Décision

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R. c. Simon

2022 QCCQ 2232

COUR DU QUÉBEC

Chambre criminelle et pénale

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 :

500-01-217105-219

 

 

DATE :

4 mai 2022

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

DENNIS GALIATSATOS, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

Poursuivante

c.

 

KENSEY SIMON

Accusé

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR L’ADMISSIBILITÉ DE PHOTOS D’UNE MUNITION D’ARME À FEU ET D’UNE REQUÊTE DÉPOSÉE EN COUR SUPÉRIEURE – PERTINENCE, PRÉJUDICE ET VALEUR PROBANTE

______________________________________________________________________

LE CONTEXTE

[1]                En cours de procès, le Tribunal est saisi d’une objection de la défense concernant l’admissibilité de deux éléments de preuve.

[2]                Pour les deux éléments, la défense soumet que leur effet préjudiciable dépasse largement leur valeur probante. Par ailleurs, pour l’un desdits éléments, elle soumet que la preuve n’est même pas pertinente. Ainsi, un débat portant sur la pondération de l’effet préjudiciable et de sa valeur probante n’est même pas nécessaire.

[3]                Kensey Simon est inculpé de deux chefs d’accusation lui reprochant la possession en vue d’en faire le trafic de cocaïne en poudre, de crack, de méthamphétamine et de Xanax (art. 5(2)(3)(a) L.r.c.d.a.s.). Les infractions alléguées se rapportent à une saisie de stupéfiants effectuée le 17 mars 2021 lors de l’exécution d’un mandat de perquisition dans un appartement situé au 5880 rue Chambord à Montréal.

[4]                Selon la preuve entendue jusqu’à présent, l’accusé était présent dans l’appartement au moment de l’intervention policière. Incidemment, deux autres hommes s’y trouvaient aussi. Au-delà de sa présence sur les lieux, de certaines observations des policiers et des découvertes faites dans l’appartement, la poursuite tente par sa preuve d’établir des liens entre l’accusé et le logement en question qui permettraient, au terme du procès, d’étayer des inférences logiques relatives à la connaissance, au contrôle et au consentement de l’accusé à l’égard des stupéfiants saisis. Notamment, cela implique une preuve de filature ou de surveillance qui placerait l’accusé sur les lieux à divers moments.

[5]                Parmi les enjeux prévisibles, la défense plaidera sans doute que la Couronne a failli d’établir les éléments de la possession hors de tout doute raisonnable.

[6]                Dans le cadre de la preuve de filature, un véhicule Honda Civic gris aurait été vu à l’adresse ou près de l’adresse. Parfois, un individu pouvant être Kensey Simon aurait été vu au volant. Le ministère public associe ledit véhicule à l’accusé. Il est déjà en preuve que selon les banques de données policières, le véhicule Honda était immatriculé au nom de Kensey Simon.

[7]                Un mandat de perquisition visant ledit véhicule a été exécuté le 17 mars 2021, alors qu’il était situé près du 5880 rue Chambord. Selon la poursuite, d’un point de vue logique, tout lien concret entre l’accusé et le véhicule serait utile à sa thèse, puisque le véhicule peut relier à son tour l’accusé à l’appartement, en raison de sa proximité et son emplacement.

[8]                Elle s’apprête à mettre en preuve le contenu du véhicule, tel que découvert au moment de la fouille. Deux éléments sont litigieux :

(1)  Ce qui semble être une munition d’arme à feu, trouvée au fond de la console centrale.

(2)  Ce qui semble être une requête présentable devant la Cour supérieure du Québec dans le district de Montréal. Le document porte un numéro de dossier de type « 500-01 », c’est-à-dire qui se rapporte à un procès et non pas un appel en matière de poursuites sommaires[1]. Le document s’intitule Requête visant à faire déclarer illégales et abusives une fouille, une perquisition et une saisie en exclusion de la preuve – arts. 8, 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés. Seule la première page de la requête est photographiée. À l’intitulé de la cause, on indique le nom de deux requérants/co-accusés : Kensey Simon et Shawn Legoute.

En l’espèce, au cours du procès, il n’y a eu aucune référence à un dénommé Shawn Legoute.

