En matière de
services de santé et de services sociaux,
d'éducation et de sécurité routière
DOSSIER : SS-51171
(…)
DATE : 19990201
MEMBREs DU TRIBUNAL :
Dr Monique Gratton-Amyot
Me Christine Truesdell
D… W… N…
Partie requérante
c.
RÉGIE DE L’ASSURANCE-MALADIE DU QUÉBEC
Partie intimée
En matière de
services de santé et de services sociaux,
d'éducation et de sécurité routière
[1] Recours à l’encontre d’une décision de la Régie de l’assurance-maladie du Québec, intimée, rendue en révision le 6 mars 1998. Par cette décision, l’intimée maintient sa décision initiale refusant de reconnaître comme services assurés l’intervention chirurgicale proposée pour corriger une asymétrie des seins de la requérante.
[2] Ce recours, introduit initialement devant la Commission des affaires sociales, est depuis le 1er avril 1998 continué devant la Section des affaires sociales du Tribunal administratif du Québec[1].
[3] En juillet 1996, la requérante a subi une réduction mammaire bilatérale. Cette intervention était requise en raison des douleurs ressenties par la requérante au dos et aux épaules et l’intervention a donc été considérée comme médicalement requise, constituant un service assuré au sens de la Loi sur l’assurance-maladie[2].
[4] En avril 1997, le Dr V.W. Papanastasiou écrit à la Régie intimée :
«This is a 42 year old woman who had a breast reduction in July 1996. The technique used was a }Lejour~and the patient is not happy with the results.
Examination reveals a deformity at 1 o’clock of the right NAC. The scars on both breasts are rather wide and slightly elevated. She has both a vertical scar and a 5cm horizontal, lateral scar. There is also some fibrous density at around the left NAC, just lateral to it.
I have discussed the possibility of a breast reconstruction with the patient. Could you please advise whether this would be covered by the R.A.M.Q.» (Nos soulignements)
[5] Des photographies sont jointes à cette lettre du Dr Papanastasiou.
[6] Tant en première instance qu’en révision, la Régie intimée refuse de considérer cette seconde intervention comme service assuré, invoquant l’article 22 du Règlement d’application de la Loi sur l’assurance-maladie[3], qui exclut des services assurés tout service dispensé à des fins purement esthétiques. Le paragraphe c) de l’article 22 exclut en effet des services assurés :
«[...]
c) tout service dispensé à des fins purement esthétiques. Sont notamment considérés comme tels, les services suivants :
i. la rhytidectomie;
ii. toute correction d’une cicatrice localisée ailleurs qu’à la face ou au cou et qui ne provoque pas d’interférence fonctionnelle;
iii. toute excision ou dermabrasion d’un tatouage non traumatique;
iv. toute greffe capillaire correctrice d’alopécie héréditaire;
v. toute électrolyse, sauf dans le cas d’hirsutisme pathologique ou de folliculite;
vi. toute correction de déformation congénitale non symptomatique;
vii. toute correction de prauminauris chez une personne âgée de 18 ans et plus;
viii. toute mammoplastie à moins que tel service ne soit rendu pour :
A) la correction d’aplasie mammaire;
B) la correction d’asymétrie sévère (au moins 150 grammes) ou d’hyperplasie sévère bilatérale (au moins 250 grammes par sein); ou
C) la reconstruction ipsi ou contralatérale suite à une chirurgie mammaire considérée comme un service assuré.
ix. toute excision d’excès de tissus graisseux non symptomatique;
[...]» (Nos soulignements)
[7] Ayant eu des complications (infection) à la suite de son intervention de juillet 1996, la requérante se retrouve avec un sein plus gros que l’autre et un mamelon plus haut que l’autre.
[8] Le Dr Kerrigan, qui a effectué son intervention chirurgicale, ne pratiquant plus au Québec, la requérante joint à sa lettre d’appel une note du Dr Stephen Nicolaidis, l’un des résidents du Dr Kerrigan, qui l’a suivie après l’intervention de juillet 1996 :
«[La requérante] underwent bilateral breast reduction surgery on July 5, 1996 by Dr C. Kerrigan for severe back and shoulder pain. Significant weights of approximately 800 grams were removed from each side. Unfortunately, the surgery was complicated by partial necrosis of the right nipple and marked asymmetry of the breasts (right side smaller than left).
