajoutés]
- Les motifs du juge La Forest dans B. (R.) concernant la question de la liberté parentale ne suscitent l’adhésion que de trois de ses collègues[108], sa vision n’étant pas partagée par le juge en chef Lamer et les juges Cory, Iacobucci et Major. Le juge Sopinka, quant à lui, ne se prononce pas sur la question. En somme, la majorité de la Cour suprême ne se prononce pas de façon définitive sur la protection de la liberté parentale sous l’article 7 de la Charte canadienne.
- Dans l’arrêt Godbout, la Cour suprême s’est penchée sur la validité constitutionnelle d’une résolution municipale imposant une obligation aux employés municipaux de résider sur le territoire de la ville de Longueuil[109]. La Cour conclut que la résolution porte atteinte au droit à la vie privée garanti par l’article 5 de la Charte québécoise. Le juge La Forest — cette fois avec l’accord uniquement de deux autres collègues[110] — considère qu’il y a également atteinte au droit à la liberté garanti à l’article 7 de la Charte canadienne. Il reprend à ce titre ses motifs de l’arrêt B. (R.).
- Force est de constater que l’idée voulant que la notion de la « liberté parentale » soit visée par le droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte canadienne n’a jamais reçu l’aval d’une majorité de la Cour suprême du Canada[111]. Par ailleurs, la jurisprudence des instances d’appel canadiennes ne tranche pas définitivement la question de la protection de la « liberté parentale » aux termes de l’article 7 de la Charte canadienne[112]. En somme, aucune autorité concluante ne lie le Tribunal sur cette question précise[113].
- Force est également de constater qu’il existe une distinction de principe entre la notion de la « liberté parentale » et le droit de faire des choix personnels fondamentaux libres de l’intervention de l’État — droit qui relève clairement de la protection de l’article 7 de la Charte canadienne.
- En effet, dans la mesure où la notion de la « liberté parentale » est visée par l’article 7, elle protégerait le droit de prendre une décision fondamentale, non pas à l’égard du titulaire du droit — c’est-à-dire soit même — mais pour un tiers. La décision protégée par le volet « liberté » de l’article 7 viserait donc la santé, l’éducation ou l’épanouissement d’une autre personne, à savoir un enfant. Or, cette autre personne est elle‑même un individu pleinement titulaire de droits et de libertés, dont l’exercice est toutefois aménagé par des contraintes liées à son âge.
- En somme, la notion de « liberté parentale » protégerait le droit de prendre une décision sur un sujet fondamental à l’égard d’autrui contre une intervention étatique. Une telle protection fait intervenir d’autres considérations et n’équivaut pas à la protection des choix personnels fondamentaux en lien avec sa propre sphère d’autonomie individuelle irréductible.
- À ce titre, tout en reconnaissant l’immense importance du rôle parental dans notre société et dans la vie d’une famille, l’idée selon laquelle le pouvoir décisionnel d’un parent à l’égard de son enfant est protégé par le droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte canadienne paraît difficilement compatible avec la façon dont ce pouvoir est compris, du moins en droit québécois. En effet, le pouvoir décisionnel du parent correspond à l’autorité parentale, dont l’article 599 C.c.Q. prévoit les attributs :
599. Les père et mère ou les parents ont, à l’égard de leur enfant, le droit et le devoir de garde, de surveillance et d’éducation. Ils doivent nourrir et entretenir leur enfant. Ils exercent leur autorité sans violence aucune. | 599. The father and mother or the parents have the rights and duties of custody, supervision and education of their children. They shall maintain their children. They exercise their authority without any violence. |
- Or, en droit québécois, toute décision prise à l’égard d’un enfant doit être dans son intérêt. À ce titre, l’article 33 C.c.Q. prévoit :
33. Les décisions concernant l’enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits. Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l’enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial, incluant la présence de violence familiale, y compris conjugale, ou de violence sexuelle, ainsi que les autres aspects de sa situation. | 33. Every decision concerning a child shall be taken in light of the child’s interests and the respect of his rights. Consideration is given, in addition to the moral, intellectual, emotional and physical needs of the child, to the child’s age, health, personality and family environment, including the presence of family violence, which includes spousal violence, or sexual violence, and to the other aspects of his situation. |
- En outre, en cas de difficulté relative à l’exercice de l’autorité parentale, le tribunal tranche en fonction de l’intérêt de l’enfant (article 604 C.c.Q.)[114].
- Somme toute, que ce soit en lien avec la santé de l’enfant (voir les articles 14, 17 et 18 C.c.Q.), son éducation, ses activités, ses fréquentations ou sa garde, le titulaire de l’autorité parentale jouit d’une « liberté » décisionnelle, si l’on peut utiliser l’expression, très limitée : celle de prendre une décision dans l’intérêt de l’enfant et rien d’autre. Le pouvoir décisionnel confié au détenteur de l’autorité parentale s’assimile davantage à une responsabilité qu’à une véritable « liberté ». Comme l’a écrit le juge Vézina dans Droit de la famille — 102247, « Les enfants ont des droits, les parents des obligations »[115].
- En définitive, la « liberté parentale » invoquée par les Demandeurs correspond à un pouvoir décisionnel exercé à l’égard d’autrui, souvent de façon conjointe avec une autre personne, en fonction d’un seul critère, à savoir l’intérêt de l’enfant. En cas de difficulté, les tribunaux décident de la manière dont ce pouvoir décisionnel doit être exercé. Ces éléments distinguent la « liberté parentale » de la sphère d’autonomie individuelle irréductible que les arrêts Blencoe et Carter reconnaissent comme protégée de toute intervention étatique par le droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte canadienne.
- Quoi qu’il en soit, il n’est pas nécessaire en l’espèce de trancher la question de savoir si la « liberté parentale » est protégée par l’article 7 de la Charte canadienne. En effet, même à supposer que la « liberté parentale » était visée par l’article 7, la limite de deux liens de filiation n’y porte pas atteinte[116].
- Selon les Demandeurs dans le Dossier de la Coalition, le parent dont la filiation n’est pas reconnue est limité dans sa capacité d’accompagner son enfant et de prendre des décisions en son nom et pour son bénéfice, notamment en lien avec l’éducation et les soins médicaux[117]. La « liberté parentale » du parent non reconnu serait ainsi brimée.
- Or, cet argument ne peut être retenu, car le droit civil québécois n’écarte pas la possibilité qu’un tiers, ne bénéficiant d’aucun lien de filiation, participe à la prise de décisions d’importance fondamentale concernant un enfant.
- À ce titre, deux cas de figure se présentent. Dans le premier, le ou les parents dont la filiation est reconnue conviennent avec celui qui n’a pas de lien de filiation de participer ensemble aux décisions importantes concernant leur enfant. La situation des familles demanderesses illustre bien ce premier cas de figure.
- En effet, les Demandeurs individuels prennent ensemble les décisions en lien avec les questions importantes concernant leurs enfants respectifs, et ce, pour chacune des familles en cause. Ainsi, malgré la limite de deux liens de filiation, dans les faits, chacun des Demandeurs individuels participe à la prise de ces décisions, exerçant ainsi sa « liberté parentale ». Cette réalité pourrait d’ailleurs être formalisée par le biais d’une délégation de l’autorité parentale aux termes de l’article 601 C.c.Q. afin de la rendre opposable aux tiers, y compris l’État[118].
- Cela dit, et sans suggérer que la belle coparentalité observée en l’espèce soit à risque, les choses peuvent être très différentes en cas de dispute ou de rupture. Le scénario d’un conflit entre ceux dont la filiation est reconnue et celui qui ne bénéficie pas de ce lien représente le deuxième cas de figure.
- Dans une telle éventualité, il est certes possible que la participation à la prise de décisions par le parent dont la filiation n’est pas établie soit en péril. En effet, puisque ce parent n’est pas titulaire de l’autorité parentale de plein droit, on peut facilement concevoir qu’en cas de conflit, il puisse se voir « écarté » par ceux qui sont titulaires de liens de filiation. Même s’il bénéficiait d’une délégation de l’autorité parentale donnée conformément à l’article 601 C.c.Q., celle‑ci pourrait être retirée.
- Cela dit, même en cas de conflit ou de dispute concernant l’exercice de l’autorité parentale, la limite de deux liens de filiation ne porte pas atteinte à la « liberté parentale ». Il en est ainsi car le droit québécois permet qu’une personne qui n’est pas un « parent », selon les règles de la filiation, soit « investie judiciairement de l’exercice d’attributs de l’autorité parentale »[119], et ce, dans la mesure où ceci est dans l’intérêt de l’enfant.
- Comme l’explique le juge Kasirer dans l’arrêt Droit de la famille — 191677, évoquant les deux cas de figure mentionnés ci‑dessus[120] :
[105] Dans C.(G.) c. V.-F. (T.), la Cour suprême a ouvert la porte en 1987 à l’idée qu’une personne, sans être titulaire du statut de père ou de mère selon le droit de la filiation, puisse être néanmoins investie judiciairement de l’exercice de l’autorité parentale, ou d’une parcelle de celle-ci, sans nécessairement porter atteinte à la jouissance de l’autorité parentale qui revient, de droit, aux parents[121]. En parallèle, le droit civil reconnaît depuis longtemps que le titulaire de l’autorité parentale puisse, sans l’intervention d’un juge, « déléguer la garde, la surveillance ou l’éducation de l’enfant / delegate the custody, supervision or education of the child » (art. 601 C.c.Q.), et ce, de façon révocable et temporaire. Cette délégation à un tiers ne supprime pas non plus le lien de droit entre les parents et l’enfant.
- En somme, le droit québécois admet la possibilité qu’une personne qui ne profite pas d’un lien de filiation reconnu à l’égard d’un enfant puisse, en vertu d’une délégation ou au terme d’une intervention judiciaire, participer aux décisions qui relèvent de l’autorité parentale. En d’autres termes, la limite de deux liens de filiation n’écarte pas nécessairement la « liberté parentale » du parent non reconnu. Il en résulte que cette limite ne porte pas atteinte à la « liberté parentale », et ce, dans la mesure où celle‑ci est protégée par l’article 7 de la Charte canadienne.
- Évidemment, le parent dont la filiation n’est pas reconnue supporte un fardeau additionnel lorsqu’il s’agit de participer aux décisions qui relèvent de l’autorité parentale. Ce fardeau est très lourd s’il doit obtenir une intervention judiciaire afin d’être investi de l’exercice de l’autorité parentale ou d’une parcelle de cette autorité. Il existe une différence importante entre sa situation et celle des parents dont la filiation est établie.
- Or, cette différence est mieux appréhendée par le droit à l’égalité garanti par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne — dont la finalité est de protéger contre les différences de traitement injustes — que par le droit à la liberté de l’article 7. L’argumentation écrite des Demandeurs dans le Dossier de la Coalition, en lien avec le droit à la liberté, illustre bien cette réalité quand ils plaident que[122] :
435. […] [C]onformément à leur projet parental et à la réalité vécue par leurs enfants, les Parents Demandeurs veulent tous pouvoir exercer, en pleine égalité, les droits et les obligations rattachés à la parenté.
[Soulignements ajoutés]
- En l’absence d’une violation du droit à la sécurité de la personne ou du droit à la liberté protégé par l’article 7 de la Charte canadienne, il n’est pas nécessaire de se pencher sur le respect des principes de justice fondamentale.
2.1.2 L’article 1 de la Charte québécoise : les droits à la liberté et à l’intégrité ne sont pas violés
- La protection offerte par l’article 1 de la Charte québécoise est similaire mais néanmoins plus vaste que celle conférée par l’article 7 de la Charte canadienne[123].
- Le plaideur qui invoque une atteinte à l’article 1 de la Charte québécoise doit simplement établir une atteinte à l’un des droits garantis par cette disposition. À la différence de l’article 7 de la Charte canadienne, il ne supporte pas le fardeau additionnel de démontrer que l’atteinte n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale[124]. Dans le cas d’une atteinte à un droit garanti par l’article 1, le fardeau de la justifier aux termes de l’article 9.1 de la Charte québécoise repose sur l’État.
- Pour ce qui est du droit à la liberté garanti par l’article 1 de la Charte québécoise, il a la même portée que celui garanti par l’article 7 de la Charte canadienne[125]. Pour les motifs exposés relativement à l’article 7 de la Charte canadienne, les Demandeurs n’ont pas démontré une atteinte à leur droit à la liberté protégé par l’article 1 de la Charte québécoise.
- En revanche, le droit à l’intégrité de l’article 1 de la Charte québécoise a une portée plus vaste que la sécurité de la personne à l’article 7 de la Charte canadienne[126]. Cela dit, les Demandeurs n’invoquent pas d’arguments en lien avec le droit à l’intégrité qui sont distincts de ceux proposés à l’égard de la sécurité de la personne garantie par la Charte canadienne. Dans les circonstances, pour les motifs déjà exposés relativement au droit à la sécurité de la personne, les Demandeurs n’ont pas réussi à démontrer une atteinte au droit à l’intégrité de la personne garanti par l’article 1 de la Charte québécoise.
- Les Demandeurs dans le Dossier de la Coalition plaident que la non‑reconnaissance de plus de deux liens de filiation porte atteinte au droit à la sauvegarde de la dignité protégé par l’article 4 de la Charte québécoise :
4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. | 4. Every person has a right to the safeguard of his dignity, honour and reputation. |
- Dans l’arrêt Hôpital St‑Ferdinand, la juge L’Heureux‑Dubé explique que l’article 4 de la Charte québécoise « vise les atteintes aux attributs fondamentaux de l’être humain qui contreviennent au respect auquel toute personne a droit du seul fait qu’elle est un être humain et au respect qu’elle se doit à elle-même »[127].
- En somme, c’est l’humanité essentielle de chaque personne, dans ses attributs les plus fondamentaux, qui est au cœur de la protection créée par le droit à la sauvegarde de la dignité[128]. Le juge en chef Wagner et la juge Côté ajoutent dans l’arrêt Ward que « la dignité est cette qualité inhérente à chaque être humain “dont la reconnaissance définit en quelque sorte la civilisation, et la méconnaissance, la barbarie” »[129].
- Dans ce même arrêt, face à une certaine tendance jurisprudentielle ayant pour effet d’élargir la protection offerte par le droit à la sauvegarde de la dignité, le juge en chef Wagner et la juge Côté resserrent l’approche applicable, précisant que[130] :
[57] […] Pour contrevenir à l’art. 4 de la Charte québécoise, une conduite doit atteindre un degré de gravité élevé qui ne banalise pas cette notion chargée de sens. Une telle conduite ne saurait faire l’objet d’une appréciation purement subjective. Une analyse objective s’impose, puisque la dignité « n’a pas pour horizon la protection d’une personne particulière, ni même d’une catégorie de personnes, mais de l’humanité en général » (Fabre-Magnan, p. 21).
[58 […] Lorsqu’une personne se voit privée de son humanité par l’infliction de traitements qui l’avilissent, l’asservissent, la réifient, l’humilient ou la dégradent, sa dignité est indéniablement bafouée. En ce sens, le droit à la sauvegarde de la dignité constitue un bouclier contre ce type d’atteintes qui ne font pas moins que révolter la conscience de la société.
- En d’autres termes, pour porter atteinte au droit à la sauvegarde de la dignité, la conduite en cause doit être d’une gravité objective certaine. Or, les conséquences de la non‑reconnaissance de plus de deux liens de filiation en droit québécois telles que révélées par la preuve — anxiété, stress minoritaire, micro‑agressions etc. — n’atteignent pas le niveau de gravité requis pour établir une atteinte au droit à la sauvegarde de la dignité[131].
- Les Demandeurs dans le Dossier de la Coalition plaident que la non‑reconnaissance de plus de deux liens de filiation porte atteinte au droit à la vie privée protégé par l’article 5 de la Charte québécoise :
5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée. | 5. Every person has a right to respect for his private life. |
- Selon eux, cette atteinte se présente sous deux volets. Premièrement, la non‑reconnaissance interfère dans la prise de décisions fondamentalement personnelles. Deuxièmement, elle impose la divulgation de renseignements personnels. Aucun des volets de l’argument ne résiste à l’analyse.
- Commençons par le premier volet. Il est établi que l’article 5 de la Charte québécoise protège le droit de prendre des décisions fondamentalement privées ou intrinsèquement personnelles sans influence externe indue[132].
- Le choix d’un mode de vie familial — y compris une famille pluriparentale — participe de telles décisions fondamentalement personnelles et s’inscrit dans la sphère protégée par le droit à la vie privée. La question consiste donc à déterminer si la limite de deux liens de filiation représente une influence externe indue de l’État dans ce choix. Or, essentiellement pour les mêmes motifs déjà exposés en lien avec le droit à la liberté, la preuve ne permet pas de donner une réponse affirmative à cette question.
- Comme nous l’avons vu, la preuve démontre que malgré la limite de deux liens de filiation, des familles pluriparentales sont créées, existent et prospèrent. D’ailleurs, celles des Demandeurs en sont la parfaite démonstration et rien dans la preuve ne suggère que la limite de deux liens de filiation ait constitué un obstacle dans leur choix de modèle familial.
- Dans les faits, la limite de deux liens de filiation ne représente donc pas un empêchement au choix d’un modèle familial pluriparental. De plus, sur le plan juridique, cette limite n’empêche pas non plus la reconnaissance d’une situation de pluriparentalité à l’égard d’un enfant[133]. Comme l’explique le juge Kasirer dans l’arrêt Droit de la famille — 191677[134] :
[19] Sans être parent – c’est-à-dire sans être mère ou père en vertu des règles de la filiation –, une personne peut être investie, de diverses façons et en diverses circonstances, de l’exercice de différents attributs de l’autorité parentale. Elle peut même avoir, selon le contexte, des responsabilités financières à l’égard d’un enfant. Cela peut donner lieu à une « parentalité de substitution », comme c’est le cas lorsqu’une personne – un tiers au regard de la filiation – est appelée à exercer une parcelle de l’autorité parentale pour pallier l’absence d’un parent. Le tiers peut aussi se voir confier une fonction de « parentalité d’addition », créant ainsi une situation de « tri-parentalité » ou de « multi-parentalité », comme c’est le cas, par exemple, dans certaines familles recomposées.
- La limite de deux liens de filiation ne constitue donc pas l’imposition d’un modèle de vie familiale auquel l’on ne peut déroger. En définitive, la preuve ne permet pas de conclure que la non‑reconnaissance de plus de deux liens de filiation correspond à une influence externe indue à l’égard d’un choix de vie fondamentalement personnel et privé, à savoir le modèle familial.
- Qu’en est‑il du deuxième volet de l’argument fondé sur l’article 5 de la Charte québécoise voulant que la non‑reconnaissance de plus de deux liens de filiation impose la divulgation indue de renseignements personnels ?
- Le droit à la vie privée protège également la faculté de chaque personne de contrôler quand, comment et dans quelle mesure des renseignements personnels la concernant seront diffusés[135]. Les Demandeurs dans le Dossier de la Coalition soutiennent que leur choix de modèle familial est un renseignement purement personnel et qu’ils ont le droit de choisir ou non de le divulguer et, le cas échéant, à qui le divulguer.
- Or, selon eux, la non‑reconnaissance de plus de deux liens de filiation les oblige à révéler leur situation familiale à répétition, et ce, à plusieurs institutions. Ainsi, le parent dont la filiation n’est pas reconnue doit souvent expliquer pourquoi il n’apparaît pas sur les documents de l’état civil et justifier son rôle parental auprès de son enfant. Ils estiment que cette situation constitue une violation du droit à la vie privée du parent non reconnu, ainsi que de celui des autres parents et de leurs enfants.
- Ils plaident que tout cela disparaîtrait dans la mesure où ils disposaient d’un document officiel confirmant leurs liens de filiation. En réalité, toutefois, la reconnaissance de plus de deux liens de filiation dans un document légal n’éviterait pas la diffusion de renseignements personnels concernant la situation des familles pluriparentales.
- La situation des parents monoparentaux et homoparentaux permet d’illustrer ce propos. Le fait d’être parent monoparental, tout comme l’orientation sexuelle d’une personne, est un renseignement personnel qui relève de l’autonomie individuelle visée par l’article 5 de la Charte québécoise.
- Or, pour obtenir certains services pour leurs enfants — inscription à l’école, passeport, etc. — ces parents doivent présenter un certificat de naissance. Si celui‑ci ne mentionne qu’un seul parent ou identifie deux parents de même sexe, des inférences quant à la situation familiale et à l’orientation sexuelle des parents pourront bien être tirées par la personne qui consulte le certificat. Il n’y a pas là pour autant une violation du droit à la vie privée.
- De même, dans la mesure où un certificat de naissance doit être présenté pour identifier les parents d’un enfant et où ce certificat comporte trois parents plutôt que deux, la situation pluriparentale de la famille sera divulguée ipso facto. Ainsi, ce n’est pas la reconnaissance légale de plus de deux liens de filiation et la consécration de ces liens dans un document officiel qui épargneront les parents pluriparentaux d’une diffusion de leur situation familiale.
- En somme, les Demandeurs dans le Dossier de la Coalition n’ont pas prouvé que la limite de deux liens de filiation a pour conséquence d’imposer la divulgation indue de renseignements personnels portant ainsi atteinte au droit à la vie privée.
- À vrai dire, les Demandeurs recherchent la reconnaissance juridique de leur modèle familial par la création de liens de filiation additionnels à ceux qui existent déjà. Dit autrement, ils souhaitent pouvoir accéder à une institution juridique qui consiste en un ensemble de droits et obligations. Ils souhaitent également pouvoir présenter un simple document pour établir leur statut de parent, au lieu de se voir obligés de s’expliquer et de se justifier. Ils veulent ainsi profiter de la même facilité dans l’établissement de leur rôle que les parents dont la filiation est reconnue. Ces demandes sont mieux appréhendées par le droit à l’égalité que par le droit à la vie privée.