[9]                Le Tribunal note d’emblée, comme il l’a fait dans le cadre d’une autre décision interlocutoire soulevée en cours d’instance[2], que cette question aurait dû être soulevée et traitée bien avant le procès au fond. La preuve en litige était divulguée. Manifestement, les parties connaissaient quelle serait leur position respective quant à son admissibilité. En ce sens, le débat n’était pas fortuit. Dans les circonstances, un voir-dire aurait dû être tenu à l’avance dans le cadre d’une requête préliminaire, ce qui aurait permis de minimiser les interruptions du procès qui avance déjà plus lentement qu’initialement prévu. Je rappelle que trois jours d’audition avait été réservés les 14, 15 et 16 mars 2022 dans cette affaire pour la présentation d’une requête en exclusion de preuve. Or, la requête en question a été retirée. Des jours d’audition étaient donc disponibles pour saisir le Tribunal d’autres débats relatifs à la preuve.

LA POSITION DES PARTIES

[10]           Le ministère public souligne que les objets en litige ont été trouvés dans le cadre de l’exécution d’un mandat de perquisition validement émis. Dans les circonstances, plaide-t-elle, il est opportun de mettre en preuve tous les fruits de ladite fouille, peu importe leur nature, qu’ils soient particulièrement utiles ou pas.

[11]           L’argument est avancé de manière large. La poursuite indique que toutes les découvertes dans le véhicule sont « pertinentes » parce qu’elles documentent fidèlement ce que les policiers ont trouvé. Il n’y a aucune raison de les retirer de la preuve, ce qui aurait par ailleurs pour effet de dénaturer la réalité et la narration des événements.

[12]           Lorsque le Tribunal demande à la Couronne d’identifier de façon précise comment la munition pourra influer sur la question ultime de savoir si monsieur Simon avait sciemment et volontairement possédé les stupéfiants dans l’appartement, elle peine à le faire. Elle répète tout simplement que la munition est un objet parmi tant d’autres trouvés dans le véhicule. Étonnamment, lors de ses représentations (sans doute pour minimiser l’effet préjudiciable potentiel des photos), la poursuite soutient que la munition ne démontre « rien du tout ». Selon elle, il n’est pas en preuve que la munition est « illégale » en soi et on ne peut surtout pas prétendre qu’elle étaye une inférence quelconque de mauvaise conduite ou de propension à l’égard de l’accusé.

[13]           Quant à la requête trouvée dans la voiture, la Couronne soumet qu’elle est pertinente parce qu’elle crée un lien entre le véhicule et l’accusé.

[14]           Pour sa part, la défense soumet que la munition n’est aucunement pertinente, dans le sens qu’elle n’est pas reliée à un fait en litige. Elle rappelle que monsieur Simon n’est pas accusé d’avoir eu en sa possession une munition prohibée ni d’entreposage négligent de munitions en vertu de l’art. 86 C.cr.

[15]           Quant à la requête, la défense reproche à la photo le fait qu’elle ne révèle qu’une page du document. Dans les circonstances, nul ne sait si le document était complet ou signé et si oui, par qui. Elle soumet que le document n’est pas pertinent, car sa présence ne démontre aucunement que monsieur Simon conduisait le véhicule. Enfin, elle rappelle que plusieurs policiers ont déjà témoigné à l’effet qu’un individu pouvant être Kensey Simon a été vu sortir du véhicule gris. Jumelée au fait que le véhicule était immatriculé au nom de l’accusé, ce document n’ajouterait rien à la preuve.

[16]           Pour ce qui est de l’effet préjudiciable, le document démontre que l’accusé a une cause pendante criminelle, ce qui est préjudiciable en soi. Qui plus est, à la lecture des deux paragraphes qui sont visibles à la première page du document, on voit qu’en janvier 2020, la section des stupéfiants de la région Nord a procédé à une enquête qui a mené à l’émission d’un mandat de perquisition. Puisque le dossier en l’espèce implique des infractions semblables, le risque de préjudice moral, même inconscient, est accru.

ANALYSE

1- La notion de la pertinence

[17]           La règle élémentaire d’admissibilité en common law est celle de la pertinence. Si un élément de preuve n’est pas pertinent, il ne sera donc pas admis. La règle est à la fois simple et claire. Comme le souligne à bon droit la défense, si la pertinence de base n’est pas établie, aucune analyse de « coût-bénéfice » ne s’impose, ou n’est même permise en principe.

