Marchand c. Bergeron | 2025 QCCS 2772 |
COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
DISTRICT DE | GATINEAU |
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N°: | 550-17-012931-232 |
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DATE : | Le 7 août 2025 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MARIE-JOSÉE BÉDARD, J.C.S. |
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CORY MARCHAND |
-et- |
STÉPHANIE BRITTON MARCHAND |
Demandeurs |
-c.- |
OLIVIER BERGERON |
Défendeur |
-et- |
CHANTAL MORIN |
-et- |
RÉMI LÉVEILLÉ |
-et- |
PLACEMENTS SAINTE-ELISABETH INC. |
-et- |
YANNICK DOMPIERRE |
Mis en cause |
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JUGEMENT
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- Le Tribunal est saisi d’une demande du défendeur visant à faire déclarer inhabile le procureur des demandeurs, Me Yannick Dompierre, au motif qu’il entend l’assigner comme témoin lors de l’instruction de la présente instance. Les demandeurs, de leur côté, demandent que le Tribunal déclare que la demande visant à faire témoigner Me Dompierre et à le déclarer inhabile est abusive.
LE CONTEXTE
- Le débat survient dans un contexte particulier qu’il est utile de résumer.
- Le 11 août 2021, les demandeurs acquièrent des mis en cause, Chantal Morin et Rémi Léveillé, un immeuble sur lequel est érigée une maison neuve.
- Ils prétendent avoir ensuite constaté que l’immeuble est affecté de plusieurs déficiences et vices de construction. En février 2022, ils retiennent les services de Me Yannick Dompierre qui envoie une mise en demeure aux mis en cause. À cette époque, le défendeur, Olivier Bergeron qui est avocat agit comme procureur des mis en cause.
- Des négociations suivent l’envoi de la mise en demeure et mènent à une transaction signée le 29 avril 2022 au terme de laquelle la mise en cause, Placements Sainte-Elisabeth inc., s’engage à acheter l’immeuble des demandeurs pour un montant de 605 000,00 $. L’acte de vente doit être signé le 1er septembre 2022, mais dans les faits, Placements Sainte-Elisabeth inc. ne donne pas suite à son engagement pour des raisons que l’état actuel du dossier ne révèle pas clairement.
- Le ou vers le 1er septembre 2022, le défendeur cesse d’agir pour les mis en cause.
- Le 15 novembre 2022, les demandeurs et le défendeur, qui agit cette fois en son nom personnel, signent une promesse bilatérale d’achat et de vente (« la promesse d’achat ») au terme de laquelle le défendeur s’engage à acheter l’immeuble des demandeurs, lesquels acceptent de le lui vendre, pour un montant de 525 000,00 $. La promesse d’achat est assortie de diverses clauses de transactions et quittances. L’acte de vente est signé le 18 novembre 2022.
- Le 3 mai 2023, les demandeurs introduisent le présent recours contre le défendeur. Dans leur demande introductive d’instance modifiée (datée du 3 octobre 2023), ils allèguent, en outre, que le consentement qu’ils ont donné lorsqu’ils ont signé la promesse d’achat était vicié par la crainte liée à une appréhension d’une perte financière provoquée par la faute du défendeur. Ils reprochent au défendeur ses agissements dans le cadre des discussions et échanges qui ont mené à la signature de la promesse d’achat. Ce dernier aurait profité de leur vulnérabilité pour acquérir l’immeuble à un prix moins élevé que celui initialement convenu lors de la promesse d’achat signée par les demandeurs et Placements Sainte-Elisabeth inc.
- Ils demandent l’annulation des clauses de quittances et transactions contenues dans la promesse d’achat et ils réclament des dommages-intérêts. Ils ne recherchent toutefois pas l’annulation de la vente. À titre subsidiaire et dans l’hypothèse où le Tribunal concluait que leur consentement n’a pas été vicié, ils fondent leur réclamation sur la responsabilité civile du défendeur. Ils allèguent notamment que ce dernier a commis une faute lourde et intentionnelle et qu’ils en ont subi des dommages.
- Le défendeur conteste la demande. Il s’est aussi porté demandeur reconventionnel et il réclame, à titre subsidiaire, l’annulation de la vente.