2.4.1 Le paragraphe 15(1) : les principes applicables
- Les Demandeurs plaident que la limite de deux liens de filiation porte atteinte au droit à l’égalité protégé par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne. Cette disposition garantit le droit à l’égalité libre de toute discrimination :
15 (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques. | 15 (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.
|
- En 1989, dans l’arrêt Andrews, le juge McIntyre définit ainsi la notion de discrimination[136] :
[…] [L]a discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres membres de la société. Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d’un individu le sont rarement.
- Comme l’explique la juge Karakatsanis dans l’affaire Ontario c. G.[137] :
[39] […] La garantie d’égalité vise à prévenir la discrimination envers les groupes victimes de désavantages sociaux, politiques et juridiques dans la société canadienne et à remédier à cette discrimination […]. Cette garantie exprime un engagement à reconnaître l’essentielle et inaliénable égalité de valeur des personnes par le truchement de la loi […].
Cela dit, et bien qu’un des objectifs fondamentaux du paragraphe 15(1) est d’améliorer la situation des groupes défavorisés au sein de la société, il demeure que cette disposition « n’a pas pour effet d’imposer à l’État une obligation positive générale de remédier aux inégalités sociales ou d’adopter des lois réparatrices »[138].
- Depuis l’arrêt Andrews, il est établi que l’article 15 de la Charte canadienne ne protège pas une simple égalité formelle aux termes d’un traitement identique, mais bien ce que la jurisprudence qualifie d’égalité réelle (« substantive equality »)[139]. Cette notion reconnaît qu’un traitement identique peut souvent engendrer de graves inégalités portant atteinte au paragraphe 15(1)[140]. Comme le rappelle récemment le juge Hamilton dans l’arrêt Centre de lutte contre l’oppression des genres, « un traitement identique ou neutre à première vue peut être discriminatoire parce qu’il ne tient pas compte des “véritables caractéristiques [d’un] groupe qui l’empêchent de jouir des avantages de la société” »[141].
- Bien que fondamentale, la notion d’égalité réelle s’est avérée fuyante et difficile à cerner, y compris pour la Cour suprême du Canada. Au fil des ans, celle‑ci a modifié le critère pour l’application du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne à plusieurs reprises. Cette difficulté dans l’application du droit à l’égalité se manifeste surtout en matière de discrimination par suite d’un effet préjudiciable (également dénommée « discrimination indirecte »), c’est-à-dire lorsque l’application d’une loi en apparence neutre produit des effets disproportionnés sur les membres d’un groupe protégé en vertu du paragraphe 15(1)[142].
- En 2022, dans l’arrêt R. c. Sharma, la majorité de la Cour suprême reformule le critère d’application du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne dans le but d’élaborer un cadre d’analyse prévisible et clair[143]. Ainsi, dans leurs motifs conjoints, les juges Brown et Rowe confirment qu’une demande fondée sur cette disposition est évaluée en fonction d’un critère à deux volets selon lequel le demandeur doit établir que la loi[144] :
a) crée, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue;
b) impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage […].
- À la première étape, la partie demanderesse supporte le fardeau de démontrer que la loi crée ou contribue à une distinction, c’est-à-dire qu’elle est traitée différemment des autres, que ce soit directement ou indirectement, et ce, en raison d’un motif prohibé énuméré au paragraphe 15(1) ou analogue à ceux‑ci, les motifs de discrimination proscrits par cette disposition ne faisant pas l’objet d’une énumération exhaustive.
- À ce chapitre, le droit à l’égalité est une notion fondamentalement comparative[145]. En somme, si l’dentification d’un groupe de comparaison aux caractéristiques identiques n’est plus nécessaire[146], il faut « établir une comparaison entre le groupe demandeur et d’autres groupes ou la population générale »[147] (italiques dans l’original). Comme l’expliquent les juges Brown et Rowe dans l’arrêt Sharma[148] :
[40] Il y a tout d’abord lieu de faire une différence entre un effet et un effet disproportionné. Toutes les lois sont censées avoir un certain effet sur les personnes; il ne suffit donc pas de démontrer que la loi a des effets sur un groupe protégé. À la première étape du critère du par. 15(1), les demandeurs doivent démontrer que la loi a un effet disproportionné sur un groupe protégé par rapport aux personnes qui ne font pas partie de ce groupe. Autrement dit, le fait de laisser subsister un écart entre le traitement d’un groupe protégé et le traitement des personnes ne faisant pas partie de ce groupe ne viole pas le par. 15(1).
[…]
[42] Comme nous l’avons expliqué, dans les cas de discrimination par suite d’un effet préjudiciable, la loi contestée est en apparence neutre. À la première étape, le demandeur doit présenter suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que, de par son effet, la loi contestée crée un effet disproportionné en raison d’une distinction fondée sur un motif protégé ou contribue à cet effet […].
[Soulignements ajoutés; italiques dans l’original]
- Cette notion de création ou de contribution à un effet disproportionné constitue le lien de causalité entre la loi ou la mesure étatique et l’effet discriminatoire nécessaire pour mettre en application la protection du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne[149].
- Toutefois, ce n’est pas toute différence de traitement fondée sur un motif prohibé qui portera atteinte à cette disposition[150]. Encore faut‑il que la distinction soit discriminatoire. La finalité de la deuxième étape du critère pour l’application du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne consiste à identifier les différences de traitement qui sont véritablement discriminatoires.
- À cette deuxième étape, la partie demanderesse supporte donc le fardeau de démontrer que la loi impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage[151]. Citons à nouveau les juges Brown et Rowe[152] :
[51] Notre Cour n’a jamais été d’avis que toute distinction est discriminatoire (Andrews, p. 182). D’où l’importance de la deuxième étape du critère du par. 15(1), qui oblige le demandeur à démontrer que la loi contestée impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage subi par le groupe touché. […]
[Soulignements ajoutés]
- En somme, la deuxième étape exige la démonstration d’une incidence négative ou l’aggravation d’une situation défavorisée[153]. Le préjudice ainsi occasionné au groupe affecté peut prendre plusieurs formes : une exclusion ou un désavantage économique, une exclusion sociale, un préjudice psychologique, un préjudice physique ou encore une exclusion politique[154].
- Sans qu’il soit nécessaire de prouver que la distinction est arbitraire ou qu’elle repose sur des stéréotypes ou des préjugés, ces éléments constituent des facteurs qui peuvent aider à démontrer qu’une loi produit des effets délétères sur un groupe particulier[155]. Dans l’arrêt Sharma, les juges Brown et Rowe proposent des exemples tirés de la jurisprudence qui aident à mieux cerner les facteurs pertinents que sont l’existence de préjugés ou de stéréotypes, ou encore le caractère arbitraire d’une distinction[156] :
a) Stéréotypes ou préjugés : Ces facteurs ont joué un rôle essentiel à la deuxième étape dans l’affaire Ontario (Procureur général) c. G, 2020 CSC 38. Dans cet arrêt, la Cour a jugé que la loi contestée avait un effet discriminatoire parce qu’elle encourageait les stéréotypes et les « préjugés » sur les personnes handicapées (par. 62), qu’elle renforçait « l’idée stigmatisante selon laquelle les personnes souffrant de troubles mentaux sont en soi dangereuses et présenteront toujours un danger » et que, ce faisant, elle perpétuait le désavantage que subissaient ces personnes (par. 65).
b) Arbitraire : Une distinction qui n’a pas pour effet de restreindre l’accès à des avantages ou d’imposer un fardeau, ou bien celle qui est fondée sur les capacités réelles d’une personne, sera rarement discriminatoire (Andrews, p. 174‑175). La juge Abella a expliqué le rôle que peut jouer l’arbitraire dans l’analyse tant dans l’arrêt Québec c. A (par. 221 et 331) que dans la décision Taypotat (par. 16, 18, 20, 28 et 34). Dans l’arrêt Taypotat, la Cour a axé l’analyse sur « les désavantages arbitraires — ou discriminatoires —, c’est‑à‑dire sur la question de savoir si la loi contestée ne répond pas aux capacités et aux besoins concrets des membres du groupe et leur impose plutôt un fardeau ou leur nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage dont ils sont victimes » (par. 20 (nous soulignons))[157].
[Soulignements dans l’original]
- Par ailleurs, une étude du contexte législatif plus large s’avère nécessaire à cette deuxième étape de l’analyse. Comme l’enseignent les juges Rowe et Brown[158] :
[57] […] [D]ans l’arrêt Withler, la Cour a estimé que l’analyse commandait « l’appréciation de tous les éléments contextuels de la situation du groupe de demandeurs et de l’effet réel de la mesure législative sur leur situation » (par. 43). La Cour a expliqué que, lorsque la disposition contestée s’inscrit dans un régime législatif général — comme c’est souvent le cas —, il faut tenir compte de l’économie générale de la loi (par. 3), et que « [l’]effet d’amélioration [de la mesure législative] sur la situation des autres participants et la multiplicité des intérêts qu’elle tente de concilier joueront également dans l’analyse du caractère discriminatoire » (par. 38 (nous soulignons)). […]
[…]
[59] Parmi les facteurs pertinents, mentionnons : les objets du régime, la question de savoir si la politique est conçue dans l’intérêt de divers groupes, l’affectation des ressources, les objectifs d’intérêt public particuliers visés par le législateur et la question de savoir si les limites prévues par le régime tiennent compte de ces facteurs (Withler, par. 67; voir aussi par. 3, 38, 40 et 81).
[Soulignements dans l’original]
- Soulignons également qu’il n’est jamais nécessaire de démontrer que l’État a l’intention de discriminer pour établir une atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne[159]. En outre, même si la discrimination résulte souvent du fait d’agir comme on l’a toujours fait[160], il n’est pas nécessaire non plus de prouver l’existence d’une discrimination historique[161]. Enfin, le fait que la loi contestée ne soit pas à l’origine des désavantages sociaux, politiques ou juridiques que subit le groupe protégé est sans conséquence tant à la première qu’à la deuxième étape de l’analyse[162].
2.4.2 La première étape du critère d’application du paragraphe 15(1) : l’existence d’une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue
- Les Demandeurs soutiennent que la limite de deux liens de filiation constitue une différence de traitement fondée sur plusieurs motifs prohibés : la déficience physique, l’orientation sexuelle, le mode de conception et le statut familial[163]. Selon le PGQ, la preuve n’établit pas l’existence d’une distinction fondée sur un motif énuméré au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne ou un motif analogue à ceux‑ci. Qu’en est‑il ?
2.4.2.1 L’existence d’une distinction
- Le droit à l’égalité protégé par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne ne s’exerce pas dans un vacuum. Il vise l’absence de discrimination en ce qui a trait à des avantages prévus par la loi ou des obligations imposées par la loi. Comme l’explique la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Auton[164] :
27 Pour avoir gain de cause, les demandeurs doivent établir l’inégalité de traitement sous le régime de la loi, c’est‑à‑dire qu’ils n’ont pas obtenu un avantage prévu par la loi ou qu’ils se sont vu imposer une obligation que la loi n’imposait pas à d’autres. Maintes fois énoncé, l’objectif fondamental du par. 15(1) est de combattre la discrimination et d’améliorer la situation des groupes défavorisés au sein de la société. La garantie ne vaut toutefois que pour les avantages et les obligations « prévus par la loi ». […]
[Soulignements ajoutés]
- En d’autres termes, la distinction ou la différence de traitement qui est en cause doit être en lien avec un avantage conféré par la loi ou avec l’imposition d’une obligation légale.
- Or, selon le PGQ, les Demandeurs sont incapables d’établir une telle distinction aux fins du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne. Il en serait ainsi, car le droit québécois crée un maximum de deux liens de filiation pour un enfant. Ainsi, les demandeurs recherchent un avantage qui n’existe pour quiconque aux termes de la loi — à savoir un troisième lien de filiation. Puisque tous sont assujettis à la même limite quant au nombre de liens de filiation, la loi ne fait acception de personne et elle s’applique également à tous. De même, tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi.
- L’approche du PGQ consiste à incorporer à l’avantage prévu par la loi les limites imposées à celui‑ci par le régime contesté. Il en résulte que le demandeur qui n’a pas accès à l’avantage ne peut prétendre à une différence de traitement, car il ne satisfait pas aux critères pour y avoir accès. L’argument du PGQ correspond à une approche formelle au droit à l’égalité, laquelle est incompatible avec l’objectif de l’égalité réelle poursuivi par l’article 15 de la Charte canadienne et avec l’idée qu’un traitement identique peut s’avérer discriminatoire[165]. Comme l’explique la juge Karakatsanis dans l’arrêt Ontario c. G.[166] :
[44] La conception que se fait notre Cour de l’égalité réelle a évolué en opposition aux approches d’égalité formelle. L’égalité formelle se limite à l’égalité « devant la loi » et considère l’égalité comme un principe qui se réalise par « l’égalité de traitement des individus égaux » […]. Les approches formalistes relatives aux droits à l’égalité consistent à [traduction] « appliquer des règles et des définitions objectives sans égard au contexte » qui ne tiennent pas compte de conditions telles que l’inégalité importante, les effets concrets qu’ont les lois sur les individus et les groupes, et la manière dont les choix des individus sont ancrés dans le contexte socioéconomique dans lequel ils évoluent […].
- En somme, l’approche du PGQ s’écarte de la notion d’égalité réelle protégée par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne.
- Pour illustrer la faille dans l’argument du PGQ, postulons un régime juridique qui ne reconnaît qu’un seul lien de filiation. Il est évident qu’un tel régime priverait le parent non reconnu d’un avantage prévu par la loi, à savoir la filiation. Face à une demande fondée sur le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne, l’on ne saurait répondre que le parent non reconnu ne subit aucune différence de traitement, car ce qui est recherché — un deuxième lien de filiation — n’est pas un avantage prévu par la loi. C’est la filiation elle‑même qui constitue l’avantage prévu par la loi dont le parent non reconnu est privé.
- Il en est de même en l’espèce. Aux fins de l’analyse de la demande fondée sur le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne, l’avantage prévu par la loi correspond simplement à la filiation du C.c.Q. et non à un lien de filiation additionnel inexistant en droit québécois.
- La question consiste donc à déterminer si la limite de deux parents légalement reconnus — laquelle empêche la formation d’un lien de filiation entre certains des Demandeurs et leurs enfants — constitue une différence de traitement fondée sur un motif de discrimination prohibé.
- Pour répondre à cette question, il est utile de comparer la situation des Demandeurs à celle d’un groupe de comparaison approprié. À ce titre, les Demandeurs soutiennent que celui‑ci est formé des familles biparentales et monoparentales.
- Puisqu’en principe les familles monoparentales ne vivent pas une situation de coparentalité, le Tribunal n’est pas convaincu qu’elles fassent partie d’un groupe de comparaison approprié. En revanche, il convient de retenir les familles biparentales comme groupe de comparaison approprié.
- Les Demandeurs individuels subissent une différence de traitement par rapport aux parents membres de familles biparentales. En effet, pour ces derniers, les règles québécoises qui régissent la filiation permettent, en principe, l’établissement d’un lien de filiation entre chaque parent et leurs enfants. Ce n’est pas le cas des Demandeurs individuels.
- En raison de la limite de deux liens de filiation, et à la différence des familles biparentales, tous les liens entre les Demandeurs individuels et leurs enfants respectifs ne sont pas susceptibles d’être reconnus par le droit de la filiation. En somme, certains membres des familles demanderesses sont privés d’un avantage prévu par la loi — la filiation — qui est en principe disponible pour les membres des familles biparentales. Il s’agit là d’une différence de traitement au regard du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne.
- La même conclusion s’impose lorsque la situation est envisagée du point de vue de l’enfant. Alors que les règles de la filiation permettent à un enfant dans une famille biparentale d’établir un lien juridique avec chacun de ses parents, un enfant qui évolue dans une famille pluriparentale ne peut pas le faire. Ces enfants sont privés d’un avantage créé par la loi, ce qui correspond à une distinction au sens du droit à l’égalité.
- Cette distinction est-elle toutefois fondée sur un motif de discrimination interdit, énuméré ou analogue ?
2.4.2.2 La distinction est fondée sur un motif prohibé
- Comme mentionné, plusieurs motifs de discrimination énumérés ou analogues sont invoqués par les Demandeurs : la déficience physique, l’orientation sexuelle, le mode de conception et le statut familial. Abordons chacun de ceux‑ci.
2.4.2.2.1 La déficience physique
- La déficience physique est énumérée au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne comme un motif de discrimination interdit. Le PGQ ne conteste pas que l’infertilité constitue une déficience physique[167]. Selon les Demandeurs dans le Dossier de la Coalition, l’infertilité est un motif qui pousse des parents, dans bien des cas, à fonder une famille pluriparentale. Selon eux, la limite de deux liens de filiation a un impact disproportionné sur les personnes infertiles.
- La preuve prépondérante n’appuie pas l’argument. Certes, l’un des membres d’une des familles demanderesses est infertile. En revanche, rien dans la preuve ne soutient l’idée que les familles pluriparentales sont plus souvent formées par des personnes infertiles.
- Dans son rapport, le professeur Lavoie écrit que la coparentalité élective rend « possible la parenté pour des personnes vivant des enjeux de fertilité »[168]. Signalons d’abord que la notion de coparentalité élective ne correspond pas nécessairement à la pluriparentalité[169].
- Ensuite, même si l’on assimilait coparentalité élective et pluriparentalité, l’affirmation du professeur Lavoie n’est fondée sur aucune source ni étude. Le Tribunal ne peut retenir, sur la seule base de cette affirmation non étayée, que les personnes infertiles sont plus enclines à former des familles pluriparentales.
- Enfin, le Tribunal ne peut pas non plus prendre connaissance judiciaire de ce fait ni conclure à son existence sur la base de la logique et du sens commun. Cela est d’autant plus vrai étant donné que les règles du C.c.Q. régissant la filiation des enfants issus d’une procréation assistée permettent manifestement aux personnes infertiles d’établir la parenté, sans qu’il leur soit nécessaire de former des familles pluriparentales.
- En somme, la preuve prépondérante ne permet pas de conclure à l’existence d’une distinction fondée sur le motif énuméré de la déficience physique.
2.4.2.2.2 L’orientation sexuelle
- L’orientation sexuelle constitue un motif de discrimination prohibé analogue à ceux énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne[170]. Selon les Demandeurs, la pluriparentalité serait plus répandue chez les personnes LGBTQ+[171] qui souhaitent fonder une famille. La limite de deux liens de filiation aurait donc un effet disproportionné sur ces personnes[172].
- L’argument n’est pas appuyé par une preuve probante.
- Certes, les familles demanderesses incluent des personnes issues de la diversité sexuelle. Certains des Demandeurs individuels sont des personnes LGBTQ+, alors que d’autres sont hétérosexuelles. Cela dit, la seule diversité d’orientation sexuelle parmi les Demandeurs individuels ne permet pas, sans plus, de conclure que la pluriparentalité est plus répandue au sein de la communauté LGBTQ+.
- Pour ce qui est de la Coalition, elle connait l’existence d’environ dix à quinze familles pluriparentales et elle est en contact régulier avec huit d’entre elles[173]. Dans le cas de ces huit familles, au moins un des parents est issu de la communauté LGBTQ+, alors que les autres parents sont possiblement hétérosexuels[174]. Cette preuve, somme toute anecdotique, ne permet pas non plus de tirer l’inférence proposée par les Demandeurs.
- Quant à la preuve experte, la professeure Côté décrit dans son rapport trois formes de pratiques parentales adoptées par des personnes polyamoureuses[175] : le système polynucléaire[176], le système hiérarchique[177] et le modèle égalitaire. La professeure Côté explique que dans le cas du modèle égalitaire[178] :
[…] [L]es rôles, responsabilités et soins à l’égard de l’enfant sont répartis équitablement entre au moins trois parents. Dans cette modalité familiale, le projet parental et les responsabilités qui en découlent sont négociés de façon approfondie entre les adultes et tous sont considérés des parents nonobstant les liens biologiques ou légaux à l’enfant. Ce modèle est plus fréquent dans les configurations polyamoureuses constituées de trois ou quatre partenaires primaires. Dans ce contexte, la configuration familiale pluriparentale telle que déployée par les demandeurs diffère de celles, mieux documentées, créée [sic] par les familles LGBTQ – ou de façon plus marginale, des familles hétéroparentales – qui implique le tiers de procréation dans la vie de l’enfant en tant que parent. […]
[Soulignements ajoutés]
- Le rapport de la professeure Côté précise simplement que le modèle pluriparental adopté par la famille M...-P...‑D... est moins documenté que celui adopté par des familles LGBTQ+, selon lequel le tiers impliqué dans la procréation participe dans la vie de l’enfant à titre de parent. Ceci ne permet toutefois pas d’inférer que la pluriparentalité en tant que telle est plus répandue chez les personnes LGBTQ+.
- Pour ce qui est du professeur Lavoie, il affirme que la coparentalité élective « est historiquement — et demeure encore aujourd’hui — plus répandue chez les personnes LGBTQ désirant fonder une famille »[179]. Au soutien de cette affirmation, il fait référence à une étude publiée en 2018 par la professeure Cathy Herbrand[180]. Or, cette étude n’appuie pas l’affirmation du professeur Lavoie.
- L’étude de la professeure Herbrand examine les motivations de parents gais et lesbiennes belges ayant choisi la coparentalité. Utilisant une méthode de sondage en boule de neige (« snowball sampling ») pour identifier des coparents gais et lesbiennes, l’auteure a effectué des entrevues avec 28 coparents. Étant donné la méthode utilisée et la finalité même de l’étude, il n’est pas possible d’en extrapoler quoi que ce soit quant à la prévalence de la coparentalité élective ou de la pluriparentalité chez les personnes LGBTQ+.
