Décision

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Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Samson-Thibault) c. Ville de Québec

2023 QCTDP 2

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

 :

200-53-000081-195

 

DATE :

6 février 2023

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

CHRISTIAN BRUNELLE

AVEC L’ASSISTANCE DES ASSESSEURS :

Me Marie Pepin, avocate à la retraite

Me Pierre Arguin, avocat à la retraite

______________________________________________________________________

 

 

COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, agissant dans l’intérêt public et en faveur de SÉBASTIEN SAMSON-THIBAULT

Partie demanderesse

c.

VILLE DE QUÉBEC

et

GROUPE SANTÉ MEDISYS INC.

Parties défenderesses

et

SÉBASTIEN SAMSON-THIBAULT

Partie victime et plaignante

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 

 

 

Table des matières

I. CONTEXTE                                                                                                                    4

II. QUESTIONS EN LITIGE                                                                                              10

III. ANALYSE                                                                                                                   12

A. L’exigence professionnelle justifiée (EPJ)                                                              13

1. Le lien rationnel                                                                                                        14

2. L’accommodement raisonnable                                                                               19

a. Le « handicap » chromatique                                                                               21

b. La norme NFPA                                                                                                  23

c. L’évaluation individualisée                                                                                   28

B. Les renseignements discriminatoires                                                                    51

1. L’exigence d’un questionnaire particularisé                                                             51

2. La cueillette des renseignements                                                                            54

C. Le droit à une réparation                                                                                           61

1. La cessation de l’atteinte                                                                                          61

2. Les dommages-intérêts compensatoires                                                                65

a. Le préjudice matériel                                                                                           65

b. Le préjudice moral                                                                                               68

3. Les dommages-intérêts punitifs                                                                              75

D. Les ordonnances d’intérêt public                                                                            77

* * *

[1]          La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), agissant dans lintérêt public et en faveur de M. Sébastien Samson-Thibault, soutient que celui-ci a été lobjet dune discrimination fondée sur le handicap dans le cadre dun processus de sélection[1] mené par la Ville de Québec (Ville), en collaboration avec le Groupe Santé Medisys inc.[2] (Medisys), afin de recruter des pompières et pompiers.

[2]          Dans le cas de M. Samson-Thibault, ce processus entrepris en 2012 a pris fin le 23 octobre 2015.

[3]          La Ville l’a alors informé que sa candidature ne pouvait être retenue en raison de sa difficulté à bien distinguer les couleurs rouge et vert inhérente à sa condition de personne daltonienne.

[4]          Selon la CDPDJ, ce refus d’embauche est discriminatoire.  

[5]          Par sa demande introductive dinstance modifiée notifiée aux parties défenderesses le 13 octobre 2021, la CDPDJ leur réclame de verser les sommes suivantes à M. Samson-Thibault :

i)     Pour ce qui est de la Ville :

  • Une somme de 101 295 $ à titre de dommages-intérêts matériels pour perte de revenus;
  • Une somme de 15 000 $ pour préjudice moral;
  • Une somme de 2 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs;

ii)   Pour ce qui est de Medisys :

  • Une somme de 2 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs;

[6]          Comme la CDPDJ estime que le questionnaire médical pré-emploi conçu par Medisys et utilisé par la Ville dans le cadre du processus de sélection porte une atteinte au droit du candidat à un processus d’embauche exempt de discrimination[3] et des atteintes discriminatoires à la sauvegarde de sa dignité[4] et au respect de sa vie privée[5], elle demande à ce que la Ville et Medisys soient condamnés solidairement à verser à M. Samson-Thibault une somme additionnelle de 8 000 $ à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral.

[7]          De plus, la CDPDJ demande à ce que la Ville soit tenue :

[…] de procéder à l’embauche du plaignant dans un poste de pompier permanent dès qu’un tel poste sera ouvert, avec reconnaissance rétroactive au 23 novembre 2015 de tous les droits et privilèges afférents à ce poste, y compris de ses années de service et de son ancienneté non concurrentielle.[6]

[8]          Au nom de lintérêt public, la CDPDJ sollicite des ordonnances visant à obliger la Ville à mettre un terme à ce quelle considère être une pratique dévaluation médicale pré-embauche discriminatoire et indûment intrusive.

[9]          Enfin, elle requiert du Tribunal quil ordonne à Medisys de cesser lutilisation du questionnaire médical pré-emploi dans le cadre du processus dembauche pour les postes de pompières/pompiers, dune part, et quil ordonne à la Ville de réviser ce questionnaire afin de le rendre conforme à la Charte, dautre part, en limitant notamment son usage seulement « après quune offre demploi conditionnelle à ladministration de ce questionnaire ait été présentée au candidat ».

I.               CONTEXTE

[10]      Du 30 novembre au 14 décembre 2012, le Service de protection contre lincendie de la Ville affiche un avis de concours public en vue de recruter des « personnes qualifiées pour constituer une liste de pompières ou pompiers qui servira à pourvoir déventuels postes temporaires et permanents »[7].

[11]      À cette période, M. Samson-Thibault exerce déjà le métier de pompier à la Ville de Rivière-du-Loup. Ce type davis de sélection était plutôt rare, précise-t-il. Il se réjouit alors quun poste soit « ouvert enfin », lui qui caresse le rêve dintégrer ce Service depuis quil est devenu pompier, en avril 2009[8].

[12]      Il pose ainsi sa candidature.

[13]      Le 17 janvier 2013, le Service des ressources humaines de la Ville linforme, par courriel, quil est « admissible » et le convie à « un examen écrit qui est éliminatoire » le samedi 26 janvier 2013[9].

[14]      « Ça se passe bien », dit-il, lui qui na jamais eu de difficulté avec les « tests écrits », sattirant même le sobriquet « The Brain » auprès de ses collègues.

[15]      Le 12 février 2013, un nouveau courriel lui indique que sa candidature « a été retenue pour la poursuite du processus de recrutement » et quil est attendu à une entrevue de sélection[10].

[16]      Le 26 février 2013, il signe à cette fin une « Autorisation pour contrôle de références » par laquelle il autorise le Service des ressources humaines à obtenir des renseignements relatifs à ses emplois antérieurs. Lentrevue se déroule bien.

[17]      Le 27 mars 2013, son « nom est inscrit à la liste de présélection au 47e rang » de manière à ce que sa candidature puisse éventuellement « être considérée pour la poursuite du processus de sélection », cette inscription étant « valide pour une durée de cinq ans ». À cet égard, le comité dévaluation de la Ville précise:

Nous vous rappelons que votre entrée en fonction à titre de pompier demeure sous condition de la réussite des prochaines étapes éliminatoires du processus.[11]

[18]      Plus de deux années passent. Puis, le 13 août 2015, Mme Justine Blier, conseillère en ressources humaines à la Ville, écrit à M. Samson-Thibault et l'informe qu'il sera « convoqué prochainement aux étapes suivantes du processus de sélection ». Elle l'invite notamment à transmettre une copie mise à jour de son curriculum vitae avant de conclure:

[…] nous souhaitons vous informer que vous serez convoqué prochainement à une rencontre d'information tenue par le Service de protection contre l'incendie. Votre présence à cette rencontre est fortement recommandée. La date ainsi que le lieu de cette rencontre vous seront communiqués au cours des prochaines semaines.[12]

[19]      Le 3 septembre 2015, Mme Blier précise que la séance d'information est prévue le vendredi 18 septembre 2015, à 13h, et qu'elle « a pour but d'expliquer la vision du Service de protection contre l'incendie, les étapes du processus de sélection, la prévision des besoins de personnel (régulier et temporaire) ainsi que les conditions de travail des pompiers temporaires à la Ville de Québec ». Le candidat est de plus informé qu'il sera « contacté prochainement pour un examen médical »[13], ce qui sera fait dans les jours suivants.

* * *

[20]      En vertu d’un contrat de service conclu entre les parties défenderesses[14], l’évaluation médicale des personnes qui ont franchi avec succès les étapes préliminaires est confiée à Medisys.

[21]      Le 11 septembre 2015, M. Samson-Thibault se présente à la réception de Medisys et est appelé à compléter un document intitulé « Questionnaire médical pré-emploi et/ou Questionnaire médical 1ère visite »[15]. Des prélèvements d'urine et de sang ainsi qu'un examen de la capacité pulmonaire sont notamment effectués, suivis d'une rencontre avec un médecin, Dr Jose-Luis Gomez.

[22]      À la question « 10 – Avez-vous de la difficulté à distinguer les couleurs? », M. Samson-Thibault coche la case « Oui ».

[23]      Le test diagnostique d’Ishihara est donc utilisé afin de mesurer sa capacité à bien distinguer les teintes rouges et vertes. Dix-sept plaques comportant des chiffres ou des nombres dissimulés par le jeu de petits cercles de couleur lui sont exposées. Cinq erreurs d’identification seront commises.

[24]      Interrogé au sujet du sentiment qu’il éprouve à ce moment, M. Samson-Thibault déclare :

Bien, je vous dirais que je me sentais plutôt mal, là, parce que j’avais échoué le test Ishihara à ce moment-là, là. Je savais que j’étais… depuis que je suis enfant que je sais que je suis daltonien, mais quand même, là, je sais que ça a une pertinence importante, puis je vous dirais qu’à ce moment-là je me sens, mettons, mal.

[…]

[…] [E]st-ce que mon processus va arrêter maintenant ou va se continuer? Donc, c’est angoissant un petit peu pareil, là, puis je redoute, par exemple, le courriel qui pourrait survenir, puis, c’est ça.[16]

[25]      Dr Gomez signe l’Évaluation de l’aptitude du candidat. Il coche la case « État de santé compatible avec les exigences du poste, mais comportant certaines restrictions préventives », lesquelles sont « [p]ermanentes », de telle sorte qu’il considère que M. Samson-Thibault « [n]e peut accomplir des tâches qui demandent de » : « Distinguer parfaitement les couleurs »[17].

[26]      Le 14 septembre 2015, M. Samson-Thibault est avisé qu'il doit se présenter au Centre sportif du Cégep de Lévis-Lauzon, le 30 septembre 2015 à 13 h, afin de subir une épreuve de natation[18]. Ex-nageur de compétition, il réussit cette épreuve sans difficulté. 

[27]      Le 15 septembre 2015, l’infirmière Nadine Cloutier du Service de santé et sécurité de la Ville transmet à Mme Kelly Parsonage, infirmière auxiliaire chez Medisys un texte, tiré d’une revue médicale britannique, qui s’intéresse aux exigences de perception des couleurs imposées aux pompiers et pompières[19].

[28]      Ce même jour, Mme Parsonage contacte M. Samson-Thibault et demande à ce qu’il subisse le test Farnsworth[20] qui sert à évaluer, chez un individu, sa perception des couleurs, vu son échec au test Ishihara.

[29]      Le 17 septembre 2015, il se rend chez son optométriste de Rivière-du-Loup pour passer ce test[21]. Le résultat obtenu permet au professionnel de diagnostiquer un « Léger défaut deutan »[22]. Medisys en est informée par la suite.

[30]      Le ou vers le 21 septembre 2015, l’infirmière Cloutier communique à Mme Blier les résultats du rapport d’évaluation médicale (REM) reçu de Medisys[23].

[31]      Les deux femmes entreprennent des recherches afin de se documenter et d’en savoir davantage sur le daltonisme et les limitations qu’il est susceptible d’entraîner, le cas échéant. Plusieurs démarches sont effectuées pour « mieux comprendre », témoigne Mme Blier, consciente que « ça a un impact ». Une analyse fonctionnelle des tâches est effectuée. Le Service juridique est consulté. L’ensemble de la Direction des ressources humaines est impliqué, dit-elle, tant le dossier est « prioritaire ». Elle précise que ce « besoin de réfléchir » justifiait, dans l’immédiat, de laisser poursuivre le candidat dans le processus.     

[32]      Ainsi, le 6 octobre 2015, M. Samson-Thibault reçoit une double convocation de la part de la Ville. D’une part, il doit se présenter à une rencontre le 15 octobre 2015 « afin d’effectuer les prises de mesure pour les équipements » (habit, manteau, casque protecteur, bottes de sécurité, gants, cagoule, chemises…). D’autre part, il est également attendu à la caserne no 2, le mardi 27 octobre 2015, pour se soumettre « à des tests physiques ainsi qu’à des tests relatifs aux spécialités »[24].

[33]      Le 22 octobre 2015, à la demande du Service de santé et sécurité de la Ville, Dre Michelle Tolszczuk, médecin-conseil, émet une opinion au sujet de M. Samson-Thibault. Elle considère qu’« il présente une deutéranopie modérée incompatible avec le travail de pompier », c’est-à-dire « un handicap bien établi en termes de reconnaissance de la couleur rouge et de la couleur verte ». Elle affirme que ce handicap « peut avoir un impact sur la sécurité du travailleur ainsi que sur ses collègues et les citoyens » et conclut, de ce fait, à « un risque trop élevé »[25]. 

[34]      Il y avait une « inadéquation », constate Mme Blier. Nous nous sommes concertés une dernière fois, dit-elle, pour conclure à une « non-recommandation ».  

[35]      Le 23 octobre 2015, elle téléphone à M. Samson-Thibault et l’informe que sa candidature n’est pas retenue en raison de son incapacité à bien distinguer les couleurs.

[36]      Le 27 octobre 2015, elle confirme le tout, par courriel :

À la suite de votre participation au concours […], nous avons fait une étude attentive de votre candidature. C’est avec regret que nous devons vous informer que la vôtre n’a pu être retenue pour les raisons mentionnées lors de notre discussion téléphonique du 23 octobre dernier.

[…].[26]

[37]      Le candidat déçu sollicitera Mme Blier afin d’obtenir une rencontre avec le comité de sélection pour démontrer ses capacités, en vain.

* * *

[38]      Le 15 décembre 2015, M. Samson-Thibault dépose à la CDPDJ une plainte de discrimination dans l’embauche fondée sur le « handicap ou moyen pour pallier au handicap ». Cette plainte, qui cible à la fois la Ville et Medisys, se conclut ainsi :

Je souhaite, par cette plainte, contester la décision de la ville de Québec quant au refus de ma candidature au poste de pompier et ultimement obtenir le poste pour lequel j’ai postulé.[27]

[39]      Le 19 avril 2016, la CDPDJ informe les défenderesses qu’elles sont l’objet d’une plainte[28].

[40]      Après enquête de la CDPDJ, les membres du Comité des plaintes adoptent une résolution, le 11 avril 2019, aux termes de laquelle la CDPDJ considère « que le plaignant a été victime de discrimination fondée sur le handicap dans le cadre du processus de sélection pour un poste de pompier à la Ville de Québec »[29].

[41]      La CDPDJ justifie sa décision en ces termes :

Il ressort de la preuve que le plaignant a été soumis à un questionnaire médical pré-embauche comportant de nombreuses questions ouvertes portant sur des motifs prohibés de discrimination. Ces questions requéraient des informations très générales qui n’étaient pas circonscrites dans le temps et qui ne ciblaient pas les qualités et exigences requises pour le poste de pompier.

La preuve révèle également que le Groupe de santé Medisys, après avoir constaté que le plaignant avait déjà été soumis à un examen pré-admission dans une autre clinique en 2008, clinique qui a été rachetée depuis par leur groupe, a décidé de fusionner les deux dossiers et de transmettre l’ensemble des informations qui s’y trouvaient à la Ville de Québec, ce qui constitue entre autres, de l’avis de la Commission, une atteinte au droit à la vie privée du plaignant.

Quant au refus d’embauche fondé sur le daltonisme du plaignant, la Commission estime que la Ville n’a pas démontré que la nécessité de distinguer les couleurs rouge et verte est une exigence professionnelle justifiée pour occuper un poste de pompier ni qu’il aurait été impossible de composer avec le handicap du plaignant sans qu’elle n’en subisse une contrainte excessive. Pour la Commission, les arguments avancés par la Ville en enquête ne démontrent pas que l’embauche du plaignant aurait constitué un véritable risque pour la sécurité au sein de son Service de protection contre les incendies. D’ailleurs, le plaignant exerce le métier de pompier depuis 2009 sans problème.

[…].[30]

[42]      Par sa résolution signifiée aux défenderesses le 27 mai 2019, la CDPDJ proposait diverses mesures de redressement et demandait à la Ville et à Medisys de les mettre en œuvre « le ou avant le 21 juin 2019 à 15 heures »[31], ce qui ne sera pas fait.

[43]      Le 26 septembre 2019, la CDPDJ déposait sa demande introductive d’instance qu’elle modifiait, le 13 octobre 2021, afin de porter à la hausse les sommes réclamées à la Ville et à Medisys au titre des « dommages moraux ».

II.             QUESTIONS EN LITIGE

[44]      Dans son mémoire daté du 10 septembre 2020, la Ville propose cette première question en litige :

  1. La Ville a-t-elle rejeté la candidature du Plaignant lors du processus d’embauche pour un poste de pompier au sein du SPCI pour un motif interdit par les articles 10 et 16 de la Charte, à savoir le handicap ou la perception du handicap?

[45]      Toutefois, lors de sa plaidoirie, l’avocate de la Ville n’a pas cherché à démontrer que le daltonisme ne pouvait être juridiquement qualifié de « handicap » au sens de l’article 10 de la Charte. À bon droit, elle a plutôt admis la chose.

[46]      Dès 1984, le Tribunal canadien des droits de la personne convenait qu’une « déficience chromatique » peut être assimilée à un « handicap physique »[32].

[47]      En 2000, dans l’arrêt Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[33], la Cour suprême du Canada s’attarde à circonscrire la notion de « déficience » qui figure parmi les caractéristiques personnelles expressément visées par la protection constitutionnelle contre la discrimination. Elle y précise que cette notion peut recouper une « affection physique ou mentale », une « limitation fonctionnelle » ou « un désavantage qui résulte d’une construction sociale »[34].

[48]      Or, pour illustrer la deuxième composante de la « déficience », elle retient justement l’exemple du daltonisme :

Lorsque des limitations fonctionnelles existent vraiment, elles peuvent être mineures au point de n’avoir aucune importance.  Par exemple, il se peut qu’une personne légèrement daltonienne n’éprouve aucune limitation fonctionnelle dans la mesure où elle ne choisit pas un emploi pour lequel l’aptitude à distinguer exactement les couleurs est importante, comme celui de décorateur d’intérieur ou de pilote de ligne commerciale.[35]

[49]       De toute évidence, la Cour reconnaît ainsi que la difficulté d’une personne à « distinguer exactement les couleurs » peut juridiquement être considérée comme une « déficience » au sens de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés[36].

[50]      Un même constat s’impose eu égard à la notion de « handicap » de l’article 10 de la Charte, les différences de formulation entre les textes destinés à combattre la discrimination ne devant « pas masquer les fins essentiellement semblables de ces dispositions »[37].

[51]      Ainsi, le Tribunal considère que la CDPDJ a fait la preuve que M. Samson-Thibault a été exclu du processus d’embauche en raison d’un « handicap » du fait que sa difficulté à distinguer les couleurs est, à tout le moins, perçue comme tel par l’employeur :

[79]  […] un « handicap » peut résulter aussi bien d’une limitation physique que d’une affection, d’une construction sociale, d’une perception de limitation ou d’une combinaison de tous ces facteurs.

[…]

[81]  […] Le « handicap » peut être soit réel ou perçu […].[38]

[52]      Trois conditions doivent être réunies pour conclure à l’existence d’une discrimination prima facie en vertu de l’article 10 de la Charte :

[35]  Dans un premier temps, l’art. 10 requiert du demandeur qu’il apporte la preuve de trois éléments, soit « (1) une « distinction, exclusion ou préférence », 2) fondée sur l’un des motifs énumérés au premier alinéa et 3) qui « a pour effet de détruire ou de compromettre » le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne […] ».[39]

[53]      M. Samson-Thibault a été exclu à la toute fin du processus de sélection parce que sa difficulté à distinguer les couleurs rouge et vert est perçue comme un handicap qui le rend inapte, selon la Ville, à exercer l’emploi de pompier de façon sécuritaire, le privant ainsi de la possibilité de se réaliser dans un travail qui le passionne, au sein d’un Service à la mesure de ses ambitions.

[54]      Le Tribunal estime qu’il y a, à première vue, une preuve prépondérante de discrimination à l’endroit du candidat, en violation des articles 10 et 16 de la Charte.

[55]      Dans ces conditions, l’analyse se limitera aux questions en litige suivantes :

A)    La Ville a-t-elle démontré, par prépondérance de preuve, que sa décision d’exclure M. Samson-Thibault du processus d’embauche repose sur une exigence professionnelle justifiée, au sens de l’article 20 de la Charte?

B)    Dans le cadre de ce processus d’embauche, la Ville a-t-elle recueilli, avec l’assistance de Medisys, des renseignements non nécessaires à l’application de l’article 20 de la Charte?  

C)    M. Samson-Thibault est-il en droit d’obtenir le poste convoité, d’une part, et une réparation monétaire de la Ville et de Medisys, d’autre part, assortie de dommages-intérêts punitifs?

D)    Y a-t-il lieu d’émettre, dans l’intérêt public, des ordonnances de nature à :

i)                    faire cesser, pour l’avenir, l’utilisation du questionnaire médical conçu par Medisys et utilisé par la Ville pour le recrutement des pompiers et pompières;

ii)                  assujettir l’utilisation d’un questionnaire médical, une fois celui-ci conforme à la Charte, à une offre préalable d’emploi conditionnelle?

III.          ANALYSE

[56]      En présence d’une « discrimination prima facie » ou « à première vue »[40], l’employeur peut « justifier sa décision ou sa conduite en invoquant les exemptions prévues par la loi sur les droits de la personne applicable ou celles développées par la jurisprudence »[41]. 

A.           L’exigence professionnelle justifiée (EPJ)

[57]      L’article 20 de la Charte aménage en ces termes la « défense de l’exigence professionnelle justifiée »[42] (EPJ) qui s’offre à la Ville :

20.  Une distinction, exclusion ou préférence fondée sur les aptitudes ou qualités requises par un emploi […] est réputée non discriminatoire.

[58]      La Cour suprême du Canada « a établi une méthode permettant de déterminer si une norme ou pratique prima facie discriminatoire constitue une EPJ »[43].

[59]      Cette méthode est élaborée dans l’arrêt ColombieBritannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU[44] Meiorin »). L’employeur en cause dans cette affaire avait congédié une pompière qui n’était pas parvenue à satisfaire une norme aérobique qu’il considérait comme un seuil minimal pour combattre efficacement les incendies de forêts.

[60]      La juge en chef de la Cour décrit en ces termes la grille d’analyse applicable :

[54]  […] je propose d’adopter la méthode en trois étapes qui suit pour déterminer si une norme discriminatoire à première vue est une EPJ.  L’employeur peut justifier la norme contestée en établissant selon la prépondérance des probabilités:

(1)  qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;

(2)  qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;

(3)  que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail.  Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.[45]

[61]      Dans l’arrêt Bombardier, la Cour suprême précise que « [l]es principes de cet arrêt [Meiorin] ont par la suite été appliqués à l’art. 20 de la Charte »[46].

[62]      Elle cite notamment l’arrêt rendu par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Gaz métropolitain inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse[47] à titre d’illustration.

