Denis c. R. | 2024 QCCA 647 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | 500-10-007687-211, 500-10-007898-222 | ||||
(540-01-084690-182) | |||||
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DATE : | 24 mai 2024 | ||||
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500-10-007687-211 | |||||
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MARIO DENIS | |||||
APPELANT – accusé | |||||
c. | |||||
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SA MAJESTÉ LE ROI | |||||
INTIMÉ – poursuivant | |||||
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500-10-007898-222 | |||||
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MARIO DENIS | |||||
APPELANT – accusé | |||||
c. | |||||
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SA MAJESTÉ LE ROI | |||||
INTIMÉ – poursuivant | |||||
et | |||||
PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC | |||||
MIS EN CAUSE | |||||
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[1] L’appelant se pourvoit contre trois jugements, l’un rendu le 7 avril 2021, l’autre le 4 octobre 2021 et le troisième le 20 septembre 2022, par l’honorable Lise Gaboury de la Cour du Québec, district de Laval, lesquels, respectivement, déclare l’appelant coupable de l’infraction prévue au paragraphe 286.1(2) C.cr., rejette sa requête en arrêt des procédures pour cause de provocation policière et lui inflige une peine d’emprisonnement de six (6) mois. Dans ce dernier cas, il demande aussi de déclarer inconstitutionnelle et inopérante la peine minimale obligatoire prévue à l’alinéa 286.1(2)a) C.cr.
[2] Pour les motifs du juge Doyon, auxquels souscrivent les juges Baudouin et Kalichman, LA COUR :
[3] ACCUEILLE la requête en autorisation d’appel d’une déclaration de culpabilité comportant des questions de fait;
[4] REJETTE l’appel du jugement sur la culpabilité;
[5] REJETTE l’appel du jugement rejetant la requête en arrêt des procédures;
[6] ACCUEILLE la requête pour autorisation d’interjeter appel du jugement sur la peine;
[7] ACCUEILLE en partie l’appel du jugement sur la peine;
[8] DÉCLARE, conformément au paragraphe 52(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, que la peine minimale obligatoire de l’alinéa 286.1(2)a) C.cr. est inconstitutionnelle et inopérante;
[9] CONFIRME la peine d’emprisonnent de six (6) mois infligée à l’appelant.
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Me Marie-Pier Boulet | ||
BMD AVOCATS | ||
Pour l’appelant | ||
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Me Simon Blais Me Éric Bernier | ||
DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES | ||
Pour l’intimé | ||
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Me Maxime Seyer-Cloutier | ||
BERNARD, ROY (JUSTICE-QUÉBEC) | ||
Pour le mis en cause | ||
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Date d’audience : | 31 janvier 2024 | |
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MOTIFS DU JUGE DOYON |
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[10] Cet appel a été entendu conjointement avec le dossier Brodeur c. R., arrêt prononcé ce jour, 2024 QCCA 646. Ces deux affaires ne portent que sur la culpabilité à une infraction prévue au paragr. 286.1(2) C.cr. (communication en vue de l’obtention de services sexuels contre rétribution d’une personne âgée de moins de 18 ans). Dans les deux cas, les appelants invoquent la provocation policière. M. Denis y ajoute toutefois des arguments sur sa connaissance et sur la peine qui lui a été infligée.
[11] La trame factuelle est similaire puisque, dans les deux cas, les infractions tirent leur origine d’une opération spéciale de la police visant à accuser des personnes qui solliciteraient les services sexuels de jeunes filles âgées de 16 ans. Cette opération portait le nom de Projet Défensif 3, le 3 signifiant qu’il était le troisième du même type.
[12] Plus précisément, l’appelant Denis se pourvoit contre trois jugements. Le premier, du 7 avril 2021, le déclare coupable de l’infraction prévue au paragr. 286.1(2) C.cr.; le deuxième, rendu le 4 octobre 2021, rejette sa demande d’arrêt des procédures pour cause de provocation policière, alors que le troisième, du 20 septembre 2022, lui inflige la peine minimale de 6 mois d’emprisonnement.
[13] La trame factuelle des deux affaires est similaire et celle du présent dossier peut être résumée simplement. Voyons ce qu’il en est.
[14] La police publie deux annonces fictives sur des sites Internet offrant des services d’escortes. Ces sites sont choisis sur la base d’informations policières selon lesquelles plusieurs jeunes filles ayant fugué de centres jeunesse ont, dans un passé récent, offert leurs services sexuels sur ces sites.
[15] Le texte des annonces souligne la jeunesse des personnes en cause en utilisant des termes comme « jeune », « débutante », « petite », sans toutefois mentionner spécifiquement leur âge, et en utilisant des photographies de femmes d’apparence jeune. Les policiers expliquent que des annonces plus explicites en ce qui a trait à l’âge des jeunes filles seraient nécessairement bloquées par les administrateurs de ces sites.
[16] Le 5 juin 2018, l’appelant communique avec « Chloé », une policière agente d’infiltration qui est identifiée comme étant le point de contact. Il utilise une messagerie texte et l’agente d’infiltration lui demande de lui téléphoner. Il témoignera avoir alors reçu une série d’informations sur le prix, les « extras », l’endroit où se rendre, mais affirmera ne pas avoir entendu que la jeune fille était âgée de 16 ans en évoquant la possibilité de bruits ambiants en raison de la circulation automobile.
[17] Rendu à l’endroit identifié par l’agente d’infiltration, il la rappelle et elle lui indique qu’« Alexa » est disponible et qu’il doit se rendre à un certain motel. Il témoignera ne pas avoir reçu d’information concernant l’âge de la jeune fille à ce moment, mais avoir seulement appris qu’il ne pouvait avoir de « sexe rough ». Il se rend à la chambre où se trouve l’agente. Celle-ci lui demande s’il a des condoms, lui dit d’exhiber l’argent et lui rappelle de ne pas « brasser Alexa ». L’appelant témoignera de nouveau qu’il n’a pas davantage été question de l’âge de la jeune fille lors de cette discussion.
[18] Notons que, de son côté, l’agente affirme avoir mentionné l’âge de la jeune fille à au moins quatre reprises : deux fois lors du premier appel téléphonique, une autre fois lors du second et, à une autre occasion, en personne. Elle admet cependant que l’appelant n’a pas réagi lorsqu’elle lui a mentionné l’âge.
[19] L’appelant a ensuite été invité à se rendre dans la chambre où était censée se trouver « Alexa ». Il y a immédiatement été arrêté par les policiers.
[20] Je rappelle que la seule question véritablement en litige était la connaissance que la jeune fille était âgée de moins de 18 ans, un élément essentiel de l’infraction. L’appelant arguait que l’on ne lui avait pas mentionné ce fait ou, si cela avait été fait, qu’il n’en avait pas eu connaissance.
[21] La juge de première instance, une juge de la Cour du Québec, résume le témoignage de l’agente d’infiltration et précise que celle-ci témoigne avoir insisté sur l’âge de la jeune fille en articulant clairement pour être bien comprise. La juge ajoute que l’agente « valide que l’accusé entend bien et comprend bien », alors que, toujours selon l’agente, celui-ci « ne laisse percevoir à aucun moment qu’il n’entend pas ou ne comprend pas ».