[18]           À la base, est pertinent « tout ce qui, selon la logique et l’expérience humaine, tend le moindrement à établir un fait en litige », ce qui dépend évidemment du contexte[3].

[19]           Aucune valeur probante minimale n’est requise. Pour qu’un élément de preuve soit logiquement pertinent, il n’est pas nécessaire qu’il établisse fermement, selon quelque norme que ce soit, la véracité ou la fausseté d’un fait en litige. Bien que le critère soit indubitablement important, il n’est pas strict[4]. La preuve doit simplement tendre à accroître ou diminuer la probabilité de l’existence d’un fait en litige[5]. Sans ce lien, l’élément n’a aucune valeur probante du tout et il devient donc inadmissible.

2- Le pouvoir discrétionnaire d’exclure une preuve préjudiciable

[20]           En common law[6], le juge du procès a un pouvoir discrétionnaire d’exclure tout élément de preuve qui, malgré sa pertinence logique, aurait une valeur probante faible et qui par ailleurs pourrait causer un sérieux préjudice à l’accusé. Ce pouvoir général reflète le principe fondamental que l’accusé a droit à un procès équitable, qui ne peut pas être entièrement réduit à certaines règles précises[7].

[21]           Ainsi, une preuve pertinente et en principe admissible pourrait tout de même être écartée si elle était inéquitable envers l’accusé ou encore pour protéger l’intégrité du système de justice.

[22]           En évaluant l’effet préjudiciable, il importe de rappeler que le fait qu’un élément de preuve tende à prouver la culpabilité de l’accusé ne saurait constituer le « préjudice » que vise la règle d’exclusion discrétionnaire[8]. Il s’agit plutôt d’éviter que des éléments extrinsèques, dont la preuve de mauvais caractère, viennent influencer le juge des faits dans le prononcé d’une déclaration de culpabilité ou qu’ils portent autrement atteinte à l’équité du procès.

[23]           Quatre facteurs seront généralement pertinents pour évaluer le préjudice :

  1. Le danger que les faits présentés soulèvent indûment chez le jury des sentiments de préjudice, d’hostilité ou de sympathie.
  2. La possibilité que la preuve et la contre-preuve soulèvent une question accessoire susceptible de détourner l’attention du jury des principales questions en litige.
  3. Le risque que la présentation de la preuve et de la contre-preuve occupe trop de temps.
  4. Le danger que la preuve présentée surprenne l’adversaire[9].

[24]           Les principes et les mises en garde applicables en matière d’exclusion d’une preuve de propension sont d’un intérêt particulier. Dans tout procès criminel, le juge doit se garder de tirer des inférences négatives du fait que l’accusé serait une personne de mauvais caractère.

[25]           La preuve d’une prédisposition générale sera inadmissible car elle engendre un préjudice moral. Cette fin est prohibée car la mauvaise moralité n’est pas une infraction en droit. Le ministère public n’est pas habilité à alléger la charge qui lui incombe – même indirectement – en présentant l’accusé comme une mauvaise personne ou en faisant une preuve de propension déshonorante.

[26]           Parmi les facteurs qui militeront généralement en faveur de l’exclusion, on retrouve le caractère incendiaire de la preuve.

[27]           Enfin, il y a lieu de rappeler que dans un procès devant juge seul, le danger de préjudice moral sera considérablement réduit[10].

3- L’application des principes en l’espèce

a)     La requête en exclusion de la preuve présentable devant la Cour supérieure

[28]           Tout lien allégué entre Kensey Simon et l’appartement sur la rue Chambord est logiquement pertinent. Rappelons que le ministère public va tenter d’établir qu’en plus du 17 mars 2021, l’accusé s’y est trouvé à plusieurs reprises. Ces présences répétées, si elles sont avérées, peuvent avoir un impact sur la force de l’inférence que l’accusé connaissait la nature des activités qui se déroulaient dans l’appartement, ou encore l’inférence qu’il y participait.

