Décision

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Décision

Benoit c. Deshaies

2018 QCRDL 36437

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

360098 31 20171006 G

No demande :

2345791

 

 

Date :

06 novembre 2018

Régisseure :

Camille Champeval, juge administrative

 

Sylvain Benoit

 

Sylvie Lemieux

 

Locateurs - Partie demanderesse

c.

Mylène Deshaies

 

Olivier Rochon

 

Locataires - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Par une demande déposée le 6 octobre 2017, les locateurs demandent à condamner les défendeurs solidairement à la somme de 3 000 $, à titre de dommages, le tout avec intérêts, indemnité additionnelle, frais judiciaires et exécution provisoire malgré l’appel.

[2]      À l’audience, les locateurs précisent leur réclamation à 2 733,75 $, équivalant à la franchise (2 500 $), les frais de la présente demande (74 $), de courrier recommandé (10 $), et juridiques (149,75 $).

Les faits

[3]      Les parties étaient liées par un bail du 1er avril 2016 au 30 juin 2017 pour un loyer mensuel de 640 $, reconduit jusqu’au 30 juin 2018 pour un loyer de 651 $.

[4]      Les locataires ont quitté le logement à l’expiration de leur bail.

[5]      Le règlement de l’immeuble est donné aux locataires avant la conclusion du bail, tel qu’en fait foi le bail lui-même, initialé par les locataires pour en attester.

[6]      L’article 33 dudit règlement stipule :

« Le locataire s’engage à se protéger et ainsi à contracter et maintenir en vigueur une police d’assurances de locataire occupant. Une telle police devra couvrir les risques de vol, d’incendie, d’explosion, de dégâts d’eau, de fumée ou tout autre sinistre généralement couvert par telle police, ainsi qu’une police d’assurance responsabilité civile générale d’au minimum 1 million de dollars. Le locataire s’engage à fournir les certificats attestant de l’émission et le maintien en vigueur de telles polices une fois l’an ou sur demande du locateur. »[1]


[7]      Les locataires ne contractent toutefois pas d’assurances pendant la durée de leur bail.

[8]      Il s’agit d’un immeuble de deux (2) étages, composé de huit (8) logements, de type 3 et demi ou 4 et demi. Les locataires habitent un 4 et demi, situé au dernier étage de l’immeuble.

[9]      Le 31 mai 2017, la locataire démarre une brassée de vêtements avec sa laveuse avant de quitter le logement vers 11h30.

[10]   Cette laveuse est usagée et a été acquise au moment de leur emménagement dans le logement, le 1er avril 2016. Un ami des locataires s’est chargé de son installation.

[11]   Autour de midi, les locateurs reçoivent un appel du locataire voisin, dont l’appartement est situé sous celui des locataires : de l’eau coule chez lui, à la grandeur du logement.

[12]   Les propriétaires se dépêchent sur les lieux, et constatent effectivement la présence d’eau partout dans le logement. Elle provient de l’étage supérieur.

[13]   Avec la permission des locataires, ils pénètrent dans leur appartement. La machine à laver est encore en marche. Après l’avoir arrêtée et fermé les robinets d’eau, les locateurs constatent que le tuyau de retour d’eau est sorti de son drain.

[14]   Des dommages importants ont été causés au logement du dessous, et, dans une moindre mesure, au logement des locataires.

[15]   Les travaux ont nécessité l’évacuation temporaire du locataire voisin.

[16]   Excluant les travaux d’assèchement des planchers, lesquels ont été pris en charge directement par les assureurs des locateurs, les dommages facturés par l’entrepreneur chargé des travaux s’élèvent à 21 578,91 $.

[17]   Les locateurs ont assumé le paiement de la franchise de 2 500 $, le reste des dépenses ayant été couvert par leurs assureurs.

Questions en litige

[18]   Les locataires sont-ils solidairement responsables du bail?

[19]   La réclamation en dommages des locateurs est-elle bien fondée?

La clause de solidarité

[20]   Bien que la clause de solidarité au bail soit cochée, elle n’est pas initialée par les locataires.

[21]   Or, comme le mentionne la juge administrative Manon Talbot :

« Comme la solidarité ne se présume pas(4), le nouveau formulaire obligatoire de bail de logement prévoit expressément la possibilité pour les locataires de s'engager solidairement en cochant la case « Oui » à la mention « les locataires s'engagent solidairement » (section H du bail) et en apposant leurs initiales respectives sur les lignes prévues à cet effet. 

Il appert du bail de location signé par Chimaly et Cotineau que la case relative à la solidarité a été cochée, mais qu'elle n'a pas été initialisée par les locataires comme le requiert cette section.

Compte tenu de l'absence d'initiales et de toute autre preuve pertinente, le Tribunal ne peut présumer qu'il y a solidarité en l'espèce. [Références omises] » [2]

[22]   L’article 1525, alinéa 1 du Code civil du Québec stipule effectivement :

« 1525. La solidarité entre les débiteurs ne se présume pas; elle n'existe que lorsqu'elle est expressément stipulée par les parties ou prévue par la loi.