[63]      Or, dans cet arrêt Gaz métropolitain, la Cour d’appel apporte cette précision :

[40]  On comprend de cet arrêt que l'élément subjectif de la méthode d’analyse de l'arrêt Meiorin, précité, c’est-à-dire la preuve que l'employeur « a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser [l]e but légitime lié au travail » n'est plus pertinent dans les recours intentés en vertu de la Charte québécoise. En effet, depuis l’amendement apporté par le législateur en 1982, l'article 20 de la Charte québécoise a été modifié par le remplacement de l'expression « exigées de bonne foi pour un emploi » par « requises par un emploi ». Par ailleurs, il s'impose à l'évidence que si la mauvaise foi de l'employeur est établie par la preuve, on ne pourrait parler d'exigence professionnelle justifiée.[48]

[64]      Ainsi, la deuxième étape de la grille d’analyse tripartite de l’arrêt Meiorin n’est pas applicable dans le contexte de la Charte québécoise[49].

1.             Le lien rationnel

[65]      Dans un premier temps, l’employeur doit pouvoir établir que la norme ou la condition qu’il exige poursuit un but rationnellement lié à l’exécution du travail de pompier.

[66]      Puisque les aptitudes ou qualités exigées doivent être objectivement « requises par l’emploi » selon l’article 20 de la Charte, la Ville doit d’abord démontrer qu’il y a un lien rationnel entre ses exigences et l’objectif sous-jacent qu’elle cherche à atteindre.

[67]      Or, il ressort de la preuve que la sécurité est au cœur de ses préoccupations dans l’exploitation de son service de protection contre l’incendie.

[68]      L’environnement normatif dans lequel ce service évolue est fort explicite à ce propos.

[69]      La Loi sur la sécurité incendie[50] « a pour objet la protection contre les incendies de toute nature des personnes et des biens ».

[70]      Les Orientations du ministre de la Sécurité publique en matière de sécurité incendie[51] imposent notamment aux administrations municipales de concevoir un « schéma de couverture de risques »[52] afin de favoriser « la réduction significative des pertes attribuables à l’incendie », qu’elles soient humaines ou matérielles :

La réalisation de la première orientation repose en tout premier lieu sur un recours accru, par rapport aux pratiques actuelles, à des approches préventives. La prévention représentera toujours, en effet, le moyen le plus sûr pour les municipalités de contrôler les risques et, ce faisant, de limiter les coûts économiques, financiers et sociaux de l’incendie. Le déploiement de mesures préventives se révèle d’autant plus opportun que la majorité des incendies de bâtiments, des pertes de vies et des blessures attribuables à l’incendie au Québec sont dus à des comportements imprudents, sur lesquels des actions réglementaires ou d’éducation populaire peuvent avoir des effets.[53]

[71]      Du reste, par sa propre réglementation, la Ville témoigne de son engagement à prévenir, dans toute la mesure du possible, les incendies sur son territoire et les conséquences dommageables qui peuvent en résulter[54].

[72]      Dans ce contexte, « [l]e pompier chargé de procéder à des interventions de sauvetage ou d’extinction d’un incendie » doit disposer d’une formation solide prescrite par règlement[55].

[73]      Il doit « prendre les mesures nécessaires pour protéger sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique » et « veiller à ne pas mettre en danger la santé, la sécurité ou l’intégrité physique des autres personnes qui se trouvent sur les lieux de travail ou à proximité des lieux de travail »[56].

[74]      Quant à la Ville, elle assume l’obligation corrélative de « prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique » de ses pompières et pompiers[57]. Elle doit notamment « s’assurer que l’organisation du travail et les méthodes et techniques utilisées pour l’accomplir sont sécuritaires »[58].

[75]      La Charte elle-même impose l’établissement et le maintien de conditions de travail qui respectent la santé, la sécurité et l’intégrité physique de toute personne qui travaille[59]. 

[76]      À ces normes quasi constitutionnelles, législatives et réglementaires domestiques s’ajoutent celles émanant de la National Fire Protection Association (NFPA), un organisme de normalisation qui a son siège aux États-Unis. Elle se consacre notamment à l’étude de données sur les incendies et à la codification de normes et de bonnes pratiques destinées à réduire les risques de blessures ou de décès causés par le feu[60]. 

[77]      Sous le titre Standard on Comprehensive Occupational Medical Program for Fire Departments, la norme NFPA 1582[61] établit les exigences médicales requises pour exercer la fonction de pompier ou pompière. Le chapitre 6 relatif à l’évaluation médicale des personnes candidates comporte notamment des normes relatives à l’acuité visuelle et à la perception des couleurs.

* * *

[78]      M. Christian Paradis est pompier depuis 1985. Il assure la direction du Service de protection contre l’incendie de la Ville[62] depuis novembre 2014. Il indique que la norme NFPA 1582 n’est « pas une loi » mais comporte plutôt « des recommandations », « des orientations ». Il précise que le Service sélectionne les éléments tirés de ces normes qui conviennent à sa pratique. C’est notamment le cas en ce qui a trait au daltonisme : « Les couleurs nous accompagnent continuellement dans notre métier », tranche-t-il.

[79]      M. Paradis assimile la lutte contre les incendies à un « sport extrême ». « C’est tellement intense », dit-il, « les citoyens sortent du bâtiment, nous on rentre », ce n’est « pas un milieu contrôlé », tous les sens sont « immensément sollicités », voire « surutilisés ».

[80]      La vue n’y fait évidemment pas exception.

[81]      D’ailleurs, dès 1981, la Direction générale de la prévention des incendies du Ministère des affaires municipales du Québec diffusait un manuel regroupant les exigences propres à l’emploi de « pompier à temps plein ». La section A-7.2 intitulée « Vision » prévoyait celle-ci :

La présence d’une des affections suivantes entraîne le rejet de la candidature.

a)  Perception des couleurs. Incapacité d’identifier le rouge ou le vert ou les deux.

[…].[63]

[82]      En 1984, dans une version nouvelle du manuel[64] « inspiré largement des normes du NFPA » et qui « annule et remplace » le précédent[65], la section D-2.2 relative aux « Normes visuelles » guide en ces termes le médecin examinateur du candidat :

Il doit avoir une vision binocculaire non corrigée, non inférieure à 20/40 – 20/40. Les champs visuels ne doivent pas être restreints. Le port de lentilles cornéennes est strictement défendu.[66]

[83]      La section D-4 précise ensuite que « certains facteurs de risques non spécifiquement décrits dans ces normes pourront également représenter des causes de rejet et d’autres types d’examens peuvent être requis »[67]. 

* * *

[84]      Selon l’arrêt Meiorin, la première étape de la méthode d’analyse proposée « consiste à identifier l’objet général de la norme contestée et à décider s’il est rationnellement lié à l’exécution du travail en cause »[68].

[85]      De toute évidence, « ce que vise à réaliser de manière générale la norme contestée »[69] est de s’assurer que les pompières et pompiers embauché(e)s par la Ville ont « [l]a capacité de travailler de manière sûre et efficace »[70] ou, en d’autres mots, de mener « la lutte sûre et efficace contre les incendies »[71].

[86]      Comme l’exprime la Cour suprême :

[59]  À cette première étape, l’analyse porte non pas sur la validité de la norme particulière en cause, mais plutôt sur la validité de son objet plus général. Cet examen est nécessairement plus général que lorsqu’il s’agit de déterminer s’il existe un lien rationnel entre l’exécution du travail et la norme particulière qui a été choisie […].[72]

[87]      De l’avis du Tribunal, la Ville a fait la preuve que l’objet général de l’exigence voulant que M. Samson-Thibault soit en mesure de « distinguer parfaitement les couleurs » ce qui est la « norme particulière » qui a été choisieest bel et bien « d’assurer l’exécution sûre et efficace du travail ».[73] 

[88]      Comme l’affirme le Tribunal dans l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Allard) c. Systèmes de drainage Modernes inc.[74], il s’agit là d’un simple « test de légitimité et de pertinence » :

[58] […] Lorsque l’objet général de la norme est d’assurer l’exécution sûre et efficace du travail – un élément essentiel de tout métier – il ne sera vraisemblablement pas nécessaire de consacrer beaucoup de temps à cette étape.[75]  

[89]      Il n’en faut pas plus pour conclure à l’existence d’un lien rationnel « entre l’objet général de la norme et les tâches que l’employé est légitimement tenu d’accomplir »[76].

2.             L’accommodement raisonnable

[90]      Le second volet de la méthode d’analyse proposée dans l’arrêt Meiorin[77] s’intéresse à la norme particulière qui est contestée et « constitue un test de rationalité s’attachant à la nécessité de la norme afin de réaliser une fin légitime »[78].

[91]      Selon la preuve, le questionnaire médical conçu par Medisys et utilisé par la Ville dans le processus de sélection des pompières et pompiers comportait cette question :

10 – Avez-vous de la difficulté à distinguer les couleurs?

[92]      Le 11 septembre 2015, en réponse à cette dernière question, M. Samson-Thibault coche la case-réponse  Oui.

[93]      Il subit alors le test diagnostique d’Ishihara. Il commet cinq erreurs d’identification des chiffres ou des nombres représentés sur les 17 plaques qui lui sont présentées.

[94]      Quatre erreurs sont inscrites sous la rubrique « Déficience partielle dans les couleurs Rouge et Verte », la cinquième obtenant plutôt la mention « Déficience complète dans la distinction des couleurs »[79].  

[95]      Le médecin examinateur, Dr Gomez, conclut à un « État de santé compatible avec les exigences du poste », mais comportant une restriction préventive permanente du fait que M. Samson-Thibault « [n]e peut accomplir des tâches qui demandent de » :

10 –   Distinguer parfaitement les couleurs

[96]      Le 17 septembre 2015, Dr Louis-Thomas Tremblay fait passer le test Farnsworth à M. Samson-Thibault. Quatre des 15 pastilles de couleurs qui lui sont présentées ne seront pas placées dans le bon ordre, ce qui mène l’optométriste à un diagnostic de « Léger défaut deutan »[80].

[97]      Ainsi, malgré des résultats de plus de 70 % au test Ishihara et de plus de 73 % au test Farnsworth, la candidature de M. Samson-Thibault est rejetée parce qu’« il présente une deutéranopie modérée incompatible avec le travail de pompier », selon l’opinion médicale obtenue du médecin conseil de l’employeur, Dre Tolszczuk[81].

[98]      Puisque la Ville refuse la candidature d’une personne dont le défaut ou la difficulté à bien distinguer les couleurs sont respectivement qualifiés tantôt de « léger », tantôt de « modérée », il faut conclure que la norme particulière qu’elle impose à M. Samson-Thibault consiste, dans les faits, à « Distinguer parfaitement les couleurs ».

[99]      En fonction des enseignements de l’arrêt Meiorin, la Ville doit ainsi démontrer que cette norme « particulière est raisonnablement nécessaire pour déceler les personnes en mesure d’exécuter de façon sûre et efficace les tâches de pompier »[82].

[100] Cette démonstration emporte une obligation d’accommodement raisonnable, « un principe central et transcendant en matière de droits de la personne »[83], qui s’applique dans le cadre d’un processus d’embauche[84] et auquel l’employeur ne peut se soustraire qu’en présence d’une « contrainte excessive »[85] :

[72] […] Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.[86]

[101] Autrement dit :

[14] […] En pratique, ceci signifie que l’employeur doit offrir des mesures d’accommodement qui, tout en n’imposant pas à ce dernier de contrainte excessive, permettront à l’employé concerné de fournir sa prestation de travail. L’obligation d’accommodement a pour objet d’empêcher que des personnes par ailleurs aptes ne soient injustement exclues, alors que les conditions de travail pourraient être adaptées sans créer de contrainte excessive.[87]

[102] En somme, « s’il est possible de composer avec des différences individuelles sans que l’employeur subisse une contrainte excessive, la norme n’est pas alors une EPJ »[88].

[103]       Quant à l’identification de la « contrainte excessive », elle est affaire de contexte[89] et de « bon sens, en fonction des faits de chaque cas »[90]. Ainsi, « [l]orsque la sécurité est en jeu, lampleur du risque et lidentité de ceux qui le supportent sont des facteurs pertinents »[91]. Toutefois, « le critère de la contrainte excessive signifie que l’employeur doit toujours supporter une certaine contrainte »[92].

a)            Le « handicap » chromatique

[104]       Au moment où la Ville prend la décision de rejeter la candidature de M. Samson-Thibault, elle dispose de la grille d’évaluation complétée chez Medisys par Dr Gomez, des résultats obtenus par le candidat aux tests diagnostiques Ishihara et Farnsworth et de l’opinion que son médecin conseil, Dre Tolszczuk, s’est formée à la seule lecture du dossier.

[105]       Si la Ville était alors bien au fait que M. Samson-Thibault était daltonien, ce n’est toutefois qu’après l’avoir exclu du processus de sélection et dans le cadre du déroulement de la présente instance qu’elle obtient, en mars 2021, une évaluation de sa condition par un médecin expert, Dr Jean-Pierre Chartrand, ophtalmologiste qui exerce notamment à l’Hôpital général juif de Montréal rattaché à l’Université McGill[93].

[106]       Dans le mandat d’évaluation qui est confié au Dr Chartrand, la Ville lui souligne qu’elle « appuie sa décision notamment, mais non exclusivement, sur la norme NFPA 1582 »[94].    

[107]      Le 19 février 2021, M. Samson-Thibault est vu par l’expert, qui se décrit comme un spécialiste des maladies de l’œil.

[108]      Dr Chartrand conclut à « un dichromate deutéranope dans le rouge et le vert »[95] qui entraîne des « difficultés de perception ». Il témoigne que le problème n’est pas « faible », mais au moins « moyen ».

[109]      À cet égard, il écrit :

[…] le daltonisme est une déficience héritée génétiquement et non acquise. Le travail de pompier, qui est connu pour des événements qui parfois peuvent être extrêmes, exige que tous les sens soient en alerte et fonctionnels, au meilleur possible, aussi une condition physique attentive. Le fait d’avoir une déficience quant à la couleur des objets multiples rencontrés lors du combat d’incendie, surtout alors que les contrastes changent rapidement, nous semble un risque inapproprié.[96]

[110]      L’expert conclut « que la condition médicale de monsieur [Samson-Thibault] […], vu le travail de pompier, n’est pas compatible »[97]. « Les conclusions sont très, très claires », souligne-t-il.

[111]       Le Tribunal a également eu le bénéfice d’entendre M. Vasile Diaconu, Ph.D., chercheur et professeur agrégé à l’École d’optométrie de l’Université de Montréal[98]. Il se spécialise dans la « vision des couleurs » et des « sensations colorées » qui se forment dans le cerveau humain.

[112]      Le 15 janvier 2021, il reçoit M. Samson-Thibault au laboratoire de recherche de l’École « afin d’évaluer sa capacité à différentier les couleurs »[99]. Le candidat est alors soumis à trois tests distincts :

  1. L’anomaloscope de Nagel, afin de catégoriser la vision des couleurs pour la palette de couleur du rouge et du vert;
  2. Le test Hardy Rand et Rittler (HRR), qui offre un aperçu concernant la capacité de discriminer des cibles colorées sans contraste de luminance pour des couleurs de la palette du rouge et du vert ainsi que de la palette des couleurs du jaune et du bleu (tous les éléments de l’image du test présentent la même luminance);
  3. Le test D15 Farnsworth, qui a été utilisé pour mettre en évidence si M. Thibault utilise les indices de luminosité ou les indices de chromaticité pour différencier les couleurs.[100]

[113]       M. Diaconu décrit M. Samson-Thibault comme étant « de type dichromate dans la catégorie deutéranope » en ce qu’il ne possède « pas la sensation du rouge et du vert »[101]. « Son degré d’affaiblissement, écrit l’expert, est considéré comme moyen sur une échelle de faible, moyenne vers sévère »[102]. Toutefois, sa capacité « à bien discriminer les couleurs de la palette jaune-bleu est dans la catégorie du normal »[103].

[114]       M. Samson-Thibault est également à même de voir les contrastes quand la luminance est adéquate, étant entendu que « la couleur d’un objet dépend de la lumière qui l’éclaire »[104], d’où ce constat de l’expert :

La fonction de la sensibilité au contraste chez les daltoniens demeure aussi performante que chez les non-daltoniens.[105]

[115]       Somme toute, M. Diaconu est d’avis « que M. Thibault est apte à effectuer le travail de pompier »[106].

* * *

[116]      Si les deux experts s’entendent sur la nature du « handicap » (dichromate deutéranope rouge/vert) et son degré d’intensité (moyen), leurs opinions divergent quant à la capacité de M. Samson-Thibault à exécuter le travail de pompier de manière sécuritaire.

[117]      Il importe alors de considérer « le lien entre les opinions proposées et la preuve »[107] (testimoniale et documentaire) versée au dossier. Aucune preuve n’étant « par définition prioritaire »[108], la valeur probante des expertises doit évidemment être évaluée à la lumière de « l’ensemble du contexte »[109].

b)            La norme NFPA

[118]      De l’aveu même de la Ville, sa décision de rejeter la candidature de M. Samson-Thibault se fonde notamment sur la norme NFPA 1582, telle qu’elle se lisait à l’automne 2015[110].

[119]      Si l’organisme américain qui en est l’auteur a pu servir d’inspiration au gouvernement du Québec depuis les années 1980[111], cette norme précise n’a jamais été intégrée à la législation ou réglementation québécoise sous quelque forme que ce soit[112]. Ainsi, le législateur ne s’est pas prévalu de cette possibilité en usant, par exemple, de la technique de l’incorporation par renvoi comme il le fait assez fréquemment en matière de santé et de sécurité du travail[113].

[120]      La norme NFPA 1582 tend à regrouper les règles de l’art relatives à la santé et la sécurité dans la lutte contre les incendies. Cette norme origine des travaux de comités spécialisés composés de personnes expertes dans le domaine. Elle est révisée périodiquement, en fonction de l’évolution des connaissances, dans un souci d’amélioration continue et de partage des meilleures pratiques.

[121]      Il ne s’agit pas d’une norme étatique ayant force de loi[114]. Elle s’apparente plutôt à un cadre de référence, à des lignes directrices[115] d’adhésion volontaire, sans véritable effet contraignant[116].

[122]      Ceci dit, la CDPDJ n’a pas cherché à remettre en cause le processus qui a mené à l’élaboration de la norme NFPA 1582. Elle n’a pas contesté la pertinence de cette norme ni soutenu qu’elle était contraire à la Charte[117], laquelle est juridiquement supérieure[118], cela va de soi.

[123]      Le désaccord entre les parties tient plutôt à l’interprétation qu’il convient de donner à cette norme en l’espèce. 

[124]      La norme NFPA 1582 s’intéresse notamment aux affections qui peuvent compromettre la capacité d’un candidat ou d’une candidate à effectuer, de manière sécuritaire, les tâches essentielles d’un pompier ou d’une pompière.

[125]      À cet égard, la norme établit deux catégories distinctes de restrictions. La catégorie « A » cible les affections qui sont manifestement incompatibles avec les exigences requises par l’emploi. La catégorie « B » vise les affections qui peuvent être compatibles avec ces exigences dans la mesure où la personne qui en est porteuse peut par ailleurs accomplir les tâches essentielles de l’emploi sans risque significatif pour sa santé et sa sécurité, celles de ses collègues de travail ou du public en général.

[126]      Sous le titre « Eyes and Vision », l’article 6.4 de la norme NFPA 1582 comporte les dispositions suivantes :

6.4.1 Category A medical conditions shall include the following:

(1) *Far visual acuity less than 20/40 binocular, corrected with contact lenses or spectacles, or far visual acuity less than 20/100 binocular for wearers of hard contacts or spectacles, uncorrected

(2) *Color perceptionmonochromatic vision resulting in inability to use imaging devices such as thermal imaging cameras

(3) *Monocular vision

(4) *Any eye condition that results in the candidate not being able to safely perform one or more of the essential job tasks

6.4.2 Category B medical conditions shall include the following:

(1) *Diseases of the eye such as retinal detachment, progressive retinopathy, or optic neuritis

(2) *Ophthalmological procedures such as radial keratotomy, Lasik procedure, or repair of retinal detachment

(3) *Peripheral vision in the horizontal meridian of less than 110 degrees in the better eye or any condition that significantly affects peripheral vision in both eyes[119]

(Nos soulignements)

[127]      D’emblée, il convient de noter que M. Samson-Thibault nest pas affecté d’une vision monochromatique[120], mais plutôt dichromatique. Le paragraphe 6.4.1(2) ne s’applique donc pas à sa situation.

[128]      Quant aux conditions énumérées à la catégorie B, elles visent des affections particulières qui ne correspondent pas à sa condition de daltonien.

[129]      La norme NFPA 1582 est par ailleurs assortie d’une « Annexe A » qui s’ouvre sur cette mention :

Annex A is not part of the requirements of this NFPA document but is included for informational purposes only. This annex contains explanatory material, numbered to correspond with the applicable text paragraphs.[121]

[130]      Sans être intégrée à la norme elle-même, cette annexe contient néanmoins des informations visant à expliquer les diverses dispositions qui la précèdent.

[131]      À cet égard, les explications relatives au paragraphe 6.4.1(2) de la norme présentent un intérêt singulier eu égard à la condition de M. Samson-Thibault :

A.6.4.1(2) This does not refer to abnormal color perception such as red/green color blindness.

Persons with severe color vision loss will likely fail the acuity requirement. Formerly, color vision deficiency was listed as a Category B medical condition. However, it is felt that within most cases this condition will not affect the ability of a member to safely perform the essential functions of his or her job. The fire service physician should consider the color vision deficiency of the individual and consider the color vision requirements of the member’s job and reach an individual determination.

(Nos soulignements)

[132]      La lecture de cette note explicative tirée de l’annexe A et qui s’apparente, en fait, à une directive d’application de la norme mène aux constats suivants :

i)                    La difficulté d’une personne à distinguer le rouge et le vert était autrefois l’objet d’une restriction explicite de catégorie « B », ce qui n’est plus le cas depuis 2013[122];

ii)                  Ce sont les personnes atteintes d’une perte sévère de la vision des couleurs qui sont probablement susceptibles de ne pas satisfaire le seuil d’acuité visuelle requis. Or, nous l’avons vu, aucun des professionnels qui se sont prononcés sur la condition de M. Samson-Thibault n’a qualifié son « handicap » chromatique de « sévère »[123];

iii)                Dans la plupart des cas, la difficulté d’une personne à distinguer le rouge et le vert n’altèrera pas sa capacité à lutter contre les incendies de manière efficace et sécuritaire;

iv)                Le médecin examinateur informé du fait qu’une personne présente un « handicap » chromatique doit procéder à une évaluation individualisée de sa candidature eu égard aux exigences requises par l’emploi en matière de perception des couleurs.

[133]      Somme toute, ce qui ressort clairement de la norme NFPA 1582 et de l’annexe A qui l’accompagne, c’est que le daltonisme n’est plus considéré comme un empêchement systématique ou un obstacle dirimant à l’exercice sécuritaire de la fonction de pompier ou pompière.

