Ménard c. R. | 2023 QCCA 1270 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | 500-10-006794-182, 500-10-007347-204 | ||||
(700-01-145753-169) | |||||
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DATE : | 6 octobre 2023 | ||||
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LUC MÉNARD | |||||
APPELANT – accusé | |||||
c. | |||||
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SA MAJESTÉ LE ROI | |||||
INTIMÉ – poursuivant | |||||
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[1] L’appelant se pourvoit contre un jugement sur la culpabilité rendu oralement le 23 mars 2018 par l’honorable Sophie Lavergne de la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Terrebonne dans le dossier 700-01-145753-169 (500-10-006794-182).
[2] L’appelant se pourvoit également contre un jugement sur la peine rendu le 4 octobre 2018 par l’honorable Sophie Lavergne de la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Terrebonne dans le dossier 700-01-145753-169 (500-10-007347-204).
[3] Pour les motifs du juge Healy, auxquels souscrivent les juges Dutil et Sansfaçon, LA COUR :
[5] ACCUEILLE la requête pour permission de présenter une nouvelle preuve (dossier : 500-10-007347-204).
[6] ACCUEILLE en partie l’appel contre les déclarations de culpabilité, dans le seul but d’annuler la déclaration de culpabilité sur le chef d’accusation 8 et de prononcer un acquittement sur ce chef d’accusation.
[7] ACCUEILLE en partie l’appel contre la sentence, dans le seul but d’annuler la partie de l’ordonnance fondée sur l’alinéa 161(1)a.1) du C.cr.
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| JULIE DUTIL, J.C.A. | |
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| PATRICK HEALY, J.C.A. | |
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| STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A. | |
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Me Farah Nantel-Hamud | ||
DESJARDINS CÔTÉ | ||
Pour l’appelant | ||
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Me Alexis Marcotte Bélanger | ||
DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES | ||
Pour l’intimé | ||
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Date d’audience : | 29 novembre 2022 | |
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MOTIFS DU JUGE HEALY |
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Introduction
[8] La Cour est saisie de deux dossiers. Le premier est un appel contre dix déclarations de culpabilité rendues par la Cour du Québec[1] pour diverses infractions de nature sexuelle[2] et le second est une demande d’autorisation d’interjeter appel de la sentence sur ces déclarations de culpabilité[3]. Le premier dossier contient également une demande de prolongation du délai d’appel amendée et une demande d’autorisation d’appel amendée. On trouve en outre dans le second dossier une demande de présentation d’un nouvel élément de preuve, soit une lettre d’une conseillère en emploi. Les présents motifs traitent des questions soulevées dans les deux dossiers[4].
[9] L’appelant a été inculpé en ces termes :
Avoir produit de la pornographie juvénile[5] entre le 16 janvier 2016 et le 3 février 2016 (chef d’accusation 1);
Avoir distribué de la pornographie juvénile[6] entre le 13 janvier 2016 et le 3 février 2016 (chef d’accusation 2);
Avoir fait un arrangement par un moyen de télécommunication dans le but de perpétrer une infraction visée[7] entre le 13 janvier 2016 et le 3 février 2016 (chef d’accusation 3);
Avoir conseillé la commission d’une infraction criminelle non commise[8] entre le 13 janvier 2016 et le 3 février 2016 (chef d’accusation 4);
Avoir eu en sa possession de la pornographie juvénile[9] entre le 22 avril 1997 et le 9 août 2012 (chef d’accusation 5);
Avoir eu en sa possession de la pornographie juvénile[10] entre le 10 août 2012 et le 17 juillet 2015 (chef d’accusation 6);
Avoir eu en sa possession de la pornographie juvénile[11] entre le 18 juillet 2015 et le 3 février 2016 (chef d’accusation 7);
Avoir accédé à de la pornographie juvénile[12] entre le 22 avril 1997 et le 9 août 2012 (chef d’accusation 8);
Avoir accédé à de la pornographie juvénile[13] entre le 10 août 2012 et le 17 juillet 2015 (chef d’accusation 9);
Avoir accédé à de la pornographie juvénile[14] entre le 18 juillet 2015 et le 3 février 2016 (chef d’accusation 10);
Avoir produit, imprimé ou publié de la pornographie juvénile[15] entre le 22 avril 1997 et le 9 août 2012 (chef d’accusation 11);
Avoir produit, imprimé ou publié de la pornographie juvénile[16] entre le 10 août 2012 et le 16 juillet 2015 (chef d’accusation 12);
Avoir produit de la pornographie juvénile[17] entre le 17 juillet 2015 et le 3 février 2016 (chef d’accusation 13).