- Comme l’explique clairement l’auteure de l’étude : « The study is based on an opportunistic sample and was not designed to represent a specific population but to maximise diversity regarding family structure, interactions and organisations among multi‑parental family arrangements »[181]. Dans ces circonstances, même si l’on assimilait la pluriparentalité à la coparentalité élective, force est de conclure que l’affirmation du professeur Lavoie n’est appuyée par aucune étude scientifique. Le Tribunal ne peut pas la retenir.
- Il ne peut non plus prendre connaissance judiciaire du fait que le phénomène de la pluriparentalité serait plus répandu chez les personnes LGBTQ+. En définitive, les Demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau d’établir que la limite de deux liens de filiation impacte de manière disproportionnée les personnes LGBTQ+ et qu’elle constitue une différence de traitement fondée sur le motif analogue de l’orientation sexuelle.
2.4.2.2.3 Le mode de conception
- Les Demandeurs dans le Dossier de la Coalition plaident que la limite de deux liens de filiation constitue une différence de traitement fondée sur le mode de conception. À supposer que le mode de conception constitue un motif analogue aux termes du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne[182], il demeure que l’existence d’une distinction fondée sur ce motif n’est pas établie. Voici pourquoi.
- Deux acceptions de la notion du mode de conception sont invoquées.
- Premièrement, les Demandeurs dans le Dossier de la Coalition invoquent la procréation assistée comme mode de conception et soutiennent que « la pluriparenté est très souvent choisie par des familles dans un contexte de procréation assistée, qui peut découler de l’orientation sexuelle ou de l’infertilité des parents »[183].
- Or, comme nous l’avons vu, la preuve prépondérante n’établit pas que la pluriparentalité soit plus répandue parmi des personnes issues de la communauté LGBTQ+, ou encore parmi les personnes confrontées à des enjeux de fertilité. Bien que la procréation assistée ait été utilisée par certains des Demandeurs individuels, on ne saurait tirer de cette preuve anecdotique une inférence voulant que la procréation assistée soit plus répandue parmi les familles pluriparentales.
- De surcroît, le droit québécois permet aux personnes ayant eu recours à la procréation assistée d’établir des liens de filiation avec leurs enfants[184]. La distinction en l’espèce n’est pas fondée sur l’utilisation de la procréation assistée comme mode de conception, mais bien sur l’appartenance des personnes en cause à des familles pluriparentales.
- Deuxièmement, les Demandeurs dans le Dossier de la Coalition plaident que les circonstances de la naissance des enfants issus de familles pluriparentales incluent la formation préalable d’un projet pluriparental par leurs parents[185]. Or, cette formulation de la notion du mode de conception correspond en réalité à l’appartenance à un modèle familial particulier, à savoir une famille pluriparentale. Il s’agit précisément du motif analogue du statut familial tel que proposé par ces mêmes Demandeurs.
- Abordons à présent le sujet du statut familial en tant que motif de discrimination analogue prohibé aux termes du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne.
2.4.2.2.4 Le statut familial
- Le statut familial (ou statut de famille ou situation familiale) n’est pas un motif de discrimination prohibé énuméré au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne. L’énumération des motifs de discrimination à cette disposition n’étant pas exhaustive, il pourrait toutefois s’agir d’un motif prohibé dans la mesure où il est « analogue » aux motifs énumérés.
- Dans l’arrêt Corbiere, la majorité de la Cour suprême, sous la plume des juges McLachlin (à l’époque juge puînée) et Bastarache, précise que les motifs analogues de discrimination correspondent à des caractéristiques personnelles immuables ou considérées immuables lesquelles mènent souvent à des décisions fondées sur des stéréotypes plutôt que sur le mérite individuel[186] :
13 […] [Q]uels sont les critères qui permettent de qualifier d’analogue un motif de distinction? La réponse est évidente, il s’agit de chercher des motifs de distinction analogues ou semblables aux motifs énumérés à l’art. 15 -- la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques. Il nous semble que le point commun entre ces motifs est le fait qu’ils sont souvent à la base de décisions stéréotypées, fondées non pas sur le mérite de l’individu mais plutôt sur une caractéristique personnelle qui est soit immuable, soit modifiable uniquement à un prix inacceptable du point de vue de l’identité personnelle. Ce fait tend à indiquer que l’objet de l’identification de motifs analogues à la deuxième étape de l’analyse établie dans Law est de découvrir des motifs fondés sur des caractéristiques qu’il nous est impossible de changer ou que le gouvernement ne peut légitimement s’attendre que nous changions pour avoir droit à l’égalité de traitement garantie par la loi. Autrement dit, l’art. 15 vise le déni du droit à l’égalité de traitement pour des motifs qui sont immuables dans les faits, par exemple la race, ou qui sont considérés immuables, par exemple la religion. […]
- Une fois qu’un motif analogue est reconnu par la jurisprudence, comme l’est l’orientation sexuelle ou le statut matrimonial, il devient désormais « un indicateur permanent de discrimination législative potentielle »[187].
- En l’espèce, force est de constater que le statut familial n’est pas encore reconnu comme un motif analogue de discrimination prohibé par une jurisprudence qui lie le Tribunal. D’abord, dans l’arrêt Fraser, tant la majorité de la Cour suprême que les juges dissidents indiquent clairement qu’ils ne tranchent pas la question de savoir s’il s’agit d’un motif analogue[188].
- Ensuite, les jugements des instances inférieures qui discutent de la qualification du statut familial à titre de motif analogue n’apportent pas une réponse déterminante à la question qui pourrait lier le Tribunal.
- Ainsi, dans l’affaire Association des juristes de l’État, cette Cour conclut que le statut familial, et sa sous-catégorie de femmes en congé de maternité, sont des motifs analogue[189]. D’une part, l’analyse à l’appui de cette conclusion est succincte. D’autre part, la Cour d’appel juge qu’il s’agit d’un cas de discrimination fondée sur le sexe et qu’il ne convient pas de trancher la question du statut familial à titre de motif analogue[190].
- Dans l’affaire Miller c. Mohawk Council of Kahnawà:ke, cette Cour mentionne également le statut familial à titre de motif de discrimination analogue[191]. Cependant, une lecture attentive du jugement permet d’observer que le motif réellement retenu est l’état matrimonial, à savoir un motif analogue reconnu dans la jurisprudence de la Cour suprême[192].
- Les autorités provenant d’autres juridictions qui traitent de la question du statut familial à titre de motif analogue[193] n’ont qu’une valeur persuasive et ne lient pas le Tribunal. Il convient donc d’analyser la question du statut familial comme motif analogue en fonction des principes de l’arrêt Corbiere.
- Toutefois, avant de le faire, il convient de préciser ce que constitue le « statut familial ». Deux acceptions de la notion sont invoquées par les Demandeurs.
- Pour les Demandeurs dans le Dossier M...‑P...‑D..., le statut familial correspond au fait d’être parent[194]. Or, cette acception de la notion de statut familial n’est pas utile pour les Demandeurs en l’espèce. Il en est ainsi, car les dispositions contestées n’opèrent aucune distinction fondée sur le fait qu’une personne soit un parent ou encore qu’elle se trouve dans une relation de parent et enfant.
- En effet, tous les parents membres du groupe revendicateur sont les parents de leurs enfants respectifs. Il en est de même pour tous les parents membres du groupe de comparaison. Certes, les Demandeurs individuels réclament la reconnaissance juridique de leur relation de parent avec leurs enfants. Toutefois, cette reconnaissance n’est pas refusée à certains Demandeurs au motif qu’ils sont des parents. Elle est refusée parce que leur modèle familial comprend plus de deux parents.
- Les Demandeurs dans le Dossier de la Coalition présentent une acception différente du concept de statut familial. Pour eux, cette notion comprend « l’appartenance d’un individu à un modèle de famille en particulier, incluant une famille pluriparentale »[195]. Cette acception du statut familial est beaucoup plus utile en l’espèce, car la loi opère une distinction entre divers modèles familiaux. En effet, dans le cas des familles biparentales, le droit de la filiation permet, en principe, la reconnaissance juridique des liens entre tous les parents et leurs enfants. Ce n’est pas le cas, toutefois, pour ceux qui adoptent un modèle familial pluriparental.
- Se pose alors la question de savoir si le statut familial, dans le sens de l’appartenance à un modèle familial particulier, constitue un motif de discrimination analogue à ceux énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne. Une réponse affirmative s’impose. Voici pourquoi.
- Comme mentionné par les juges McLachlin et Bastarache dans l’arrêt Corbiere, l’objet de l’analyse lorsqu’il s’agit d’identifier des motifs de discrimination analogues consiste à déceler des caractéristiques personnelles immuables ou considérées immuables dans le sens qu’ils sont modifiables uniquement à un prix inacceptable du point de vue de l’identité personnelle. L’appartenance à un modèle familial particulier constitue une telle caractéristique personnelle.
- En effet, du point de vue de l’enfant, la famille à laquelle il appartient est une caractéristique personnelle parfaitement immuable. Chose certaine, on ne choisit pas ses parents !
- Y, Z, A et X n’ont pas choisi de naître dans des familles pluriparentales. Ils ont chacun trois parents. C’est leur réalité et ils ne peuvent rien faire pour la changer.
- En ce qui concerne les Demandeurs individuels, pour des raisons qui leur sont profondément personnelles, ils participent tous à un projet parental à trois pour élever leurs enfants. Leur appartenance à un modèle familial particulier, à savoir une famille pluriparentale, représente une caractéristique personnelle qui doit être considérée comme immuable.
- La situation de la famille Pa...‑J...‑Je... l’illustre bien. En tant que femmes lesbiennes vivant en couple, mesdames Pa... et J... caressaient le rêve d’élever ensemble des enfants. Pour ce faire, elles avaient besoin de l’apport de forces génétiques d’un homme. Compte tenu de l’importance de leurs pères respectifs dans leurs vies, il était très important pour ces dernières que le donneur de forces génétiques — en l’occurrence monsieur Je... — soit impliqué dans la vie de leur enfant, et ce, à titre de père.
- Or, de quel droit l’État peut‑il légitimement s’attendre :
- que mesdames Pa... et J... renoncent à la reconnaissance de monsieur Je... comme le père de Y, afin que chacune d’elles soit reconnue comme ses mères ? ou
- que l’une de mesdames Pa... et J... renonce à la reconnaissance de sa qualité de mère de Y, afin que monsieur Je... soit reconnu comme son père ? ou
- que monsieur Je... — un homme gai qui caressait le rêve de devenir père — renonce à ce rêve pour permettre que mesdames Pa... et J... soient reconnues chacune comme mères ?
- Le PGQ n’a pas invoqué l’une ou l’autre de ces attentes comme en étant une légitime, ou aucune autre d’ailleurs. Le Tribunal n’en identifie aucune non plus.
- Pour ce qui est des autres Demandeurs, ils ont eux aussi formé un projet parental à trois pour des motifs en lien avec leurs réalités respectives, leurs valeurs fondamentales ainsi que leur vécu. La légitimité de leurs choix de structure familiale n’est aucunement remise en cause par le PGQ[196].
- En somme, selon la preuve administrée, les personnes qui forment un projet parental à trois et qui adoptent un modèle familial pluriparental le font pour des motifs intrinsèquement personnels. L’État ne peut légitimement s’attendre à ce qu’elles renoncent au modèle familial qui correspond à leur réalité pour qu’elles soient reconnues comme parents conformément au droit de la filiation.
- Il importe également de souligner le caractère profondément identitaire de l’appartenance à une famille. La famille nous met en relation avec les générations antérieures et celles à venir. Elle aide à définir qui nous sommes au sein de la communauté. Pour plusieurs, l’appartenance à une famille immédiate ou élargie représente une composante importante de l’identité individuelle. Demander à une personne de changer sa famille — y compris le modèle familial dans lequel elle évolue — équivaut à lui demander de renier une partie de son identité.
- En définitive, l’appartenance à un modèle familial constitue très certainement une caractéristique personnelle qui est soit immuable, soit modifiable à un prix inacceptable du point de vue de l’identité personnelle et qui doit donc être considérée comme immuable.
- Par ailleurs, la jurisprudence antérieure à l’arrêt Corbiere identifie plusieurs facteurs qui peuvent être utiles dans l’identification d’un motif analogue de discrimination aux termes du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne. Ceux‑ci comprennent[197] :
- le fait que le groupe visé a subi un désavantage historique ;
- le fait qu’il constitue une minorité discrète et isolée ;
- la similitude entre le motif soulevé et les motifs de discrimination énumérés ; et
- le fait que les législateurs et les juristes considèrent que le motif en question est discriminatoire.
- Comme le précisent les juges McLachlin et Bastarache dans l’arrêt Corbiere, ces facteurs « peuvent être considérés comme émanant du concept central que sont les caractéristiques personnelles immuables ou considérées immuables, caractéristiques qui ont trop souvent servi d’ersatz illégitimes et avilissants de décisions fondées sur le mérite des individus »[198].
- Toutefois, la présence d’un ou de l’ensemble de ces éléments n’est pas nécessaire pour conclure à l’existence d’un motif analogue prohibé[199]. Par exemple, les motifs analogues de discrimination ne sont pas limités aux groupes historiquement défavorisés[200]. Comme l’explique la juge McLachlin dans Miron c. Trudel, « pour que la Charte demeure pertinente pour les générations futures, elle doit permettre de reconnaître de nouveaux motifs de discrimination »[201].
- En l’espèce, certains de ces facteurs confirment le caractère immuable ou considéré comme tel de l’appartenance à un modèle familial particulier.
- Il est de connaissance judiciaire que le modèle familial historiquement et actuellement dominant dans notre société consiste en un homme et une femme qui forment un couple et qui sont les géniteurs biologiques de leurs enfants. D’autres modèles familiaux existent, mais ils sont nettement minoritaires.
- La preuve appuie le caractère de minorité discrète et isolée des membres de familles pluriparentales. Ceux-ci sont très conscients que leur structure familiale s’écarte de la norme. Ils subissent le jugement des autres et adoptent des mesures pour s’en protéger. Voici trois exemples tirés de l’expérience des Demandeurs individuels :
- Un représentant de l’employeur de monsieur D... qualifie X d’enfant illégitime ;
- Une travailleuse sociale a qualifié d’illégale la structure familiale de la famille L...-Mi...‑A... ; et
- Madame A... ne participe pas aux démarches de madame L... et de monsieur Mi... pour trouver une mère porteuse, car ils appréhendent une discrimination à leur égard.
- En somme, ceux et celles qui adoptent des modèles familiaux non traditionnels forment très certainement une minorité discrète et isolée, et ce, même si les familles non traditionnelles deviennent de plus en plus visibles au sein de notre société. Bien que la présence d’une minorité discrète et isolée ne soit pas nécessaire pour conclure à l’existence d’un motif analogue[202], ce facteur joue en faveur de la reconnaissance de l’appartenance à un modèle familial particulier comme motif prohibé aux termes du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne.
- La preuve ne traite pas directement du désavantage historique vécu par les familles pluriparentales, le phénomène de la pluriparentalité étant peu étudié jusqu’à présent. Cela dit, il est manifeste que les personnes ayant adopté au fil des époques des modèles familiaux non traditionnels — pensons aux couples non mariés, aux couples de même sexe ou aux familles monoparentales — ont historiquement fait l’objet de désavantage et de discrimination.
- La reconnaissance de l’état matrimonial[203] et de l’orientation sexuelle[204] comme motifs analogues témoignent de ce désavantage historique. Il en est de même du traitement juridique réservé aux enfants issus de tels modèles familiaux pendant de nombreuses années.
- En effet, jusqu’à l’adoption en 1980 du principe de l’égalité des enfants quelles que soient les circonstances de leur naissance[205], les enfants nés hors mariage — dits « naturels » ou « illégitimes » — étaient fortement désavantagés par le droit québécois par rapport aux enfants issus de parents mariés[206]. Même le langage utilisé par les tribunaux reflétait la réprobation sociale et juridique vécue par ces enfants[207].
- En 1966, alors qu’il était professeur de droit, Jean‑Louis Baudouin qualifie à bon droit le traitement juridique des enfants nés hors mariage de « situation inique »[208]. Plus de trente ans plus tard, cette fois à titre de juge à la Cour d’appel du Québec, il écrit[209] :
Le Code civil [du Bas-Canada] faisait, à l’origine, une distinction aussi claire que discriminatoire entre les enfants légitimes et les enfants naturels. Ces derniers étaient traités comme des citoyens de seconde zone qui devaient, en quelque sorte, payer pour le « péché » de leurs parents. […]
- Il est manifeste que les personnes ayant adopté un modèle familial non traditionnel ont fait l’objet d’un désavantage historique, quel que soit leur modèle familial spécifique.
- Signalons par ailleurs que l’appartenance à un modèle familial particulier est une caractéristique personnelle qui ressemble à bien des égards à l’état matrimonial. Dans l’arrêt Miron c. Trudel, la juge McLachlin note que l’état matrimonial est un motif qui « touche la liberté d’une personne de vivre avec le partenaire de son choix, comme elle l’entend »[210]. Cette remarque s’applique mutatis mutandis à l’appartenance à un modèle de famille particulier.
- Ces éléments suffisent pour confirmer que l’appartenance à un modèle familial particulier constitue une caractéristique personnelle immuable ou considérée comme telle, qui sert souvent à la prise de décisions stéréotypées, lesquelles ne sont pas fondées sur le mérite de l’individu. En somme, il convient de reconnaître le statut familial dans le sens de l’appartenance à un modèle familial particulier, y compris à une famille pluriparentale, comme motif analogue de discrimination prohibé aux termes du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne.
- Avant de conclure sur ce sujet, trois remarques s’imposent.
- D’abord, à l’appui de leur demande de reconnaissance du statut familial à titre de motif analogue, les Demandeurs invoquent le fait que bon nombre de lois dans le domaine des droits de la personne le reconnaissent (ou reconnaissent la « situation familiale » ou « l’état familial ») comme motif de discrimination prohibé[211]. Le Tribunal ne retient pas ce facteur dans son analyse.
- Comme le mentionne le PGQ, la législation concernant les droits de la personne définit souvent le statut familial comme « le fait de se trouver dans une relation parent-enfant ». Or, nous l’avons vu, cette acception de la notion de statut familial n’est d’aucune utilité en l’espèce, car la distinction en cause n’est pas fondée sur l’existence d’une relation parent-enfant.
- Ensuite, le PGQ plaide que la notion de « statut familial » doit toujours s’entendre au sens d’une relation parent-enfant. Or, même si cette notion est ainsi définie dans la législation d’autres provinces, cela ne constitue pas un obstacle à la reconnaissance du statut familial dans le sens de l’appartenance à un modèle familial particulier comme motif analogue à ceux énoncés au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne, et ce, pour les raisons déjà exposées.
- Enfin, il importe de souligner que la reconnaissance du statut familial dans le sens de l’appartenance à un modèle familial particulier comme motif analogue de discrimination ne signifie aucunement que la polygamie ou la bigamie seraient des modèles familiaux protégés. La polygamie ou la bigamie consistent en l’existence de plusieurs liens matrimoniaux[212], ce qui n’est pas en cause en l’espèce.
- Ayant conclu que le statut familial dans le sens de l’appartenance à un modèle familial particulier constitue un motif analogue aux termes du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne, force est de constater que les Demandeurs individuels subissent une différence de traitement fondée sur ce motif.
- En effet, alors que le droit québécois permet aux membres du groupe de comparaison — soit les familles biparentales — d’établir un lien de filiation entre chaque parent et ses enfants, ce n’est pas le cas des familles pluriparentales. Notamment, en application du droit québécois :
- Madame M..., une des mères de X, ne peut établir un lien de filiation avec son fils ;
- Madame J..., une des mères de Y, ne peut établir un lien de filiation avec son fils ; et
- Madame A..., une des mères de A, ne peut établir un lien de filiation avec son fils ;
- Seuls un de madame L... et de monsieur Mi... peut établir un lien de filiation avec leur fils, Z.
- De même, du point de vue des enfants, X, Y, Z et A ne peuvent bénéficier d’un lien de filiation avec chacun de leurs parents, contrairement aux enfants qui évoluent dans des familles biparentales.
- Il s’agit là d’une distinction fondée sur un motif analogue, à savoir le statut familial dans le sens de l’appartenance à un modèle familial particulier. Ceci suffit pour satisfaire le premier volet du critère de l’arrêt Sharma, et ce, sans avoir à se pencher sur l’existence d’une distinction fondée sur des motifs « intersectionnels », à savoir l’appartenance à un modèle familial particulier et l’orientation sexuelle ou l’infertilité. Comme nous l’avons vu, la preuve sur ces derniers éléments est insuffisante pour une analyse adéquate de ces questions.
2.4.3 La deuxième étape du critère d’application du paragraphe 15(1) : la distinction nie un avantage ou impose un fardeau, renforçant ainsi le désavantage
- Ayant conclu que la limite de deux liens de filiation crée une différence de traitement fondée sur un motif analogue — à savoir le statut familial dans le sens de l’appartenance à un modèle familial particulier — il convient d’aborder le deuxième volet du critère pour l’application du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne. Ce volet permet d’identifier les distinctions qui sont réellement discriminatoires et qui briment le droit à l’égalité réelle.