[134]      D’ailleurs, dans un formulaire préparé par l’Ontario Fire Administration inc. et destiné aux ophtalmologistes ou optométristes qui ont à évaluer l’acuité visuelle des candidats et candidates, l’on trouve cette instruction :

Individuals with abnormal colour perception (i.e. red-green deficiency) do meet the colour vision requirement.[124]

[135]      L’évolution qu’a connue la norme NFPA 1582 au fil des ans invite donc à une application plus souple et nuancée des exigences relatives à la perception des couleurs.

[136]      Exiger d’une personne qu’elle soit en mesure de « distinguer parfaitement les couleurs » pour être admise à combattre le feu paraît, à première vue, difficilement compatible avec cette évolution.

[137]      Il est vrai que le paragraphe 6.4.1 (4) de la norme NFPA n’exclut pas la possibilité de rejeter la candidature d’une personne dont la condition visuelle (« eye condition ») limite sa capacité à accomplir l’une ou l’autre de ses tâches de façon sécuritaire. Toutefois, dans le cas où la condition en cause a trait à la difficulté de percevoir les couleurs Color perception ») au sens du paragraphe 6.4.1 (2), l’employeur ne devrait pas pouvoir se soustraire à l’évaluation individualisée (« individual determination ») recommandée à l’Annexe A.

[138]      En d’autres termes, cette annexe témoigne de « l’intention de passer d’une politique d’exclusion basée sur des catégories à une politique requérant des évaluations individualisées »[125].

[139]      Du reste, une telle approche apparaît parfaitement en phase avec les enseignements de la jurisprudence :

[68]  […] La norme qui fait inutilement abstraction des différences entre les personnes va à l’encontre des interdictions contenues dans les diverses lois sur les droits de la personne et doit être remplacée.  La norme ellemême doit permettre de tenir compte de la situation de chacun, lorsqu’il est raisonnablement possible de le faire.[126]  

c)             L’évaluation individualisée

[140]      L’obligation d’accommodement raisonnable qui s’infère de la Charte commande une appréciation individualisée de la personne que l’employeur entend exclure pour des raisons de sécurité :

[22]  Le caractère individualisé du processus d’accommodement ne saurait être minimisé.  En effet, l’obligation d’accommodement varie selon les caractéristiques de chaque entreprise, les besoins particuliers de chaque employé et les circonstances spécifiques dans lesquelles la décision doit être prise. […] L’accommodement raisonnable est donc incompatible avec l’application mécanique d’une norme d’application générale.[127] 

[141]      L’évaluation individualisée s’impose du fait qu’« [i]l est impossible, par exemple, de déterminer la « nature », la « gravité » ou la « durée probable » d’une maladie sans le faire à l’égard d’une personne donnée »[128].

[142]      Ainsi, « une analyse individualisée est nécessaire »[129] par opposition à une appréciation générique « faite en fonction de la déficience plutôt qu’en fonction de l’individu »[130] :

[71]  L’insistance sur l’évaluation individualisée s’impose tout particulièrement dans les cas où l’employeur applique des normes rigides comme l’exclusion péremptoire fondée sur certains problèmes de santé ciblés (comme le diabète), sur un certain âge (comme une politique de retraite obligatoire) ou sur la réussite d’un test précis (mécanique ou aérobique par exemple).[131]

[143]      À cet égard, la jurisprudence invite à poser successivement un regard sur la procédure d’accommodement suivie par l’employeur, puis sur la substance des arguments qui l’amènent à soutenir qu’un assouplissement à sa norme l’exposerait à une « contrainte excessive » :

[66]  Malgré le chevauchement des deux examens, il peut souvent se révéler utile, en pratique, d’examiner séparément, d’abord, la procédure, s’il en est, qui a été adoptée pour étudier la question de l’accommodement, et, ensuite, la teneur réelle d’une norme plus conciliante qui a été offerte ou, subsidiairement, celle des raisons pour lesquelles l’employeur n’a pas offert une telle norme.[132]

[144]      Il convient ainsi « de distinguer la procédure ou la démarche de l’employeur, d’une part, et le contenu de l’exigence ou de la norme qui a servi de fondement à sa décision, d’autre part »[133].

i) La procédure d’accommodement

[145]      La procédure d’accommodement qui s’impose à la Ville permet de mesurer sa réceptivité à composer avec les caractéristiques individuelles du candidat :

[73]  La procédure concerne la démarche de l’employeur qui doit se montrer proactif en la matière. A-t-il pris la chose au sérieux?  A-t-il déployé des efforts réels, sincères et honnêtes pour accommoder l’employé visé? S’est-il assuré d’avoir en main les renseignements nécessaires sur les capacités de l’employé en cause avant de prendre une décision? A-t-il fait preuve d’ouverture auprès de l’employé […] ?[134]

[146]      Le 11 septembre 2015, dès le moment où M. Samson-Thibault complète le questionnaire médical pré-emploi conçu par Medisys[135], il répond par l’affirmative à la question : « Avez-vous de la difficulté à distinguer les couleurs? ».

[147]      Vu sa réponse, il subit le test diagnostique Ishihara et commet quelques erreurs.

[148]      Le 15 septembre 2015, une préposée de Medisys l’invite donc à se soumettre à une seconde épreuve de perception des couleurs, soit le test Farnsworth D-15, chez son optométriste. Là encore, il commet quelques erreurs.

[149]      Ceci dit, si ces tests s’inscrivent dans un processus d’« évaluation individualisée », ils n’en constituent pas forcément l’aboutissement :

[82]  […] l’évaluation individuelle, sans plus, n’annule pas la discrimination.  La personne doit être évaluée selon une norme réaliste qui reflète ses capacités et son apport potentiel.[136]  

[150]      Une fois que l’employeur est informé des résultats des tests, lesquels le renseignent sur une limitation que peut présenter la personne évaluée, encore faut-il qu’il lui permette de démontrer sa capacité unique à surmonter cette limitation.

[151]      Plusieurs considérations militent en ce sens en l’espèce.

[152]      L’on sait que les exigences en matière d’accommodement peuvent fluctuer en fonction de l’envergure de l’entreprise ou de l’institution tenue à cette obligation :

[66]  […] La taille de l’entreprise est ainsi un élément contextuel à considérer tant il est évident qu’une petite ou moyenne entreprise (PME) ne peut disposer des mêmes possibilités et de la même flexibilité qu’une énorme multinationale ou un méga ministère du gouvernement.[137]

[153]      Ainsi, « plus la taille d’une entreprise est imposante, plus les tribunaux se montreront exigeants envers l’employeur qui tente de se soustraire à son obligation d’accommodement raisonnable »[138].

[154]      Or, le Service de protection contre lincendie de la Ville est le deuxième en importance au Québec, selon son directeur, alors que la province compterait 671 services d’incendie sur son territoire.

[155]      M. Paradis témoigne que près de 550 personnes y travaillent. La structure organisationnelle indique qu’il est notamment assisté d’un directeur adjoint aux opérations, dont relèvent quatre chefs de peloton et 16 chefs aux opérations, et d’une directrice adjointe aux affaires stratégiques et administratives[139].

[156]      Vingt-sept personnes forment son « état-major » et 470 pompiers et pompières se consacrent à la protection d’une population de près de 600 000 personnes réparties sur un territoire d’une superficie de 548 km2 et dont le parc immobilier compte 168 040 unités d’évaluation[140]. Pour l’année 2015, le budget de fonctionnement du Service s’élevait à 51,3 millions de dollars selon une évaluation conservatrice.

[157]      L’ampleur de ces ressources humaines et financières favorise ainsi la mise en place d’un processus de sélection particulièrement sophistiqué et qui se déploie en plusieurs étapes.

[158]      Au moment où M. Samson-Thibault est avisé que sa candidature n’est pas retenue en raison de son daltonisme, il avait déjà franchi le parcours suivant :

-         L’admissibilité préliminaire sur dossier;

-         L’examen écrit d’une durée de trois heures;

-         L’entrevue de sélection;

-         L’inscription sur la liste de présélection;

-         L’invitation à la rencontre d’information au sujet du Service;

-         L’examen médical;

-         L’épreuve de natation;

-         La prise de mesures pour l’uniforme et l’équipement;

-         La convocation à des tests physiques et relatifs aux spécialités.

 

[159]      M. Samson-Thibault n’aura cependant pas la possibilité de subir les derniers tests physiques et relatifs aux spécialités avant que l’employeur ne l’informe du rejet de sa candidature.

[160]      Ce faisant, le Tribunal considère que la Ville a manqué à la procédure d’accommodement qui s’imposait à elle dans les circonstances.

[161]      Dès sa toute première décision relative à la norme constitutionnelle d’égalité enchâssée dans la Charte canadienne des droits et libertés[141], la Cour suprême du Canada écrivait :

Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités dun individu le sont rarement.[142] 

[162]      Raffinant son raisonnement dix ans plus tard au moment d’interpréter cette fois une loi provinciale sur les droits de la personne similaire à la Charte québécoise, la Cour déclarait :

Il peut être idéal, du point de vue de l’employeur, de choisir une norme d’une rigidité absolue. Encore est-il que, pour être justifiée en vertu de la législation sur les droits de la personne, cette norme doit tenir compte de facteurs concernant les capacités uniques ainsi que la valeur et la dignité inhérentes de chaque personne, dans la mesure où cela n’impose aucune contrainte excessive.[143]

[163]      Puis la Cour précisait :

Les cours de justice et les tribunaux administratifs devraient tenir compte des diverses manières dont il est possible de composer avec les capacités d’un individu.  Outre les évaluations individuelles visant à déterminer si la personne a les aptitudes ou les compétences requises pour exécuter le travail, il y a lieu de prendre en considération, lorsque cela est indiqué, la possibilité d’exécuter le travail de différentes manières tout en réalisant l’objet légitime lié à l’emploi que vise l’employeur.  Les aptitudes, les capacités et l’apport potentiel du demandeur et de ceux qui sont dans la même situation que lui doivent être respectés autant qu’il est possible de le faire.[144]

[164]      Il ressort ainsi de la jurisprudence que l’employeur doit se livrer à « un exercice contextuel et rigoureux »[145] et tenir compte des capacités uniques de la personne qui postule et de son apport potentiel.

[165]      Or, M. Samson-Thibault était déjà pompier depuis plusieurs années au moment de postuler un emploi à la Ville. Non seulement sa capacité à agir efficacement dans cette fonction était manifestement acquise, mais elle lui avait même permis d’obtenir une promotion comme officier (lieutenant) dès 2011. Il était également instructeur dans le cadre du diplôme d’études professionnelles en sécurité incendie[146].

[166]      Une fois qu’il est informé du rejet de sa candidature par Mme Blier du Service des ressources humaines de la Ville, M. Samson-Thibault maintient les communications avec elle. Il insiste sur le fait qu’il exerce déjà la fonction de pompier : « C’est une information qu’on avait déjà », tranche-t-elle, et qui a été prise en compte.

[167]      Contre-interrogée par l’avocate de la CDPDJ, Mme Blier concède cependant ne pas avoir vérifié auprès du candidat comment il parvenait à effectuer son travail de pompier malgré sa condition visuelle. Elle cherchait plutôt, dira-t-elle, à déterminer s’il pouvait satisfaire les exigences de la Ville de Québec et non celles de Rivière-du-Loup.

[168]      « Je n’interviens jamais dans les processus de dotation », affirme pour sa part le directeur Paradis. Ceci dit, à l’automne 2015, il est mis au fait de la situation par Mme Blier sans toutefois que le nom de M. Samson-Thibault ne lui soit communiqué : « J’ai jamais eu le dossier », précise-t-il.

[169]      De concert avec le directeur adjoint aux opérations, M. Pierre Lévesque, et le chef de peloton en santé et sécurité du travail, M. Denis Demers, il convient que l’incapacité de bien distinguer les couleurs rouge et vert peut être la source d’un danger « prévisible », d’un « événement potentiel » et qu’il faut « éliminer le risque à la source ».

[170]      Pour lui, l’expérience acquise par M. Samson-Thibault à Rivière-du-Loup est sans valeur face à la « réalité Québec » et son caractère « unique » : « On joue pas dans la même ligue », lance-t-il.

[171]      Contre-interrogé par l’avocate de la CDPDJ, M. Paradis reconnaît ne pas avoir consulté le curriculum vitae de M. Samson-Thibault : « J’fais pas de la dotation ».

[172]      « J’ai vu l’opinion de Dre Tolszczuk », ajoute-il, « je me réfère à la science ». Il n’a cependant pas su que le Dr Gomez, chez Medisys, ne déclarait pas le candidat inapte.  

[173]      Quant à Dre Tolszczuk, médecin-conseil de la Ville, elle ne réfère nullement à la norme NFPA 1582. Elle s’est formé une opinion sur la capacité de M. Samson-Thibault sur la seule foi du dossier qui lui a été fourni par l’infirmière de la Ville, sans jamais l’avoir rencontré.

[174]      Somme toute, l’expérience antérieure acquise par le candidat, en sa qualité de pompier louperivois atteint de daltonisme, semble avoir été complètement banalisée sinon méprisée.

[175]      Pourtant, à l’étape très avancée où il se trouvait dans le processus de sélection, l’équité et le droit à l’égalité commandaient à tout le moins de le rencontrer – comme il en a d’ailleurs fait la demande, ce qui lui a été refusé – et de lui permettre de démontrer sa capacité à effectuer le travail de façon sécuritaire pour lui-même et autrui.

[176]      Cette démonstration aurait pu être établie au moins de deux façons.

[177]      D’une part, il aurait eu l’occasion d’apporter au comité de sélection toutes les explications attendues sur les méthodes, procédés ou techniques de compensation qu’il utilise pour pallier son handicap visuel en contexte d’incendie[147].

[178]      D’autre part, lors de l’audience, le Tribunal a visionné des vidéos enregistrées lors de mises en situation concrètes qui servent à la formation des pompiers et pompières[148]. Par sa propre initiative, avec le concours de sa Division de la formation, recherche et développement ou d’un centre de formation externe, l’employeur aurait-il pu concevoir un exercice pratique afin de mesurer la capacité du candidat à surmonter son handicap visuel? À tout le moins, la Ville n’a apporté aucun élément de preuve permettant de conclure qu’une telle mesure d’évaluation, par exemple sous forme de simulation, serait impraticable et constituerait une « contrainte excessive ». Or, cette preuve lui incombait[149], malgré le « lourd fardeau » qu’elle emporte[150].

[179]      Ainsi, l’employeur n’a considéré aucune alternative à la procédure d’embauche habituelle alors qu’il y était tenu[151] :

[140]  […] Il est clair que la recherche d’une égalité plus inclusive demande l’adaptation d’une culture de travail qui prenne en compte les caractéristiques des personnes ayant des anomalies physiques avec ou sans limitations fonctionnelles et ce, tant au niveau de l'embauche que dans le cadre de lemploi.[152]

[180]      Par sa nature même, la Charte cherche notamment « à garantir l’équité ou la justice en milieu de travail »[153]. Le défaut de l’employeur de mettre en place une procédure d’accommodement équitable de manière à favoriser l’accès à l’emploi des personnes qui présentent un handicap – réel ou perçu comme tel – compromet l’atteinte de ce noble objectif.

[181]      Un tel manquement procédural est ici imputable à la Ville du fait qu’elle s’en est essentiellement remise à l’opinion de Dre Tolszczuk sans offrir à M. Samson-Thibault, malgré son expérience acquise comme pompier, « la possibilité de démontrer qu’il ne présente aucun risque excessif en matière de sécurité »[154].

ii) La rigidité de la norme de sécurité et la « contrainte excessive »

[182]      Comme la jurisprudence ne semble pas encore fixée quant à savoir si le manquement d’un employeur à son obligation procédurale d’accommodement lui est forcément fatal[155], il convient de privilégier une approche holistique[156] et de pousser plus loin l’analyse quant à la norme de sécurité qui a servi de fondement à la décision de la Ville d’exclure la candidature de M. Samson-Thibault.

[183]      À cet égard, l’employeur doit examiner avec ouverture diverses pistes de solution et offrir, si elle existe, une mesure d’accommodement raisonnable[157].

[184]      Nul ne remet en cause l’importance d’assurer la sécurité des personnes qui interviennent sur les lieux d’un incendie. La CDPDJ et le candidat eux-mêmes n’en disconviennent pas.

[185]      Le consensus est cependant susceptible de s’effriter en fonction du déplacement du curseur égalitaire sur l’échelle sécuritaire :

[…] l’éventail des possibilités va de la volonté d’assurer la sécurité absolue à l’absence totale de préoccupations en matière de sécurité.  Entre ces deux extrêmes, on trouve le souci d’assurer un niveau de la sécurité raisonnable.[158]

[186]      De la même façon que l’obligation de composer avec le handicap d’une personne « impose nécessairement certaines contraintes » à l’employeur[159], celui-ci doit pouvoir composer avec certains risques en matière de sécurité au travail, la quête de la « sécurité absolue » étant irréaliste :

[95]  Lorsque l’employeur invoque que son exigence professionnelle discriminatoire s’impose pour des motifs de sécurité, il doit alors démontrer que le groupe exclu directement ou indirectement par son exigence présente un risque d’erreur humaine suffisant. Comme il n’existe aucune activité humaine exempte de risque et qu’il n’y a aucune chance d’égalité réelle pour les individus atteints d’un handicap si la société n’est pas disposée à accepter une certaine mesure de risque supplémentaire, la Cour suprême a statué dans Meiorin que pour être « réel et suffisant » et pour pouvoir justifier l’exclusion d’une personne protégée contre la discrimination, un risque d’erreur doit s’avérer « grave », « important » ou « excessif ». Autrement dit, il ne suffit pas qu’il y ait hypothétiquement un quelconque risque, encore moins qu’il soit minime. Il faut impérativement démontrer qu’il comporte objectivement un degré élevé de survenance.[160]

[187]      Ainsi, la Ville peut démontrer l’existence d’une « contrainte excessive » de nature à la dégager de son obligation d’accommodement seulement dans la mesure où elle parvient à établir que l’embauche de M. Samson-Thibault présente un risque « grave » ou « excessif »[161] pour sa propre sécurité, celle de ses collègues éventuels ou celle du public en général :

[66]  […] Les craintes relatives à la sécurité peuvent souvent être le résultat de perceptions qui faussent la réalité. D’où l’importance de ne considérer que les risques « graves ou excessifs » qui ne peuvent être contenus par une mesure d’accommodement, à la limite de la contrainte excessive, pour justifier une décision ou une mesure discriminatoire.[162]

[188]      En clair, « un certain risque est acceptable »[163].

[189]      Au dire du directeur du Service de protection contre lincendie de la Ville, « [l]es couleurs nous accompagnent continuellement dans notre métier », lequel est « à haut risque ». Pour M. Paradis, la capacité de bien distinguer les couleurs est « essentielle », « ultra-importante », ce que la Ville a tenté de démontrer par une revue des équipements et indicateurs utilisés dans la lutte contre les incendies ainsi que des lieux potentiels de ses interventions.

-          Les rubans de sécurité[164]

[190]      Trois types de rubans sont employés pour délimiter des périmètres de sécurité. Le ruban rouge, sur lequel est écrit « Danger », et les rubans orange et jaune portant la mention « Barrage de police – Accès interdit ».

[191]      M. Samson-Thibault parvient facilement à voir la présence de ces rubans, à lire les inscriptions qui s’y trouvent et n’éprouve aucune difficulté à identifier le ruban jaune qui sert à repousser les citoyens et citoyennes à des fins de sécurité. Quant aux rubans orange et rouge, il affirme que même un pompier ou une pompière ne peut le franchir.  

[192]      De plus, il mentionne que l’officier en charge de l’opération émet un avis sur les ondes radio afin d’alerter les membres de l’équipe qu’une zone d’intervention circonscrite par le ruban rouge est dangereuse.

[193]      Le directeur Paradis affirme que l’écriture sur les rubans n’est pas déterminante, notamment parce que ces rubans peuvent être « twistés » par le vent, ce qui compromet la visibilité des inscriptions.

[194]      Il reconnaît qu’un avis est émis sur les ondes radio mais il demeure possible qu’un ou une membre de l’unité en fonction ne l’entende pas : « Le message, on le donne une fois », précise-t-il. « Pour nous, c’est la couleur qui compte ».

[195]      Or, M. Samson-Thibault n’a jamais été appelé à démontrer sa capacité à distinguer la couleur des rubans.

-          L’appareil de protection respiratoire individuelle autonome (APRIA)[165]

[196]      À l’audience, M. Samson-Thibault a montré aux membres du Tribunal l’usage qu’il fait de l’APRIA dont il maîtrise manifestement très bien le mode de fonctionnement.

[197]      Lors de son contre-interrogatoire par l’avocate de la Ville, il a d’ailleurs fourni des explications convaincantes au sujet des nombreuses étapes de vérification qui s’imposent à lui, une fois en caserne, afin de s’assurer du bon fonctionnement de l’appareil en prévision de son utilisation.   

[198]      L’APRIA doit répondre aux exigences de la norme NFPA 1981[166]. Il est constitué d’une bouteille d’air comprimé maintenue au dos par des harnais, à la manière d’un « sac à dos »[167], et reliée par un tuyau à un masque à adduction d’air.

[199]      La personne qui le porte est à même de voir la pression d’air restante de la bouteille à l’aide d’un module de visualisation – le Pressure Information System (PRISM) – fait de quatre témoins lumineux faciaux disposés à l’intérieur du masque[168].

[200]      Quand la bouteille est pleine à 100%, les quatre lumières sont allumées[169]. La première lumière verte s’éteint à 75%, la seconde lumière verte s’éteint à 50%, la troisième lumière, de couleur jaune, s’éteint à 35%[170]. Quand seule la lumière rouge demeure allumée, c’est le signal qu’il faut promptement se retirer du feu, à plus forte raison si elle passe en mode de clignotement continuel[171].

[201]      L’avocate de la Ville exprime un « gros doute » sur la capacité du candidat de faire un usage sécuritaire de l’APRIA du fait de ces réponses lors de son interrogatoire préalable :

Q C’est quoi les couleurs de ces lumières-là ou la couleur?

R  Ça va être rouge et vert : vert quand tout va bien puis rouge quand c’est en détresse.

Q Donc, il y a deux couleurs, soit vert, soit rouge?

R  Tout à fait. […].[172]

[202]      De l’avis du Tribunal, cette réponse erronée est sans conséquence. Elle reflète simplement le fait que ce ne sont pas les couleurs qui guident M. Samson-Thibault, mais bien plutôt la luminosité des voyants dont il perçoit aisément les contrastes et la position.

[203]      Fait à noter, l’APRIA est également doté d’une « sentinelle » (ou manomètre d’épaule) qui permet de connaître le niveau d’air restant dans la bonbonne[173]. Comme cette sentinelle pourvue d’une lumière est située près du corps, collée à la poitrine, M. Paradis mentionne qu’il n’est pas facile de l’utiliser et que cela nécessite un délai. Cette difficulté demeure cependant la même pour toute personne, quelle que soit sa capacité à distinguer les couleurs. 

[204]      L’appareil comporte également un « avertisseur de détresse »[174], c’est-à-dire un dispositif qui émet un son strident quand la personne qui l’utilise demeure immobile pendant 30 secondes, ce qui permet d’« alerter les travailleurs qui évoluent aux alentours »[175].