[29]           Dans ce contexte, le fait de voir son véhicule sur les lieux – une ou plusieurs fois – est un élément permettant d’accroître la probabilité logique qu’il avait un lien avec l’appartement. Suivant le même courant logique, le ministère public est en droit de tenter de démontrer qu’en plus d’être immatriculé au nom de Kensey Simon, ledit véhicule était bel et bien utilisé par Kensey Simon.

[30]           Dans cette optique, un jury agissant de façon raisonnable, suivant le bon sens et l’expérience humaine, pourrait déduire que si une requête pour la Cour supérieure (dont il est requérant) se trouve dans le véhicule, il est plus probable que Kensey Simon utilise effectivement ledit véhicule. L’inférence potentielle est davantage renforcée par le fait que la preuve est muette concernant l’existence d’un Shawn Legoute en l’espèce.

[31]           La défense souligne à bon droit que certains témoins de la poursuite ont déjà témoigné à l’effet que l’accusé a été vu à bord du Honda Civic en question et ce, à proximité de l’appartement au 5880 rue Chambord. Au même chapitre, il est en preuve que selon les recherches policières dans les banques de données, aux moments pertinents, le véhicule était immatriculé au nom de Kensey Simon.

[32]           Malgré ces éléments de preuve, ces sujets ne font l’objet d’aucune admission formelle de la part de l’accusé. Ils ne figurent pas dans les deux listes détaillées d’admissions déjà déposées en preuve[11]. Ainsi, il est loisible à la Couronne de vouloir bonifier sa preuve à un degré qu’elle juge approprié. Elle est maître de sa preuve et elle exerce son pouvoir discrétionnaire en choisissant quels éléments présenter à charge contre l’accusé.

[33]           Le Tribunal note d’ailleurs que dans la première semaine du procès, la défense a contre-interrogé au peigne fin tous les policiers ayant procédé à la filature, notamment sur leur identification de monsieur Simon, de ses mouvements et des endroits concernés. Il me paraît évident que les observations des policiers font l’objet d’une contestation soutenue en l’espèce.

[34]           Nous sommes donc à des années lumières du scénario envisagé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Handy, où elle précisait que « si la question n’est plus litigieuse, comme, par exemple, lorsque l’accusé a admis le fait, la preuve n’est plus pertinente et doit être exclue »[12].

[35]           Cette preuve est donc pertinente.

[36]           Reste la question du préjudice. Rappelons que le risque d’un raisonnement interdit est amoindri dans un procès  présidé par un juge seul.

[37]           D’abord, l’existence d’une cause pendante en mars 2021 n’est pas en soi révélatrice d’une conduite indigne de la part de monsieur Simon. Le Tribunal ne sait pas si ladite cause est toujours existante. De plus, tout préjudice potentiel s’évapore de par l’effet de la présomption d’innocence. Une cause pendante ne permet surtout pas à un juge des faits de présumer que l’individu est coupable de quoi que ce soit. Par exemple, les photos contenues dans la pièce VD-2 ne démontrent pas que monsieur Simon a une condamnation antérieure provenant de la Cour supérieure.

[38]           Au surplus, le risque d’un préjudice inconscient est ténu. L’unique page de la requête qui est visible dans la photo n’indique presque rien au sujet de l’autre dossier, outre le nom des parties et le numéro de dossier. Le lecteur ne connaît pas la nature des accusations. Aucun détail quant à l’enquête ou les faits allégués n’est dévoilé. Tout au plus, en des termes on ne peut plus vagues, le premier paragraphe réfère à une enquête par la section des stupéfiants du SPVM. Qui plus est, selon le texte de la première page de la requête, la personne ciblée par l’enquête n’était pas Kensey Simon. L’enquête visait plutôt Shawn Legoute, au sujet  duquel le Tribunal ne détient aucune information.

[39]           Dans les circonstances, il n’y a aucun risque réaliste que le juge des faits s’adonne à un raisonnement préjudiciable au détriment de l’accusé.

b)     La munition trouvée dans le véhicule

[40]           L’admissibilité de la munition est plus complexe.

[41]           Dans le cours normal, il est essentiel que la Couronne précise explicitement la fin recherchée par la preuve avant que le Tribunal soit appelé à trancher la question de sa valeur probante par rapport à son effet préjudiciable. Cela sera nécessaire car la valeur probante et le préjudice devront être évalués au regard de la question en litige spécifique invoquée. L’exercice ne se fait pas dans l’abstrait. Pour ce motif, l’appréciation de la pertinence est un processus continu, dynamique et souple qui s’effectue – entre autres – en fonction du contexte et de la position des parties[13].

