Construction Sylvania inc. c. El Alouchi |
2021 QCTAL 11170 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
277263 31 20160513 V |
No demande : |
2363808 |
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Date : |
30 avril 2021 |
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Devant les juges administratifs : |
Francine Jodoin Marc Lavigne |
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Construction Sylvania Inc. |
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Locateur - Partie demanderesse |
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c. |
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Ahmed El Alouchi |
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Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le locateur a produit une demande de révision d’une décision rendue le 2 octobre 2017.
[2] Cette demande concerne trois locataires[1] de l’immeuble qui sont visés par le calcul effectué.
[3] La décision contestée procède à la fixation du loyer pour la période du 1er juillet 2016 au 30 juin 2017.
[4] La période de référence pour l’analyse des dépenses est donc l’année 2015.
[5] Le locateur reproche au greffier spécial d’avoir refusé, pour les fins du calcul, une dépense de 20 915 $ pour l’entretien de l’immeuble et deux autres dépenses de 232 158,13 $ et 138 295 $ pour des travaux majeurs.
[6] En date du 25 mars 2018, le Tribunal administratif du logement, siégeant en révision, accepte de réviser partiellement la décision du greffier spécial en ce qui concerne la dépense de 232 158,13 $ et celle de 20 915 $ uniquement.
[7] En effet, le Tribunal en révision a déterminé qu’il n’y avait pas lieu d’écarter ces deux factures pour les motifs énoncés par le greffier spécial et convoque les parties pour qu’il soit présenté une preuve complète à l’égard de la facture d’entretien (20 915 $) et de celle de 232 158,13 $ pour les travaux majeurs.
[8] Cette décision a fait l’objet d’une demande de rectification et de rétractation dont le locateur s’est désistée à l’audience.
LES FAITS
[9] Monsieur Noé Kerassinis est le principal dirigeant de l’entreprise Sylvania Construction inc.
[10] Il relate que les travaux ont été réalisés aux immeubles situés au [...].
[11] Il explique qu’en 2009, les immeubles nécessitent des travaux majeurs. La Ville de Montréal offre une subvention pour l’exécution de certains travaux nécessaires. La compagnie 4121040 Canada inc. qui appartient à son fils est détenteur de l’entente avec la ville puisqu’elle possède un no. de TPS et TVQ. Toutefois, les travaux sont confiés à la compagnie Sylvania Construction inc. qui détient une licence de la Régie du bâtiment.
[12] Les travaux, dit-il, concernent entres autres la réfection des salles de bain et cuisines des logements. Les travaux sont effectués en deux phases qui s’étalent sur six ans (2009 à 2015).
[13] L’entente de paiement entre la compagnie 412040 Canada inc. et Sylvania Construction inc. précise que cette dernière effectue l’opération et la gestion des immeubles et serait payée à même les profits réalisés sur ceux-ci.
[14] Un document daté du 30 décembre 2015, émanant de la compagnie 4121040 Canada inc., énonce :
« 4121040 Canada Inc. has received all progressive payments and final payment for completion of work by 30 December 2015 in reference to Invoice #105. »
[15] La facture 105 est datée du 1er décembre 2015 et fait état des factures (232 158,13 $ et 138 295 $) pour les travaux effectués, sans mentionner la date de l’exécution de ceux-ci.
[16] Par ailleurs, le locateur confirme qu’il s’agit d’un coût total pour les travaux réalisés au cours des six ans qui précèdent la période de fixation du loyer visée par son recours.
[17] Monsieur Kerassinis semble croire que les locataires ne sont pas pénalisés par cette démarche puisqu’ils ont profité de l’amélioration de leur logement pendant plusieurs années et qu’ils doivent maintenant recevoir une augmentation conséquente.
[18] Le locateur n’est pas en mesure de fournir, à l’audience, une ventilation des sommes payées pour l’année 2015 ni des travaux dans chacun des logements pour l’année de référence puisque dit-il, il y a eu du va-et-vient au cours des années dans tous les logements des immeubles.
[19] Il appert donc que pendant six ans, Sylvania construction inc. a perçu les profits des immeubles et en 2016, une fois tous les travaux complétés et payés, il revendique la dépense réalisée au cours de toutes ces années.