[22] Sur ce point, analysant la version de l’appelant, la juge souligne qu’« [i]l est étrange de constater que les versions de la poursuite et de la défense concordent en tous points, sauf en ce qui a trait à la mention de l'âge des escortes ». En effet, l’appelant « a bien compris où se trouve le point d'attente, comment se rendre au motel, où se stationner, par quelle porte entrer, à quelle chambre se présenter, le tarif, le fait qu'il ne doit pas y avoir de sexe rough. La seule chose qu'il n'a pas entendue, c'est la mention de l'âge ».
[23] Elle tire les conclusions suivantes : il est « invraisemblable que l’agente d’infiltration, dont c’est la mission première dans le cadre de cette opération Défensif, n’ait pas mentionné l’âge de seize (16) ans dans ses échanges avec l’accusé ». Il est tout aussi invraisemblable que l’appelant n’ait pas entendu l’âge dans la voiture qu’il conduisait en raison, dit-il, du bruit émanant de la circulation ambiante, alors qu’il a entendu tout le reste de la conversation. Elle ne croit pas davantage qu’il « n’ait pas entendu la mention de l’âge dans la chambre alors qu’il reconnaît qu’il a bien été question de ne pas avoir de sexe rough et de ne pas brasser la fille ».
[24] Dans ces circonstances, la juge estime que le témoignage de l’appelant doit être rejeté totalement sur ce point. Cela étant, elle le déclare coupable.
[25] La juge rejette cette demande. Je résume ainsi les éléments importants de l’opération policière qu’elle décrit :
25.1. Selon l’enquêteur principal, les sites Internet choisis sont les quatre sites les plus populaires sur les moteurs de recherche. Le 5 juin 2018, date à laquelle l'appelant a été arrêté, 43 personnes ont communiqué avec l’agente d’infiltration par message texte et 37 par voie téléphonique; 4 personnes ont été arrêtées, alors que 12 ont refusé de poursuivre leur démarche en raison de l’âge des jeunes filles. Il était entendu que les policiers ne procéderaient pas à l’arrestation de personnes qui ne se rendraient pas dans la chambre où devait se trouver la jeune fille, même si l’infraction était déjà commise.
25.2. Les policiers avaient réservé deux chambres l’une en face de l’autre. Dans la première se trouvait l’agente d'infiltration dont la fonction était de s’assurer que la personne qui se présentait était bien celle qui avait communiqué avec elle, de mentionner que la jeune fille se trouvait dans une autre chambre, de rappeler son âge et de s’assurer que le client avait l’argent requis.
[26] La juge rappelle que « [c]’est à la poursuite de démontrer devant le tribunal le fondement des croyances qui ont amené les policiers à monter une telle opération et les services de police ne peuvent recourir à ce genre d’opérations que dans un cadre défini par la jurisprudence. »
[27] En citant des extraits de l’arrêt R. c. Ahmad, 2020 CSC 11; [2020] 1 R.C.S. 577, elle explique que la police « doit avoir des soupçons raisonnables dans tous les cas où elle donne une occasion de commettre un crime ». Elle souligne ensuite que « la problématique de la prostitution de jeunes fugueuses était bien présente à Laval. L’opération Défensif a été mise sur pied pour contrer cette situation bien précise ».
[28] Elle rappelle ce qui suit :
[27] Certes, le service de police faisait l'annonce mais c'est le client qui communiquait avec eux. C'est le client qui rappelait une fois rendu au point spécifié par [l’agente d’infiltration]; c'est le client qui se déplaçait pour se rendre au lieu indiqué par [l’agente d’infiltration] et ceci après avoir été avisé que la jeune fille a 16 ans.
[28] Dans le cadre de l'opération, seuls les clients qui se rendaient jusqu'à la deuxième chambre étaient arrêtés bien qu'à ce moment, [l’agente d’infiltration] ait mentionné à plusieurs reprises que la jeune fille avait 16 ans.
[29] La juge décide ensuite d’incorporer dans ses propres motifs ceux prononcés par le juge Pennou dans le dossier Brodeur avant, comme lui, de rejeter la demande :
[30] Je fais miennes les remarques du juge Pennou qui mentionne au paragraphe 15 dans R. c. Brodeur, 2021 QCCS 2401 :
« Le Tribunal est d'avis que la preuve soumise démontre que:
• Les policiers n'ont pas fait plus qu'offrir à Brodeur l'opportunité de commettre l'acte criminel prévu au par. 286.1(2) C.cr.;
• Les policiers possédaient des soupçons raisonnables que ceux qui répondaient à leurs annonces et communiquaient avec l'agent d'infiltration étaient engagés dans une activité criminelle (communiquer en vue d'obtenir des services sexuels, une contravention au par. 286.1(1) C.cr.) entretenant un lien rationnel et une certaine proportionnalité avec le crime qu'on leur offrait l'opportunité de commettre;
• L'opération policière avait pour objectif réel d'enquêter et de réprimer des activités criminelles, et elle ciblait tant des lieux que des personnes à l'égard desquels ils pouvaient entretenir des soupçons raisonnables liés à une activité criminelle précise.
[26] Les procédés d'enquête utilisés et l'offre présentée ne constituent pas non plus un incitatif tel à commettre l'infraction dont Brodeur a été trouvé coupable, qu'un individu moyen pourrait difficilement y résister. Les textes et les photos utilisés dans les annonces ne sortent apparemment pas de l'ordinaire. Le prix auquel les services sexuels sont offerts n'a apparemment rien d'extravagant. Le tableau des résultats de l'opération Défensif démontre d'ailleurs que la plus grande partie des individus qui ont répondu à l'annonce n'ont pas accepté la proposition qui leur était faite. »
[30] En ce qui a trait à la peine, l’alinéa 286.1(2)a) C.cr. prévoit une peine minimale d’emprisonnement de 6 mois, peine que la juge refuse de rendre inopérante à l’endroit de l’appelant. L’appelant plaidait que cette peine minimale est contraire à l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, demandait à la juge de la déclarer inconstitutionnelle conformément à l’article 52 de la Charte et plaidait que la solution appropriée était de surseoir au prononcé de la peine.
[31] La juge tient compte de la gravité objective élevée de cette infraction et rappelle que, selon la Cour suprême dans R. c. Friesen, 2020 CSC 9, [2020] 1 R.C.S. 424, « il faut envoyer un message clair aux personnes qui sont susceptibles d’être clients de prostitués juvéniles », tout en insistant sur le caractère répréhensible et la grande nocivité des infractions d'ordre sexuel contre les enfants, terme qui englobe toutes les personnes de moins de 18 ans : Fruitier c. R., 2022 QCCA 1225, paragr. 37.
[32] Tout en retenant l’absence de condamnations antérieures au chapitre des facteurs atténuants, elle énumère les facteurs aggravants, dont le fait que le crime vise une personne de moins de 18 ans, qu’il s’agit d’un geste réfléchi et que l’appelant a demandé une relation sexuelle complète. En abordant le principe d’harmonisation des peines, elle souligne que tous les accusés dans le cadre du Projet Défensif ont reçu une peine de 6 mois d’emprisonnement, rejetant pour cette raison la suggestion de la poursuite qui demandait une peine de neuf mois d’emprisonnement.
