Décision

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Belle-Isle c. Brick Warehouse

2020 QCCQ 10032

 

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

LOCALITÉ DE

QUÉBEC

« Chambre civile »

 

No:

200-32-703002-187

 

 

DATE:

10 DÉCEMBRE 2020

 

 

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

CHANTAL GOSSELIN, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

MARC-ANDRÉ BELLE-ISLE

[...], Québec (Québec) [...]

Demandeur

c.

THE BRICK WAREHOUSE LP

1540, boulevard Lebourgneuf, Québec (Québec) G2K 2M4

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

L’APERÇU

[1]          Le 30 novembre 2011, monsieur Belle-Isle achète un fauteuil et un canapé-lit ainsi qu’une garantie prolongée chez le détaillant de meubles, d’électroménagers, de matelas et de produits électroniques The Brick Warehouse LP (ci-après Brick)[1].

[2]          Les meubles achetés sont livrés au domicile de monsieur Belle-Isle le 15 décembre 2011[2].

[3]          Le 14 septembre 2015, monsieur Belle-Isle se plaint auprès de Brick d’une déchirure et d’un pelage du cuir du canapé.

[4]          Le 29 septembre 2015, un technicien de Brick se rend chez monsieur Belle-Isle. Il constate l’état des meubles achetés :

·        Le fauteuil présente un affaissement anormal du siège;

·        Les deux coussins du siège du canapé présentent une détérioration anormale du cuir (plusieurs déchirures et décoloration du cuir).

[5]          Le technicien recommande à Brick la réparation du fauteuil, couverte par la garantie prolongée, mais considère que la décoloration et les déchirures du siège du canapé ne sont pas couvertes par la garantie prolongée en raison d’une exclusion spécifique et d’un mauvais usage. Le 7 octobre 2015, Brick en informe monsieur Belle-Isle.

[6]          Le 31 octobre 2015, Brick procède à la réparation du fauteuil couvert par la garantie prolongée[3].

[7]          Le 16 novembre 2015, monsieur Belle-Isle transmet par poste recommandée une mise en demeure à Brick qui, par la voix de son représentant, affirme ne pas l’avoir reçue. De façon étonnante, il est indiqué par le postier sur le relevé de Postes Canada « livré sans signature ».

[8]          Presque trois ans plus tard, le 5 octobre 2018, monsieur Belle-Isle s’adresse à nouveau à Brick afin d’obtenir un suivi à sa demande de réparation. Monsieur Dave Germain, directeur du magasin, propose à monsieur Belle-Isle un crédit de 700 $ (taxes incluses) en magasin pour l’achat d’un canapé en remplacement et un prix préférentiel, sans admettre quelque responsabilité.

[9]          Le 15 octobre 2018, monsieur Belle-Isle dépose une demande à la Division des petites créances, sans avoir informé monsieur Germain de son refus de l’offre. Brick en reçoit la notification le 17 octobre 2018. Monsieur Belle-Isle réclame 2 819,30 $ à Brick en dommages-intérêts en raison de son non-respect de la garantie. Les postes de la réclamation se détaillent ainsi :

 

Remboursement du prix d’achat du divan-lit

1 533,31 $

Remboursement de la garantie prolongée

275,99 $

Dommages punitifs

1 000,00 $

Frais d’envoi de la mise en demeure

10,00 $

[10]        Le 3 novembre 2018, monsieur Belle-Isle se présente en magasin à la suite de l’offre reçue, mais affirme vouloir réfléchir au sujet d’un nouveau modèle et qu’il lui reviendrait, sans prévenir Brick du dépôt de sa demande à la Division des petites créances.

[11]       Le 19 novembre 2018, monsieur Belle-Isle reçoit une lettre de Brick formulant une offre de règlement selon deux options possibles[4] :

·        Un crédit en magasin pour un total de 1 149,73 $ et le remboursement de 111 $;

·        Un remboursement de 765,18 $.

[12]       Aucune réponse n’y est donnée par monsieur Belle-Isle.