[20] Or, selon la preuve présentée c’est plutôt l’entreprise 412040 Canada Inc. qui a fait cette dépense. Celle-ci a, d’ailleurs, permis d’obtenir la subvention municipale.
[21] Monsieur Kerassinis précise que les documents produits ont servi à établir la valeur des travaux réalisés pour satisfaire les demandes du greffier spécial[2] en première instance.
[22] Il a produit deux attestations de fin des travaux signés par la Ville en 2009 et en 2015 pour des sommes respectives de 232 158,13 $ et 138 295 $.
[23] Le 19 février 2015, la ville confirme qu’une subvention de 68 108 $ a été payée le 10 mars 2009, laquelle constitue une somme révisée à la suite de l’inspection finale.
[24] Il est établi que ce n’est pas la compagnie 412040 Canada Inc. qui a fait les travaux, mais plutôt Sylvania Construction inc. Pourtant, le contrat intervenu entre 4121040 Canada inc. et Noé Kerassinis, personnellement, indique le contraire (pièce P-4).
[25] Quant à la dépense d’entretien, le locateur réclame 20 915 $ pour l’année 2015.
[26] À l’audience, il produit une facture de 26 646 $ datée du 30 décembre 2014.
[27] Lorsqu’avisé que cette facture ne concerne pas la période concernée par la fixation du loyer, le locateur n’a aucun autre document à produire.
[28] Le greffier spécial réfère à une facture manuscrite présentée à l’audience. Il n’y a, au dossier, aucune trace de celle-ci.
[29] Par ailleurs, monsieur Kerassinis confirme que le 20 915 $ consiste en une accumulation des dépenses d’entretien au cours des six années qu’a duré le projet. Il ajoute que l’embauche d’un concierge dans cet immeuble aurait justifié un salaire d’au moins 10 000 $.
ANALYSE
[30] La question n’est pas, ici, de s’attarder à la valeur de la dépense effectuée, mais plutôt de décider si celle-ci est admissible eut égard aux principes applicables.
[31] Suivant le Règlement sur les critères de fixations de loyer[3] (le Règlement), l'ajustement du loyer est déterminé selon la méthode générale de fixation du loyer qui prévoit un ajustement, lequel est calculé à partir du loyer payé au terme du bail en tenant compte de la part attribuable du logement et en fonction de certaines dépenses précises encourues par le locateur durant l'année de référence, notamment des dépenses pour les réparations majeures.
[32] Pour les fins du présent calcul, le Règlement permet de considérer uniquement les dépenses d'immobilisation encourues dans l'année civile précédant le terme du bail (articles 1 et 3).
[33] Le Tribunal ne peut donc prendre en compte que les dépenses encourues au cours de l'année 2015 puisqu'il s'agit de fixer le loyer à compter du 1er juillet 2016.
[34] Le calcul de l'augmentation s'effectue suivant les critères prévus au Règlement en fonction des dépenses admises par le greffier- spécial après avoir apprécié et vérifié la nature de la dépense et sa valeur.
[35] Le locateur voudrait regrouper comme dépenses d’immobilisation l’ensemble des travaux de réfection de la cuisine et salle de bain des logements à travers un projet de mise à niveau qui s’est déroulé sur plusieurs années et les faire supporter par l’ensemble de ces locataires pour la période de fixation 2016.
[36] À cet égard,
l'article
[Notre soulignement]
[37] Dans la décision Petetin c. Vera[4], il était question de travaux qui s’étaient amorcés au cours d’une année civile pour se terminer l’année civile suivante. Le locataire conteste la décision de la greffière spéciale de permettre la dépense totale une fois les travaux terminés. Le Tribunal siégeant en révision effectue l’analyse suivante quant à l’interprétation qu’il convient de donner à l’article 13 :
« [18] Les
dépenses d’immobilisations sont définies à l’article
[19] Lorsque les travaux et les paiements s’étalent sur plusieurs années civiles, la jurisprudence a établi différents principes qui permettent de traiter de telles situations.
