Décision

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96031016 C A N A D A              Cour du Québec
Province de Québec            Chambre civile
District de Montréal     __________

No.  500-02-040972-882        Le 7 décembre 1995

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :


L'Honorable LUCIEN DANSEREAU, J.C.Q.




GEORGETTE HUARD,

                         PIERRETTE GIBEAULT,
                      

     
Demanderesses


c.


EXOTIK TOURS ENR. (102150 Canada Inc.),                 INTOURIST,


     
Défenderesses


-et-


ROBERT FRASER,


     
Mis-en-cause







J U G E M E N T




Introduction:

À la suite d'un voyage culturel fait en Russie au mois de mai 1984, les demanderesses, en septembre 1988, ont pris ensemble une action en résolution de contrat contre "Exotik", l'agence de voyage, et en dommages-intérêts contre Exotik et Intourist en Cour supérieure de Montréal, action qui fut transférée du consentement des parties le 14 décembre 1988 en Cour provinciale de Montréal, où ne subsistaient plus que les dommages purement matériels ayant été encourus par les demanderesses et estimés à la somme de 13 992,60 $ dans chaque cas, au lieu de 40 000 $ et plus.

I.   Des faits générateurs du recours:

Ces dommages sont issus de ce voyage qui a rapidement viré au désastre dans le cas de madame Gibeault, atteinte de sclérose en plaque, incapable de se déplacer autrement qu'en chaise roulante, et au cafouillage pour madame Huard, maintenue impuissante à venir en aide à cette grande amie, selon leur entente préalable au voyage, en raison de l'absence quasi totale d'installations appropriées en tout lieu à Moscou.

La défenderesse Exotik, soutiennent les deux demanderesses, avait représenté erronément avant ou lors de l'achat des forfaits que l'usage d'un fauteuil roulant ne causerait pas de problème à Moscou et à Léningrad tant dans les hôtels que dans les grandes salles de spectacles présentant les opéras et les ballets russes. Il suffisait que madame Gibeault soit accompagnée lors de tout déplacement. Madame Huard, infirmière de métier, s'était offerte pour cette tâche.

Une représentante d'Exotik, avant l'achat des forfaits, avait vérifié, paraît-il, auprès d'Intourist, l'autre défenderesse, l'existence dans ces villes russes des aménagements propices à la circulation des usagers des fauteuils roulants.

Arrivées à Moscou, les demanderesses réalisèrent d'abord à l'aérogare de Sheremetyevo, puis à l'Hôtel Rossya, véritable cité hôtelière, et enfin dans les salles de spectacles et restaurants, que ces facilités n'existaient pas, ou encore ne furent jamais portées à la connaissance des demanderesses en temps utile.
Madame Gibeault, à bout physiquement et moralement après 7 à 8 jours passés à Moscou, décida sur avis médical pris à l'ambassade britannique d'abréger abruptement son voyage, évitant ainsi de se rendre à Leningrad pour y aggraver son cas.

Madame Huard la soutint dans cette décision et revint avec son amie, toutes deux encourant des frais de transport considérables pour leurs moyens.

II.  Du recours actuel:

Après de malheureuses péripéties extrajudiciaires éprouvées inutilement par les demanderesses, qui avaient fait confiance à un imposteur se faisant passer pour un avocat, leurs réclamations respectives, dans la présente action, s'énoncent donc:

a)   remboursement du forfait: 1 781,50 $;

b)   coût du rapatriement au milieu du voyage: 2 211,10 $;

c)   inconvénients divers: 10 000 $;

TOTAL : 13 992,60 $


Tous les autres postes attachant autrefois ce recours à la juridiction plus élevée avaient été déclarés prescrits par un jugement de la Cour supérieure de Montréal daté du 6 octobre 1988.

III. Questions en litige:

A.   Au printemps de 1984, les demanderesses ont-elles conclu un contrat avec Exotik comportant ou non des lacunes sur l'identité de l'objet;
B.   Nature du contrat et de la responsabilité de Exotik à l'égard de G. Huard, i.e. Exotik a-t-elle méconnu l'une ou l'autre de ces obligations à son endroit;
C.   Nature du lien entre Exotik et Intourist qui ferait de celui-ci un co-débiteur des demanderesses;
D.   Nature de la responsabilité de Intourist à l'égard de chacune des défenderesses;
E.   Mesure des dommages des demanderesses; et examen, le cas échéant, de leur partage entre les défenderesses.

On aura noté que chaque réponse donnée à l'une de ces questions dans l'ordre précité ne dispose pas automatiquement de l'une ou l'autre des questions subséquentes.

A.   Au printemps de 1984, les demanderesses ont-elles conclu un contrat avec Exotik comportant ou non des lacunes sur l'identité de l'objet:

Les demanderesses ont généralement le fardeau de prouver l'existence d'obligations dues par les défenderesses à leur égard: art. 1203 C.c.B.-C., ou 2803 C.c.Q. Il s'agit au fond d'examiner les données ayant présidé à la naissance de ces deux contrats à la lumière des dispositions du C.c.B.-C.: art. 984, 988 et 992, traitant respectivement des éléments essentiels à la formation du contrat, de la qualité du consentement, et de l'erreur sur la substance d'un contrat ou d'une qualité principale de celui-ci.

Les témoignages en demande et ceux des représentants de la défenderesse Exotik fondent les ententes, plus que les documents déposés par les parties et virtuellement admis par elles.

1.   Témoignages de la demanderesse:

Elle témoigna hors cour les 1er août et 3 octobre 1989, et les 26 et 27 janvier 1995. La Cour note immédiatement que P. Gibeault témoigna sur des faits survenus soit 5 ans auparavant, ou encore pire: 10 ans plus tôt, lorsqu'elle témoigna dans ce cas au procès. De sorte qu'on ne peut lui faire grief d'hésiter et même de se tromper lorsqu'elle tente de préciser des dates. Plus souvent qu'autrement, d'autres témoins rectifieront.

