Décision

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Salter c. Wei

2014 QCCS 5145

COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-072234-126

 

 

DATE :

LE 30 OCTOBRE 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

GÉRARD DUGRÉ, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

FRANCIS SALTER

            Demanderesse

c.

 

CHUN JING WEI

            Défenderesse

et

OFFICIER DE LA PUBLICITÉ DES DROITS

DE LA CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE DE MONTRÉAL

            Mis en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

I

[1]         Le Tribunal est saisi par la demanderesse d’une requête introductive d’instance en passation de titre relativement à un immeuble situé à Montréal, propriété de la défenderesse. La défenderesse conteste cette action et en demande le rejet.

[2]           Le présent litige en passation de titre illustre notamment l’importance de l’art. 1439 C.c.Q. en matière de modification de contrat.


II

 

[3]         Le contexte de la présente affaire, révélé par la preuve, se résume ainsi.

[4]         Madame Wei est propriétaire de l’immeuble en litige. Le 8 novembre 2011, elle signe un contrat de courtage (BC31261) avec M. Zhang, lequel expire le 31 mars 2012, visant à mettre en vente son immeuble pour un prix de 680 000 $. Ce contrat de courtage n’indique aucunement que la vente doit être faite sans la garantie légale[1].

[5]         Le 22 mars 2012, madame Salter signe une promesse d’achat (PP63349)[2] dans laquelle elle offre d’acheter l’immeuble pour un prix de 575 000 $. Cette promesse comporte diverses conditions particulières notamment que la signature de l’acte de vente soit faite chez le notaire Paul-Hus le ou avant le 1er mai 2012.

[6]         Le 26 mars, Mme Wei signe et soumet une contre-proposition (CP44658)[3] laquelle modifie la clause 4.1 de la promesse d’achat afin que le prix de vente soit de 582 500 $ et comporte d’autres modifications et ajouts.

[7]         Le 28 mars, Mme Salter signe et soumet une contre-offre (CP54868)[4], laquelle confirme le prix de vente de 582 500 $, un délai pour l’inspection de 30 jours, la valeur de 50 000 $ des équipements inclus dans le prix de vente et qu’un dépôt de 2 000 $ sera remis au notaire en fidéicommis payable lorsque toutes les conditions de la promesse d’achat seront remplies, applicable sur le prix de vente et remboursable si la promesse d’achat devient nulle. Cette contre-offre est irrévocable jusqu’au 29 mars à 23 h.

[8]         Le 30 mars, Mme Wei accepte la contre-offre CP54868. Cette acceptation par Mme Wei est produite comme pièce P-1 et comme pièce D-4. Mme Wei signe à droite sur le formulaire où il est clairement indiqué: «[...] The respondent acknowledges having read and understood this counter-proposal and having received a copy hereof».

[9]         Ce même jour, Mme Wei signe un formulaire d’amendement (AM74550)[5] et propose les amendements suivants: a) la contre-offre CP54868 est irrévocable jusqu’au 30 mars 2012, 23 h, et le contre-offrant doit recevoir notification d’acceptation dans les 48 heures; b) l’immeuble est vendu tel quel sans garantie légale de qualité. Il convient de citer le texte manuscrit de la clause M-2.3 intitulée « Other amendments » :

 

«- CP54868 P2.5

 

Until 23 :00 o’clock, on March 30, 2012, a period of 48 hours.

 

- This property is sold as is without legal warranty of the quality.»

 

[10]        Le 30 mars, à 22 h 30, Mme Salter signe à gauche et en bas du formulaire reconnaissant avoir reçu l’acceptation de la contre-offre signée par Mme Wei[6].

[11]        Ce 30 mars, Mme Salter signe aussi la déclaration du vendeur reconnaissant avoir reçu copie[7].

[12]        Le 4 avril, Mme Wei signe et remet confirmation de loyers[8].

[13]        Le 26 avril, Mme Salter reçoit la confirmation de son prêt hypothécaire[9].

[14]        Le 27 avril, l’inspection préachat de l’immeuble a lieu et le rapport de l’inspecteur André Bérard est produit au dossier[10].

[15]        Le 29 avril, Mme Wei signe la confirmation du prêt hypothécaire obtenu par Mme Salter pour payer une partie du prix d’achat[11].