[…] »

[23]   Considérant l’absence des initiales des locataires aux endroits prévus à cet effet au bail, le Tribunal considère ceux-ci conjointement responsables du bail.


La réclamation en dommages des locateurs est-elle bien fondée?

[24]   Les locateurs fondent leur recours sur l’article 1862, alinéa 1 du Code civil du Québec :

« 1862. Le locataire est tenu de réparer le préjudice subi par le locateur en raison des pertes survenues au bien loué, à moins qu'il ne prouve que ces pertes ne sont pas dues à sa faute ou à celle des personnes à qui il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.

[…] »

[25]   Ainsi, pour se réclamer d’une demande en dommages, les locateurs doivent faire la preuve de la faute des locataires, du dommage subi, et du lien de causalité les unissant.

[26]   Comme moyen d’exonération, les locataires pourront prouver que la faute ne résulte pas de leur fait ou du fait d’une personne à qui ils permettent l’accès au logement, ou encore qu’il s’agit d’un cas de force majeure. Il s’agit donc d’une présomption simple de faute, pouvant être renversée par les locataires.

[27]   L’article 1863 du Code civil du Québec, quant à lui, ouvre la porte aux recours disponibles une fois que les éléments requis ont été prouvés au Tribunal. La compensation par l’attribution de dommages en constitue un.

[28]   Les parties admettent d’emblée que le dégât d’eau résulte d’un accident impliquant la machine à laver des locataires; il s’agit d’un événement imprévu et soudain, et non d’un acte volontaire ou malicieux.

[29]   Cependant, un accident peut résulter d’une conduite négligente, d’une erreur grossière, ce qui en fait une faute.

[30]   Un ami des locataires a procédé à l’installation de la machine à laver lors de leur emménagement dans le logement. De leurs propres aveux, ils n’ont pas sécurisé, attaché le tuyau de renvoi d’eau dans la valve. Ils expliquent que la valve est trop grosse pour maintenir le tuyau, et que, de plus, il était impossible de se faufiler une main pour attacher le tout avec une courroie. Ces affirmations ne sont corroborées par aucune preuve et contredites par les locateurs en ce qui concerne la taille inadaptée de la valve.

[31]   Ceci a eu pour effet que, le 31 mai 2017, le tuyau s’est en quelque sorte déboité de la valve, dirigeant l’eau vers le sol plutôt que vers les conduits de plomberie.

[32]   Considérant ce qui précède, il faut donc nécessairement distinguer le comportement des locataires au moment de l’installation de la laveuse de celui de la journée du dégât d’eau.

[33]   Il est nécessaire de situer la conduite des parties dans le temps afin de déterminer l’existence de la faute.

[34]   Le Tribunal ne peut que conclure que les locataires ont été négligents dans l’installation de leur machine à laver, en avril 2016. Ils étaient responsables d’assurer le rattachement du tuyau de renvoi d’eau à la valve. Si celle-ci n’était effectivement pas appropriée pour y recevoir le tuyau, s’il était impossible de sécuriser le tout en les attachant l’une à l’autre, les locataires auraient dû en faire appel aux locateurs.

[35]   Les locataires plaident que l’accident résulte de la force majeure. La machine à laver ne leur a pas fait défaut pendant l’année précédant le dégât d’eau ni l’année subséquente. Ils ne pouvaient prévoir qu’une telle situation allait se présenter.

[36]   La preuve de l’existence d’une situation impliquant la force majeure a pour conséquence de permettre à une personne de se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui. [3]

[37]   La force majeure est définie comme un événement imprévisible et irrésistible.


[38]   La locataire s’est comportée en personne raisonnable, dit-elle, et ne peut être trouvée fautive d’avoir laissé la machine à laver sans surveillance. Elle soumet une décision de la Cour Supérieure, laquelle énonce, en autre chose :

« Respectueusement pour l’opinion contraire, le simple fait de s’absenter pendant qu’une laveuse fonctionne, comme dans le présent cas, n’est pas suffisant pour engendre une faute contre la personne qui la laisse fonctionner seule. Comme mentionné par le procureur des défenderesses, on met sur le marché des appareils programmables, des appareils qui peuvent fonctionner sans que la personne soit présente. Comme peut-on prétendre que le seul fait de ne pas être présent au moment où la laveuse fonctionne, engendre une faute de la locataire?

(…)

La défenderesse Guylaine Charest a agi ‘en bon père de famille’ comme toute personne prudente et diligente dans de pareille circonstance. Elle n’a pas été négligente, elle n’a pas commis d’imprudence. »[4]

[39]   Toutefois, en l’instance, et contrairement aux faits rapportés dans cette affaire, le bon fonctionnement de la machine à laver des locataires n’est pas en cause.

[40]   En effet, le dégât d’eau n’a pas été causé par une défaillance mécanique menant à un débordement de la machine à laver, mais bien par l’intervention humaine, incarnée en les personnes des locataires.

