Décision

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97011550 COUR D'APPEL




PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL

No: 500-09-000153-940
(500-53-000013-936)

Le 28 mai 1997


CORAM: LES HONORABLES TOURIGNY
BROSSARD
FISH, JJ.C.A.






LÉONARD WHITTOM,
et
JEAN LAVALLÉE,

APPELANTS - (Défendeurs)

c.

LA COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE DU QUÉBEC,

INTIMÉE - (Demanderesse)


et

JOHANNE DROUIN

               MISE EN CAUSE - Plaignante


          LA COUR, statuant sur le pourvoi contre un jugement du Tribunal de la personne, district de Montréal, prononcé le 21 décembre 1993 par l'honorable juge Michèle Rivet, qui condamnait les appelants à payer 1 000$ à la mise en cause, à titre de dommages moraux.

          Après étude du dossier, audition et délibéré;

          Pour les motifs énoncés dans les opinions écrites des juges Brossard et Fish dont des exemplaires sont déposés avec le présent arrêt, et auxquels souscrit la juge Tourigny;

               REJETTE l'appel avec dépens.


CHRISTINE TOURIGNY, J.C.A.




ANDRÉ BROSSARD, J.C.A.




MORRIS J. FISH, J.C.A.

Me Robert Laurin (LAURIN LAPLANTE)
Procureur des appelants.

Me Hélène Tessier
Procureur de l'intimée.

DATE DE L'AUDITION: le 13 mai 1997.
COUR D'APPEL



PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL

No:
500-09-000153-940
(500-53-000013-936)




CORAM: LES HONORABLES TOURIGNY
BROSSARD
FISH, JJ.C.A.






LÉONARD WHITTOM,
et
JEAN LAVALLÉE,

APPELANTS - (Défendeurs)

c.

LA COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE DU QUÉBEC,

INTIMÉE - (Demanderesse)


et

JOHANNE DROUIN,
     
               
MISE EN CAUSE - (Plaignante)


OPINION DU JUGE BROSSARD


          Les appelants se pourvoient contre un jugement du Tribunal des droits de la personne qui les condamne à payer à la mise en cause, plaignante, 1 000$ à titre de dommages moraux. Le Tribunal de première instance leur reproche d'avoir contrevenu au droit de cettedernière de conclure un contrat de bail d'habitation, sans exclusion fondée sur la condition sociale et l'état civil.

          Les faits sont simples et ne sont pas vraiment contestés. Madame Drouin, mère de deux jeunes enfants, assistée sociale, vit dans un logement de quatre pièces et demie pour lequel elle paie un loyer mensuel de 475$, en plus de frais d'électricité mensuels de 55$ en moyenne. Ses revenus mensuels sont de 1 100$ environ dont 655$ de prestations de sécurité du revenu, 333$ de pension alimentaire et 108$ d'allocations familiales.

          En février 1992, alors qu'elle se trouve à l'étroit dans le logement qu'elle occupe, elle apprend que celui dans lequel sa cousine demeure, dans un immeuble appartenant aux appelants, un cinq pièces et demie, sera libre à compter de juillet 1992 pour un loyer de 485$ par mois. Elle communique avec le concierge de cet immeuble et lui manifeste son intérêt à louer le logement occupé par sa cousine. Le lendemain, elle est informée, par l'entremise de sa cousine et par le concierge, qu'elle n'est pas suffisamment solvable et que ses revenus sont insuffisants pour lui permettre de se payer un tel loyer. Son offre de location est donc refusée.

          La preuve démontre que la décision du concierge fut prise après consultation de l'appelant Whittom, propriétaire, qui explique que sa décision n'était pas motivée par le fait que la mise en cause était prestataire de sécurité du revenu mais uniquement parce que, surla base d'une comptabilité sommaire, il lui apparaissait improbable que Madame Drouin puisse payer son loyer sans jamais être en défaut. Il prévoyait donc avoir des problèmes tôt ou tard.

          Madame Drouin, s'estimant victime de discrimination, adresse une plainte à la Commission des droits de la personne, qui la présente au tribunal, demandant 1 500$ à titre de dommages moraux.

          Le dossier, nonobstant certains commentaires du premier juge, non supportés par la preuve, démontre que le refus des appelants était effectivement fondé uniquement sur leur évaluation sommaire de la capacité de madame Drouin de payer le loyer.