Elle déclare le 1er août 1989 que l'annonce du forfait pour la Russie du mois de mai 1984 fut diffusé en mars (?) 1984 par les soins d'une insertion publicitaire d'Exotik figurant dans une revue dédiée aux amis de l'opéra, dont P. Gibeault et sans doute G. Huard: "Aria". Elle dit s'être rendu à l'agence Exotik payer le voyage au début de mai 1984. Pourtant, la tournée prenait place du 3 mai 1984 au 17 suivant. Elle rectifie: ce serait en avril. Elle dit avoir parlé par téléphone auparavant, à sa représentante, madame Bélanger. Puis, elle l'a vue encore lorsqu'elle s'est rendue à l'agence en compagnie de madame Huard, lors d'un congé sur semaine de cette dernière. P. Gibeault avait retenu le nom de madame Bélanger, le même que celui de sa propre belle-soeur.

Au téléphone, elle expose à madame Bélanger qu'elle circule en fauteuil roulant. Celle-ci lui répond qu'elle vérifie aussitôt, sans doute auprès d'Intourist, et qu'elle la rappelle dans une heure. Ce qu'elle fait pour confirmer à P. Gibeault qu'elle peut faire ce voyage si elle est accompagnée et consent à se priver de visiter le métro de Moscou. P. Gibeault lui répond qu'une amie l'accompagnera.

P. Gibeault précise à ce stade son état de santé qui a précipité sa retraite en septembre 1983, obligée désormais de se déplacer, sauf chez elle et sur de petits trajets, en fauteuil roulant, même si elle conduit sa propre voiture. À l'hôtel Rossya, le secteur du restaurant immense où le groupe montréalais devait prendre de 2 à 3 repas par jour se trouvait au sous-sol et la demanderesse, pesant environ 150 livres, ne pouvait s'y rendre qu'en descendant à pied et au prix d'efforts surhumains et dévastateurs pour elle, un imposant escalier tournant. Ce qui l'empêcha de manger le premier soir de son arrivée. Madame Huard et une autre personne tentèrent de convaincre la représentante d'Intourist de lui faire monter des repas, à sa chambre située vers le 11ième étage de cette mégalopole, et ce, avec un très mince résultat auprès de cette représentante et "guide" de la défenderesse Intourist, Tatiana. À telle enseigne que la demanderesse, qui s'efforçait de ne manquer aucune des représentations d'opéras en soirées malgré les difficultés appréciables qu'elle rencontrait dans les grandes maisons culturelles, dut se résoudre à prendre certains repas, 3 ou 9, dira-t-elle, dans le restaurant de l'hôtel. Aux étages existaient des casse-croûte pour les employés. La demanderesse arriva assez tôt un soir pour en profiter. À ces privations s'ajoutait une disette d'eau pour elle, des plus fâcheuses pour sa condition rénale.

Le Tribunal a été convaincu par la preuve de la demande que le séjour moscovite de P. Gibeault fut hérissé d'avanies, de contraintes et de frustrations, au point qu'elle s'épuisa prématurément et que sa rentrée précipitée au pays était devenue nécessaire, sans compter l'aggravation irréversible de son état de santé lors de l'automne suivant.

Le Tribunal observe, encore si nécessaire, que le recours des demanderesses n'a trait qu'à des dommages et inconvénients matériels, un autre tribunal ayant déclaré irrecevables les plus importants dommages.

Cela dit, il faut revenir à l'époque de la formation du contrat, soit en avril 1984. Le 1er août 1989, la demanderesse déclare qu'elle a vu madame Bélanger à l'agence sans se souvenir d'autres intervenants. C'est elle "qui nous a vendu le voyage" (page 42), le départ ayant lieu "le 7 mai" (page 43).

Sans donner d'exemples sur le calendrier des représentations culturelles de Moscou, selon les dires de P. Gibeault, le Tribunal ne peut se fier à sa mémoire.

Pourtant, selon son témoignage du 3 octobre 1989, la demanderesse, le jour où elle se rendit à l'agence en avril 1984 avec madame Huard, donne plusieurs détails sur l'état des travaux publics exécutés dans ce secteur de Montréal, près de l'intersection Peel-Ste-Catherine, dans le but de réhabiliter sa mémoire. Mais elle est plus avare de précisions lorsqu'il s'agit du décor où oeuvre l'agence. Elle ignore si madame Bélanger lui a répondu à son entrée (dans son fauteuil roulant) ou si c'est une réceptionniste qui l'a accueillie. Elle ne croit plus que c'est madame Bélanger qui lui a vendu le forfait (page 7). Plus loin, page 42, c'est madame Bélanger, "c'est la dame qui nous a vendu le voyage". Pourtant, page 7, elle ne croit pas que ce soit elle qui "a signé un papier". Au procès, elle dira en janvier 1995 que ce n'est pas madame Bélanger qui lui a vendu le voyage. Puis, page 8, "3 octobre 1989", elle croit que c'est une jeune fille "qui nous a vendu un billet". C'était à un bureau, dans l'agence.

Encore au procès, mise en présence de madame Bélanger, de Exotik, P. Gibeault ne peut la reconnaître. Auparavant, elle a dit d'elle qu'elle était dans la trentaine et qu'elle mesurait 5 pieds et 6 pouces environ: déclaration du 1er août 1989, page 9.

Pour elle, loc. cit. page 13, elle ne voit pas de comptoir à l'agence. Ce n'est pas la préposée à l'accueil à qui le forfait a été payé, mais à une jeune fille de 25 à 30 ans, "dans un bureau". Et non "Elyse Bélanger", loc. cit. page 15, page 30, et page 34. Puis, elle dit que, probablement, c'est elle, madame Bélanger, qui les a reçues; puis, ne le sait plus: loc. cit. page 16-17.

La personne qui les reçoit leur donne des assurances qu'elles pouvaient faire le voyage. Or, le 1er août 1989, elle a déclaré que madame Bélanger lui avait donné ce type d'assurances: supra page 7.

