Tokar c. Poliquin |
2013 QCCS 1889 |
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JM2232 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TERREBONNE |
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N° : |
700-17-006493-091 |
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DATE : |
Le 1er mai 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE PAUL MAYER, J.C.S. |
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MARIE-HÉLÈNE TOKAR |
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ROLAND BOUCHER |
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DEMANDEURS |
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C. |
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MARIE-CLAUDE POLIQUIN |
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DÉFENDERESSE/DEMANDERESSE EN GARANTIE |
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LA COMPAGNIE MUTUELLE D'ASSURANCE WAWANESA |
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DÉFENDERESSE EN GARANTIE |
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JUGEMENT |
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1. INTRODUCTION
[1] Défigurée après avoir été attaquée par le chien de Marie-Claude Poliquin, Hélène Tokar et son époux recherchent sa responsabilité civile.
[2] Ils lui reprochent d’avoir possédé un chien de race Pitbull alors que cela est proscrit par la réglementation municipale, de n’avoir pas gardé l’animal hors de portée et de l’avoir laissé libre de ses mouvements, sans surveillance adéquate.
[3] De son côté, Mme Poliquin allègue que la victime est l’artisane de son propre malheur. Elle appelle son assureur en garantie afin qu’il prenne fait et cause puis l’indemnise en cas de condamnation contre elle.
[4] L’assureur nie couverture étant donné que Mme Poliquin a omis de dénoncer qu’elle se livrait à des activités commerciales interdites par la police d’assurance à savoir l’élevage de chiens.
2. QUESTIONS EN LITIGE
[5] Une requête pour scinder l’instance fût accordée le premier jour du procès.
[6] Dans un premier temps, le Tribunal doit déterminer si Mme Poliquin peut être tenue responsable de l’accident et, le cas échéant, si elle est couverte par sa police d’assurance. La question du quantum des dommages ne sera résolue que dans un deuxième temps, dans l’éventualité où Mme Tokar aurait gain de cause.
3. LES FAITS
3.1 L'accident
[7] Mme Tokar est âgée de 45 ans. Elle habite une fermette à St-Hippolyte (la « Municipalité ») avec son mari et ses cinq enfants.
[8] Elle a un attachement particulier pour les animaux depuis toujours. À l’époque elle se souvient d’avoir eu quatre ou cinq chiens danois, une douzaine de chevaux, des chèvres, des poules, des chats, des lapins et des pigeons.
[9] En avril 2008, elle obtient un emploi avec le Service de protection canine des Monts (la « SPCM »), l’organisme mandaté afin d’octroyer les licences aux propriétaires de chiens et de s’occuper du contrôle canin dans la Municipalité.
[10] Au même moment, le conseil de la Municipalité adopte le Règlement no. 791-98-1[1] concernant les animaux domestiques. Il y est entre autres prévu que :
a) tout gardien de chiens doit faire enregistrer et licencier chaque chien;
b) aucune personne ne peut garder plus de deux chiens; et
c) tout chien de race bull-terrier et tout chien hybride issu d’une telle race constitue une nuisance et est prohibé.
[11] C’est dans le cadre de son travail que Mme Tokar rencontre Mme Poliquin pour la première fois. Cette dernière habite à une distance de moins d’un kilomètre de sa maison.
[12] Mme Tokar dit ne pas avoir vérifié le nombre ou les races des chiens de Mme Poliquin ce jour-là. Elle renouvelle huit licences pour chiens incluant celle concernant Penny, une Pitbull de 60 livres, âgée de quatre ans. Par contre, elle inscrit le mot « Terrier » au lieu de « Pitbull ». Elle délivre également des permis pour deux Shitsu, deux Chiwawa, un Akita, un West-Highland et un Husky.
[13] Une relation d’amitié nait rapidement entre les parties grâce à leur passion commune pour les chiens et les animaux. Elles se voient trois à quatre fois par semaine : « elles se parlent, pas de mal de tout ». Leurs enfants se fréquentent. Ils font des fêtes et des ventes de garage en famille. Puisque Mme Poliquin n’a pas d’automobile, elles magasinent parfois ensemble. Les liens entre les deux clans sont serrés.
[14] Mme Poliquin aime consulter Mme Tokar lorsqu’elle a des questions concernant ses chiens étant donné sa grande expérience.
[15] Parfois, Mme Poliquin accompagne Mme Tokar quand elle vend des licences pour chiens. Lorsqu’un des Danois de Mme Tokar a une portée de 22 chiots, Mme Poliquin est là pour l’aider. À la mi-septembre 2008, elles achètent neuf chiots Labrador, pures races, à Prévost. Elles les font vacciner et vermifuger et conviennent de partager les profits. Mme Poliquin se souvient d’avoir fait cela ensemble fréquemment. Mme Tokar évoque également d’être allée à la SPCM pour recueillir des chiens et les porter chez Mme Poliquin pour qu’elle puisse s’en occuper et les vendre ou les donner.
[16] Le 26 septembre 2008, Penny donne naissance à six chiots. Il s’agit de sa première litée. Elle aurait été accouplée avec le Boxer que Mme Poliquin a vendu à Jean-Philippe, le fils de Mme Tokar.
[17] Penny rejette un des chiots et refuse de le nourrir.
[18] Mme Poliquin téléphone à Mme Tokar pour lui demander quoi faire. Elle répond qu’elle a du lait de chèvre dans son congélateur qui contient du colostrum nécessaire pour qu’un chiot puisse survivre les 24 premières heures. Elle propose qu’on lui apporte le chiot, ce qui est fait.
[19] Elle le place dans une petite boîte pour le tenir au chaud, le nourrit au biberon et veille sur lui pendant 24 heures, incluant toute la nuit sans dormir.
[20] Le lendemain, elle décide de rapporter le chiot à sa mère.
[21] La version des parties diffère sur ce qui se passe dans les minutes qui suivent. Examinons chacune d’elles.
[22] Mme Tokar soutient que lorsqu’elle arrive chez Mme Poliquin, la porte extérieure est ouverte.
