Lombardo c. 9253-7703 Québec inc. |
2020 QCRDL 16722 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
500064 31 20200108 G |
No demande : |
2925588 |
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Date : |
14 août 2020 |
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Régisseure : |
Linda Boucher, juge administrative |
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Roberto Lombardo |
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Locataire - Partie demanderesse |
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c. |
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9253-7703 Québec Inc. |
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Locatrice - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le locataire s’oppose au changement d’affectation de son logement et demande que la locatrice soit condamnée aux frais judiciaires.
Le bail
[2] Il appert que les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020 au loyer mensuel de 620 $.
[3] Le logement comprend trois pièces et demie situées au rez-de-chaussée. Ce logement bénéficie également d’une cave de la même dimension.
La preuve
[4] Le mandataire de la locatrice explique qu’il a fait l’acquisition de l’immeuble visé par l’intermédiaire de celle-ci il y a deux ans. Comme il l’a fait pour d’autres immeubles par l’intermédiaire d’autres personnes morales.
[5] Il habite à Châteauguay et récemment son état de santé s’est détérioré. Il souhaite regrouper les activités de gestions des compagnies dont il est l’administrateur en un seul lieu physique.
[6] Il a choisi le logement du locataire car il jouit d’une situation favorable en face de l’hôtel de ville de Verdun.
[7] De plus, il est le plus aisément accessible à partir de son domicile de la Rive-Sud.
[8] Il opérera ses activités d’administration au rez-de-chaussée et utilisera le sous-sol comme entrepôt. Il n’en fera pas sa résidence personnelle, affirmant ainsi sa volonté de ne pas relouer le logis pour des fins résidentielles.
[9] C’est pourquoi, le 12 décembre 2019, il faisait tenir au locataire un avis de reprise de logement pour changement d’affectation à compter du 30 juin 2020.
[10] Le 8 janvier suivant,
soit dans le délai qui lui était imparti aux termes de l’article
[11] Le ralentissement des activités du tribunal en raison de la pandémie de COVID-19 a fait en sorte que cette demande n’a pu être entendue avant la date de reprise indiquée à l’avis de la locatrice.
[12] Le mandataire de la locatrice déclare que l’intention de celle-ci est réelle et dépose en preuve un certificat d’occupation pour un usage additionnel de 50 m2 émanant de l’arrondissement de Verdun. Certificat émis le 24 avril 2020.
[13] Le certificat indique aussi que la catégorie d’usage dans le secteur du logement au 24 avril 2020 est C1.
[14] Aucun autre des logements possédés par lui ou des compagnies dont il est l’administrateur ne sera libre à la même date ou n’offre les avantages du logement visé.
[15] Pour sa part, le locataire maintient son opposition au changement d’affectation de son logis, qu’il occupe avec son épouse depuis 23 ans.
[16] Il fait part au tribunal des multiples inconvénients que son épouse et lui éprouveraient en raison d’une telle reprise.
[17] Notamment, les impacts négatifs sur leurs activités quotidiennes, sur la gestion de leurs faibles ressources financières et en raison de leurs limitations physiques.
[18] Il opine que le but premier recherché par le mandataire de la locatrice est de provoquer leur départ afin de relouer leur logement à meilleur prix.
[19] Il en veut pour preuve qu’il s’agit là de la troisième tentative d’éviction en deux années. Une situation qui leur cause un stress indu important.
[20] La première tentative avait pour but de reprendre le logement pour y loger la fille du mandataire de la locatrice et la seconde en raison de l’encombrement du logement.
[21] La première n’a pas connu de suite après leur refus et la seconde a fait l’objet d’une entente entérinée par la soussignée.
[22] À cela s’ajoute l’offre monétaire de l’administrateur de la locatrice pour les inciter à partir, offre qu’ils ont refusée car ils tiennent à leur logis plus qu’à l’argent.
[23] Ainsi peut-on résumer la preuve.
Les arguments
[24] L’avocate de la
locatrice fait valoir que sa cliente rencontre tous les critères imposés par
l’article
[25] Elle met en relief l’intention sincère exprimée par l’administrateur de la locatrice et son besoin d’un local pour ses activités de gestion d’immeubles.
[26] Elle souligne que le logement en question sera retiré du marché locatif entendant par là que celui-ci ne perdra pas son caractère de logement résidentiel conforme au règlement de zonage.
[27] À son tour, l’avocate du locataire brandit des extraits du règlement de zonage 1 700 afférent à l’immeuble visé pour mettre en lumière l’article 201 « USAGES ADDITIONNELS AUTORISÉS » dont un service professionnel et spécialisé tel qu’établi au paragraphe c) de l’article 39, lequel prévoit à l’item XX) un bureau d’affaires.