[10] L’appelant a été acquitté des chefs d’accusation 9 et 10. Un arrêt des procédures a été prononcé pour le chef d’accusation 1. Il a été déclaré coupable des dix autres chefs d’accusation.
[11] Les quinze moyens d’appel contre les déclarations de culpabilité seront abordés sous trois rubriques : 2.1 (préparation du procès); 2.2 (déroulement du procès); 2.3 (interprétation de l’actus reus de l’article 172.2 du Code criminel).
[12] L’appelant a été condamné à une peine d’emprisonnement de 54 mois et soumis à des ordonnances rendues en vertu des alinéas 161(1)a), (a.1), b), c) et d).
[13] La demande d’autorisation d’interjeter appel de la sentence est accordée. Le seul élément contesté concerne la pertinence de l’ordonnance rendue en vertu de l’alinéa 161(1)d) du Code, qui interdit à l’appelant d’utiliser Internet ou tout réseau numérique pendant une période de vingt ans.
[14] L’appelant a été arrêté dans le cadre d’une opération policière qui visait son site Internet dédié au thème de l’inceste. Les enquêteurs sont entrés en contact avec lui et après un échange de courriels avec deux agents travaillant sous de fausses identités, dont « Sophie » qui s’est fait passer pour la mère d’une fille de huit ans. L’appelant a envoyé à « Sophie » un courriel contenant une histoire de pornographie juvénile dans le but de la réaliser avec « Sophie » et son enfant. Une agente d’infiltration s’est fait passer pour « Sophie » lors d’une conversation téléphonique avec l’appelant. Ils se sont donné rendez-vous le 3 février 2016. L’appelant a été arrêté. Lors d’une perquisition au domicile de l’appelant, les enquêteurs ont saisi des photographies, des vidéos et des textes contenant de la pornographie juvénile.
2. Appel contre les déclarations de culpabilité
[15] Dans tous les moyens d’appel contre les déclarations de culpabilité, sauf un, l’appelant soutient que la juge du procès n’a pas veillé à ce qu’il présente une défense pleine et entière dans le cadre d’un procès équitable.
[16] L’appelant a comparu pour la première fois sous garde le 4 février 2016 et la mise en liberté provisoire lui a été refusée. L’affaire a été ajournée à plusieurs reprises. Après une enquête préliminaire, le procès a été fixé au 10 juillet 2017. Avant cette date, l’appelant a révoqué le mandat de deux avocats engagés pour le représenter et leurs requêtes pour cesser d’occuper ont été accueillies. Le 10 juillet 2017, une troisième avocate a présenté une requête pour cesser d’occuper au motif d’une perte de confiance entre elle et l’appelant. Ce dernier a informé le tribunal qu’il s’était senti poussé par l’avocate à plaider coupable, ce qu’il avait refusé de faire, et il réitérait son souhait d’être représenté par avocat.
[17] Le 1er août 2017, l’appelant a informé le tribunal qu’il avait pris la décision de ne pas se faire représenter, même s’il était admissible à l’aide juridique. Il a présenté plusieurs demandes préliminaires, dont une pour se voir désigner un conseiller juridique et une autre pour avoir accès à Internet sur un ordinateur portable. Ces demandes ont été refusées, mais le tribunal a ordonné qu’il soit autorisé à disposer de matériel d’écriture et de textes juridiques. Au début du procès, le 19 février 2018, la Cour a rejeté une requête en arrêt des procédures qui invoquait un déni du droit à une défense pleine et entière. Une requête présentée après le jugement alléguant une provocation policière a été rejetée. La peine a été prononcée le 4 octobre 2018.