          Le premier juge conclut, en premier lieu, et en particulier sur la base d'une longue preuve de caractère sociologique, que le fait d'être assistée sociale constitue une condition sociale et que la pauvreté, ou l'insuffisance de revenus, constitue une facette ou un élément déterminant de la condition sociale d'une personne. En l'espèce, par voie de conséquence, le refus de location du logement serait donc fondé sur la condition sociale de la mise en cause, en contravention des dispositions de l'article 10 de la CHARTE:

Décider de ne pas louer à une personne parce ses revenus sont insuffisants sans faire aucune vérification quant à la réalité de cette personne, soit par un appel à l'ancien locateur ou de toute autre manière, c'est prendre une décision qui contrevient aux prescriptions de l'article 10 de la Charte lorsque le refus s'exerce à l'endroit d'une personne pauvre qui tire principalement ses revenus de l'aide sociale. La décision de ne pas louer préjuge que la personne pauvre ne pourra effectivement payer le loyer, et la stigmatise en prenant en compte
un des principaux éléments de la condition sociale, soit la catégorisation financière d'une personne et la place qu'elle occupe dans la société. Cette catégorisation de la situation financière d'une personne, une des facettes spécifiques de la condition sociale, comporte préjugés et mépris.


          

          En second lieu, le Tribunal, s'appuyant sur des statistiques émanant de la preuve de caractère sociologique faite devant lui, à l'effet qu'une forte proportion de familles monoparentales dirigées par des femmes vivent sous le seuil de la pauvreté, fait le syllogisme suivant:

-    la structure d'une famille, monoparentale ou biparentale, est un des éléments compris dans le concept d'état civil;


-    or l'exclusion de personnes pauvres est de nature à exclure une majorité des familles monoparentales dirigées par une femme;


-    donc, le refus de louer à la mise en cause, en fonction de son incapacité appréhendée d'assumer le loyer, a comme effet indirect d'exclure cette dernière pour motif d'état civil.



          Je suis loin de partager l'opinion du juge de première instance quant aux deux prémisses de ce syllogisme. Je suis loin, en effet, d'être convaincu du bien-fondé de la première et de l'interprétation donnée dans le jugement entrepris à l'arrêt de la Cour suprême, sur lequel il s'appuie, prononcé dans l'affaire
BROSSARD c. QUÉBEC(1). La seconde prémisse me paraît également très discutable dans la mesure où l'exclusion fondée sur le niveau de revenu ne s'applique pas davantage à une famille monoparentaledirigée par une femme qu'à toute autre famille monoparentale ou biparentale, ayant des revenus équivalents, et dans la mesure où elle n'affecte pas non plus près de 40% des familles monoparentales dirigées par une femme.

          Je ne crois pas nécessaire, par ailleurs, de me prononcer davantage sur ce deuxième motif du jugement entrepris vu la conclusion à laquelle j'arrive, quant au premier motif, sur la base des faits propres à l'espèce.

          Quant à ceux-ci, l'élément dominant, en l'instance, me paraît personnellement se retrouver dans la conclusion qui suit du jugement entrepris:

     Enfin, Monsieur Michel English, concierge du logement où habitait alors Mme Drouin, indiquera que s'il a accepté le renouvellement du bail à Mme Drouin en juillet 1992 sans augmentation de loyer, c'était parce que sa locataire payait très bien. Il indique de plus qu'il n'a reçu aucun appel pour vérifier ce qui en était du comportement de sa locataire d'alors quant au paiement du loyer.



          La preuve non contredite révèle effectivement que la moindre enquête aurait permis aux appelants d'être informés que la mise en cause n'avait jamais été en défaut de paiement de son loyer, équivalent à celui qu'ils demandaient eux-mêmes, à l'endroit où elle demeurait jusqu'alors. Qui plus est, le témoignage non contredit de la mise en cause est à l'effet qu'elle avait souligné au conciergequ'elle s'arrangeait avec son loyer de 475$ et qu'on arrive toujours à s'arranger pour un simple 10$ de plus.

          Cette preuve est d'ailleurs conforme aux témoignages des sociologues qui sont venus expliquer, statistiques à l'appui, qu'il est normal pour les individus vivant au seuil de la pauvreté, d'une part, de consacrer une plus forte proportion de leurs revenus que les autres citoyens au paiement de leur loyer et, d'autre part, de compenser en réduisant leurs autres dépenses vitales, vu le caractère non compressible du loyer.