[33] Elle souligne que le projet Défensif a été conçu pour répondre à « un fléau qui, en deux mille dix-sept (2017), deux mille dix-huit (2018), était connu et dénoncé fortement » dans la région.
[34] Elle se penche ensuite sur un arrêt de la Cour (Procureur général du Québec c. C.M., 2021 QCCA 543) qui présente une situation similaire à celle du présent dossier et dans lequel un accusé, arrêté dans le cadre du Projet Défensif, avait lui aussi présenté une requête en inconstitutionnalité :
Notre Cour d'appel s'est prononcée dans un dossier relevant de ce même projet Défensif dans l'arrêt P.G. du Québec et La Reine c. C.M. 2021 QCCA 543, jugement daté du premier (1er) avril vingt vingt et un (2021), alors que la Cour cassait la décision rendue par ma collègue Dominique Larochelle qui avait imposé une peine d'emprisonnement de quatre-vingt-dix (90) jours à être purgés de façon discontinue. La défense nous plaide que l'inconstitutionnalité de la peine minimale n'a pas été plaidée dans ce dossier, ce qui le distinguerait du nôtre. On y lit pourtant au paragraphe 20 de la décision de la Cour d'appel que l'accusé a plaidé l'inconstitutionnalité de l'alinéa 286.1(2)a) au motif que la peine minimale de six mois d'emprisonnement qu'il prévoit est contraire à l'article 12 de la Charte.
[35] Je précise que, dans C.M., la Cour a conclu que la peine minimale ne devait pas être déclarée inopérante à l’endroit de l’accusé puisqu’elle n’était pas exagérément disproportionnée par rapport à la peine juste et appropriée, alors qu’elle refusait de se pencher sur les situations hypothétiques évoquées par l’accusé.
[36] Dans le présent dossier, la juge de première instance souligne que l’appelant est marié depuis 22 ans, que son épouse le soutient, qu’il occupe le même emploi depuis 18 ans, emploi qu’il pourrait perdre en cas de condamnation à une peine d’emprisonnement, qu’il est le seul à pouvoir prendre soin de son frère qui souffre de la maladie d’Alzheimer, qu’il a des problèmes de santé, mais aucun en matière de sexualité pouvant nécessiter une thérapie, et que ses valeurs ont changé depuis l’arrestation.
[37] Elle impose néanmoins une peine d’emprisonnement de 6 mois après avoir réitéré le fait que, dans C.M., la Cour avait infirmé le jugement de première instance, qui avait opté pour une peine de 90 jours, pour plutôt imposer une peine de 6 mois d’emprisonnement. Dans cet arrêt, en examinant la question du caractère exagérément disproportionné de la peine minimale, le juge Ruel indique qu’une telle peine de 6 mois d’emprisonnement aurait « raisonnablement pu être imposée à l’intimé », de sorte qu’elle ne pouvait être qualifiée de cruelle et inusitée dans son cas.
[38] Comme je l’écrivais précédemment, la seule véritable question était de savoir si l’appelant savait que la jeune fille avec laquelle il aurait des rapports sexuels serait âgée de moins de 18 ans. Évidemment, à cette question se greffe celle de l’examen de la crédibilité des témoins.
[39] Or, les motifs de la juge permettent de comprendre pourquoi elle ne croit pas l’appelant et pourquoi elle croit le témoignage de l’agente d’infiltration. Elle explique « adéquatement comment [elle] a résolu les questions de crédibilité » : R. c. Dinardo, 2008 CSC 24, paragr. 26. Voici quelques extraits du jugement rendu oralement qui le démontrent :
Il est étrange de constater que les versions de la poursuite et de la défense concordent en tous points, sauf en ce qui a trait à la mention de l'âge des escortes. L'accusé a bien compris où se trouve le point d'attente, comment se rendre au motel, où se stationner, par quelle porte entrer, à quelle chambre se présenter, le tarif, le fait qu'il ne doit pas y avoir de sexe rough. La seule chose qu'il n'a pas entendue, c'est la mention de l'âge. Et, pourtant, [l’agente d’infiltration] nous dit avoir mentionné l’âge tant au téléphone qu’en personne, en spécifiant qu’elle articule bien pour s’assurer que le client potentiel a bien compris.
[…]
[…] il nous paraît peu crédible voire invraisemblable que l'agente d'infiltration, dont c'est la mission première dans le cadre de cette opération Défensif, n'ait pas mentionné l'âge de seize (16) ans dans ses échanges avec l'accusé. Il nous paraît peu crédible voire invraisemblable que lorsque ce sujet a été abordé par l'agente d'infiltration au téléphone, il y a eu des bruits parasites tels que des camions circulant à proximité qui ont empêché l'accusé de l'entendre. Il nous paraît peu crédible voire invraisemblable que l'accusé n'ait pas entendu la mention de l'âge dans la chambre alors qu'il reconnaît qu'il a bien été question de ne pas avoir de sexe rough et de ne pas brasser la fille. Le but de cette opération, selon le [policier], n'est pas de lutter contre la prostitution en général, mais bien de cibler les éventuels clients de jeunes filles mineures, une problématique bien présente [dans la région] à cette époque.
[…]
Compte tenu de l'ensemble de la preuve, nous ne pouvons retenir la version de l'accusé à l'effet qu'il n'a jamais entendu la mention de l'âge de la jeune fille, et ce même si, au départ, lorsqu'il a commencé ses recherches sur l'Internet, il ne recherchait pas des services sexuels par une personne mineure.
[40] Il est vrai que la juge ne dit pas spécifiquement que le témoignage de l’appelant ne suscite pas de doute raisonnable ou qu’elle retient celui des policiers. Il faut toutefois examiner le jugement dans son ensemble et ne pas rechercher une formule sacramentelle. Il est manifeste ici que la juge résout les questions de crédibilité en croyant les policiers et en rejetant totalement la version invraisemblable de l’appelant. Dans ces circonstances, l’argument de l’appelant ne tient pas.
[41] L’appelant plaide essentiellement deux points pour soutenir ses arguments selon lesquels il y a eu provocation policière justifiant un arrêt des procédures : 1) l’absence de lien rationnel entre l’infraction pour laquelle il existait des soupçons raisonnables (paragr. 286.1(1) C.cr.) et celle pour laquelle il a été arrêté et accusé (286.1(2) C.cr.) et 2) le caractère insuffisamment précis du lieu virtuel (les sites Internet) où se déroulait l’infraction.
[42] À l’occasion de l’arrêt prononcé dans le dossier Brodeur c. R., j’explique en quoi le lien entre les deux infractions est suffisamment rationnel et proportionnel. En résumé, j’écris ce qui suit :
[52] Ce qui distingue ici les deux infractions, outre l’âge des jeunes filles, c’est leur peine. Je le rappelle : une peine maximale d’emprisonnement de 5 ans pour l’une et de 10 ans pour l’autre, avec une peine minimale de 6 mois pour la deuxième. Or, il ne s’agit pas d’un cas où la peine est si différente qu’il s’agirait d’infractions sans lien ou sans proportionnalité, comme on voit dans la jurisprudence. Par exemple, dans l’arrêt Mack, le juge Lamer donne l’exemple d’une infraction soupçonnée (possession de marijuana), qui rendait le délinquant passible d’une peine de 6 ou 7 ans d’emprisonnement, mais qui ne permettrait pas, à elle seule, de donner l’occasion de commettre l’infraction d’importation de stupéfiants, celle-ci prévoyant une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité avec une peine minimale de 7 ans. En passant, je note que le juge Lamer ne parle pas de proportionnalité, mais bien d’une « certaine » proportionnalité.