[28] L’article 202 spécifiant que cet usage additionnel ne doit pas occuper plus du tiers de la superficie du plancher du logement jusqu’à concurrence d’un maximum de 50 m2.
[29] Puisque la locatrice n’entend pas utiliser le logement pour des fins résidentielles, opine l’avocate, son usage unique pour des fins d’affaires sera en contravention du règlement de zonage qui prévoit un usage résidentiel.
[30] Au surplus, elle fait remarquer que les efforts passés de la locatrice pour reprendre le logement de son client démontrent que son but premier est bel et bien l’éviction du locataire.
La discussion et la décision
[31] Le changement d’affectation constitue une exception au principe du droit du locataire au maintien dans les lieux (1910 C.c.Q.) qui gouverne toute la législation relative au bail résidentiel. C’est pour cela que ce droit que possède la locatrice doit être interprété restrictivement et que la Loi lui impose des conditions.
[32] Notamment que le projet du locateur est, d’une part, légal et, d’autre part, réalisable.
[33] Depuis l’acquisition de l’immeuble visé par la locatrice, celle-ci a d’abord tenté de reprendre le logement pour la fille de son administrateur puis elle a voulu obtenir la résiliation du bail au motif de l’encombrement des lieux qui s’est soldé par une entente entérinée par le tribunal.
[34] À présent, la locatrice souhaite reprendre le logement afin que son principal dirigeant y conduise ses affaires, c’est-à-dire tant celles de la locatrice que celles reliées à d’autres personnes morales dont il est également le principal administrateur, de ce que comprend le tribunal.
[35] Ce dernier témoigne que la situation du logement en face de l’hôtel de ville de l’arrondissement de Verdun lui sera favorable mais sans expliquer en quoi consiste cet avantage, et que l’accès à celui-ci à partir de son domicile de Châteauguay est le plus accessible de tous les immeubles possédés par les autres personnes morales dont il est le principal administrateur.
[36] Le locataire fonde sa
demande sur l’article
1966. Le locataire peut, dans le mois de la réception de l'avis d'éviction, s'adresser au tribunal pour s'opposer à la subdivision, à l'agrandissement ou au changement d'affectation du logement; s'il omet de le faire, il est réputé avoir consenti à quitter les lieux.
S'il y a opposition, il revient au locateur de démontrer qu'il entend réellement subdiviser le logement, l'agrandir ou en changer l'affectation et que la loi le permet.
La Loi permet-elle le changement d’affectation que sollicite la locatrice?
[37] En principe oui puisqu’il s’agit là d’un usage additionnel qui n’est pas de nature à modifier la qualification de logement résidentiel du logis et l’émission du certificat d’occupation atteste de cette capacité de la locatrice d’utiliser le logement visé pour un usage additionnel pourvu que cet usage rencontre, par ailleurs, les critères applicables.
[38] Le fait de retirer le logement du marché par la voie du changement d’affectation est-il incompatible avec sa qualification de logement résidentiel au règlement de zonage municipal si la locatrice n’entend s’en servir que pour la conduite de ses affaires à l’exception de tout usage?
[39] Dans l’affaire Laurin-Dansereau c. Les disques passeport inc. ([1]) le tribunal s’est déjà penché sur le sens du changement d’affectation, la juge administrative Francine Jodoin écrit :
« Dans un premier temps, le tribunal s'est interrogé sur la qualification du projet proposé par le locateur. En effet, l'usage prévu du logement demeurera essentiellement l'habitation puisque celui-ci continuera à être destiné à servir de résidence pour une ou des personnes de passage. Toutefois, une telle occupation ne sera plus régie par les règles du Code civil du Québec applicable au « louage » résidentiel. Le logement serait donc retiré du marché locatif et utilisé dorénavant dans le cadre des activités commerciales du locateur.
Dans l'affaire Chayer c. Gestion Zay inc., la Cour du Québec devait se prononcer sur l'appel de plusieurs locataires qui se pourvoyaient contre une décision qui avait autorisé le changement d'affectation de leurs logements. Les locataires s'opposaient au projet du locateur de convertir leurs logements en appartements hôtel.
Les locataires soutenaient alors que la vocation résidentielle du logement étant maintenue, il ne saurait être question d'un changement d'affectation.