[205]      M. Samson-Thibault mentionne n’avoir jamais éprouvé de difficulté à utiliser cet appareil dont il fait un usage courant. Il connaît bien l’ordre de disposition des témoins lumineux et est pleinement en mesure d’en percevoir la luminance.

[206]      Il a ainsi développé une « mesure compensatoire », dit-il, pleinement conscient que les lumières s’éteignent au rythme où la réserve d’air pressurisé s’épuise.

[207]      « C’est la couleur qui attire votre attention », maintient M. Paradis, « jamais vu ça quelqu’un qui comptait les lumières ». Pour lui, « le meilleur dispositif, c’est dans le facial », faisant allusion par là à la capacité de bien distinguer les couleurs. Compter les lumières ne constitue pas, selon lui, un « moyen fiable ».

[208]      Bien que la norme NFPA 1981 requiert que l’APRIA soit pourvu à la fois d’un mécanisme de détection (sensing mechanism) et d’un dispositif de signalisation (signaling device) de manière à stimuler plus d’un sens chez l’usager[176]sans pour cela exiger la couleur comme indicateur M. Paradis réitère que la couleur est « essentielle », à ses yeux, de sorte que la Ville en fait une exigence.

[209]      Le Tribunal n’a pas de difficulté à concevoir qu’une personne qui perçoit parfaitement les couleurs ne se fie que sur elles pour évaluer la quantité d’air qui lui reste dans sa bonbonne. Toutefois, cette personne ne peut prétendre que les voyants lumineux sont inutiles et insuffisants pour permettre à la personne qui ne distingue pas bien les couleurs ou ne les perçoit que partiellement d’évaluer correctement l’air dont elle dispose.

[210]      La Ville n’ayant pas procédé à une évaluation individualisée de M. Samson-Thibault, elle n’a pas démontré qu’il ne peut faire un usage sécuritaire de l’appareil respiratoire sans distinguer les couleurs rouge et vert.    

-          Les pictogrammes d’identification des matières dangereuses[177] 

[211]      Les véhicules qui transportent des matières dangereuses ou encore les bâtiments ou réservoirs qui les contiennent présentent généralement un pictogramme, sous forme d’un losange tantôt blanc, tantôt coloré ou à rayures, de nature à faciliter l’identification du produit contenu.

[212]      Ces pictogrammes contiennent des mentions écrites (ex. : « Danger », « Explosif », « Inflammable », « Poison », etc.) ou des signes distinctifs (ex. : tête de mort, flammes, disque tronqué symbolisant la radioactivité, etc.) qui peuvent être aisément décodés par une personne daltonienne. « J’ai pas de difficulté à distinguer », confirme M. Samson-Thibault.

[213]      Du reste, ce dernier insiste sur l’importance de valider l’information avant d’intervenir en contexte de matières dangereuses. Il évoque à cet égard la technique reconnue « I.A.I.A.I. » qui consiste à Isoler la scène, l’Approcher, Identifier les indices, Analyser la situation et Intervenir.

[214]      À cet égard, le guide des mesures d’urgence conçu par Transports Canada contient cette directive :

Approchez-vous, en gardant le vent dans le dos, en hauteur et en amont de la situation de danger, jusqu’à un point d’où vous pouvez sécuritairement identifier et/ou lire les renseignements qui figurent sur la plaque ou sur le panneau orange. Utilisez des jumelles si disponibles.[178] 

[215]      Le directeur Paradis ne remet pas en cause le bien-fondé de la technique I.A.I.A.I. et reconnaît qu’il « faut se garder à distance ». Pour lui, toutefois, « c’est le placardage qui va nous parler », affirmant que la couleur est « le premier indice à discriminer », avant l’écriture ou la forme du bâtiment, du réservoir ou du contenant.

[216]      Il précise que des jumelles d’observation ne se trouvent pas dans tous les camions, que seules les équipes spécialisées en possèdent.

[217]      Ceci dit, il paraît évident que pourvoir chacun des camions d’un tel équipement ne serait pas de nature à entraîner des coûts prohibitifs constituant une contrainte excessive[179].

-          Le repérage des sorties d’urgence

[218]      Puisque ces sorties sont généralement indiquées en rouge mais sur un fond blanc lumineux, M. Samson-Thibault parvient à les repérer sans difficulté.

[219]      M. Paradis évoque à ce propos le risque de désorientation dans un environnement enfumé : « J’ai vu ça des pompiers se perdent », dit-il, nécessitant le rapatriement de la personne en détresse par l’équipe d’intervention urgente (« Rapid intervention crew »).

[220]      Pour le Tribunal, le fait qu’une personne soit daltonienne ou non ne l’immunise assurément pas contre le risque de perdre de vue les accès de secours en raison de la densité de la fumée que dégage un incendie. Toute personne est susceptible de perdre ses repères dans un endroit enfumé et rien ne permet de conclure que le daltonisme augmente ce risque.

-          Les lumières stroboscopiques

[221]      Il est d’usage d’employer lors de certaines interventions des lumières stroboscopiques, la lumière bleue[180] indiquant une voie d’évacuation sécuritaire, la lumière orange[181] désignant un « sérieux risque pour les intervenants »[182], par exemple la présence d’une trouée dans la toiture d’un bâtiment.

[222]      M. Paradis insiste sur le fait que les lumières bleue et orange peuvent être utilisées dans un même environnement, ce qui augmente le danger si une personne ne distingue pas les couleurs de chacune. Il reconnaît cependant que la présence de fumée peut faire varier la teinte des lumières.

[223]      Or, M. Samson-Thibault distingue la couleur bleue sans problème et demeure, du reste, sensible à la luminance d’une lumière, quelle que soit sa couleur.

-          La caméra thermique

[224]      M. Samson-Thibault connaît le fonctionnement d’une telle caméra, laquelle permet, par exemple, de détecter le foyer de l’incendie « au travers des fumées » ou encore de repérer la présence d’une victime en détresse à l’intérieur d’un bâtiment en flammes.

[225]      Le modèle avec lequel il est familiarisé est le MSA-5200 HD dont l’image est monochrome (en noir et blanc). Plus la chaleur est intense à un endroit donné, plus le blanc s’impose dans l’image, d’où l’appellation « white-hot » pour désigner ce type de caméra[183].

[226]      « J’ai pas de difficulté à utiliser ça », témoigne-t-il.

[227]      Le directeur Paradis souligne que le modèle « white-hot » est surtout utile pour les sauvetages nautiques mais peu utilisé pour les bâtiments.

[228]      Sur les modèles plus récents dont l’imagerie est en couleur, le jaune « amène au danger » et le rouge « attire l’attention », dit-il, parce qu’il cible le point le plus chaud.

[229]      Bien que tous les véhicules-pompe de la Ville soient équipés de caméras thermiques, seul un officier est autorisé à l’employer.

[230]      Contre-interrogé par l’avocate de la CDPDJ, M. Paradis reconnaît que les caméras utilisées en 2015 étaient du modèle « white-hot ».

[231]      Du reste, la preuve n’a pas démontré que le modèle « white-hot » est moins performant ou moins sécuritaire que les modèles plus récents.

-          Le branchement des tuyaux[184]

[232]      La personne qui agit comme porte-lance est celle qui donne les commandes en fonction de la pression d’eau requise. À cette fin, le camion-pompe est muni de nombreux cadrans, manettes et voyants de couleur lumineux.

[233]      Si le branchement des tuyaux peut se faire en fonction d’un code de couleurs, rien ne s’oppose, selon M. Samson-Thibault, à ce que les sorties d’eau soient plutôt identifiées par des numéros. Il donne l’exemple de son employeur actuel où des numéros de sorties sont utilisés « bien plus que les couleurs ».

[234]      « J’essaye de prendre d’autres moyens compensatoires », conclut-il.

[235]      Là encore, la capacité du candidat à effectuer ces branchements n’a pas été évaluée.

-          La pression des bornes d’incendie[185]

[236]      Le couvercle et les bouchons de prise de pompage d’une borne d’incendie peuvent être colorés de manière à indiquer le débit d’eau par seconde qu’elle peut fournir.

[237]      Les couleurs indiquent respectivement des capacités maximales de 31,5 litres (rouge), 62,9 litres (orange), 94,9 litres (vert) et plus de 95 litres par seconde (bleu).

[238]      M. Samson-Thibault concède qu’il est plus difficile pour lui de distinguer le rouge et le vert : « Je suis quand même en mesure de le voir ».

[239]      Il fait remarquer qu’il a suivi un cours sur les méthodes d’alimentation afin de pouvoir estimer convenablement le débit d’eau.

[240]      Enfin, la pratique du métier permet de connaître le réseau d’alimentation dans un secteur donné, les bornes d’incendie d’un même secteur ayant souvent la même capacité, selon son expérience.

[241]      Le directeur Paradis signale que l’alimentation en eau est « hyper importante », que des millions de litres d’eau sont parfois utilisés lors d’un feu. Comme le territoire compte 18 000 bornes d’incendie, l’incapacité d’identifier les couleurs ne peut être raisonnablement compensée par un quelconque procédé de mémorisation.

[242]      Ceci dit, la preuve ne permet pas de conclure qu’en 2015, le projet visant à peindre les bornes du territoire de couleurs différentes, en fonction de leur pression d’eau respective, était complété.

[243]      En outre, il est raisonnable de penser que le choix d’une borne d’incendie est également, voire surtout, dicté par sa proximité avec le lieu du feu.    

-          Les situations à haut risque

[244]      Le Tribunal a été à même de visionner une vidéo réalisée dans un environnement contrôlé illustrant une situation d’embrasement généralisé.

[245]      Le phénomène se caractérise par une chaleur intense, une fumée dense et opaque d’où jaillissent sporadiquement des flammes.

[246]      Sans être un indicateur déterminant, la couleur de la fumée peut être révélatrice d’un embrasement imminent. « C’est le visuel » qui compte, selon M. Paradis, insistant sur la capacité à bien distinguer le brun, le jaune et l’orange.

[247]      Toutefois, d’autres indices, tels le parcours de la fumée, sa densité, son volume et sa vélocité peuvent également être éclairants : « Je peux me référer aux quatre autres indices », rappelle M. Samson-Thibault.

[248]      Ceci dit, la Ville n’a pas tenté de vérifier sa capacité à analyser la fumée lors du processus d’embauche : « Ça aurait pu être fait via photos », observe M. Samson-Thibault[186].

-          La couleur des casques de sécurité[187]

[249]      Selon la Ville, la couleur des casques permet de repérer visuellement les personnes sur les lieux et surtout de les associer au rôle précis qui leur est dévolu de manière à faciliter les communications en contexte d’urgence.

[250]      Or, M. Samson-Thibault associe sans mal le casque jaune aux pompiers et pompières « ordinaires », le blanc au personnel cadre et le bleu à une personne responsable de la santé et sécurité. Quant au rouge, il revient au capitaine, lequel est aisément identifiable puisque c’est lui qui dirige les opérations.

-          L’intervention sur un plan d’eau[188]

[251]      Le directeur Paradis mentionne que 40 % des interventions du Service se font sur le fleuve St-Laurent. La Ville insiste ainsi sur l’importance de pouvoir distinguer les bouées vertes et les bouées rouges lors d’une intervention d’urgence sur l’eau, parfois dans des « conditions de mer » sur des navires de grande dimension.

[252]      Titulaire d’une carte de conducteur d’embarcation de plaisance, M. Samson-Thibault indique sans peine que les bouées vertes se trouvent du côté gauche du chenal en remontant le courant. Elles sont identifiées par des nombres impairs alors que les bouées opposées, de couleur rouge, portent des nombres pairs.

[253]      À Rivière-du-Loup, en 2015, il faisait d’ailleurs partie de l’équipe spécialisée dans les sauvetages nautiques. Les défis que pose un sauvetage sur le fleuve ne sont pas moindres dans cette région du Bas-St-Laurent.

[254]      M. Samson-Thibault ne manque pas de signaler qu’une intervention sur l’eau commande une préparation antérieure adéquate, ce que personne n’a contredit à l’audience. Elle peut aussi être facilitée par l’usage d’un GPS et d’une sonde de profondeur.

[255]      À cet égard, M. Paradis rappelle que l’usage du GPS peut parfois être compromis par une panne de réseau. L’évocation d’une telle situation exceptionnelle témoigne cependant d’une recherche de sécurité plus absolue que raisonnable.   

-          L’intervention sur une piste d’atterrissage[189]

[256]      M. Samson-Thibault signale que les lumières de couleur qui bordent les pistes d’atterrissage sont d’abord destinées à guider les pilotes d’avion.

[257]      Du reste, il fait remarquer qu’une intervention d’urgence en pareil contexte nécessite une escorte du Service de sécurité de l’aéroport afin que les pompiers et pompières puissent se mobiliser de façon sécuritaire.

[258]      Selon M. Paradis, le déplacement sous escorte est habituellement assuré mais pas toujours, d’où l’importance d’identifier les lumières rouges indicatrices d’un accès à risque : « Ça peut être problématique ». Possibilité et probabilité ne doivent cependant pas être confondues.

-          L’identification d’un point de ralliement

[259]      La Ville soutient que la distinction des couleurs est « également essentielle et primordiale » au moment « d’identifier le point de ralliement dans le cadre de mesures d’urgence autres que lors d’une intervention sur un incendie »[190].

[260]      Le candidat mentionne n’avoir aucune difficulté à identifier cela : « C’est le pictogramme qui nous guide », dit-il.

* * *

[261]      Il ressort du témoignage de M. Paradis que celui-ci est d’une extrême « prudence et prévoyance » en matière de sécurité incendie.

[262]      Aujourd’hui fort d’une expérience de plus de 35 ans dans le domaine, années au cours desquelles il relate avoir perdu au moins sept collègues, la santé et la sécurité du travail sont pour lui une « valeur fondamentale » qui l’incite à observer rigoureusement le « principe de précaution », à « anticiper le risque ».

[263]      « C’est robuste le métier de pompier », dit-il, combattre un feu c’est « hyper demandant », « ça crie, ça cogne », « c’est le chaos » : « Nous, on fait pas des biscuits ».

[264]      Au quatrième jour d’audience, une fois la preuve de la CDPDJ complétée, il laisse tomber cette phrase, à la manière d’un cri du cœur : « Je suis vraiment impressionné comment on banalise les couleurs », « c’est frustrant d’entendre ça, j’en reviens pas! ». 

[265]      Pour lui, « c’est la somme des éléments de sécurité » qui permet de contrer le risque inhérent à la fonction : « Je suis quelqu’un d’hyper peureux », admettra-t-il, se refusant à « soustraire un élément de sécurité » : « On peut pas aller-là! ».

* * *

[266]      Dans l’arrêt Meiorin, la Cour suprême du Canada sert cette mise en garde éclairante :

[2]  […] Les employeurs qui cherchent à assurer la sécurité peuvent pécher par excès de prudence et établir des normes plus élevées que ce qui est nécessaire à l’exécution sûre du travail.[191]

[267]      C’est précisément dans cet esprit que la Cour retient le critère du risque « grave » ou « excessif », par opposition à un risque « réel » – même infime, minime ou négligeable ou encore un « risque suffisant » :

[30]  […] Il ressort nettement de l’arrêt Meiorin que l’idée de longue date que le « risque suffisant » peut justifier une norme discriminatoire ne s’applique plus.  Il est toujours possible d’examiner le risque sous l’angle de la contrainte, mais non comme un élément indépendant qui justifie la discrimination.[192]

[268]      La Ville soutient que la capacité de distinguer les couleurs est nécessaire pour être à même de lutter de manière sûre et efficace contre le feu.

[269]      En ce sens, elle a cherché à multiplier les exemples de situations où une possible confusion chromatique peut augmenter le risque de blessure ou de décès.

[270]      Or, pour toutes ces situations, M. Samson-Thibault a apporté des explications à la fois crédibles, logiques et rationnelles qui montrent qu’il parvient à pallier son handicap par son expérience et des moyens compensatoires. L’usage qu’il sait faire de l’APRIA en est un exemple éloquent.

[271]      Plus important encore, l’employeur n’a jamais tenté de vérifier objectivement la capacité du candidat à composer avec l’une ou l’autre de ces situations.

* * *

[272]      L’expert ophtalmologiste, Dr Chartrand, évoque un « risque inapproprié » mais son examen ne l’a pas mené à vérifier l’équipement de M. Samson-Thibault, ni la façon dont il l’utilise de manière à pouvoir surmonter sa limitation chromatique.

[273]      Lors de son passage à la clinique, le candidat dit avoir tenté de faire la présentation de ses équipements au médecin, en vain : « Son intérêt est pas trop présente » (sic), constate-t-il alors.

[274]      Dr Chartrand affirme s’être enquis auprès de « vrais pompiers » de la description de leur travail, de leur expérience, du feu le plus dangereux qu’ils ont eu à combattre. Il n’a cependant pas fait cette même démarche auprès de M. Samson-Thibault, ni discuté avec lui de ses expériences antérieures.

[275]      Cet extrait du contre-interrogatoire mené par l’avocate de la CDPDJ est en cela révélateur :

Q L’avez-vous questionné pour savoir s’il a déjà eu des problèmes à différencier les couleurs dans le cadre de ses interventions?

R  Je ne lui ai pas demandé s’il avait eu des problèmes de différenciation.

Q Afin de détecter le dispositif de sécurité lumineux vert, rouge et jaune dans les appareils de protection respiratoires individuels autonomes (APRIA)? Ça, je comprends bien que vous n’avez pas vérifié sa capacité à distinguer les couleurs?

R  Ce que je sais c’est que la manipulation de l’APRIA, il était habitué à faire ça. Alors c’était inutile d’essayer de le coincer avec des choses comme ça dans mon bureau. Je m’en allais nulle part avec ça…

(Notre soulignement)

[276]      L’usage du verbe « coincer » laisse incidemment perplexe. Le rôle de l’expert en pareil contexte n’est évidemment pas de prendre le candidat en défaut mais bien plutôt d’éclairer le Tribunal sur ses capacités réelles.

[277]      Cela étant, par comparaison, le chercheur spécialiste en perception des couleurs, Professeur Diaconu, accorde beaucoup d’importance à l’expérience de la personne daltonienne.

[278]      Par apprentissage, dit-il, celle-ci en vient à nommer « rouge » ce que les personnes sans anomalie visuelle perçoivent plutôt comme du « noir ». Par exemple, dans un pommier où se mélangent des pommes vertes et des pommes rouges rendues à maturité, la personne daltonienne apprend à cueillir les pommes rouges même si elles paraissent noires à ses yeux.  

[279]      « C’est sa propre vision » à elle que développe la personne daltonienne : « Tout est basé sur l’expérience », soutient l’expert, puisque « chaque personne a son propre mélange de couleurs » pour décoder son environnement et compenser ainsi son handicap.

[280]      Il s’est ainsi attardé à l’équipement de M. Samson-Thibault lors de son examen (APRIA, rubans, lumières stroboscopiques). Il émet l’hypothèse que celui-ci a une sensibilité supérieure pour le jaune alors qu’il perçoit le rouge plus foncé qu’il ne l’est en réalité, ce qui ne compromet cependant nullement sa capacité à décoder les lumières du module de visualisation de l’APRIA. Quant aux rubans, il est d’avis que le candidat peut, « par expérience », ne pas les confondre.  

[281]      Au sujet des tests diagnostiques (Ishihara et Farnsworth), M. Diaconu signale qu’ils placent la personne dans une « situation limite », « à la limite de la perception visuelle », situation qui n’est pas fréquente en pratique, précise-t-il.

[282]      Pour lui, l’expertise du Dr Chartand est davantage le reflet de sa préoccupation pour les maladies de l’œil, propre à la médecine, que pour la perception des couleurs par l’œil, qui relève plutôt de la neuropsychologie.

[283]      De l’avis du Tribunal, l’expertise du Professeur Diaconu est celle qui doit être retenue parce qu’elle intègre une dimension importante, liée à l’expérience pratique du candidat, que n’effleure pas l’expert désigné par la Ville. Ce faisant, elle est davantage en adéquation avec l’exigence de l’évaluation individualisée qui ressort de la jurisprudence[193] et qui met l’accent sur les capacités et l’apport potentiel du candidat. Incidemment, à l’audience, Dr Chartrand la qualifiée lui-même d’« excellente expertise », fondée sur des tests conformes aux « règles de lart ».

* * *

[284]      À un certain moment lors de son témoignage, le directeur Paradis a laissé tomber cette phrase au sujet du candidat : « Onpeut pas demander aux autres de compenser pour nous ».

[285]      Pourtant, dans l’arrêt Meiorin, la Cour suprême invite à « tenir compte des diverses manières dont il est possible de composer avec les capacités d’un individu »[194]. Elle insiste alors sur l’importance, pour les décideurs, d’« être innovateurs tout en étant pratiques »[195] avant de statuer sur cette question d’importance qui s’impose « au cours de l’analyse » :    

[65] […]

c) Est-il nécessaire que tous les employés satisfassent à la norme unique pour que l’employeur puisse réaliser l’objet légitime qu’il vise, ou estil possible d’établir des normes qui reflètent les différences et les capacités collectives ou individuelles?

[…][196]

[286]      La lutte contre les incendies mobilise forcément une équipe. M. Paradis indique qu’il faut un minimum de quatre pompiers ou pompières pour une « attaque intérieure ». Il est lui-même présent pour toutes les interventions de deux alarmes et plus, alors qu’un minimum de 30 membres du Service se déploient.

[287]      L’interaction nécessaire entre ces personnes entraîne un effet de synergie où l’expérience et les capacités individuelles de chacune concourent au résultat souhaité. Ces « capacités collectives » ne sauraient être négligées dans la mise en œuvre d’un accommodement raisonnable.

* * *

[288]      De l’avis du Tribunal, l’employeur impose une norme d’une rigidité telle qu’elle n’est pas raisonnablement nécessaire pour assurer au candidat, à ses collègues de travail et à la population un niveau de sécurité compatible avec l’obligation quasi constitutionnelle d’accommodement qui lui incombe.

[289]      La Ville n’a pas démontré qu’il est nécessaire pour elle d’appliquer une norme plus exigeante que celle qui se dégage de la norme NFPA 1582.

[290]      Elle ne s’est pas acquittée du « lourd fardeau » qui consiste à établir l’existence d’un risque « grave » ou « excessif » la justifiant d’exclure prématurément M. Samson-Thibault de son processus de sélection pour cause de « contrainte excessive ».

[291]      Cette exclusion repose, dans une large mesure, tantôt sur une preuve impressionniste, tantôt sur des idées préconçues qui associent, à tort, l’incapacité d’une personne à distinguer parfaitement les couleurs à un handicap insurmontable, sans égard à ses capacités réelles et à sa faculté d’y pallier par des moyens compensatoires développés avec l’expérience.

[292]      Cela heurte l’objet même de la Charte en compromettant l’intégration au travail et la participation la plus entière possible à la société des personnes qui présentent un handicap, qu’il soit réel ou perçu comme tel :

Le meilleur allié des idées préconçues à l’endroit d’un groupe ou d’une catégorie de personnes identifiées par une caractéristique personnelle, c'est probablement l’isolement, la mise à l’écart. Cela entretient en effet l’ignorance qui entraîne et nourrit les préjugés et la discrimination. Or, c'est précisément pour contrer ces fléaux que les lois sur les droits de la personne ont été adoptées.[197]   

[293]      En somme, l’atteinte portée par la Ville aux droits quasi constitutionnels que les articles 10 et 16 de la Charte garantissent à M. Samson-Thibault ne trouve pas de justification aux termes de l’article 20.