[43] Pour ce qui est du caractère précis du lieu virtuel, la décision du juge Pennou dans Brodeur, décision que la juge de première instance a incorporée dans son jugement, indique ceci :
[37] L’espace virtuel ciblé par l’opération Défensif 3 est suffisamment précis pour fonder des soupçons raisonnables. Le crime enquêté dans le cadre de cette opération est sérieux. L’opération s’étend sur trois jours. Trois annonces du même type sont affichées sur trois différents sites, identifiés par les renseignements policiers, et dédiés à l’offre de services d’escortes. Chloé répondait durant la journée à ceux qui la contactaient. Elle cessait de répondre après 21:30. Durant l’opération, elle a eu 121 contacts différents par messages textes, et 84 par téléphone. Le potentiel client communiquait avec une personne inconnue dans un contexte commercial. Et puisque communiquer avec une personne en vue d’obtenir, moyennant rémunération, des services sexuels est en soi une communication de nature criminelle, ce type d’opération semble peu ou pas susceptible d’avoir un impact négatif sur la liberté d’expression. Quant aux techniques alternatives d’enquête, les articles de journaux produits par Brodeur ne démontrent pas qu’il existe des alternatives efficaces et moins envahissantes pour enquêter sur l’acte criminel prévu à l’art. 286.1(2) C.cr. Il s’agit d’un crime préparatoire à un crime consensuel, qui cible les clients de services sexuels, et non ceux ou celles qui les offrent. Compter sur la délation, par les agences d’escortes ou les tenanciers d’hôtel, de clients recherchant ou obtenant les services sexuels de mineures ne représente pas une alternative réaliste à la répression de ce type de crime.
[44] Toujours dans Brodeur, je manifestais mon accord avec le juge Pennou :
[43] En l’espèce, les annonces publiées sur des sites offrant les services d’escortes et des services sexuels de femmes dont la jeunesse était soulignée constituaient des lieux suffisamment précis pour que la portée de l’enquête ne soit pas plus large que ce que la preuve permettait. Les photos présentaient des femmes très jeunes, le vocabulaire utilisé mettant l’accent sur cette jeunesse (« jeune débutante », « nouvelle venue », « jeune beauté », « petite »). De plus, les annonces étaient publiées sur des sites offrant uniquement des services d’escortes et, fait particulier, ils ont été utilisés dans le passé pour offrir les services sexuels de bon nombre de fugueuses mineures. Enfin, les policiers n’ont pas offert la possibilité de commettre l’infraction à tous les utilisateurs des sites visés, mais plutôt à ceux qui sélectionnaient l’annonce affichant les mots « jeune beauté » ou une expression similaire et qui, après avoir communiqué avec l’agente d’infiltration, étaient informés que la jeune fille avait 16 ans.
[45] Il n’existe pas ou peu d’autres techniques d’enquête efficaces pour de telles infractions consensuelles, puisqu’il n’est pas possible d’indiquer que les jeunes filles sont mineures (les annonces seraient bloquées par les administrateurs) et que les victimes acceptent très rarement de collaborer avec les policiers. D’ailleurs, dans Friesen, précité, le juge en chef Wagner et le juge Rowe mentionnent, au paragraphe 94, que « [l]es opérations d’infiltration menées par la police sont devenues un outil important — sinon le plus important — dont disposent les policiers pour repérer les délinquants qui s’en prennent aux enfants et les empêcher de leur faire du mal […] ».
[46] Je suis donc d’avis que ce moyen d’appel ne saurait être retenu.
[47] Cette question est plus délicate et l’appel couvre deux volets : le caractère approprié de la peine infligée et sa constitutionnalité.
[48] L’appelant est particulièrement laconique sur cette question. Après avoir mentionné que, selon lui, la juge s’est limitée à rejeter ses arguments sur la constitutionnalité et a infligé pour cette raison la peine minimale, il écrit uniquement ce qui suit pour soutenir sa prétention que la peine est excessive :
24. Au niveau factuel, la juge de première instance avait entre autres retenu que l’Appelant ne cherchait pas des services sexuels de personnes mineures. L’admission de la poursuite quant à l’absence d’une problématique au niveau sexuel à l’endroit de personnes mineures distingue le dossier de l’Appelant de celui des autres accusés du même projet, tout comme le fait qu’il n’a pas été réactif lorsque l’agente d’infiltration aurait mentionnée l’âge de seize (16) ans.
[Renvois omis]
[49] En somme, si ce n’est l’affirmation que certains éléments de preuve pouvaient soutenir l’infliction d’une peine plus clémente, l’appelant n’apporte que peu d’arguments dans sa présentation écrite pouvant indiquer en quoi la juge aurait commis des erreurs de droit ou de principe ou rendu une peine manifestement non indiquée. À l’audience, il ajoute que le caractère de l’appelant, l’absence de preuve de problème sexologique, l’absence de rapport présentenciel et l’absence de « leurre » militaient en faveur d’une peine plus clémente.
[50] L’intimé n’est pas davantage prolixe, se limitant essentiellement à répondre aux arguments sur la constitutionnalité de la disposition et ajoutant que la juge a forcément tenu compte des facteurs aggravants et atténuants.
[51] La juge n’a pas donné beaucoup d’explications en ce qui a trait à la détermination de la peine. Outre la description des faits pertinents, on comprend qu’elle se rattache principalement à l’arrêt C.M. et à la nécessité d’assurer l’harmonisation de la peine avec le résultat de cet arrêt.
[52] Il est vrai que le jugement est relativement approximatif, mais l’appelant ne réussit pas à me convaincre que la peine doit être réformée. Il est inutile de reprendre tous les arguments énoncés par la jurisprudence, l’arrêt Friesen en tête, pour dénoncer les infractions de nature sexuelle commises à l’endroit des enfants. Même si l’appelant n’a pas, comme tel, commis une infraction de cette nature sur un enfant véritable, l’intention y était et il a perpétré celle qui permet de le faire sous le couvert de l’anonymat, dans un contexte d’exploitation sexuelle de mineurs sous le joug d’adultes, si ce n’est d’une criminalité organisée (un fait déterminant). Ces mineurs en subiront nécessairement d’importantes séquelles : Friesen, paragr. 136. Ces adolescents et adolescentes sont à une étape cruciale de leur développement : R. c. Bergeron, 2013 QCCA 7, paragr. 36, et leur vulnérabilité en est exacerbée.
[53] Il est impossible d’espérer mettre fin au commerce de la sexualité juvénile sans procéder à des opérations policières comme celle qui a mené à l’arrestation de l’appelant. La peine doit être conséquente. D’ailleurs, les jugements cités par mon collègue le juge Ruel, au paragr. 74 de C.M., démontrent éloquemment la nécessité de peines sévères dans ce domaine.