[16]        Le 30 avril, Mme Wei transmet un courriel à M. Zhang dont le texte confirme que Mme Wei participe toujours au processus de vente de son immeuble à Mme Salter[12]. Le texte de ce courriel se lit ainsi :

Hi Joshua

For the sell of our property of 853-857 Du Couvent, as the seller, I absolutely need the buyer to sign the seller declaration stating that : The buyer is aware of the roof leaking problem, and the seller will sell the property as it is and without legal warranty. I also want this statement of the seller declaration to be written in the legal paper in front of the notary.

Our original selling price is 680,000$, it has been reduced to 582,500$. It is almost 100,000$ less than we expect to sell. This amount is more than enough to do any repair or renovation that it is necessary.

 

Regards,

 

Cathy Wei

 

[reproduit tel quel, soulignement ajouté]

 

[17]        Le 2 mai, le notaire Paul-Hus ouvre son dossier. C’est M. Zhang qui représente la vendeuse Mme Wei.

[18]        Le 4 mai, à 18 h 21, Mme Salter signe un formulaire d’amendements (AM75544)[13] et propose les amendements suivants a) clause 7.1, la signature de l’acte de vente se fera avant le 1er juin 2012; b) clause A2.1 : les ajustements se feront en date du 1er juin 2012; c) clause 8.1 : vu l’inspection, l’état de la toiture et l’état des équipements, il y aura une diminution du prix de vente de 2 000 $; et d) avant la prise de possession, Mme Wei devra retirer tous les biens non essentiels et n’ayant aucun lien avec les opérations de l’immeuble. À défaut, une somme de 500 $ sera retenue par le notaire afin de compenser l’acheteur pour l’enlèvement desdits biens.

[19]        Le 16 mai, Mme Salter dépose la somme de 2 000 $ auprès du notaire Paul-Hus[14].

[20]        Le 23 mai, le procureur de Mme Salter met en demeure Mme Wei de venir signer l’acte de vente le 1er juin 2012 au cabinet du notaire à 14 h[15].

[21]        Le 25 mai, le procureur de Mme Wei avise le procureur de Mme Salter[16] que l’amendement AM574550 (P-7) n’ayant pas été accepté par Mme Salter avant l’expiration du délai fixé au 30 mars 2012, 23 h, et Mme Wei n’ayant pas reçu une notification de l’acceptation dans les 48 heures (notamment que l’immeuble était vendu tel quel sans garantie légale de qualité), la contre-offre est devenue caduque. En conséquence, Mme Wei ne se rendra pas chez le notaire le 1er juin 2012 pour signer l’acte de vente.

[22]        Le 29 mai, Mme Salter dépose auprès de Me Paul-Hus le montant du prix d’achat de l’immeuble[17].

[23]        Le 1er juin, le notaire Paul-Hus a préparé un projet d’acte de vente[18] pour l’immeuble de Mme Wei en faveur de Mme Salter pour un prix de 582 500 $. Ce projet d’acte de vente comporte la clause suivante :

 

warranty

This sale is made without any warranty at the risks and perils of the Purchaser.

 

[24]        C’est dans ce contexte que la demanderesse intente, le 4 juin 2012, la présente action en passation de titre[19].

[25]        Le 11 juin 2012, le procureur de la défenderesse dépose sa comparution.

[26]        Le 15 juin, le procureur de Mme Salter avise le procureur de Mme Wei qu’il a fait publier une préinscription sur l’immeuble afin d’en empêcher la vente[20]. Ce même jour, le procureur de Mme Wei écrit au procureur de Mme Salter demandant confirmation que Mme Salter était consentante à acheter l’immeuble de Mme Wei «without legal warranty»[21].

[27]        Le 18 juin, le procureur de Mme Salter confirme que la demanderesse était consentante à acheter l’immeuble «without legal warranty »[22].

[28]        Le 19 juin, le procureur de Mme Wei écrit au procureur de Mme Salter et pose trois questions relativement à l’amendement AM74550[23].

 

 

 

 

 

III

 

[29]        Au début de l’audition, les procureurs des parties ont avisé le tribunal que l’ensemble des documents et des pièces étaient produits de consentement[24].

[30]        Me Charles Paul-Hus, notaire, Mme Angelisa Taylor ainsi que madame Salter ont témoigné en demande. Diverses pièces ont été produites au soutien de l’action de la demanderesse.