[23] Elle rentre dans la cuisine, le chiot dans les bras, enveloppé dans une couverture. Elle appelle « Marie-Claude » qui lui répond en la saluant tout en entrant dans la cuisine. Mme Tokar lui dit : « j’ai ton p’tit chiot […] il a eu du colostrum pour 24 heures, il est correct. »[2]
[24] Mme Poliquin l’aurait invitée à aller porter le chiot à sa mère : « viens, on va aller l’porter à Penny. Elle va être contente de voir son p’tit chiot.»[3]
[25] Elle lui demande de la suivre dans sa chambre à coucher (dont la porte était ouverte) à l’endroit où Penny est couchée dans une garde-robe entourée de ses petits chiots.
[26] Mme Tokar se souvient : « Je suis venue pour dire, allo Penny, puis je n’ai pas eu le temps »[4]. Selon elle, Penny ne fait aucun mouvement, ne grogne pas, ne montre pas les dents ni ne baisse les oreilles. Elle lui saute soudainement dessus et la mord au visage.
[27] Presque cinq années après cet événement, il est normal que les deux personnes présentes aient des souvenirs différents.
[28] Mme Poliquin relate que le matin du 27 septembre, elle est allée chez le vétérinaire pour faire couper les queux des chiots de Penny (pour mieux les vendre).
[29] Lorsqu’elle revient, Penny est contente de voir ses petits. Elle les place ensemble dans un panier dans le placard de sa chambre dont elle ferme la porte.
[30] Elle retourne à la cuisine pour se faire un café lorsque son fils qui se trouvait à l’extérieur de la maison, s’approche de la porte pour lui dire que Mme Tokar vient d’arriver. Étonnée, elle lui répond: « Ben, voyons donc .[…] pas déjà pour venir porter le chien? » Elle se souvient : « Je capotais un peu, parce que je me disais : on peut pas aller voir la chienne tout de suite avec le bébé ».[5]
[31] Mme Tokar entre et confirme qu’elle veut remettre le chiot à Penny. Mme Poliquin lui répond que ce n’est pas une bonne idée. Elle tente de la convaincre que ce n’est pas le temps : « elle vient d’accoucher, ça peut être dangereux ».[6] Elle lui répète ceci quelques fois. Son fils abonde dans le même sens. Mme Tokar insiste de sorte que Mme Poliquin déclare : « Bien on va y’aller, mais si elle grogne, on va revirer bord tout de suite ».[7]
[32] Elles se dirigent vers la chambre. Mme Poliquin ouvre la porte. Elles marchent quelques pas vers la garde-robe, une à côté de l’autre. Mme Poliquin entend Penny grogner. Elle se tourne vers son amie et lui dit : « Elle vient de grogner. » Elle lui touche le bras en s’en allant vers la porte qui est fermée et lui dit : « On sort d’icitte, la, ça peut être dangereux, la.».[8] Elle pense que Mme Tokar la suit. En ouvrant la porte, elle se retourne et voit que Mme Tokar s’est penchée vers Penny.
[33] Tout se passe très vite. Elle voit que Penny a arraché le nez de Mme Tokar qui tente de se relever. Elle constate que son amie est gravement blessée.
[34] Mme Poliquin est en choc : « J’ai comme perdu la tête un peu. » Elle met Penny dans la salle de bain et téléphone au service d’urgence.
[35] Le premier à arriver sur la scène est un policier, l’agent Guy Bélanger. Il témoigne que Mme Poliquin lui mentionne à plusieurs reprises : « Je lui avais dit pourtant de ne pas s’approcher d’la chienne ».[9] Il note ce qui suit dans sa narration des événements :
C’est en allant porter le chiot à la chienne, malgré les indications contraires de Mme Poliquin, que Mme Tokar s’est fait sauter au visage par la chienne.[10]
[36] Puis, il rédige une déclaration concernant l’évènement que Mme Poliquin signe.[11]
3.2 Les conséquences de l’accident
[37] Mme Tokar a subi de nombreuses interventions chirurgicales (plus de 100 heures) dans le but de lui reconstruire un visage. En plus, elle a eu quatre accidents vasculaires cérébraux et a été dans un état constant de dépression.
[38] Mme Tokar relate que cet accident a bouleversé la vie de plusieurs. Cela: « a démoli ma vie au complet […] ma famille […] mes enfants […] mon mari, tout ce que j’avais, j’ai été obligée de tout vendre, parce qu’on arrivait plus. J’ai vendu mes chevaux, j’ai vendu mes bijoux […] on n’a pu d’argent, on n’est plus capable d’arriver […] j’ai été dans des douleurs, là, c’est épouvantable, ça se compte même pas. »[12]
[39] M. Boucher, marié avec Mme Tokar depuis 1991, a aussi vu son existence basculer. Il a dû prendre en charge toutes les obligations familiales. Il a aussi traversé des périodes de dépression et sa vie matrimoniale fût compromise.
[40] Quant à Mme Poliquin, elle a quitté la résidence qu’elle habitait depuis plus de 20 ans, environ une semaine après l’accident : « parce que je n’étais pas bien dans cette maison […] on se chicanait […] j’avais pu de patience, lui non plus […] on avait trop de mal […] on ne s’endurait plus. »[13]
[41] Elle est maintenant locataire : « Je n’ai plus rien. J’ai pas d’auto, rien. Je suis à pied. »[14] Mme Poliquin ne travaille pas. Ses sources de revenus sont ses allocations familiales et l’aide sociale.
3.3 Les procédures légales
[42] Les 12 décembre 2008 et 8 octobre 2009, deux mises en demeure furent transmises à Mme Poliquin par les demandeurs.
[43] Wawanesa fut informée de l’accident le 13 janvier 2009.
[44] Le 25 mai 2009, Wawanesa avisa qu’elle considérait que la police d’assurance était nulle et ab initio puisque les assurés avaient fait une fausse déclaration.
[45] La Requête introductive d’instance est signifiée le 13 octobre 2009.
[46] Le 11 janvier 2011, Mme Poliquin entreprend une Requête introductive d’instance en garantie contre Wawanesa.