[54] L’appelant est âgé de 60 ans, un fait pertinent notamment dans ce type d’accusations : R. v. Faroughi, 2024 ONCA 178, paragr. 101 et 105, à l’égard desquelles les tribunaux ont tendance à être plus cléments envers de jeunes accusés. S’il n’a pas de condamnations antérieures, il reste qu’il ne peut plaider l’erreur de jeunesse ni d’ailleurs un plaidoyer de culpabilité pour justifier une peine plus clémente. On ne parle pas ici d’un geste impulsif posé sans réflexion, sans préparation. L’appelant, d’âge mûr, a dû non seulement se rendre à un endroit donné après avoir su que la jeune fille avait 16 ans, mais il a également dû téléphoner de nouveau à l’agente d’infiltration pour se rendre au motel et finalement se diriger vers la chambre où devait être la jeune fille après une autre discussion avec l’agente d’infiltration à propos de l’âge. Autrement dit, il aurait facilement pu renoncer à son projet, auquel cas il n’aurait même pas été accusé quoique l’infraction était consommée selon les directives applicables au Projet Défensif 3, mais il a décidé de persévérer.
[55] Je souligne qu’il ne faut pas croire que le fait qu’il s’agit ici de policiers et non de victimes véritables change quoi que ce soit à la culpabilité morale de l’appelant. Elle demeure aussi élevée : Friesen, paragr. 93 et 94. De plus, en traitant avec une proxénète (même s’il s’agit d’une agente d’infiltration), il savait nécessairement que la jeune fille était sous l’emprise d’adultes exerçant un contrôle sur ses activités, une circonstance aggravante, comme le souligne le juge Ruel dans C.M. :
[85] La présence d’une proxénète augmente la gravité subjective de l’infraction. En effet, la présence d’une proxénète a pour effet de multiplier tant le nombre de victimes que les actes de victimisation sur chacune d’entre elles.
[56] Pour ces motifs, même si la juge de première instance n’a pas clairement fait abstraction de la peine minimale dans son analyse de la peine juste, ce qu’elle devait faire à cette étape, l’appelant ne me convainc pas que la peine d’emprisonnement de 6 mois est manifestement non indiquée dans son cas.
[57] Ce constat mène à une conclusion : la juge de première instance ne pouvait déclarer la disposition inopérante dans le cas de l’appelant puisque la peine minimale constitue la peine appropriée. En d’autres mots, la peine minimale ne pouvait être ici considérée comme exagérément disproportionnée par rapport à la peine juste.
[58] D’autres questions se soulèvent néanmoins : que faire des situations raisonnablement prévisibles invoquées par l’appelant? La juge de première instance avait-elle compétence pour les considérer et décréter l’inconstitutionnalité de la peine minimale? Le cas échéant, s’agit-il de situations raisonnablement prévisibles ou sommes-nous plutôt en présence, comme dans C.M., paragr. 104, d’« hypothèses fantaisistes, invraisemblables et n’ayant qu’un faible rapport avec le dossier particulier sous étude […] »?
[59] Les parties abordent peu cette question malgré son importance. Le mis en cause en traite, mais en rapport avec la thèse voulant qu’un tribunal puisse faire preuve de retenue et décider de ne pas analyser les scénarios avancés par l’accusé lorsque la peine juste est similaire ou plus élevée que la peine minimale. Ici, la question est ailleurs.
[60] Au Québec, le juge seul qui entend les procès par voie de mise en accusation est un juge de la Cour du Québec (art. 552 C.cr.), donc un juge de nomination provinciale[1]. Par conséquent, agissant comme juge seul selon l’art. 552 C.cr. ou comme juge de la cour provinciale selon l’art. 553 C.cr., s’il a compétence pour déclarer inopérante à l’endroit de l’accusé une disposition incompatible avec la Charte, il ne peut prononcer une déclaration formelle selon laquelle la disposition est inopérante ou inconstitutionnelle pour tous en vertu du paragr. 52(1) de la Charte : Bazile c. R., 2022 QCCA 1009, paragr. 49; Griffith c. R., 2023 QCCA 301, paragr. 84. C’est la conclusion qu’il faut tirer des propos suivants de la juge en chef McLachlin dans R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, [2016] 1 R.C.S. 130, propos également acceptés par les juges de la minorité :
[15] Le droit applicable en la matière est clair. Un juge d’une cour provinciale n’est pas habilité à faire une déclaration formelle selon laquelle une règle de droit est inopérante en application du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Seul possède ce pouvoir un juge d’une cour supérieure ayant une compétence inhérente ou d’un tribunal qui en est légalement investi. Le juge d’une cour provinciale a toutefois le pouvoir de statuer sur la constitutionnalité d’une règle de droit lorsque la question est soulevée dans une instance dont il est à juste titre saisi. […]
[…]
[19] Conclure qu’une règle de droit n’est pas conforme à la Constitution permet à un juge de la cour provinciale de refuser d’appliquer cette règle dans l’affaire dont il est saisi. La règle de droit n’est pas pour autant inopérante suivant le par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Il est loisible aux juges de la cour provinciale de refuser d’appliquer la règle de droit dans des affaires subséquentes pour les motifs déjà exposés ou pour d’autres motifs qui leur sont propres. La règle de droit demeure toutefois pleinement opérante en l’absence d’une déclaration formelle d’invalidité par une cour ayant une compétence inhérente.
[Soulignements ajoutés]
[61] En d’autres mots, un juge de la Cour du Québec peut et même doit refuser d’infliger à l’accusé dont il préside le procès une peine fondée sur une disposition contraire à la Charte. En revanche, il ne peut la déclarer inopérante de façon générale. Bref, sa décision ne s’applique qu’aux parties alors que celle d’une cour supérieure (ou d’une cour d’appel) s’applique à l’ensemble de la province, avec les règles du stare decisis. Par conséquent, les autres juges de la Cour du Québec devront, dans tous les autres cas, se pencher à nouveau sur la question afin de déterminer si la disposition doit être inopérante à l’égard de l’accusé, à moins que la Cour supérieure (ou encore la Cour d’appel ou la Cour suprême) n’ait, entretemps, déclaré la disposition inconstitutionnelle.
[62] Dans son article intitulé Erga Omnes or Inter Partes? The Legal Effects of Federal Courts’ Constitutional Judgments, (2019 97-2) Canadian Bar Review 277, 2019, le professeur Han-Ru Zhou décrit ainsi ce qu’il faut conclure de Lloyd sur cette question :
[…], the position that subsequently prevailed, despite a few notable views to the contrary, is that a provincial superior court can render constitutional judgments with erga omnes effects within the province while non-superior court judgments and tribunal decisions on constitutional matters are only inter partes.
[Renvoi omis]
[63] Le juge David Stratas de la Cour d’appel fédérale interprète Lloyd de la même façon. Dans A Judiciary Cleaved: Superior Courts, Statutory Courts and the Illogic of Difference, (2017) 68 UNBLJ 54, il écrit :
The Supreme Court acknowledged that this left the unconstitutional provision alive in other cases across the province or in future cases that arise, even before the same court. It confirmed that only a superior court could make a ruling of province-wide effect through its power to make declarations.