[31]        En défense, M. Joshua Zhang, M. Zhen Xiang Qiu et Mme Wei (en mandarin avec l’aide d’un interprète français) ont témoigné.  Diverses pièces ont été produites au soutien de la défense.

[32]        Le 26 février 2014, la défenderesse a apporté un amendement aux conclusions de sa défense afin d’ajouter une demande d’ordonnance de radier la préinscription faite le 29 mai 2012 sous le numéro 19 103 079 aux livres fonciers de la circonscription de Montréal et visant l’immeuble en cause.

[33]        Le tribunal référera aux éléments de preuve pertinents dans la mesure où il est nécessaire de le faire pour trancher le litige opposant les parties.

 

 

IV

 

[34]        Les questions en litige et la position des parties sont les suivantes :

 

a.    La demanderesse est-elle en droit d’obliger la défenderesse à lui passer titre pour l’immeuble en litige?

 

b.    Dans l’affirmative, quelle est la procédure d’exécution du jugement ordonnant la passation de titre?

 

 

 

 

*  *  *







 

 

[35]        Pour le procureur de la demanderesse, il ne fait aucun doute que la requête de sa cliente doit être accueillie. Selon lui, lorsque Mme Wei a accepté la contre-offre CP54868 (P-1/D-4), un contrat a été formé liant les parties par lequel Mme Wei devait vendre son immeuble à Mme Salter pour le prix de 582 500 $. Quant à l’amendement AM74550 (P-7/D-3) demandé par Mme Wei, notamment que l’immeuble soit vendu tel quel sans garantie légale de qualité, il n’a clairement pas eu pour effet de rendre caduque le contrat de vente de l’immeuble résultant de l’acceptation par Mme Wei de la contre-offre CP54868. Quoi qu’il en soit, le projet d’acte de vente P-11 préparé par le notaire Paul-Hus - que Mme Wei a été mise en demeure de signer le 1er juin 2012 -  prévoit que la vente est faite sans aucune garantie et aux risques et périls de l’acheteur.

[36]        Le procureur de la défenderesse plaide essentiellement que le défaut de Mme Salter d’accepter l’amendement AM74550 dans le délai imparti - à l’effet que la vente de l’immeuble est faite sans garantie légale de qualité - a rendu caduque la contre-offre CP54868 suivant l’art. 1392 C.c.Q. et l’arrêt de la Cour d’appel 3597024 Canada inc. c. Zimka Investments Inc., 2007 QCCA 702. En conséquence, le refus de Mme Salter d’accepter dans le délai imparti d’acheter l’immeuble sans garantie légale de qualité a rendu caduque la contre-offre et doit entraîner le rejet de sa requête en passation de titre.

 

V

 

[37]        Il importe maintenant de trancher les questions en litige. Avant d’y passer toutefois, quelques remarques préliminaires s’imposent.

[38]        L’art. 1712 C.c.Q. confère au bénéficiaire de la promesse d’achat, en l’espèce la demanderesse, le droit d’obtenir un jugement qui vaut titre si le vendeur, en l’instance la défenderesse, fait défaut de respecter la promesse. La jurisprudence en matière d’action en passation de titre exige généralement l’accomplissement de quatre critères : a) confirmer l’existence d’une promesse d’achat qui lie les parties; b) mettre en demeure l’autre partie de conclure l’acte de vente; c) lui présenter un acte de vente conforme à l’offre d’achat préalablement acceptée; et d) consigner le prix d’achat de l’Immeuble[25].

[39]        La jurisprudence récente de la Cour d’appel du Québec a assoupli les exigences en matière d’action en passation de titre et favorise dorénavant une approche moins formaliste : Houlachi c. Bray, J.E. 97-2114 (C.A.); Zanetti c. 2946-6117 Québec inc., 2012 QCCA 477.

 

 

a.         La demanderesse est-elle en droit d’obliger la défenderesse à lui passer titre pour l’immeuble en litige?

 

[40]        Pour les motifs qui suivent, le tribunal est d’avis que la demanderesse est en droit d’obliger la défenderesse à passer titre relativement à l’immeuble en litige.

[41]        La contre-offre CP54868 de Mme Salter comportait tous les éléments essentiels du contrat envisagé, à savoir la vente d’un immeuble précisément décrit pour un prix de 582 500 $. Il s’agissait donc d’une offre de contracter liant les parties en cas d’acceptation : art. 1388 C.c.Q. et art. 1708 C.c.Q.

