Décision

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Fedorov c. White

2025 QCCS 3095

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

No :

500-36-011169-250 (CS)

 

(500-25-001775-242 et 500-25-001776-240)

 

DATE :

Le 2 septembre 2025

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

steve baribeau, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

ALEXANDR FEDOROV

Requérant - Accusé

c.

 

L’HONORABLE JOHANNE WHITE

En sa qualité de juge de paix magistrat

Intimée

 

et

 

SA MAJESTÉ LE ROI

Mise en cause - Poursuivant

 

 

 

 

JUGEMENT SUR REQUÊTE EN CERTIORARI VISANT L’ANNULATION DES MANDATS DE PERQUISITION ÉMIS DANS LES DOSSIERS

500-25-001775-242 ET 500-25-001776-240

 

 

 

 

1.     APERÇU

  1.                  Le 18 octobre 2024, l’ancien joueur de la Ligue nationale de hockey, M. Vincent Damphousse, a été victime d’une introduction par effraction à sa résidence privée.
  2.                  Plusieurs biens de grande valeur se trouvant dans un coffre-fort ont été dérobés.
  3.                  Ces biens sont les suivants :
  • Une bague de la Coupe Stanley 1993 ;
  • Une bague du Temple de la Renommée ;
  • Une montre IWC;
  • Une somme d’argent en devise canadienne d’environ 10,000$;
  • Une collection de cartes de hockey de M. Vincent Damphousse tout au long de sa carrière.
  1.                  Dans le cadre d’une enquête criminelle visant à retrouver les biens volés, le SPVM a obtenu, sur la foi d’une dénonciation, des mandats de perquisition visant le commerce du requérant, Odessa antiquités et monnaies, situé au 1106, avenue du Mont-Royal Est, Montréal[1] , ainsi que sa résidence privée, située au 775, rue Plymouth, appartement 602, Ville Mont-Royal[2].
  2.                  Les deux mandats ont été obtenus et exécutés le 1er novembre 2024 sur la base des mêmes motifs.
  3.                  Bien que n’ayant aucun lien avec les motifs justifiant leur présence aux endroits visés par les autorisations, les policiers ont saisi, sans mandat, dans le cadre de l’exécution des perquisitions, plusieurs objets de grande valeur[3], notamment :
  • Au commerce Odessa Antiquités et Monnaies, situé au 1106, avenue du Mont-Royal Est, Montréal :

 

  • 177 000 $ en argent comptant, trouvé dans une mallette;
  • 6 400 $ en argent comptant, trouvé sur M. Alexandr Fedorov.

 

  • À la résidence du requérant, située au 775, avenue Plymouth, appartement 602, Ville Mont-Royal :
    • 312 000 $ en argent comptant;
    • Bijoux et montres :
      • 1 712 989 $ en valeur d’achat à neuf;
      • 1 150 675 $ en valeur de revente;
    • Métaux et pièces de monnaie :
      • 2 999 006,13 $ (valeur calculée selon le poids seulement, en date du 7 novembre 2024).
  1.                  Aucun des biens volés à la résidence de M. Vincent Damphousse lors de l’introduction par effraction n’a été retrouvé, ni au commerce Odessa Antiquités et Monnaies, ni à la résidence du requérant, non plus qu’aucun élément de preuve pouvant le relier à ces objets ou à l’infraction.
  2.                  Au moment du prononcé du présent jugement, aucune accusation n’avait encore été portée contre le requérant relativement aux biens saisis lors de l’exécution de la perquisition[4].
  3.                  Le requérant invoque l’absence de motifs raisonnables et probables de croire que les biens volés chez M. Vincent Damphousse se trouvaient à son commerce ou à sa résidence.
  4.            Il demande ainsi au Tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour casser les autorisations judiciaires en cause et ordonner la remise des biens saisis lors de l’exécution des mandats de perquisition.
  5.            En outre, il prétend que la seule preuve pouvant relier le requérant aux objets volés provient d’un unique informateur dont il conteste le caractère digne de foi.
  6.            Dans le cadre des arguments présentés devant le Tribunal[5], il soutient que la juge de paix a agi sur la seule base de soupçons, que les motifs invoqués étaient vagues et imprécis et que la dénonciation contenait, de surcroît, des renseignements trompeurs et inexacts.
  7.            Lors de l’audition de la requête, le requérant a été entendu sur certains éléments, cherchant à contredire certains allégués figurant au soutien des dénonciations.
  8.            Après avoir considéré l’ensemble de la preuve présentée[6] lors de l’audition de la requête ainsi que les observations des parties, le Tribunal ne partage pas l’avis du requérant.
  9.            L'examen du dossier dans sa globalité[7], envisagée à travers les motifs avancés au soutien des autorisations judiciaires, ne saurait conduire à la conclusion recherchée par le requérant, compte tenu des pouvoirs limités du Tribunal en matière de certiorari.
  10.            Pour les motifs qui suivent, le Tribunal rejette la requête en certiorari.