[64] Il va sans dire que cette règle n’est pas sans autres conséquences. Ainsi, les citoyens et citoyennes d’une même province pourront jouir de protections constitutionnelles différentes : celles conférées à l’accusé par le juge de la cour provinciale (et le juge seul au Québec) et celles qui demeurent la norme pour tous les autres. Plus particulièrement au Québec, seul l’accusé aura le droit de bénéficier d’une déclaration d’inopérabilité prononcée par la Cour du Québec, mais pas les autres Québécois, alors que dans les autres provinces, selon la décision rendue (inconstitutionnalité) par la Cour supérieure exerçant les pouvoirs prévus à l’article 552, tous pourraient en profiter, selon les termes de la décision, et pas seulement l’accusé.
[65] On pourra répliquer que ce serait aussi le cas pour une décision rendue par une cour supérieure, mais à une autre échelle : la population d’une province a parfois des droits différents de ceux d’une autre province. Cela est vrai, mais il reste que l’existence de droits différents entre diverses provinces est une situation connue en raison de la règle du stare decisis qui fait en sorte, par exemple, qu’un arrêt prononcé par une cour d’appel d’une province n’est pas obligatoirement suivi par les juges d’une autre province. Des droits différents entre citoyens d’une même province représentent une situation beaucoup plus exceptionnelle.
[66] Qui plus est, le problème est exacerbé au Québec puisque, comme on l’a vu, la définition de « juge » prévoit, selon l’article 552 C.cr., qu’il s’agit d’un juge de la Cour du Québec, une cour de nomination provinciale, contrairement aux autres provinces. Autrement dit, au Québec, la Cour du Québec, peu importe la compétence exercée (sous l’art. 552 ou sous l’art. 553 C.cr.), n’a pas le pouvoir de déclarer formellement inconstitutionnelle une disposition contraire à la Charte. Pour ce faire, l’accusé devrait opter pour un procès devant un juge de la Cour supérieure, ce qui signifie nécessairement au Québec un procès devant jury, ou encore interjeter appel du jugement dans l’espoir que la Cour d’appel (et non un juge de la Cour supérieure) se prononce dans ce sens. Voilà, à mon avis, une bien mauvaise utilisation des ressources judiciaires, alors que cette utilisation est souventes fois invoquée pour justifier la décision d’une cour provinciale de faire preuve de retenue judiciaire sur la question de l’inconstitutionnalité lorsqu’elle conclut que la peine juste est supérieure ou égale à la peine minimale. Il y a toutefois encore plus à dire.
[67] Quel est l’intérêt de plaider, en Cour du Québec, des situations hypothétiques qui ne changeront rien à la décision rendue sur la peine (elle restera la peine juste) et qui ne pourront faire en sorte que la Cour du Québec déclare la peine minimale inconstitutionnelle conformément au paragr. 52(1) de la Charte (puisqu’elle n’a pas cette compétence)? En fait, je n’y vois qu’un avantage : permettre aux parties d’en débattre pour que, dans l’hypothèse d’un appel ultérieur en Cour d’appel, celle-ci soit en mesure de prendre connaissance des arguments qu’ont fait valoir les parties, un élément important de l’exercice, comme le rappelle la juge Martin au paragr. 93 de R. c. Hills, 2023 CSC 2. Pourtant, s’il n’y a pas d’appel, cette présentation aura été inutile, et ce, dans la très grande majorité sinon dans la totalité des cas. Par ailleurs, sans de telles situations hypothétiques dûment abordées par les parties, la Cour d’appel risque fort de devenir une cour de première instance sur cette question (par le dépôt d’une preuve nouvelle, par exemple : Griffith, paragr. 84), alors qu’elle est en plus privée du bénéfice d’une décision préalable de la cour de première instance.
[68] Cette épineuse question devrait peut-être être revue, mais ce n’est pas à une cour d’appel de le faire. Seule la Cour suprême le peut, quoique le législateur fédéral le puisse également, selon la juge en chef McLachlin dans Lloyd : « Seul possède ce pouvoir un juge d’une cour supérieure ayant une compétence inhérente ou d’un tribunal qui en est légalement investi » [je souligne]. Le législateur pourrait à tout le moins investir de ce pouvoir le juge de la Cour du Québec qui siège à titre de juge de l’article 552 C.cr. pour que les citoyens et citoyennes de cette province aient les mêmes droits que ceux et celles des autres provinces.
[69] En somme, la juge de première instance n’avait pas la compétence pour déclarer la peine minimale inconstitutionnelle selon le paragr. 52(1) de la Charte, de sorte qu’on ne peut lui reprocher de ne pas avoir examiné les situations hypothétiques invoquées par l’appelant puisque cela n’aurait rien pu changer au résultat : comme la peine de 6 mois était la peine juste, les situations raisonnablement prévisibles ne pouvaient rien y faire puisque, quel que soit le résultat, la peine juste serait infligée. Par ailleurs, si elle avait auparavant conclu que la peine minimale était exagérément disproportionnée par rapport à la peine juste en l’espèce, elle aurait déclaré celle-ci inopérante à l’endroit de l’accusé, sans évidemment avoir à se fonder sur des situations hypothétiques.
[70] En somme, vu les pouvoirs limités de la juge de première instance en la matière, l’examen des scénarios aurait été d’une utilité toute relative. Ce n’est toutefois pas le cas en appel.
[71] Je suis d’avis qu’il nous faut examiner les scénarios invoqués par l’appelant. Dans Griffith, le juge Vauclair rappelle, aux paragr. 79-80, qu’une cour supérieure ne peut invoquer la retenue judiciaire pour justifier son refus d’examiner ces scénarios. Je suis d’avis que cette règle s’applique en appel à la condition, évidemment, que le dossier ait été « soigneusement préparé pour l’appel » : Griffith, paragr. 85.
[72] Devant la Cour, l’appelant n’a pas ajouté d’arguments à ceux qui avaient été plaidés en première instance sur les situations hypothétiques. Il fait toutefois référence à celles-ci, qui ont été amplement plaidées et qui étaient décrites dans sa requête en déclaration d’inconstitutionnalité, en reprochant à la juge de première instance de ne pas les avoir analysées. Devant cette Cour, il a réitéré l’argument. Voici par exemple ce qu’il écrit dans son argumentation en se référant aux arrêts R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773 et Hills :
17. Quant à la deuxième portion de l’analyse, la juge de première instance n’aborde pas la question des scénarios hypothétiques qui peuvent mener à une déclaration d’inconstitutionnalité.
[…]
19. La Cour suprême a récemment réitéré dans l’arrêt Hills que l’évaluation en deux étapes qui doit s’entreprendre à l’égard d’une requête en inconstitutionnalité doit se faire à l’égard de la personne délinquante, mais également dans le cas d’une autre personne délinquante dans un cas raisonnablement prévisible ou un scénario hypothétique. La Cour suprême a maintes fois utilisé des scénarios hypothétiques pour déclarer l’inconstitutionnalité d’une peine minimale.
20. Dès 2015, il a été reconnu que de ne pas tenir compte des applications raisonnablement prévisibles d’une disposition qui créée une peine minimale obligatoire irait à l’encontre de la jurisprudence de la Cour suprême et limiterait de façon artificielle l’analyse sur la constitutionnalité.