[42]           Ceci dit, la position des parties ne sera pas déterminante à l’évaluation de la pertinence (qui demeure une question de droit « pure »), comme l’a rappelé la Cour d’appel de l’Ontario sous la plume du juge Watt dans l’arrêt R. v. Candir : « Relevance is relative, not absolute, a function of and dependent on the circumstances of the case in which it is offered, including, but not only, the positions of the parties »[14].

[43]           En l’espèce, lors du voir-dire, contrairement à la question de la requête devant la Cour supérieure, le ministère public a été incapable d’articuler clairement en quoi la munition trouvée était pertinente aux questions en litige, soit celles de la connaissance, du contrôle et du consentement de l’accusé des diverses substances saisies dans l’appartement 5 du 5880 rue Chambord, ou encore si leur possession était en vue d’en faire le trafic.

[44]           Tout au plus, la Couronne se contente de soumettre qu’en raison du mandat de perquisition validement obtenu, tout le contenu du véhicule est automatiquement « pertinent » au dossier, dans un sens large. Avec égards pour l’opinion contraire, le Tribunal ne retient pas cet argument, qui donnerait une portée indue – voire illimitée – au concept de la pertinence. Comme ci-dessus exposé, selon la jurisprudence, une preuve sera pertinente seulement si elle tend à accroître la probabilité de l’existence d’un fait en litige.

[45]           En fait, on pourrait prétendre qu’en soumettant que la munition « ne démontre rien du tout », la Couronne concède explicitement la non-pertinence de l’item, malgré sa position insistant sur l’admissibilité.

[46]           La position du ministère public, qui est certes considérée par le Tribunal dans son analyse, n’est pas déterminante. Voici pourquoi.

[47]           Au niveau juridique, une abondante jurisprudence des tribunaux à travers le pays[15] a déjà reconnu qu’il y a un lien logique entre le trafic de stupéfiants et la possession d’armes à feu. Dans l’arrêt R. c. St-Antoine, sous la plume du juge Lévesque, notre Cour d’appel énonçait :

D’abord, il faut reconnaître que l’expérience judiciaire enseigne que les trafiquants de drogue ont pour habitude de se munir d’armes à feu afin de se protéger ou de protéger leurs butins. La Cour suprême du Canada le soulignait déjà en 1995 dans l’arrêt R. c. Silveira en écrivant :

on ne saurait oublier qu’il existe un lien malencontreux entre le trafic illicite de stupéfiants et l’usage d’armes à feux[16]

[soulignements dans la décision de la Cour d’appel]

[48]           Dans la jurisprudence, à maintes reprises, les armes de poing sont décrites comme des « tools of the trade » du trafic de drogues[17], ou encore comme étant « communément associées au trafic de stupéfiants »[18]. Dans l’affaire R. v. Messoudi, la Cour remarquait que « guns are unfortunately part of the everyday life of the illicit drug trade »[19].

[49]           Dans l’arrêt R. v. Simon, le juge Watt rappelait de façon colorée que « handguns and drug deals are frequent companions »[20].

[50]           Dans l’affaire R. v. Brown, l’accusé était soupçonné de trafiquer des stupéfiants. De façon simultanée, les policiers ont exécuté des mandats de perquisition à son domicile et dans son véhicule. Des stupéfiants ont été retrouvés dans les deux endroits. De plus, une arme de poing chargée a été trouvée sous le tapis de la voiture, du côté du conducteur. Brown a plaidé coupable à l’infraction de possession en vue de faire le trafic de stupéfiants, reconnaissant qu’il était un trafiquant de drogue. Par ailleurs, il contestait avoir la connaissance de l’arme dans le véhicule.