4. QUI EST RESPONSABLE DE L’ACCIDENT?
4.1 La position des parties
[47] Mme Tokar soutient que Mme Poliquin est responsable de l’accident. Voici comment elle formule son point de vue dans sa Requête introductive d’instance amendée :
2. Tel qu’il le sera démontré lors de l’audition, il ne fait aucun doute que la défenderesse est responsable de l’accident survenu le 27 septembre 2008 et causant des dommages corporels importants à la demanderesse Marie-Hélène Tokar puisque ledit animal, propriété de la défenderesse, n’étant pas gardé hors de la portée de la demanderesse Marie-Hélène Tokar, a surpris cette dernière par une attaque sauvage qui a duré quelques secondes;
3. La défenderesse a fait défaut d’assurer la sécurité du public et particulièrement des gens invités à son domicile en permettant qu’un tel animal, nommément proscrit par la réglementation municipale de la Municipalité de Saint-Hippolyte, soit laissé libre de ses mouvements et sans surveillance, le tout tel qu’il appert à ladite réglementation municipale déposée au soutien des présentes sous la cote P-1;
[48] Quant à Mme Poliquin, elle maintient que Mme Tokar est l’artisane de son propre malheur. Elle soutient qu’elle a fait preuve de toute la diligence raisonnable pour empêcher que ne survienne l’accident.
4.2 Le droit
[49] L’article 1466 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») créé une présomption de responsabilité à l’endroit du propriétaire d’un animal :
1466. Le propriétaire d'un animal est tenu de réparer le préjudice que l'animal a causé, soit qu'il fût sous sa garde ou sous celle d'un tiers, soit qu'il fût égaré ou échappé.
La personne qui se sert de l'animal en est aussi, pendant ce temps, responsable avec le propriétaire.
[50] L’honorable Jean-Louis Baudouin écrit que la responsabilité du propriétaire peut être qualifiée de responsabilité sans faute :
Malgré certaines hésitations de la jurisprudence, la responsabilité du propriétaire et de l’usager peut être qualifiée de responsabilité sans faute reliée au risque. Ceux-ci créent, par la simple présence de l’animal, un risque général pour les tiers. Si ce risque se réalise et que l’animal cause un dommage, leur responsabilité est alors engagée, peu importe qu’ils aient pris les moyens raisonnablement prudents et diligents pour prévenir sa survenance.[15]
[51] Cette présomption de responsabilité peut-être repoussée si le propriétaire démontre que le préjudice résulte d’un cas fortuit ou d’une force majeure, de la faute d’un tiers ou de la faute de la victime.
[52] L’honorable Jean-Louis Baudouin enseigne que la faute de la victime peut exonérer le propriétaire ou mitiger sa responsabilité:
Généralités - La faute de la victime peut servir soit à éliminer totalement la responsabilité du gardien, soit à la mitiger lorsqu’elle n’a fait que contribuer au préjudice subi. D’une manière générale, les tribunaux exigent une prudence élémentaire à l’égard des animaux dont les réactions sont souvent imprévisibles, et retiennent une faute chez la victime qui n’a pas observé cette prudence en provoquant l’animal, en l’effrayant, ou en ne prenant pas à son endroit les précautions que la situation imposait.[16]
4.3 L’analyse
[53] En l’espèce, la présomption de la responsabilité de Mme Poliquin énoncée à l’article 1466 C.c.Q. s’applique puisqu’elle est propriétaire de Penny qui est à l’origine des dommages subis.
[54] La seule question qui demeure est de savoir si Mme Poliquin a établi de façon prépondérante que Mme Tokar a commis une faute de nature à éliminer sa responsabilité.
[55] Pour aller directement au cœur du sujet, le Tribunal doit apprécier laquelle des deux versions de l’accident est la plus crédible et probable.
[56] Le Tribunal retient le témoignage de Mme Poliquin pour plusieurs raisons.
[57] Un fait important à souligner, Mme Tokar a subi une terrible épreuve à un moment où elle n’avait pas dormi de la nuit.
[58] De plus, elle a un intérêt manifeste. Il existe différents aspects de son témoignage qui illustrent qu’elle ne concède aucun point qui va à l’encontre de sa cause, au point de défendre l’indéfendable à certains moments.
[59] Un des exemples les plus frappants est lorsqu’elle explique avoir entendu dire que ce n’est pas dangereux de s’approcher d’un animal qui vient d’accoucher :
Q - Puis est-ce que vous pensez que, en général, tous les chiens réagissent de la même façon que vos danois, toutes les chiennes qui viennent d’accoucher réagissent de la même manière que votre chien danois, là?
R - Ah, j’en ai aucune idée.
Q - Vous n’en avez aucune idée?
R - Je leur ai pas demandé, là.
[…]
Q - […] est-ce que vous avez entendu dire qu’à un moment donné peut-être que les chiennes sont plus protectrices, là, de leur chiots quand elles viennent de les avoir?
R - Bien, moi, c’est le contraire que j’ai entendu, que même si une chienne accouche, elle est pas supposée d’être plus mauvaise, parce qu’elle a des chiots, là.[17]
[texte intégral]
[60] Pourtant, elle connaît bien les chiens. Elle sait comment sauver leurs vies et que lorsque qu’on redonne un chiot à sa mère, cela peut causer des troubles avec les autres chiots :
Q - […] Puis, est-ce que, selon vous, vous décidez de ramener le chien à madame Poliquin le vingt-sept (27)?
R - Oui.
Q - Mais je comprends qu’elle vous l’a confié la veille?
R - Oui.
Q - Pourquoi madame, le garder pendant un si court délai?
R - Bien, parce que le chien il a besoin du colostrum, mais juste pendant vingt-quatre (24) heures. C’est assez pour lui donner de la force, puis après ça il peut boire après la chienne.
Q - Mais, est-ce qu’on se comprend que si vous l’aviez gardé quelques jours de plus, ça n’aurait rien changé non plus?
R - Non.