[Renvois omis]
[73] Contrairement à l’intimé et au mis en cause, j’estime que l’appelant a suffisamment plaidé cette question devant cette Cour pour que celle-ci s’y penche. Nous ne sommes pas du tout dans la situation décrite par les juges majoritaires dans R. v. Cowell, 2019 ONCA 972 :
[123] Nor do I agree that in the present appeal this court can confidently rely on scenarios that were not argued in the court below, or properly raised in submissions before this court. […]
[74] Le mis en cause soutient que, dans Hills, la juge Martin exige que l’exercice soit repris en appel au point où, en l’espèce, la Cour ne devrait pas considérer les situations hypothétiques. Il écrit :
Au surplus, l’appelant n’argumente aucunement dans son mémoire les situations raisonnablement prévisibles qui devraient s’appliquer et qui mèneraient à une violation de l’article 12 de la Charte canadienne. […]
Ainsi, comme le mentionne la Cour suprême dans l’arrêt Hills, la rigueur du processus accusatoire est la meilleure façon de mettre à l’épreuve les situations raisonnablement prévisibles, ce qui n’a pas été fait dans le présent dossier en appel.
[Renvoi omis]
[75] Il se trompe. Voici ce que mentionne la juge Martin :
[93] Il revient à la personne délinquante/demanderesse de formuler et d’avancer la situation hypothétique raisonnablement prévisible sur laquelle repose l’allégation que la disposition attaquée est inconstitutionnelle. Toutes les parties devraient idéalement se voir accorder une possibilité raisonnable de contester ou de commenter le caractère raisonnable de la situation hypothétique avant de présenter des arguments sur ses conséquences au plan constitutionnel […]. Je conviens avec la juge Antonio que la rigueur du processus accusatoire est la meilleure façon de mettre à l’épreuve les situations hypothétiques raisonnables (par. 69). Il y a des avantages à donner aux parties l’occasion de présenter des observations sur ce qu’est une personne délinquante réaliste et raisonnablement prévisible. Les parties peuvent ainsi aider le juge à décider quel genre de situation hypothétique est raisonnable dans les circonstances. […]
[76] En l’espèce, les parties ont amplement eu l’occasion de présenter leurs observations en rapport avec les scénarios hypothétiques évoqués par l’appelant devant la juge de première instance, arguments dûment repris en appel. Ceci répond donc aux préoccupations de la juge Martin, même en appel, et j’estime qu’il faut examiner la question.
[77] Voici les six situations auxquelles l’appelant renvoie la Cour, telles que décrites dans sa requête en première instance :
Scénario 1
Un individu appelle un service d’escorte. Une agente d’infiltration lui propose une fille mineure de 16 ans. Il est surpris, mais ne dit rien. Il se rend sur place et il rencontre l’agente d’infiltration qui se présente comme l’agente des escortes. Il décide d’attendre la suite des choses pour voir la fille directement. Disons qu’elle existe, en la voyant il n’est pas intéressé et il veut quitter;
Tout comme dans notre situation, il ne réagit pas spécifiquement quand il est question de l'âge. Il ne fait aucune demande en ce sens. Il poursuit la démarche pour la rencontrer. Lorsqu’il rencontre l’agente d’infiltration qui se dit être l’agente de la fille, il ne fait pas demi-tour. C’est lorsqu’il rencontre la jeune fille que la réalité le frappe. Il fait demi-tour. Il a commis l’infraction. L'opération aurait pu s'arrêter bien avant et les policiers auraient pu procéder à son arrestation. Ici, nous avons le bénéfice de connaître cette suite. Il a commis l’infraction. Son changement d’avis survient trop tard;
Scénario 2
Nous reprenons la même trame factuelle que le premier scénario. La variante est que la jeune fille de seize (16) ans n’existe pas et ne pourra jamais être rencontrée par l’individu. Nous n’avons pas le bénéfice de connaître la réaction de l’individu en la voyant. Il s’est rendu à la chambre et les policiers l’ont immédiatement arrêté. Ici, l’individu risque une peine plus sévère que dans la première situation alors qu’il aurait pu avoir la même réaction que celle rapportée au scénario numéro 1;
Nous reprenons la même trame factuelle que le deuxième scénario. Toutefois, l’individu qui communique avec le service d’escorte est natif du Pérou et il a immigré au Canada en tant que résident permanent dans le cadre du programme de travailleur qualifié. Une peine minimale de six mois d’emprisonnement lui sera imposée. Dans un tel cas, une interdiction de territoire sans possibilité d’appel est automatiquement applicable en vertu des articles 36 et 64 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27). Or, si la peine en était une de six mois moins un jour, il lui serait possible de faire valoir des arguments pour demeurer au pays. Ainsi, une déclaration de culpabilité entraîne nécessairement une expulsion du pays sans égard au profil et aux faits spécifiques d’une affaire, le tout tel qu’exposé à la pièce R-5;
Scénario 4
Un individu appelle un service d’escortes. Une jeune femme répond. Il lui demande son âge, elle dit avoir 17 ans. Il est surpris, mais il ne raccroche pas. Il continue de lui parler. Ils conviennent de se voir pour avoir des rapports sexuels moyennant rémunération. Il se rend au rendez-vous. Rendu sur place, il fait demi-tour en la voyant. Il est arrêté par la suite. Dans ce cas, il a aussi commis l’infraction de leurre;
Scénario 5
Un individu communique avec une jeune fille sur un site de rencontres pour adultes. Il ne connaît pas son âge. La discussion tourne rapidement sur des sujets sexuels. Ils conviennent de se voir chez l’individu. Elle lui avoue son âge (16 ans) et elle lui demande de l’argent. Il accepte sur le coup. Juste avant la rencontre, il annule. La fin pourrait être modulée de façon différente, soit il se rencontre et change d’idée une fois qu’il la voit;
Scénario 6
Une personne âgée de dix-huit (18) ans texte un.e ami.e qui est mineure. Il sait qu’elle est une travailleuse du sexe. Ils conviennent d’avoir des rapports sexuels et la personne âgée de dix-huit (18) ans offre de l’argent à la personne mineure. Il a des sentiments pour elle, mais il ne veut pas lui avouer. Dans tous les cas, avant même la rencontre, la personne de 18 ans a commis l’infraction prévue à 286.1(2) C.cr. ainsi que celle de leurre.
[78] Les cinq premiers ne m’ébranlent pas. Je ne peux voir en quoi ces scénarios pourraient mener à la conclusion que la peine minimale est exagérément disproportionnée étant donné mes conclusions formulées précédemment sur la justesse de la peine. Je rappelle que la déclaration d’inconstitutionnalité est une décision lourde de sens et de conséquences, qu’il faut en principe respecter les vœux du législateur, que le fardeau du requérant est très lourd et que la simple disproportion ne suffit pas, ce que rappellent notamment les arrêts Lloyd, Nur, Bissonnette, 2022 CSC 23, Hills et Hilbach, 2023 CSC 3. Ces cinq scénarios, qui sont en grande partie similaires au présent dossier, ne me convainquent pas. En revanche, le sixième le fait.