 

B.           Les renseignements discriminatoires

[294]      L’article 18.1 de la Charte impose l’obligation suivante aux employeurs :

18.1  Nul ne peut, dans un formulaire de demande d’emploi ou lors d’une entrevue relative à un emploi, requérir d’une personne des renseignements sur les motifs visés dans l’article 10 sauf si ces renseignements sont utiles à l’application de l’article 20 […].

[295]      La CDPDJ reproche à la Ville et à Medisys d’avoir contraint M. Samson-Thibault à « répondre à un questionnaire médical standard et non adapté spécifiquement aux fonctions de pompier »[198]. Elle déplore ainsi une cueillette de renseignements sur son état de santé qui ne sont pas liés aux aptitudes et qualités requises par l’emploi de pompier, tel que l’exige l’article 20 de la Charte[199].

1.                 L’exigence d’un questionnaire particularisé

[296]      La preuve montre que l’employeur a conclu avec Medisys une Entente de services concernant le programme d’examen pré-emploi pour les pompiers de la Ville de Québec[200] assortie d’un protocole et d’une tarification préétablis[201].

[297]      L’entente comporte des dispositions visant à assurer la confidentialité des renseignements recueillis. D’une part, « les résultats des évaluations sont conservés dans un dossier chez Medisys ». D’autre part, la Ville n’a accès à une « information médicale » que par l’intermédiaire de sa « division médicale ou de médecine du travail ». Enfin, « [a]ucune information personnelle, donnée médicale ou rapport médical » ne peut lui être transmis « sans l’autorisation préalable du candidat évalué ».

[298]      L’infirmière Cloutier, qui travaille pour la Ville, indique que Medisys disposait des ressources humaines (médecin-examinateur, personnel médical) et matérielles voulues pour procéder, de façon « plus rapide », à la prise des « rendez-vous » avec les personnes candidates et à leur examen en vue de la production d’un rapport d’évaluation médicale (REM). C’est pour des raisons d’efficacité, dit-elle, que la Ville confie ces responsabilités à Medisys.

[299]      S’il est clair que cette entente touchait l’évaluation de personnes aspirant à devenir pompier ou pompière, le questionnaire médical conçu par Medisys ne ciblait pas spécifiquement cet emploi selon la preuve.

[300]      Mme Ghislaine Nadeau est infirmière depuis 1979. Elle a occupé plusieurs fonctions chez Medisys (infirmière-soignante, gestion-formation du personnel, responsable contrôle-qualité).

[301]      Interrogée au préalable par l’avocate de la CDPDJ, elle offre ces réponses au sujet du questionnaire médical – qu’elle désigne comme « un formulaire général »[202] complété par M. Samson-Thibault :

Q Est-ce que c’est toujours le même questionnaire qui est utilisé toutes les fois qu’il y a un [examen] préemploi?

R  C’est le même questionnaire.

Q C’est le même questionnaire? Donc, peu importe l’emploi en question, c’est ce questionnaire-là qui est présenté au candidat?

R  C’est ça. […][203]

[302]      Plus loin, Mme Nadeau ajoute :

Le questionnaire, c’est le seul qu’on utilise, comme je vous ai mentionné et lorsque le médecin voit la personne dans son bureau, qui fait la révision de ce questionnaire-là complété par le candidat, il va mettre de l’emphase sur les questions qui sont en relation avec le travail de la personne.[204]

[303]      Puis, elle apporte cette précision :

[…] En fait, c’est que quand [le médecin] voit la personne, dépendamment de l’emploi pour lequel il (sic) postule, le médecin sait s’il y a une réglementation ou non et sait si l’information est pertinente à obtenir pour lui. Donc, il va aller chercher l’information qu’il a besoin.[205]

[304]      Appelé à porter un jugement sur un questionnaire semblable appliqué dans le cadre d’un processus de sélection visant à combler un emploi de policier, le Tribunal convenait qu’il « ratisse large »[206].

[305]      Aussi concluait-il que les questions suivantes auxquelles M. Samson-Thibault a également été tenu de répondre en l’espèce étaient contraires à l’article 18.1 de la Charte :

  1. Avez-vous déjà été hospitalisé? Si oui, détailler.
  2. Avez-vous déjà été opéré? Si oui, détailler.

[306]      La première question est jugée « trop large; l’hospitalisation étant moins utile à connaître que la condition de santé à proprement parler »[207].

[307]      Quant à la deuxième question, elle est considérée non pertinente « pour connaître la condition de santé du candidat »[208].

[308]      Le Tribunal jugeait également « trop large » et contraire à la Charte cette question « résiduelle » – également présente dans le questionnaire complété par M. Samson-Thibault :

25 - Tout autre problème de santé non-mentionné ci-dessus? Si oui, détailler.

[309]      Portée en appel, cette décision du Tribunal a été maintenue.

[310]      À cette occasion, la Cour d’appel du Québec observe que « [l]e questionnaire médical préembauche […] utilisé par Medisys […] n’est pas adapté spécifiquement […] au poste de [policier-]patrouilleur »[209].

[311]      Au sujet de « la question 25 invitant le candidat à préciser tout état de santé non spécifiquement visé par les questions précédentes »[210], la Cour écrit :

[57]  Le Tribunal conclut que cette question est trop large et discriminatoire. Ce constat justifiait sans doute d’ordonner un redressement en vertu de la Charte afin d’obliger l’employeur à modifier cette question et de la rendre conforme aux exigences de la Charte.[211]

[312]      Cela étant, la Cour insiste sur le fait que « [l]e questionnaire doit être modulé en fonction des tâches à accomplir »[212].

[313]      Cette considération rejoint incidemment celle déjà exprimée par le Tribunal :

[107]  Le seul fait qu'un seul questionnaire et un seul protocole médical soient utilisés indistinctement pour tous les candidats, peu importe le secteur d'activités, permet à sa face même de conclure que les informations recherchées sur la santé des candidats ne sont pas modulées en fonction du poste.[213]

2.                 La cueillette des renseignements

[314]      Dans le cadre d’un processus de sélection, le droit de l’employeur de recueillir – seul ou avec l’assistance d’une entreprise spécialisée – des renseignements de nature à lui permettre de vérifier si la personne candidate possède les aptitudes ou qualités requises par l’emploi ne fait pas de doute. Il s’agirait même d’un « devoir » :

[57]  […]  [L]’employeur a le droit et même le devoir de vérifier si une personne possède les aptitudes requises pour exécuter de façon sécuritaire les tâches qui lui seront confiées.  Il doit lui offrir des conditions qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique. Simpose, en conséquence, la cueillette d’une information à l’embauche qui ciblera par exemple les qualifications professionnelles et les expériences antérieures de travail, voire, dans certains cas, l’état de santé physique et psychologique et les antécédents judiciaires du postulant.[214]

[315]      L’article 18.1 de la Charte impose que les renseignements recueillis par l’employeur soient « utiles » aux fins de cette vérification.

[316]      Malgré l’usage de ce critère de l’« utilité » retenu par le législateur, la jurisprudence[215] en est venue à lui substituer un critère plus exigeant, soit celui de la « nécessité », lequel s’impose à l’employeur afin de démontrer une EPJ.

[317]      Ainsi, selon le Tribunal, l’employeur doit « faire la preuve que les renseignements recueillis sont nécessaires à l’évaluation des aptitudes et qualités exigées par l’emploi »[216]. Tirée d’un jugement confirmé depuis par la Cour d’appel, l’affirmation s’inscrit dans un contexte où cette même Cour reconnaît que le Tribunal a « énoncé correctement les principes juridiques applicables »[217].   

[318]      La CDPDJ avance que, selon la norme NFPA 1582, seules les personnes ayant une vision monochromatique présentent une condition incompatible avec la tâche. En imposant à M. Samson-Thibault de subir les tests diagnostiques Ishihara et Farnsworth, la Ville et Medisys l’auraient donc assujetti à des examens « qui n’ont rien à voir avec sa capacité à effectuer le travail de pompier ».

[319]      Or, l’obligation de l’employeur de détecter si une personne dispose d’une vision adéquate justifie de l’interroger sur sa capacité « à distinguer les couleurs ». En fonction de la réponse obtenue, il est alors à même de mener les examens requis, le cas échéant, afin d’obtenir un portrait plus précis de sa condition et de mettre en œuvre un accommodement raisonnable au besoin.

* * *

[320]      Le Tribunal a entendu le témoignage du Dr Van Hao Phong Le, avocat et médecin, qui assure la direction médicale de la clinique Medisys depuis l’été 2018.

[321]      Spécialisé en « santé occupationnelle » ou « industrielle », il veille notamment à la qualité des services, assume un rôle de supervision et de gestion des résultats et voit à l’observance des bonnes pratiques.

[322]      Comme directeur, il est appelé à épauler ses collègues et peut occasionnellement combler l’absence d’un médecin-évaluateur.

[323]      Il mentionne que le questionnaire médical que M. Samson-Thibault a complété en 2015 n’est plus utilisé aujourd’hui.

[324]      Interrogée au préalable à ce propos, Mme Nadeau affirmait, le 1er décembre 2020 :

[…]  nous sommes en train de le refaire. Il y a une refonte du questionnaire pour pouvoir, comme vous mentionniez tout à l’heure, oui, c’est problématique avec les questions. Les gens ne semblent pas trop comprendre pourquoi il y a des questions qui sont aussi spécifiques. Alors, oui, on est en train de refaire le questionnaire.[218]

[325]      De l’été 2020 au printemps 2021, Dr Le s’est consacré à la rédaction d’un nouveau questionnaire pré-embauche[219] en s’attardant à toutes les pathologies, par la revue des « systèmes précis » du corps humain, de manière à recueillir toutes les informations pertinentes et importantes pour un poste à risque élevé comme celui de pompier.

[326]      Il mentionne avoir notamment ajouté des questions liées à l’apnée du sommeil, qu’il estime « très, très central », du fait que des épisodes de désaturation nocturne compromettent un sommeil réparateur, ce qui peut causer de la fatigue et une somnolence diurne pouvant affecter la vigilance requise par un emploi à haut risque.

[327]      Par ailleurs, les sections relatives aux noms et coordonnées du médecin de famille et des employeurs antérieurs ont été retirées. D’une part, Medisys ne contacte jamais directement le médecin de famille de la personne candidate, ce que corrobore d’ailleurs Mme Nadeau :

Q À votre connaissance, est-ce que les médecins, dans le cadre de l’évaluation préembauche, médicale préembauche, communiquent avec les médecins de famille?

R  Jamais.[220]

[328]      D’autre part, Dr Le n’estimait pas que l’identification des employeurs antérieurs était utile sur un plan médical.

[329]      La question 25 a également été retirée du nouveau questionnaire parce que trop « vague » selon Dr Le.

* * *

[330]      Dans l’affaire T.J.R., le plaignant avait notamment dû se « soumettre à une palpation de ses organes génitaux et à une radiographie pulmonaire »[221]. De plus, l’employeur avait mené une enquête auprès des ex-collègues du plaignant afin de savoir s’il avait « déjà parlé de la maladie du syndrome de Gilles de la Tourette durant ses études? »[222], leur révélant, par le fait même, qu’il présentait ce handicap.

[331]      C’est dans ce contexte que le Tribunal concluait à des atteintes discriminatoires à ses droits à l’intégrité et à la sauvegarde de sa dignité, ainsi qu’à son droit à la vie privée par la révélation de son handicap à des tiers sans que l’employeur ait obtenu son consentement préalable[223].

[332]      M. Samson-Thibault se trouve cependant dans une situation différente.

[333]      Premièrement, seuls des professionnels œuvrant dans le domaine de la santé (médecins et infirmières) ont eu accès aux résultats qu’il a obtenus. Mme Christine Blanchet, qui dirige les opérations de la clinique Medisys à Québec, confirme d’ailleurs que c’est bien le bureau médical de la Ville qui reçoit les résultats de l’évaluation médicale, en l’occurrence l’infirmière Cloutier.

[334]      Deuxièmement, le principal reproche formulé par M. Samson-Thibault à l’encontre du questionnaire médical vise le fait que les questions sont formulées sans limite temporelle afin de les confiner à une période contemporaine[224] :

[…]  il y a des questions qui sont pertinentes, là, mais ce que je trouve anormal, c’est peut-être le fait qu’il n’y a aucun délai, là, il n’y a aucune période de temps désignée à chacune des questions. Si j’avais été hospitalisé lorsque j’étais enfant, bien en quoi c’est pertinent dans un processus d’embauche de dire : « J’ai été hospitalisé quand j’étais enfant », là? Puis étant donné qu’il n’y a pas de limite de temps, bien j’ai à donner l’information sur tout l’ensemble de ma vie.[225]

[335]      Or, nous l’avons vu, le Tribunal a déjà jugé que les questions relatives à des hospitalisations ou des opérations antérieures étaient à la fois trop larges et inutiles pour connaître la « condition de santé » réelle de la personne qui convoite un emploi[226].

[336]      Ces constats s’appliquent tout autant à la situation de M. Samson-Thibault. Sans qu’il s’agisse d’un facteur déterminant, iI demeure tout de même révélateur que les questions touchant les hospitalisations et les opérations antérieures ne se retrouvent plus dans le nouveau questionnaire médical pré-embauche maintenant utilisé par Medisys[227].

* * *

[337]      Dans une ordonnance de gestion rendue le 14 juin 2021, le Tribunal circonscrivait le débat à ces seuls aspects du Questionnaire médical pré-emploi et/ou Questionnaire médical 1ère visite :

-  L’information relative au médecin de famille (section 1);

-  La section 2 (au complet) relative à l’énumération des Employeurs antérieurs;

-  Les questions 1 à 8 de la section 3 relative aux Antécédents personnels;

-  La question introductive de la section 4 relative à la Revue des systèmes, ainsi que les questions 25, 26, 27, 28, 31, 32, 33 et 35.

[338]      Toutefois, à l’audience, la CDPDJ n’a pas cherché à débattre de la légalité de chacune de ces questions.

[339]      Elle s’en est plutôt remise à une approche globale qui trouve son expression au paragraphe 88 de son plan d’argumentation :

88.   Medisys a discriminé le plaignant de deux façons

a) En lui imposant de passer des examens et à répondre à des questions relatives à son état de santé qui n’ont rien à voir avec sa capacité à effectuer le travail de pompier (art. 10 et 18.1 de la Charte)

b) En transmettant de l’information non nécessaire à la Ville concernant la condition médicale du plaignant, ce qui a eu une influence directe sur son refus d’embauche (art. 4, 5 et 10 de la Charte).

(Soulignement reproduit)

[340]       D’emblée, signalons que la preuve ne permet pas de conclure que la Ville a obtenu, par l’intermédiaire de Medisys, des renseignements non nécessaires qui auraient « eu une influence directe » sur le refus d’embauche discriminatoire de M. Samson-Thibault.

[341]      Ce sont essentiellement les renseignements obtenus au sujet de sa difficulté à distinguer parfaitement les couleurs, soit ses résultats aux tests diagnostiques Ishihara et Farnsworth, qui ont exercé cette influence sur la décision prise par la Ville.

[342]      De l’avis du Tribunal, ces renseignements étaient nécessaires afin de permettre à la Ville de mieux mesurer, à des fins de sécurité, l’ampleur de cette difficulté.

[343]      La discrimination dont la Ville est l’auteure s’explique plutôt par le fait qu’elle s’est limitée à ces résultats, sans pousser plus à fond l’évaluation individualisée qui s’imposait à elle dans les circonstances. Après tout, Dr Gomez, chez Medisys, jugeait le candidat apte, sous réserve d’une « restriction préventive », sans plus.

* * *

[344]      M. Samson-Thibault a été « questionné de manière discriminatoire »[228] puisque, nous l’avons vu, il a eu à répondre à des questions relatives à son état de santé qui n’avaient rien à voir avec sa « capacité actuelle » à effectuer le travail de pompier. C’est le cas des questions 1, 2 et 25, tel qu’il ressort de la décision du Tribunal dans l’affaire T.J.R.[229], confirmée depuis par la Cour d’appel[230].

[345]      Quant aux autres questions, la seule preuve dont le Tribunal dispose réside dans le témoignage du Dr Le.

[346]      Celui-ci a pu apporter des explications à la fois logiques et rationnelles sur la raison d’être des questions posées et leur nécessité en lien avec la condition physique requise aux fins d’accomplir le travail en toute sécurité.

[347]      Contre-interrogé par l’avocate de la CDPDJ, Dr Le a eu à se prononcer sur cette question à laquelle M. Samson-Thibault devait répondre :

35 - Prenez-vous des médicaments actuellement? Si oui, détailler.  

[348]      Dr Le a convenu que selon la formulation employée, une femme qui aspire à devenir pompière devrait, à titre d’exemple, divulguer qu’elle prend des contraceptifs oraux, une information sans le moindre lien avec l’aptitude à combattre efficacement le feu.

[349]      C’est pourquoi le nouveau questionnaire qu’il a conçu se limite plutôt aux médicaments ou substances qui peuvent « altérer votre vigilance, votre niveau d’alerte ou de conscience des gens ou événements vous entourant, vos capacités physiques ou votre concentration? »[231].

[350]      Il n’en demeure pas moins que la question 35, telle que formulée en 2015, ne satisfait pas le critère de nécessité inféré de l’article 18.1 de la Charte.

[351]      Quant aux autres questions ciblées par la CDPDJ, il n’y a pas une preuve prépondérante qui vienne contredire le témoignage du Dr Le quant à la nécessité des renseignements obtenus au moyen de ces questions aux fins d’apprécier le risque.  

[352]      Somme toute, le Tribunal juge que M. Samson-Thibault a subi une atteinte au « droit autonome »[232] que lui garantit l’article 18.1 de la Charte en étant contraint de compléter un questionnaire médical pré-embauche qui n’était pas modulé en fonction de l’emploi de pompier et dont les questions 1, 2, 25 et 35 permettaient à l’employeur d’obtenir des renseignements sur son état de santé sans lien avec les aptitudes ou qualités requises par l’emploi.

[353]      À cet égard, rappelons que «la partie demanderesse n'a pas à démontrer que les renseignements recueillis ont été utilisés à des fins discriminatoires lors de l'embauche »[233]. 

C.           Le droit à une réparation

[354]      L’article 49 de la Charte permet de faire cesser une « atteinte illicite » à la norme d’égalité et de compenser la victime d’un refus d’embauche discriminatoire. Cette disposition permet en outre de sanctionner l’employeur si l’atteinte illicite qui lui est imputable s’avère également « intentionnelle ».   

[355]      L’article 80 de la Charte autorise par ailleurs la CDPDJ à s’adresser au « tribunal en vue d’obtenir, compte tenu de l’intérêt public, toute mesure appropriée contre la personne en défaut ou pour réclamer, en faveur de la victime, toute mesure de redressement qu’elle juge alors adéquate ».

1.                  La cessation de l’atteinte

[356]       La CDPDJ demande notamment au Tribunal :

D’ORDONNER à la défenderesse Ville de Québec de procéder à l’embauche du plaignant dans un poste de pompier permanent dès qu’un tel poste sera ouvert, avec reconnaissance rétroactive au 23 novembre 2015 de tous les droits et privilèges afférents à ce poste, y compris de ses années de service et de son ancienneté non concurrentielle[234]

[357]      La Ville a reconnu que le daltonisme de M. Samson-Thibault constitue la cause de son exclusion du processus de sélection.

[358]      Au moment où il est ainsi exclu, la prise de ses mesures en vue de le doter d’un uniforme et d’équipements adéquats était déjà complétée.

[359]      En fait, il ne lui restait que deux étapes à franchir, soit des tests physiques et relatifs aux spécialités et la vérification de ses antécédents judiciaires.

[360]      Certes, Mme Blier du Service des ressources humaines de la Ville témoigne que « chaque étape est éliminatoire », ce que la Ville mentionne incidemment par écrit dans ses communications avec les personnes qui postulent.

[361]      Toutefois, elle reconnaît que M. Samson-Thibault avait la capacité physique pour subir les « tests exigeants », telle l’épreuve de natation qu’il a d’ailleurs réussie.

[362]      Selon Mme Blier, « c’est rare » qu’une personne échoue au stade des tests physiques et relatifs aux spécialités : « Ça reste une possibilité », ajoute-t-elle.

[363]      Quant aux antécédents judiciaires, dès le 28 février 2013, M. Samson-Thibault signait en faveur de la Ville une autorisation écrite afin qu’elle puisse obtenir cette information[235]. Mme Blier n’exclut pas qu’une vérification ait pu être faite à cette période même si la pratique usuelle veut que cela soit fait à la toute fin du processus.

[364]      Compte tenu de l’excellente condition physique et de l’expérience acquise par M. Samson-Thibault comme pompier depuis avril 2009, la possibilité qu’il échoue ces toutes dernières étapes du processus de sélection est hautement improbable.

[365]      Dans ces conditions, l’arrêt Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales c. Procureur général du Québec[236] ouvre la voie à suivre.

[366]      Dans cette affaire, la plaignante était avocate au service du gouvernement. Elle soutenait que l’employeur lui avait refusé un poste nouvellement créé en raison de sa grossesse. Elle et quatre autres candidates avaient été reçues en entrevue, dernière étape du processus de sélection. Jusque-là, l’avocate se classait au premier rang.

[367]      Alors qu’elle comptait huit années d'expérience dans les fonctions de l’emploi et que ses compétences étaient pleinement reconnues par l’employeur, il lui préférait néanmoins une autre candidate qui avait, selon lui, mieux performé à l’entrevue.     

[368]      Saisie de l’affaire, la Commission de la fonction publique (CFP) donnait raison à la plaignante et ordonnait à l’employeur de lui attribuer le poste convoité. Cette décision fut d’abord annulée par la Cour supérieure, mais la Cour d’appel du Québec allait ensuite rétablir la décision initiale de la CFP.

[369]      À cette occasion, la Cour d’appel dispose de l’argument patronal selon lequel « un tribunal ne peut jamais, même en vertu de l’art. 49 de la Charte, obliger un employeur, qu’il soit du secteur privé ou du secteur public ou parapublic, à engager un individu en particulier, le recrutement et l’embauche étant une prérogative patronale ».

[370]      À ce propos, la Cour d’appel écrit :  

[18]  […] le pouvoir de gérance de l’employeur est subordonné non seulement aux dispositions de la convention collective, mais également aux lois fondamentales sur les droits de la personne, ce qui inclut évidemment la Charte. L’employeur ne peut donc se réfugier derrière l’exercice de ce pouvoir pour éviter les mesures réparatrices qui s’imposent dans une situation donnée.[237]

[371]      Ainsi, le constat de l’exercice discriminatoire, par l’employeur, de son droit de nomination justifiait l’ordonnance de la CFP aux termes de l’article 49 de la Charte.

[372]      Certes, la Cour observe que l’attribution du poste est ordonnée dans un contexte où toutes les étapes du processus de sélection étaient complétées. Mais comme elle le signale clairement : « tout dépend des faits de l’espèce »[238].