Q - O.K. Ca fait que, selon vous, immédiatement le lendemain …
R - C’est parce que si vous les gardez trop longtemps puis tu les nourris au compte-gouttes, ils viennent plus gros que les autres, puis après ça, quand tu le redonnes à la mère, bien là, ça fait de la chicane avec les autres, parce qu’ils sont plus petits.[18]
[texte intégral]
[61] Mme Tokar manque de crédibilité lorsqu’elle soutient ignorer qu’une chienne qui vient d’accoucher protège ses chiots. Elle prétend plutôt qu’une mère nourrit ses chiots et s’assure qu’ils n’ont pas froid :
Q - O.K. Donc, la chienne peut entrer et sortir de la chambre sans problème?
R - Ah oui oui. Mais un chien qui vient d’accoucher le fait pas. A part que s’il a bien envie, là, il va se lever, il va y aller, sinon, il reste là.
Q - Elle va rester avec ses chiots, que vous voulez dire?
R - Oui.
Q - Elle les protège?
R - Bien non, elle les nourrit, c’est pas qu’elle les protège, c’est pour pas qu’ils aient froid.
Q - […] Mais elle reste avec eux, c’est pour les protéger aussi?
R - Bien, non, parce que quand ils sont plus vieux, puis qu’ils ont du poil, ils restent pas là, puis pourtant, ils sont aussi petits, là.
Q - […] Vous voulez dire, quoi, la mère les abandonne, les laisse aller où ils veulent, elle les surveillent pas?
R - Non, non, je parle quand ils sont tout petits là, ils marchent pas, là.
Q - […] Elle reste avec eux?
R - Elle reste avec eux, parce qu’elle les garde toujours à la chaleur, quelque soit la grosseur du chien.[19]
[texte intégral]
[62] Le Tribunal estime que Mme Tokar joue avec les mots lorsqu’elle témoigne de façon catégorique que Mme Poliquin ne faisait pas l’élevage des chiens :
Q - O.K. Toujours selon votre souvenir, madame Tokar, là, et selon votre appréciation, là, est-ce que pendant la courte période où vous avez côtoyé quand même de façon assez intensive madame Poliquin, avez-vous déjà noté que cette dernière faisait l’élevage de chiens?
R - Bien non, elle faisait pas l’élevage. […]
Q - O.K. Et pourquoi êtes-vous aussi catégorique?
R - Bien, elle avait juste des chiens … elle avait ses chiens à elle.
Q - Oui [?]
R - Puis temps en temps, quelqu’un venait lui porter un chien, puis elle, elle le faisait vacciner, elle le nourrissait, puis elle essayait de lui trouver un autre foyer. C’est juste ça qu’elle faisait. Mais peut-être depuis vingt (20) ans qu’elle était là, elle a peut-être fait ça cinq cents (500) fois, là, en vingt (20) ans.
Q - […] Mais c’est le genre d’activité dont vous, vous avez été témoin personnellement?
R- Oui, parce qu’à un moment donné, on le faisait ensemble aussi.
Q - Vous le faisiez ensemble aussi?
R - Oui.
Q - Pouvez-vus être plus précise, qu’est-ce que vous faisiez exactement ensemble avec madame Poliquin?
R - Bien, il y a une fois la SPCM elle m’appelle, puis ils me disent qu’il y a une madame qui restait à Prévost, puis elle avait … je pense que c’est huit (8) ou neuf (9) labradors à donner, pur race, bébés.
[…]
Ça fait qu’elle m’a dit, elle dit : « la dame veut pas les faire tuer, est-ce que tu pourrais les prendre pour essayer de les donner? » Ça fait que j’ai dit : « Bien oui, je vais les prendre. » Puis vu que Marie-Claude elle avait de la place chez elle, bien là, j’ai demandé à Marie, j’ai dit : « Tu veux-tu prendre les chiens chez vous, on va les faire piquer, on va payer moitié-moitié[?] » Puis on payait moitié-moitié la nourriture. Si on en vend un, bien, ça payera la bouffe puis les vaccins.
Q - O.K.
R - On faisait ça ensemble.
Q - Madame Poliquin, est-ce qu’elle sollicitait de temps à autres vos conseils concernant les chiens?
R - Oui, souvent.[20]
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[63] En contre-interrogatoire, Mme Tokar insiste que Mme Poliquin ne faisait pas de l’élevage de chiens. Ses clarifications prouvent pourtant le contraire :
Q - Madame Tokar, vous nous avez dit ce matin que, selon vous, madame Poliquin ne se livrait pas à un élevage de chiens?
R - Non, elle avait pas d’élevage.
Q - […] Pouvez-vous peut-être clarifier pour le Tribunal. Vous, là, qu’est-ce que vous considérez comme étant un élevage?
R - Bien, avoir un paquet de chiens de la même race, puis les accoupler, puis les faire vacciner, les faire vermifuger, ça leur prend une puce, puis après ça, bien, tu les vends.
Q - […] Ca fait que si vous deviez qualifier, là, le fait que madame ait plusieurs chiens chez elle comme ça, là, quelle sorte de qualificatif vous lui donneriez, selon vous?
R - Bien, c’est juste quelqu’un qui aimait les chiens, puis elle voulait pas les voir dans la rue. J’ai déjà travaillé dans un chenil, puis je sais c’est quoi un élevage de chiens et puis ils sont tous en cage, puis ils ont chacun leur job à faire.
Elle, c’était des chiens de maison qu’elle avait, puis ceux qui étaient pour donner, bien, c’était pour donner, parce que quelqu’un lui avait donnés. Elle a jamais acheté un chien pour en faire l’élevage, un chien pure race. La plupart, c’étaient tous des chiens bâtards.[21]
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[64] Mme Tokar maintient qu’elle ne sait pas si l’amie de son fils faisait de l’élevage. La preuve démontre pourtant qu’elle utilisait le numéro de téléphone de Mme Tokar pour vendre des Huskys 500,00 $ chacun.[22]
[65] Mme Tokar admet avoir vendu 50 permis pour possession de Pitbull après avoir su que ce n’était pas autorisé dans la Municipalité. Son explication n’apparaît pas probable. Elle soutient que c’est son superviseur qui lui a dit de faire ainsi :
Q - Quand vous parlez de Josée, madame Tokar, vous parlez de qui, là, exactement, Josée?