Puis modification: cette demanderesse déclare le 3 octobre qu'à sa visite en chaise roulante, elle n'a pas reparlé à la représentante (la jeune fille ou Elyse Bélanger, faut-il se demander) de sa condition, rappelant qu'elle était en fauteuil: loc. cit. page 21. On ne "venait que pour acheter le voyage, parce qu'on voulait faire le voyage, c'est tout. (page 20) Elle répète malgré tout qu'à l'agence, "on a dit à madame Bélanger qu'on voulait aller en Russie" et que celle-ci la référa à une agente. Elle n'a pas discuté avec elle de "précédents" en Russie (pp. 28-29).

P. Gibeault ignorait à ce stade tout d'Intourist, y compris sa qualité de grossiste. Elle n'a rien reçu de cette agence gouvernementale. Son seul contact c'est Tatiana, la guide, qui, à l'Hôtel Rossya, l'incita à descendre les deux niveaux inférieurs par l'escalier.

Au procès, P. Gibeault relate qu'au reçu de la revue Aria proposant le forfait de Exotik, elle en discute avec G. Huard qui lui propose de l'accompagner. Très rapidement, un lundi matin, elle appelle chez Exotik; une jeune fille répond (et non madame Bélanger). Lui ayant signalé ses limites, la jeune fille lui dit: on va s'informer. C'est madame Bélanger qui rappelle: "Si vous êtes accompagnée, pas de problème; là-bas, on ne peut vous assurer d'une prise en charge.

Bien sûr, cette demanderesse avait obtenu de son médecin l'approbation de cette expédition culturelle devant agrémenter sa vie de quasi-recluse qu'elle menait au centre spécialisé Lucie Bruneau. Mais telle approbation était assortie de quelques conditions assez strictes que le docteur Bourque circonscrit dans son témoignage. Il s'agit bien de l'usage du fauteuil roulant, mais d'autres conditions dont la demanderesse n'a pas traité avec l'une ou l'autre des représentantes de Exotik, se satisfaisant, selon ses témoignages, du fait que l'usage du fauteuil roulant lui était garanti. En Russie, madame Gibeault apprendra de deux dames russes que les sclérosés comme elle sont confinés à leur résidence, sinon à leur chambre, faute des aménagements requis, et cela, partout, selon elles.

La limite, s'arrêtant à la prise en charge, d'après le témoignage même de P. Gibeault, tracée par E. Bélanger au téléphone, n'était certes pas un feu vert. Au mieux, un feu jaune, et qui pouvait nécessiter d'autres questions sur les autres conditions personnelles à réaliser.

Si on postule avec le témoin A. Ross que, à cause de la brochure P-2 annonçant un "hôtel de première classe", que le Rossya se devait de correspondre au standard hôtelier d'Amérique du Nord et que le seul fait de circuler partout à Moscou en fauteuil roulant dispensait P. Gibeault de s'enquérir auprès de l'agence vg de la qualité de la nourriture et de l'eau et de leur conformité à nos critères, le fardeau de preuve de la demanderesse devrait s'en trouver allégé.

Cette demanderesse assure au procès qu'elle s'est rendue à l'agence en fauteuil roulant. Son médecin dit lui avoir conseillé ce geste, madame Huard aussi. Mais P. Gibeault a déjà dit et elle le réitère qu'elle n'a pas cru bon de rediscuter de sa condition de paraplégique lors de sa visite à l'agence, justifiant ce mutisme par le seul spectacle d'une cliente circulant de la sorte en chaise roulante et devant un petit bureau de la salle commune. Elle spécifie: elle n'en a parlé qu'une fois, au téléphone, avant le 12 avril 1984, date de la visite.

Le 26 janvier 1995, elle déclare que E. Bélanger l'a accueillie et l'a référée à une agente dans un bureau; qu'aucune remarque ne fut faite alors sur son usage du fauteuil roulant.

2.   Les témoignages de madame Huard:

Le Tribunal note immédiatement que G. Huard recoupe assez bien les témoignages de P. Gibeault quant aux conditions prévalant en Russie. Et quoique cette corroboration n'est pas négligeable, on comprendra aisément que l'attention de la Cour se concentre sur les circonstances relatives à la formation du contrat telles qu'établies par cette autre demanderesse.

Celle-ci témoigna le 3 octobre 1989, et les 26 et 27 janvier 1995.

Le 3 octobre 1989, elle énonce le contenu de son entente avec P. Gibeault: elle accompagnerait celle-ci lors des sorties, mais advenant une certaine fatigue, prévisible dans les circonstances, madame Gibeault se reposerait à sa chambre, le jour, pour amasser ses ressources sur les représentations du soir. Bien entendu, dira madame Gibeault, aucune rémunération n'entrait en ligne de compte pour la jeune infirmière d'alors: 33 ans. À signaler au passage qu'elle s'acquitta du mieux qu'elle put dans les circonstances de ce mandat et que le sentiment de sa propre impuissance à soulager les maux physiques et moraux de son amie lui causa une forte anxiété dont elle s'ouvrit à celle-ci.

Tel que rapporté dans l'interrogatoire au préalable (page 58, I.p.), le 12 avril 1984, elle-même conseille à P. Gibeault de se rendre avec elle, assise, "pour qu'elle voit que madame était en chaise roulante" (page 58, I.p.) ... "pour qu'elle explique ce qu'elle pouvait faire et ne pouvait pas faire" ... "elle l'a fait" (page 59). La réponse? "Pas de problème, car vous serez accompagnée ...", page 59. Nous sommes à l'agence alors, selon G. Huard. Au procès, elle déclare tout autre chose: "Non, on n'a pas discuté de chaise roulante en tant que tel". Il n'y eut pas davantage de discussions sur le problème des personnes handicapées en Russie...

Avant de signer les papiers - I.p., page 59 -, on a décrit la situation de P. Gibeault à "la dame de qui on a pris le voyage, quand on a signé les papiers" (on s'était assuré de cela). P. Gibeault a expliqué à cette dame "qu'elle voulait manger avec le groupe et aller à l'opéra", loc. cit. page 60. Cela se passait avec une femme "dans un bureau" (pp. 60-61). C'était difficile de se rendre à l'agence à cause de la construction (page 61). Elle ignore le nom de la personne qui reçut le paiement.