[373]      De l’avis du Tribunal, le fait que M. Samson-Thibault est un pompier d’expérience et qu’il ait franchi avec succès pratiquement toutes les étapes du processus de sélection avant qu’une exclusion discriminatoire ne vienne mettre fin prématurément à son parcours justifient l’ordonnance sollicitée par la CDPDJ.

[374]      Malgré la « très longue période de temps » qui « s’est écoulée entre le refus d’embauche discriminatoire et le moment où le tribunal doit statuer »[239], M. Samson-Thibault n’a jamais cessé d’exercer le métier de pompier, ni de maintenir ses connaissances à jour[240].

[375]       Enfin, quant à la possibilité que l’attribution d’un poste à M. Samson-Thibault ne vienne affecter les droits des tiers[241], elle trouve une solution satisfaisante dans le fait que la CDPDJ limite sa demande à la reconnaissance de son « ancienneté non concurrentielle »[242].

[376]      À cet égard, bien que l’Association des pompiers professionnels de Québec (APPQ), qui représente les pompiers et pompières de la Ville, ne soit pas partie au litige, elle a fait connaître sa position, à la demande du Tribunal, par l’intermédiaire de son avocat, lequel écrit :

[…]  La position de notre cliente est à l’effet que l’ancienneté reconnue à monsieur Sébastien Samson-Thibault ne devrait pas pouvoir être opposable aux membres de notre cliente, ceci, peu importe le cas de figure. D’ailleurs, il s’agit du seul sens compatible avec le concept d’ancienneté « non concurrentielle ».

À titre illustratif, il ne faudrait pas que l’ancienneté reconnue à monsieur Thibault puisse être utilisée pour le qualifier à une promotion comme officier, alors qu’il n’a pas effectué d’heures réelles de service aux opérations incendie à Québec.

Par contre, notre cliente n’a pas d’objection à ce que l’ancienneté ou les années de service soient utilisées pour octroyer à Monsieur Thibault des avantages monétaires assumés par la Ville de Québec.

Par ailleurs, nous vous confirmons qu’il y a une liste de salariés temporaires qui sont en attente d’être nommés à tour de rôle sur le prochain poste de pompier à être disponible. Pour ne pas affecter leur droit, il faudrait que monsieur Thibault soit considéré comme le dernier sur cette liste.

En terminant, nous vous avisons que notre cliente n’a pas l’intention d’intervenir dans le litige cité en objet. […][243]

[377]      Du reste, l’intégration de M. Samson-Thibault au Service d’incendie de la Ville n’aura pas pour effet de la priver du droit qui lui est reconnu par l’article 43.00 de la convention collective[244] de l’assujettir à une période d’essai[245].       

[378]      Invitant les tribunaux à faire preuve de flexibilité et de créativité « dans la conception des réparations à accorder pour les atteintes aux droits fondamentaux de la personne », la Cour suprême du Canada reconnaît que la mise en œuvre du « droit des libertés civiles […] peut conduire à l’imposition d’obligations de faire ou de ne pas faire, destinées à corriger ou à empêcher la perpétuation de situations incompatibles avec la Charte québécoise »[246].

[379]      La présente situation est justement de celles qui se prêtent « à faire preuve de créativité et d’audace dans l’application de l’art. 49 de la Charte et le choix des remèdes destinés à mettre en œuvre cette loi d’intérêt public et d’ordre public »[247].

[380]      Le Tribunal ordonnera donc à la Ville de procéder à l’embauche de M. Sébastien Samson-Thibault dans un poste de pompier régulier dès qu’un tel poste sera ouvert.

[381]      Tout indique qu’il disposerait déjà d’un tel poste s’il n’avait pas été victime de discrimination en 2015. Ainsi, malgré l’opposition de l’APPQ, il doit donc avoir préséance par rapport aux personnes qui figurent sur la liste des salariés temporaires qui sont en attente d’être nommés sur le prochain poste disponible.    

2.                  Les dommages-intérêts compensatoires

a)            Le préjudice matériel

[382]      Les parties ont convenu de certaines admissions concernant la réclamation de dommages-intérêts matériels[248].

[383]      Entre le 23 novembre 2015 et le 3 décembre 2021, M. Samson-Thibault a touché de la Ville de Rivière-du-Loup une somme totale de 363 013,54 $ sous le chef des revenus et des cotisations patronales à son régime de retraite.

[384]      Pour cette même période et sous ces mêmes chefs, il aurait touché une somme totale de 461 202,21 $ si sa candidature avait été retenue par la Ville de Québec.

[385]      La CDPDJ soutient que le préjudice matériel subi par M. Samson-Thibault équivaut à la différence entre ces sommes, soit un montant de 98 188,67 $.  

[386]      Toutefois, en marge de son travail de pompier à la Ville de Rivière-du-Loup, M. Samson-Thibault était également employé par le Centre de services scolaires de Laval à titre de formateur-instructeur au sein du programme d’intervention en sécurité incendie sous l’égide de l’Institut de protection contre les incendies du Québec.  

[387]      Les parties conviennent que le total des revenus et des cotisations patronales au régime de retraite obtenus dans ce contexte atteint la somme de 70 680,93 $.

[388]      La Ville plaide que cette dernière somme, obtenue par l’exercice d’un deuxième emploi par M. Samson-Thibault, doit être déduite en faveur de l’employeur de manière à ce que l’indemnité pour préjudice matériel n’excède pas 27 507,74 $.

[389]      L’article 1479 du Code civil du Québec[249] (C.c.Q.) prévoit l’obligation suivante :

1479.  La personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l’aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter.

[390]      Selon la Cour d’appel du Québec, « cette obligation comporte deux volets : (1) le salarié congédié doit faire des efforts raisonnables pour se trouver un emploi dans le même domaine d'activité ou dans un domaine connexe; et (2) le salarié ne doit pas refuser d'offres d'emploi qui, dans les circonstances, sont raisonnables »[250].

[391]      Fait à noter, « [i]l s’agit d’une obligation de moyen qui s’évalue selon le critère objectif de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances »[251] :

Je rappelle en effet que l’article 1479 C.c.Q. dit simplement que le débiteur de l’obligation de réparer (en l’occurrence, l’employeur) ne répond pas de l’aggravation du préjudice que le créancier (en l’occurrence, le salarié) pouvait éviter. Cette disposition ne dit pas que le créancier doit tout mettre en œuvre pour éviter ou neutraliser le préjudice et y remédier lui-même.[252]

[392]      Au moment de son exclusion du processus de sélection par la Ville de Québec, M. Samson-Thibault disposait déjà d’un « emploi dans le même domaine d’activité » à la Ville de Rivière-du-Loup, emploi qu’il a su conserver depuis. L’on ne peut donc lui reprocher un quelconque manque d’« efforts raisonnables pour se trouver un emploi ».

[393]      De même, rien ne permet de conclure qu’il a depuis ce moment refusé une offre d’emploi raisonnable, preuve qui incombait incidemment à l’employeur[253].

[394]      M. Samson-Thibault témoigne que son emploi de formateur-instructeur au Centre de services scolaires de Laval est effectué les soirs et les fins de semaine, en dehors de ses heures régulières de travail comme pompier : « C’est assez éprouvant », dit-il.

[395]      Ceci dit, si l’article 1479 C.c.Q. décourage la fainéantise, il ne condamne pas l’ambition.

[396]      Forte de sa « liberté de travail »[254], une personne a la faculté de mettre ses aptitudes, sa compétence, ses habiletés et ses talents au service d’autrui puisque la loyauté envers un employeur « n’exige pas, en principe, ni ne sous-tend l’exclusivité de service »[255].

[397]      La Ville n’a pas démontré l’impossibilité, pour ses pompiers et pompières, d’occuper un autre emploi rémunérateur qui n’entre pas en conflit avec leur horaire de travail. L’argent ainsi gagné chez un second employeur ne peut dès lors être comptabilisé au bénéfice du premier[256].     

[398]      Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de déduire les revenus et autres avantages obtenus par M. Samson-Thibault pour les prestations de travail offertes au Centre de services scolaires de Laval.

[399]      Il a ainsi droit à une indemnité de 98 188,67 $ que les parties se sont par ailleurs engagées « à parfaire pour tenir compte de la période du 4 décembre 2021 jusqu’à l’exécution du jugement à intervenir »[257].

b)            Le préjudice moral

[400]      La CDPDJ réclame à la Ville une somme de 15 000 $ « à titre de dommages moraux » en lien avec le refus d’embauche de M. Samson-Thibault.

[401]      Elle demande en outre de condamner solidairement la Ville et Medisys à payer à M. Samson-Thibault une somme de 8 000 $ pour avoir fait usage d’un questionnaire médical pré-emploi qui porte atteinte à la Charte.

i)               Le refus d’embauche

[402]      Originaire du Bas-du-Fleuve, M. Samson-Thibault confesse : « J’ai toujours aimé Québec », qu’il décrit comme sa « ville fétiche ».

[403]      Interrogé au préalable sur les raisons pour lesquelles il voulait exercer son métier de pompier au sein du Service d’incendie de la Ville, il offrait cette réponse :

Bien, à ce moment-là je voulais l’exercer parce que c’était un emploi à temps plein, permanent à temps plein, avec des conditions. Puis, t’sais, c’est un Service de grande envergure, donc plein de défis possibles puis un emploi qui me passionne, là, au quotidien et tout le temps, là. C’était pour ça.[258]

[404]      À l’audience, cette passion se vérifie pleinement.

[405]      Il s’investit beaucoup dans la formation, soucieux de maintenir ses compétences à jour. Il témoigne avoir complété le programme intensif de techniques en sécurité incendie du Collège Montmorency, en 2009-2010, afin de pouvoir « travailler dans les grandes villes ».

[406]      Le fait que la taille de la Ville de Québec justifie l’établissement de plusieurs casernes, que le Service offre l’ensemble des spécialités et que les possibilités d’avancement y sont nombreuses exerçait sur lui un grand attrait.

[407]      Quand la Ville lance son offre publique de recrutement, à la fin 2012, lui et sa conjointe se réjouissent : « On était donc contents ».

[408]      Sa candidature déposée, il franchit progressivement les étapes du processus de sélection. Informé par courriel de son inscription sur la liste de présélection, il a cette réflexion : « On progresse ».

[409]      Plus de deux années s’écoulent avant qu’il ne soit informé de sa convocation prochaine « à une rencontre d’information tenue par le Service de protection contre lincendie » où sa présence est « fortement recommandée »[259].

[410]      Dans un courriel subséquent[260], la Ville indique que cette rencontre est prévue pour le 18 septembre 2015 et en précise l’objet :

Cette rencontre a pour but d’expliquer la vision du Service de protection contre l’incendie, les étapes du processus de sélection, la prévision des besoins de personnel (régulier et temporaire) ainsi que les conditions de travail des pompiers temporaires à la Ville de Québec.

[411]      Avant la tenue de cette rencontre, M. Samson-Thibault se présente chez Medisys, le 11 septembre 2015, pour y compléter le questionnaire médical pré-emploi et subir son examen physique.

[412]      Il répond honnêtement à chacune des questions, malgré leur vaste portée : « On veut tellement la job », dira-t-il.

[413]      Informé de son échec au test Ishihara, il se questionne :

[…] est-ce que mon processus va arrêter maintenant ou va se continuer? Donc, c’est angoissant un petit peu pareil, là, puis je redoute, par exemple, le courriel qui pourrait survenir…[261]

[414]      Mais dès le 14 septembre 2015, la Ville le convoque à une épreuve de natation prévue seize jours plus tard[262]. « Dans ma tête », témoigne M. Samson-Thibault, « j’étais à l’étape suivante ».

[415]      Ce même jour, Medisys communique à Mme Nicole Guérard du bureau médical de la Ville le dossier pré-embauche de M. Samson-Thibault.

[416]      Le 15 septembre 2015, l’infirmière Cloutier de la Ville transmet à Mme Parsonage de Medisys l’étude intitulée « Colour Vision Requirements of Firefighters »[263].

[417]      Ce même jour, Mme Parsonage informe M. Samson-Thibault qu’il doit subir le test Farnsworth et qu’il a la possibilité de se rendre chez son optométriste à cette fin, de manière à lui éviter un déplacement à Québec.

[418]      Il déclare à ce propos :

Elle me mentionne aussi à ce moment-là qu’à la suite de mon test puis de l’envoi de mon optométriste, que j’allais recevoir le résultat de ça, elle, elle me parlait d’une journée, là, une journée plus tard.[264]

[419]      Le 17 septembre 2015, l’optométriste lui fait passer le test Farnsworth dont le résultat est ensuite communiqué à Medisys.

[420]      Le 18 septembre 2015, M. Samson-Thibault assiste comme prévu à la séance d’information du Service d’incendie.

[421]      Comme Mme Parsonage lui avait représenté qu’il aurait un retour rapidement si l’échec du test Farnsworth compromettait son embauche, il infère de son silence que le processus continue : « Je pouvais mettre ça derrière moi ».

[422]      Le 30 septembre 2015, il se présente à l’épreuve de natation qu’il réussit sans difficulté.

[423]      Le 6 octobre 2015, la Ville le convoque à une nouvelle rencontre prévue le 15 octobre 2015 « afin d’effectuer les prises de mesure pour les équipements ». Du coup, il est également avisé qu’il aura ensuite à se présenter à la caserne no 2, le 27 octobre 2015, pour y subir des tests physiques et relatifs aux spécialités.

[424]      « Ça faisait six ans que j’étais pompier à ce moment », dit-il, « je m’entraînais plus que moins » (push-up, redressements, descentes en rappel, course). Cette dernière étape constituait, à ses yeux, une simple formalité : « Je pense que je vais être embauché ».  

[425]      Le 15 octobre 2015, ses mensurations sont prises en vue de lui procurer des vêtements et des équipements adéquats. La valeur connue des objets en cause (habit ignifuge de 2 000 $, casque protecteur de 400 $) le conforte dans l’idée que sa candidature sera manifestement retenue.

[426]      Puis, le vendredi 23 octobre 2015, son rêve s’effondre. Il évoque une « date fatidique ». Alors qu’il se trouve en compagnie de sa conjointe, à Amqui, il reçoit un appel de Mme Blier de la Ville qui l’avise que sa candidature est rejetée en raison du danger que son incapacité à bien distinguer les couleurs peut constituer pour lui-même, ses collègues et le public.

[427]      Mme Blier admet être restée avare de détails, disant vouloir éviter toute argumentation avec son interlocuteur dont elle perçoit bien le désarroi : il est « déçu », « désappointé ».

[428]      « Mon monde s’écroule », se désole M. Samson-Thibault, évoquant la fin du « gros projet de déménager ici », avec sa conjointe, et d’y fonder une famille. Il est « en larmes » et complètement « déboussolé ».

[429]      L’idée qu’il puisse constituer un risque pour ses collègues le hante et l’amène à « retourner la question, puis retourner la question » sans cesse : c’est « stressant puis anxiogène », dit-il : « En quoi que c’est dangereux? ».

[430]      Il cherchera à obtenir des explications en se présentant au bureau médical de la Ville. L’infirmière Cloutier le réfère à Mme Blier qui le dissuade de poursuivre ses démarches, que la décision de l’exclure est bien réfléchie et finale.

[431]      M. Samson-Thibault affirme que c’est seulement à la lecture du mémoire de la Ville qu’il a finalement pu connaître les raisons précises de son exclusion.

[432]      « J’suis pas un danger pour personne », insiste-t-il, « je souhaite encore devenir pompier pour la Ville de Québec ».

* * *

[433]      Dans l’arrêt Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (X) c. Commission scolaire de Montréal[265], la Cour d’appel du Québec écrit :

[63]  L’exercice consistant à traduire le préjudice moral en dommages, c’est-à-dire en termes monétaires, est toujours délicat. […] « [M]esurer le dommage moral et l’indemnité conséquente constitue une tâche délicate forcément discrétionnaire », presque arbitraire, serait-on tenté d’ajouter.[266]

[434]   La Cour ajoute que la tâche est encore plus délicate « lorsque le préjudice allégué se rattache à la peine, l’angoisse, etc. et qu’il est donc principalement d’ordre affectif »[267].

[435]      Ceci dit, la souffrance morale n’est pas forcément plus douce au cœur de la personne qui la subit que la douleur physique. 

[436]      De l’ensemble de la preuve, le Tribunal retient que M. Samson-Thibault a vécu très difficilement son exclusion du processus de sélection. Passionné par le métier de pompier qu’il exerce efficacement déjà depuis 2009, il s’est sérieusement remis en question, ébranlé à l’idée qu’il puisse constituer un danger pour les autres alors que sa mission première vise à les en préserver. Sa confiance en lui-même en a été affectée.

[437]      Tandis que la Ville entretient des doutes sur ses capacités dès qu’elle est mise au fait de sa difficulté à bien distinguer parfaitement les couleurs, elle le laisse néanmoins poursuivre le processus de sélection pendant des semaines, créant chez lui l’expectative raisonnable de pouvoir enfin réaliser son rêve d’être recruté au sein du Service. Sa déception et sa peine seront grandes, à la mesure des attentes ainsi nourries.

[438]      Ses démarches visant à obtenir plus de détails sur les raisons du rejet de sa candidature restent infructueuses.

[439]      Plus important encore, jamais il n’aura la possibilité de démontrer que son handicap chromatique ne compromet en rien sa capacité à agir efficacement comme pompier sans exposer qui que ce soit à un risque grave ou excessif.

[440]      La Ville invoque deux décisions du Tribunal, l’une de 2001, l’autre de 2005, lesquelles accordent des indemnités respectives de 5 000 $[268] et de 4 000 $[269] à des victimes de discrimination dans l’embauche fondée sur l’âge dans un cas et sur un handicap visuel dans l’autre.  

[441]      Or, le passage du temps justifie une certaine actualisation.

[442]      La CDPDJ réclame une somme de 15 000 $ en s’inspirant des indemnités versées à la plupart des victimes dans l’affaire Gaz Métropolitain[270]. Toutefois, les nombreuses lacunes observées à cette occasion dans le processus de dotation de l’employeur en cause ne permettent pas de soutenir pleinement la comparaison avec les faits de la présente affaire.

[443]      En l’espèce, une indemnité de 10 000 $ apparaît à la fois juste et suffisante pour réparer le préjudice moral subi par M. Samson-Thibault[271].

ii)             Le questionnaire discriminatoire

[444]      La CDPDJ réclame une condamnation solidaire de 8 000 $ contre la Ville et Medisys pour avoir fait usage d’un questionnaire trop invasif contenant des questions discriminatoires sans lien avec les exigences requises par l’emploi.

[445]      Même si les questions 1, 2, 25 et 35 étaient contraires à l’article 18.1 de la Charte, l’obligation d’y répondre n’a pas troublé la sérénité de M. Samson-Thibault.

[446]      Interrogé par l’avocate de Medisys au sujet de son état d’esprit après avoir rempli le questionnaire médical, M. Samson-Thibault répond :

Bien, je dirais serein, mais que je me questionne sur la pertinence de l’information que j’ai eu à inscrire à l’intérieur, surtout, comme je vous expliquais, en fonction de la période de temps qui est intrigante, là.[272]

[447]      Même si le sentiment éprouvé par le candidat au moment de compléter le questionnaire tient peut-être davantage de l’inconfort et du tracas que de l’accablement, cela suffit à faire naître un préjudice moral[273].

[448]      Ceci dit, dans l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Atir) c. Systématix Technologies de l'information inc.[274], le candidat avait eu à répondre à des questions sur sa religion, sa pratique religieuse et son mode de vie. Une somme de 7 500 $ lui fut accordée « pour l’atteinte à son droit à la reconnaissance et à l’exercice de ses droits en toute égalité, sans discrimination fondée sur la religion, pour l’atteinte discriminatoire à la sauvegarde de sa dignité et de sa vie privée »[275], en fonction des faits suivants :

[120]  Il ressort du témoignage de M. Atir qu’il a été affecté lors de l’entrevue. Il s'est senti découragé au point de ralentir sa recherche d'emploi. Il a développé une certaine appréhension de se faire poser les mêmes questions et il se disait que ce n'était pas la peine d'appliquer pour d’autres emplois. Il était très énervé. Il est retourné au Maroc en espérant que cela lui ferait du bien, mais il n'est pas resté longtemps et est revenu à Montréal. Lors de son témoignage, il paraît encore affecté par le souvenir de l’entrevue en question.[276]

[449]      Dans l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Genewicz) c. Bathium Canada inc.[277], le plaignant avait « apporté très peu de précisions sur les conséquences découlant des questions interdites »[278]. Une indemnité de 2 000 $ est accordée, vu « la preuve très limitée présentée au procès »[279].  

[450]      Dans l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (A.A.) c. Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides (Centre de santé et de services sociaux de Thérèse-de-Blainville)[280], la plaignante se disait choquée, scandalisée, indignée et fâchée par le caractère intrusif de plusieurs questions. Une somme de 4 000 $ lui était allouée[281].

[451]      Le préjudice moral est évalué à la somme de 2 500 $ dans l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (G.C.) c. CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (Centre hospitalier de Trois-Rivières)[282]. Cette appréciation repose sur cette preuve :

[73]  Le témoignage de G.C. convainc du malaise important qui l'a envahie lorsqu'elle a rempli le questionnaire médical. Oui, il y a la question en lien avec les fractures passées, mais il y a aussi la question au sujet de son âge alors qu'elle s'est vu refuser plusieurs emplois pour ce motif, croit-elle. Également, elle décide de ne pas répondre à la question sur son cancer tout en sachant qu'elle risque de voir sa candidature rejetée si elle cache certaines informations. Cet exercice l'a bouleversée.[283]

[452]      Enfin, dans l’arrêt T.J.R.[284], la Cour d’appel du Québec s’abstient de se prononcer sur le bien-fondé de l’indemnité de 8 000 $ qu’avait accordée le Tribunal[285].

[453]      Cela étant, hormis le nombre appréciable de questions présentes dans le questionnaire qui étaient jugées discriminatoires, le plaignant avait dû en outre se soumettre à une palpation de ses organes génitaux. D’où la conclusion du Tribunal qu’il avait subi « une atteinte discriminatoire à son droit à la dignité » ainsi qu’« une atteinte discriminatoire à son droit à l'intégrité en subissant des examens médicaux inutiles et intrusifs en plus de subir des atteintes discriminatoires à son droit à la vie privée »[286].  

[454]      À la lumière du témoignage de M. Samson-Thibault et de ces précédents, le Tribunal fixe à 2 500 $ la valeur du préjudice moral qu’il a subi pour les questions discriminatoires auxquelles il s’estimait tenu de répondre.

[455]      Medisys et la Ville seront solidairement tenues de lui verser cette dernière somme, la première pour avoir conçu le questionnaire, la seconde pour en avoir fait usage. En effet, l’employeur ne saurait se dégager de sa responsabilité en confiant à un tiers – même à une clinique spécialisée comme Medisys – un volet du processus de sélection qui relève exclusivement de ses droits de direction[287]. L’atteinte aux droits fondamentaux ne se dissipe pas par le recours à un mandataire ou à la sous-traitance[288].

3.             Les dommages-intérêts punitifs

[456]      La CDPDJ demande à ce que la Ville et Medisys soient toutes deux condamnées à verser chacune une somme 2 000 $ à M. Samson-Thibault à titre de dommages-intérêts punitifs.