- Le 24 avril 2025, les demandeurs déposent une demande individuelle d’inscription du dossier pour instruction et jugement. Le 8 mai 2025, le défendeur dépose à son tour une demande individuelle d’inscription pour instruction et jugement dans laquelle il indique, entre autres, qu’il entend assigner Me Dompierre à titre de témoin. Les demandeurs s’opposent à ce que Me Dompierre soit appelé à témoigner.
- Le dossier est porté au rôle provisoire du 18 juin 2025. En raison du litige concernant l’éventuel témoignage de Me Dompierre, le juge coordonnateur refuse de fixer l’instruction du dossier et il le reporte à l’appel provisoire du 24 septembre 2025 « afin de permettre aux parties de déposer un avis de gestion concernant le témoignage de Me Dompierre lors de l’audition ».
- Le 4 juillet 2025, les demandeurs déposent un avis de gestion dans lequel ils demandent de déclarer que l’intention annoncée par le défendeur de faire témoigner Me Dompierre constitue un abus au sens des articles 51 et ss. du Code de procédure civile et ils allèguent que le défendeur a manqué aux principes directeurs de la procédure et contrevenu à l’article 342 C.p.c.
- Le 16 juillet 2023, le défendeur dépose une demande en déclaration d’inhabileté de Me Dompierre à titre de procureur des demandeurs au motif qu’il entend l’assigner comme témoin. Précisons que la demande en inhabileté ne vise pas tous les avocats du cabinet RPGL, mais uniquement Me Dompierre. Le 29 juillet 2025, le défendeur dépose une demande amendée en déclaration d’inhabileté.
ANALYSE
- Le cadre juridique
- Les principes juridiques qui encadrent le droit d’une partie de choisir son avocat et les limites à ce droit sont bien établis.
- Le droit d’un justiciable de choisir son avocat constitue un droit fondamental qui est notamment consacré à l’article 34 de la Charte des droits et libertés de la personne.
- Ce choix n’est toutefois pas absolu et il peut être limité par des considérations liées à l’intégrité du système judiciaire, notamment lorsqu’il s’agit d’éviter de déconsidérer l’administration de la justice.
- L’article 193 C.p.c. prévoit les circonstances qui peuvent entraîner l’inhabileté d’un avocat à agir dans une affaire, notamment lorsqu’il est appelé à témoigner dans l’instance et que le témoignage attendu porte sur des faits essentiels. L’article précise que l’inhabileté ne sera déclarée que si des motifs graves le justifient.
- L’article 76 du Code de déontologie des avocats[1] empêche l’avocat d’agir, sous certaines conditions, s’il sait qu’il sera convoqué comme témoin :
76. L’avocat ne doit pas personnellement agir dans un litige s’il sait ou devrait savoir qu’il sera convoqué comme témoin.
Toutefois il peut agir si :
1° si le fait de ne pas agir est de nature à causer au client un préjudice sérieux;
2° si son témoignage ne se rapporte qu’à :
- Une affaire non contestée;
- Une question de forme et qu’il n’y a aucune raison de croire qu’une preuve sérieuse sera offerte pour contredire ce témoignage;
- Si la nature ou la valeur des services professionnels qu’il a rendus au client ou, le cas échéant, de ceux rendus par un autre professionnel exerçant ses activités au sein du même cabinet.