[79] Cette situation hypothétique me ramène à l’arrêt R. v. Faroughi, 2024 ONCA 178, et dont je fais état plus haut. Dans cette affaire, l’appelant, âgé de 19 ans au moment des faits, se connecte à un site Internet faisant la promotion de services d’escortes. Il reçoit une réponse indiquant que la jeune fille est âgée de 14 ans. Il s’agit d’une réponse fictive, donnée dans le cadre du Projet Raphael, un projet similaire au Projet Défensif 3. Il y a toutefois une différence importante : l’appelant Faroughi a été arrêté dès son arrivée sur les lieux, sans que la police attende la fin d’une autre conversation avec l’agent d’infiltration et donc, sans donner l’occasion à l’appelant de confirmer l’âge de la jeune fille et, surtout, sans lui donner une autre occasion de mettre fin à son projet après une ultime rencontre avec l’agent d’infiltration. Comme je l’ai écrit plus tôt, cette dernière circonstance, particulière au présent appel, relève le niveau de la culpabilité morale de l’appelant, ce qui n’est pas le cas dans l’exemple que représente Faroughi.
[80] Comme dans le présent dossier, M. Faroughi a présenté une demande d’arrêt des procédures pour cause de provocation policière, demande qui a été rejetée tant en première instance qu’en appel.
[81] Voilà donc un cas qui s’apparente à la présente affaire, si ce n’est que l’appelant était beaucoup plus jeune (une circonstance atténuante favorable à une peine plus clémente, comme le souligne le juge Zarnett au paragr. 83), et a été arrêté dans des circonstances moins propices à un changement de direction dans sa démarche. Ces deux éléments de fait sont de nature à abaisser son niveau de culpabilité morale par rapport à celui de l’appelant Denis.
[82] Par ailleurs, l’appelant Faroughi, malgré son jeune âge, souffrait d’une dégradation sévère de sa santé qui le forçait à se déplacer avec une canne, ce que retient le juge d’appel :
[89] […], in this case there is a real risk that the appellant’s physical limitations will heighten the harms of incarceration that are often experienced by youthful offenders: see R. v. Hilbach, 2023 SCC 3, 477 D.L.R. (5th) 84, at para. 106.
[83] De telles considérations peuvent être prises en compte au moment d’élaborer des scénarios hypothétiques.
[84] La juge Martin répète dans Hills l’importance de tenir compte de l’âge du délinquant :
[162] Ainsi, puisque la gravité de l’infraction et la culpabilité de la personne délinquante sont peu élevées dans ce scénario et que le jeune âge de cette personne constitue une circonstance atténuante, la peine juste et proportionnée est le sursis au prononcé d’une peine d’au plus 12 mois de probation.
[85] En somme, Faroughi démontre que le sixième scénario, qui met en cause un jeune de 18 ans, ne peut être qualifié d’invraisemblable ou de trop éloigné de la réalité, même si les circonstances du scénario sont peut-être plus favorables à la thèse de l’appelant. Quoi qu’il en soit, Faroughi constitue un exemple d’une situation véritable d’application de la disposition. Je souligne que la peine minimale a été jugée inconstitutionnelle dans cette affaire.
[86] Lorsqu’il est question de peines minimales inconstitutionnelles, certaines infractions, bien que graves, peuvent être commises dans un vaste continuum de circonstances par une variété aussi vaste de personnes, incluant des personnes dont le niveau de culpabilité morale n’est pas très élevé et dans des circonstances moins graves. Ces infractions « relèvent d’une catégorie d’infractions pour lesquelles les peines minimales obligatoires sont particulièrement susceptibles d’être invalidées » (Hilbach, paragr. 2).
[87] Le sixième scénario fait état d’une situation qui se situe au bas de l’échelle des conduites visées par la disposition, tout en demeurant vraisemblable et suffisamment relié au présent dossier. Je ne prétends pas que ce type de scénario est susceptible de se répéter fréquemment. Je dis simplement qu’il est raisonnablement prévisible et qu’il n’est donc pas fantaisiste, invraisemblable et difficilement imaginable. Il ne s’agit pas davantage du délinquant le plus sympathique; il s’agit au contraire d’un délinquant qui, dans une situation raisonnablement prévisible, veut vivre une expérience sexuelle dans un contexte fort différent du présent appel. Quoiqu’elle soit criminelle, l’idée qu’un jeune veuille le faire n’est pas invraisemblable. Par ailleurs, les tribunaux peuvent modifier les faits de jugements antérieurs pour illustrer de tels scénarios.
[88] Le paragr. 286.1(2) C.cr. constitue une infraction qui donne ouverture à une multitude d’applications, allant de la seule communication par une personne âgée de 18 ans en vue d’obtenir un baiser d’une personne un peu plus jeune jusqu’à l’obtention véritable de services sexuels de la part d’une personne mineure par une personne d’âge mûr. Ceci est de nature à la rendre plus vulnérable sur le plan constitutionnel, comme le souligne la juge Bennett dans R. v. J.L.M., 2017 BCCA 258, avant de déclarer la disposition inconstitutionnelle :
[62] In my opinion, although the legislative intent to prevent harm to vulnerable children cannot be questioned, the offence “covers a wide array of situations of varying moral blameworthiness” (Lloyd SCC at para. 49), and captures not only those involved in the heinous act of juvenile prostitution, but also far less culpable conduct. There are, in my opinion, reasonable hypotheticals that demonstrate that the mandatory minimum sentence for this offence can be grossly disproportionate to the act and offender.
[89] L’examen de situations raisonnablement prévisibles doit se fonder sur l’expérience judiciaire et le bon sens. Il s’agit d’examiner « des circonstances imaginables qui pourraient se présenter couramment dans la vie quotidienne » : R. c. Goltz, [1991] 3 R.C.S. 485, p. 516. C’est dans cet esprit que j’estime que le scénario plaidé par l’appelant et la jurisprudence (que ce soit Faroughi ou J.L.M., qui ont déclaré l’inconstitutionnalité de la disposition) mènent à la conclusion que la peine minimale ici sera exagérément disproportionnée à la peine juste et proportionnée dans des cas raisonnablement prévisibles. Ainsi, le sixième scénario invoqué par l’appelant mènerait vraisemblablement à un emprisonnement avec sursis ou à une peine de détention bien inférieure aux 6 mois, au point où la peine minimale serait exagérément disproportionnée.
[90] Par ailleurs, l’intimé et le mis en cause ne font valoir aucun argument sous l’article 1 de la Charte en vue de sauver la disposition. Il n’est donc pas approprié de procéder à cette analyse.
[91] Pour ces motifs, je propose que la Cour rejette l’appel de la décision sur la culpabilité, accueille la requête pour permission d’interjeter appel du jugement sur la peine, accueille cet appel en partie pour confirmer la peine d’emprisonnement de 6 mois infligée en première instance, mais pour déclarer, conformément au paragraphe 52(1) de la Charte, que la peine minimale obligatoire de l’alinéa 286.1(2)a) C.cr. est inconstitutionnelle et inopérante.
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[1] Au Québec, un juge seul de la Cour supérieure n’a pas une telle compétence, sauf à l’égard des infractions qui sont de la compétence exclusive de la Cour supérieure et avec le consentement des parties : Pouliot c. R., 2015 QCCA 9; Charbonneau c. R., 2024 QCCA 78.
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