[51]           Au procès, le juge a reconnu que les armes de poing étant des outils notoires du trafic des stupéfiants. Ainsi, le fait d’être un trafiquant avait une pertinence et une valeur probante (quoique mineure) quant à la question de la connaissance/contrôle de l’arme à feu :

The Crown argued that the fact that Mr. Brown was a drug dealer provided evidence of motive in the sense that it gave him a reason to have a handgun, as handguns are well-known tools of the drug trade. The case law from this Court, and the Court of Appeal, provides ample support for the conclusion that drug trafficking is a very dangerous business, and drug traffickers often have handguns. As Justice Watt succinctly put it in R. v. Simon, 2010 ONCA 754 at para.1, "[h]andguns and drug deals are frequent companions, but not good friends. Rip-offs happen.  Shootings do too."  See also R. v. Pelletier, 2012 ONCA 566, and R. v. Wong, 2012 ONCA 767. The Crown was clear that it did not seek to rely on the fact that Mr. Brown was a drug-dealer to suggest he was therefore a gun-toting kind of person.

I agree that the evidence that Mr. Brown was a drug dealer has some probative value for the reasons described by both the Crown and the defence, although I find that the probative value is slight in the circumstances of this case. That is because the relevance is so general: people can tell the truth about some things and not others; and while some drug dealers carry guns others do not. Because the defence agreed that I should both hear and consider the evidence related to drug-dealing, and this is not a jury trial, I do not have to determine where the balance lies between probative value and prejudicial effect in the circumstances of this case. But to be clear, I will not use the evidence that Mr. Brown was a drug dealer to reason that he was therefore a gun-toting or gun-possessing kind of person, or that he was a person of bad character. Further, I want to be clear that I do not believe that the evidence that Mr. Brown was a drug dealer adds much, if anything, for either the Crown or the defence, to the constellation of circumstances present in this case[21].

[gras ajouté]

[52]           Appelée à tirer une inférence semblable dans l’affaire R. v. Arviko et al., la Cour supérieure de l’Ontario était saisie d’une affaire impliquant multiples chefs d’accusation relatifs au trafic de stupéfiants, au trafic d’armes et à la possession des produits de la criminalité. La Couronne cherchait à obtenir une décision déclarant que la preuve sur chacun des chefs pourrait être considérée par le jury relativement aux autres chefs, les uns par rapport aux autres, dans l’appréciation éventuelle de la preuve au fond. En autorisant la requête en partie, la juge Molloy a expliqué :

The situation is different for the proceeds of crime count.  There are a number of suspicious circumstances with respect to the cash, such as where it was located, the amount involved, and the way it was bundled.  In addition, if Ms Cumor and/or Mr. Cumor are determined to have been involved in drug trafficking it is relevant to take into account whether this, along with the other evidence, gives rise to an inference that the cash represents proceeds of crime.  This evidence goes beyond propensity or bad character because it is directly relevant to the likely source of the money.  Provided the evidence is not used to infer guilt based solely on bad character, it may be used as part of the overall context of the circumstantial evidence in determining the source of the money.  Used in this manner, the probative value outweighs any prejudicial effect.  I see this as arising directly from the reasoning of the Supreme Court of Canada in LePage.

Likewise, given the connection between drug trafficking and guns, there may be an inference to be drawn that if a person is a drug dealer and a gun is found under his or her mattress, he or she is the likely owner or possessor of that gun.  This would by no means be conclusive, but could be part of the overall circumstantial evidence to be considered in determining possession and control of the gun.  Again, in my view, the probative value outweighs any prejudicial effect[22].

[gras ajouté]

[53]           Ces principes sont entièrement applicables en l’espèce.

[54]           Le raisonnement permis est donc celui qui suggère que les personnes impliquées dans le trafic de stupéfiants sont plus susceptibles d’être armées que les personnes qui ne le sont pas.

[55]           Pour reprendre la définition de la pertinence, à la lumière des enseignements de la jurisprudence précitée, selon la logique et l’expérience humaine, est-il plus probable qu’un trafiquant de drogue ait une munition d’arme à feu dans son véhicule que le serait une mère monoparentale qui travaille comme caissière dans une boutique Sports Experts? Si la question se répond par l’affirmative, la découverte en l’espèce sera bel et bien pertinente à la question en litige ultime, à savoir : est-ce que Kensey Simon était en possession des stupéfiants en vue d’en faire le trafic le 17 mars 2021?