2.     LE CORRIDOR D’INTERVENTION DE LA COUR SUPÉRIEURE EN MATIÈRE DE CERTIORARI

  1.            Le certiorari, lorsqu’il est utilisé pour contester la validité d’un mandat de perquisition, constitue un recours extraordinaire issu des pouvoirs inhérents d’une cour de juridiction supérieure, aujourd’hui codifié à l’article 774 du Code criminel.
  2.            Il permet de faire contrôler toute décision ou ordonnance rendue par un décideur et, le cas échéant, d’obtenir réparation en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne. [Voir par exemple Jones v. British Columbia (Attorney General), 2007 BCSC 1455, paragr. 55.]
  3.            Il s’agit toutefois d’un recours exceptionnel et discrétionnaire, qui n’est ouvert que dans les cas d’excès de compétence de la part du décideur. [R. c. Awashish, [2018] 3 R.C.S. 87, paragr. 17, 22-23; Lauzon c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2024 QCCA 223.]
  4.             Le recours en certiorari vise à vérifier si la juridiction inférieure a commis une erreur portant sur sa compétence ou une erreur de droit manifeste à la face même du dossier. [R. c. Cunningham, 2010 CSC 10 (CanLII), paragr. 57.]
  5.            En matière de mandat ou d’ordonnance judiciaire, le rôle du juge réviseur consiste à vérifier la présence de motifs, fondés sur des renseignements suffisants et fiables, qui permettaient au premier juge d’émettre le mandat ou l’ordonnance. [R. c. Araujo, 2000 CSC 65, paragr. 51; R. c. Morelli, 2010 CSC 8, paragr. 40 et 41.]
  6.            Comme le mentionne[8] notre Cour d’appel R. c. Bâtiments Fafard Inc[9] :

« […] dans le cadre d'une révision judiciaire de la décision du juge de paix qui a émis un mandat de perquisition, le tribunal ne peut pas se substituer à la décision du juge de paix quant à la suffisance de la preuve : son rôle consiste à déterminer l'existence d'une preuve au dossier pouvant justifier l'émission du mandat. […] le juge saisi de la demande de révision doit donc se demander, non pas si le juge qui a émis le mandat devait l'émettre, mais simplement s'il pouvait l'émettre.»

  1.            Par ailleurs, le Tribunal souligne que la saisie sans mandat d’objets effectuée en vertu de l’article 489 C.cr., dans le cadre de l’exécution d’une autorisation judiciaire, ne peut faire l’objet d’un contrôle par voie de certiorari. [Cohen c. Québec (Procureure générale), 2015 QCCA 122, paragr. 7.] Le recours en certiorari vise en effet la dénonciation ayant conduit à l’obtention des mandats, et non les modalités de leur exécution
  2.            Voyons maintenant ce qu’il en est, à la lumière de la preuve présentée et du droit applicable.