- À ce chapitre, comme le mentionne la juge Abella dans l’arrêt Fraser, l’objectif consiste à examiner l’effet de la mesure sur le groupe en cause[213] :
[76] Cela nous amène à la deuxième étape de l’analyse relative à l’art. 15 : la question de savoir si la loi a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer un désavantage (Alliance, par. 25). Cet examen se déroule habituellement de la même façon dans les cas d’effet distinct et de discrimination explicite. Il n’existe pas de « modèle rigide » de facteurs pertinents à prendre en considération dans cette analyse (Québec c. A, par. 331, citant Withler, par. 66). L’objectif est d’examiner l’effet du préjudice causé au groupe touché. Le préjudice peut inclure [traduction] « une exclusion ou un désavantage économique, une exclusion sociale [. . .] des préjudices psychologiques [. . .] des préjudices physiques [. . .], [ou] une exclusion politique », et il doit être examiné à la lumière des désavantages systémiques ou historiques auxquels fait face le groupe de demandeurs (Sheppard (2010), p. 62‑63 (soulignement supprimé)).
- L’existence de préjugés ou de stéréotypes sont des facteurs utiles dans l’analyse, mais ne constituent pas des éléments indispensables pour conclure à la discrimination[214] :
[78] En particulier, la présence de préjugés et l’application de stéréotypes sociaux ne sont pas nécessairement des facteurs à prendre en compte dans l’analyse relative au par. 15(1). Ceux‑ci peuvent aider à démontrer qu’une loi a des effets négatifs sur un groupe particulier, mais ils ne sont « ni des éléments particuliers du critère établi dans l’arrêt Andrews, ni des catégories auxquelles doit se rattacher la plainte de discrimination » […].
- De même, les Demandeurs n’ont pas à prouver que la distinction est arbitraire pour établir une atteinte au paragraphe 15(1)[215].
- En l’espèce, la différence de traitement qui résulte de la limite de deux liens de filiation cause un désavantage économique, une exclusion sociojuridique et un préjudice psychologique et identitaire aux membres du groupe touché. Cette différence de traitement renforce ainsi le désavantage qu’ils vivent. Voici pourquoi.
- Tout d’abord, pour l’enfant qui évolue dans une famille pluriparentale, le fait qu’il ne peut établir de lien de filiation signifie qu’en principe, il ne peut réclamer une pension alimentaire du parent non reconnu[216]. De plus, si ce parent décède ab intestat, l’enfant ne sera pas un successible[217]. En somme, la limite de deux liens de filiation prive l’enfant d’avantages économiques potentiels à l’égard du parent non reconnu.
- Par ailleurs, les parents et enfants qui évoluent dans une famille pluriparentale subissent une exclusion sociojuridique. Celle‑ci résulte du fait que seuls les parents dont la filiation est reconnue sont investis de l’autorité parentale[218].
- Ainsi, le parent non reconnu n’a aucun droit en ce qui concerne la garde de son enfant. Il n’a aucun droit de participer aux décisions fondamentales concernant l’éducation, la religion, les activités, les déplacements ou même la résidence de l’enfant. Il n’a pas non plus le droit de participer aux décisions concernant le consentement aux soins médicaux pour l’enfant[219].
- Même en l’absence de tout conflit entre les parents, celui dont la filiation n’est pas reconnue se trouve dans une situation précaire dans ses interactions avec des tiers en lien avec son enfant. Ces derniers, y compris notamment des institutions publiques en matière d’éducation ou de santé, des employeurs[220] ou des assureurs, peuvent bien ne pas reconnaître l’existence de la relation avec l’enfant, ce qui n’est pas sans conséquence pour l’enfant ou pour le parent.
- Par exemple, on peut s’interroger sur la capacité du parent non reconnu à intervenir auprès des tiers en cas d’urgence et à poser des gestes dans l’intérêt de son enfant. Pourra-t-il recueillir son enfant à l’école en cas de maladie ? Pourra-t-il l’amener à des rendez-vous médicaux ? Pourra-t-il profiter d’un congé parental pour s’en occuper ? L’enfant pourra-t-il profiter des assurances dentaires et de santé du parent ? En l’absence d’un lien de filiation reconnu, la possibilité d’une réponse négative à ces questions ne peut être écartée.
- En cas de conflit avec les parents dont la filiation est reconnue, la situation juridique du parent non reconnu est précaire. Il peut même se trouver à risque d’être exclu de la vie de son enfant. En raison de cette vulnérabilité juridique, la relation de l’enfant avec son parent non reconnu est fragilisée, ce qui ne saurait être dans l’intérêt de l’enfant.
- En réponse, le PGQ souligne que le deuxième volet du critère d’application du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne exige une étude du contexte législatif plus large[221]. Selon le PGQ une telle analyse ne révèle aucun véritable désavantage occasionné par la limite de deux liens de filiation.
- En effet, comme mentionné, l’article 601 C.c.Q. permet la délégation des attributs de l’autorité parentale à une personne dont la filiation ne peut être établie conformément au droit positif. Par ailleurs, en l’absence d’une telle délégation ou en cas de différend avec les titulaires de l’autorité parentale, la personne dont la filiation n’est pas reconnue peut demander aux tribunaux de reconnaître son implication dans la vie de l’enfant, et ce, dans l’intérêt de ce dernier[222].
- Contrairement à l’article 7 de la Charte canadienne, l’imposition d’un fardeau ou la négation d’un avantage d’une manière qui renforce ou perpétue le désavantage aux fins de la deuxième étape de l’analyse sous le paragraphe 15(1) ne comporte pas de seuil préliminaire de sévérité[223]. Si les éléments soulevés par le PGQ permettent de conclure qu’il n’y a pas atteinte au droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte canadienne, ils confirment en revanche le désavantage occasionné par la différence de traitement qui résulte de la limite de deux liens de filiation.
- En effet, une délégation des attributs de l’autorité parentale est en tout temps révocable et représente une solution chancelante pour le parent et l’enfant dont le lien de filiation n’est pas reconnu. Par ailleurs, le parent non reconnu qui doit recourir aux tribunaux afin de se voir investi d’une parcelle de l’autorité parentale entreprend une démarche judiciaire lourde, coûteuse et dont l’issue est incertaine[224]. Ce fardeau n’est pas imposé au parent dont la filiation est établie, ce qui met en évidence le désavantage qui résulte de la différence de traitement.
- En somme, l’absence d’un lien de filiation occasionne un désavantage sociojuridique tant pour le parent non reconnu que pour son enfant.
- De surcroît, la limite de deux liens de filiation occasionne un préjudice psychologique et identitaire aux membres des familles pluriparentales. Comme mentionné lors de l’analyse de l’argument portant sur le droit à la sécurité de la personne protégé par l’article 7 de la Charte canadienne, la preuve prépondérante permet de conclure que la limite de deux liens de filiation constitue une source de stress et d’anxiété pour les parents qui adoptent un modèle familial pluriparental. Le risque que le parent non reconnu soit exclu de décisions importantes — notamment de celles concernant la santé de l’enfant — est une préoccupation constante, tant pour ce parent que pour ceux dont la filiation est reconnue.
- Si cette situation n’atteint pas le niveau de gravité requis pour mettre en cause la sécurité de la personne, elle constitue néanmoins un préjudice psychologique qui résulte de la différence de traitement et qui est pertinent en ce qui a trait au deuxième volet de l’analyse en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne.
- Enfin, l’on ne peut passer sous silence les conséquences identitaires de la limite de deux liens de filiation. Le fait d’être le parent ou l’enfant de quelqu’un est profondément identitaire et participe de façon importante à la définition de qui nous sommes[225].
- Notamment, la reconnaissance formelle des liens entre un parent et son enfant dans une déclaration de naissance permet « d’affirmer ces liens »[226]. À l’inverse, la non‑reconnaissance de cette réalité par l’État et par ses institutions a une incidence sur le sens de l’identité et l’estime de soi des personnes concernées[227].
- En fin d’analyse, la limite de deux liens de filiation transmet aux familles pluriparentales et à la société en général le message que seules les familles dites « normales », avec un maximum de deux parents, représentent des structures familiales valides et dignes de reconnaissance juridique[228]. Ce message renforce et perpétue le désavantage subi par ceux et celles qui évoluent dans un modèle familial non traditionnel. En définitive, la différence de traitement est discriminatoire et porte atteinte au droit à l’égalité garanti par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne.
- L’article 10 de la Charte québécoise protège la reconnaissance et l’exercice en pleine égalité des droits et libertés de la personne sans distinction fondée sur les motifs énumérés à cette disposition :
10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap. Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit. | 10. Every person has a right to full and equal recognition and exercise of his human rights and freedoms, without distinction, exclusion or preference based on race, colour, sex, gender identity or expression, pregnancy, sexual orientation, civil status, age except as provided by law, religion, political convictions, language, ethnic or national origin, social condition, a handicap or the use of any means to palliate a handicap. Discrimination exists where such a distinction, exclusion or preference has the effect of nullifying or impairing such right. |
- Dans l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier), la Cour suprême du Canada rappelle que pour établir une discrimination prima facie aux termes de l’article 10 de la Charte québécoise, la partie demanderesse doit prouver[229] :
- l’existence d’une distinction, exclusion ou préférence ;
- fondée sur l’un des motifs énumérés à l’article 10 ; et
- qui a pour effet de détruire ou de compromettre le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne.
- Le droit à l’égalité garanti par l’article 10 de la Charte québécoise diffère à certains égards de la protection offerte par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne. D’abord, les motifs de discrimination prohibés sont énumérés de façon exhaustive au premier alinéa de l’article 10[230]. Contrairement au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne, les tribunaux ne peuvent identifier des motifs prohibés analogues à ceux qui sont énumérés par le législateur.
- De surcroît, et encore contrairement au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne, l’article 10 de la Charte québécoise ne protège pas le droit à l’égalité de façon indépendante[231]. Le droit à l’égalité n’est protégé que dans l’exercice des autres droits et libertés garantis. Comme l’expliquent les juges Wagner (à l’époque juge puîné) et Côté dans l’arrêt Bombardier[232] :
[54] Cela signifie que le droit à l’absence de discrimination ne peut à lui seul fonder un recours et doit nécessairement être rattaché à un autre droit ou à une autre liberté de la personne reconnus par la loi. Il ne faut toutefois pas confondre cette exigence avec la portée autonome du droit à l’égalité; la Charte n’exige pas une « double violation » (droit à l’égalité et, par exemple, liberté de religion), ce qui rendrait l’art. 10 superflu […].
- Les Demandeurs invoquent trois motifs de discrimination interdits par l’article 10 de la Charte québécoise : l’orientation sexuelle, le handicap (Demandeurs dans le Dossier de la Coalition uniquement) et l’état civil.
- Pour les motifs déjà exposés en lien avec le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne, les Demandeurs n’ont pas fait la preuve d’une distinction fondée sur l’orientation sexuelle et le handicap. Qu’en est‑il de l’état civil ?
- Dans l’arrêt Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), la Cour suprême reconnait que les relations familiales — dont la filiation, la fraternité et la sororité — font partie de la notion d’état civil visée par l’article 10 de la Charte québécoise[233]. En revanche, dans l’arrêt récent Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333 c. Réseau de transport de Longueuil, la Cour d’appel enseigne que l’état civil ne comprend pas la parentalité, la situation parentale ou encore la situation de famille[234]. Elle ajoute que l’interprétation large et libérale de la Charte québécoise n’autorise pas les tribunaux à « ajouter des motifs de discrimination “analogues” à ceux énoncés » à l’article 10[235].
- L’argument des Demandeurs selon lequel l’état civil s’étend à la structure de la famille ne peut donc être retenu.
- Du reste, l’idée que la limite de deux liens de filiation impose une différence de traitement fondée sur l’état civil repose sur une logique circulaire qui ne peut être retenue. En effet, on invoque la non-reconnaissance d’une composante de l’état civil — à savoir la filiation — pour affirmer qu’il y a là une différence de traitement fondée sur la filiation. En somme, le moyen fondé sur l’état civil confond le motif de discrimination invoqué, une composante de l’état civil, avec ce qui est recherché, cette même composante de l’état civil.
- La véritable distinction opérée par la limite de deux liens de filiation est fondée sur le statut familial dans le sens de l’appartenance à un modèle familial particulier, notamment une famille pluriparentale. Ce motif a été reconnu plus haut comme motif analogue à ceux mentionnés au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne mais il ne constitue pas un des motifs de discrimination prohibés par l’article 10 de la Charte québécoise et le Tribunal ne peut ajouter à ceux‑ci.
- Il en résulte que la limite de deux liens de filiation ne porte pas atteinte au droit à l’égalité protégé par la Charte québécoise.
- L’atteinte au droit à l’égalité garanti par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne qui résulte de la limite de deux liens de filiation peut‑elle se justifier aux termes de l’article premier de la Charte canadienne ? Cette disposition se lit comme suit :
1 La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. | 1 The Canadian Charter of Rights and Freedoms guarantees the rights and freedoms set out in it subject only to such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society. |
- Le critère de justification de l’article premier de la Charte canadienne, tel qu’élaboré par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Oakes[236], est bien connu. Pour justifier l’atteinte au paragraphe 15(1), le PGQ supporte le fardeau de démontrer, selon la prépondérance de la preuve, que la mesure attentatoire découle d’une règle de droit[237] qui[238] :
- poursuit un objectif législatif urgent et réel ; et
- ne porte pas atteinte de façon disproportionnée aux droits garantis par la Charte canadienne. Ce critère de proportionnalité comporte trois éléments :
- l’existence d’un lien rationnel entre la mesure attentatoire et l’objectif législatif ;
- la mesure représente une atteinte minimale ; et
- les avantages de la mesure l’emportent sur ses effets préjudiciables.
- En l’espèce, le PGQ ne s’est pas acquitté de son fardeau.
- L’objectif pertinent aux fins de l’analyse aux termes de l’article premier de la Charte canadienne est celui de la mesure attentatoire[239]. Il faut donc cerner la finalité poursuivie par la limite de deux liens de filiation et déterminer si elle constitue un objectif urgent et réel.
- Le PGQ soutient que l’objectif de cette limite consiste à favoriser la prévisibilité et la stabilité des liens de filiation. La prévisibilité et la stabilité des liens de filiation constituent des objectifs étatiques légitimes, qui peuvent être qualifiés d’urgents et réels au sens du premier volet du critère de l’arrêt Oakes.
- Selon les Demandeurs, l’objectif proposé par le PGQ représente un des objectifs du régime de la filiation en général, mais ne correspond pas à celui de la mesure attentatoire. Compte tenu du rejet de la théorie de l’objet changeant[240], ils soutiennent que l’objectif de cette mesure doit être celui qui animait le législateur au moment de son adoption. Or, lors de l’adoption du Code civil du Québec en 1991, la question de la pluriparenté n’était pas du tout à l’ordre du jour législatif ou social.
- Par conséquent, les Demandeurs plaident que la prévisibilité et la stabilité des liens de filiation ne sauraient constituer l’objectif de la mesure attentatoire, à savoir la limite de deux liens de filiation. Selon eux, l’objet véritable de cette limite serait de refléter dans le droit de la filiation le modèle familial traditionnel dominant au moment de l’adoption du Code civil du Québec. Pour les Demandeurs, il ne s’agit pas d’un objectif urgent et réel.
- Compte tenu de la conclusion du Tribunal selon laquelle le critère de proportionnalité n’est pas satisfait en l’espèce, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur l’argument des Demandeurs fondé sur le rejet de la théorie de l’objet changeant. Pour les fins de l’analyse du critère de justification, le Tribunal accepte que l’objectif de la limite de deux liens de filiation est celui proposé par le PGQ, à savoir favoriser la prévisibilité et la stabilité des liens de filiation. Cet objectif est urgent et réel au sens de l’arrêt Oakes.
3.2.1 Le lien rationnel
- La limite de deux liens de filiation comporte un lien rationnel avec au moins un des objectifs proposés par le PGQ, à savoir la prévisibilité des liens de filiation.
- En effet, l’existence d’un lien rationnel peut être établie sur le fondement de la raison et de la logique[241]. Il est parfaitement logique de croire qu’une limite numérique aux liens de filiation légalement reconnus contribue à leur prévisibilité. Dit autrement, en limitant la filiation à deux parents, la prévisibilité des liens de filiation est sans doute accrue.
- Les Demandeurs soutiennent qu’une limite numérique plus élevée contribuerait également à la prévisibilité des liens de filiation. Certes, mais cet argument relève des autres volets du critère de proportionnalité et n’écarte pas l’existence d’un lien rationnel. Ce n’est pas parce qu’une mesure différente servirait elle aussi l’objectif pertinent qu’il n’existe pas de lien logique et rationnel entre la prévisibilité des liens de filiation et la limite numérique de deux liens.
3.2.2 L’atteinte minimale
- En revanche, le PGQ ne s’est pas acquitté de son fardeau de preuve qui consiste à démontrer que la limite de deux liens de filiation représente une atteinte minimale au droit à l’égalité.
- Dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), la juge McLachlin explique que[242] :
160 À la deuxième étape de l’analyse de la proportionnalité, le gouvernement doit établir que les mesures en cause restreignent le droit à la liberté d’expression aussi peu que cela est raisonnablement possible aux fins de la réalisation de l’objectif législatif. La restriction doit être « minimale », c’est-à-dire que la loi doit être soigneusement adaptée de façon à ce que l’atteinte aux droits ne dépasse pas ce qui est nécessaire. Le processus d’adaptation est rarement parfait et les tribunaux doivent accorder une certaine latitude au législateur. Si la loi se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables, les tribunaux ne concluront pas qu’elle a une portée trop générale simplement parce qu’ils peuvent envisager une solution de rechange qui pourrait être mieux adaptée à l’objectif et à la violation; […] Par contre, si le gouvernement omet d’expliquer pourquoi il n’a pas choisi une mesure beaucoup moins attentatoire et tout aussi efficace, la loi peut être déclarée non valide.
- Le PGQ n’a administré aucune preuve sur la question de l’atteinte minimale. Invitant le Tribunal à faire preuve de déférence, son argument se résume à dire que la limite de deux liens de filiation fait partie d’une gamme de solutions raisonnables.
- Or, la question consiste à savoir s’il existe d’autres moyens moins attentatoires pour atteindre l’objectif proposé par le PGQ de façon réelle et substantielle[243]. À ce chapitre, la législation en vigueur dans quatre autres ressorts canadiens, lesquels permettent la reconnaissance de plus de deux parents juridiques, fournit la démonstration que de tels moyens existent.
- D’abord, en Colombie‑Britannique, la reconnaissance légale de trois parents est admise en cas de procréation assistée et en présence d’une entente écrite préalable. Ainsi, l’article 30 du Family Law Act[244] prévoit :
30 (1) This section applies if there is a written agreement that
(a) is made before a child is conceived through assisted reproduction,
(b) is made between
(i) an intended parent or the intended parents[245] and a potential birth mother who agrees to be a parent together with the intended parent or intended parents, or
(ii) the potential birth mother, a person who is married to or in a marriage-like relationship with the potential birth mother, and a donor who agrees to be a parent together with the potential birth mother and a person married to or in a marriage-like relationship with the potential birth mother, and
(c) provides that
(i) the potential birth mother will be the birth mother of a child conceived through assisted reproduction, and
(ii) on the child’s birth, the parties to the agreement will be the parents of the child.
(2) On the birth of a child born as a result of assisted reproduction in the circumstances described in subsection (1), the child’s parents are the parties to the agreement.
(3) If an agreement described in subsection (1) is made but, before a child is conceived, a party withdraws from the agreement or dies, the agreement is deemed to be revoked.