Monsieur le juge Jacques Tisseur, après avoir cité de larges extraits de la décision rendue par la Régie du logement, souscrit aux conclusions émises et conclut :
«En effet, convertir un logement privé loué par bail pour une durée d'un mois, un an ou plus en chambre, suite, ou appartement d'hôtel loué à la journée ou pour une période plus étendue, et ceci de façon commerciale, le tout soumis à l'obtention des permis de la ville et du ministère concerné équivaut on ne peut plus clairement à un changement d'affectation, ce qui automatiquement soustrait le local à la juridiction de la Régie du logement et le fait tomber sous le contrôle et la surveillance de la ville et du ministère visé.»(2)
Selon cette jurisprudence, le fait de cesser définitivement de louer ou d'offrir en location un logement pourrait constituer un changement d'affectation. Les tribunaux ont aussi permis le changement d'affectation lorsqu'il s'agissait de convertir l'immeuble en foyer pour personnes âgées (3)
Le tribunal ne voit pas de raison de s'écarter de
cette interprétation. L'affectation d'un logement est la destination à un usage
déterminé(4). L'article
[40] Dans le même esprit, le tribunal a conclu au changement d’affectation dans le cas où une propriétaire de terrains qui servaient à la location pour maisons mobiles a voulu reprendre ceux-ci pour y ériger sa résidence ([2])
[41] En conclusion, il ne faut donc pas confondre changement d’affectation et changement de zonage dans le cadre de la législation en matière de logement résidentiel car l’un et l’autre ne sont pas mutuellement exclusifs.
Mais qu’en est-il lorsque le logement en question est zoné résidentiel alors que la locatrice n’entend pas s’en servir, même en partie, pour cette fin?
[42] Confronté à cette question dans l’affaire Dupuis c. Dubé ([3]) alors que la locatrice entendait reprendre le logement de la locataire pour en changer l’affectation afin de s’en servir uniquement comme bureau d’affaires alors que la réglementation municipale imposait d’abord un usage résidentiel, le juge Christian M. Tremblay, J.C.Q., siégeant en appel de la décision de la Régie du logement a accueilli l’opposition du locataire et conclut que les conditions sous-jacentes au changement d’affectation n’étaient pas rencontrées.
« [47] Ainsi, pour que Mme Dubé puisse se servir, en partie, de l'appartement 105 comme bureau d'affaires, il est impératif qu'elle occupe le logement en question.
[48] Le Nouveau Petit Robert de la langue française 2009 indique qu'occuper signifie habiter. Or habiter veut dire:
- avoir sa demeure;
- occuper (une habitation, un logis) de façon durable;
- résider.
[49] En l'espèce, il est clair que Mme Dubé n'a pas l'intention d'occuper le logement de Mme Dupuis. L'aspect habitation est marginal et même incertain par rapport à l'utilisation réelle du logement, lequel est destiné à devenir un bureau d'affaires. Le caractère résidentiel du logement risque de se perdre. De plus, il n'y a aucune preuve au dossier que seulement 25% de la superficie (jusqu'à concurrence de 40 m2) servira comme bureau d'affaires. »
[43] Alors que la locatrice désire retirer le logement du marché locatif, sans maintenir un usage résidentiel conforme au zonage applicable dans le but de convertir celui-ci en place d’affaires seulement.
[44] Par conséquent, la perte du caractère résidentiel du logement contrevient donc aux conditions d’application de la réglementation en vigueur ce qui justifie l’opposition du locataire.
[45] Mais il y a plus.
Le projet de changement d’affectation recherché par la locatrice est-il faisable compte tenu de la taille du logement et de l’usage auquel la locatrice le destine?
[46] La locatrice pourrait-elle mener à bien son projet compte tenu des restrictions imposées par la réglementation municipale si elle avait conservé le caractère résidentiel du logement visé?
[47] Il s’agit ici de traiter de la faisabilité du changement d’affectation tel que la locatrice entend l’exercer.
[48] Rappelons que le logement ne compte que trois pièces et demie plus une cave dont la locatrice entend se servir comme entrepôt alors que la gestion d’immeuble se fera au rez-de-chaussée, lequel ne sera utilisé pour aucune autre fin par ailleurs.
[49] Rappelons aussi que le certificat autorisant cet usage additionnel limite cet usage au tiers de la superficie du plancher du logement jusqu’à concurrence d’un maximum de 50 m2.
[50] Compte tenu de la taille réduite du logement et de son usage exclusif pour des fins d’affaires et d’entreposage, il est improbable que l’usage des lieux soit limité à un tiers de la superficie du plancher.
[51] Outre l’installation de son bureau, le locateur a d’ailleurs laissé échapper qu’il envisage de s’adjoindre les services d’une collaboratrice.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[52] ACCUEILLE l’opposition au changement d’affectation des lieux loués.
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Linda Boucher |
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Présence(s) : |
le locataire Me Jessica Lee Moye, avocate du locataire le mandataire de la locatrice Me Josée M. Gagnon, avocate de la locatrice |
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Date de l’audience : |
16 juillet 2020 |
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[1] Émilie Laurin-Dansereau et Mélisandre Dorion-Laurendeau c. Les disques Passeport Inc. R.L. 31-050111-073G, le 12 avril 2005, j. adm. Francine Jodoin.
[2]
Carmen Gauthier c. Marie-Claude Beauvais, RDL,
[3] Suzanne Dupuis c. Monique Dubé,