Au procès, G. Huard allègue que P. Gibeault demanda à parler à madame Bélanger qui leur présenta (aussitôt?) une autre dame "pour finaliser", donc payer vraisemblablement. C'est donc à "l'autre" (sic) dame que "j'ai parlé du but du voyage". La réplique: "Pas de problème ... sauf pour la visite du métro". L'agente était "plus âgée". Pourtant P. Gibeault lui attribue de 25 à 30 ans, tandis qu'elle situe E. Bélanger dans la trentaine, ce qui est presque exact en 1984.

Puis, ce témoignage, survenant après les plus importants déposés par P. Gibeault, fait maintenir à son auteur que celle-ci devait être vue en chaise roulante et que, sauf pour le métro, "on n'a pas insisté sur les autres facettes (ou côtés) du voyage". Aucune précision demandée ou reçue sur les visites au programme. Madame Bélanger les accueille: "il n'y avait aucun problème, c'était implicite".

Et maintenant, nette modification: madame Huard dit qu'elle "ne croit pas que madame Gibeault a expliqué sa situation à l'agence". Confrontée à cette contradiction, G. Huard la nie.

Les demanderesses furent ré-entendues en contre-preuve, mais pour réfuter certains témoignages apportés en défense concernant des aspects physiques de l'Hôtel Rossya et que celle-ci tenta de faire ressortir au moyen d'une vidéocassette. Toutefois, les demanderesses n'apportèrent rien de plus aux circonstances de la formation du contrat, pas plus que la vidéocassette, évidemment.

3.   Les témoignages de Aline Ross:

Elle témoigna à la première journée d'audience le 15 avril 1993 et à la seconde journée, le 26 janvier 1995. Son témoignage du lendemain ne faisait que corroborer ce qui est évoqué au paragraphe précédent. Dans l'ensemble, ces témoignages portèrent surtout sur les événements de Moscou. Ce témoin, quoique infirmière elle aussi, comme G. Huard, ne connaissait pas les demanderesses avant mai 1984, ni ne les fréquenta par la suite, bien qu'elle fut fort compatissante au sort de P. Gibeault à tout le moins.

Quant à la naissance du contrat entre les demanderesses et Exotik, A. Ross, faisant partie du groupe, dut se rendre à deux reprises à cette agence. C'est bien madame Bélanger qui s'occupait de ce forfait, ce que cette dernière corrobore. Néanmoins, elle situe l'agence Exotik entre les 3ième et 5ième étages de l'édifice l'abritant. Or, elle est au 9ième, selon Bélanger. Elle allègue aussi qu'en sortant de l'ascenseur, on s'engage à droite dans un corridor pour y ouvrir, plus loin, la porte des bureaux. Or, d'après E. Bélanger, l'ascenseur s'ouvre de plain-pied avec la réception de l'agence.

Et même sur les événements de Moscou, elle contredit parfois les deux demanderesses. Son témoignage quant au traitement de la guide Tatiana et des préposés de l'hôtel est plus convaincant.

4.   Témoignage de E. Bélanger:

La défense, pour la question qui nous préoccupe, offre finalement le témoignage de Elyse Bélanger, 39 ans à l'audience du 27 janvier 1995, travaillant déjà pour Exotik depuis 16 ans, donc depuis 1979. Interrogée directement au sujet de la présence de la chaise de P. Gibeault, elle nie catégoriquement son existence et réitère à deux ou trois reprises cette réfutation. Elle n'en a jamais vu à l'agence et si elle avait vu un client circulant ainsi, elle l'aurait remarqué. Elle affirme sans détour qu'elle connaissait la situation existant en Russie relativement au manque d'aménagements appropriés, aux handicapés, et qu'elle aurait déconseillé à ce client ou cette cliente un pareil séjour.

Elle admet d'emblée qu'elle n'a nullement avisé Intourist du handicap de la demanderesse dont elle n'a jamais vu le fauteuil au lieu de son travail, répétons-le. Elle ne reconnaît pas non plus les demanderesses, alléguant qu'elle fait affaires avec un grand nombre de clients et de clientes dont elle s'occupe personnellement, sans les référer à des collègues. Ses entrevues durent quelques minutes. Elle se rappelle fort bien de cette promotion d'Exotik parmi les abonnés de Aria.

Quant au cadre, l'agence est située au 9ième étage d'un édifice de la rue Ste-Catherine. Le client, en franchissant la porte de l'ascenseur, se retrouve dans un petit salon, ou salle d'attente de l'agence protégeant l'accès dans une salle exiguë où sont disposés à la file quatre pupitres, tandis que le fond est partiellement occupé par le bureau fermé du patron, etc. Le témoin insiste: son bureau est sis dans cette salle commune où ne peut rouler en aucun cas un fauteuil de handicapé. Si, d'une part, E. Bélanger sait "pertinemment bien" qu'en U.R.S.S. "on n'est pas équipé" pour recevoir des personnes "en chaise roulante", car il n'y a pas de "rampes d'accès (...), de salles de toilette adaptées, il faut monter dans les avions", elle appelle néanmoins - sans doute à la suite d'un coup de téléphone: celui de madame Gibeault avant son passage à l'avance -, aux bureaux d'Intourist à Montréal. Avec force, elle affirme qu'elle n'a vu personne en chaise roulante à cette époque et même à toute autre époque. Si elle appelle, il ne peut s'agir alors que d'une personne s'aidant d'une canne.

Et, même à l'agence, elle ne se souvient pas de ces dames, dont l'une pouvait marcher avec une canne. De plus, si une personne handicapée avait réclamé sa présence, elle aurait quitté son pupitre du fond de la petite salle afin de se faire céder la place par un(e) collègue ayant le sien en avant. Rien de cela ne s'est produit.

D'où sa conviction que ces personnes marchaient lors de leur passage chez elle; autrement, elle aurait évidemment remarqué quelque chose, se serait avancée, etc.

À noter que P. Gibeault pouvait à cette époque marcher sans aide sur de courtes surfaces. Le voyage aura eu raison de cela.