[56]           Bref, des munitions d’arme à feu ne sont pas des objets communément retrouvés dans les consoles centrales des véhicules des citoyens. Cette évidence ne renvoie aucunement à la notion de la moralité des citoyens ni à celle des trafiquants de drogue. Elle réfère plutôt à la raison logique – ou l’absence de raison logique – d’avoir en sa possession une telle munition.

[57]           Ce raisonnement, qui est permis en droit, ne repose pas sur une « propension » interdite au sens d’une inférence négative en raison du « mauvais comportement » ou de la « mauvaise moralité » de l’accusé. Au contraire, l’inférence logique permise (mais non obligatoire) repose sur le caractère intrinsèquement dangereux de l’activité qui est le trafic de drogues dures et illicites. Le danger est à la fois documenté et reconnu par les tribunaux d’appel. Au même effet, les tribunaux de juridiction criminelle ont documenté et ils reconnaissent que les trafiquants de drogue sont donc souvent armés à cause des activités auxquels ils s’adonnent.

[58]           L’inverse est aussi vrai. Si quelqu’un a une arme à feu en sa possession (ou une munition pour une arme à feu) dans son véhicule, le jury pourra considérer cet élément, parmi tous les autres éléments dans l’ensemble de la preuve, en déterminant si l’accusé s’adonne au trafic de stupéfiants.

[59]           En plus de ce qui précède, rappelons que lors de la perquisition dans l’appartement, les policiers ont également saisi un chargeur d’une arme à feu sous un matelas de la chambre à coucher (nommée « pièce G »). Certes, comme le précisent les deux parties, il n’y a aucune preuve de compatibilité entre la munition trouvée dans le véhicule et le chargeur vide trouvé dans l’appartement. À tout le moins, la poursuite n’a pas annoncé qu’elle présenterait une telle preuve. Le Tribunal ignore si le test a été fait par la police, c’est-à-dire, le test d’insérer la munition trouvée dans le chargeur saisi. Malgré cette précision, ces éléments demeurent pertinents dans l’ensemble de la preuve, compte tenu de l’entièreté des circonstances de l’affaire.

[60]           La preuve de la munition est donc pertinente.

[61]           Qu’en est-il de son effet préjudiciable?

[62]           Il est vrai que la possession d’une munition peut être considérée comme un comportement indigne, en principe. Ceci dit, les accusations dont l’accusé est inculpé sont extrêmement sérieuses aussi. On lui reproche la possession d’une quantité massive de drogues de l’annexe I de la L.r.c.d.a.s. L’écart au niveau de la gravité des infractions en cause et celle de l’inférence reliée à la munition est donc relatif.  De plus, il s’agit de deux domaines de criminalité souvent intimement liés, comme exposé ci-dessus. Pour ce motif, je partage l’avis du juge Smart dans l’affaire R. v. Sipes, dans laquelle il conclut que le préjudice moral qui découle de l’admission est mineur :

 

In assessing the prejudicial effect of this evidence, it is significant that both the Crown and the defence have submitted that access to firearms will hardly be a surprise to the jury given the group's involvement in, and the nature of, the illicit drug business.  This is not to say the evidence carries no risk of prejudice.  However, in my view, it is a recognition that, in the circumstances of this case, the evidence is not overly prejudicial.  I am also of the view that evidence of possession of ammunition is of minimal prejudice[23].

[gras ajouté]

[63]           Tout comme dans les affaires R. v. Brown et R. v. Arviko, au terme du procès, le Tribunal se mettra en garde contre tout raisonnement à l’effet que monsieur Simon est susceptible d’être coupable parce qu’il est une « mauvaise personne » ou une personne « qui a tendance à commettre de crimes » dans un sens large, parce qu’une munition d’arme à feu a été saisie dans son véhicule. La valeur probante de cette découverte sera limitée à la probabilité logique reliant les armes à feu (y compris leurs munitions) à ceux qui trafiquent de stupéfiants.

[64]           Le préjudice en l’espèce est insuffisant pour militer en faveur de l’exclusion.

CONCLUSION

POUR CES MOTIFS, le Tribunal :

REJETTE l’objection;

et

DÉCLARE admissibles en preuve la munition et la requête saisies dans le véhicule Honda Civic, ce qui inclut les objets eux-mêmes, les références à ces objets, les photos de ces objets et la description des objets dans les témoignages.