R - C’est … je sais pas son nom de famille, mais elle travaille pour le SPCM.
Q - O.K.
R - C’est elle qui venait chercher tous les papiers que j’avais remplis.
Q - O.K. Est-ce que c’était comme votre superviseur?
R - Oui, genre.
Q - O.K. Qu’est-ce qu’elle vous a dit, Josée, à ce moment-là, lorsque vous lui avez remis le renouvellement avec vos soulignements?
R - Bien, là, elle les a tous regardés un par un, là, parce qu’il faillait qu’elle les compte. Et puis là, à un moment donné, elle a vu « pitbull » souligné. Puis là, elle m’a dit : « il faut pas que tu écrives pitbull, » Ca fait que je lui ai demandé pourquoi. Puis là, elle m’a dit : « Bien, c’est prohibé à Saint-Hippolyte - elle dit - t’écris pas pitbull, tu écris terrier. » Ca fait que là, bien, j’ai su qu’il fallait que j’écrive terrrier.
Q - O.K. C’est à ce moment-là, là, que vous avez su, là, que ce type de chien là était prohibé sur le territoire de Saint-Hippolyte?
R - Oui, c’est ça.[23]
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[66] Voici ce qu’elle rajoute à cet égard lors de son contre-interrogatoire :
Q - Lorsque vous l’avez su, […] qu’il y avait un règlement municipal qui interdisait la possession de pitbull, vous l’avez su à un moment donné?
R - Oui.
Q - Avez-vous vendu des permis à des gens, après l’avoir su, là, qui avaient des pitbulls?
R - Oui.
Q - Combien et pourquoi?
R - Combien? Peut-être une cinquantaine.
Q - Une cinquantaine de permis à des gens qui avaient des pitbulls?
R - Oui.
Q - Et vous saviez à ce moment-là que c’était interdit de vendre des … pas de vendre, de posséder des pitbulls?
R - Oui.
Q - O.K. Pourquoi?
R - Parce que c’est ça qu’on m’avait dit de faire.[24]
[texte intégral]
[67] Le Tribunal considère que Mme Tokar essaie clairement de cacher la vérité lorsqu’elle dit ne pas se souvenir d’avoir visité le chenil de Mme Poliquin. Elle désigne ce bâtiment plutôt comme étant « une cabane à poules » :
Q - Est-ce que vous avez visité le chenil de madame Poliquin avant l’accident qui nous concerne?
R - Elle avait pas de chenil.
Q - Non?
R - Non.
Q - Je vous exhibe une photo …
R - Dans la cour, elle a avait une cabane à poules.
Q - Une cabane à poules. C’est la pièce DGW-3. Regardez. Ca, c’est l’extérieur; ça, c’est l’intérieur ici.
R - C’est ça. C’est ça que je vous ai déjà dit, qu’il y avait trois (3) … trois (3) places pour mettre des chiens, mais c’est pas un chenil, là.
Q - Non, mais c’est parce que là, je vous ai demandé si vous avez visité le chenil.
R - C’est pas un chenil.
Q - Laissez-moi finir. Que si vus avez vérifié le chenil, puis vous avez dit : Il n’y a pas de chenil, c’est une cabane à poules. Là, je vous montre la photo, puis là, vous me dites qu’il y a des espaces pour garder des chiens?
R - C’est parce que tu peux mettre des chiens aussi.
Q - O.K.
R - Mais ça a été fait pour mettre des poules. Au début, c’était un poulailler.
Q - Au début, peut-être, là, il y a un certain nombre d’années, là, mais au moment où vous avez connu madame Poliquin?
R - Oui.
Q - Est-ce que c’était un poulailler ou un endroit pour mettre des chiens?
R - Bien, c’était une place où est-ce qu’elle mettait les chiens quand elle recevait des dons.
Q - Bon.
R - Mais c’est pas un chenil.[25]
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[68] Plus tard, elle continue à défendre l’indéfendable avec les précisions suivantes :
Q - Ce serait quoi un chenil, selon vous quand ça, ça n’en est pas un?
R - Bien, un chenil, c’est une place que tu gardes des animaux, mais il y a toujours quelqu’un là qui s’en occupe vingt-quatre (24) heures par jour; c’est un endroit qui est chauffé. Un chenil, là, le SPCA, si tu vas à la SPCA, c’est un chenil, puis il y a soixante-dix (70), quatre-vingts (80) chiens. Elle, elle en avait un (1), pendant un (1) mois, elle en avait pas; l’autre mois, elle en avait deux (2), t’sais. Un chenil, là, c’est toujours plein de chiens.
Q - O.K. Mais ça, ce n’est pas un poulailler, il n’y a pas de poules, là?
[…]
Q - Est-ce qu’il y avait un enclos aussi à l’extérieur?
R - C’est là qu’elle mettait ses poules.
Q - Pour mettre les chiens?
R - C’était pour mettre ses poules.
Q - O.K. Alors elle avait des poules aussi?
R - Bien, elle se les ai fait manger, oui.[26]
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[69] Finalement, la réticence de Mme Tokar a atteint son apogée en contre-interrogatoire, lorsqu’elle s’est fait tirer l’oreille pour finir par admettre que Penny a été accouplée avec le Boxer dont son fils est propriétaire.[27]
[70] Le Tribunal note que la version de Mme Poliquin a toujours été la même. Que ce soit dans depuis les minutes qui ont suivi l’événement, lors de son interrogatoire après défense ou lors de son témoignage devant le Tribunal. Elle maintient qu’elle a averti Mme Tokar des dangers et elle a entendu un grognement.
[71] Mme Tokar reproche aussi à Mme Poliquin d’avoir détenu une chienne dont la possession est proscrite par règlement municipal.