2.1 Préparation du procès
[18] L’élément central de la présente affaire est la détermination résolue de l’appelant à prendre en charge sa représentation au procès. Tous les motifs d’appel, sauf un, touchent aux ramifications de cette décision. Pour cette raison, les motifs d’appel doivent être examinés au regard du niveau d’assistance que doit offrir un juge du procès pour garantir qu’un accusé non représenté dispose d’une défense pleine et entière dans le cadre d’un procès équitable.
[19] Le juge du procès doit prêter assistance à l’accusé qui choisit de ne pas se faire représenter par avocat[18]. La nature et l’étendue de l’obligation d’assistance sont évaluées en fonction d’une norme de raisonnabilité selon les circonstances de chaque espèce[19]. Ces circonstances sont par définition variables[20], de même que les obligations positives du juge, mais l’obligation d’assistance est assortie de limites. Le juge ne peut offrir d’assistance qui constitue un conseil, un avis ou une orientation par rapport à la conduite de l’affaire. Le juge doit offrir de manière impartiale des renseignements et d’autres formes d’assistance qui permettront à l’accusé de diriger lui-même la présentation de sa propre cause. Cette obligation positive d’assurer une défense pleine et entière est limitée par l’impératif d’impartialité, mais aussi par le devoir de respecter les limites qui échappent au contrôle du juge. En outre, elle est limitée par la prémisse évidente selon laquelle le droit de tout accusé à un procès équitable ne correspond pas à un droit à un procès parfait[21].
[20] Une personne qui choisit de procéder sans avocat assume le fardeau qu’impose la présentation de sa cause. Ce fardeau est inéluctable et amplifié par la solitude découlant de la responsabilité de présenter sa défense sans l’aide ou les conseils d’un professionnel. La personne non représentée doit non seulement affronter seule les défis inhérents au fait de confronter la preuve complète qui pèse contre elle[22], mais assumer en outre le fardeau supplémentaire qui accompagne l’ignorance innocente. Ces fardeaux se situent au-delà du devoir d’assistance raisonnable incombant au juge pour assurer une défense pleine et entière.
[21] En l’espèce, la juge a rejeté la demande de l’appelant de se voir assigner un « conseiller juridique » pour l’aider dans la préparation de sa défense et a exclu la possibilité de nommer un amicus curiae. Cette décision reflète un profond respect envers la résolution de l’appelant de ne pas être représenté et une acceptation des limites de l’assistance impartiale. Au cœur de cette décision, la juge reconnaît que le tribunal ne peut pas fournir ce à quoi l’appelant a volontairement choisi de renoncer. Conformément aux principes établis, la juge observe scrupuleusement une distinction entre les conseils que l’appelant pourrait souhaiter et les renseignements qui sont nécessaires à la présentation de sa défense. La décision de la juge démontre que l’assistance raisonnable à un accusé requiert l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire judicieux dans l’évaluation de ce qui est nécessaire pour garantir le droit de l’accusé de présenter une défense pleine et entière. Ce pouvoir discrétionnaire ne doit déterminer ni plus ni moins que le nécessaire[23].
[22] La juge a rejeté la demande de « conseiller juridique » de l’appelant parce que cette demande visait à obtenir des conseils juridiques de même nature que ceux que l’accusé a volontairement choisi de refuser, après avoir congédié trois avocats du dossier, même s’il était admissible à l’aide juridique. À cet égard, la conclusion de la juge est irréprochable et l’appelant ne peut maintenant soutenir qu’on lui a refusé une assistance nécessaire alors qu’il avait résolu qu’elle n’était pas nécessaire[24]. De même, l’exclusion par la juge de la possibilité de nommer un amicus curiae a été dictée par les principes directeurs qui régissent de telles nominations[25]. Sauf exceptions rares et limitées, un amicus curiae ne peut pas être l’avocat d’une partie et ne peut être nommé que pour fournir une assistance neutre lorsque cela est nécessaire pour le bénéfice du tribunal dans la conduite de l’affaire et pour assurer un procès équitable. À cet égard, en l’espèce, la juge ne voit pas de circonstances exceptionnelles. Elle a explicitement conclu que, malgré la complexité de l’affaire contre l’appelant, l’assistance d’un amicus curiae n’était pas nécessaire pour garantir qu’il puisse présenter une défense pleine et entière dans l’exercice de son droit de ne pas être représenté. Je ne peux discerner d’erreur dans cette conclusion.