- Le fondement de cette règle repose sur les obligations d’indépendance et de distance qui s’imposent à l’avocat. La règle qui prohibe le cumul des fonctions d’avocat et de témoin dans une même instance a été traitée en profondeur dans l’arrêt de principe Fédération des médecins spécialistes du Québec c. Association des médecins hématologistes – oncologistes du Québec[2] [Fédération des médecins spécialistes du Québec]. La Cour d’appel y réitère que cette règle a pour objet de préserver l’intégrité et la crédibilité de l’avocat qui doit maintenir une certaine distance entre son mandat et le dossier qu’il défend. La Cour d’appel expose très bien le rôle délicat de l’avocat et l’importance de cette distanciation qui peut être incompatible avec le cumul des rôles d’avocat et de témoin :
L'avocat doit collaborer à l'administration de la justice et il doit remplir son mandat dans un corps de règles de conduite que codifient maintenant les règlements de son ordre professionnel. Même s'il agit comme représentant d'une partie, il doit remplir ce rôle de façon à ce que l'ensemble des parties puissent bénéficier d'un procès impartial au sens de l'article 23 de la Charte québécoise des droits et libertés (L.R.Q. c. C-12). Le rôle de l'avocat est délicat dans le processus judiciaire. Il doit agir avec efficacité dans sa fonction de représentation. Celle-ci doit être honnête, loyale et compétente vis-à-vis la partie qu'il représente. Elle doit être aussi loyale tant vis-à-vis l'autre partie qu'envers le tribunal pour préserver la qualité et l'intégrité du procès civil ou criminel. L'exécution intégrale de ce rôle impose une certaine distanciation de la fonction de l'avocat à l'égard de son client et de la cause qu'il défend. Elle suppose le respect d'une valeur d'indépendance dans sa relation avec son client et le tribunal. Son autonomie professionnelle risque d'être compromise s'il a git à la fois comme procureur et témoin. A la limite, il sera appelé à défendre la propre crédibilité de son témoignage s'il contredisait celui d'un autre témoin. […][3].
[Soulignement ajouté]
- Deux principes importants sont donc en cause dans le cadre d’une demande en déclaration d’inhabileté au motif qu’une partie entend faire témoigner l’avocat de l’autre partie: celui du droit du justiciable de retenir les services de l’avocat de son choix et celui lié à la considération de la justice. Lorsqu’il est impossible de faire cohabiter ces principes, l’intégrité et la crédibilité du système judiciaire auront préséance[4].
- Néanmoins, avant d’exclure d’un dossier l’avocat choisi par une partie, le Tribunal doit être convaincu qu’il existe des motifs qui sont sérieux, graves et contraignants[5]. Le fardeau repose évidemment sur la partie qui sollicite la déclaration d’inhabileté.
- Depuis l’arrêt Fédération des médecins spécialistes du Québec, les tribunaux ont élaboré des paramètres et énoncé les circonstances pouvant justifier une déclaration d’inhabileté lorsqu’un avocat est appelé comme témoin. Ces principes sont bien résumés par le juge Bernard Synnott, j.c.s., dans l’affaire 2855-2222 Québec inc. c. Capreit [6]:
[37] Depuis cet arrêt, divers paramètres ont été élaborés par les tribunaux à l’égard du témoignage de l’avocat et de son incapacité à agir ad litem, dont les suivants:
- Le témoignage de l’avocat doit être essentiel et nécessaire[19] et pareille nécessité doit ressortir du dossier tel que constitué à la date de la demande en déclaration d’inhabileté[20];
- Le témoignage doit porter sur des « faits essentiels », c’est-à-dire des éléments importants du litige[21].
- L’intention de faire témoigner l’avocat doit être fondée sur des considérations sérieuses et non tactiques ou à des fins stratégiques ou sur la base d’allégations spéculatives[22];
- La nécessité du témoignage et le sérieux de la motivation se mesurent notamment à la possibilité de faire la preuve par d’autres moyens[23]. Des efforts doivent être déployés afin de trouver un accommodement pour éviter de disqualifier un avocat[24];
- La saine administration de la justice et des effectifs judiciaires exige que la question d’inhabilité soit soulevée de façon diligente, à défaut, le délai à agir peut équivaloir à une renonciation à l’invoquer[25];
- L’interrogatoire de l’avocat ne doit pas porter sur les mandats donnés par son client[26] ni sur la teneur des propos confiés lors de leur exécution, pour ne pas risquer de violer son devoir de confidentialité[27].
[38] L’inhabileté à occuper de tous les avocats d’une seule et même étude s’apprécie par rapport aux faits particuliers de chaque affaire, en tenant compte des circonstances précises donnant naissance au litige et en considération des intérêts apparents de la justice[28].
- Discussion
- La tardiveté de la demande
- Les demandeurs soutiennent que la demande en déclaration d’inhabileté est tardive et qu’en omettant de déposer sa demande dès le début de l’instance, le défendeur a renoncé implicitement à faire témoigner Me Dompierre.