[41]   La défense par la force majeure ne peut donc trouver d’application en l’instance.

[42]   Les locataires sont responsables du dégât d’eau intervenu le 31 mai 2017.

[43]   Ceci étant, qu’en-il des dommages réclamés par les locateurs?

[44]   La preuve offerte par les locateurs de même que les admissions à l’audience démontrent l’existence de dommages à l’immeuble, résultant du dégât d’eau du 31 mai 2017.

[45]   Ces dommages ont entraîné certaines conséquences financières pour les locateurs, dont ils demandent le remboursement par la présente demande.

[46]   Le Tribunal rappelle à ce titre que seuls les dommages directs et prévisibles associés au manquement reproché peuvent être réclamés.

[47]   En effet, l’article 1607 C.c.Q. prévoit que le créancier de l’obligation a droit à des dommages-intérêts en réparation du préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel que lui cause le défaut du débiteur et qui en est une suite immédiate et directe.

[48]   Les locateurs ont assumé le plein paiement de leur franchise d’assurance afin de bénéficier de la protection de leur couverture. Il s’agit d’un dommage directement lié au dégât d’eau. La preuve documentaire attestant du paiement de la franchise de 2 500 $ est non contredite.

[49]   Le Tribunal fait donc droit à leur demande d’être remboursés de la somme de 2 500 $. 

[50]   Les locateurs déposent également une facture attestant d’honoraires juridiques engendrés dans le cadre du présent litige, pour un montant de 149,75 $.

[51]   Comme l’énonce la juge administrative Marilyne Trudeau sur la question des frais extrajudiciaires :

« [87] Le locataire réclame le remboursement de frais d'avocat encourus afin de faire valoir à nouveau ses droits quant au non-respect du locateur de ses obligations prévues au bail. Habituellement, lors d'un litige, chaque partie doit assumer ses frais d'avocat. Ce n'est que dans des cas très rares qu'un tribunal condamnera la partie adverse à rembourser les frais d'avocat de l'autre partie. Pour que cela se produise, il faut que la partie qui réclame ces frais puisse prouver que la partie adverse a agi de mauvaise foi et de façon déraisonnable et volontaire pour faire durer les procédures ou tout faire pour occasionner des procédures inutiles.

[88] En règle générale, les honoraires extrajudiciaires d'un procureur ne sont pas considérés comme des dommages directs. Dans l'arrêt Colette Viel c. Les Entreprises immobilières du Terroir Ltée (R.E.J.É.B 2002-31662), la Cour d'appel a établi des balises permettant, dans certaines circonstances, d'accorder de tels dommages. Sur ce point, la Cour mentionne :


« Lorsque la conduite d'une partie sur le fond du litige est répréhensible, scandaleuse, outrageante, abusive, de mauvaise foi, le juge des faits sera porté plus facilement à conclure que cette conduite s'est poursuivie lors du débat judiciaire. Je suis d'avis qu'il faut se méfier des automatismes en cette matière. L'abus sur le fond ne conduit pas nécessairement à l'abus de droit d'ester en justice. Règle générale et sauf circonstances exceptionnelles, seul ce dernier est susceptible d'être sanctionné par l'octroi de dommages (honoraires extrajudiciaires.). »

[89] La jurisprudence est claire, les frais d'avocat ne peuvent être accordés que s'il y a abus du droit d'ester en justice, donc des procédures abusives ou une attitude abusive qui se perpétue dans la cadre des procédures.

[90] Au surplus, dans un tel cas, la compétence du Tribunal de la Régie du logement se limite à déclarer un recours abusif, laissant le soin au Tribunal de droit commun de déterminer le montant des dommages(8). » [Références omises] [5]

[52]   Le Tribunal ne fera donc pas droit à la demande du remboursement des honoraires des avocats embauchés par les locateurs.

[53]   Le remboursement de la somme de 83 $ sera accordé pour les frais judiciaires, correspondant à la demande et à sa notification.

[54]   Le Tribunal estime toutefois que l’exécution provisoire de la décision n’est pas justifiée en les circonstances.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[55]   ACCUEILLE la demande en partie;

[56]   CONDAMNE les locataires à payer aux locateurs la somme de 2 500 $, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 6 octobre 2017, plus les frais judiciaires de 83 $;

[57]   REJETTE la demande quant aux autres conclusions.

 

 

 

 

 

 

 

 

Camille Champeval

 

Présence(s) :

les locateurs

les locataires

Date de l’audience :  

17 octobre 2018

 

 

 


 



[1]    Pièce P-2.

[2]    Boissé c. Chimaly, 2018 QCRDL 11112.

[3]    Article 1470 du Code civil du Québec.

[4]    Axa Assurances inc. c. Charest, C.A., 2003-04-10, SOQUIJ AZ-03019086.

[5]    Brisset c. 9272-8120 Québec inc., R.D.L., 2018-07-11, 2018 QCRDL 23282, SOQUIJ AZ-51511800.

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