[457]      Seule une atteinte « illicite et intentionnelle » aux droits et libertés peut justifier une telle sanction[289].

[458]      Dans l’arrêt Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital StFerdinand[290], la Cour suprême du Canada explique qu’une atteinte est « intentionnelle » si son auteur « […] a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera »[291].

[459]      Il ressort de la preuve que toutes les personnes impliquées dans le processus de sélection ont agi en toute bonne foi, au meilleur de leurs connaissances, de façon professionnelle et après avoir soupesé soigneusement les impératifs de sécurité inhérents à la lutte contre les incendies.

[460]      Mme Blier témoigne que beaucoup de personnes ont été impliquées dans le processus de décision de la Ville, que ce dossier était « prioritaire », qu’il a été étudié « rigoureusement » sur une période d’un mois : « On a pris le temps », insiste-t-elle.

[461]      L’infirmière Cloutier s’est investie dans la recherche d’informations sur le daltonisme, déplorant le fait qu’il n’y a « pas beaucoup d’articles médicaux sur le sujet » en lien avec la fonction de pompier/pompière : « J’étais dans le néant », dit-elle, « J’avais atteint le maximum de ce que je pouvais faire ».

[462]      Le directeur Paradis renchérit : « Ça pas été géré sur un coin de table », dit-il, « On a bien pesé la décision ».

[463]      Certes, l’exclusion de M. Samson-Thibault reflète la volonté de la Ville, mais rien ne permet d’affirmer qu’elle s’accompagnait d’une quelconque intention de lui causer la déception et la peine qu’elle a néanmoins entraînées pour lui[292].

[464]      « Ce n’est pas de gaieté de cœur » qu’il a été refusé, résume Mme Cloutier.

[465]      Quant à Medisys, si le questionnaire qu’elle a conçu ratissait trop large à certains égards, rien ne permet de conclure que sa conception était sciemment destinée à recueillir un maximum de renseignements personnels non nécessaires de nature à favoriser l’exclusion arbitraire des personnes appelées à le compléter.  

[466]      Du reste, la preuve ne démontre pas qu’au moment des faits en litige, la Ville et Medisys savaient que certaines des questions posées étaient contraires à la Charte et qu’elles persistaient néanmoins à les poser[293].

[467]      Somme toute, malgré le constat fait par le Tribunal que M. Samson-Thibault a fait l’objet d’un traitement discriminatoire en l’espèce, le refus de sa candidature n’est pas le produit de comportements à ce point répréhensibles qu’ils justifieraient une condamnation à payer des dommages-intérêts punitifs[294].       

D.           Les ordonnances d’intérêt public

[468]      L’article 80 de la Charte permet à la CDPDJ de solliciter, dans l’intérêt public, « toute mesure appropriée contre la personne en défaut » ou encore « toute mesure de redressement qu’elle juge alors adéquate ».

[469]      Dans l’arrêt Bombardier[295], la Cour suprême du Canada s’exprime ainsi sur la portée de cet article :

Cette disposition prévoit que les ordonnances que le Tribunal peut prononcer ne sont pas limitées à la réparation du préjudice subi par le demandeur, mais peuvent également inclure des mesures nécessaires dans l’intérêt public. L’exercice de ce pouvoir doit toutefois se rapporter au litige soumis au Tribunal, être appuyé par la preuve pertinente et être approprié compte tenu de l’ensemble des circonstances.[296]

[470]      Dans un premier temps, la CDPDJ demande au Tribunal :

[…]

D’ORDONNER à la défenderesse Groupe santé Médisys inc de cesser l’utilisation du questionnaire « Questionnaire médical pré-emploi » dans le cadre du processus d’embauche pour les postes de pompier.

(Reproduction fidèle à l’original)

[471]      Dans un second temps, elle requiert :

D’ORDONNER à la défenderesse de réviser, dans les 60 jours du jugement à être rendu, le questionnaire « Questionnaire médical pré-emploi » de manière à le rendre conforme à la Charte, notamment afin que ce questionnaire se limite à vérifier les qualités et aptitudes rationnellement requises par l’emploi de pompier et qu’il ne soit exigé qu’après qu’une offre d’emploi conditionnelle à l’administration de ce questionnaire ait été présentée au candidat et à en faire parvenir une copie à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse à l’intérieur de ce délai.  

[472]      Le Tribunal n’entend pas prononcer ces ordonnances pour les motifs suivants.

[473]      Premièrement, une preuve non contredite indique que le questionnaire médical pré-emploi[297] que Monsieur Samson-Thibault a complété dans le cadre du processus de sélection de la Ville, en 2015, n’est plus utilisé aujourd’hui.

[474]      Dr Le et son équipe ont consacré plusieurs mois à réviser ce questionnaire et à en concevoir un nouveau[298], lequel est utilisé depuis le printemps 2021. La directrice des opérations de Medisys à Québec, Mme Blanchet, témoigne que depuis son retour d’un congé de maternité, en juillet 2021, c’est bien ce nouveau questionnaire qui sert à l’évaluation médicale des personnes qui postulent un emploi à risque élevé.

[475]      Le Tribunal n’est pas tenu « de se prononcer sur des questions théoriques »[299] et n’a donc pas à émettre des ordonnances ayant pour objet de corriger une situation de fait qui n’a plus cours[300].  

[476]      Deuxièmement, une demande d’ordonnance visant à ce qu’un questionnaire médical pré-emploi soit utilisé par l’employeur seulement « après qu’une offre d’emploi conditionnelle à l’administration de ce questionnaire ait été présentée au candidat » n’a jamais reçu un accueil favorable à ce jour.

[477]      Certes, dans l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Arsenault) c. Institut Demers inc.[301] – qui mettait en cause l’utilisation de tests psychométriques par l’employeur – le Tribunal écrit :

[…] le Tribunal note que la légitimité de la pratique consistant à administrer de tels tests à tous les candidats à un emploi peut être remise en question puisque l’employeur pourrait très bien ne les administrer qu’aux seuls candidats à qui il fait une offre d’emploi, de façon conditionnelle aux résultats du test.[302]

[478]      Toutefois, aucune ordonnance en ce sens n’était prononcée, les tests en question ne faisant plus partie du processus de sélection de personnel de l’employeur au jour de l’audition.

[479]      Dans l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Genewicz) c. Bathium Canada inc.[303], la CDPDJ sollicitait, comme en l’espèce, une ordonnance ayant pour effet de contraindre l’employeur à ne recourir à un examen médical pré-embauche de la personne candidate qu’après lui avoir fait une offre formelle d’emploi conditionnelle à la réussite de cet examen.

[480]      Faisant observer que « [l]es débats parlementaires sur l’article 18.1 [de la Charte] ne font pas voir que la position de la Commission ait été discutée »[304], le Tribunal concluait :

[60]  L’interprétation proposée par la Commission implique un ajout au texte de la Charte. Si le législateur avait voulu prévoir une mécanique particulière concernant les examens médicaux pré-embauche, il l’aurait fait.[305]

[481]      À cette occasion, le Tribunal refusait même d’attribuer les frais de justice à la CDPDJ malgré qu’elle ait eu gain de cause, jugeant que « la position de la Commission sur le moment qu’un examen médical peut être exigé d’un postulant » avait contribué à compliquer inutilement un litige a priori « fort simple » compte tenu que l’employeur admettait sa responsabilité[306].

[482]      Dans l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (A.A.) c. Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides (Centre de santé et de services sociaux de Thérèse-de-Blainville)[307], il est reconnu que l’examen médical porte atteinte aux droits et libertés de la personne qui postule un emploi[308]. Toutefois, il peut aussi constituer un outil utile à l’employeur qui « a l’obligation de veiller à la santé et à la sécurité des employés »[309]. D’où cette affirmation du Tribunal :

[131]  […] En pareil cas, l’offre conditionnelle d’emploi constitue peut-être une solution efficace et respectueuse des obligations de l’un et des droits fondamentaux de l’autre.[310]

[483]      Là encore, aucune ordonnance à cet effet n’est prononcée par le Tribunal.

[484]      Dans l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (T.J.R.) c. Procureur général du Québec (Sûreté du Québec)[311], la demande au même effet de la CDPDJ[312] n’est pas accordée[313].

[485]      Certes, la position défendue par la CDPDJ, si elle était retenue, offrirait l’avantage d’alléger le fardeau de la preuve de la personne candidate. Forte d’une offre d’emploi conditionnelle avant de compléter le questionnaire médical, le rejet subséquent de sa candidature ne permettrait pas à l’employeur de soutenir que son état de santé n’a pas joué le moindre rôle dans sa décision.

[486]      Toutefois, le présent litige met en relief une difficulté potentielle. En 2015, la Ville imposait une épreuve de natation aux candidats et candidates. Cette épreuve intervenait après l’examen médical. De cette façon, la Ville s’assurait que ces personnes avaient a priori une condition physique suffisante pour subir l’intensité de l’épreuve. Si par malheur une personne était décédée lors de l’exercice à la piscine, la responsabilité de l’employeur aurait-elle pu être engagée au motif qu’il ne s’est pas préalablement assuré de son bon état de santé?

[487]      De même que la réalité dépasse parfois la fiction, il est difficile d’envisager, dans l’abstrait, tous les scénarios possibles dans le contexte d’un processus complexe de dotation au sein d’une organisation de grande envergure. En ce sens, l’ordonnance sollicitée apparaît plutôt « lointaine par rapport à la preuve administrée »[314].

[488]      Tout compte fait, l’hésitation de la jurisprudence à épouser d’emblée la position défendue une fois de plus par la CDPDJ n’est peut-être pas exempte de sagesse.

[489]      Ainsi, plutôt que d’émettre une ordonnance formelle, le Tribunal entend s’en tenir à une simple recommandation[315]. 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[490]      ACCUEILLE en partie la demande;

[491]      DÉCLARE que la défenderesse Ville de Québec a porté atteinte au droit de M. Sébastien Samson-Thibault d’être traité en pleine égalité, sans discrimination fondée sur le handicap, en refusant de l’embaucher comme pompier, le tout en violation des articles 10 et 16 de la Charte;

[492]      ORDONNE à la défenderesse Ville de Québec de procéder à l’embauche de M. Sébastien Samson-Thibault dans un poste de pompier régulier dès qu’un tel poste sera ouvert, avec reconnaissance rétroactive au 23 novembre 2015 de tous les droits et privilèges afférents à ce poste, y compris de ses années de service et de son ancienneté non concurrentielle;

[493]      DÉCLARE que les questions 1, 2, 25 et 35 du questionnaire médical pré-emploi (P-8) sont discriminatoires et contraires à l’article 18.1 de la Charte en ce qu’elles requièrent des renseignements sur l’état de santé non fondés sur les aptitudes ou qualités requises par l’emploi de pompier;

[494]      PREND ACTE du fait que le questionnaire médical pré-emploi (P-8) n’est plus utilisé par la défenderesse Groupe Santé Medisys inc.;

[495]      CONDAMNE la défenderesse Ville de Québec à verser à M. Sébastien Samson-Thibault les sommes suivantes en lien avec son refus d’embauche :

i)                    98 188,67 $ à titre de dommages-intérêts matériels;

ii)                  10 000 $ à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral;

[496]       CONDAMNE solidairement les défenderesses Ville de Québec et Groupe Santé Medisys inc. à verser à M. Sébastien Samson-Thibault la somme de 2 500 $ à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral en lien avec les questions discriminatoires du questionnaire médical pré-emploi (P-8);

[497]      RECOMMANDE à la Ville de Québec de ne pas soumettre les personnes qui participent à un processus de sélection comme pompier/pompière à un questionnaire médical avant qu’une offre d’emploi, conditionnelle à la réussite de leur examen médical, ne leur soit présentée;

[498]      LE TOUT, avec les intérêts calculés au taux légal annuel, plus l’indemnité additionnelle visée par l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 22 juin 2019;

 

 

 

[499]      AVEC FRAIS DE JUSTICE, incluant les frais d’expert.

 

 

 

__________________________________

CHRISTIAN BRUNELLE

Juge au Tribunal des droits de la personne

 

 

Me Stéphanie Fournier et Me Kathrin Peter

BITZAKIDIS CLÉMENT-MAJOR FOURNIER

Pour la partie demanderesse

 

Me Annick Gauthier-Bernier

GIASSON ET ASSOCIÉS

Pour la partie défenderesse Ville de Québec

 

Me Victoria Lemieux-Brown et Me Catherine Biron

LANGLOIS AVOCATS

Pour la défenderesse Groupe Santé Medisys inc.

 

 

Dates d’audience :

 

29 et 30 novembre, 1er, 2 et 3 décembre 2021

19 janvier 2022

15 et 16 mars 2022

 

 

 

 


[1]  Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c. C-12 (Charte), art. 10, 16 et 18.1.

[2]  Pièce D-1, État de renseignements d’une personne morale au registre des entreprises, 9 septembre 2020.

[3]  Art. 18.1 de la Charte.

[4]  Art. 4 de la Charte.

[5]  Art. 5 de la Charte.

[6]  Cette conclusion modifiée est celle que la CDPDJ a communiquée aux défenderesses dans un courriel datée du 14 janvier 2022 signé par Me Katrin Peter et dont le Tribunal a pris acte dans le procès-verbal d’audience du 19 janvier 2022.  

[7]  Pièce P-2, Avis de concours no POMT-003-2012.

[8]  Pièce DVQ-7, Interrogatoire au préalable du candidat (par Me Éliane Gobeil pour la Ville), p. 5. 

[9]  Pièce P-3, Avis de convocation à un examen écrit.

[10]  Pièce P-4, Avis dentrevue de sélection.

[11]  Pièce P-5, Courriel de résultat de l'entrevue.

[12]  Pièce P-6, Demande de mise à jour du dossier.

[13]  Pièce P-7, Avis de convocation à une séance d'information.

[14]  Pièce P-25, Entente de services concernant le programme d’examen pré-emploi pour les pompiers de la Ville de Québec, 25 février 2013.

[15]  Pièce P-8, Questionnaire médical pré-emploi.

[16]  Pièces DVQ-10 et D-3, Interrogatoire au préalable du candidat (par Me Victoria Lemieux-Brown pour Medisys), p. 38 et 39.

[17]  Pièce P-11, Rapport d’évaluation médicale par Dr Jose-Luis Gomez.

[18]  Pièce P-12, Convocation au test de natation.

[19]  Pièces DVQ-15 et D-6, Article de T.H. MARGRAIN, J. BIRCH et C.G. OWEN, « Colour Vision Requirements of Firefighters », Occup. Med., 1996, vol. 46 (no 2), pp. 114-124.

[20]  Pièces DVQ-10 et D-3, préc., note 16, p. 41-42.

[21]  Id.

[22]  Pièce P-13, Résultat du test Farnsworth. Selon une mention infrapaginale qui ressort de la Pièce P-11, préc., note 17, p. 8 sur 14, le terme « Deutan » évoque un « Axe de confusion vert-rouge pourpre ».

[23]  Pièces P-23 et DVQ-15, Dossier médical transmis à la Ville par Medisys.

[24]  Pièce P-14, Avis de convocation aux tests physiques et prise de mesures.

[25]  Pièces P-15 et DVQ-14, Opinion médicale de la médecin-conseil Dre Michelle Tolszcuk.

[26]  Pièce DVQ-2, Courriel du 27 octobre 2015.

[27]  Pièce DVQ-1, Formulaire de plainte, Dossier C1820_15, reçu par la CDPDJ le 16 décembre 2015.

[28]  Pièce D-2, Lettre de Gérard Latour, conseiller à l’évaluation de la CDPDJ.

[29]  Pièce P-17, Résolution CP-750.7.

[30]  Id., p. 2 et 3.

[31]  Id., p. 5.

[32]  Bicknell c. Air Canada, 1984 CanLII 13 (TCDP), (1984) 5 CHRR D/1992 (TCDP) (cité par Daniel PROULX, « La discrimination fondée sur le handicap : étude comparée de la Charte québécoise », (1996) 56 R. du B. (no 3) 321, p. 353 (note 122).

[33]  2000 CSC 28, [2000] 1 RCS 703.

[34]  Id., par. 34.

[35]  Id., par. 36.

[36]  Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c. 11.

[37]  Université de la ColombieBritannique c. Berg, [1993] 2 RCS 353, p. 373. D’ailleurs, dans l’arrêt Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), préc., note 33, par. 36, la Cour s’inspire de son arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville), 2000 CSC 27, [2000] 1 RCS 665, rendu deux semaines plus tôt, en application cette fois de la norme québécoise d’égalité. 

[38]  Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville), id., par. 79 et 81 (Nos soulignements).

[39]  Québec (CDPDJ) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 (Bombardier), par. 35 (Références omises); Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, par. 63; Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4 (CUSM), par. 46.             

[40]  Bombardier, id., par. 36.

[41]  Id., par. 37.  

[42]  Id., par. 38.

[43]  Id.

[44]  [1999] 3 RCS 3.

[45]  Id., par. 54 (Nos soulignements).

[46]  Bombardier, préc., note 39, par. 38.

[47]  2011 QCCA 1201.

[48]  Id., par. 40 (Références omises) (Nos soulignements) (Italiques reproduits).

[49]  Voir notamment : Hôpital général juif Sir Mortimer B. Davis c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2010 QCCA 172, par. 22 (demande d’autorisation de pourvoi refusée : 2010 CanLII 37846 (CSC)); Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires au cœur du Québec (SIIIACQ) c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, 2012 QCCA 1867, par. 52 (Demande pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée : 2013 CanLII 14333 (CSC)); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Beauchamp) c. Corporation d'Urgences-santé, 2008 QCTDP 32, par. 188; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Allard) c. Systèmes de drainage Modernes inc., 2009 QCTDP 10, par. 100 à 103 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Poulin) c. Manufacture Frameco ltée, 2021 QCTDP 21, par. 61; Alexandre MORIN, Le droit à l’égalité au Canada, 2e éd., Montréal, LexisNexis, 2012, p. 196 (par. 503).

[50]  RLRQ c. S-3.4, art. 1, al. 1.

[51]  RLRQ c. S-3.4, r. 2.

[52]  Pièce DVQ-19, Schéma de couverture de risques en matière de sécurité incendie 2010-2015, MRC de Rivière-du-Loup, 19 août 2010; Pièce DVQ-18, Schéma de couverture de risques en incendie 2012-2017, Ville de Québec, août 2011; Pièce DVQ-4, Schéma de couverture de risques en incendie 2019-2024, Agglomération de Québec, 29 août 2018.

[53]  Préc., note 51 (Nos soulignements).

[54]  Règlement sur la prévention des incendies, R.V.Q. 2241.

[55]  Règlement sur les conditions pour exercer au sein d’un service de sécurité incendie municipale, RLRQ c. S-3.4, r. 1, art. 3. 

[56]  Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ, c. S-2.1, art. 49 (2) et (3).

[57]  Id., art. 51, al. 1. L’article 2087 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, est au même effet.

[58]  Loi sur la santé et la sécurité du travail, id., art. 51, al. 1 (3).   

[59]  Art. 46 de la Charte.

[60]  Dans l’arrêt Myskiw v. Saskatoon (City), 2005 SKCA 15, la Cour d’appel de la Saskatchewan précise au par. 9: « The National Fire Protection Association produces many “standards” covering a wide variety of topics pertaining to fire safety and prevention ».

[61]  Pièces P-29 et DVQ-6, NFPA 1582 (édition 2013).

[62]  Pièce DVQ-3, Structure organisationnelle du Service de prévention contre l’incendie de la Ville de Québec.

[63]  Pièce DVQ-16, Exigences professionnelles pour les pompiers (Tome 1 – Le pompier à temps plein), octobre 1981, p. 46.

[64]  Pièce DVQ-16, Exigences professionnelles applicables aux services d’incendie (Tome 1. Les pompiers), août 1984.

[65]  Id., à la Quatrième de couverture.

[66]  Id., p. 92.

[67]  Id., p. 94.

[68]  Meiorin, préc., note 44, par. 57 (Nos italiques).

[69]  Id. (Nos italiques).

[70]  Id.

[71]  Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), 1999 CanLII 646 (CSC), [1999] 3 RCS 868 (Grismer), par. 22.

[72]  Meiorin, préc., note 44, par. 59 (Nos soulignements, à l’exception de la dernière mention « norme particulière » qui est soulignée par la Cour elle-même).

[73]  Id., par. 58.

[74]  Préc., note 49, par. 99.

[75]  Meiorin, préc., note 44, par. 58.

[76]  Id., par. 59.

[77]  Id.

[78]  CUSM, préc., note 39, par. 14 (Italiques reproduits).

[79]  Pièce P-11, préc., note 17, p. 8 sur 14.

[80]  Pièce P-13, préc., note 22.

[81]  Pièces P-15 et DVQ-14, préc., note 25.

[82]  Meiorin, préc., note 44, par. 72.

[83]  Québec (Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail) c. Caron, 2018 CSC 3, [2018] 1 RCS 35 (Caron), par. 20. La Cour précise en outre que cette obligation d’accommodement raisonnable « est un précepte fondamental du droit du travail canadien » (par. 22) et « l’un des principes centraux de la Charte québécoise » (par. 35).

[85]  Ainsi, « accommodement raisonnable » et « contrainte excessive » sont entendus comme des « concepts symétriques » : Caron, préc., note 83, par. 25. 

[86]  Meiorin, préc., note 44, par. 72.

[87]  HydroQuébec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43, [2008] 2 RCS 561, par. 14.

[88]  Meiorin, préc., note 44, par. 67.

[89]  Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 RCS 650, par. 134.

[90]  Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, 1994 CanLII 102 (CSC), [1994] 2 RCS 525, p. 546.

[91]  Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), 1990 CanLII 76 (CSC), [1990] 2 RCS 489, p. 521; Stewart c. Elk Valley Coal Corp., 2017 CSC 30, [2017] 1 RCS 591, par. 55.

[92]  Caron, préc., note 83, par. 29 (citant, avec approbation, la dissidence de l’honorable juge Gascon dans l’arrêt Stewart c. Elk Valley Coal Corp., id., par. 128).

[93]  Pièce DVQ-12, Curriculum vitae du Dr Jean-Pierre Chartrand, M.D. F.R.C.S.C.

[94]  Pièce DVQ-13, Lettre de Maxim Guérin, infirmier et conseiller en gestion de la présence au travail pour la Ville de Québec, 12 février 2021.

[95]  Pièce DVQ-11, Évaluation médicale en ophtalmologie, p. 3.

[96]  Id., p. 5 (Notre soulignement).

[97]  Id.

[98]  Pièce P-37, Curriculum vitae du Professeur Vasile Diaconu.

[99]  Pièce P-18, Rapport d’expertise concernant le daltonisme et le travail de pompier, 3 février 2021.

[100]  Id., p. 11.

[101]  Id., p. 10.

[102]  Id., p. 11.

[103]  Id.

[104]  Id., p. 7, l’auteur du rapport usant du proverbe « la nuit tous les chats sont gris » pour illustrer son propos. Voir au même effet : MARGRAIN, BIRCH et OWEN, préc., note 19, p. 117 : « […] colour appearance changes in different lighting conditions ».

[105]  Pièce P-18, préc., note 99, p. 16.

[106]  Id., p. 17.