- Le Tribunal reconnaît qu’une demande en inhabileté doit être déposée avec célérité, mais il n’y pas de règle absolue à cet égard et chaque demande doit être examinée à la lumière des circonstances propres de l’affaire.
- En l’espèce, la demande introductive d’instance est signifiée au défendeur le 9 mai 2023. Le 1er juin 2023, le défendeur envoie une copie de sa réponse à Me Dompierre et l’informe qu’il a l’intention de l’interroger dans le dossier. Il souligne l’article 76 du Code de déontologie des avocats et suggère qu’un autre avocat se substitue à lui.
- La même journée, Me Dompierre envoie un courriel au défendeur dans lequel il indique que c’est Me Tanya Da Costa de son cabinet qui sera responsable du dossier. Concernant la demande de l’interroger, il souligne que la demande pour interroger un tiers doit faire l’objet d’une autorisation judiciaire en vertu de l’article 221 C.p.c. et indique qu’il laissera à Me Da Costa le soin de prendre position sur sa demande.
- Le défendeur soutient qu’il a compris de ce message que Me Dompierre se retirait du dossier et qu’il reconnaissait qu’il allait être appelé à témoigner. Bien que Me Da Costa semble demeurer l’avocate responsable du dossier, Me Dompierre est toujours copié dans les courriels que Me Da Costa envoie au défendeur et certains courriels sont transmis au défendeur directement par Me Dompierre.
- Le premier protocole de l’instance est signé le 26 juin 2023 par Me Da Costa et par le défendeur. Ce dernier annonce une demande en inhabileté et une demande en intervention forcée de Me Dompierre et du cabinet RPGL. Les parties ont demandé une suspension de l’instance pour participer à une conférence de règlement à l’amiable (« CRA ») en vue de régler le dossier.
- Cette CRA n’aura pas lieu en raison de désaccords survenus dans le déroulement de l’instance.
- Il ressort clairement des procédures et des correspondances versées au dossier que les échanges entre Me Dompierre, Me Da Costa et le défendeur sont tendus et que la collaboration est difficile. Ils n’ont clairement pas une vision commune du cheminement du dossier et le déroulement de l’instance est laborieux et ponctué d’incidents.
- Le 11 octobre 2023, le défendeur envoie un courriel à Me Dompierre dans lequel il lui demande si Me Da Costa est toujours l’avocate au dossier et il réitère qu’il a toujours l’intention de l’interroger. Dans un courriel daté du 30 octobre 2023 que le défendeur envoie à Me Dompierre, le défendeur mentionne « vous savez très bien que vous ne pouvez pas agir dans ce dossier d’un point de vue déontologique ».
- Le 3 novembre 2023, les demandeurs déposent une demande en abus et en manquements dans le déroulement de l’instance contre le défendeur. Le défendeur annonce son intention d’interroger Me Da Costa dans le cadre de la demande en abus au motif que les reproches qui sont formulés à son endroit découleraient de la conduite de Me Da Costa dans le dossier. Les demandeurs contestent cette demande. Le 13 novembre 2023, la juge Suzanne Tessier, j.c.s., rejette la demande pour interroger Me Da Costa et elle renvoie la demande en abus au juge du fond.
- Lorsque le défendeur interroge les demandeurs en décembre 2023, c’est Me Da Costa qui les accompagne.
- Le défendeur souligne que Me Dompierre s’est réimpliqué activement dans le dossier à la fin du mois de novembre 2024 lorsque ce dernier a procédé à son interrogatoire préalable.
- Le 28 novembre 2024, le défendeur dépose un exposé sommaire de ses moyens de défense et une demande reconventionnelle.
- Le 6 décembre 2024, le défendeur dépose une demande pour forcer la mise en cause de Me Dompierre. Cette intervention est contestée et le 30 janvier 2025, la juge Suzanne Tessier accueille l’opposition et rejette la demande d’intervention forcée.