Discussion du contenu de ce témoignage:

Par ailleurs, l'examen attentif des pièces P-10 indique la surprise de E. Bélanger lorsqu'elle reçut le télex de Intourist, qui précise que la cliente circule en chaise roulante. La réponse de E. Bélanger ne dit pas son ignorance de cette circonstance, mais rappelle le coup de téléphone au bureau de Montréal de Intourist exprimant que cette cliente pouvait faire le voyage pourvu qu'elle fut capable de monter et descendre les marches des autocars et avions. Ce dernier moyen de locomotion ne peut référer qu'aux longs escaliers accédant aux carlingues des aéronefs. Dès lors, il faudrait conclure que E. Bélanger aurait tu cet élément essentiel de l'information ainsi recueillie, à sa cliente qu'elle rappelait. Bien sûr, tout est possible, y compris une distraction de E. Bélanger. Mais alors, que penser de cet "aveu", si cela en est un, de E. Bélanger dans sa réponse bélinographique à Intourist - Moscou le 8 mai 1984 - qu'elle avait pris pourtant la précaution de téléphoner à la filiale montréalaise. Ou bien elle a mentionné en avril que sa postulante se déplaçait en chaise roulante, et Intourist passa outre à cet obstacle; ou bien E. Bélanger dit la vérité complètement dans sa version: la cliente devait alors s'aider d'une canne.

Dans la première hypothèse, E. Bélanger, pour Exotik, s'est convenablement renseignée et a transmis fidèlement à sa cliente l'information lui venant d'Intourist, bien que niant aujourd'hui cette information encourageante. Dans la seconde hypothèse, elle a soutenu avec cohérence une même version appuyée sur nombre de particularités matérielles inhérentes au fonctionnement de l'agence.

Le Tribunal a déjà mentionné que les demanderesses devaient s'acquitter d'un fardeau de preuve. Ici, il importe de souligner que leur prétention fondamentale consiste dans l'erreur à la source de leurs consentements donnés à ces achats de forfait, erreur née de la représentation qu'une personne comme P. Gibeault pouvait se mouvoir en chaise roulante pendant ce voyage fait d'un séjour à Moscou et d'un autre à Léningrad.

En raison des circonstances propres à cette cause, le Tribunal a cru bon d'analyser avec minutie les divers éléments apportés par chaque témoin relativement à la formation des deux contrats.

Du droit applicable:

Tant la doctrine que la jurisprudence se sont penchées sur le contenu obligationnel du contrat entre les consommateurs, d'une part, et l'agent de voyage et le grossiste, d'autre part; et entre ces deux derniers, le cas échéant.

Toutefois, les faits de la présente instance se situent davantage "à ras du sol" et cernent davantage la question de l'erreur dans le consentement: a-t-elle existé et, dans l'affirmative, a-t-elle été causée par les oeuvres de Exotik?

La revue de la preuve démontre que le problème de l'erreur sur l'identité de l'objet - Baudouin, Les obligations, 3ième Édition, 1989, Les Éditions Yvon Blais, Cowansville no 129 et ss., page 112 et ss. - , ici la possibilité pour madame Gibeault de se mouvoir en chaise roulante, a d'abord été posé et résolu, si l'on peut dire, par P. Gibeault. G. Huard n'a pas traité au départ avec l'agence.

L'examen de ces deux témoignages n'est guère concluant pour mesdames Gibeault et Huard. Leurs dépositions comportent en elles-mêmes des contradictions qu'il est impossible d'ignorer. De plus, dépendant des phases ou des témoignages de P. Gibeault, sa compagne la contredit. Ainsi, lorsque l'on comprend après maintes sinuosités et éléments opposés de preuve fournis par madame Gibeault qu'elle n'a parlé de son handicap qu'au téléphone, à une dame Bélanger et avant son passage à l'agence, comment prêter crédit à G. Huard qui, dans un premier temps, tente de se mettre à l'unisson de sa compagne lorsque son amie et aussi elle-même disent avoir expliqué à la représentante de l'agence le handicap, puis met une nette sourdine et même plus à ces explications: "C'était implicite", lorsqu'elle constate que madame Gibeault dit elle-même qu'après ce téléphone, elle n'a plus parlé de ce handicap, faisant alors son fer de lance du spectacle d'une cliente, elle-même, circulant en fauteuil à l'agence.

Malheureusement, le Tribunal ne peut tenir compte sous cet angle du témoignage de G. Huard.

Quant aux témoignages de P. Gibeault, toujours à ce moment précis des événements, la Cour ne peut mettre de côté les changements et glissements à travers leurs diverses phases aux contenus ondoyants, soit pour cause de mémoire défaillante, soit pour d'autres motifs.

Même le témoignage de A. Ross n'aide pas particulièrement les demanderesses dans sa phase "montréalaise".

Face à cette preuve tissée de divergences au lieu d'être unie par les liens d'une certaine prépondérance, le Tribunal est confronté avec le témoignage univoque, sans contradiction interne, et, somme toute, logique de E. Bélanger. Sa thèse vaut tout aussi bien que la dernière que P. Gibeault présente ultimement. On ne peux certes conclure à une preuve prépondérante quant à la détermination objective de l'auteur de l'erreur.

Il y eut quand même l'intervention d'un contrat entre les demanderesses et Exotik. Toutefois, la responsabilité de celle-ci à l'égard de mesdames Gibeault et Huard ne peut naître de l'erreur précitée.

Si, en l'occurrence, Exotik, qui se dit grossiste, a également agi comme agent de voyage, mais organisatrice de cette tournée, on peut énoncer qu'elle aurait assumé une obligation de résultat: Pilch et als. c. Le petit Roule Inc., C.Q. Montréal, 500-02-033827-861, 5 avril 1989, J. Brossard; Bacon c. Tours Mont Royal (1982) Inc., C.Q. Montréal, 500-02-019205-843, 25 mai 1993, J. Vermette ( J.E. 93-1134 ); Ouellet et al. c. Groupe Transat A.T. Inc. et als., C.Q. Hull, 550-02-000645-903, 4 décembre 1992, J. Dagenais, ( J.E. 93-189 ); Desrochers et als. c. Sahara Sol Tours et al., C.Q. Montréal, 500-02-026715-859, 26 janvier 1988, j. Robichaud; Burns c. Vacances carnivale (Québec) Ltée, (1986) R.J.Q. 941 (C.Q.).