 

 

__________________________________

D. Galiatsatos, J.C.Q.

Me Geneviève Boutet

Me Josiane Laplante

Procureures de la Couronne

 

Me Kristina Markovic

Procureure de l’accusé

 

 

Date d’audience :

3 mai 2022

 


[1]  Qui aurait porté un numéro de type « 500-36 ».

[2]  R. c. Simon, 2022 QCCQ 2022 aux paras. 7-11.

[3]  R. c. Corbett, [1988] 1 R.C.S. 670 à la p. 715; R. c. J.L.J., [2000] 2 R.C.S. 600.

[4]  R. c. Blackman, [2008] 2 R.C.S. 298 au para. 30.

[5]  R. c. Arp, [1998] 3 R.C.S. 581 au para. 38.

[6]  R. c. Wray, [1971] R.C.S. 272.

[7]  R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562 au para. 23.

[8]  L’hon. D. Watt, Watt’s Manual of Criminal Evidence 2022, éd. en ligne, Toronto (Ont.), Thomson Reuters, au para. 7.0.

[9]  R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577; R. c. Shearing, [2002] 3 R.C.S. 33; R. c. D.(L.E.), [1989] 2 R.C.S. 111; R. c. Handy, [2002] 2 R.C.S. 908 au para. 72.

[10]  R. c. Nguyen, 2005 QCCA 13 aux paras. 48-49; R. v. Badyal, 2020 BCCA 127 au para. 47; R. v. R.H., 2018 ONCA 245 aux paras. 23-24; R. v. Mostowy (2019), 378 C.C.C. (3d) 538 (C.A.C.B.) aux paras. 35-36.

[11]  Pièce P-1, pièce P-12.

[12]  R. c. Handy, [2002] 2 R.C.S. 908 au para. 74.

[13]  R. c. Blackman, supra, au para. 30; R. c. Handy, supra, aux paras. 73-74.

[14]  R. v. Candir (2009), 250 C.C.C. (3d) 139 (C.A.Ont.) au para. 47 [gras ajouté], permission d’appel refusée, [2012] S.C.C.A. No. 8.

[15]  Dans divers contextes.

[16]  R. c. St-Antoine, 2017 QCCA 2044 au para. 59.

[17]  R. v. Brown (2008), 171 C.R.R. (2d) 227 (Ont.S.C.J.) au para. 56; R. v. Phillips, 2021 ONSC 4973 aux paras. 17, 31, 32; R. v. St-Clair, 2018 ONSC 7028 au para. 47, conf. par 2021 ONCA 895 sans référence à ce point [sentence]. Voir aussi : R. v. Donison, 2022 ONSC 741 au para. 47 [sentence]; R. v. Steed, 2021 NSSC 71 au para. 4 [sentence]; R. v. Horvath, 2021 BCPC 60 au para. 64; R. v. Aiton-Poore, 2021 ONCJ 85 au para. 24; R. v. Fraser, 2019 NSSC 368 au para. 32 [sentence]; R. v. Smith (2019), 382 C.C.C (3d) 455 (C.A.Sask.) au para. 163 [sentence]; R. v. Woody, 2019 BCSC 580 au para. 70 [sentence]; R. v. Wong, 2012 ONCA 767 au para. 11 [sentence]; R. c. Dessureault, 2010 QCCQ 4750 au para. 25 [sentence].

[18]  R. v. Bransford, 2019 BCCA 408 au para. 53.

[19]  R. v. Messoudi, 2022 ONSC 2252 au para. 57 [sentence].

[20]  R. v. Simon (2010), 104 O.R. (3d) 340 (C.A.Ont.) au para. 1, permission d’appel refusée, [2010] S.C.C.A. No. 459.

[21]  R. v. Brown, 2020 ONSC 4888 aux paras. 32-33. Dans la récent affaire R. v. Cobb, 2021 QCCQ 6190 au para. 134, le soussigné a tiré une inférence semblable, fondée (en partie, parmi de nombreux autres éléments de preuve) sur la prémisse que les armes à feu étaient souvient reliées au trafic des stupéfiants.

[22]  R. v. Arviko et al., 2014 ONSC 6625 aux paras. 11-12.

[23]  R. v. Sipes 2011 BCSC 640 au para. 789.

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