[23] L’appelant soutient en outre que la juge a omis à d’autres égards de prendre des mesures raisonnables pour garantir son droit à une défense pleine et entière. Toutes ces préoccupations sont avancées par l’appelant comme des omissions de la part de la juge de prendre des mesures supplémentaires dans son intérêt.
[24] La juge a rejeté la demande de l’appelant visant à avoir accès à Internet au moyen d’un ordinateur portatif. Elle a ordonné qu’il ait autant d’accès que le permettaient les règlements administratifs des autorités, mais elle a refusé tout accès au-delà des limites fixées par ces règlements. Cette conclusion est une expression irréprochable du respect des tribunaux envers l’autorité de règlements conformes à la loi encadrant l’administration d’un centre de détention. La conclusion de la juge sur ce point reconnaît les conséquences désavantageuses de sa décision pour l’appelant, en particulier dans une affaire où une grande partie des éléments de preuve sont sous forme informatisée, mais elle reconnaît également que la cour n’a pas la compétence d’ordonner des mesures qui sont incompatibles avec des règlements pris en toute légalité.
[25] L’appelant ne peut soutenir en appel que la juge a commis une erreur en n’expliquant pas la possibilité d’être représenté conformément à l’arrêt Rowbotham[26] dans des circonstances où l’appelant avait déjà congédié trois avocats de sa défense et affirmé sa décision de ne pas être représenté malgré son admissibilité à l’aide juridique.
[26] L’appelant allègue que la juge a commis une erreur en omettant d’expliquer les répercussions des aveux formels qu’il a volontairement faits et reconnus. Rien dans le dossier n’appuie l’idée que l’appelant n’était pas conscient de l’importance ou des conséquences de ses aveux.
[27] L’appelant soutient que la juge a commis une erreur en omettant de fournir une explication complète des éléments essentiels des infractions dont il était accusé. Or, il est clair que l’appelant comprenait les éléments des accusations et, par conséquent, les composantes juridiques de la preuve de la poursuite. En appel, il plaide que la juge n’en a pas fait assez pour s’assurer qu’il comprenait ces éléments suffisamment pour pouvoir bien préparer sa défense. La mesure dans laquelle un juge explique les éléments d’une infraction relève de sa discrétion, laquelle est dictée par l’appréciation qu’il fait des besoins de l’accusé pour une compréhension adéquate de la preuve complète qui pèse contre lui. En l’espèce, la juge a expliqué plusieurs définitions du Code, mais elle était manifestement convaincue, pendant le déroulement de l’affaire et avant les plaidoiries finales, qu’il n’était pas nécessaire d’aller plus loin. Elle a invité l’appelant à demander des éclaircissements s’il le souhaitait. Il n’existe aucun fondement permettant de suggérer en appel que la juge aurait dû faire plus pour s’assurer que l’appelant comprenait suffisamment les éléments de la preuve complète pesant contre lui.
[28] L’appelant soutient que la juge du procès a commis une erreur en omettant d’expliquer qu’il pouvait demander un ajournement du procès parce qu’il avait besoin de plus de temps pour se préparer ou en omettant d’ordonner elle-même un ajournement. Le 19 février 2018, l’appelant a présenté une requête en arrêt des procédures au motif que les conditions défavorables de détention ne lui permettaient pas de se préparer adéquatement au procès. La requête a été rejetée et la juge a poursuivi le procès. Elle a estimé que, la date du procès ayant été fixée en août 2017, l’appelant n’était pas lésé par le manque de temps pour se préparer, en dépit des conditions défavorables de sa détention. Elle a poursuivi le procès afin de procéder de manière efficace, mais elle a néanmoins accordé des ajournements pour permettre à l’appelant de se préparer selon ses besoins. L’exercice du pouvoir discrétionnaire par la juge à cet égard ne révèle aucune erreur.
[29] L’appelant soutient que la juge a commis une erreur en omettant de l’informer de la possibilité de présenter une requête en vue d’obtenir un verdict d’acquittement imposé sur le chef d’accusation 8 en raison de l’absence de preuve dans le dossier de la poursuite. Cette question ne mérite plus d’attention, car l’intimé reconnaît qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve pour étayer le chef d’accusation 8 et qu’un acquittement était approprié. Dans ces circonstances, la Cour devrait accepter la concession de l’intimé et il ne sera pas nécessaire d’examiner davantage l’argumentation de l’appelant telle qu’elle est formulée.