[20] Dans la décision rapportée par le locataire, les travaux ont débuté en 2006 pour se terminer en 2007. Les locataires plaident que les travaux réalisés en 2006 ne doivent pas être pris en considération, car en dehors de la période de référence. La greffière spéciale énonce le principe général à l’effet que l’on doive tenir compte de la date où les travaux sont complétés et non la date de paiement. Elle ajoute :
« Dans certains cas, la dépense ne sera pas considérée si les travaux ne sont pas complétés en substance et que, par conséquent, les locataires n’en retirent aucun bénéfice. Il serait alors inéquitable de considérer le coût de ces travaux dans le calcul de l’augmentation de loyer. La dépense est alors reportée et considérée lorsque les travaux sont complétés. C’est le cas par exemple lorsque le locateur achète des fenêtres au cours d’une année, mais qu’elles ne sont installées que l’année suivante. La dépense, soit l’achat ainsi que le montant relié à l’installation, sera considérée lors de la fixation de loyer suivant l’année de l’installation. » [Notre soulignement]
[21] Elle a, toutefois, soustrait une partie de la dépense parce qu’elle pouvait isoler une partie de la dépense associée à des travaux distincts et que la preuve ne permettait pas de soutenir qu’elle avait déjà été traitée dans une augmentation précédente.
[22] Il sera plus facile de séparer les paiements si les travaux sont clairement distincts les uns des autres. Elle précise :
« Ce n’est
que dans de très rares cas que le tribunal considérera la date de paiement de
la dépense lors d’une année subséquente. Dans le cas présent, le tribunal
estime qu’il n’y a pas lieu de s’écarter de la jurisprudence majoritaire. En
effet, la première phase touchait la structure de béton alors que la deuxième
était reliée à la structure d’acier. Bien qu’il s’agissait d’un seul projet,
les deux phases étaient indépendantes l’une de l’autre. De plus, il
appartenait à la locatrice de considérer la dépense pour le renouvellement
précédent. À cet effet, le tribunal estime que la locatrice n’a pas établi, de
façon prépondérante, que ces travaux n’ont pas été pris en considération. Des
augmentations mensuelles de 25,00 $ ont été demandées et aucune
justification n’a été apportée par les mandataires de la locatrice. Or,
l’article
[23] De tout ceci, il faut retenir qu’il n’existe pas de principes fermes et immuables. La greffière spéciale est la mieux placée pour apprécier les faits et déterminer si elle retient ou non, en tout ou en partie une dépense.
[24] Au niveau des dépenses d'immobilisation, le règlement fait référence à des dépenses encourues et non des dépenses exigibles.
[25] Dans l'affaire F.P.I. Boardwalk c. Lemelin [3], le Tribunal siégeant en révision était saisi d'une demande de révision d'une fixation du loyer et énonce ce qui suit :
« [10] Au niveau des dépenses d'immobilisation, le règlement fait référence à des dépenses encourues et non des dépenses exigibles. C'est à ce moment qu'il y a divergence puisque selon le principe de la comptabilité de caisse, une dépense n'est encourue que lorsqu'elle a été payée et non simplement facturée.
[11] La preuve démontrant que le locateur a toujours procédé suivant le principe de la comptabilité de caisse concernant ses dépenses, le Tribunal considère que les locataires n'en subiront pas un préjudice puisque ce qui importe est de s'assurer qu'une dépense ne peut être comptabilisée qu'une seule fois au niveau de la fixation du coût du loyer. Dans le présent cas, c'est le locateur qui se trouve d’une certaine façon pénalisée puisqu'il devra attendre à la prochaine année pour bénéficier d'un retour sur son investissement au niveau du coût du loyer. » [Références omises] [Notre soulignement]
[38] Il ressort de cela qu’en certaines occasions, le Tribunal permettra l’ajustement sur une dépense alors que les travaux ne sont pas complétés et parfois, il permettra la dépense au moment où la facture est payée.
[39] Ceci dit, dans aucun cas, le Règlement ne permet au locateur d’accumuler ses dépenses sur des projets distincts et de les réclamer plusieurs années après que les travaux aient été réalisés dans chacun des logements.
