Preti c. Alimonos |
2021 QCTAL 27853 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
584140 31 20210819 G |
No demande : |
3322621 |
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Date : |
03 novembre 2021 |
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Devant la juge administrative : |
Marilyne Trudeau |
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Diego Preti
Pino Dattoli |
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Locateurs - Partie demanderesse |
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c. |
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Nicolas Alimonos |
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Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Par un recours introduit le 19 août 2019, les locateurs demandent la résiliation du bail, l’expulsion du locataire et de tous les occupants du logement, l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel et les frais de justice.
[2] Les parties sont liées par un bail du 1er octobre 2015 au 30 juin 2016 au loyer mensuel de 600 $, reconduit jusqu’au 30 juin 2022 au loyer mensuel de 630 $.
APERÇU
Preuve des locateurs
[3] Selon les locateurs, le locataire a effectué des modifications aux installations électriques du logement concerné, causant deux coupures électriques pour ses voisins. En raison de la non-conformité de ces changements, ils craignent perdre leurs assurances et leur hypothèque de même qu’ils craignent pour la sécurité des autres occupants de l’immeuble, les risques d’incendie étant augmentés.
[4] Le 15 juillet 2021, une mise en demeure a été expédiée au locataire lui demandant de fournir une preuve émanant d’un électricien qualifié afin d’attester de la conformité des travaux qu’il a effectués sur le réseau électrique du logement.
[5] Sophie Boisvert, locataire de l’immeuble et électricienne apprentie de niveau 3, diplômée depuis 2017, explique s’être rendue au logement à deux reprises, à la demande des locateurs afin de vérifier les installations électriques. En mars 2021, le locataire, voulant installer un appareil de levage pour personne handicapée ou malade, a sectionné un câble. En juillet 2021, elle constate à nouveau un câble sectionné. Elle explique avoir constaté, lors de cette deuxième visite, l’ajout de trois (3) extracteurs d’air, l’ajout d’appareils fixes d’éclairage, l’utilisation de câbles à deux conducteurs en cuivre torsadé de calibre 18 sans fil de mise à la terre, la possibilité de boîtes de jonction cachées dans les plafonds et les murs ainsi que le remplacement de deux plinthes chauffantes par des unités de type ConvectAir. Dans un courriel expédié aux locateurs, le 2 juillet 2021, déposé au dossier, elle explique plus amplement les problématiques soulevées. Notamment, que l’utilisation de câbles de calibre 18 est interdite et pourrait causer un incendie s’il y a surcharge, si un court-circuit se produit, si un joint est « lousse » ou se défait ou si l’un des appareils ou dispositifs est défectueux. Il est fort possible que les boîtes de jonction utilisées par le locataire pour l’installation du système de levage de personnes soient cachées dans la structure du plafond, alors que selon le Code des électriciens, elles doivent toujours être facilement accessibles. La plinthe chauffante de la cuisine d’une puissance de 1500 watts a été remplacée par un appareil de type ConvectAir de 2000 watts. Or, selon le Code des électriciens, un appareil de 1200 watts doit être branché sur un câble de calibre 14, mais un appareil consommant 2000 watts doit absolument être branché sur un câble de calibre 12. Madame Boisvert témoigne être sortie du logement concerné avec des inquiétudes en ce qui a trait à la sécurité structurelle et électrique de l’immeuble. Elle recommande qu’un entrepreneur électricien soit engagé afin de faire des inspections complètes des ajouts et des modifications faites par le locataire et qu’il procède aux correctifs nécessaires.
Preuve du locataire
[6] Le locataire déclare ne pas être responsable de certaines des anomalies électriques mentionnées par madame Boisvert, n’ayant pas fait de modifications pouvant les avoir causées. Notamment, il n’a pas branché l’appareil de type ConvectAir installé au mur de la cuisine.
[7] Il explique avoir demandé aux locateurs de venir le rencontrer, mais que ceux-ci n’ont pas répondu à sa demande.
[8] Il admet être responsable de deux coupures électriques dans l’immeuble. Il invoque avoir été surpris par la présence d’un fil à ces endroits. Il admet également avoir fermé le plafond après avoir procédé à certaines modifications.
[9] Il explique avoir plus de 40 années d’expérience en construction générale et avoir certaines connaissances en électricité. Questionné, il admet n’avoir aucune carte de compétence lui permettant d’exercer le métier d’électricien.