[72] Or, Mme Poliquin témoigne qu’elle ignorait l’existence de ce règlement, adopté en avril 2008. D’ailleurs, elle possédait une licence pour Penny depuis au moins trois années.[28]
[73] Le Tribunal note que Mme Poliquin ne peut pas lire ni écrire. Il est plausible qu’au moment de l’accident, elle n’avait pas connaissance du règlement qui avait été adopté cinq mois plus tôt.
[74] Par contre, on doit présumer que Mme Tokar connaissait le règlement. Son témoignage à cet égard est truffé de ouï-dire. Elle reconnait avoir émis une cinquantaine de permis pour des Pitbulls dans la Municipalité en pleine connaissance du règlement, et ce, dit-elle, selon les instructions reçues par son superviseur. Toutefois, celle-ci n’a pas témoigné pour corroborer les dires de Mme Tokar.
[75] Elle est la seule employée de la SPCM pour la Municipalité. S’il y a quelqu’un qui a l’obligation de connaître le règlement, c’est bien elle.
[76] Pour conclure, le Tribunal retient de la preuve que Mme Tokar gardait des chiens, et qu’elle faisait l’élevage de même que la vente de Danois. Elle était une employée de la SPCM, connaissait très bien les chiens et leur comportement.
[77] Rappelons que lorsque Mme Tokar est venue chez Mme Poliquin porter le petit chiot à sa mère, elle n’avait pas dormi de la nuit. Lorsqu’elle s’est présentée à la résidence, Mme Poliquin ne voulait pas que Mme Tokar s’approche de sa chienne qui allaitait alors ses chiots.
[78] Mme Poliquin a fait la même remarque à l’agent de police quelques minutes après l’accident.[29]
[79] Il est de notoriété publique qu’il est dangereux d’approcher une chienne qui allaite ses chiots. Il est difficile de prévoir les réactions d’un animal et en particulier, celles d’un Pitbull.
[80] L’honorable Jean-Louis Baudouin écrit ce qui suit :
D’une manière générale, les tribunaux exigent une prudence élémentaire à l’égard des animaux dont les réactions sont souvent imprévisibles et retiennent une faute chez la victime qui n’a pas observé cette prudence en provoquant l’animal, en l’effrayant, ou en ne prenant pas à son endroit les précautions que la situation imposait.[30]
[81] Dans l’arrêt Rivest c. Doré[31], l’honorable Manon Savard, alors de cette Cour, souligne que toute personne doit faire preuve d’une prudence élémentaire à l’égard des animaux dont les réactions sont souvent imprévisibles.
[82] Le Tribunal estime que Mme Tokar s’est approchée de Penny malgré les avertissements de Mme Poliquin. C’est regrettable, mais l’accident s’est produit parce que Mme Tokar a fait preuve de témérité et d’une grande imprudence, compte tenu des circonstances.
[83] Mme Tokar savait ou devait savoir qu’il est dangereux d’approcher une chienne qui allaite ses chiots, encore plus un animal considéré dangereux au point où la Municipalité en interdit la possession. Elle aurait dû prendre les précautions qui s’imposaient dans les circonstances. Elle doit donc assumer seule les conséquences de ce terrible accident.
5 EST-CE QUE WAWANESA EST JUSTIFIÉE DE NIER COUVERTURE?
[84] Nonobstant l’analyse qui précède et sa conclusion amenant au rejet du recours contre Mme Poliquin, le Tribunal estime qu’il y a lieu d’analyser si Wawanesa est justifiée de nier couverture, en raison d’activités commerciales d’élevage prohibées par la police et non divulguées.
5.1 Les faits
[85] En novembre 2003, le conjoint de Mme Poliquin, monsieur Daniel Savage communique avec un agent d’assurance des dommages des particuliers chez Wawanesa.
[86] À l’une de ses questions, M. Savage répond qu’il n’utilise pas sa propriété à des fins commerciales et qu’il possède deux chiens (des Labradors).
[87] Quelques jours plus tard, M. Savage communique de nouveau avec Wawanesa. Il s’entretient avec un autre agent.
[88] Celle-ci lui repose toutes les mêmes questions et M. Savage confirme que la maison n’est pas utilisée à des fins commerciales. L’agent indique ce qui suit dans la soumission :
Changement de nom de propriétaire fait il y a une semaine. M. Savage nouveau conjoint, madame était assurée avec Desjardins ils ont refusé de la réassurer à cause qu’ils ont des chiens.[32]
Client dit avoir deux chiens un shiatsu et un lapsaso. Ne fait pas d’élevage. Dit qu’il en a déjà fait mais plus maintenant (ça remonte à l’an dernier et c’était privé pas commercial).[33]
[texte intégral]
[89] Étant donné qu’un autre assureur a refusé de couvrir, l’agent confie le dossier à son superviseur qui décide de faire faire une inspection de la propriété.
[90] L’inspecteur note:
1501 régulier - bâtiment 3 chiens usage personnel. Poêle non conforme.
[91] La police d’assurance est émise en décembre 2003 puis renouvelée en 2004 et en 2005. En décembre 2006, l’assureur procède à la mise à jour du dossier. Un de ses agents écrit ce qui suit:
Les assurés confirment encore une fois que les lieux ne sont pas utilisés à des fins commerciales et indiquent qu’ils possèdent à ce moment-là, un seul chien (chien Esquimau Akita).
[92] Par la suite, la police d’assurance habitation est renouvelée et elle est en vigueur au moment de l’accident.