Dr Kerrigan would normally have offered [...] revision surgery without charge as this is a recognized complication of breast reduction surgery. However, Dr Kerrigan has since taken a post at D… College in New Hampshire. Therefore, she can no longer operate in Québec. Subsequently, [...] was refered to Dr Cunningham. [...] breast asymmetry is very psychologically disturbing to her for understandable reasons. This revision is truly necessary and should be covered by medicare.» (Nos soulignements)
[9] Enfin, deux lettres additionnelles du Dr Cunningham ont été produites au dossier :
Lettre du 21 octobre 1998 :
«I have examined the above named patient for asymmetry of the breasts following bilateral breast reduction.
I feel that she deserves consideration for correction of the asymmetry, which would require redoing the bilateral reduction mammoplasty.
The patient is otherwise healthy and is truly bothered by her results post reduction surgery.» (Nos soulignements)
Lettre du 12 novembre 1998
«In response to your request of November 12th, 1998, I would like to submit the following clarification.
This patient has inequality of breast size, the left side larger than the right side. Also there is a significant difference in the shape and nipple level.
I specifically request that you authorize a bilateral breast reduction revision and waive the requirement of the number of grams removes so that we can attempt to acheive both an equality of size and shape of the breasts.
The patient’s original surgeon left Québec and is not available to do any revision for this patient.» (Nos soulignements)
[10] Il s’agit ici d’une chirurgie pour correction d’asymétrie, asymétrie qui résulte, selon la lettre du Dr Nicolaidis, des complications de la réduction mammaire réalisée lors de la première intervention.
[11] Invoquant l’exclusion des services strictement esthétiques à l’article 22 précité, la Régie refuse de défrayer le coût de cette deuxième intervention qui a essentiellement pour but de corriger le résultat inesthétique de la première intervention. Le Tribunal estime que cette décision est mal fondée.
[12] Des lettres du Dr Cunningham, on ne peut conclure qu’il pourrait s’agir ici d’une correction d’asymétrie sévère (au moins 150 gr) selon l’article 22 c) VIII.B. Par contre, l’intervention demandée peut être visée par le paragraphe C de cette même disposition 22 c) VIII, puisqu’il s’agit d’une reprise de la mammoplastie («redoing the bilateral reduction mammoplasty», Dr Cunningham), d’une reconstruction («breast reconstruction», Dr Papanastasiou), le tout faisant suite aux complications de la première chirurgie mammaire considérée comme un service assuré.
[13] Il est certain que la première intervention autorisée par la Régie, soit une mammoplastie dans un cas d’hyperplasie sévère bilatérale, avait pour but de soulager une condition médicale, et qu’il ne s’agissait pas d’une intervention pour des fins esthétiques.
[14] L’intimée soutient qu’une fois le résultat médical atteint par l’intervention, à savoir la disparition des douleurs au dos et aux épaules, il n’y a rien d’autre qui compte, peu importe que le résultat esthétique soit catastrophique.
[15] Le Tribunal estime que l’intervention chirurgicale, même si elle est pratiquée pour des raisons strictement médicales, doit quand même avoir pour objectif de préserver, en autant que faire se peut, l’intégrité physique d’une personne. Si en raison d’une telle chirurgie ou de ses complications, il en résulte une atteinte esthétique significative ou une difformité, cela devrait être réparé aux frais de la Régie, tout comme le serait un problème fonctionnel résultant de la chirurgie.
[16] Et à cet égard, l’article 22 c) VIII.C, qui doit être interprété de façon large et libérale[4], est suffisant pour englober la réparation d’un tel préjudice résultant directement de la première intervention, considérée comme un service assuré.
[17] PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE LE RECOURS;
ORDONNE à la Régie intimée de défrayer le coût d’une deuxième intervention chirurgicale aux seins de la requérante.
MONIQUE GRATTON-AMYOT
CHRISTINE TRUESDELL
19990201
Me Michael O’Neill
Procureur de l’intimée
/lc
[1] En vertu des dispositions transitoires de la Loi sur l'application de la Loi sur la justice administrative (1997, c. 43), le Tribunal administratif du Québec, à compter du 1er avril 1998, continue la Commission des affaires sociales.
[2] L.R.Q., c. A-29.
[3] R.R.Q., c. A-29, r. 1.1.
[4] Loi d’interprétation, L.R.Q., c. I-16, article 41 .
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