[13]       Brick conteste la demande en soulevant les principaux motifs suivants :

·           Elle admet avoir vendu à monsieur Belle-Isle un fauteuil et un canapé ainsi qu’une garantie prolongée sur ces biens pour un total de 2 239,94 $ (taxes en sus);

·           Un rabais de 999,97 $ avait été appliqué sur le prix de vente du canapé de 1 999,97 $ en vertu de la promotion « sofa à moitié prix », fixant son réel prix de vente à 999,99 $ (taxes en sus);

·           La garantie prolongée sur le fauteuil et le canapé a été vendue au prix de 239,99 $ (taxes en sus);

·           Le 16 octobre 2018, une entente de principe est intervenue entre les parties par laquelle Brick s’engageait à donner à monsieur Belle-Isle un crédit en magasin d’un montant de 700 $ (taxes incluses) et un prix préférentiel à l’achat d’un canapé de remplacement, même si les problèmes du canapé étaient expressément exclus;

 

·           Le 3 novembre 2018, sans l’informer du dépôt de sa demande à la Division des petites créances, monsieur Belle-Isle s’est présenté en magasin, mais n’a pas choisi de canapé, affirmant vouloir réfléchir au nouveau modèle et revenir;

·           Monsieur Belle-Isle n’y a donné aucune suite;

·           Monsieur Belle-Isle a attendu près de trois ans pour donner suite à sa réclamation auprès d’elle sans rien demander de plus;

·           Monsieur Belle-Isle n’a pas répondu à son offre de règlement qu’il a reçue le 19 novembre 2018 qui était juste, raisonnable et répondait à ses obligations légales;

·           Le prix de la garantie prolongée couvrait à la fois le canapé et le fauteuil qui a d’ailleurs été réparé sans autres frais pour monsieur Belle-Isle : le montant maximal que ce dernier pourrait réclamer est de 137,99 $ (prix payé de 275,99 $ ÷ 2);

·           Une dépréciation doit être calculée au prorata des années d’utilisation (plus de sept ans) sur la base d’une espérance de vie maximale de huit ans : le montant maximal que pouvait réclamer monsieur Belle-Isle est de 143,72 $ [1 149,73 $  (taxes incluses) ÷ 8];

·           Elle considère que le montant maximal auquel monsieur Belle-Isle a droit est de 291,71 $ [137,99 $ (demie du coût de la garantie prolongée) + 143,72 $ (valeur résiduelle du canapé) + 10 $ (frais de la mise en demeure)];

·           Une offre bien supérieure avait été proposée par Brick, mais refusée par monsieur Belle-Isle.

[14]       En début d’audience, le Tribunal explique sommairement aux parties les règles de preuve qu’il est tenu de suivre, la procédure qui lui paraît appropriée et soulève les règles de prescription applicables[5]. Brick fait le choix de ne pas soulever le motif de prescription à l’encontre de monsieur Belle-Isle, même s’il aurait été fatal pour ce dernier dans l’exercice de son recours. Le Tribunal retient que Brick ne tente pas se défiler face à ses responsabilités.

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

1re question :   Brick doit-elle indemniser monsieur Belle-Isle en raison de l’état de son canapé-lit?

[15]       Le Tribunal conclut que oui.

2de question :   Le cas échéant, quels sont les dommages-intérêts que Brick doit payer à monsieur Belle-Isle?

[16]       Le Tribunal conclut que Brick doit payer 605,75 $ à monsieur Belle-Isle à titre de dommages-intérêts.

[17]       Voici pourquoi.

L’ANALYSE

1re question :   Brick doit-elle indemniser monsieur Belle-Isle en raison de l’état de son canapé-lit ?

[18]       Le contrat de vente des meubles intervenu entre les parties est régi par la Loi sur la protection du consommateur (L.p.c.) et le Code civil du Québec (C.c.Q.), au bénéfice du consommateur :

·               La L.p.c. prévoit une double garantie, l’une dite d’usage (ou de bon fonctionnement)[6], l’autre de durabilité[7];

·               Le Code civil du Québec prévoit une garantie générale de qualité[8].

[19]       La garantie d'usage permet au consommateur de faire un usage normal du bien qu'il achète, c'est-à-dire qu'il doit être exempt d’un défaut qui empêche l'usage auquel il est normalement destiné.

[20]       La garantie de durabilité implique qu'au moment de la vente, le véhicule d'occasion doit être utilisable pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat de vente et aux conditions d’utilisation du bien.

 

[21]        Les parties sont également liées par la garantie prolongée conventionnelle qui ne contient pas d’exclusion de couverture en ce qui a trait aux fendillements, déchirures et perforations du cuir ne résultant pas d’une faute intentionnelle, de la négligence ou de la mauvaise utilisation des meubles[9].