5.2 Le droit
5.2.1 La police d’assurance
[93] La police d’assurance prévoit ce qui suit:
Objet du contrat
« Par ce contrat et moyennant le paiement de la prime, nous vous couvrons contre les risques définis ou énumérés ci-après et auxquels vous êtes généralement exposé en tant que propriétaire occupant de votre maison. »[34]
[94] Le chapitre 2 de la police couvre la responsabilité civile de la vie privée à l’exception de:
« Les conséquences de vos activités professionnelles ou de l’utilisation des lieux assurés pour des activités professionnelles, sauf disposition expressément prévue ailleurs dans cette partie. »[35]
[95] Le terme « Activité professionnelle » y est défini comme suit :
« Toute activité rémunérée exercée de manière continue ou régulière, notamment un commerce, un métier, une profession libérale ou la location d’immeuble. »[36]
5.2.2 L’obligation de déclarer
[96] L’article 2408 C.c.Q. prévoit que le preneur d’une police d’assurance est tenu de déclarer toutes les circonstances connues de lui qui sont de nature à influencer de façon importante un assureur dans l’établissement de la prime et l’appréciation du risque :
2408. Le preneur, de même que l'assuré si l'assureur le demande, est tenu de déclarer toutes les circonstances connues de lui qui sont de nature à influencer de façon importante un assureur dans l'établissement de la prime, l'appréciation du risque ou la décision de l'accepter, mais il n'est pas tenu de déclarer les circonstances que l'assureur connaît ou est présumé connaître en raison de leur notoriété, sauf en réponse aux questions posées.
[97] Comme l’indique le professeur Didier Lluelles :
L’assureur auprès de qui le proposant veut s’assurer contre un risque veut être en mesure de savoir s’il y a lieu d’assumer ce risque et, si oui, dans quelle mesure et pour quelle prime.
[…]
Comme tout contrat, le contrat d’assurance suppose un accord éclairé […].[37]
5.3 L’analyse
[98] La preuve révèle clairement que Mme Poliquin faisait l’élevage, l’achat, la vente et offrait la pension pour chiens depuis plusieurs années de façon continue et régulière. Examinons cette preuve.
[99] Wawanesa est informée de l’accident le 13 janvier 2009.[38]
[100] Un représentant rencontre Mme Poliquin et obtient sa version des faits où elle mentionne[39] :
« Je me fais un peu de sous en vendant des chiots. Depuis presque le début que j’habite ici que je fais de l’élevage de chiens. Présentement, j’ai six chiens à moi et j’ai à l’occasion des chiens en pension. J’ai quelques annonces ici et là. »
[nos soulignés]
[101] Cette déclaration incite l’analyste à communiquer avec l’assuré. Elle écrit: « Assuré affirme avoir pension et reproduction de chiens mais recommunique avec inspectrice et change sa version. »[40]
[102] Voici la carte d’affaires[41] de Mme Poliquin :
Chiens de Petites et Grosse Races Accouplement Vermifugés et Vaccinés Marie-Claude [ …] |
[texte intégral]
[103] Sa publicité dans le journal L’Écho du Nord du 15 octobre 2008 (soit trois semaines après l’accident)[42] annonce ceci :
1 mâle Labrador croisés, 50$, 5 labrador noir, pure race, 125$/chacun (1 femelle 4 mâles). Chiot Chihuahua mâle, 800$, Boxer croisée terrier, 400$. [ …]
[texte intégral]
[104] Mme Poliquin témoigne qu’elle a débuté à faire de l’accouplement de chiens l’année suivant l’achat de la maison.[43]
[105] Elle avait beaucoup de chiens. Lors de son interrogatoire avant défense, Mme Poliquin reconnait qu’au moment de l’accident elle en possédait 16.[44] Au procès, elle admet en avoir eu une vingtaine. Pour sa part, M. Savage se souvient qu’avant l’accident, ils avaient entre 15 et 25 chiens à la maison.[45]
[106] La preuve révèle également que Mme Poliquin et M. Savage ont transformé un ancien poulailler en chenil.[46] Ils ont aménagé l’intérieur pour recevoir plusieurs chiens. Il est chauffé et contient trois enclos et des espaces pour recevoir plusieurs cages au dessus des enclos. Un enclos extérieur est également aménagé. Il y a aussi deux enclos au sous-sol de la maison.[47]
[107] L’agent Bélanger, qui a complété son rapport dans les minutes suivant l’accident, indique que Mme Poliquin est « éleveur de chiens ».[48] Cette information ne peut venir que de cette dernière.
[108] Le dossier de Mme Poliquin, constitué auprès de l’hôpital vétérinaire et produit en preuve[49], démontre que de 2006 à 2009 (inclusivement), une cinquantaine de chiots par année y ont été traités.
[109] Mme Poliquin admet avoir vendu environ 150 chiens annuellement.[50]
[110] À l’occasion, elle pouvait partager avec Mme Tokar les profits provenant de la vente de chiens.[51]
[111] Mme Poliquin indique qu’elle n’a pratiquement jamais travaillé. Selon elle, c’est durant les années 2006, 2007 et 2008 que l’élevage des chiens est sa principale activité.[52] Elle décrit cela comme un passe-temps qui l’occupe entre deux à trois heures par jour, sept jours semaine :
Q - Ca occupait quelle partie de votre temps, ça?
R - Bien, moi, je les … je les sortais, la petite cabane en arrière, là, je les sortais de temps en temps pour aller faire les pipis là, je les brossais, des fois les bains, la tondeuse puis tout ça là. Je m’occupais à ça à tous les jours.
Q - Pardon?
R - A tous les jours, je m’occupais de ça.
Q - A tous les jours, vous faisiez ça. Combien d’heures par jour environ?
R- Peut-être deux (2), trois (3) heures, là.
Q - Deux (2), trois (3) heures par jour?
R - Oui. Ca, c’est avec la tondeuse, là, tout, là.
Q - Puis, ça, c’est sept (7) jours par semaine …
R - Oui.
Q - … comme de raison, là. Il n’y a pas de …
R - Oui, oui. Il faut que les nettoies tout le temps.
Q - Maintenant, lorsque vous vendiez des chiens ou que vous donniez des chiens, j’imagine que les gens venaient chez vous?
R - Oui.
Q - Les clients venaient chez vous?
R - Oui.
Q - Est-ce qu’ils entraient dans la maison?
R - Non.[53]
[texte intégral]
[112] M. Savage corrobore la version de sa conjointe en disant que : « c’était bien du trouble et ça occupait en pensée toute sa journée ».[54]
[113] Il s’agit effectivement d’une activité rémunérée, comme le reconnait Mme Poliquin.[55] Elle opère un commerce. Elle a vendu un Boxer au fils de Mme Tokar 125,00$ après son accouplement avec Penny. Elle fait couper la queue des chiots de Penny le lendemain de leur naissance, afin d’accentuer leur ressemblance au Boxer : « quand je vend le chien qui est Boxer, si tu coupes pas la queue, ça enlève la beauté du chien pour le monde, là ».[56] Après l’accident, elle admet avoir vendu trois ou quatre des Labradors 50,00 $ chacun et les chiots de Penny 15,00 $ chacun.