3.     ANALYSE

  1.            Lors de l’audition de la requête, le Tribunal a eu le bénéfice de considérer l’ensemble des pièces produites au soutien de celle-ci, notamment la version non caviardée des dénonciations, comprenant le sous-paragraphe 3 d) et le paragraphe 5[10].
  2.            Ces informations ont été caviardées en raison du privilège relatif à l’identité de l’informateur. [R. c. Antoine, 2017 QCCS 487, paragr. 18-19; Société Radio-Canada c. Personne désignée, 2024 CSC 21, paragr. 5 et 33-36; Personne désignée c. Vancouver Sun, 2007 CSC 43, paragr. 50.]
  3.            Dans le cadre de l’audition de la requête, le requérant s’est fait entendre devant le Tribunal.
  4.            Malheureusement, le témoignage de M. Alexandr Fedorov s’avère de peu d’utilité pour l’exercice auquel le Tribunal est tenu, à savoir déterminer s’il existait une preuve prima facie permettant à un juge de paix de conclure à l’existence de motifs raisonnables et probables que les objets volés à M. Vincent Damphousse puissent se trouver à son domicile ou à son commerce.
  5.            Dans son témoignage, le requérant s’en prend notamment à la version de l’affiant sur les renseignements obtenus du policier à la retraite Robert Di Mattho[11] quant à certains détails périphériques de l’affidavit[12], lesquels ne remettent toutefois aucunement en cause la suffisance des motifs raisonnables et probables ayant justifié l’obtention des autorisations judiciaires.
  6.            L’affidavit produit au soutien des deux autorisations judiciaires fait état des motifs[13] suivants, lesquels doivent être analysés globalement et non de façon isolée[14] :
  • Un informateur codé indique que les objets volés sont maintenant en possession du requérant;
  • Le requérant est un homme connu du SPVM dans le domaine de la brocante et exploite le commerce Odessa antiquités et monnaies, situé au 1106, avenue du Mont-Royal Est, à Montréal;
  • M. Alexandr Fedorov garde également des items à son domicile lorsqu’ils sont jugés « trop chauds »;
  • ███████████████████████████████████████████████████████████████████████████████████; [paragraphe identifiant l’informateur]
  • ███████████████████████████████████████████████████████████████████████████████████; [information tendant à confirmer la fiabilité de l’informateur]
  • ███████████████████████████████████████████████████████████████████████████████████[15]; [information tendant à confirmer la fiabilité de l’informateur]
  1.            De l’avis du Tribunal, ces éléments suffisent à mettre les dénonciations produites au soutien de l’obtention des mandats à l’abri d’une intervention de la Cour supérieure en certiorari.
  2.            Ils établissent un lien entre les objets recherchés à la suite du vol commis à la résidence de M. Vincent Damphousse et les autorisations délivrées.
  3.            Ce lien, tant pour le commerce que pour la résidence du requérant, permet de constater l’existence des conditions légales préalables à l’octroi des autorisations judiciaires.
  4.            Le Tribunal est donc d’avis que la dénonciation[16] expose des motifs qui permettaient au juge de paix de conclure à l’existence de motifs raisonnables[17] pour justifier l’octroi du mandat.
  5.            Par ailleurs, lorsque les informations proviennent d’une source codée[18], la jurisprudence[19] reconnaît qu’il est possible de leur attribuer un certain indice de fiabilité.
  6.            Cet élément vient ainsi renforcer l’analyse ayant conduit le juge de paix à décerner les mandats.
  7.            Cet élément vient ainsi appuyer l’analyse ayant conduit le juge de paix à décerner les mandats, laquelle résiste à l’examen du Tribunal en certiorari.

4.     CONCLUSION

  1.            Dans le contexte d’un recours en certiorari, la dénonciation produite au soutien d’une demande de mandat de perquisition bénéficie d’un abri quasi impénétrable à toute intervention de la Cour supérieure, dès lors qu’elle fait apparaître, à sa face même, un lien prima facie entre les motifs invoqués et l’autorisation recherchée.
  2.            Le mécanisme du recours en certiorari ne permet pas à la Cour supérieure de substituer sa propre appréciation de la suffisance des motifs permettant la délivrance de l’autorisation à celle du juge de paix, mais uniquement de vérifier l’existence d’un fondement minimal.
  3.            L’intervention de la Cour ne peut être envisagée que dans l’hypothèse exceptionnelle d’une absence totale de preuve susceptible de justifier l’octroi du mandat.
  4.            C’est précisément pour cette raison que le certiorari constitue une mesure d’exception, dont la mise en œuvre n’intervient que dans de très rares cas.
  5.            En l’espèce, tant au regard de la preuve présentée que des principes applicables, la requête présentée ne s’inscrit nullement dans cette catégorie restreinte.
  6.            Loin de révéler une absence totale de fondement, le dossier met plutôt en évidence l’existence de motifs qui, sans être particulièrement étoffés, demeurent néanmoins suffisants et juridiquement défendables pour justifier les autorisations délivrées, échappant ainsi au champ d’application de ces rares cas où le certiorari peut trouver ouverture.
  7.            Malgré le rejet de la requête, une réalité demeure : il appartiendra à la poursuite, en temps opportun[20], de se prononcer sur la suite à donner relativement à la saisie sans mandat effectuée le 1er novembre 2024, soit en décidant de porter des accusations contre le requérant, soit en sollicitant la confiscation des biens saisis[21] ou en procédant à leur remise.
  8.            Dans les deux premiers cas de figure, la poursuite sera tenue de démontrer la légalité de la perquisition, condition sine qua non à l’issue qu’elle recherche.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.            REJETTE la requête;
  2.            LE TOUT sans frais de justice.