[22]        Il appartient à monsieur Belle-Isle de prouver de façon prépondérante le bien-fondé de sa réclamation. Il doit donc démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable, par une preuve directe, mais aussi par les circonstances et les inférences graves, précises et concordantes qu'il est raisonnablement possible d'en tirer[10].

[23]       Par contre, lorsque la détérioration du bien survient prématurément par rapport à des biens identiques ou de même espèce, l’existence d’un vice au moment de la vente est présumée en cas de vente par un vendeur professionnel comme en l’espèce. Cette présomption peut être repoussée si le défaut est dû à une mauvaise utilisation du bien par l’acheteur[11].

[24]       Lors de l’audience, monsieur Germain a affirmé qu’un canapé de cuir avait une durée de vie utile de dix à douze ans. La jurisprudence retient une durée de vie utile variant de dix à treize ans[12]. En l’espèce, le Tribunal retient une durée de vie de douze ans.

[25]       Les photographies démontrent clairement que le canapé-lit présente une usure prématurée qui constitue un manquement aux obligations légales de Brick.

[26]       En effet, rien dans la preuve ne permet au Tribunal de conclure que les déchirures sont le résultat d’une faute intentionnelle, de la négligence ou de la mauvaise utilisation de monsieur Belle-Isle, de sa conjointe ou de leurs invités.

[27]       Selon la preuve, le Tribunal conclut que le canapé-lit vendu par Brick présentait un défaut qui ne pouvait être décelé au moment de l’achat et qu’il s’est détérioré prématurément puisqu’il n’a pu être utilisé normalement pendant une durée raisonnable eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien.

[28]       Brick doit indemniser monsieur Belle-Isle en raison de l’état de son canapé-lit.

 

2de question :   Le cas échéant, quels sont les dommages-intérêts que Brick doit payer à monsieur Belle-Isle?

[29]        Monsieur Belle-Isle réclame à Brick 1 819,30 $ à titre de dommages-intérêts ainsi que 1 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs en vertu de l’article 272 L.p.c.

[30]        Le Tribunal est informé des offres de règlement présentées par Brick à monsieur Belle-Isle. Mais puisqu’elles ont été refusées, le Tribunal n’en tiendra pas compte pour fixer le montant des dommages-intérêts approprié dans les circonstances.

[31]        En matière contractuelle, Brick ne peut être tenue que des dommages-intérêts prévisibles comprenant que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution de ses obligations, sans provoquer d’enrichissement de monsieur Belle-Isle[13]. Et si des dommages-intérêts punitifs devaient être versés, ils ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive[14].

[32]        Le Tribunal tient compte que monsieur Belle-Isle continuait d’utiliser le canapé-lit lors de l’audience, camouflant les déchirures du cuir sous un jeté. Il s’agit d’un certain usage utile. Il est toutefois pertinent de reprendre un extrait d’un jugement rendu en semblable matière[15] :

[13]       Bien que la première qualité que l’on demande à un sofa soit d’être confortable, il n’en demeure pas moins que l’aspect esthétique est important, surtout dans le cas d’un meuble en cuir.

[33]        Le Tribunal tiendra compte de cet aspect.

[34]        La preuve ne permet pas au Tribunal de déterminer le coût des réparations nécessaires pour la remise en état du canapé-lit.

[35]        Tel que mentionné lors de l’audience, dans la fixation des dommages-intérêts, le Tribunal ne peut accorder le plein remboursement du prix initial de mise en vente du canapé-lit de 1 999,97 $ sans tenir compte du rabais qui avait été appliqué lors de la vente. Le Tribunal ne peut davantage accorder le réel prix d’achat de 999,98 $ (ou 1 149,73 $ taxes incluses) prenant en considération le rabais applicable.

[36]        En effet, le Tribunal doit tenir compte de la dépréciation du canapé-lit pour éviter tout enrichissement.

 

[37]        Entre la date de livraison du canapé-lit (le 15 décembre 2011) et la date de la plainte formulée à Brick par monsieur Belle-Isle (le 14 septembre 2015) s’écoule un délai de trois ans et neuf mois. Le Tribunal retient que le canapé-lit avait presque atteint le tiers de sa vie utile lorsque la détérioration prématurée du cuir a été dénoncée par monsieur Belle-Isle à Brick la première fois.