[42]        L’acceptation de cette contre-offre par Mme Wei et la réception de cette acceptation par Mme Salter le 30 mars 2012, à 22 h 30, a fait en sorte qu’un contrat a été formé à ce moment à Montréal obligeant Mme Wei à vendre son immeuble, et Mme Salter à l’acheter - pour le prix de 582 500 $ :  art. 1387 C.c.Q.

[43]        Quant à l’amendement AM74550 proposé par Mme Wei et visant à modifier ce contrat pour que la vente de l’immeuble soit faite sans garantie légale, il était régi par l’art. 1439 C.c.Q. qui se lit ainsi :

1439. Le contrat ne peut être résolu, résilié, modifié ou révoqué que pour les causes reconnues par la loi ou de l'accord des parties.

[notre soulignement]

[44]        La demande d’amendement AM74550 de la défenderesse visant à vendre l’immeuble sans garantie légale était donc assujettie à l’acceptation de la demanderesse. En cas de refus, les termes du contrat initial étaient maintenus; en cas d’acceptation, le contrat était alors modifié du consentement des parties et la vente devait alors se faire sans garantie légale. Ainsi, le délai que la demanderesse a pris pour accepter l’amendement demandé par la défenderesse importe peu dans les circonstances puisque la défenderesse était de toute façon obligée de vendre son immeuble au prix convenu. C’est donc à son avantage et pour son bénéfice que la demanderesse a accepté d’acheter l’immeuble au prix convenu sans garantie légale, comme le confirme le projet d’acte de vente P-11 préparé par Me Paul-Hus que la défenderesse était en demeure de signer le 1er juin 2012.

[45]        Le comportement de Mme Wei subséquemment au 30 mars 2012 et l’acceptation subséquente par Mme Salter d’acheter l’immeuble sans garantie légale - confirmée par la clause « Warranty » du projet d’acte de vente préparé par le notaire - confirment sans équivoque que le 1er juin 2012, à 14 h, il n’existait plus aucun motif permettant à Mme Wei de refuser de vendre l’immeuble à Mme Salter au prix convenu[26].

[46]        Partant, le tribunal s’explique mal la volte-face de Mme Wei qui refuse de vendre son immeuble au prix convenu sans garantie légale comme elle le voulait. Son refus est, dans les circonstances, teinté de mauvaise foi et, à cet égard, le tribunal fait siens les sages propos du juge Baudouin dans l’arrêt Provenzano c. Babouri, [1991] R.D.I. 450 (C.A.), J.E. 91-822, auxquels souscrit le juge LeBel, tel qu’il était alors :

Par contre, notre droit des contrats est soumis à un autre grand principe qui est le respect de la parole donnée et l'exécution de bonne foi des engagements.  Un contractant ne peut refuser de respecter ses obligations en invoquant un simple prétexte ou tenter de se soustraire aux conséquences d'un contrat valablement conclu par de simples arguties.

[47]        Le tribunal est satisfait que la demanderesse a prouvé son droit d’obtenir judiciairement la passation du titre de l’immeuble en cause, que le prix de vente est disponible et que l’acte de vente notarié est conforme à la promesse d’achat acceptée et liant les parties.

[48]        Il reste maintenant à examiner les arguments de la défenderesse qui réclame le rejet de la requête de Mme Salter.

[49]        D’abord, le procureur de Mme Wei plaide que la contre-offre CP54868 était ouverte pour acceptation jusqu’au 29 mars, 23 h, alors que Mme Wei ne l’a acceptée que le 30 mars 2012, à 12 h. Ainsi, lorsque Mme Wei l’a acceptée, elle était caduque.

[50]        Cet argument ne peut être retenu. Le délai était stipulé par Mme Salter et elle pouvait donc y renoncer comme elle l’a fait dans les circonstances. De plus, ce délai n’était pas stipulé comme étant de rigueur et les circonstances factuelles confirment qu’il ne s’agissait pas d’un délai de rigueur[27]. En conséquence, l’acceptation par Mme Wei de la contre-offre CP54868 le 30 mars 2012, à 12 h, était parfaitement valide.