 

 

 

 

__________________________________STEVE BARIBEAU, j.c.s.

 

Me Hugues Surprenant

Surprenant Magloé Paquette avocats

Procureur du Requérant - Accusé

 

Me Rami EL-Maoula

Directeur des poursuites criminelles et pénales

Procureur du Mise en cause - Poursuivant

 

Date d’audience :

Le 16 juin 2025

 


[1] Autorisation judiciaire dans le dossier 500-25-001775-242.

[2] Autorisation judiciaire dans le dossier 500-25-001776-240.

[3] Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Fedorov, 2025 QCCQ 1394, paragr. 6-7.

[4] Courriel de la poursuite déposé au dossier de la Cour du 28 août 2025.

[5] Voir notamment le paragraphe 10 de la requête en certiorari, lequel comprend les sous-paragraphes 10.1 à 10.12.

[6] Pièces R-1 à R-10 et Pièce MEC-1

[7] R. c. Audigé, 2020 QCCA 1572, paragr. 13; R. c. Araujo, 2000 CSC 65, paragr. 54; Laguerre c. R., 2022 QCCA 1548, paragr. 10.

[8] Voir également : R. c. Garofoli, 1990 CanLII 52.

[9] [1991] J.Q. no 1656.

[10] Pièce R-7 (Sous scellé).

[11] R-4, paragr. 6.

[12] Le requérant fournit des explications en lien avec l’allégué 6b) concernant un événement survenu en 2017. Selon lui, les items recherchés ne se trouvaient pas dans son coffre-fort, mais plutôt dans un sac déposé dans la chambre lui servant de bureau à sa résidence. Il conteste également le libellé du sous-paragraphe 6c), plus particulièrement l’emploi du mot « transaction », puisqu’il soutient qu’aucune transaction n’a eu lieu. M. Fedorov témoigne plutôt que la personne arrêtée avait déposé une boîte sur son comptoir avant d’être appréhendée par les policiers.

[13] Pièce R-4, paragr. 3b), 3c), 3d).

[14] Savard c. R., 2024 QCCA 1447, paragr. 66.

[15] Les paragraphes caviardés au présent jugement correspondent intégralement, mot pour mot, aux paragraphes contenus dans la version scellée de l’affidavit.

[16] Il s’agit de la même dénonciation tant dans le dossier 500-25-001775-242 que dans le dossier 500-25-001776-240.

[17] Sur le concept de motifs raisonnables : R. c. Morelli, 2010 CSC 8, paragr. 13, 39 et 40; R. c. Araujo, 2000 CSC 65, paragr. 54; R. c. Beaver, 2022 CSC 54, paragr. 72; R. c. Debot, 1989 CanLII 13, p. 1168; Brûlé c. R., 2021 QCCA 1334, paragr. 173; R. c. Garofoli, 1990 CanLII 52, p. 1456-1557; Versailles c. R., 2022 QCCA 195; R. c. Fyke, 2025 ONCA 602, paragr.17,24,30,31,33 et 34; R. c. Assante, 2025 ONCA 387, paragr. 30; Ondo-Mendame c. R., 2023 QCCA 107, paragr. 33-42; Leventis c. R., 2022 QCCA 291, paragr. 18 et ss; Breau c. R., 2025 NBCA 95, paragr. 12-15 et 18; R. c. Baptiste, 2020 QCCQ 971, paragr. 168-170.

[18] R-4, paragr. 3-4.

[19] R. c. Greffe, 1990 CanLII 143, p. 776.

[20] Art.489, 489.1 et 490 C.cr.

[21] Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Federov, 2025 QCCQ 1394, au paragr. 35 : La poursuite a par ailleurs obtenu une prolongation additionnelle de six mois, laquelle viendra à échéance le 28 octobre 2025.

 

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