[114] Les chiens vendus par Mme Poliquin sont vaccinés et vermifugés. L’acheteur bénéficie d’une garantie de 10 jours.[57]
[115] Cette preuve non contredite confirme, de façon prépondérante, que Mme Poliquin exerçait une activité commerciale dans sa résidence, activité que Wawanesa ne voulait pas couvrir et qui était de toute façon exclue spécifiquement par la police d’assurance.
[116] Les représentants de Wawanesa ont vérifié si cette propriété était utilisée à des fins commerciales et à chaque occasion, les réponses ont été négatives.
[117] M. Savage et Mme Poliquin savaient que la présence de plusieurs chiens sur leur propriété ou leur élevage était un risque que l’assureur était susceptible de refuser.
[118] Si Wawanesa avait été informée de cette situation, elle aurait nécessairement refusé de couvrir ce risque.
[119] Il y a donc lieu de rejeter le recours en garantie.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[120] REJETTE l’action de la partie demanderesse;
[121] REJETTE l’action en garantie;
[122] DÉCLARE nulle la police d’assurance portant le numéro HPC8355155 pour la période du 14 novembre 2003 au 14 novembre 2008;
[123] DÉCLARE bonne et valable l’offre de la défenderesse en garantie de rembourser à la demanderesse en garantie les primes d’assurance de 5 355,48 $ plus intérêts au taux légal depuis le 15 janvier 2009;
[124] AVEC DÉPENS.
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__________________________________ Paul Mayer, j.c.s. |
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Me Robert Fragasso Me Jean-Maurice Cantin, c.r. |
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Procureurs des demandeurs |
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Me Luc Lépine |
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Procureur de la défenderesse/demanderesse en garantie |
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Me Robert Dupaul |
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Bélanger, Sauvé, s.e.n.c.r.l. |
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Procureurs de la défenderesse en garantie |
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Dates d’audiences : Les 12, 13, 14, 15 et 16 décembre 2011 de même que les 21 et 22 février 2013. |
[1] Pièce DGW-20.
[2] Témoignage de Mme Tokar le 12 décembre 2011, p. 31-32.
[3] Ibid note 2, p. 73.
[4] Ibid note 2, p. 34.
[5] Témoignage de Mme Poliquin le 12 décembre 2011, p. 159.
[6] Ibid, p. 161.
[7] Ibid note 6.
[8] Ibid note 5, p. 165
[9] Témoignage de l’agent Bélanger le 13 décembre 2011, p. 282-283.
[10] Pièce DGW-19.
[11] Pièce DGW-20.
[12] Ibid note 2, p. 36.
[13] Témoignage de Mme Poliquin le 13 décembre 2011, p. 8.
[14] Ibid note 13.
[15] Jean-Louis BAUDOUIN, La responsabilité civile, 7e éd., vol. 1 (principes généraux), Éditions Yvon Blais, p. 816.
[16] Ibid note 15, p. 826.
[17] Ibid note 2, p. 58.
[18] Ibid note 2, p. 66-67.
[19] Ibid note 2, p. 74-75.
[20] Ibid note 2, p. 20-22.
[21] Ibid note 2, p. 82-85.
[22] Pièce DGW-17.
[23] Ibid note 2, p. 14-15.
[24] Ibid note 2, p. 113.
[25] Ibid note 2, p. 119-120.
[26] Ibid note 2, p. 123.
[27] Ibid note 2, p. 59-61.
[28] Ibid note 5, p. 144-145.
[29] Dans son rapport d’événements (pièce DGW-20), il indique ce qui suit :
Mme Poliquin est allée ce matin chez le vétérinaire avec les chiots pour leur faire couper queux et ergots. Un chiot était trop petit pour subit l’opération et Mme Tokar l’a gardé avec elle jusqu’au retour de tous les chiots. C’est en allant porter le chiot à la chambre, malgré les indications contraires de Mme Poliquin, que Mme Tokar s’est fait sauter au visage par la chienne qui lui a littéralement arraché le centre du visage.
[texte intégral]
[30] Ibid note 15, p. 826.
[31] 2013 QCCS 153 .
[32] Pièce DGW-7A, p. 23
[33] Ibid note 30 - Cette information au sujet de l’assureur Desjardins a d’ailleurs été mentionnée par M. Savage lors de son interrogatoire au préalable tenu le 29 juin 2010.
[34] Pièce DGW-10, p. 2.
[35] Ibid note 32, p. 58.
[36] Ibid note 32, p. 54.
[37] Prof. Didier Lluelles, Précis des assurances terrestres, 5e éd., 2009, p. 235-236.
[38] Témoignage de Monsieur William Kolar, 14 décembre 2011, p. 15.
[39] Pièce DGW-19.
[40] Pièce DGW-7A, p. 35.
[41] Pièce DGW-1.
[42] Pièce DGW-2.
[43] Ibid note 13, p.103-104.
[44] Interrogatoire de Mme Poliquin tenu le 22 mars 2010, p. 10-11.
[45] Interrogatoire de M. Savage tenu le 29 juin 2010, p. 11.
[46] Pièce DGW-3 (photos).
[47] Ibid note 13, p. 102.
[48] Pièce DGW-19.
[49] Pièce DGW-16.
[50] Ibid note 13, p. 79 et 104.
[51] Ibid note 13, p. 172-173.
[52] Ibid note 13, p. 148.
[53] Ibid note 13, p. 149
[54] Interrogatoire de M. Savage tenu le 13 décembre 2011, p. 249.
[55] Ibid note 13, p. 54, 58, 59, 60, 79, 104, 128, 129 et 150.
[56] Ibid note 5, p. 154.
[57] Ibid note 13, p. 152.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.