- Ensuite, en Ontario, la reconnaissance de quatre parents est admise tant en cas de procréation assistée qu’en cas de conception par relation sexuelle, et ce, sous réserve de certaines conditions, y compris l’existence d’une convention de filiation écrite antérieure à la conception de l’enfant. À ce titre, l’article 9 de la Loi portant réforme du droit de l’enfance[246] prévoit :
9 (1) La définition qui suit s’applique au présent article. «convention de filiation antérieure à la conception» Convention écrite entre deux parties ou plus selon laquelle elles conviennent d’être, ensemble, les parents d’un enfant qui n’est pas encore conçu. (2) Le présent article ne s’applique à l’égard d’une convention de filiation antérieure à la conception que si les conditions suivantes sont réunies : a) il n’y a pas plus de quatre parties à la convention; b) le parent de naissance d’intention n’est pas un substitut et est partie à la convention; c) si l’enfant doit être conçu par relation sexuelle, mais non par insémination par un donneur de sperme, la personne dont le sperme sera utilisé pour les besoins de la conception est partie à la convention; d) si l’enfant doit être conçu par procréation assistée ou par insémination par un donneur de sperme, le conjoint, le cas échéant, de la personne qui a l’intention d’être le parent de naissance est partie à la convention, sous réserve du paragraphe (3). (3) L’alinéa (2) d) ne s’applique pas si, avant la conception de l’enfant, le conjoint du parent de naissance donne une confirmation écrite selon laquelle il ne consent pas à être parent de l’enfant et qu’il ne la retire pas. (4) À la naissance d’un enfant envisagé par une convention de filiation antérieure à la conception, conjointement avec chaque partie à la convention qui est parent de l’enfant aux termes de l’article 6 (parent de naissance), 7 (autre parent biologique) ou 8 (conjoint du parent de naissance), les autres parties à la convention sont parents de l’enfant et sont reconnus comme tels en droit. | 9 (1) In this section, “pre-conception parentage agreement” means a written agreement between two or more parties in which they agree to be, together, the parents of a child yet to be conceived. (2) This section applies with respect to a pre-conception parentage agreement only if, (a) there are no more than four parties to the agreement; (b) the intended birth parent is not a surrogate, and is a party to the agreement; (c) if the child is to be conceived through sexual intercourse but not through insemination by a sperm donor, the person whose sperm is to be used for the purpose of conception is a party to the agreement; and (d) if the child is to be conceived through assisted reproduction or through insemination by a sperm donor, the spouse, if any, of the person who intends to be the birth parent is a party to the agreement, subject to subsection (3). (3) Clause (2) (d) does not apply if, before the child is conceived, the birth parent’s spouse provides written confirmation that he or she does not consent to be a parent of the child and does not withdraw the confirmation. (4) On the birth of a child contemplated by a pre-conception parentage agreement, together with every party to a pre-conception parentage agreement who is a parent of the child under section 6 (birth parent), 7 (other biological parent) or 8 (birth parent’s spouse), the other parties to the agreement are, and shall be recognized in law to be, parents of the child. |
- De même, la législation de la Saskatchewan admet également la reconnaissance de quatre parents en cas d’accord écrit préalable, tant en matière de procréation assistée que de conception par relation sexuelle. L’article 61 de la Loi de 2020 sur le droit de l’enfance[247] édicte :
61(1) Au présent article, « accord de parenté » s’entend d’un accord écrit entre plusieurs parties dans lequel elles décident ensemble qui seront les parents d’un enfant non encore conçu. (2) Le présent article ne s’applique à un accord de parenté que si les conditions suivantes sont réunies : a) il n’y a pas plus de 4 parties à l’accord; b) l’accord satisfait aux prescriptions réglementaires d’un accord de parenté. (3) Le parent de naissance éventuel qui n’est pas gestatrice pour autrui doit être partie à l’accord de parenté. (4) Toute personne qui satisfait à l’ensemble des conditions suivantes doit être partie à l’accord de parenté : a) son sperme doit servir à la conception de l’enfant par relation sexuelle ou par procréation assistée; b) elle entend être parent de l’enfant. (5) Le conjoint, s’il en est, du parent de naissance éventuel mentionné au paragraphe (3) ou d’une personne mentionnée au paragraphe (4) doit être partie à l’accord de parenté et doit indiquer dans l’accord s’il consent ou non à être parent de l’enfant. (6) Le conjoint du parent de naissance éventuel qui ne consent pas dans l’accord de parenté à être parent de l’enfant n’est pas reconnu en droit être parent de l’enfant. (7) À la naissance d’un enfant visé par un accord de parenté, les parties à l’accord de parenté qui consentent à être parents de l’enfant sont reconnues en droit être les parents de l’enfant. | 61(1) In this section, “parentage agreement” means a written agreement between 2 or more parties in which they establish, together, who will be the parents of a child yet to be conceived. (2) This section applies with respect to a parentage agreement only if: (a) there are not more than 4 parties to the agreement; and (b) the agreement meets the prescribed requirements for parentage agreements. (3) The intended birth parent who is not the surrogate must be a party to the parentage agreement. (4) A person must be a party to the parentage agreement if: (a) the person’s sperm is to be used to conceive the child through sexual intercourse or assisted reproduction; and (b) the person intends to be a parent of the child. (5) The spouse, if any, of the intended birth parent mentioned in subsection (3) or of a person mentioned in subsection (4) must be a party to the parentage agreement and must indicate in the agreement whether the spouse consents to be a parent of the child. (6) If the spouse of the intended birth parent does not consent in the parentage agreement to be a parent of the child, the spouse is not recognized in law to be a parent of the child. (7) On the birth of a child contemplated by a parentage agreement, the parties to the parentage agreement who consent to be the parents of the child shall be recognized in law to be the parents of the child. |
- Enfin, au Yukon, la législation territoriale autorise la reconnaissance de plus de deux parents, à condition que ces « autres parents » soient les conjoints du père ou de la mère biologique. Les portions pertinentes du paragraphe 1(1) et le paragraphe 4(2) de la Loi sur les statistiques de l’état civil se lisent comme suit[248] :
1(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi. « autre parent » À l’égard d’une naissance, s’entend d’une autre personne que la mère ou le père, qui est le conjoint de la mère ou du père et qui entend participer à titre de parent à l’éducation de l’enfant. “other parent” […] « mère » La femme qui a donné naissance à l’enfant. “mother” […] « père » Personne qui reconnaît être le père biologique de l’enfant. “father” […] 4 (2) Dans les 60 jours suivant la naissance d’un enfant au Yukon, l’une ou l’autre des personnes suivantes remplit et remet ou envoie par la poste au registraire une déclaration selon le formulaire réglementaire relativement à la naissance de l’enfant : a) la mère de l’enfant; b) le père de l’enfant; c) un autre parent de l’enfant; […] | 1(1) In this Act […] “father” means a person who acknowledges being the biological father of a child; « père » […] “mother” means the woman from whom a child is delivered; « mère » “other parent” in relation to a birth, means a person other than the mother or father, who is the spouse of the mother or father and who intends to participate as a parent in the upbringing of the child; « autre parent » […] 4 (2) The following persons shall, within 60 days after the birth of a child in the Yukon, complete and deliver or mail a statement in the prescribed form respecting the birth to the registrar (a) the mother of the child; (b) the father of the child; (c) an other parent of the child; […] |
- Compte tenu de ces exemples législatifs[249] — lesquels élaborent des règles, par ailleurs stables et prévisibles, permettant la reconnaissance légale de familles pluriparentales — il est manifeste qu’il existe d’autres mesures moins attentatoires pour atteindre les objectifs législatifs proposés par le PGQ. Du reste, le PGQ n’a pas plaidé ni démontré que ces solutions de rechange auraient pour conséquence de compromettre la poursuite desdits objectifs[250].
- En revanche, le PGQ plaide que toute autre limite numérique fera elle aussi l’objet d’une contestation constitutionnelle. Avec égards, ceci relève de la spéculation et l’on ignore le sort d’une contestation éventuelle d’une mesure jusqu’à présent inexistante. Il ne s’agit pas d’un argument permettant de justifier une mesure attentatoire qui ne satisfait pas au critère de l’atteinte minimale.
- En fin d’analyse, l’argument du PGQ — qui, rappelons-le, n’a administré aucune preuve sur la question de l’atteinte minimale — invite purement et simplement à la déférence. Cette approche équivaut à réduire son fardeau de preuve sur la justification à néant. Certes, le pouvoir judiciaire doit faire preuve de déférence à l’égard des choix du législateur, mais celle‑ci ne peut être ni absolue ni aveugle[251]. Comme l’a écrit la juge Deschamps, « La déférence ne saurait entraîner l’abdication par le pouvoir judiciaire de son rôle devant le pouvoir législatif ou exécutif »[252].
- Le volet de l’atteinte minimale du critère de proportionnalité n’est pas satisfait.
3.2.3 La proportionnalité des effets
- Compte tenu de ce qui précède, il n’est pas strictement nécessaire de s’attarder au dernier volet du critère de la proportionnalité. Le PGQ affirme simplement que l’absence de limite numérique rendrait la filiation floue et instable. Or, comme l’illustre la législation en Colombie‑Britannique, en Ontario, en Saskatchewan et au Yukon, il ne s’agit pas d’un choix binaire entre une limite de deux liens et l’absence de limite. Une variété de mesures alternatives existe.
- Signalons également qu’outre son affirmation qu’elle assure la stabilité et la prévisibilité, le PGQ n’a administré aucune preuve des effets bénéfiques de la limite de deux liens de filiation. Dans les circonstances, il est impossible de conclure que les avantages de la mesure outrepassent ses effets néfastes décrits dans le cadre de l’analyse du droit à l’égalité.
- Pour tous ces motifs, l’atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne ne peut se justifier aux termes de l’article premier.
- Le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît la primauté de la Constitution, y compris des droits et libertés enchâssés par la Charte canadienne[253] :
52 (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit. | 52 (1) The Constitution of Canada is the supreme law of Canada, and any law that is inconsistent with the provisions of the Constitution is, to the extent of the inconsistency, of no force or effect. |
- Comme nous l’avons vu, la limite de deux liens de filiation est incompatible avec le paragraphe 15(1) et cette limite ne peut se justifier aux termes de l’article premier. Elle est donc inopérante conformément au paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Cela dit, les parties s’opposent quant au redressement constitutionnel précis qui doit être prononcé.
- Les Demandeurs dans le Dossier M...-P...-D... sollicitent une déclaration selon laquelle les articles 114, 115, 523 et 524 C.c.Q. sont inopérants dans la mesure de leur incompatibilité avec le droit à l’égalité garanti par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne. Ils recherchent également une ordonnance modifiant la déclaration de naissance de X afin que mesdames P... et M... soient désignées comme ses mères et que monsieur D... soit désigné comme son père. Dans la mesure où il convient de suspendre la déclaration d’invalidité recherchée, ils demandent d’en être exemptés.
- Pour ce qui est des Demandeurs dans le Dossier de la Coalition, ils recherchent une déclaration selon laquelle les articles 51 à 52, 65, 66.1, 113 à 114, 194, 196, 201, 523 à 524, 538 à 538.2, 539 à 539.1, 541.1 à 541.4, 541.6 à 541.9, 541.11, 541.14, 541.16 à 541.22, 541.25 à 541.29, 541.32 à 541.37, 542.15 à 542.17, 542.19 à 542.21, 542.23, 542.31, 551 à 553 et 578.1 C.c.Q. sont invalides et inopérants uniquement dans la mesure où ils empêchent l’établissement de la filiation à l’égard de plus de deux parties[254]. Ils sollicitent également des déclarations selon lesquelles madame J... est la mère de Y, monsieur Mi... est le père de Z et madame A... est la mère de A, et ce, sans que les autres liens de filiation des enfants ne soient affectés. Enfin, ils demandent que le Directeur de l’état civil modifie les actes de naissance de Y, de Z et de A en conséquence.
- Le PGQ soutient que le seul redressement auquel les Demandeurs auraient droit, le cas échéant, consiste en une déclaration d’invalidité. Il propose que celle‑ci soit suspendue pendant 24 mois, le temps de permettre au législateur de modifier les règles de la filiation québécoise afin de les rendre conformes à la Charte canadienne. Enfin, il s’oppose à tout redressement individuel au bénéfice des Demandeurs, y compris une exemption constitutionnelle de toute suspension de la déclaration d’invalidité.
- La problématique du redressement approprié soulève les questions suivantes :
- Quelle doit être la forme et la portée de la déclaration d’invalidité qu’il convient de prononcer aux termes du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 ?
- Convient-il de suspendre toute déclaration d’invalidité et, le cas échéant, pour quelle période ?
- Dans la mesure où la déclaration d’invalidité doit être suspendue, convient-il d’exempter les Demandeurs de cette suspension et de prononcer un redressement individuel en leur faveur ?
- Pour les motifs qui suivent, les dispositions contestées par les Demandeurs qui régissent la filiation seront déclarées inopérantes, mais cette déclaration sera suspendue pour une durée de 12 mois. Aucun redressement individuel ne peut être prononcé en faveur des Demandeurs de sorte que ceux-ci devront attendre l’intervention du législateur pour établir définitivement la filiation de X, de Y, de Z et de A.
- L’inopérabilité d’une règle de droit incompatible avec la Constitution représente la conséquence directe et incontournable des termes mêmes du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982[255]. Cela dit, comme le prévoit explicitement la version anglaise de cette disposition, la règle de droit n’est inopérante que dans la mesure de son incompatibilité avec la Constitution. Dans l’arrêt Ontario c. G., la juge Karakatsanis explique à ce chapitre que[256] :
[86] Par « rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit », on veut dire que le tribunal qui est appelé à statuer sur la contestation constitutionnelle d’une loi doit déterminer dans quelle mesure la loi contestée est inconstitutionnelle et la déclarer telle. Notre jurisprudence nous enseigne qu’un degré de discrétion est inévitable pour décider comment répondre à l’incompatibilité entre des dispositions législatives et la Constitution.
- Ainsi, le choix d’une mesure de réparation appropriée comporte deux étapes[257]. La première consiste à délimiter l’étendue de l’incompatibilité entre la loi et la Constitution[258]. Comme l’explique la juge Karakatsanis dans l’affaire Ontario c. G., « L’analyse de la réparation qu’il convient d’accorder repose sur la nature et l’étendue de la violation sous‑jacente de la Charte, car la portée de la réparation qui est finalement accordée dépend notamment de l’étendue de la violation »[259].
- La deuxième étape consiste à déterminer le type de déclaration à prononcer compte tenu de cette incompatibilité, laquelle doit supprimer les vices constitutionnels entachant la loi[260]. C’est à cette étape qu’il faut examiner la possibilité de prononcer une mesure de réparation adaptée.
- En effet, le principe voulant que la loi est inopérante dans la pleine mesure de son incompatibilité avec une norme constitutionnelle a pour corollaire qu’il convient de maintenir les aspects de la loi qui s’avèrent compatibles avec la Constitution, le public ayant droit au bénéfice de ceux‑ci[261]. À ce chapitre, « En accordant des réparations adaptées pour corriger un vice constitutionnel en particulier, le tribunal peut préserver les droits constitutionnels de toutes les personnes touchées ainsi que les aspects constitutionnels de la loi en question »[262].
- La jurisprudence de la Cour suprême identifie trois mesures de réparation adaptées qui peuvent, le cas échéant, être prononcées à la place d’une déclaration d’invalidité intégrale, afin de préserver les aspects constitutionnels d’une loi contestée et de permettre au public d’en tirer bénéfice[263]. Il s’agit de[264] :
- L’interprétation atténuée (« reading down ») : le tribunal limite la portée d’une loi en la déclarant inopérante dans une mesure définie avec précision. Pour prononcer une interprétation atténuée, il faut être en mesure d’isoler la portion de la loi qui est incompatible avec la Constitution ;
- L’interprétation large (« reading in ») : il s’agit de l’inverse de l’interprétation atténuée. Le tribunal étend le champ d’application d’une loi en déclarant inopérante une limite implicite à sa portée. Cette mesure de réparation peut être prononcée « lorsque l’incompatibilité avec la Constitution “découle de ce que la loi exclut à tort plutôt que de ce qu’elle inclut à tort” »[265] (soulignements dans l’original) ; et
- La dissociation (« severance ») : le tribunal déclare inopérants certains termes d’une loi énoncés explicitement dans son libellé et qui sont par ailleurs irréguliers.
- Le pouvoir du tribunal de prononcer une mesure de réparation adaptée est assujetti à une limite fondamentale. Un tel redressement ne peut être accordé que « s’il est très plausible de présumer[266] que “le législateur aurait adopté la partie constitutionnelle de la loi en question sans la partie inconstitutionnelle” »[267]. À ce titre, la juge Karakatsanis mentionne dans Ontario c. G.[268] :
[114] […] S’il semble peu probable que le législateur aurait édicté la version adaptée de la loi, l’adaptation de la réparation ne serait pas conforme à son choix de politique et porterait donc atteinte à la souveraineté parlementaire […]. Le sens de la partie de la loi qui reste doit donc être examiné, et des réparations adaptées ne devraient pas être accordées lorsqu’elles risquent de nuire à l’objectif législatif de la loi dans son ensemble […].
- En outre, une réparation adaptée exige qu’il soit possible de définir avec précision la partie inconstitutionnelle de la loi[269]. Il en est ainsi car les tribunaux « ne sont pas aptes à faire “des choix particuliers entre diverses options” »[270].
- L’application des principes mentionnés ci-dessus implique l’exercice d’une mesure de discrétion judiciaire[271]. Or, cette discrétion est fondée sur des principes, lesquels peuvent être contradictoires, qui doivent être soupesés et réconciliés et dont l’importance des uns envers les autres doit être déterminée[272]. Dans l’arrêt Ontario c. G., la juge Karakatsanis nomme quatre principes fondamentaux et de nature constitutionnelle en matière de réparation, à savoir[273] :
- Les droits garantis par la Charte doivent être protégés par l’octroi de réparations efficaces ;
- Il est dans l’intérêt du public que les lois soient conformes à la Constitution ;
- Le public a droit au bénéfice de la loi ;
- Les tribunaux et les législateurs jouent des rôles institutionnels différents.
- Abordons à présent la première étape de l’analyse du choix de la mesure de réparation aux termes du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.
- En identifiant la réparation appropriée, le Tribunal doit d’abord garder à l’esprit la façon dont la loi viole la Charte canadienne et pourquoi la mesure attentatoire ne peut être justifiée en application de l’article premier[274].
- Comme nous l’avons vu, la limite de deux liens de filiation porte atteinte au droit à l’égalité garanti par le paragraphe 15(1) en tant que mesure discriminatoire fondée sur le statut familial dans le sens de l’appartenance à un modèle familial particulier. Cette limite ne se justifie pas en vertu de l’article premier, car elle ne poursuit aucun objectif urgent et réel. De surcroît, elle ne satisfait pas au critère de l’atteinte minimale, car il existe d’autres mesures beaucoup moins attentatoires.
- En somme, ce n’est pas l’ensemble du régime légal québécois de la filiation qui pose problème. L’incompatibilité avec la Constitution résulte de la portée trop limitative de ce régime puisqu’il limite la filiation à deux parents et ne reconnaît donc pas la réalité des familles pluriparentales.
- Les Demandeurs ne recherchent pas une déclaration d’invalidité générale des dispositions du C.c.Q. qu’ils contestent, mais bien une réparation adaptée. En demandant que ces dispositions soient déclarées invalides, mais uniquement dans la mesure où elles limitent la filiation à deux parents, ils recherchent l’invalidation de cette limite et souhaitent que les règles de la filiation du C.c.Q. soient appliquées sans égard à celle‑ci. Le redressement sollicité correspond ainsi à une interprétation large qui permettrait la reconnaissance de plus de deux liens de filiation.
- Cette réalité est illustrée par le fait que les Demandeurs sollicitent également des ordonnances et déclarations établissant la filiation triparentale des enfants en cause. De telles mesures de redressement ne seraient envisageables que si l’on appliquait aux diverses situations des familles demanderesses un ensemble de règles régissant la filiation, mais en faisant abstraction de la limite de deux liens de parenté.
- Dans le choix du type de déclaration à prononcer, il convient de cerner précisément la règle de droit qui porte atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne. Les Demandeurs dans les deux dossiers identifient à ce chapitre des dispositions différentes du C.c.Q.
- Comme nous l’avons vu, toutefois, la limite de deux liens de filiation ne découle pas d’une ou de plusieurs dispositions spécifiques du C.c.Q. qui interdisent plus de deux liens de filiation. Compte tenu de la nature de l’institution juridique que constitue la filiation en droit civil québécois, cette limite résulte plutôt de l’absence de toute disposition législative qui permettrait l’établissement de plus de deux liens et de l’économie générale du C.c.Q., laquelle s’oppose à une interprétation des dispositions régissant la filiation de façon à reconnaître la pluriparenté.
- En somme, c’est la portée trop limitative du régime québécois de la filiation qui pose un problème eu égard au droit à l’égalité protégé par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne. Comme mentionné, une mesure de réparation adaptée prenant la forme d’une interprétation large peut constituer le redressement approprié lorsque l’enjeu constitutionnel découle du fait que la loi exclut quelque chose à tort — en l’espèce, plus de deux liens de filiation.
- L’interprétation large recherchée par les Demandeurs serait efficace en ce sens qu’elle éliminerait l’atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne. Elle répondrait également à l’intérêt du public dans la conformité des lois à la Constitution, tout en préservant le droit du public au bénéfice de la loi.
- En revanche, le principe selon lequel les tribunaux et les législateurs jouent des rôles institutionnels différents constitue un obstacle insurmontable à l’interprétation large proposée par les Demandeurs. À ce titre, dans l’arrêt Ontario c. G., la juge Karakatsanis explique que le choix d’une réparation adaptée[275] :
[116] […] dépend de la réponse à la question de savoir si l’intention du législateur était telle qu’une cour peut raisonnablement conclure qu’il aurait adopté la loi telle que l’a modifiée la cour. Pour ce faire, la cour doit déterminer si l’objet général de la loi peut être réalisé sans qu’il y ait violation des droits. Si une réparation adaptée peut être accordée sans que la cour empiète sur le rôle du législateur, une telle réparation permettra de préserver les effets conformes sur le plan constitutionnel d’une loi ainsi que le bénéfice que cette loi procure au public. La primauté du droit est donc respectée si l’on veille à la conformité des lois avec la Constitution et si l’on s’assure que le public bénéficie des lois dans la mesure du possible.
- La question de savoir si le législateur aurait probablement adopté la loi en cause sans l’aspect inconstitutionnel doit recevoir une réponse nuancée. Il est raisonnable de croire que si le législateur avait su que la limite de deux liens de filiation était discriminatoire et inconstitutionnelle, il aurait adopté un régime de filiation autorisant la reconnaissance légale de plus de deux parents. Mais quel serait ce régime ?
- À vrai dire, il est probable que le législateur québécois — à l’instar d’autres ressorts canadiens — aurait jugé opportun d’assujettir la reconnaissance de plus de deux liens de filiation à des conditions ou des critères. À ce titre, de nombreuses solutions s’offrent au législateur et il ne revient pas au Tribunal de prendre la place des élus et de choisir parmi celles‑ci.
- De surcroît, puisque l’économie générale du C.c.Q. s’oppose à une interprétation de ses dispositions de façon à autoriser la reconnaissance de plus de deux liens de filiation, il n’est pas du tout évident de savoir comment le régime de filiation actuel s’appliquerait sans la limite de deux parents en cas d’une interprétation large écartant cette limite.
- Quelles seraient les règles applicables pour reconnaître la filiation de plus de deux parents et comment s’appliqueraient‑elles ? Toute personne qui s’estime partie à un projet parental devrait-elle, sans plus, être reconnue comme parent ? Faudrait-il plutôt exiger une possession constante d’état ? L’intérêt de l’enfant devrait-il intervenir comme critère additionnel ? Dans son état actuel, le C.c.Q. n’offre aucune solution à ces questions et l’interprétation large proposée par les Demandeurs les laisse également sans réponse.