[51]        Ensuite, le procureur de Mme Wei soutient que l’amendement AM74550 est indivisible de la contre-offre CP54868 acceptée par Mme Wei et, en conséquence, le défaut par Mme Salter d’accepter dans le délai imparti cet amendement a rendu son acceptation de la contre-offre CP54868 caduque : art. 1392 C.c.Q.[28]

[52]        Avec égards, le tribunal est d’avis que cet argument doit échouer.

[53]        Le contrat de vente étant validement formé par l’acceptation de Mme Wei de la contre-offre CP54868, c’est donc l’art. 1439 C.c.Q. qui s’applique à l’amendement AM74550 proposé par Mme Wei.  Dès la réception par Mme Salter de l’acceptation par Mme Wei de la contre-offre CP54868, un contrat a été formé. Ainsi, à compter de ce moment, cette contre-offre a cessé d’être une offre et est devenue un contrat liant les parties. En conséquence, ce n’est pas l’art. 1392 C.c.Q. (« L’offre ... ») qui s’applique, mais bien l’art. 1439 C.c.Q. (« Le contrat ... »).

[54]        De plus, la preuve révèle que même si la proposition d’amendement AM74550 de Mme Wei n’était pas acceptée, cela ne constituait pas un « deal breaker ». Ainsi, le tribunal conclut, à la lumière de la preuve prépondérante, que la façon de procéder de Mme Wei et de son agent Zhang le 30  mars 2012  -  soit par acceptation de la contre-offre CP54868 et proposition d’amendement AM74550 - visait à lier l’acheteur Mme Salter pour de bon, tout en continuant la négociation pour que la vente se fasse sans garantie légale. D’ailleurs, la demanderesse donnera son accord sur cette question en mai 2012, lequel est reflété dans le projet d’acte de vente P-11, à la clause « Warranty ».

[55]        En conséquence, à défaut d’entente entre les parties, le contrat de vente intervenu le 30 mars 2012 par l’acceptation de la contre-offre CP54868 ne pouvait être modifié unilatéralement par Mme Wei. De plus, l’interprétation d’un contrat ou d’une clause contractuelle est une question de fait[29], ou tout au plus une question mixte de fait et de droit[30]. Or, à la lumière de l’ensemble des faits, et particulièrement du comportement de Mme Wei subséquemment au 30 mars 2012, le tribunal conclut que l’amendement proposé par cette dernière n’a pas invalidé le contrat résultant de son acceptation de la contre-offre CP54868[31].

[56]        Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un faux problème. En effet, en mai 2012, Mme Salter a consenti à acheter l’immeuble de Mme Wei sans garantie légale mettant ainsi de côté l’art. 1716 C.c.Q. Cet accord des parties a donc modifié le contrat qui liait les parties jusque-là et résultant de l’acceptation de la contre-offre CP54868 par Mme Wei le 30 mars 2012 : art. 1439 C.c.Q. Ainsi, Mme Wei n’avait plus aucun motif pour refuser de signer l’acte de vente notarié le 1er juin 2012.

[57]        Il reste à disposer de deux autres arguments soulevés par le procureur de Mme Wei. Premièrement, ce dernier soutient que la demande d’amendement AM75544 proposée le 4 mai 2012 par Mme Salter a résilié le contrat qui liait les parties jusque-là. On se rappellera que, par cette demande d’amendement, Mme Salter demande notamment une diminution de prix de 2 000 $ suite à l’inspection de l’immeuble.

[58]        Cet argument est sans fondement. En effet, la demande d’amendement de Mme Salter se heurte elle aussi à l’art. 1439 C.c.Q. À défaut d’acceptation par Mme Wei, cette demande d’amendement est demeurée sans effet, mais n’a clairement pas eu pour conséquence de résilier le contrat résultant de l’acceptation de la contre-offre CP54868 par Mme Wei le 30 mars 2012, faute d’accord pour le résilier. Le contrat est donc demeuré pleinement exécutoire entre les parties.

[59]        Enfin, le procureur de Mme Wei soutient que la procédure utilisée par l’agent Zhang le 30 mars 2012, à savoir l’acception de la contre-offre CP54868 et une demande d’amendement AM74550, était erronée puisque Mme Wei aurait dû refuser la contre-offre CP54868 et faire une contre-offre à Mme Salter stipulant l’absence de garantie légale.

[60]        Cet argument ne peut être retenu. Mme Salter est un tiers quant aux tractations entre Mme Wei et son agent, M. Zhang. Elles ne lui sont donc pas opposables dans les circonstances. De plus, le tribunal estime que Mme Wei avait de bonnes raisons pour procéder comme elle l’a fait.