Le Tribunal, s'il s'agissait de mesurer si un résultat était garanti, suit le jugement de M. le j. Châteauneuf dans Gosselin c. Services de voyages Yves Bordeleau Inc. (1990) R.J.Q. 1454 (C.Q.) et les mêmes principes qu'il réitère dans Turcotte c. Trottier (1992) R.J.Q. 509 (C.Q.): cette obligation incombe seulement à

"... celui qui a une obligation autonome de livrer une prestation, que ce soit de la marchandise ou un service, à une obligation de résultat ou de moyen" (loc. cit. 1460).


De la sorte, un mandataire ne pouvant être qualifié d'entrepreneur ne peut être assujetti à une obligation de moyen. Cela dit, dans l'hypothèse des rapports entre les défenderesses.

L'article 41 de la Loi sur la protection du consommateur (la "L.P.C.") L.R.Q. chap. P-40.1 ferait reposer en notre espèce sur les épaules de Exotik le devoir de recruter les informations pertinentes et de les transmettre à la cliente: Thérèse Rousseau-Houle, La responsabilité des agences de voyages: les tendances de la jurisprudence récente, (1983) 24 C. de D. 643-648:

"Non seulement l'agence doit-elle vérifier la légalité et la véracité de la publicité fournie par le grossiste, mais elle doit fournir certains éléments d'information additionnels."


Si l'on retient que E. Bélanger s'est renseignée auprès d'Intourist - Montréal, elle aura alors répondu aux exigences de la jurisprudence en vertu desquelles elle se devait d'aller aux informations, quitte, après coup, à conseiller adéquatement sa cliente: Bacon c. Tours Mont Royal (1982) Inc. et Agence de voyages Viau Ltée, J.E. 93-1134 (C.Q.); Ouellet c. Groupe Transat A.T. Inc. et autres, J.E. 93-189 (C.Q.); du devoir de conseil, J. Lande, Vincelli c. Boschi, (1982) C.P. 179 , p. 184; Legault c. Vacances sans frontière Ltée et Agence de voyage Air-Port Inc., C.Q. Montréal, 500-32-001134-891, 15 mars 1990, j. Bachand. En l'espèce, P. Gibeault et, par conséquent, G. Huard sollicitaient un service particulier, d'où l'obligation de s'assurer que les prestations de services pourraient satisfaire les désirs ou contingences du client: T. Rousseau-Houle, loc. cit., note 24, p. 650; Roland-Yves Gagné, La responsabilité des différents intervenants en matière de voyage, (1989) R. du B. 521-549.

Dans l'affaire Doran c. Demetelin, (1980) C.P. 234 , la demanderesse, qui voulait se rendre à Ste-Lucie, avait demandé à l'agent de voyage de vérifier si à l'hôtel "Halcyon Days", il y avait un ascenseur pour accéder à la salle à manger puisque sa nièce ne pouvait se déplacer qu'en chaise roulante. Informations prises auprès du grossiste, l'agent confirme la présence des aménagements nécessaires tant à l'hôtel qu'à bord de l'avion. Sur place, rien n'existait qu'un escalier parvenant à la salle à manger. La responsabilité du grossiste sera retenue par la Cour, mais non celle de l'agent:

"Le Tribunal n'a aucune hésitation à assimiler ceci à une faute grossière de la part de la compagnie Suntours Limited.


Les défenderesses, dame Sophie Demetelin et Superior Travel Agency Inc., ne sont certainement pas comptables à l'égard de la question de l'ascenseur pour se rendre à la salle à manger de l'hôtel Halcyon Days, puisqu'il s'agit du fait d'autrui et que, de plus, le Tribunal en vient à la conclusion qu'elles ont tout fait pour s'assurer qu'il n'y aurait aucun problème en ce qui concerne le trajet pour aller à la salle à dîner en question par dame Cheryl Doran dans sa chaise roulante." (loc. cit. pp. 235- 236).


En conséquence, le Tribunal, examinant les moyens pris par Exotik, estime que les demanderesses ont échoué dans leur fardeau de preuve d'apporter des éléments prépondérants démontrant des lacunes dans l'exécution du double devoir d'information et de conseil exécuté par Bélanger.

Les demanderesses n'ayant pas satisfait aux exigences des articles 1203 C.c.B.-C. ou 2803 C.c.Q. contre Exotik quant à la preuve de l'erreur, ne peuvent s'attendre à ce qu'il y ait un résultat garanti à tout le moins par la défenderesse Exotik.

B.   Nature du contrat et de la responsabilité de Exotik à l'égard de G. Huard, i.e. Exotik a-t-elle méconnu l'une ou l'autre de ses obligations à son endroit:

Compte tenu de ce qui précède, il est clair que le recours de G. Huard dépend en bonne partie, sinon totalement, de la validité du recours de la demanderesse Gibeault. Comme toutes les prestations que devait fournir Exotik ont été exécutées, sous réserve de la discussion à l'égard de la prestation particulière des aménagements appropriés pour des personnes handicapées, G. Huard, si elle était demeurée sur place, i.e. en Russie, aurait continué à jouir des différents éléments culturels qui se seraient poursuivis à Léningrad. Il y a lieu d'indiquer que cette demanderesse a encouru des dommages par le fait qu'elle ressentit, et très sincèrement, une grande anxiété de voir qu'elle ne pouvait venir en aide à son amie et qu'il y avait lieu pour elle de l'imiter dans sa démarche de rapatriement.

En d'autres termes, G. Huard a honoré son "contrat" moral auprès de P. Gibeault. Par ailleurs, cette entente amicale ne pouvait lier ni Exotik, ni Intourist. Il eut fallu que l'on tienne Exotik responsable du défaut d'accomplissement de ce contrat. Plus précisément, ce contrat d'accompagnement et d'aide est assujetti à l'art. 1028 C.c.B.-C. dans la mesure où il concernerait l'une ou l'autre des défenderesses:

1028.     On ne peut, par un contrat en son propre nom, engager d'autre que soi-même et ses héritiers et représentants légaux; mais on peut en son propre nom promettre qu'un autre remplira une obligation, et dans ce cas on est responsable des dommages, si le tiers indiqué ne remplit pas cette obligation.