          Devant nous, les appelants ont développé les propositions suivantes:

          -    en l'espèce, le refus de louer à la mise en cause est fondé exclusivement sur son incapacité, évaluée sommairement, de payer le loyer demandé, et non sur sa condition d'assistée sociale, non plus que sur sa situation de dirigeante d'une famille monoparentale, ce qui est rigoureusement exact, suivant la preuve faite.

          -    Un propriétaire ne saurait être obligé de louer à quelqu'un qui n'a pas les revenus suffisants pour payer le loyer demandé, principe qui vaut, quels que soient les revenus de l'individu et quel que soit le montant deloyer demandé, chaque fois que l'un exclut l'autre; ce principe me paraît difficilement contestable. L'incapacité réelle de payer d'un locataire potentiel justifie certes, à mon avis, le refus de louer de la part d'un propriétaire qui, en vertu de la même charte, doit pouvoir disposer librement de ses biens (article 6) dans le respect des prescriptions de la loi, incluant celles de la
CHARTE. Il n'est certes pas tenu de faire la charité à qui que ce soit.

          -    Par voie de conséquence, le risque ou l'appréhension raisonnable de l'incapacité de payer du locataire potentiel suffit pour justifier le refus de louer; cette proposition, comme on le verra plus loin, nécessite, à mon avis, certaines qualifications et réserves avant de pouvoir être acceptée;

          -    en l'espèce, les appelants avaient une appréhension raisonnable quant à la capacité de payer de la mise en cause.

          Le problème, quant aux deux dernières propositions, réside dans la difficulté d'apprécier, de qualifier et de déterminer la raisonnabilité de l'appréhension du propriétaire. Ceci, à mon avis, ne peut s'apprécier dans un vacuum factuel. On ne saurait généraliser le risque ni l'établir en fonction de critères strictement abstraits,tel le pourcentage des revenus consacrés au logement, sans tenir compte de la situation et de l'état de l'individu concerné, locataire potentiel.

          L'application généralisée et sans nuance de la position des appelants, telle qu'appliquée en l'espèce à un loyer de 485$ en regard de revenus de 1 100$ par mois, entraînerait inévitablement comme effet indirect, quelle que soit la bonne foi des appelants qui n'est nullement mise en doute en l'instance, l'exclusion de tout assisté social et de toute personne dont les revenus seraient équivalents ou inférieurs à ceux de la mise en cause, indépendamment de leur capacité réelle ou non de payer le loyer, exclusion indirecte donc fondée sur la condition sociale de cette catégorie ou même classe de personne.

          Comme le souligne à-propos l'intimée, c'est précisément le caractère sommaire d'une évaluation fondée sur des critères purement abstraits qui entraîne des effets pernicieux pour celui ou celle qui, par suite de sa condition sociale, est obligé(e) de consacrer un pourcentage anormal de ses revenus au logement.

          Il y a donc lieu de nuancer la proposition des appelants. La raisonnabilité de l'appréhension du risque doit s'apprécier d'abord et avant tout en fonction de la personne en cause, soit du locataire potentiel.

          Même en tenant pour acquis, comme le plaident les appelants, sur la base d'une preuve d'ailleurs mentionnée par le premier juge, que l'on ne peut imposer à un propriétaire l'onéreuse obligation de faire systématiquement une enquête de crédit pour vérifier la solvabilité des locataires éventuels, il n'en demeure pas moins que le propriétaire peut avoir une obligation ou devoir d'accommodement, dans tous les cas où un accommodement est possible sans lui être trop onéreux (COMMISSION SCOLAIRE RÉGIONALE DE CHAMBLY c. BERGEVIN(2); CENTRAL ALBERTA DAIRY POOL c. ALBERTA (HUMAN RIGHTS COMMISSION)(3); CENTRAL OKANAGAN SCHOOL DISTRICT NO. 23 c. RENAUD(4); DESROCHES c. COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE DU QUÉBEC(5)).

          Or, en l'espèce, les appelants étaient déjà informés que, dans les faits, et nonobstant leurs critères, la mise en cause réussissait à payer un loyer équivalent, sans défaut. Une vérification aussi sommaire que leur évaluation, auprès du propriétaire de l'immeuble où demeurait la mise en cause, sans même nécessiter d'enquête de crédit, aurait suffi à confirmer la capacité de cette dernière de payer le loyer demandé et aurait pu suffire à dissiper leur appréhension ou à leur faire réaliser que cette appréhension, en l'espèce, n'était pas fondée.