[38]        Dans l’exercice de sa discrétion judiciaire, le Tribunal fixe les dommages-intérêts à ce poste à 595,75 $ [soit 1 149,73 $ ÷ 12 ans de vie utile = 95,81 $ / an X 8.25 ans (nombre d’années restantes de vie utile lors du premier constat de la détérioration prématurée) = 790,44 $ - 194,69 $ d’un certain usage pendant 5 ans et 1 mois (40 % /an de 95,81 $ / an  X 5.08 ans entre le 14 septembre 2015 et la date de l’audience, le 20 octobre 2020)].

[39]        La demande de monsieur Belle-Isle pour obtenir le remboursement du montant payé pour la garantie prolongée n’est pas justifiée. En effet, la garantie prolongée visait également un autre item acheté en même temps (le fauteuil) qui a d’ailleurs bénéficié de la couverture de cette garantie[16]. De plus, le Tribunal retient que cette garantie prolongée justifie en partie le recours de monsieur Belle-Isle en la présente instance. Ce poste de réclamation est rejeté.

[40]        Le Tribunal retient de plus à titre de dommages-intérêts les frais de poste de la mise en demeure de 10 $ encourus par monsieur Belle-Isle, admis par Brick.

[41]        Monsieur Belle-Isle réclame également des dommages-intérêts punitifs à l’encontre de Brick[17].

[42]        Il est vrai que de prime abord, Brick a fait défaut d’honorer la garantie de durabilité et la garantie prolongée conventionnelle sous un prétexte erroné soulevé par son technicien. Toutefois, dès qu’elle a formellement été interpelée par monsieur Belle-Isle, Brick a voulu corriger promptement la situation.

[43]        Il ressort de la preuve que dès que Brick a reçu une mise en demeure de monsieur Belle-Isle, elle n’a pas fui ses responsabilités et a déployé des démarches sérieuses afin de tenter de satisfaire monsieur Belle-Isle. Toutefois, l’exagération des postes de réclamation à la demande et le caractère déraisonnable des attentes de monsieur Belle-Isle ont empêché toute possibilité d’atteindre un règlement équilibré entre les parties. Le Tribunal ne peut en attribuer la faute à Brick.

[44]        Les dommages punitifs ne sont pas justifiés en la présente instance.

 

[45]        En résumé, Brick doit payer 605,75 $ à monsieur Belle-Isle à titre de dommages-intérêts (595,75 $ + 10 $).

[46]       Quant aux frais de justice, étant donné les circonstances propres au présent dossier, le Tribunal use de la discrétion judiciaire que lui octroie l’article 340 du Code de procédure civile de façon à faire assumer par chaque partie ses propres frais.

            POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[47]       ACCUEILLE PARTIELLEMENT la demande de monsieur Belle-Isle;

[48]       CONDAMNE Brick à payer 605,75 $ à monsieur Belle-Isle, avec intérêts au taux légal majoré de l’indemnité prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date du présent jugement;

[49]       LE TOUT, chaque partie payant ses propres frais de justice.

 

 

 

 

 

 

 

CHANTAL GOSSELIN, J.C.Q.

 

Date d’audience:

20 octobre 2020

 



[1]     Pièces P-1 et D-1.

[2]     Pièce D-2.

[3]     Pièce D-3.

[4]     Pièce D-7.

[5]     Conformément à l’article 560 du Code de procédure civile.

[6]     Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1, art. 37.

[7]     Id., art. 38.

[8]     Code civil du Québec, art. 1726.

[9]     Pièce D-5.

[10]    Code civil du Québec, art. 2803, 2804, 2811 et 2849.

[11]    Code civil du Québec, art. 1729.

[12]    Bélisle c. Brick, 2012 QCCQ 13535; Cantin c. Brick GP Ltd., 2011 QCCQ 4191; Choinière c. Brick Warehouse, l.p., 2010 QCCQ 12352.

[13]    Code civil du Québec, art. 1613.

[14]    Code civil du Québec, art. 1621.

[15]    Groulx c. Entrepôt The Brick, s.e.c., 2016 QCCQ 7266.

[16]    Sabat c. Brick (Entrepôt The Brick, s.e.c.), 2011 QCCQ 6845.

[17]    Loi sur la protection du consommateur, préc., note 6, art. 272.

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