- Par ailleurs, les tribunaux ne peuvent pas s’ériger en légistes et apporter de multiples modifications au C.c.Q. — et sans doute un grand nombre d’autres lois — afin de permettre que plus de deux liens de filiation soient légalement reconnus avec la clarté et la certitude requises. En somme, une interprétation large créerait une situation juridique confuse et incompatible avec les objectifs législatifs qui sous‑tendent le régime de la filiation, à savoir la stabilité et la prévisibilité des liens de filiation[276].
- En définitive, l’interprétation large proposée par les Demandeurs ne constitue pas une mesure de réparation respectueuse des rôles institutionnels différents des tribunaux et du législateur. Le redressement approprié consiste donc en une simple déclaration d’invalidité.
- Plusieurs dispositions du C.c.Q. sont visées par les Demandeurs. La déclaration d’invalidité prononcée par le Tribunal sera limitée aux dispositions contestées par ces derniers qui régissent la filiation comme telle et qui sont présentement en vigueur, à savoir les articles 523 à 524, 538 à 538.2, 539 à 539.1, 541.1 à 541.4, 541.6 à 541.9, 541.11, 541.14, 541.16 à 541.22, 541.25 à 541.29, 541.32 à 541.37, 542.19 à 542.21, 542.23, 542.31, 551 à 553 et 578.1 C.c.Q.
- Les parties conviennent que toute déclaration d’invalidité devrait être suspendue[277]. Toutefois, elles ne s’entendent pas sur la durée de cette suspension.
- Le pouvoir de suspendre une déclaration d’invalidité pendant une certaine période est compris dans celui de déclarer une loi invalide[278]. Bien qu’exceptionnelle et rare,[279] la suspension d’une déclaration d’invalidité peut s’avérer nécessaire pour protéger d’autres valeurs d’importance constitutionnelle. Comme l’explique la juge Karakatsanis[280] :
[117] Il arrive parfois qu’une déclaration d’invalidité avec effet immédiat soit susceptible de porter atteinte à un intérêt qui revêt une importance si grande que, tout bien considéré, les avantages qu’il y a à suspendre l’effet de cette déclaration l’emportent sur les inconvénients du maintien d’une loi inconstitutionnelle qui viole des droits garantis par la Charte .
- Pour faire suspendre une déclaration d’invalidité, l’État supporte le fardeau de démontrer qu’un intérêt public impérieux — intérêt qui doit être lié à un principe de réparation fondé sur la Constitution — justifie que l’on permette que la violation de la Constitution se perpétue, du moins de façon temporaire[281].
- Le Tribunal convient avec les parties que le principe selon lequel le public a droit au bénéfice de la loi — en l’espèce, le bénéfice du régime de filiation — justifie la suspension de la déclaration d’invalidité.
- Quant à la durée de la suspension, le fardeau de la justifier repose sur l’État. À ce titre, le PGQ propose une suspension de 24 mois. Ce long délai serait justifié par :
- La nécessité d’élaborer un projet de loi couvrant tout le corpus législatif où le concept de la filiation joue un rôle et de consulter dans son élaboration les ministères pertinents ainsi que des groupes de la société civile ;
- Une fois accepté par le Conseil des ministres, le projet de loi devra cheminer à travers les diverses étapes du processus parlementaire : la présentation, l’adoption du principe, l’étude détaillée en commission, la prise en considération du rapport de la commission et, enfin, l’adoption ; et
- Compte tenu de l’intérêt de la question, il est à prévoir que des consultations particulières et des auditions publiques seront requises après la présentation du projet de loi et avant l’adoption du principe.
- Sans doute, un délai est nécessaire pour permettre au législateur d’exercer adéquatement sa responsabilité constitutionnelle et d’adopter un régime de filiation qui respecte le droit à l’égalité. Des choix de nature politique devront être effectués lors de l’élaboration d’un tel régime, et cette tâche présente son lot de complexité. Le processus législatif comporte également des délais inhérents aux diverses étapes à parcourir.
- Cela dit, le délai recherché de 24 mois est inhabituellement long. Assurer la compatibilité de la législation québécoise avec les droits et libertés garantis par la Constitution doit correspondre à une priorité dans l’élaboration de l’ordre du jour législatif. Il convient d’accorder au législateur un délai de 12 mois pour la préparation et l’adoption d’un régime de filiation qui ne comporte pas la limite de deux liens de filiation jugée inconstitutionnelle.
- Les Demandeurs individuels souhaitent se voir exemptés de la période de suspension de la déclaration d’invalidité et pouvoir établir immédiatement la filiation des parents non reconnus.
- Le paragraphe 24(1) de la Charte canadienne autorise les tribunaux compétents à accorder des mesures de réparation individuelles convenables et justes en cas d’atteinte à un droit garanti :
24 (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances. | 24 (1) Anyone whose rights or freedoms, as guaranteed by this Charter, have been infringed or denied may apply to a court of competent jurisdiction to obtain such remedy as the court considers appropriate and just in the circumstances. |
- Lorsqu’une déclaration d’invalidité est suspendue, accorder au justiciable ayant mené la contestation constitutionnelle une exemption de l’effet de cette suspension représente souvent une réparation convenable et juste aux termes du paragraphe 24(1)[282]. Le demandeur ainsi exempté reçoit un redressement constitutionnel avec effet immédiat.
- Cela dit, une telle exemption entraînant une réparation immédiate et individuelle pour la partie demanderesse peut être refusée si des motifs impérieux le justifient[283]. C’est le cas en l’espèce, pour deux raisons.
- D’abord, la conséquence de la déclaration prononcée par le Tribunal est d’invalider plusieurs dispositions du C.c.Q. régissant la filiation. En suspendant cette déclaration d’invalidité pendant une période de 12 mois, ces dispositions continueront à s’appliquer dans leur forme actuelle.
- En revanche, si les Demandeurs étaient exemptés de la suspension, les dispositions seraient immédiatement invalides et inapplicables pour eux. En somme, elles n’existeraient plus dans leur cas. Ceci n’apporterait aucun avantage aux Demandeurs (bien au contraire) et surtout ne permettrait pas la reconnaissance des liens de filiation additionnels recherchés.
- Ensuite, ce que recherchent véritablement les Demandeurs correspond à une interprétation large individualisée. Or, pour toutes les raisons déjà exposées, l’interprétation large sollicitée par les Demandeurs — qu’elle soit générale ou individualisée — ne respecte pas les rôles institutionnels différents des tribunaux et du législateur.
- Notamment, pour chacun des enfants en cause, le Tribunal devrait élaborer des règles de filiation autorisant la reconnaissance de plus de deux liens, puis les appliquer à chaque situation différente. L’élaboration de telles règles implique nécessairement des choix de nature politique, lesquels reviennent au législateur.
- Dans les circonstances, la solution consiste à laisser au législateur le soin d’effectuer son travail et d’adopter une mesure correctrice, laquelle devrait avoir un effet rétroactif afin d’offrir une véritable réparation aux Demandeurs individuels et à toute personne se trouvant dans leur situation[284].
- De façon subsidiaire, les Demandeurs dans le Dossier M...‑P...‑D... contestent la décision du Directeur de l’état civil de dresser l’acte de naissance de X en n’y identifiant que madame P... comme mère et en y ajoutant la mention « Non déclaré » sous la rubrique de l’autre parent[285]. Bien que la question de la filiation de X soit qualifiée de subsidiaire, compte tenu de la suspension de la déclaration d’invalidité prononcée, il convient néanmoins de se pencher sur celle‑ci.
- Après la naissance de X, une déclaration de naissance est préparée et envoyée au Directeur de l’état civil. Elle identifie mesdames M... et P... comme les mères du nouveau-né[286]. Toutefois, en novembre 2021, bien avant sa naissance, les Demandeurs dans le Dossier M...-P...-D... avaient déjà signifié au Directeur de l’état civil et déposé en Cour supérieure du Québec une Demande en jugement déclaratoire. Cette demande est modifiée le 30 mars 2022. Le 30 mai 2022, chacun des Demandeurs souscrit une déclaration sous serment attestant de la véracité des faits allégués dans la demande modifiée.
- La demande modifiée décrit le projet de triparenté des Demandeurs dans le Dossier M...-P...-D.... Elle mentionne que madame P... et monsieur D... sont les parents biologiques de l’enfant à naître et que les trois Demandeurs entendent élever l’enfant ensemble à titre de parents. La demande recherche notamment qu’il soit ordonné au Directeur de l’état civil « de reconnaître les demandeurs à titre de parents de l’enfant à naître lors de l’établissement de l’acte de naissance ».
- X est né le [...] 2022. Le 14 juin, un représentant du Directeur de l’état civil écrit à mesdames P... et M... et les informe qu’un acte de naissance ne peut être dressé en les identifiant toutes deux comme mères[287]. Il explique que[288] :
[…] [L]a naissance de l’enfant ne peut être inscrite telle que demandée considérant votre Demande en jugement déclaratoire, pourvoi en contrôle judiciaire et avis au Procureur général du Québec (500‑17‑119125‑212) qui a été signifié au [Directeur de l’état civil] et dans laquelle il appert que Monsieur N... D... a l’intention d’établir sa filiation à l’égard de l’enfant. En conséquence, les dispositions du Code civil du Québec relatives à l’établissement de la filiation ne permettent pas d’établir la filiation de l’enfant à l’égard de Madame V... M....
- Selon les Demandeurs, le Directeur de l’état civil a ainsi rendu une décision déraisonnable et illégale. Ils soutiennent qu’il ne revient pas à ce dernier de vérifier la filiation de l’enfant. Son pouvoir est lié et consiste à dresser l’acte de naissance conformément aux informations reçues dans la mesure où celles-ci sont conformes aux exigences de la loi[289].
- Les Demandeurs ajoutent que le pouvoir d’enquête sommaire du Directeur de l’état civil est limité aux cas visés par les articles 109, 114 et 130 C.c.Q. et ne s’applique pas en l’espèce. Le Directeur aurait donc rendu une décision déraisonnable en prenant en considération la Demande en jugement déclaratoire pour écarter la déclaration de naissance, pourtant remplie de façon conforme à la loi.
- Les arguments des Demandeurs ne peuvent être retenus. Voici pourquoi.
- C’est la norme de contrôle d’application présumée — soit celle de la décision raisonnable — qui régit l’intervention du Tribunal eu égard à la décision du Directeur de l’état civil de dresser un acte de naissance qui s’écarte de la déclaration de naissance reçue des Demandeurs[290]. Dans les circonstances particulières de la présente affaire, faisant preuve de la déférence qui s’impose, force est de conclure que la décision du Directeur n’est pas déraisonnable.
- Le premier alinéa de l’article 130 C.c.Q. donne au Directeur de l’état civil un pouvoir d’enquête sommaire quand il constate qu’une naissance est déclarée incorrectement (« inaccurately » dans la version anglaise) :
130. Lorsqu’une naissance, un mariage, une union civile ou un décès survenu au Québec n’est pas constaté ou déclaré, ou l’est incorrectement ou tardivement, le directeur de l’état civil procède à une enquête sommaire, dresse l’acte de l’état civil sur la foi de l’information qu’il obtient et l’insère dans le registre de l’état civil. […] | 130. Where a birth, marriage, civil union or death having occurred in Québec is not attested or declared or is attested or declared inaccurately or late, the registrar of civil status makes a summary investigation, draws up the act of civil status on the basis of the information he obtains and inserts the act in the register of civil status. […] |
- Au moment où il reçoit la déclaration de naissance complétée par les Demandeurs, le Directeur de l’état civil est informé que monsieur D... est le père reconnu de X et qu’il réclame la reconnaissance d’un lien de filiation avec son fils. Cette information lui permet de croire que la naissance de X n’a pas été déclarée correctement. En effet, l’on n’y retrouve aucune mention de monsieur D..., bien que son statut de père soit reconnu et réclamé. Ceci donne manifestement ouverture au pouvoir d’enquête sommaire du Directeur aux termes du premier alinéa de l’article 130 C.c.Q.[291]
- Dans les circonstances, le Directeur de l’état civil n’était pas tenu de suivre aveuglément la déclaration de naissance. Il pouvait dresser l’acte de naissance sur la foi des informations obtenues dans le cadre de son enquête sommaire.
- Or, cette enquête sommaire révèle que les dispositions du C.c.Q. concernant la filiation par procréation assistée — lesquelles permettraient de reconnaître chacune de mesdames P... et M... comme mères dans l’acte de naissance — ne s’appliquent pas. En effet, en cas de procréation assistée, le donneur de forces génétiques, en l’occurrence monsieur D..., ne peut être une partie au projet parental[292]. Pourtant, les Demandeurs avaient formellement informé le Directeur de l’état civil que monsieur D... faisait partie du projet parental et n’avait pas renoncé à son lien de filiation avec X.
- Dans les circonstances, la décision du Directeur de l’état civil de ne pas dresser un acte de naissance identifiant mesdames M... et P... comme mères est transparente, intelligible et justifiée. Elle fait partie des issues possibles au regard des contraintes factuelles et juridiques applicables.
- Finalement, et de manière subsidiaire à leur moyen fondé sur le caractère déraisonnable de la décision du Directeur de l’état civil, les Demandeurs dans le Dossier M...‑P...‑D... recherchent une ordonnance reconnaissant le lien de filiation entre monsieur D... et X. Le PGQ convient que conformément aux dispositions du C.c.Q. régissant la filiation par le sang, la parenté de monsieur D... doit être reconnue.
- Peu importe la solution que le législateur apportera pour corriger l’inconstitutionnalité de la limite de deux liens de filiation, il n’est pas contesté que le lien de filiation entre monsieur D... et X existe et doit être reconnu. Le Tribunal prononcera donc une ordonnance selon laquelle monsieur D... devra être inscrit comme père de X dans le registre de l’état civil.
- Habituellement, en matière familiale, les frais de justice sont à la charge de chacune des parties. Toutefois, la présente affaire constitue surtout une cause relevant du droit constitutionnel, domaine dans lequel les frais de justice sont généralement attribués. Ainsi, conformément à l’article 340 C.p.c, ayant obtenu gain de cause, les Demandeurs ont droit aux frais de justice. Aux termes de l’article 339 C.p.c., ceux‑ci comprennent les frais d’expertise.
* * * *
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- ACCUEILLE en partie la Demande en jugement déclaratoire et pourvoi en contrôle judiciaire re-modifiée dans le dossier 500-17-119125-212 ;
- ACCUEILLE en partie la Demande introductive d’instance en jugement déclaratoire re-re-modifiée dans le dossier 500-04-079533-239 ;
- DÉCLARE que parce que le régime de la filiation du Code civil du Québec ne permet pas l’établissement de la filiation à l’égard de plus de deux parents, il porte atteinte au droit à l’égalité garanti par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés ;
- DÉCLARE que cette atteinte au droit à l’égalité ne peut se justifier aux termes de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés ;
- DÉCLARE que les articles 523 à 524, 538 à 538.2, 539 à 539.1, 541.1 à 541.4, 541.6 à 541.9, 541.11, 541.14, 541.16 à 541.22, 541.25 à 541.29, 541.32 à 541.37, 542.19 à 542.21, 542.23, 542.31, 551 à 553 et 578.1 du Code civil du Québec sont invalides et inopérants aux termes de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 ;
- SUSPEND la déclaration d’invalidité pour une période de douze (12) mois ;
- ORDONNE au Directeur de l’état civil d’inscrire monsieur N... D... comme père de l’enfant X, né le [...] 2022 à Ville A ;
- AVEC frais de justice, y compris les frais d’expertise, en faveur des demandeurs.
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| ANDRES C. GARIN, j.c.s. |
|
Me Bernard Amyot, Ad. E. |
Me Christophe Savoie |
LCM Avocats inc. |
Me Marc-André Landry |
Lavery, De Billy s.e.n.c.r.l. |
Co‑procureurs des demandeurs (no 500-17-119125-212) |
|
Me Sarah Woods | Me Frédérique Drainville | Me Adrianne Desmarais Fyfe | Me Simon Bouthillier | Me Sajeda Hedaraly | McCarthy Tétrault s.e.n.c.r.l., s.r.l. |
|
Me Michel Bélanger-Roy | Me Jérémy Boulanger-Bonnelly | Me Briana Fragapane | Norton Rose Fulbright Canada s.e.n.c.r.l., s.r.l. |
|
Co‑procureurs des demandeurs (no 500-04-079533-239) |
|
Me Marie-France Le Bel |
Me Luc-Vincent Gendron-Bouchard |
Me Gabrielle St-Martin Deaudelin |
Me Christophe Achdjian |
Me Philippe Clément |
Bernard, Roy (Justice‑Québec) |
Procureurs du Directeur de l’état civil et du Procureur général du Québec |
|
Me Julien Boudreault |
Me Renaud Gravel |
Me Kevin Anglehart |
Borden Ladner Gervais s.e.n.c.r.l., s.r.l. |
Procureurs de l’intervenante Égale Canada inc. |
|
|
Me Laura Cárdenas |
Me Étienne Morin-Lévesque |
Me Marianne Goyette |
IMK s.e.n.c.r.l. |
Procureurs de l’intervenante Association des juristes progressistes |
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Dates d’audience : | 14, 17, 18, 19, 20 et 21 juin 2024. |
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CHAPITRE QUATRIÈME DU REGISTRE ET DES ACTES DE L’ÉTAT CIVIL […] SECTION III DES ACTES DE L’ÉTAT CIVIL […] § 2. — Des actes de naissance […] 114. Seul le père ou la mère ou le parent peut déclarer la filiation de l’enfant à son égard. Cependant, lorsque la conception ou la naissance survient pendant le mariage, l’union civile ou l’union de fait, l’un des conjoints peut déclarer la filiation de l’enfant à l’égard de l’autre. Dans le cas d’une union de fait, le conjoint déclarant doit fournir avec la déclaration de naissance une déclaration sous serment dans laquelle il fait état des faits et des circonstances permettant de démontrer que l’enfant est né pendant l’union ou dans les 300 jours après la fin de celle-ci. Il doit également y joindre une déclaration sous serment d’une tierce personne permettant de corroborer sa déclaration ainsi que, le cas échéant, tout autre élément prouvant son union avec son conjoint. Au besoin, le directeur de l’état civil procède à une enquête sommaire pour obtenir des informations supplémentaires. Aucune autre personne ne peut déclarer la filiation à l’égard d’un parent sans l’autorisation de ce dernier. 115. La déclaration de naissance énonce le nom attribué à l’enfant, son prénom usuel s’il a plusieurs prénoms, son sexe, les lieu, date et heure de sa naissance ainsi que le nom et le domicile de ses père et mère ou de ses parents. Elle énonce également le lien de parenté du déclarant avec l’enfant. Le déclarant est alors désigné comme étant le père, la mère ou le parent selon la mention du sexe figurant à son acte de naissance ou, à son choix, comme étant le parent de l’enfant. […] TITRE DEUXIÈME DE LA FILIATION CHAPITRE PREMIER DISPOSITIONS GÉNÉRALES 522. Tous les enfants dont la filiation est établie ont les mêmes droits et les mêmes obligations, quelles que soient les circonstances de leur naissance. 522.1. La filiation d’un enfant se prouve par son acte de naissance, quelle que soit la façon dont elle est établie. CHAPITRE DEUXIÈME DE LA FILIATION DE NAISSANCE SECTION I DISPOSITION GÉNÉRALE 522.2. Tous les enfants ont droit à l’établissement de leur filiation dans les conditions prévues au présent chapitre, sans autre considération. SECTION II DE LA FILIATION PAR LA RECONNAISSANCE OU PAR LE SANG 523. La filiation de l’enfant s’établit à l’égard de la mère ou du parent par le fait de lui avoir donné naissance et, à l’égard du père ou de l’autre parent, par la reconnaissance d’un lien de filiation dans la déclaration de naissance conformément aux règles prévues au présent code. À défaut de cette reconnaissance dans la déclaration de naissance, la possession constante d’état suffit. 524. La possession constante d’état s’établit par une réunion suffisante de faits qui indiquent les rapports de filiation entre l’enfant et la personne qui se conduit à son égard comme son parent. Pour que la possession soit constante, une telle conduite doit commencer à la naissance de l’enfant et se poursuivre sur une période minimale de 24 mois, sauf circonstances exceptionnelles. La possession constante d’état ne peut s’établir dans les cas où elle est exercée par plus d’une personne simultanément. 525. L’enfant né pendant le mariage, l’union civile ou l’union de fait ou dans les 300 jours après sa dissolution, son annulation ou, dans le cas de l’union de fait, sa fin, est présumé avoir pour autre parent le conjoint de sa mère ou du parent qui lui a donné naissance. La présomption est écartée à l’égard de l’ex-conjoint lorsque l’enfant est né dans les 300 jours de la dissolution ou de l’annulation du mariage ou de l’union civile ou de la fin de l’union de fait, mais après le mariage, l’union civile ou l’union de fait subséquent de sa mère ou du parent qui lui a donné naissance. Cette présomption est également écartée lorsque l’enfant naît plus de 300 jours après le jugement prononçant la séparation de corps des époux, sauf s’il y a eu reprise volontaire de la vie commune avant la naissance. La présomption est aussi écartée lorsque l’enfant est issu d’une activité de procréation assistée réalisée après le décès du conjoint de sa mère ou du parent qui lui a donné naissance. [Les articles 526 to 537 sont abrogés.] | CHAPTER IV REGISTER AND ACTS OF CIVIL STATUS […] DIVISION III ACTS OF CIVIL STATUS […] § 2. — Acts of birth […] 114. Only the father, mother or parent may declare the filiation of a child with regard to themselves. However, where the child is conceived or born during the marriage, civil union or de facto union, one of the spouses may declare the filiation of the child with regard to the other spouse. In the case of a de facto union, the declaring spouse must provide, with the declaration of birth, an affidavit in which the spouse states the facts and circumstances showing that the child was born during the union or within 300 days after the end of the union. The spouse must also attach to the declaration an affidavit from a third person corroborating the spouse’s affidavit and, where applicable, any other evidence proving the union. If need be, the registrar of civil status makes a summary investigation to obtain additional information. No other person may declare the filiation with regard to one of the parents, except with the authorization of that parent. 115. A declaration of birth states the name assigned to the child, the usual given name if the child has more than one given name, the sex, the place, date and time of birth, and the name and domicile of the child’s father and mother or parents. It also states the family relationship between the declarant and the child. The declarant is then designated as being the father, mother or parent according to the designation of sex appearing in the declarant’s act of birth or, at the declarant’s choice, as being the child’s parent. […] TITLE TWO FILIATION CHAPTER I GENERAL PROVISIONS 522. All children whose filiation is established have the same rights and obligations, regardless of their circumstances of birth. 522.1. The filiation of a child is proved by his act of birth, regardless of the manner in which filiation is established. CHAPTER II FILIATION BY BIRTH DIVISION I GENERAL PROVISION 522.2. All children have a right to the establishment of their filiation in accordance with the conditions provided for in this chapter, without further consideration. DIVISION II FILIATION BY ACKNOWLEDGEMENT OR BY BLOOD 523. The filiation of a child is established with regard to the mother or parent by the fact of their having given birth to him and, with regard to the father or other parent, by the acknowledgement of a bond of filiation in the declaration of birth in accordance with the rules prescribed by this Code. In the absence of such an acknowledgement in the declaration of birth, uninterrupted possession of status is sufficient. 524. Uninterrupted possession of status is established by an adequate combination of facts which indicate the relationship of filiation between the child and the person who acts toward him as his parent. For possession to be uninterrupted, such conduct must begin at the child’s birth and continue for a minimum period of 24 months, except in exceptional circumstances. Uninterrupted possession of status may not be established in cases where it is exercised by more than one person simultaneously. 525. A child born during a marriage, civil union or de facto union or within 300 days after its dissolution or annulment or, in the case of a de facto union, its end, is presumed to have as the other parent the spouse of his mother or of the parent who gave birth to him. The presumption is rebutted with regard to the former spouse where the child is born within 300 days of the dissolution or annulment of the marriage or civil union or of the end of the de facto union, but after a subsequent marriage, civil union or de facto union of his mother or of the parent who gave birth to him. The presumption is also rebutted if the child is born more than 300 days after the judgment ordering separation from bed and board of married spouses, unless the spouses have voluntarily resumed their community of life before the birth. The presumption is rebutted as well if the child is born of an assisted procreation activity carried out after the death of the spouse of his mother or of the parent who gave birth to him. [Articles 526 to 537 have been repealed.] |
[1] Articles 237 à 241 du Code civil du Bas‑Canada, LC 1865, c. 41.