- Le 23 avril 2025, les demandeurs déposent une demande unilatérale d’inscription du dossier pour instruction et jugement qui est signée par Me Dompierre. Le défendeur dépose lui aussi une demande unilatérale d’inscription le 8 mai 2025 dans laquelle il indique que Me Dompierre sera appelé à témoigner. Le dossier est ensuite porté au rôle provisoire et le 18 juin 2025, le juge coordonnateur invite les parties à déposer des avis de gestion pour faire trancher la question relative au témoignage de Me Dompierre.
- Le Tribunal retient que le défendeur a annoncé dès le début de l’instance son intention d’interroger Me Dompierre, notamment dans son courriel du 1er juin 2023. Le fait qu’il a ensuite décidé de ne pas solliciter l’autorisation d’interroger Me Dompierre au préalable ne constitue pas pour autant une renonciation à l’assigner comme témoin lors de l’instruction. Il en est de même de sa tentative infructueuse de forcer l’intervention de Me Dompierre.
- De plus, il n’était pas déraisonnable de la part du défendeur d’avoir pensé, dès juin 2023, que Me Dompierre se retirait du dossier et que c’est Me Da Costa qui agirait comme avocate responsable de l’instance.
- Me Dompierre a confirmé son intention d’agir comme avocat responsable du dossier en signant la déclaration unilatérale pour faire inscrire le dossier le 23 avril 2025. Dans les jours qui ont suivi, le défendeur a déposé sa demande d’inscription unilatérale dans laquelle il indique que Me Dompierre sera appelé à témoigner.
- À la lumière de ces éléments, le Tribunal considère que le défendeur a annoncé son intention d’interroger Me Dompierre avec diligence et qu’il n’a jamais renoncé à cette intention. Il a reconfirmé cette intention dans la demande d’inscription unilatérale qu’il a déposée le 18 mai 2025.
- Ainsi, dans les circonstances particulières de la présente instance, la demande en déclaration d’inhabileté n’a pas été déposée tardivement et les éléments actuellement au dossier ne permettent pas de conclure que le défendeur a manqué de diligence ou qu’il a renoncé à faire témoigner Me Dompierre.
- Le mérite de la demande en inhabileté
- Le défendeur soutient que Me Dompierre a agi comme représentant des demandeurs lors des échanges et discussions qui ont mené à la signature de la promesse d’achat et qu’il a été son seul interlocuteur. Le défendeur souligne qu’il n’a jamais eu de communication avec les demandeurs. Il allègue aussi qu’outre les échanges par courriel, il a eu avec Me Dompierre des conversations téléphoniques auxquelles aucune autre personne n’a pris part.
- Or, comme les demandeurs allèguent que leur consentement a été vicié en raison de fautes qu’il aurait commises dans le cadre des négociations et donc de ses échanges avec Me Dompierre, il avance que son témoignage et celui de Me Dompierre porteront sur des faits essentiels du litige. De plus, sa crédibilité et celle de Me Dompierre sont susceptibles d’être en jeu. Il ajoute qu’en demeurant au dossier, Me Dompierre pourrait se trouver à le contre-interroger concernant le contenu de discussions qu’il a eues avec lui sur des éléments qu’aucune tierce partie ne pourrait corroborer.
- Les demandeurs allèguent plutôt que le témoignage de Me Dompierre n’est ni nécessaire ni utile et qu’il porterait sur des éléments couverts par le secret professionnel ou le privilège du litige. Ils avancent également que les circonstances de la négociation et de la conclusion de l’offre d’achat pourront être mises en preuve par le défendeur au moyen des échanges courriel qui parlent d’eux-mêmes et par le témoignage du défendeur. Les demandeurs arguent aussi que le désir d’interroger Me Dompierre s’inscrit dans une démarche stratégique et abusive visant à impliquer à tout prix Me Dompierre dans le dossier et à les priver de leur droit de retenir les services de l’avocat de leur choix.
- Le Tribunal considère, avec égard pour l’opinion des demandeurs et à la lumière du dossier dans son état actuel, que la demande du défendeur est bien fondée et que le témoignage de Me Dompierre est susceptible de porter sur des faits essentiels du dossier.