Le Tribunal ne voit en aucune façon comment G. Huard, même dans l'hypothèse la plus favorable à la position juridique de son amie, madame Gibeault, peut réclamer quelque dommage que ce soit de la défenderesse Exotik.

Le Tribunal note incidemment que la preuve faite par G. Huard sur son séjour à Moscou ne mentionne en aucune façon que cette réclamante n'a pu profiter des divertissements, excursions et représentations d'opéras consignées au programme du séjour à Moscou.

G. Huard, par solidarité avec son amie et par générosité, a choisi de revenir à Montréal afin de la soutenir. C'était là, dans le cas de G. Huard, si elle avait eu droit à des dommages, les aggraver considérablement puisque sa compagne, même à partir de Moscou et jusqu'à son retour chez elle, a bénéficié de tous les aménagements possibles qui sont devenus, quasi par miracle, existants. Il est exact que P. Gibeault aurait bénéficié de la compagnie de G. Huard pendant toute la durée du trajet de retour.

En conséquence de cela, il n'y a pas lieu de faire droit à quelque demande que ce soit de G. Huard contre la défenderesse Exotik. À l'égard de Intourist, pas davantage, puisque G. Huard, bien portante en tout temps pertinent, n'a pas eu à déplorer pour elle-même une carence quelconque dans les services offerts par Aéroflot, l'Hôtel Rossya, etc.

Vu ce qui précède, le Tribunal ne croit pas devoir élaborer davantage sur ce point.

C.   Nature du lien entre Exotik et Intourist qui ferait de celui-ci un co-débiteur des demanderesses:

À ce sujet, il s'agit de vérifier si l'exonération de responsabilité de Exotik, faute de preuve prépondérante, emporte celle de Intourist.

Les demanderesses, même si elles ne pouvaient avoir une idée claire de la situation contractuelle de Intourist, ont pu lire d'abord, à propos des prestations qui les attendaient, dans l'agenda non publicitaire du voyage dressé par les soins de l'agence de Québec, mais relayé à Exotik pour sa clientèle montréalaise, que les voyageurs logeraient dans des "hôtels de première classe, chambre à deux lits avec bain ou douche; tous les transferts en U.R.S.S.; billets de spectacles selon itinéraires, dîner de gala, visites quotidiennes, trois repas par jour". Puis, dans l'itinéraire P-2A portant le logo d'Exotik, la description des mêmes prestations, avec la mention suivante à la fin:

"Tout autre service non mentionné n'est pas compris dans ce voyage."


On y souligne que le touriste y rencontrera à l'aérogare "votre guide Intourist", puis, passage à la douane, et "transfert du groupe jusqu'à l'hôtel réservé par Intourist. (Hôtel Rossia)".

En ce qui a trait à la prise en charge du groupe, il y est écrit:

***  VEUILLEZ NOTER: Intourist se réserve le droit de changer les hôtels mentionnés par d'autres de même catégorie.


***  VEUILLEZ NOTER: L'itinéraire ci-dessus ainsi que l'ordre des visites ou excursions est sujet à de légers changements par Intourist, Moscou. Votre guide-accompagnatrice Intourist vous donnera un horaire détaillé chaque jour quant aux heures de départ pour les visites ou excursions, repas, le dîner de gala et les spectacles."


P. Gibeault elle-même rappelle l'avertissement de madame E. Bélanger concernant l'absence de prise en charge en Russie d'un cas comme le sien: supra, p. 12. E. Bélanger, de son côté, tant par son témoignage qu'à demi par son télex, nie avoir averti Intourist de la condition de paraplégique de cette cliente, ayant simplement consulté Intourist sur une personne s'aidant d'une canne, selon l'immédiate déduction de la Cour.

Quant à la qualification de "hôtels de première classe", en tout temps pertinent, il était de notoriété publique que les standards nord-américains étaient loin d'être satisfaits en Russie soviétique en tout temps considéré. Les standards locaux des destinations exigent du voyageur sa propre évaluation critique: Burns c. Vacances carnivale (Québec) Ltée (1986) R.J.Q. 941 (C.Q.). Et les demanderesses l'ont virtuellement reconnu en ne se plaignant pas vraiment des conditions matérielles des chambres, pourtant d'une propreté moyenne. L'évaluation des dommages doit en tenir compte, d'ailleurs: Marier c. Exotik Tours, note 19, j. Boissonneault (C.P.) 1988 R.R.A. 301 , p. 303, où il s'agissait de la Chine.

Nicole L'Heureux, dans son ouvrage Droit de la consommation, 4ième Édition, 1993, Les Éditions Yvon Blais Inc., pp. 208 et ss., examine bien les relations juridiques entre le grossiste et l'agent de voyages, faisant état de la doctrine dominante (p. 209, note 487) qualifiant l'agent de mandataire du client. Avec raison, est-il souligné, cette qualification peut faire difficulté, surtout lorsque le grossiste est inconnu. Ce qui incite les tribunaux à relier l'agence aux manquements du grossiste.

En l'espèce, Exotik agit comme agent et organisateur du voyage, tandis que Intourist, cela est de connaissance judiciaire, était le "bras touristique" de l'état soviétique du temps. Et la pièce P-2A, supra, p. 32, note bien la latitude de Intourist. De sorte que la distinction classique étudiée par L. L'Heureux, op. cit. pp. 209 et 210, entre les statuts de grossiste et d'agent ne peut nous servir qu'analogiquement, mais suffisamment pour isoler ces deux intervenants.

Il s'ensuit de cette dissociation contractuelle entre les défenderesses quant à leurs devoirs respectifs envers P. Gibeault - il n'en est aucun à l'égard de G. Huard -, ne peut faire partager à Intourist le statut de co-débiteur des demanderesses. Sans donc que l'exonération de Exotik cause celle de Intourist, automatiquement, celui-ci n'encourt aucune responsabilité et n'en produit aucune à l'endroit d'Exotik qui rendrait celle-ci imputable envers ses clientes du fait de Intourist.