Déroulement du procès
[30] L’appelant soutient que la juge n’a pas veillé à l’équité du procès et que ce manquement a entraîné ce qu’un observateur raisonnable percevrait comme une erreur judiciaire. Il appuie cette affirmation en renvoyant à deux points précis.
[31] Le premier concerne la saisie, le 5 février 2019, par les autorités correctionnelles, de matériel pornographique nécessaire à la préparation de la défense de l’appelant. La saisie a été effectuée conformément aux règlements qui interdisent la possession de ce type de matériel en détention. Trois jours après le début du procès, le 19 février 2018, la juge a ordonné que l’appelant se voit accorder l’accès au matériel saisi. L’appelant a reconnu que ce matériel n’était pas nécessaire à sa conduite de l’affaire avant cette date et la juge a donc veillé à ce qu’il y ait accès avant d’en avoir besoin pour la présentation de sa cause. On ne peut affirmer sur ce fondement que l’accusé a été lésé dans sa défense.
[32] L’appelant affirme en outre que l’équité du procès a été compromise par un manque de rigueur exceptionnel dans la preuve de la poursuite, notamment dans un rapport préparé par les enquêteurs et dans un rapport d’expertise. La juge du procès a confirmé que la préparation de cette preuve avait été bâclée et que le rapport d’expertise, qui contenait des doublons de fichiers pornographiques, aurait bien pu causer un préjudice à l’appelant s’il n’avait pas consacré des heures d’étude pour déceler et corriger les multiples erreurs qui auraient pu induire le tribunal en l’erreur. La juge de première instance a expressément critiqué les lacunes dans la preuve de la poursuite, mais a souligné les mesures prises par les autorités correctionnelles pour faciliter la préparation de la cause de l’appelant et elle a pris des mesures au cours du procès pour faire de même. À cet égard, la Cour ne peut accepter l’argument selon lequel la juge du procès n’est pas parvenue à prévenir une erreur judiciaire.
[33] L’appelant soutient en outre que l’équité du procès a été compromise lorsque la juge a restreint son contre-interrogatoire de l’agente d’infiltration au motif qu’il cherchait à produire une preuve intéressée sous forme de déclarations qu’il lui avait faites et qui n’étaient pas autrement mises en preuve. La décision du juge de restreindre le contre-interrogatoire sur ce fondement est discutable, car dans cette question, l’appelant demandait à la témoin de l’information sur les déclarations qu’il lui avait faites, information qui n’était pas ressortie lors de l’interrogatoire en chef mené par le ministère public. La juge a mis en garde l’appelant contre le fait de poser ces questions dans le but de tenter indirectement d’introduire en preuve, par l’intermédiaire de la témoin, sa version des faits à l’appui de sa défense. La réponse à la question aurait peut-être corrigé le caractère incomplet du témoignage principal de la témoin concernant les déclarations que l’appelant lui avait faites, mais elle n’avait aucune valeur comme élément d’une défense d’intention abandonnée dont disposait l’appelant. Dans ces circonstances, la restriction imposée au contre-interrogatoire de l’appelant ne révèle aucune erreur identifiable ayant compromis l’équité du procès.
Interprétation de l’actus reus à l’article 172.2
[34] L’appelant soutient que la juge de première instance a commis une erreur en concluant, en ce qui concerne le chef d’accusation 3, qu’une entente ou un arrangement avait été conclu lorsque l’agente d’infiltration a témoigné qu’elle avait pris rendez-vous avec l’appelant. Il soutient que l’actus reus de l’infraction n’a pas été établi par entente ou arrangement en vue de commettre une infraction visée. Il plaide que la seule entente ou le seul arrangement convenu à l’occasion de leur conversation téléphonique du 26 janvier 2016 concernait la possibilité qu’ils se rencontrent en personne.