[107]  Jean-Claude ROYER, La preuve civile, 6e éd. (par Catherine Piché), Montréal, Éditions Yvon Blais, 2020, p. 398-399 (par. 528).

[108]  Id., p. 400 (par. 529).

[109]  Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), préc., note 39, par. 108.

[111]  Voir les documents cités, préc., notes 63 et 64.

[112]  Signalons toutefois que les Orientations du ministre de la Sécurité publique en matière de sécurité incendie, préc., note 51, réfèrent explicitement à de très nombreuses normes NFPA.

[113]  Pensons à des normes telles celles adoptées par le Bureau de normalisation du Québec (BNQ), la Canadian Standard Association (CSA) ou encore le National Institute of Occupational Safety and Health (NIOSH). Voir notamment : Règlement sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ, c. S-2.1, r. 13; Règlement sur la santé et la sécurité dans les mines, RLRQ, c. S-2.1, r. 14.

[114]  Laberge c. Montréal (Ville de), 1994 CanLII 2162 (QC TDP).

[115]  Dans l’affaire Corporation of the City of Owen Sound v. Owen Sound Professional Fire Fighters Association (International Association of Fire Fighters, Local 531), 2020 CanLII 6464 (ON LA), un tribunal d’arbitrage ontarien assimile une norme NFPA à une « […] detailed guideline used across North America […] » (Nos italiques).

[116]  Loïc LEROUGE, « Droit étatique et processus de normalisation : quelles relations possibles en santé et sécurité au travail? », (2021) 1-2 Communitas, p. 14; Jérôme LAMY, Philippe SCHÄFER et Vincent HELFRICH, « Les normes ISO, entre soft law étendue et dessein biopolitique », (2021) 13 Cahiers Droit, Sciences et Technologies, p. 49.

[117]  Les normes NFPA ne sauraient justifier une discrimination s’il advenait que leur teneur soit contraire à la norme québécoise d’égalité. Comme la Cour suprême le reconnaît dans l’arrêt Bombardier, préc., note 39, par. 99, une personne morale (de droit public ou de droit privé) ne peut se faire « le relais aveugle » d’une règle de droit ou d’une décision discriminatoire « émanant d’une autorité étrangère sans engager sa responsabilité au regard de la Charte ». 

[118]  Art. 52 de la Charte; Caron, préc., note 83, par. 32 et suivants.

[119]  Pièces P-29 et DVQ-6, préc., note 61, p. 1582-11.

[120]  C’est-à-dire d’une vision en noir et blanc.

[121]  Pièces P-29 et DVQ-6, préc., note 61, p. 1582-39 (Notre soulignement).

[122]  Dans l’édition 1992 de la norme NFPA 1582 (voir la Pièce P-28), la disposition pertinente se retrouvait à l’article 3-2.2 et se lisait ainsi : « *Category B medical conditions shall include : (a) Color vision inadequate to identify red, green, and yellow colors ». Quant à l’explication correspondante de l’annexe A de cette édition 1992, elle précisait : « A-3-2.2 Category B medical conditions: (a) Color vision inadequate to identify red, green, and yellow colors. [Inability to identify red, green, or yellow; to read hazardous materials placards and traffic control signs and signals, other color coded markings, warning signs, labels, or placards; or see and respond to imminently hazardous situations.] […] ».

[123]  Ce seul fait permet d’écarter la solution retenue par un tribunal administratif australien dans l’affaire Van der Kooij v. Fire and Emergency Services Authority of Western Australia, [2009] WASAT 221, invoquée par la Ville, lequel a confirmé la légalité de l’exclusion d’un candidat pompier dont la preuve révélait qu’il était « strongly deuteranomal » (par. 3 et 10) et présentait « a severe deutan trend » (par. 74, 76 et 301) (Nos soulignements).

[124]  Pièce P-24, Vision Assessment Form, Ontario Fire Administration, 2014 (soulignement reproduit).

[125]  L’expression est empruntée à l’arrêt Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 57, [2005] 2 RCS 706 (Hilewitz), par. 53.

[126]  Meiorin, préc., note 44, par. 68 (Soulignement reproduit).

[127]  CUSM, préc., note 39, par. 22.

[128]  Hilewitz, préc., note 125, par. 56.

[129]  Caron, préc., note 83, par. 29; Stewart c. Elk Valley Coal Corp., préc., note 91, par. 130 : « L’évaluation individuelle est à la base de la structure de l’accommodement raisonnable. »; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Houle) c. Camping du Lac Morin (9166-5018 Québec inc.), 2021 QCTDP 19, par. 64.

[130]  Hilewitz, préc., note 125, par. 56 (par analogie).

[131]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Poulin) c. Manufacture Frameco ltée, préc., note 49, par. 71 (Références omises).

[132]  Meiorin, préc., note 44, par. 66 (Référence omise) (Soulignements reproduits).

[133]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Poulin) c. Manufacture Frameco ltée, préc., note 49, par. 72; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (G. J.-C.) c. Ville de Gatineau, 2022 QCTDP 22, par. 121.

[134]  Id., par. 73 (Références omises) (Italiques reproduits). Voir au même effet : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Stortini) c. De Luxe Produits de papier inc., 2003 CanLII 36539 (QC TDP), par. 75; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Houle) c. Camping du Lac Morin (9166-5018 Québec inc.), préc., note 129, par. 65 : « La recherche d’un accommodement raisonnable avec l’employé doit être sérieuse, ce qui implique que toutes les avenues raisonnables doivent être envisagées »; Dunkley v. UBC and another, 2015 BCHRT 100, par. 421.  

[135]  Pièce P-8, préc., note 15.

[136]  Meiorin, préc., note 44, par. 82.

[137]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Poulin) c. Manufacture Frameco ltée, préc., note 49, par. 66 (Références omises).

[138]  Anne-Marie LAFLAMME, « La défense de contrainte excessive est-elle possible pour les employeurs du secteur public? », (2009) 87-2 R. du B. Can. 427, p. 436.

[139]  Pièce DVQ-3, préc., note 62.

[140]  Pièce DVQ-32, Rapport d’activités 2015 du Service de protection contre l’incendie de la Ville de Québec, p. 13.

[141]  Préc., note 36.

[142]  Andrews c. Law Society of British Columbia, 1989 CanLII 2 (CSC), [1989] 1 RCS 143, p. 174-175 (Nos soulignements).

[143]  Meiorin, préc., note 44, par. 62 (Notre soulignement).

[144]  Id., par. 64 (Nos soulignements). Voir également Caron, préc., note 83, par. 24.

[145]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (G. J.-C.) c. Ville de Gatineau, préc., note 133, par. 127.

[146]  Pièce P-31, Curriculum vitae de M. Sébastien Samson-Thibault.

[147]  « [L]’occasion de discuter de la situation et d’examiner diverses pistes de solution » participe de l’accommodement raisonnable : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Huard et une autre) c. Karimi, 2021 QCTDP 12, par. 56.

[148]  Pièce DVQ-21, Vidéo relative à la caméra thermique Evolution 6000 de MSA; Pièce DVQ-29, Vidéo « Embrasement généralisé flash over en caisson 40 pieds ».

[149]  Grismer, préc., note 71, par. 32 et suiv.

[150]  CUSM, préc., note 39, par. 52; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. 9185-2152 Québec inc. (Radio Lounge Brossard), 2015 QCCA 577, par. 49.

[151]  Québec (Société de l'assurance automobile) c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), préc., note 84, par. 41.

[152]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Allard) c. Systèmes de drainage Modernes inc., préc., note 49, par. 140 (Soulignements omis).

[153]  Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, préc., note 90, p. 544.

[154]  Grismer, préc., note 71, par. 43.

[155]  Voir notamment : Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 131, par. 21; Canada (Procureur général) c. Duval, 2019 CAF 290, par. 25; Canada (Attorney General) v. Gallinger, 2022 FCA 177, par. 45 à 48. Voir cependant : Harnois c. Cité Joie inc., 2017 QCCQ 5953, par. 82.

[156]  University of British Columbia v. Kelly, 2016 BCCA 271, par. 43.

[157]  Commission ontarienne des droits de la personne (O’Malley) c. Simpsons-Sears, 1985 CanLII 18 (CSC), [1985] 2 RCS 536, p. 555 et 559; Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, préc., note 90, p. 544-545; Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1108 c. CHU de Québec – Université Laval, 2020 QCCA 857, par. 76 à 79; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Huard et une autre) c. Karimi, précité, note 147, par. 50.

[158]  Multani c. Commission scolaire MargueriteBourgeoys, 2006 CSC 6, [2006] 1 RCS 256, par. 45.

[159]  Caron, préc., note 83, par. 25 (Référence omise); Stewart c. Elk Valley Coal Corp., préc., note 91, par. 128.

[160]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (M.R.) c. Société de transport de Montréal (STM), 2021 QCTDP 35, par. 95 (Références omises) (Nos soulignements).

[161]  Meiorin, préc., note 44, par. 2, 18 et 79; Grismer, préc., note 71, par. 32 et 43; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. 9185-2152 Québec inc. (Radio Lounge Brossard), préc., note 150, par. 45, 56, 57, 66 et 68; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Bencheqroun) c. Société de transport de Montréal, 2020 QCCA 602, par. 31.

[162]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. 9185-2152 Québec inc. (Radio Lounge Brossard), id., par. 66 (Notre soulignement).

[163]  Robinson c. Forces armées canadiennes, 1991 CanLII 454 (TCDP), p. 24.

[164]  Pièce DVQ-23, Trois photographies de rubans.

[165]  Pièce P-32, Manuel d’utilisation G1 APRIA, 2015; Pièce P-33, photographie no 8; Pièce DVQ-20, Bulletin d’information sur l’APRIA G1 de MSA, février 2014.

[166]  Pièce P-42, Standard on Open-Circuit Self-Contained Breathing Apparatus (SCBA) for Emergency Services, 2013.

[168]  Pièce DVQ-5, APRIA Draeger Airboss Evolution Plus, p. 7.

[169]  Pièce P-33, Photographie no 31.

[170]  Id., Photographies nos 27, 28 et 30.

[171]  Pièce DVQ-5, préc., note 168, p. 8 et 9.

[172]  DVQ-7, préc., note 8, p. 28.

[173]  Pièce P-33, Photographies nos 21 à 25.

[174]  DVQ-7, préc., note 8, p. 27.

[175]  Pièce P-32, préc., note 165, p. 16.

[176]  Pièce P-42, préc., note 166, art. 6.2.4. et suivants.

[177]  Pièces P-41 et DVQ-22, Guide des mesures d’urgence 2012, Transports Canada.

[178]  Id., p. 5 (Nos soulignements).

[179]  Grismer, préc., note 71, par. 32.

[180]  Pièce P-33, Photographie no 6.

[181]  Id., Photographie no 7.

[183]  Pièce P-40, La thermographie en incendie | Modèle MSA 5800, vignette WH.

[184]  Pièce DVQ-26, Deux photographies de camion-pompe.

[185]  Pièce DVQ-25, Reportage « Des bornes d’incendie changent de couleur à Québec », Radio-Canada, Ici Québec, 6 août 2015, accompagné de cinq photographies.

[186]  Pièce DVQ-28, trois photographies.

[187]  Pièce DVQ-24, Photographies de casques de sécurité.

[188]  Pièce DVQ-30, Dépliant sur le système canadien d’aide à la navigation (2011), carte maritime et photographies de deux bouées.

[189]  Pièce DVQ-31, Photographies aériennes d’une piste d’atterrissage.

[190]  Mémoire de la Ville de Québec, 10 septembre 2020, par. 46 c).

[191]  Meiorin, préc., note 44, par. 2 (Notre soulignement).

[192]  Grismer, préc., note 71, par. 30 (Notre soulignement).

[193]  Rappelons incidemment que l’Annexe A, liée à la norme NFPA-1582 invoquée par la Ville, est en phase avec cette jurisprudence.

[194]  Meiorin, préc., note 44, par. 64.

[195]  Id.

[196]  Id., par. 65 (Le premier soulignement est reproduit et le second est nôtre).

[197]  Robinson c. Forces armées canadiennes, préc., note 163, p. 22-23.

[198]  Il s’agit du questionnaire de la pièce P-8, préc., note 15.

[199]  Observations de la demanderesse, 22 décembre 2022, par. 2.

[200]  Pièce P-25, préc., note 14.

[201]  Pièce P-10, Protocole pré-emploi « Pompier ».

[202]  Pièce P-19, Interrogatoire préalable à l’instruction de Mme Ghislaine Nadeau (par Me Stéphanie Fournier), 1er décembre 2020, p. 103.

[203]  Id., 10-11 (Nos soulignements).

[204]  Id., p. 23 (Notre soulignement).

[205]  Id., p. 37.

[207]  Id., par. 103.

[208]  Id.

[209]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (T.J.R.) c. Procureur général du Québec (Sûreté du Québec), 2022 QCCA 1577 (T.J.R.), par. 18.

[210]  Id., par. 56.

[211]  Id., par. 57 (Notre soulignement).

[212]  Id., par. 39. Voir au même effet : Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires au cœur du Québec (SIIIACQ) c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, préc., note 49, par. 69.

[213]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (M.R.) c. Société de transport de Montréal (STM), préc., note 160, par. 107 (Nos soulignements).

[215]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (T.J.R.) c. Procureur général du Québec (Sûreté du Québec), préc., note 206, par. 69; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (M.R.) c. Société de transport de Montréal (STM), préc., note 160, par. 77.

[216]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (T.J.R.) c. Procureur général du Québec (Sûreté du Québec), id., par. 68 (Notre soulignement).

[217]  T.J.R., préc., note 209, par. 24 (Notre soulignement).

[218]  Pièce P-19, préc., note 202, p. 56 (Notre soulignement).

[219]  Pièce P-20, Questionnaire pré-embauche pour un poste à risque élevé.

[222]  Id., par. 171.

[223]  Id., par. 128 et 185.

[224]  Pièce P-19, préc., note 202, p. 41 et 52.

[225]  Pièce DVQ-10, préc., note 16, p. 36 (Nos soulignements).

[226]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (T.J.R.) c. Procureur général du Québec (Sûreté du Québec), préc., note 206, par. 103. Voir au même effet : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (A.A.) c. Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides (Centre de santé et de services sociaux de Thérèse-de-Blainville), 2017 QCTDP 2, par. 138.

[227]  Pièce P-20, préc., note 219.

[228]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (M.R.) c. Société de transport de Montréal (STM), préc., note 160, par. 123.

[229]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (T.J.R.) c. Procureur général du Québec (Sûreté du Québec), préc., note 206, par. 103 et 104.

[230]  T.J.R., préc., note 209.

[231]  Pièce P-20, préc., note 219, question no 16.

[232]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (A.A.) c. Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides (Centre de santé et de services sociaux de Thérèse-de-Blainville), préc., note 226, par. 88; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (G.C.) c. CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (Centre hospitalier de Trois-Rivières), 2020 QCTDP 5, par. 50; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Di Campo) c. Éco-Logixx - Grossiste alimentaire et produits d’emballage inc., 2019 QCTDP 16, par. 33; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (T.J.R.) c. Procureur général du Québec (Sûreté du Québec), préc., note 206, par. 66.

[233]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (A.A.) c. Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides (Centre de santé et de services sociaux de Thérèse-de-Blainville), id., par. 87 (nos italiques). Voir à ce propos : T.J.R., préc., note 209, par. 37 et 38.

[234]  Cette conclusion modifiée est celle que la CDPDJ a communiquée aux défenderesses dans un courriel daté du 14 janvier 2022 signé par Me Katrin Peter et dont le Tribunal a pris acte dans le procès-verbal d’audience du 19 janvier 2022.  

[235]  Pièce P-31, Autorisation pour la validation des antécédents judiciaires, 28 février 2013.

[236]  2020 QCCA 1453.

[237]  Id., par. 18.

[238]  Id., par. 23.

[239]  Id.

[240]  En cela, sa situation se distingue aisément de celle du candidat en cause dans l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Boisvert) c. Nicolet (Ville de), 2001 CanLII 88 (QC TDP), invoquée par la Ville. De son propre aveu, M. Boisvert avait avoué « qu’il n’était plus apte aujourd’hui à exercer le métier de policier », ses « connaissances relatives aux lois et règlements que sont chargés d’appliquer les policiers » n’étant « plus à jour » et sa pratique du « tir au fusil » remontant à « trop longtemps » (par. 171). 

[241]  Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales c. Procureur général du Québec, préc., note 236, par. 23; Québec (Société de l'assurance automobile) c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), préc., note 84, par. 43 et suivants.

[242]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Beaudoin et autres) c. Gaz métropolitain inc., 2008 QCTDP 24, par. 576; conf. par Gaz métropolitain inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 47, par. 97.

[243]  Pièce P-43, Lettre de Me Thierry Saliba, 17 décembre 2021.

[244]  Pièce P-44, Convention collective entre la Ville de Québec et l’Association des pompiers professionnels de Québec inc.,

[245]  Voir, par analogie, Knight c. Société de transport de l’Outaouais, 2007 TCDP 15, par. 92 et 96. Dans l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Stortini) c. De Luxe Produits de papier inc., préc., note 134, par. 85, le Tribunal n’a pas remis en cause la position de l’employeur voulant « que la plaignante soit réintégrée à la condition, toutefois, qu'elle soit soumise à une période de probation au même titre que les autres employés ». Dans l’arrêt Syndicat du personnel de bureau, technique et professionnel du RTC c. Réseau de transport de la Capitale, 2020 QCCA 1479, par. 40, la Cour d’appel reconnaît qu’une telle période d’essai constitue un moyen raisonnable pour s’assurer que l’employé auquel un poste est attribué est en mesure de le pourvoir de façon sécuritaire. 

[246]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Communauté urbaine de Montréal, 2004 CSC 30, [2004] 1 RCS 789, par. 26; Bombardier, préc., note 39, par. 104.

[247]  Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales c. Procureur général du Québec, préc., note 236, par. 22; Université Laval c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2005 QCCA 27, par. 94.

[248]  Liste d’admissions communes de la demanderesse et de la défenderesse Ville de Québec concernant la réclamation de dommages matériels, 15 novembre 2021.

[249]  L.Q. 1991, c. 64.

[250]  Caisse populaire Desjardins de Saint-Raymond--Sainte-Catherine c. Girard, 2022 QCCA 1171, par. 39.

[251]  Id., par. 40.

[252]  Carrier c. Mittal Canada inc., 2014 QCCA 679, par. 111 (Notre soulignement).

[253]  Fernand MORIN, Jean-Yves BRIÈRE, Jean-Pierre VILLAGGI et Dominic ROUX, Le droit de l’emploi au Québec, 4e éd., Montréal, Wilson et Lafleur ltée, 2010, p. 1495 (par. V-46).

[254]  Traffic Tech International inc. c. Milgram et Compagnie ltée, 2015 QCCA 2164, par. 9.

[255]  MORIN, BRIÈRE, VILLAGGI et ROUX, préc., note 253, p. 356 (par. II-100); Équipements G.N. Johnston ltée c. Brideau, 2017 QCCQ 8414, par. 44 à 48.

[256]  Ce principe est clairement reconnu dans l’affaire Syndicat des employées et employés du Centre jeunesse de Laval (CSN-FSSS) et Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval (Centre jeunesse de Laval), (France Vermette et grief syndical), 2017 QCTA 433, par. 100 à 105. Toutefois, l’arbitre n’y donne pas effet en raison d’une disposition de la convention collective qui y dérogeait en termes non équivoques. 

[257]  Liste d’admissions communes, préc., note 248, p. 4-5.

[258]  Pièce DVQ-7, préc., note 8, p. 38.

[259]  Pièce P-6, préc., note 12.

[260]  Pièce P-7, préc., note 13.

[261]  Pièces DVQ-10 et D-3, préc., note 16, p. 39.

[262]  Pièce P-12, préc., note 18.

[263]  Pièce D-6, Courriel de Mme Nadine Cloutier à Mme Kelly Parsonage, 15 septembre 2015, accompagné de l’article de MARGRAIN, BIRCH et OWEN, préc., note 19.

[264]  Pièces DVQ-10 et D-3, préc., note 16, p. 41.

[266]  Id., par. 63 (Références omises).

[267]  Id.

[268]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Boisvert) c. Nicolet (Ville de), préc., note 240, par. 162.

[269]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Boucher) c. Québec (Procureur général), 2005 CanLII 8547 (QC TDP), par. 74.

[270]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Beaudoin et autres) c. Gaz métropolitain inc., préc., note 242, par. 554.

[271]  Voir, par analogie, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Allard) c. Systèmes de drainage Modernes inc., précité, note 49, par. 149.

[272]  Pièces DVQ-10 et D-3, préc., note 16, p. 38.

[273]  Voir, par analogie, Aubry c. Éditions Vice-Versa inc., 1998 CanLII 817 (CSC), [1998] 1 RCS 591, par. 71.

[274]  2010 QCTDP 18.

[275]  Id., par. 121.

[276]  Id., par. 120 (Nos soulignements).

[277]  2015 QCTDP 13.

[278]  Id., par. 69.

[279]  Id., par. 71.

[280]  Préc., note 226.

[281]  Id., par. 173.

[282]  Préc., note 232.

[283]  Id., par. 73 (Nos soulignements).

[284]  Préc., note 209.

[285]  Id., par. 31 et 67.

[286]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (T.J.R.) c. Procureur général du Québec (Sûreté du Québec), préc., note 206, par. 185.

[287]  Québec (Société de l'assurance automobile) c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), préc., note 84, par. 30; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Genewicz) c. Bathium Canada inc., préc., note 277, par. 66. 

[288]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Arsenault) c. Institut Demers inc., 1999 CanLII 51 (QC TDP), par. 111.

[289]  Art. 49, al. 2, de la Charte.

[290]  1996 CanLII 172 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 211.

[291]  Id., par. 121.

[292]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (A.A.) c. Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides (Centre de santé et de services sociaux de Thérèse-de-Blainville), préc., note 226, par. 177.

[293]  De fait, les décisions rendues par la Tribunal et la Cour d’appel dans l’affaire T.J.R. sont postérieures aux faits du présent litige.

[294]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (T.J.R.) c. Procureur général du Québec (Sûreté du Québec), préc., note 206, par. 187 à 191; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (M.R.) c. Société de transport de Montréal (STM), préc., note 160, par. 151.

[295]  Préc., note 39.

[296]  Id., par. 103 (Notre soulignement).

[297]  Pièce P-8, préc., note 15.

[298]  Pièce P-20, préc., note 219.

[299]  Code de procédure civile, RLRQ c C-25.01, art. 10, al. 3.

[300]  Dans l’arrêt Genest c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2001 CanLII 11888 (QC CA), par. 24, la Cour d’appel rappelle qu’une ordonnance du Tribunal doit être « susceptible d’exécution ». 

[301]  Préc., note 288.

[302]  Id., par. 72.

[303]  Préc., note 277.

[304]  Id., par. 56.

[305]  Id., par. 60.

[306]  Id., par. 76.

[307]  Préc., note 226.

[308]  Id., par. 127.

[309]  Id., par. 131.

[310]  Id. (Notre soulignement).

[311]  Préc., note 206.

[312]  Id., par. 3.

[313]  Id., par. 195.

[314]  Gaz métropolitain inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 47, par. 89.

[315]  Id., par. 90.

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