[2] Ou unis civilement (voir les articles 521.1 à 521.19 du Code civil du Québec (C.c.Q.)).
[3] Les familles « pluriparentales » comprennent toute famille dans laquelle plus de deux adultes sont considérés comme parents d’un ou de plusieurs enfants. Elles incluent les familles « triparentales » composées de trois adultes qui sont tous parents d’un ou de plusieurs enfants.
[4] Colombie‑Britannique : article 30 du Family Law Act, SBC 2011, c. 25; Ontario : articles 9 et 10 de la Loi portant réforme du droit de l’enfance, LRO 1990, c. C.12 ; Saskatchewan : article 61 de la Loi de 2020 sur le droit de l’enfance, LS 2020, c. 2 ; Yukon : paragraphes 1(1), 4(2) et 7(1) de la Loi sur les statistiques de l’état civil, LRY 2002, c. 225.
[5] Voir notamment : N. Cammu, « Intent to Parent is What Makes a Parent? A Comparative Analysis of the Role of Intent in Multi‑Parenthood Recognition » (2019) 32 Canadian Journal of Family Law 281, p. 301‑303.
[6] A.A, c. B.B., 2007 ONCA 2; Reference re: Children’s Law Act (Nfld. & Lab.), 2018 NLSC 71; et British Columbia Birth Registration No. 2018-XX-XX5815, 2021 BCSC 767.
[7] W. (V.) c. S. (D.), [1996] 2 RCS 108, par. 59.
[8] Représentations orales au nom du PGQ le 19 juin 2024.
[10] I. Côté, Les modalités familiales pluriparentales, p. 15 (pièce P‑8) [Rapport Côté] ; voir également : K. Poitras, Rapport d’expertise psychologique et des capacités parentales, p. 26 (P‑16) [Rapport Poitras]. Selon cette preuve experte, les facteurs qui ont une valeur prédictive sur le bien-être des enfants sont plutôt : 1) la qualité de la relation parents-enfants, 2) la qualité des relations entre les parents, 3) la disponibilité des ressources sociales et économiques, et 4) les caractéristiques personnelles des parents et des enfants : Rapport Côté, p. 17‑25.
[13] Au début, la fille adolescente ainée de madame M... et de monsieur D... est plus réfractaire à la nouvelle organisation familiale.
[14] Rapport Poitras, précité.
[24] Droit de la famille — 20572, 2020 QCCA 585, par. 23 ; Droit de la famille — 191677, 2019 QCCA 1386, par. 100 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada rejetée : J.M. c. C.L., 2020 CanLII 25168 (CSC)) ; R. Leckey, « Filiation » (2020) 66 RD McGill 73, p. 73 [Leckey 2020] ; R. Leckey, “‘Where the parents are of the Same Sex’: Quebec’s Reforms to Filiation,” (2009) 23 International Journal of Law and Policy 62, p. 63 [Leckey 2009] ; F. Allard et al. (dir.), Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues : Les familles, 2e éd. (Montréal, Yvon Blais, 2016), p. 60 ; M. Tétrault, Droit de la famille : La filiation, l’enfant et le litige familial, vol. 3 (Montréal : Yvon Blais, 2019), p. 2 [Tétrault].
[25] Droit de la famille — 191677, précité, par. 98 et 100 ; Droit de la famille — 11394, 2011 QCCA 319, par. 24 ; Droit de la famille — 111729, 2011 QCCA 1180, par. 62 ; Leckey 2020, précité, p. 73 ; Leckey 2009, précité, p. 64‑65.
[26] Droit de la famille — 191677, précité, par. 103 ; M. D.‑Castelli et D. Goubau, Le droit de la famille au Québec,5e éd. (Québec : PUL, 2005), p. 183 et 185 ; Leckey 2009, précité, p. 64 ; Tétrault, précité, p. 3.
[27] Droit de la famille — 20572, précité, par. 23.
[28] Tétrault, précité, p. 4.
[29] Voir à ce titre : Leckey 2009, précité, p. 64‑69.
[30] Voir les articles 218 à 241 du Code civil du Bas‑Canada.
[31] Tétrault, précité, p. 4.
[32] Article 594 du Code civil du Québec (1980), L.Q. 1980, c. 39.
[33] Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, LQ 2002, c. 6, art. 30.
[34] Droit de la famille — 20572, précité, par. 24 ; Droit de la famille — 11394, précité, par. 24 ; Tétrault, précité, p. 4‑5.
[35] Le Tribunal réfère aux versions des articles du C.c.Q. en vigueur avant le 6 juin 2023.
[36] Droit de la famille — 171644, 2017 QCCA 1088, par. 24 ; Leckey 2020, précité, p. 73‑74 ; Tétrault, précité, p. 6.
[37] Droit de la famille — 20572, précité, par. 25.
[39] Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et visant la protection des enfants nés à la suite d’une agression sexuelle et des personnes victimes de cette agression ainsi que les droits des mères porteuses et des enfants issus d’un projet de grossesse pour autrui, LQ 2023, c. 13 [Projet de loi no 12]. Il convient aussi de mentionner la Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité et d’état civil, LQ 2022, c. 22 [Projet de loi no 2], laquelle apporte notamment des modifications terminologiques aux dispositions régissant la filiation afin de tenir compte des différentes réalités des personnes de minorités sexuelles ou des parents trans ou non binaires.
[40] Droit de la famille — 11394, précité, par. 58 ; Droit de la famille — 191677, précité, par. 66.
[41] Droit de la famille — 191677, précité, par. 18.
[42] Ibid., par. 100‑101.
[44] Leckey 2020, précité, p. 73.
[45] Épiciers Unis Métro-Richelieu Inc., division Éconogros c. Collin, 2004 CSC 59.
[46] Ibid., par. 20‑22 ; voir aussi : Droit de la famille — 2197, 2021 QCCA 165, par. 40 ; et P.‑A. Côté et M. Devinat, Interprétation des lois, 5e éd. (Montréal : Yvon Blais, 2021), par. 102 à 109 [Côté & Devinat].
[47] Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, par. 21, citant E.A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983), p. 87.
[48] Article 41 de la Loi d’interprétation, RLRQ c. I‑16.
[49] Doré c. Verdun (Ville), [1997] 2 RCS 862, par. 15‑16.
[50] Article 41.1 de la Loi d’interprétation, précitée.
[51] Côté & Devinat, précité, par. 1070. Voir aussi : GreCon Dimter inc. c. J.R. Normand inc., 2005 CSC 46, par. 19 ; Droit de la famille — 211290, 2021 QCCA 1123, par. 45.
[52] J.E.C. Brierley et R.A. Macdonald, (dir.), Quebec Civil Law: An Introduction to Quebec Private Law (Toronto : Emond Montgomery, 1993), p. 139‑140.
[53] Leckey 2020, précité, p. 73.
[54] Tétrault, précité, p. 5.
[56] Article 61.1 de la Loi d’interprétation, précitée.
[57] Droit de la famille — 111729, précité, par. 41‑42 ; Droit de la famille — 191677, précité, par. 93‑95.
[58] La version présentement en vigueur de ces dispositions est reproduite à l’Annexe A. À l’époque, les articles 530 à 537 C.c.Q. régissait les actions relatives à la filiation. Il n’est pas nécessaire de les reproduire.
[59] La version présentement en vigueur de ces dispositions est également reproduite à l’Annexe A. En décembre 2011, au moment de la naissance de Y, l’article 115 C.c.Q. se lisait ainsi :
115. La déclaration de naissance énonce le nom attribué à l’enfant, son sexe, les lieu, date et heure de la naissance, le nom et le domicile des père et mère et du témoin, de même que le lien de parenté du déclarant avec l’enfant. Lorsque les parents sont de même sexe, ils sont désignés comme les mères ou les pères de l’enfant, selon le cas. L’auteur de la déclaration joint à celle-ci un exemplaire du constat de naissance. | 115. A declaration of birth states the name assigned to the child, the sex and the place, date and time of birth of the child, the name and domicile of the father, of the mother, and of the witness, and the family relationship between the declarant and the child. Where the parents are of the same sex, they are designated as the mothers or fathers of the child, as the case may be. The person who makes the declaration attaches to it a copy of the attestation of birth. |
[60] Il en est également de même pour ce qui est des dispositions équivalentes présentement en vigueur. Voir l’Annexe A.
[62] Voir aussi les articles 552 et 553 C.c.Q. qui mentionnent également les deux « parents » de l’enfant avant son adoption.
[63] L’alinéa 2 de l’article 577 C.c.Q. comporte également une limite implicite de deux liens de filiation.
[64] Le Tribunal ne se prononce pas sur les adoptions en vertu d’un droit coutumier autochtone, ni des liens de filiation qui pourraient en résulter ou survivre à une telle adoption (voir notamment les articles 132, 132.0.1, 149.1 et 577.1 C.c.Q.).
[65] Article 61.1 de la Loi d’interprétation, précitée.
[66] Projet de loi no 2, précité ; et Projet de loi no 12, précité.
[67] Le nouvel article 538.1 C.c.Q. suit cette même logique fondée sur un modèle de parenté bipartite.
[68] Articles 524, 538.1, 542.19 C.c.Q. En particulier, l’article 524 C.c.Q. est modifié en 2023 par l’ajout notamment d’un deuxième alinéa qui prévoit que « La possession constante d’état ne peut s’établir dans les cas où elle est exercée par plus d’une personne simultanément. / Uninterrupted possession of status may not be established in cases where it is exercised by more than one person simultaneously ». Les Demandeurs plaident que puisque cette disposition n’est pas d’application rétroactive, elle ne s’applique pas à leur situation. Elle reflète néanmoins l’économie générale du Code, laquelle s’oppose à plus de deux liens de filiation.
[69] Articles 541.1 à 541.4 et 541.6 à 541.9, 541.21 et 541.36 C.c.Q.
[70] Droit de la famille – 07528, 2007 QCCA 361, par. 55 ; voir aussi : Droit de la famille — 181478, 2018 QCCA 1120, par. 5 ; Droit de la famille — 161633, 2016 QCCA 1142, par. 19 ; Droit de la famille — 221332, 2022 QCCS 2867, par. 42 ; Droit de la famille — 181937, 2018 QCCS 3904, par. 1 ; voir aussi : M. Lessard, « Les amoureux sur les bancs publics : le traitement juridique du polyamour en droit québécois », (2019) 32 Canadian Journal of Family Law 1, p. 31‑35.
[72] Droit de la famille — 191677, précité, par. 68. Le juge Kasirer s’exprime ainsi sur la question de la reconnaissance de la triple filiation :
[68] Bien que le juge de première instance ait cru utile d’exposer son point de vue sur la triple filiation en détail — quant à son inexistence en droit québécois et à l’opportunité pressante de la reconnaître à titre de lex ferenda — je m’abstiendrai de le faire ici. Je prends bonne note que la Cour, dans des circonstances fort différentes des nôtres, a pu observer que le droit positif ne la consacre pas formellement. Aussi suis-je sensible aux arguments de texte qui laissent croire que le législateur n’admet pas la tri-parenté. Si certaines provinces canadiennes s’ouvrent à la possibilité qu’un enfant ait trois parents, le droit civil québécois diffère du droit positif applicable ailleurs au pays en la matière. D’une part, l’établissement de la filiation par la loi, dans ce contexte, ne laisse que peu ou pas de place au pouvoir discrétionnaire du juge au Québec et, d’autre part, la distinction qui nous concerne ici — entre parenté et parentalité — s’articule autrement en common law. […].
[Soulignements ajoutés]
[73] Voir par analogie : 6362222 Canada inc. c. Prelco inc., 2021 CSC 39, par. 91.
[74] Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, par. 62 ; voir aussi les par. 63‑66 ; La Presse inc. c. Québec, 2023 CSC 22, par. 24 et 58 ; et Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), 2002 CSC 76, par. 178.
[75] Précité, par. 28 ; voir aussi : Droit de la famille — 11394, précité, par. 57‑58 ; Droit de la famille — 191677, précité, par. 106 et 169.
[76] B. Moore (dir.) Code civil du Québec : Annotations – Commentaires, 8e éd. (Montréal : Yvon Blais, 2023), art. 33 ; voir aussi : C. Lavallée, L’enfant, ses familles et les institutions de l’adoption : regards sur le droit français et le droit québécois (Montréal : Wilson & Lafleur, 2005), par. 347.
[77] Droit de la famille — 131294, 2013 QCCA 883, par. 36 ; Michel c. Graydon, 2020 CSC 24, par. 72 et 102.
[78] Voir l’article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant, R.T. Can. 1992, no 3 (ratifiée par le Canada en 1991). Sur la présomption de conformité de la législation avec les obligations internationales du Canada voir : Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Directrice de la protection de la jeunesse du CISSS A, 2024 CSC 43, par. 26 ; R. c. Appulonappa, 2015 CSC 59, par. 40 ; R. c. Hape, 2007 CSC 26, par. 53‑54 ; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, par. 70.
[79] Conseil canadien pour les réfugiés c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC, 17, par. 56.
[80] Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 RCS 46, par. 58 [G. (J.)] ; Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, par. 55 [Blencoe] ; Office des services à l’enfant et à la famille de Winnipeg c. K.L.W., 2000 CSC 48, par. 85 [K.L.W.].
[81] G. (J.), précité, par. 60 ; K.L.W., précité, par. 85 ; Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, par. 64 [Carter].
[82] Blencoe, précité, par. 57.
[83] Le PGQ soutient que les conséquences psychologiques dont se plaignent les Demandeurs ne sont pas imputables à l’État. À ce titre, l’article 7 de la Charte canadienne exige un lien de causalité suffisant — c’est-à-dire une cause contributoire suffisante — entre le préjudice subi et la disposition contestée (Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, par. 75‑76 ; P. W. Hogg et W. K. Wright, Constitutional Law of Canada, 5e éd. suppl. (Toronto : Thomson Reuters, 2024), § 47:7:50). Or, puisque le critère de la gravité de l’atteinte psychologique n’est pas satisfait en l’espèce, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la suffisance du lien causal. Le PGQ plaide également que les Demandeurs recherchent une action positive de la part de l’État — à savoir la création de liens de filiation additionnels. Selon le PGQ, l’article 7 de la Charte n’impose aucune obligation positive à l’État. Dans l’arrêt Gosselin c. Québec (Procureur général), 2002 CSC 84, la majorité de la Cour suprême mentionne que rien dans la jurisprudence ne tend à indiquer que l’article 7 impose à l’État une obligation positive (par. 81). Cependant, elle ne ferme pas catégoriquement la porte à cette possibilité (par. 83). En l’espèce, les Demandeurs n’ont pas démontré que la sécurité de la personne ou la liberté sont « en jeu ». Il n’est donc pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si ceux‑ci recherchent véritablement une action positive et, le cas échéant, si l’article 7 peut donner ouverture à une telle réclamation.
[84] Témoignage de I. Côté ; témoignage de K. Lavoie.
[85] K. Lavoie, Faire famille au-delà du couple : pluriparenté et coparentalité élective, par. 53 (pièce P‑5A) [Rapport Lavoie].
[87] D. Béchard en collaboration avec J. Béchard, L’expert, (Cowansville : Yvon Blais, 2011), p, 182 ; Churchill Falls (Labrador) Corporation Ltd. c. Hydro-Québec, 2014 QCCS 3590, par. 293.
[88] La preuve du professeur Lavoie a néanmoins été d’une certaine utilité pour le Tribunal.
[89] Par exemple, la famille M...‑P...‑D..., plaide que la limite de deux liens de filiation nie le droit de leur fils de bénéficier de liens fraternels avec ses demi‑frères et demi-sœurs (Plan d’argumentation modifié, par. 388). Elle soutient également que cette limite affecte X dans sa faculté de construire son identité propre (Plan d’argumentation modifié, par. 389). Aucune preuve ne vient appuyer ces arguments.
[90] Même en cas de rupture familiale menant à un différend judiciarisé, les questions de la garde et des droits d’accès, le cas échéant, seront tranchées en fonction de l’intérêt de l’enfant. À ce titre, le parent qui n’entretient pas de lien de filiation avec l’enfant peut néanmoins se voir attribuer des droits d’accès ou même la garde. Voir Droit de la famille — 191677, précité, par. 104.
[92] Plan d’argumentation modifié de la famille M...‑P...‑D..., par. 370‑385 ; Notes et autorités des Demandeurs dans le Dossier de la Coalition, par. 420‑421.
[93] R. c. Morgentaler, [1988] 1 RCS 30, p. 164‑171.
[94] [1995] 1 RCS 315, par. 80‑81 [B. (R.)].
[95] [1997] 3 RCS 844, par. 65‑67 [Godbout].
[96] Blencoe, précité, par. 49 ; R. c. Malmo‑Levine ; R. c. Caine, 2003 CSC 74, par. 85 [Malmo‑Levine].
[97] Blencoe, précité, par. 49‑54.
[98] Carter, précité, par. 64 ; voir aussi : A.C. c. Manitoba (Directeur des services à l’enfant et à la famille), 2009 CSC 30, par. 100 [A.C.].
[99] Blencoe, précité, par. 49 ; Carter, précité, par. 68 ; A.C., précité, par. 100.
[100] Godbout, précité, par. 66 ; Blencoe, précité, par. 51.
[102] Godbout, précité, par. 68.
[103] Blencoe, précité, par. 49 ; Carter, précité, par. 68 ; A.C., précité, par. 100.
[104] Blencoe, précité, par. 54.
[108] Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier et McLachlin.
[110] Les juges L’Heureux-Dubé et McLachlin.
[111] Pour une critique de la « liberté parentale » à titre de volet du droit à la liberté de l’article 7 de la Charte canadienne, voir : M. Carter, « “Debunking” Parents’ Rights in the Canadian Constitutional Context » (2008) 86 Revue du Barreau canadien 479, p. 500‑502.
[112] Dans l’affaire Centrale de l’enseignement du Québec c. Québec (Procureur général), 1998 CanLII 12481 (QC CA), la juge Rousseau‑Houle note l’absence d’une majorité au sein de la Cour suprême sur la question de la protection de la liberté parentale aux termes de l’article 7 de la Charte canadienne (p. 66) ; il en est de même pour la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’affaire B.S. c. British Columbia (Director of Child, Family and Community Services), 1998 CanLII 5958 (BC CA), par. 37. Quant à la Cour d’appel de l’Alberta, elle présume, sans décider de la question, que l’article 7 protège la liberté parentale dans l’arrêt C.J.S. c. K.L., 1997 ABCA 381, par. 19 ; dans un autre arrêt, elle mentionne que la liberté sous l’article 7 entre possiblement en jeu (« arguably engaged ») par la décision de devenir ou non un parent : Doe c. Alberta, 2007 ABCA 50, par. 27. En revanche, dans l’affaire A.B. c. C.D., 2020 BCCA 11, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique mentionne que l’article 7 protège le droit des parents de prendre des décisions pour leurs enfants concernant des questions fondamentales, comme les soins de santé (par. 208). Le juge en chef Bauman et la juge Fisher citent à l’appui l’arrêt B. (R.), précité, sans mentionner que les motifs du juge La Forest sur cette question ne reçoivent pas l’adhésion de la majorité de ses collègues. La même remarque s’impose quant au jugement de la Cour divisionnaire de l’Ontario dans l’affaire Kudrocova c. Waterloo Region District School Board, 2023 ONSC 6950, par. 40.