[61]        En conséquence, le tribunal est d’avis que les arguments invoqués en défense par Mme Wei doivent être rejetés, et la requête en passation de titre de Mme Salter, accueillie.

[62]        En somme, le tribunal conclut que les conditions de validité de l’action en passation de titre sont remplies en l’espèce et qu’une réponse affirmative s’impose à cette question en litige.

 

 

 

b.         dans l’affirmative, quelle est la procédure d’exécution du jugement

            ordonnant la passation de titre?

 

[63]        Le recours en passation de titre peut être intenté dans une multitude de circonstances. Il est donc difficile de résoudre à l’avance tous les problèmes qui peuvent surgir lors de l’exécution d’un jugement faisant droit à un tel recours et obligeant une partie à passer titre à défaut de quoi le jugement équivaudra à titre.

[64]        C’est essentiellement pour cette raison que la clôture de la vente de l’immeuble s’effectue avec l’aide de la Cour si nécessaire. Tout problème ultérieur au jugement faisant droit à la passation de titre et toute question incidente à l’exécution du jugement en passation de titre peuvent être tranchés d’urgence sur simple requête : art. 564 et 576 C.p.c. (lesquels deviendront l’art. 659 dans le nouveau Code de procédure civile, Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, L.Q. 2014, c. 1).

[65]        Dans le cadre d’une action en passation de titre par un acheteur, comme en l’espèce, ce dernier doit établir, on l’a souligné, son droit à la passation de titre, que l’acte de vente qu’il intime le vendeur de signer est essentiellement conforme à la promesse d’achat acceptée et que le prix de vente est disponible pour être versé au vendeur lors de la signature de l’acte de vente, ou ultérieurement conformément au jugement rendu accordant la passation de titre. Les conclusions en passation de titre sont variées et la jurisprudence en fournit divers exemples : Houlachi c. Bray, J.E. 97-2114 (C.A.), REJB 1997-03174 (C.A.), par. 69 ; Zanetti c. 2946-6117 Québec inc., 2012 QCCA 477, par. 84 ; Hamakiotis c. Argyrakis, 2006 QCCS 2896, EYB 2006-106002 (C.S.), par. 54, confirmé par 2008 QCCA 312, EYB 2008-129756 (C.A.) ; 7700300 Canada inc. c. Narrainen, 2014 QCCS 235, par. 65-77.

[66]        En l’espèce, la demanderesse a reproduit les conclusions de l’arrêt Houlachi de la Cour d’appel dont les motifs ont été rédigés par le juge Fish, tel qu’il était alors, étant donné le financement hypothécaire accepté en l’espèce pour le paiement du prix d’achat de l’immeuble et le refus par la défenderesse de signer l’acte de vente P-11 préparé le notaire Paul-Hus.

[67]        Toutefois, les conclusions de la requête introductive d’instance amendée comportent certaines erreurs matérielles qu’il y a lieu de corriger : art. 468 C.p.c.; Placements G. Murray (Québec) ltée c. Enseignes Néon-Otis inc., J.E. 97-1565 (C.A.).

[68]        En effet, le procureur de la demanderesse a, en l’espèce, - probablement par inadvertance - oublié que le dernier paragraphe des motifs du juge Fish au soutien de l’arrêt Houlachi se lit ainsi :

 

I would leave intact the other conclusions of the judgment and return the file to Superior Court to determine adjustments to the agreed purchase price in accordance with the terms of the deed filed as exhibit P-22 in these proceedings and to distribute respondents' deposit into Court pursuant thereto.[32]

[69]        Ainsi, la conclusion suivante doit être ajoutée conformément à ce qui précède :

ORDERS parties to determine adjustments to the agreed purchase price in accordance with the terms of the deed filed as exhibit P-11 and to distribute Plaintiff’s deposit into Court pursuant thereto;

[70]        En ce qui concerne les autres conclusions du jugement de la Cour supérieure dans l’affaire Houlachi, la demanderesse pourra les obtenir par requête selon les circonstances, notamment que les parties aient décidé de signer l’acte de vente P-11 ou que jugement équivaille à titre. 