- Le recours introduit par les demandeurs est fondé sur des allégations que le consentement qu’ils ont donné lorsqu’ils ont signé la promesse d’achat était vicié par la crainte d’une perte financière qui découlerait des agissements du défendeur dans le cadre de la négociation et de la conclusion de cette promesse d’achat. Les négociations et la conclusion de l’entente ayant mené à la signature de la promesse d’achat sont donc au cœur du litige.
- Or, cette entente a été négociée et convenue par le biais des échanges intervenus exclusivement entre Me Dompierre et le défendeur. Me Dompierre, qui négociait au nom des demandeurs, a été le seul interlocuteur du défendeur et leurs échanges et discussions ont mené à la conclusion d’une entente dont les demandeurs réclament aujourd’hui la nullité partielle pour vice de consentement.
- Le défendeur n’a jamais eu d’échanges directement avec les demandeurs et il avance que certains des échanges qu’il a eus avec Me Dompierre se sont faits lors de conversations téléphoniques auxquelles aucune autre personne n’a participé.
- Le défendeur a droit à une défense pleine et entière et dans les circonstances particulières de la présente affaire, le témoignage du défendeur, tout comme celui de Me Dompierre, portera vraisemblablement sur la teneur et le contenu de leurs échanges qui ont mené à l’entente dont les demandeurs demandent aujourd’hui la nullité partielle. Dans un tel contexte, la possibilité de faire la preuve de certains faits par d’autres moyens est limitée.
- Évidemment, le défendeur pourra témoigner concernant le déroulement de la négociation ayant mené à la signature de la promesse d’achat, mais si des questions concernant sa crédibilité sont soulevées, Me Dompierre confrontera la version du défendeur à sa propre version des faits. Dans un tel contexte, il apparaît pour le moins incongru que Me Dompierre puisse agir à titre d’avocat responsable du dossier lors de l’instruction.
- Le Tribunal conclut donc que le témoignage de Me Dompierre est nécessaire et portera sur des éléments importants du dossier et que l’intention du défendeur de le faire témoigner est fondée sur des considérations sérieuses et contraignantes et non sur une stratégie ou des intentions malicieuses dans le but de nuire à Me Dompierre ou de priver injustement les demandeurs de leur droit d’être représentés par l’avocat de leur choix.
- Le droit des demandeurs de conserver leur avocat doit céder le pas aux considérations visant à préserver l’intégrité du système judiciaire et à ne pas déconsidérer l’administration de la justice. Il semble également que le préjudice découlant de l’inhabileté de Me Dompierre sera limité puisque Me Da Costa est impliquée dans le dossier depuis le début de l’instance.
- Évidemment, le témoignage de Me Dompierre ne pourra pas porter sur les éléments qui relèvent du secret professionnel et de son devoir de confidentialité, mais le juge qui entendra l’affaire au fond sera en mesure de fixer, au besoin, le cadre et les limites du témoignage de Me Dompierre et il tranchera toutes les objections qui pourront être soulevées à cet égard.
- En raison des motifs ci-haut énoncés, le Tribunal ne peut conclure, à ce stade-ci de l’instance, que l’intention annoncée par le défendeur de faire témoigner Me Dompierre constitue un abus au sens de l’article 51 C.p.c. ou un manquement dans le déroulement de l’instance en contravention avec l’article 342 C.p.c.;
- POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- ACCUEILLE la demande en déclaration d’inhabileté;
- DÉCLARE Me Yannick Dompierre du cabinet RPGL inhabile à agir pour les demandeurs;
- DÉCLARE que la déclaration en inhabileté ne vise que Me Dompierre et non les autres avocats du cabinet RPGL;
- DÉCLARE qu’aucun élément au dossier, à ce stade-ci de l’instance, ne permet de conclure que l’intention annoncée par le défendeur de faire témoigner Me Dompierre constitue un abus ou un manquement dans le déroulement de l’instance;
- LE TOUT avec frais de justice à suivre;
| __________________________________ MARIE-JOSÉE BÉDARD, J.C.S. |
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Me Sébastien Dionne |
Me Malvina Budaghyan |
Avocats des demandeurs |
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Olivier Bergeron |
Défendeur, non représenté |
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Date d’audience : Le 30 juillet 2025 |