          Je suis d'avis que, une fois l'information connue, leur obligation d'accommodement leur imposait une telle vérification susceptible, soit de confirmer, soit de dissiper leur appréhension. Ils ont préféré s'en tenir à une politique générale d'évaluation sommaire et n'ont, par voie de conséquence, qu'eux-même à blâmer pour la plainte qui a suivi et pour le résultat de cette plainte qui s'appuie sur une preuve établissant que leur appréhension, en l'espèce, n'était pas raisonnable.

          Pour ces raisons, applicables en l'espèce, et en l'absence de recherche d'accomodement qui crée, ici, une situation de discrimination indirecte, il y avait ouverture à la conclusion du jugement entrepris et je suis donc d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
          
          



ANDRÉ BROSSARD, J.C.A.


COURT OF APPEAL


PROVINCE OF QUÉBEC
MONTRÉAL REGISTRY

No:
500-09-000153-940
(500-53-000013-936)




CORAM: THE HONOURABLE CHRISTINE TOURIGNY
ANDRÉ BROSSARD
MORRIS J. FISH, JJ.A.






LÉONARD WHITTOM,
and
JEAN LAVALLÉE,

APPELLANTS - defendants

v.

LA COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE DU QUÉBEC,

RESPONDENT - plaintiff

and

JOHANNE DROUIN,

MISE EN CAUSE - complainant




OPINION OF FISH, J.A.




I would dispose of the appeal as proposed by Brossard J.A.

The appellants, as owners, refused to lease an apartment to Johanne Drouin on the ground that a person of her limited means could not afford the rent.

This decision was not motivated by a desire to discriminate against those who, like Ms Drouin, are dependent on social assistance. That, however, was its manifest effect: Ms Drouin was excluded as a result of her "social condition"(6) from access to an apartment offered by appellants to members of the public generally(7).

Appellants made no individualized assessment of Ms Drouin's ability to pay the required rental. They based themselves instead on their own value judgment as to the proper proportion of income poor people, generally speaking, should pay for accommodation.

Ms Drouin was in fact then paying $475 per month for a smaller place. Appellants, for their apartment were asking only $10 more. They nonetheless refused to lease it to Ms Drouin because of her limited means.

On a ground that may well be true for many families with the same income -- but did not apply to her -- Ms Drouin was thus deprived ofa real and immediate opportunity to improve her quality of life by moving to more spacious and more comfortable premises.

Ms Drouin had informed the appellants, through their superintendent, that she had for a considerable period of time, and without fail, paid almost exactly what appellants were asking for their apartment. To the knowledge of appellants, she had thus proven by her past conduct that she was a reliable tenant -- capable, despite her limited income, of discharging her obligations under the lease offered by appellants to others, but denied to her.
I am satisfied that these uncontested facts provide a reasonable basis for concluding that appellants caused the "adverse effect discrimination"(8) for which they were held responsible by the respondent Commission.

On this ground, I would dismiss the appeal with costs.



MORRIS J. FISH, J.A.

1. [1988] 2 R.C.S. 279 .
2. [1994] 2 R.C.S. 525 .
3. [1990] 2 R.C.S. 489 .
4. [1992] 2 R.C.S. 970 .
5. C.A.M. 500-09-001272-921 -- Jugement du 28 avril 1997.
6. Within the meaning of s. 10 of the Charter of Rights and Freedoms, R.S.Q., c. C-12.
7. See s. 12 of the Charter.
8. See Ontario Human Rights Commission and O'Malley v. Simpsons- Sears Ltd., [1985] 2 S.C.R. 536 . Reaffirming the definition of "adverse effect discrimination" adopted in O'Malley, at p. 551, Cory J. notes in Commission scolaire régionale de Chambly v. Bergevin, [1994] 2 S.C.R. 525 , at p. 539, that this concept of discrimination was later applied in the context of provincial human rights legislation in Central Alberta Dairy Pool v. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 S.C.R. 489 , and Central Okanagan School District No. 23 v. Renaud, [1992] 2 S.C.R. 970 .

AVIS :
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