[40] Cela est contraire à l’esprit et à la lettre du Règlement qui établit annuellement des pourcentages applicables pour la période de référence (article 3 et 3.1 Règlement).
[41] Si l’on permettait au locateur d’accumuler ses dépenses sur plusieurs années et de réclamer lorsque le pourcentage lui est le plus favorable, cela fausserait les éléments du calcul.
[42] Sachant, également, que dans l’intervalle des années qui passent, plusieurs locataires différents peuvent avoir occupé le logement provoquant une variation naturelle du loyer payable.
[43] En l’occurrence, un des locataires mentionne au Tribunal qu’il est arrivé à l’immeuble en juin 2016 et que le loyer qu’il paie a, sans doute, été ajusté pour tenir compte des travaux réalisés par le locateur au cours des six années précédentes. Il n’a personnellement, dit-il, obtenu aucun travaux dans son logement.
[44] Il serait donc injuste qu’il assume en double ses dépenses qui ont déjà, à son avis, été intégrées dans le loyer qu’il paie. Le nouveau locataire n’a pas à assumer un ajustement fondé sur des réparations ou améliorations apportées à l’immeuble cinq ans auparavant.
[45] Ajoutons à cela que le
Règlement précise que le locataire n’a pas à assumer un ajustement sur les
dépenses d’immobilisation qui concernent certains logements en particulier.
Cette proportion est établie pour les logements bénéficiaires seulement
(article
[46] La réfection de la salle de bain d’un logement ne concerne que le locataire de ce logement. Si l’on regroupe la dépense effectuée pour la rénovation d’une salle de bain sur plusieurs années et pour plusieurs logements, cela gonfle artificiellement les dépenses du locateur pour l’année de référence alors qu’il n’a pas véritablement supporté cette dépense au moment prescrit par le Règlement.
[47] En l’occurrence, la preuve soumise est nettement insuffisante pour convaincre le Tribunal que, bien que les travaux se soient réalisés par étape, ceux-ci se sont étalés sur six ans pour chacun des logements.
[48] Il est plus probable que les travaux se sont faits dans chacun des logements au fur et à mesure et ce sont les paiements du projet dans son ensemble qui se sont échelonnés sur plusieurs années alors que la dépense est encourue dès 2009 et pour chacune des années ensuite.
[49] Le délai entre l’exécution des travaux et le paiement reçu découle, d’ailleurs, du mode de paiement convenu entre le locateur et l’entreprise appartenant à son fils.
[50] En l’occurrence, le greffier spécial n’a pas été convaincu par la preuve offerte que la dépense avait été encourue au cours de l’année de référence prescrite au motif qu’il n’accorde pas de valeur probante aux documents présentés par le locateur pour en faire la preuve.
[51] Bien que le Tribunal siégeant en révision a eu l’opportunité d’obtenir des explications supplémentaires sur les documents produits, il ne peut davantage retenir les dépenses du locateur qui n’ont pas été supportées dans l’année de référence précédant la demande d’ajustement du loyer.
[52] Le locateur a fait le choix de ne pas les considérer pour les fins de la reconduction des baux au cours de six années alors qu’il aurait pu, pour chacun des logements concernés par les travaux, exiger un ajustement une fois la dépense encourue.
[53] Même si les motifs diffèrent, le Tribunal siégeant en révision ne peut, à la lumière des principes applicables, retenir les deux dépenses qui ont été écartées par le greffier spécial.
[54] Quant à la troisième facture de 138 295 $, son sort a déjà été réglé par la décision interlocutoire rendue le 25 mars 2018.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL SIÉGEANT EN RÉVISION :
[55] REJETTE la demande du locateur.
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Francine Jodoin
Marc Lavigne |
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Présence(s) : |
le locateur le mandataire du locateur le locataire |
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Date de l’audience : |
24 mars 2021 |
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[1] Un désistement a été produit à l’audience à l’égard de la 4e locataire visée originalement par la demande de révision (dossier 279649).
[2] À la suite de l’autorisation de produire émise pour les factures et contrats pour les dépenses de 232 158,13 $ et 138 295 $.
[3] RLRQ, c. T-15-01, r. 2.
[4] Petetin
c. Vera,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.