Signalons enfin que cette dissociation est comprise à tout le moins partiellement par les demanderesses qui ont demandé dans leur déclaration au Tribunal de prononcer la résiliation de leurs contrats contre Exotik seulement.

La demande a cité diverses décisions, toutes intéressantes mais non applicables au cas: Pétrin c. Voyages P.L.M., J.E. 83-793 : la publicité prodiguée aux demanderesses n'était nullement mensongère, compte tenu d'une preuve insuffisante à cet égard. Au même effet: Pednault et al. c. Canandes International Tours, J.E. 93-810 ; Joyal c. Étile Tours et Minerve, J.E. 93-729 , (1993) R.J.Q. 1143 à 1156: obligation de garantie non respectée; Gosselin c. Services de voyages Yves Bordeleau, loc. cit. supra, p. 25, traitant de la non-conformité du message publicitaire et de la garantie due par le commerçant; au même effet: Raymond c. Voyages Touring C.A.A. Québec, J.E. 92-1357 ; Turcotte c. Trottier, loc. cit. supra p. 25, sur l'absence d'exécution des services promis. Dans le cas présent, la preuve devait assurer qu'un certain service avait été promis; telle entreprise a échoué dans son effort, contrairement à ce qui est sanctionné dans L'Heureux, op. cit. p. 71 et ss. et id. ibid. p. 209 et ss. Quant au jugement de Eid c. Voyages Amica Travel Inc. et Jes Air, du 8 février 1995, 500-32-004816-932, M. le j. F.-Michel Gagnon, il a trait à des services de transport déficients, Amica ayant négligé de s'enquérir de la solvabilité du transporteur aérien.

Du côté des autorités citées par Exotik, le jugement dans l'affaire Marier c. Exotik Tours, supra, p. 33, traitait de la privation d'un service auquel le consommateur avait droit et qui ne put être presté en raison d'un cas de force majeure. Rien qui ne se relie à la présente cause. Pour le reste, M. le j. Boissonneault fait la différence entre l'appréciation de standards domestiques et celle des standards des pays visités. Au même effet: Vosinek c. Unitours Canada, 500-32-003477-835, M. le j. R. Bilodeau, maintenant de la Cour supérieure. Le sens des proportions doit être observé: Chevrette (?) c. Vacances sans frontières, 500-32-002507- 897, M. le j. R. Bourret, J.C.Q.; au même effet: Ferrara c. Vacances Multitours International, 500-32-000957-870, M. le j. S. Brossard, J.C.P.; également, L'Écuyer et al. c. Agence de voyages Atlas, Sun Tours, Canadian Pacific Hotels Ltd, M. le j. R. Hamel, C.P., 6 avril 1982. Quant à l'affaire Lambert c. Minerve Canada, J.E. 93-810 , le Tribunal n'y peut voir quelque espace d'application à la présente cause: Multitours, l'autre défenderesse, ne peut être responsable du cas fortuit empêchant les prestations du transporteur Minerve.

Autres jugements: Fichaud et al. c. Tours Mirabel et Voyage Travelaide, 16 mars 1995, M. le j. P. Verdy, C.Q., J.E. 95-1488 ; Vallée et Fafard c. Fonds d'aide aux recours collectifs, L.P.J. 93-1724 , M. le j. Robichaud. Voir également un tour d'horizon fait par R.-Yves Gagné in Développement récents en droit de la consommation, Droit du voyage, Les Éditions Yvon Blais Inc., 1994, Cowansville, pp. 33 et ss.: à la lumière des nouvelles dispositions du Code civil du Québec, la jurisprudence antérieure est analysée. Inter alia, loc. cit. p. 37, "l'agence n'est pas un assureur". À noter que Exotik n'a point dissimulé l'existence de Intourist: supra, p. 32, alors qu'un tel camouflage eût pu entraîner sa responsabilité: Gagné, loc. cit., p. 43.

En raison de ce qui précède, le Tribunal ne voit pas l'intérêt de répondre aux deux dernières questions en litige: supra, p. 5. Les défenderesses n'ont pu être convaincues d'une responsabilité quelconque à l'endroit de l'une ou l'autre des demanderesses qui devront être déboutées de leur action.

Quant au mis-en-cause Fraser, le charlatan, aucune preuve n'a été soumise par les demanderesses. Si cette partie au litige a survécu au transfert du dossier depuis la Cour supérieure jusqu'à la nôtre, l'action des demanderesses devra être rejetée, si nécessaire, sans frais, contre elle.

Malgré les ennuis réels éprouvés par la demanderesse et son amie, G. Huard, ainsi que la compassion morale que toute personne peut éprouver à leur endroit, le Tribunal ne peut refuser aux défenderesses les frais judiciaires, sauf une certaine mitigation.

En effet, la défenderesse Intourist a été représentée au cours d'une seule des trois journées d'audition. Les frais judiciaires de son procureur contre les deux demanderesses seront diminués des journées additionnelles des 26 et 27 janvier 1995. Les demanderesses en répondront conjointement.

Il n'y aura pas de mitigation aux frais judiciaires taxables en faveur des procureurs de la défenderesse Exotik. Les demanderesses devront donc les assumer conjointement.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL REJETTE comme suit l'action des demanderesses:

I.   REJETTE l'action des demanderesses contre le mis-en-cause Fraser, mais sans frais:

II.  REJETTE l'action des demanderesses à l'égard de la défenderesse Intourist, avec frais, mais sans ceux des journées additionnelles d'audition des 26 et 27 janvier 1995;

III. REJETTE l'action des demanderesses à l'égard de la défenderesse Exotik Tours Enr. (102150 Canada Inc.), avec frais.


                                   LUCIEN DANSEREAU, J.C.Q.

Me Charles Dupuis
Procureur des demanderesses

Me Paul Unterberg
Procureur de la défenderesse Exotik Tours Enr.
(Pas de procureur de la défenderesse Intourist)
(Pas de procureur du mis-en-cause Robert Fraser)

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.