 


VI

[71]        En somme, le tribunal conclut que la demanderesse a fait la preuve de ses droits. Quant à la défenderesse, le tribunal est d’avis qu’elle n’a ni prouvé les faits ni démontré le bien-fondé de ses arguments par lesquels elle demande le rejet de l’action de la demanderesse.

[72]        La promesse d’achat acceptée est un contrat - et le contrat la loi des parties -, la demanderesse est donc en droit d’exiger que la défenderesse lui passe titre de l’immeuble ou, à défaut, d’obtenir du tribunal un jugement qui en tienne lieu. Malheureusement, le droit des contrats n’autorise pas une partie à refuser d’honorer ses engagements simplement parce qu’elle a changé d’avis ou qu’elle regrette le prix de vente convenu.

[73]        En conséquence, le tribunal est d’avis d’accueillir la requête introductive d’instance amendée en passation de titre de la demanderesse. La contre-offre a été acceptée en mars 2012 et les procédures intentées en juin 2012. Une certaine souplesse doit donc être accordée à la demanderesse pour lui permettre de vérifier l’état de l’immeuble.

 

WHEREFORE, THE COURT :

 

[74]        GRANTS Plaintiff’s Amended Motion Introductive of Suit « en passation de titre » dated February 25, 2014;

[75]        declares that Plaintiff, upon depositing in the office of the Superior Court, District of Montreal, by way of certified cheque, the sum of $582,500.00 (representing the purchase price), shall become owner of the immoveable property described as follows:

«An immoveable property fronting on Du Couvent Street in the City of Montreal, known and described as being the lot number […] upon the Official “Cadastre du Québec” in the Land Registry Office of Montreal.

Together will all its rights, members and appurtenances and all the buildings thereon erected, notably a house having the civic address of […], City of Montreal, Province of Quebec, […].

Subject to all servitude affecting the said immoveable, and namely subject to servitude of view published under number 3 716 142.

Are also included in the present sale all items enumerated in the preliminary contract signed between the Parties.»;

[76]        orders Plaintiff to make the required deposit within forty-five days from the date of this judgment and to serve upon Defendant and all impleaded parties, within seven days of making the deposit, a certified copy of the receipt issued by the Court;

[77]        declares that Plaintiff, failing deposit of the amount mentioned within the delay granted or within such further delay as this Court, upon motion served on Defendant and filed within forty-five days of the present judgment, may fix, shall be deemed to have renounced her claim to the property in virtue of the present judgment;

[78]        orders Plaintiff, within seven days of depositing payment into Court, to serve certified copies of this judgment and of the receipt for payment on all interested parties, including registered hypothecary creditors and municipal and school taxing authorities;

[79]        ORDERS parties to determine adjustments to the agreed purchase price in accordance with the terms of the deed filed as exhibit P-11 and to distribute Plaintiff’s deposit into Court pursuant thereto;

[80]        DISMISSES the defence and cross-demand;

[81]        The whole with costs against Defendant. 

 

 

 

 

 

 

 

____________________________

GÉRARD DUGRÉ, J.C.S.

 

 

Me Stéphane Sigouin

bernard & brassard

Procureurs de la demanderesse

 

Me Gilles Poulin

Procureur de la défenderesse

 

 

 



[1]     Pièce D-1.

[2]     Pièce P-2.

[3]     Pièces P-6 et D-2.

[4]     Pièce P-1.

[5]     Pièce P-7 et D-3.

[6]     Réception de l’acceptation de CP-54868 produite comme pièce P-1.

[7]     Il s’agit du document DS-19006 produit comme pièce P-9.

[8]     Pièce P-12.

[9]     Pièce P-10.

[10]    Pièces P-13 et D-5.

[11]    Pièce P-10.

[12]    Pièce P-16.

[13]    Pièces P-8 et D-6.

[14]    Pièce P-14.

[15]    Pièce P-3.

[16]    Pièce P-4.

[17]    Pièce P-15.

[18]    Pièce P-11.

[19]    Le timbre judiciaire de la requête introductive d’instance porte la date du 4 juin 2012 et le rapport de signification à la défenderesse est daté du 6 juin 2012.

[20]    Pièce P-5, qui indique que le numéro de publication de la préinscription est 19 103 079.

[21]    Pièce D-8.

[22]    Pièce P-5, en liasse.

[23]    Pièce D-8 en liasse.

[24]    Soit les pièces P-1 à P-15 et les pièces D-1 à D-8. Par la suite, d’autres pièces ont été produites lors du procès.