[35] La juge de première instance conclut que, même si l’infraction envisagée par l’accusé n’a jamais été perpétrée, ses communications avec l’agente d’infiltration ne laissent place à aucun doute sur son objectif illicite. Bref, la juge conclut que l’entente ou l’arrangement relatif à une possible rencontre est un acte manifeste accompli dans la poursuite de cet objectif qui s’inscrit dans la portée de l’actus reus de l’infraction prévue à l’article 172.2 du Code. Cette interprétation est irréprochable. L’objectif de l’article est de protéger les enfants contre le risque d’une infraction visée[27]. Ce risque existe dès qu’il y a entente ou arrangement avec une autre personne en vue de la réalisation de l’activité ou du dessein interdit au sens d’une infraction visée.
Peine
[36] La juge a rendu une ordonnance fondée sur l’alinéa 161(1)a.1), mais l’intimé convient que cette ordonnance était inappropriée parce qu’il n’y a pas de victime identifiable en l’espèce. La Cour interviendra pour annuler cette partie de l’ordonnance fondée sur l’article 161.
[37] Hormis l’ordonnance fondée sur l’alinéa 161(1)a.1), l’appel contre la peine ne concerne que l’interdiction fondée sur l’alinéa 161(1)d) du Code. L’appelant soutient que cette ordonnance n’est pas appuyée par des motifs suffisants qui reflètent les principes statutaires de la détermination de la peine et qu’elle est manifestement déraisonnable. Ce moyen est sans fondement.
[38] En l’espèce, l’ordonnance d’interdiction fondée sur l’alinéa d) ne permet pas l’accès à Internet à quelque fin que ce soit et en quelque circonstance que ce soit pendant une période de vingt ans, à moins de le faire en conformité avec les conditions imposées par le Tribunal. L’interdiction totale pour une période aussi longue n’est assortie d’aucune exception qui interdirait l’accès à certaines fins précises ou, au contraire, autoriserait l’accès à certaines fins précises[28]. La portée de l’interdiction en l’espèce peut être expliquée de manière générale en renvoyant aux principes de dénonciation et de dissuasion relevés par la juge, mais elle ne peut facilement être expliquée en ce qui concerne le préjudice visé à l’article 172.2.
[39] Les motifs de la juge n’énoncent pas expressément de justification pour l’ordonnance fondée sur l’alinéa 161(1) d) mais, pris ensemble, ils soutiennent amplement tous les aspects des conclusions exposées dans la sentence[29]. Ils expliquent les exigences de proportionnalité en tenant compte expressément de la gravité des infractions et du degré de responsabilité du délinquant en fonction des facteurs aggravants et atténuants pertinents. La juge indique que les objectifs de dénonciation et de dissuasion doivent être prioritaires en l’espèce. Elle note également qu’un grand nombre des infractions commises en l’espèce impliquent l’utilisation répétée d’Internet.
[40] L’absence de justification expresse dans les motifs de la juge quant à l’étendue de l’interdiction ne signifie pas forcément que les motifs sont insuffisants ou que l’ordonnance est inadéquate. L’ordonnance est manifestement sévère puisqu’il s’agit d’une interdiction totale d’accès pour l’appelant durant une longue période. Bien que l’absence de justification expresse de cette ordonnance ne justifie pas en soi une intervention en appel, cette ordonnance pourra être réexaminée à une date ultérieure si l’appelant démontre, preuve à l’appui, que les conditions de cette ordonnance devraient être modifiées, ce que prévoit expressément l’alinéa 161(1)d) et l’article 161(3)[30]. Les nouveaux éléments de preuve admis dans le cadre du présent pourvoi ne montrent pas en quoi il serait approprié de modifier l’ordonnance à ce stade.
[41] Suivant l’arrêt Faivre[31], une interdiction absolue sous l’article 161(1)d) sera dorénavant exceptionnelle. Toutefois, l’appelant n’ayant pas administré de preuve ni fait de représentations en première instance pour que l’ordonnance dans le présent dossier soit limitée, la Cour ne peut en établir des limites à partir du dossier tel que constitué en appel. Pour cette raison, l’appelant pourra s’adresser à la Cour du Québec en temps opportun afin de présenter une demande de modification d’ordonnance. Le juge saisi de cette demande devra alors motiver sa décision quant aux conditions et à la durée de cette nouvelle ordonnance.