[113] Dans Karounis c. Procureur général du Québec, 2021 QCCS 310, cette Cour mentionne que la liberté parentale est protégée par l’article 7 de la Charte canadienne (par. 80). Or, il s’agit d’un obiter dictum (fondé sur une admission du PGQ) qui ne lie pas le Tribunal.
[114] Il est loisible de s’interroger quant aux conséquences de la reconnaissance de la « liberté parentale » à titre d’intérêt protégé par l’article 7 de la Charte canadienne sur l’exercice par le pouvoir judiciaire de la compétence accordée par les articles 16, 604 et 606 C.c.Q.
[115] 2010 QCCA 1561, par. 36 ; voir aussi le par. 31.
[116] Le Tribunal ne retient pas l’argument du PGQ voulant que seul un parent reconnu conformément aux règles de la filiation puisse invoquer la « liberté parentale ». Avec égards, il s’agit d’un argument circulaire qui fait dépendre l’étendue du droit à la liberté garanti par la Charte canadienne des règles provinciales concernant la filiation — règles qui peuvent varier d’une province à l’autre. Sans remettre en cause la diversité juridique, qui est une caractéristique du fédéralisme canadien, l’étendue de la protection offerte par l’article 7 ne saurait dépendre de la province dans laquelle on se trouve.
[117] Notes et autorités des Demandeurs dans le Dossier de la Coalition, par. 442.
[118] Droit de la famille — 191677, précité, par. 105.
[119] Droit de la famille — 221341, 2022 QCCA 1036, par. 12.
[121] Dans l’arrêt C.(G.) c. V.‑F.(T.), [1987] 2 RCS 244, la Cour suprême du Canada invoque l’intérêt de l’enfant codifié à l’article 30 du Code civil du Bas‑Canada (maintenant l’article 33 C.c.Q.) pour conclure que la garde d’un enfant peut être confié à un tiers, sans que les parents de celui‑ci soient déchus, en totalité ou en partie, de leur autorité parentale (p. 267‑272) ; voir également : Droit de la famille – 072895, 2007 QCCA 1640, par. 49‑51 ; Droit de la famille – 092011, 2009 QCCS 3782 (appel rejeté 2010 QCCA 1561).
[122] Notes et autorités des Demandeurs dans le Dossier de la Coalition, par. 435.
[123] Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, par. 29 [Chaoulli].
[126] Ibid., par. 41 ; dans l’arrêt Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St‑Ferdinand, [1996] 3 RCS 211 [St‑Ferdinand], la Cour suprême du Canada précise que l’article 1 de la Charte québécoise vise « vise à la fois l’intégrité physique, psychologique, morale et sociale » (par. 95).
[127] St‑Ferdinand, précité, par. 105.
[128] Ward c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2021 CSC 43, par. 56 [Ward].
[129] Ibid., citant : T. De Koninck, De la dignité humaine (Paris : Quadrige/PUF, 2002), p. 16.
[130] Ward, précité, par. 57‑58. Voir aussi : Procureur général du Québec c. Centre de lutte contre l’oppression des genres, 2024 QCCA 348, par. 127 [Centre de lutte] ; et Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Bellemare) c. Club de soccer Les Braves d’Ahuntsic, 2024 QCCA 462, par. 61.
[131] Contrairement aux prétentions des Demandeurs dans le Dossier de la Coalition (Notes et autorités des Demandeurs, par. 511), ces conséquences ne sont aucunement assimilables à celles subies par les personnes transgenres et non binaires dans l’affaire Centre de lutte, précitée, par. 128‑134.
[132] Godbout, précité, par. 98 ; Laroche c. Lamothe, 2018 QCCA 1726, par. 59‑60.
[133] Droit de la famille — 191677, précité, par. 17.
[135] 9179-3588 Québec inc. (Institut Drouin) c. Drouin, 2013 QCCA 2146, par. 51.
[136] Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 RCS 143, p. 174‑175 [Andrews]; voir aussi Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, par. 29 [Withler].
[137] Ontario (Procureur général) c. G, 2020 CSC 38, par. 39 [Ontario c. G.].
[138] R. c. Sharma, 2022 CSC 39 par. 63 [Sharma] ; voir aussi : Alliance autochtone du Québec c. Procureur général du Québec (Ministre des Ressources naturelles et de la Faune du Québec et Ministre délégué aux Affaires autochtones du Québec), 2024 QCCA 1472, par. 97 [Alliance autochtone].
[139] Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, par. 40 [Fraser] ; Withler, précité, par. 31, 39 et 41 ; Ontario c. G., précité, par. 43 ; Centre de lutte, précité, par. 111‑112.
[140] Fraser, précité, par. 47 ; Centre de lutte, précité, par. 111.
[141] Centre de lutte, précité, par. 219.
[142] Fraser, précité, par. 30.
[144] Ibid., par. 28 ; Voir aussi : Dickson c. Vuntut Gwitchin First Nation, 2024 CSC 10, par. 188 [Dickson] ; Fraser, précité, par. 27, 50 et 81 ; Ontario c. G., précité, par. 40 ; Alliance autochtone, précité, par. 90 ; Centre de lutte, précité, par. 113.
[145] Andrews, précité, p. 164 ; Withler, précité, par. 41.
[146] Withler, précité, par. 55‑64.
[147] Sharma, précité, par. 31 ; Alliance autochtone, précité, par. 91.
[148] Sharma, précité, par. 40 et 42 ; Fraser, précité, par. 51‑52.
[149] Sharma, précité, par. 44 et 45 ; Alliance autochtone, précité, par. 91.
[150] Dickson, précité, par. 190 ; Withler, précité, par. 31 ; Fraser, précité, par. 41.
[151] Sharma, précité, par. 31 ; Dickson, précité, par. 199 ; Fraser, précité, par. 76.
[152] Sharma, précité, par. 51.
[153] Alliance autochtone, précité, par. 94.
[154] Sharma, précité, par. 52 ; Fraser, précité, par. 76.
[155] Fraser, précité, par. 78 ; Alliance autochtone, précité, par. 95.
[156] Sharma, précité, par. 53.
[157] Voir également Dickson, précité, par. 202.
[158] Sharma, précité, par. 57 et 59 ; Alliance autochtone, précité, par. 96.
[159] Sharma, précité, par. 55 ; Fraser, précité, par. 69 ; Ontario c. G., précité, par. 46.
[160] Fraser, précité, par. 31.
[161] Ontario c. G., précité, par. 39.
[163] La déficience physique et le mode de conception sont invoqués uniquement par les Demandeurs dans le Dossier de la Coalition.
[164] Auton (Tutrice à l’instance de) c. Colombie-Britannique (Procureur général), 2004 CSC 78, par. 27.
[165] Ontario c. G., précité, par. 45.
[167] Voir également : Cameron c. Nova Scotia (Attorney General), 1999 NSCA 14, par. 144‑145.
[168] Rapport Lavoie, précité, par. 20.
[169] Selon le professeur Lavoie, « La coparentalité élective (ou coparentalité planifiée) survient lorsqu’au moins deux personnes ne partageant pas une relation conjugale décident de mettre en commun leur désir d’enfant et de fonder une famille » : Rapport Lavoie, précité, par. 15.
[170] Egan c. Canada, [1995] 2 RCS 513 ; Vriend c. Alberta, [1998] 1 RCS 493, par. 90 ; M. c. H., [1999] 2 RCS 3, par. 64.
[171] Le Tribunal emploie le terme « LGBTQ+ » pour désigner toutes les orientations sexuelles et les identités de genre autres que l’hétérosexualité et l’identité cisgenre.
[172] Signalons qu’à l’audience les Demandeurs n’ont pas plaidé que le polyamour constitue une orientation sexuelle qui tombe sous la rubrique du motif analogue protégé aux termes du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne. Bien entendu, le Tribunal n’exprime aucune opinion ou conclusion à ce sujet.
[173] Témoignage de Marie‑Pierre Boisvert.
[175] Rapport Côté, précité, p. 9‑10.
[176] Dans ce système, les vies amoureuses et parentales évoluent en parallèle et seuls les parents biologiques et légaux ont la responsabilité des enfants. Souvent, les enfants ne sont pas au courant des autres relations amoureuses de leurs parents : Rapport Côté, précité, p. 9.
[177] Ce système inclut plus de deux parents, mais implique des parents principaux et des parents secondaires ayant une implication différente dans les soins et l’éducation des enfants : Rapport Côté, précité, p. 10.
[178] Rapport Côté, précité, p. 10.
[179] Rapport Lavoie, précité, par. 19.
[180] C. Herbrand « Co‑parenting arrangements in lesbian and gay families: when the ‘mum and dad’ ideal generates innovative family forms » (pièce PGQ‑15).
[181] Ibid., p. 6; voir aussi le p. 18 sur le caractère non représentatif de l’étude.
[182] Voir à ce titre : Caron c. Attorney General of Canada, 2020 QCCS 2700, par. 21; Pratten c. British Columbia (Attorney General), 2012 BCCA 480, par. 18 et 36 ; Kandola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 85, par. 120.
[183] Notes et autorités des Demandeurs dans le Dossier de la Coalition, par. 311.
[184] Articles 538 et ss. C.c.Q.
[185] Notes et autorités des Demandeurs dans le Dossier de la Coalition, par. 307.
[186] Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 RCS 203, par. 13 [Corbiere] ; voir aussi : Withler, précité, par. 33.
[187] Corbiere, précité, par. 10 ; voir aussi le par. 8.
[188] Fraser, précité, par. 118‑119, 183 et 238. De même, dans l’affaire Procureure générale du Québec c. Association des juristes de l’État, 2017 QCCA 103 [Association des juristes (CA)], la Cour d’appel ne se prononce pas sur la question de savoir si la situation de famille est un motif analogue (par. 33). Voir également British Columbia Birth Registration No. 2018-XX-XX5815, précité, par. 88‑90, et les jugements de la Cour fédérale dans : Zhou c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1424, par. 74‑75 ; et Dor c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 892, par. 58.
[189] Association des juristes de l’État c. Létourneau, 2014 QCCS 5955, par. 39.
[190] Association des juristes (CA), précité, par. 32‑33.
[191] 2018 QCCS 1784, par. 199.
[192] Ibid. par. 209. Bien que le jugement mentionne que l’état civil (« civil status ») est un motif analogue, il cite à l’appui l’arrêt de la Cour suprême dans Miron c. Trudel, [1995] 2 RCS 418 [Miron], par. 62-63. Dans cette affaire, la majorité de la Cour suprême reconnait l’état matrimonial à titre de motif analogue aux termes du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne. Le jugement cite également Jean c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2009 CAF 377, par. 65. Dans cette affaire, la juge Trudel de la Cour d’appel fédérale mentionne simplement que l’état matrimonial est un des motifs analogues reconnus dans la jurisprudence de la Cour suprême.
[193] Voir par exemple : Flette c. The Government of Manitoba, 2022 MBQB 104, où la Cour du Banc du Roi du Manitoba reconnait que le statut familial constitue un motif analogue aux termes du paragraphe 15(1) et que ce motif comprend la situation d’être un enfant placé en famille d’accueil (par. 206‑210) ; et Inglis c. British Columbia (Minister of Public Safety), 2013 BCSC 2309, où la Cour suprême de la Colombie‑Britannique conclut également que le statut familial constitue un motif analogue prohibé et comprend la situation d’être l’enfant d’une mère incarcérée (par. 567 et 571).
[194] Plan d’argument modifié des Demandeurs dans le Dossier M...-P...-D..., par. 283‑305.
[195] Notes et autorités de Demandeurs dans le Dossier de la Coalition, par. 201.
[196] Signalons, par ailleurs, qu’une différence de traitement peut être discriminatoire même si elle est fondée sur des choix faits par l’individu ou le groupe touché. Voir : Fraser, précité, par. 86.
[197] Miron, précité, par. 148.
[198] Corbiere, précité, par. 13.
[199] Miron, précité, par. 149.
[203] Miron, précité ; Nouvelle‑Écosse (Procureur général) c. Walsh, 2002 CSC 83 ; Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5.
[204] Egan c. Canada, précité ; M. c. H., précité ; Vriend c. Alberta, précité.
[205] Article 594 du Code civil du Québec (1980), précité.
[206] Pour une description du régime qui leur était applicable voir : J.‑L. Baudouin, « Examen critique de la situation juridique de l’enfant naturel » (1966) 12 McGill Law Journal 157 [Baudouin, Examen critique] ; et J. Pineau, « La situation juridique des enfants nés hors mariage » (1973) 8 Revue juridique Thémis 209.
[207] Voir notamment : Town of Montreal West c. Hough, [1931] SCR 113.
[208] Baudouin, Examen critique, précité, p. 158.
[209] Droit de la famille — 766, [1990] RJQ 289 (C.A.), p. 293.
[210] Miron, précité, par. 151 ; voir aussi les par. 152‑154.
[211] Voir : le paragraphe 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c. H-6 ; article 1 du Code des droits de la personne, LRO 1990, c. H.19 ; Human Rights Code, RSBC 1996, c. 210 ; paragraphe 2(1) du Code des droits de la personne de la Saskatchewan de 2018, LS 2018, c. S-24.2 ; Alberta Human Rights Act, RSA 2000, c. A-25.5; alinéa 9(2)(i) du Code des droits de la personne, CPLM c. H175 ; paragraphe 3(h) de la Loi sur les droits de la personne, RSNS 1989, c. 214 ; et l’alinéa 1(1)(h.11) de la Human Rights Act, RSPEI 1988, c. H-12.
[212] Voir les articles 290 et 293 du Code criminel, LRC 1985, c. C‑46 ; et Reference re: Section 293 of the Criminal Code of Canada, 2011 BCSC 1588, par. 969‑1042.
[213] Fraser, précité, par. 76.
[217] Articles 653, 655‑658 et 667‑668 C.c.Q.
[218] Articles 599‑600 C.c.Q.
[219] Articles 14 et 17‑18 C.c.Q.
[220] Par exemple, la relation de madame M... et de monsieur D... avec X n’est pas reconnue par leur employeur.
[221] Sharma, précité, par. 56‑59.
[222] Droit de la famille — 191677, précité, par. 104 ; Droit de la famille — 072895, précité, par. 49‑51 ; Droit de la famille — 212386, 2021 QCCS 5233, par. 115‑127 (appel rejeté : Droit de la famille — 221341, précité) ; Droit de la famille — 092011, 2009 QCCS 3782.
[223] Ontario c. G., précité, par. 64.
[224] A. Roy, « Revue de la jurisprudence 2020 en droit de la famille — Les limites du droit de la filiation et du droit matrimonial une fois de plus mises à l’épreuve » (2021‑2022) 123 R. du N. 1, p. 14‑15.
[225] Trociuk c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2003 CSC 34, par. 15 [Trociuk] ; Droit de la famille — 171644, précité, par. 24‑25.
[226] Trociuk, précité, par. 16.
[227] Voir par analogie : Centre for Gender Advocacy c. Attorney General of Quebec, 2021 QCCS 191, par. 170.
[228] Voir par analogie : S.M. (Re), 2018 ONSC 5145, par. 105. La situation présente également une certaine analogie avec la question du mariage des couples de même sexe. La règle voulant que le mariage ne pouvait être célébré qu’entre un homme et une femme communiquait aux conjoints de même sexe que leurs relations étaient moins importantes, moins valables et moins dignes de reconnaissance. Les tribunaux canadiens ont ainsi conclu que l’exclusion des couples de même sexe du mariage en tant qu’institution juridique était discriminatoire : Hendricks c. Québec (Procureur général), 2002 CanLII 23808 (QC CS) (appel rejeté : Ligue catholique pour les droits de l’homme c. Hendricks, 2004 CanLII 20538 (QC CA)) ; Barbeau c. British Columbia (Attorney General), 2003 BCCA 251 ; et Halpern c. Canada (Attorney general), 2003 CanLII 26403 (ON CA).
[229] 2015 CSC 39, par. 35 [Bombardier] ; Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333 c. Réseau de transport de Longueuil, 2024 QCCA 204, par. 44 et 48 [Syndicat canadien].
[230] Bombardier, précité, par. 52 ; Syndicat canadien, précité, par. 71.
[231] Bombardier, précité, par. 53 ; Syndicat canadien, précité, par. 53.
[232] Bombardier, précité, par. 54.
[233] [1988] 2 RCS 279, p. 291‑293 ; Laroche c. Lamothe, précité, par. 46.
[234] Syndicat canadien, précité, par. 67‑76.
[237] Les Demandeurs n’ont pas plaidé que la limite ne résulte pas d’une règle de droit aux fins de l’article premier de la Charte canadienne. En l’absence d’arguments sur cette question, le Tribunal présumera, pour les fins de l’analyse, que cette exigence est satisfaite.
[238] R. c. Oakes, précité, p. 138‑140 ; Ontario c. G, précité, par. 71 ; Frank c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 1, par. 38 [Frank] ; Carter, précité, par. 94 ; John Howard Society of Saskatchewan c. Saskatchewan (Procureur général), 2025 CSC 6, par. 91 [John Howard Society].
[239] Frank, précité, par. 46 ; Ontario c. G., précité, par. 72.
[240] R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 RCS 295, p. 335.
[241] Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, par. 48 [Hutterian Brethren].
[242] [1995] 3 RCS 199, par. 160 [RJR-MacDonald] ; Hutterian Brethren, précité, par. 53‑54.
[243] Hutterian Brethren, précité, par. 55 ; John Howard Society, précité, par. 95.
[245] La notion de « intended parent » ou de « intended parents » est définie à l’article 20(1) de la Family Law Act :
“intended parent” or “intended parents” means a person who intends, or 2 persons who are married or in a marriage-like relationship who intend, to be a parent of a child and, for that purpose, the person makes or the 2 persons make an agreement with another person before the child is conceived that
(a) the other person will be the birth mother of a child conceived through assisted reproduction, and
(b) the person, or the 2 persons, will be the child’s parent or parents on the child’s birth, regardless of whether that person’s or those persons’ human reproductive material was used in the child’s conception.
[246] Précitée. Voir également l’article 10 qui admet quatre parents potentiels en cas de gestation pour autrui.
[248] Précitée. Voir également le paragraphe 7(1).
[249] Voir par analogie : Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, par. 85‑87
[250] Voir : RJR-MacDonald, précité, par. 149 et 152.
[251] Hutterian Brethren, précité, par. 55.
[252] Chaoulli, précité, par. 87.
[253] Ontario c. G., précité, par. 89.
[254] Les Demandeurs dans le Dossier de la Coalition contestent la validité de toutes les dispositions du C.c.Q. qui, selon leur lecture du Code, pourraient constituer un obstacle à la reconnaissance de plus de deux liens de filiation.
[255] Ibid., par. 85 ; R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, par. 35 [Ferguson].
[256] Ontario c. G., précité, par. 86 ; voir également : Ferguson, précité, par. 49 et 59.
[257] Ontario c. G., précité, par. 103.
[258] Ibid., par. 103 et 108.
[260] Ibid., par. 103 et 112.
[261] Ibid., par. 109 et 111.
[264] Ibid., par. 113 ; Ferguson, précité, par. 49
[265] Ontario c. G., précité, par. 113.
[266] L’expression « très plausible de présumer » traduit « fairly assumed » utilisée dans la version originale anglaise des motifs de la juge Karakatsanis.
[267] Ontario c. G., précité, par. 114 ; voir aussi : Ferguson, précité, par. 51.
[268] Ontario c. G., précité, par. 114.
[273] Ibid., par. 94 et 158.
[277] Procès-verbal d’audience du 21 juin 2024.
[278] Ontario c. G., précité, par. 121.
[279] Ibid., par. 83 et 133.
[281] Ibid., par. 126, 133 et 139.
[282] Ibid., par. 142 et 147.
[284] Voir par analogie : Fraser, précité, par. 138.
[289] Voir notamment l’article 115 C.c.Q. et l’article 3 du Règlement relatif à la tenue et à la publicité du registre de l’état civil, RLRQ c. CCQ, r.11.
[290] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65.
[291] Ces éléments factuels distinguent le Dossier M...‑P...‑D... de la situation de la famille L...-Mi...-A.... Dans cette dernière affaire, le Directeur de l’état civil reçoit la déclaration de naissance pour Z, laquelle indique que mesdames L... et A... sont les mères. Il dresse alors l’acte de naissance en conséquence. Or, contrairement au Dossier M...‑P...‑D..., le Directeur n’est pas informé du fait que monsieur Mi... est le père de Z et qu’il souhaite également que son lien de filiation soit reconnu. En d’autres termes, le Directeur ne disposait d’aucune information lui permettant de croire que la naissance ait été déclarée incorrectement, ce qui donnerait ouverture à son pouvoir d’enquête sommaire. En revanche, la transparence des Demandeurs dans le Dossier M...‑P...‑D... lui donne cette information pour ce qui est de la déclaration de naissance de X.
[292] Article 538 C.c.Q. ; Droit de la famille — 111729, précité, par. 41‑42 ; Droit de la famille — 191677, précité, par. 93‑95.