[25]    Anne-Marie williams, « Action en passation de titre », dans Développements récents en droit immobilier et commercial, S.F.C.B.Q., 2006, La référence, EYB2006DEV1219; cité avec approbation dans 144286 Canada inc. c. 9121-6788 Québec inc., 2009 QCCA 2398, par. 59-60.

[26]    Sur la force obligatoire et l’irrévocabilité du contrat suivant l’art. 1439 C.c.Q. et la modification bilatérale d’un contrat de l’accord des parties, voir généralement Didier Lluelles et Benoît Moores, Droit des obligations, 2e éd, Montréal, Éditions Thémis, 2012, no 2209-2215, p. 1271-1277; Jean-Louis baudouin et Pierre-Gabriel jobin, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, n94, p. 147; Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins inc., 2014 CSC 51, par. 29.

[27]    Sur les délais stipulés dans une offre d’achat d’un immeuble accepté, voir généralement Dubord Construction inc. c. Elkman Development Corp., 1991 CanLii 3407 (C.A.); Yves robillard, « Le contentieux de l’offre » dans Développements récents en droit des affaires, Service de la formation continue du Barreau du Québec, 2013, EYB2013DEV2012.

[28]    Au soutien de son argument, le procureur de la défenderesse cite aussi l’arrêt de la Cour d’appel rendu dans 3597024 Canada inc. c. Zimka Investments Inc., 2007 QCCA 702. Après analyse de cette décision, le tribunal conclut qu’elle doit être distinguée vu la situation factuelle fondamentalement différente dont était saisie la Cour d’appel dans cet arrêt.

[29]    Massicap inc. c. Sun Life Assurance Company of Canada, 2014 QCCS 66, par. 30 et suiv.

[30]    Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, par. 50.

[31]    Art. 1426 C.c.Q.; Garneau c. Diotte, [1927] R.C.S. 261, 267-268; Dufort c. Dufresne, [1923] R.C.S. 126, 130-132.

[32]    Le jugement rendu par le juge Barbeau de la Cour supérieure est publié : Bray c. Houlachi, [1995] J.Q. no 1070 (ln/ql). Les conclusions de ce jugement se lisent ainsi :

38  POUR CES MOTIFS, LA COUR
1. MAINTAIN Plaintiff's action;
2. DECLARE the Plaintiffs' owner of the immoveable property more fully described as follows: [...]
3. ORDER the Defendants George Houlachi and Murielle Legault to execute the Deed of Sale of the aforesaid immoveable to Plaintiffs before Notary Danièle Laberge (Exhibit P-22) within ten (10) days of the Judgment to be rendered herein and in default of same, ORDER that the Judgment to be rendered herein constitute a valid Deed of Sale and/or title in favour of Plaintiffs of the immoveable;
4. AUTHORIZE that the Judgment be immediately registered against title of the immoveable;
5. DECLARE the tender and/or attempted tender of the Deed of Sale (Exhibit P-22) alleged in Paragraphs 29, 30, 31 and 32, and the putting in default of the Defendants (Exhibits P-25 and P-26) to constitute a good, valid and binding tender of the said Deed of Sale and Purchase Price;
6. ORDER the Mise-en-Cause Caisse Populaire Desjardins Sainte-Geneviève de Pierrefonds to discharge the existing mortgage as described in Exhibit P-24 upon payment of said mortgage, and to sign the said discharge after payment from the sums tendered;
7. ORDER the Mise-en-Cause Sashi Nalianda-Ajjamada and Shapour Khanezadek to pay their rental to Plaintiffs as of the date of the Judgement herein;
8. CONDEMN the Defendants, George Houlachi and Murielle Legault, solidarily to pay Plaintiffs the sum of THIRTY-FIVE THOUSAND THREE HUNDRED AND TWENTY-THREE ($35,323.15) dollars and fifteen cents the whole with interest at the rate of eight (8%) per cent per annum as from the date of the present action.
9. RESERVE UNTO Plaintiffs any and all other recourses, and claims which it may have against the Defendants;
10. ORDER the Mise-en-Cause Registrar for the Registration division of the City and District of Montreal to take note of the present action, and to be bound by the Judgment to be rendered herein;
11. 
The whole with costs
12. REJETTE la requête en radiation de l'hypothèque de la London Life Insurance, sauf à se pourvoir.

 

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.