Conclusion
[42] Je propose d’accueillir la requête en prolongation du délai d’appel amendée et requête en autorisation d’appel amendée (pornographie juvénile – accès, production et possession (dossier : 500-10-006794-182).
[43] Je propose d’accueillir la requête pour permission de présenter une nouvelle preuve (dossier : 500-10-007347-204).
[44] Aussi, je propose d’accueillir en partie l’appel contre les déclarations de culpabilité, dans le seul but d’annuler la déclaration de culpabilité sur le chef d’accusation 8 et de prononcer un acquittement sur ce chef d’accusation.
[45] Puis, je propose également d’accueillir en partie l’appel contre la sentence, dans le seul but d’annuler la partie de l’ordonnance fondée sur l’alinéa 161(1)a.1) C.cr.
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PATRICK HEALY, J.C.A. |
[1] R. c. Ménard, Cour du Québec, district de Terrebonne, Dossier no 700-01-145753-169, l’honorable Sophie Lavergne, 23 mars 2018.
[2] Dossier no 500-10-006794-182.
[3] R. c. Ménard, Cour du Québec, district de Terrebonne, Dossier no 700-01-145753-169, l’honorable Sophie Lavergne, 4 octobre 2018.
[4] Dossier no 500-10-007347-204.
[5] C.cr., L.R.C. 1985, ch. C-46, paragr. 163.1(2).
[6] C.cr., paragr. 163.1(3).
[7] C.cr., al. 172.2(1)b).
[8] C.cr., al. 464 a).
[9] C.cr., al. 163.1(4)a).
[10] C.cr., al. 163.1(4)a).
[11] C.cr., al. 163.1(4)a).
[12] C.cr., al. 163.1(4.1)a).
[13] C.cr., al. 163.1(4.1)a).
[14] C.cr., al. 163.1(4.1)a).
[15] C.cr., al. 163.1(2)a).
[16] C.cr., al. 163.1(2)a).
[17] C.cr., paragr. 163.1(2).
[18] Voir par exemple R. c. McGibbon (1988), 45 C.C.C. (3d) 334, 347 (C.A. Ont.); R. c. Ryan, 2012 NLCA 9, paragr. 128-132; R. c. Guénette, EYB 2002-28362, paragr. 20-22, 2002 CanLII 7883 (C.A.); R. c. Breton, 2018 ONCA 753, paragr. 51. Voir aussi Conseil canadien de la magistrature, Énoncé de principes concernant les plaideurs et les accusés non représentés par un avocat (2006), 7, cité avec approbation dans Pintea c. Johns, 2017 CSC 383, paragr. 4.
[19] R. c. Richards, 2017 ONCA 424, paragr. 110-112.
[20] Jarrah c. R., 2017 QCCA 1869, paragr. 42.
[21] R. c. Find, 2001 CSC 28, paragr. 28.
[22] R. c. Underwood, [1998] 1 RCS 77, paragr. 6.
[23] Jarrah c. R, 2017 QCCA 1869.
[24] R. c. R.D.C., 2021 ONCA 134, paragr. 46.
[25] Kahsai c. R., 2023 CSC 20, paragr. 2, 35 et seqq.; Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario, 2013 CSC 43; R. c. Imona-Russell, 2019 ONCA 252.
[26] R. c. Rowbotham (1988), 41 C.C.C. (3d) 1 (C.A. Ont.).
[27] R. c. Vander Leeuw, 2021 ABCA 61, paragr. 31-38 autorisation d’appel à la Cour suprême refusée, 2 décembre 2021, no 39745 (2021 CanLII 122894).
[28] R. c. Brar, 2016 ONCA 724; Perron c. R., 2015 QCCA 601.
[29] R. c. Parranto, 2021 CSC 46, paragr. 40; Bégin c. R., 2020 QCCA 1712.
[30] Voir les principes énoncés dans R. c. K.R.J., 2016 CSC 31; Goulet c. R., 2022 QCCA 924; Rodrigue c. R., 2021 QCCA 456; R. c. Chicoine, 2019 SKCA 104, paragr. 134-137; J.L. c. R., 2011 QCCA 1847.
[31] Faivre c. R., 2023 QCCA 1150.
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