[10] Il a demandé à un électricien de venir voir, mais celui-ci aurait refusé d’inspecter indiquant venir pour travailler seulement. Il a déboursé la somme de 110 $ pour ce déplacement.
ANALYSE ET DÉCISION
Le fardeau de preuve
[11] Le Tribunal juge pertinent de rappeler les articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec qui prévoient que celui qui veut faire valoir un droit doit faire la preuve des faits allégués dans sa demande, et ce, de façon prépondérante.
[12] La force probante de la preuve testimoniale est laissée à l'appréciation du Tribunal, qui, pour ce faire, évalue la crédibilité des témoignages à la lumière de la chronologie des événements, de ce qui apparaît de la motivation des parties à agir et de la corroboration des allégations par d'autres témoignages, notamment.
[13] Par conséquent, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le Tribunal est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, la partie demanderesse perdra[1].
[14] Comme le soulignent les auteurs Nadeau et Ducharme dans leur Traité de droit civil du Québec :
« Celui sur qui repose l'obligation de convaincre le juge supporte le risque de l'absence de preuve, c'est-à-dire qu'il perdra son procès si la preuve qu'il a offerte n'est pas suffisamment convaincante ou encore si la preuve offerte de part et d'autre est contradictoire et que le juge est placé dans l'impossibilité de déterminer où se trouve la vérité[2]. »
Le droit
[15] Mentionnons que l'article 1854 du Code civil du Québec, entre autres, impose au locateur l'obligation de fournir la jouissance paisible des lieux loués au locataire tout au long du bail.
[16] Le corollaire à cette obligation, pour le locataire, est celle qui est faite à l'article 1855 C.c.Q., d'user du bien avec prudence et diligence et de ne pas en modifier la destination comme il est énoncé à l’article 1856 C.c.Q.
[17] En cas de défaut d'un locataire de respecter ces obligations légales et contractuelles, un locateur peut demander la résiliation de son bail, s'il en subit un préjudice sérieux, comme le prévoit l'article 1863 C.c.Q.
[18] Comme l'écrivent les auteurs Isabelle Jodoin et Pierre Gagnon :
« Pour obtenir la résiliation en cours de bail, la partie requérante (locataire ou propriétaire doit d'abord alléguer et prouver la faute, c'est-à-dire un événement ou comportement qui contrevient aux obligations contractuelles ou légales du cocontractant. Elle doit en outre établir que cette situation lui cause un préjudice sérieux. Il n'existe par ailleurs aucune définition légale permettant de définir le préjudice sérieux. Selon les circonstances, on tiendra compte du nombre de fautes commises, de leur gravité, ou encore des effets de la contravention sur le bien-être du patrimoine de la victime[3]. »
[19] En ce qui concerne les manipulations du système électrique du logement, le Tribunal estime qu'il s'agit d'une négligence grossière de la part du locataire qui aurait pu avoir de graves conséquences.
[20] Le Tribunal estime que les divers installations et branchements électriques qu'a faits le locataire, sans l'autorisation des locateurs, constituent un manquement grave et sérieux à ses obligations.
[21] Ce manquement est d'autant plus sérieux puisqu'il s'est entêté à poursuivre ses installations artisanales,bien qu’il ait sectionné un premier câble électrique, privant d’électricité d’autres occupants de l’immeuble. Le locataire s’est entêté à poursuivre ses activités, non autorisées, causant un second bris de câble.
[22] De plus, le locataire est loin d'avoir convaincu le Tribunal qu’il détient une quelconque compétence professionnelle lui permettant de se livrer à de tels travaux.
[23] Le Tribunal estime donc que ce comportement cause aux locateurs un préjudice sérieux qui justifie la résiliation du bail.
[24] Toutefois, le Tribunal considère qu'il y a lieu de surseoir à la résiliation du bail et d'y substituer une ordonnance selon l'article 1973 C.c.Q. enjoignant au locataire de cesser immédiatement et de façon définitive, toute manipulation quelconque du système électrique et de n’effectuer aucune modification, réparation ou installation dans le logement concerné sans avoir, au préalable, avisé les locateurs et avoir obtenu leur consentement.
[25] L'ordonnance émise sous l'article 1973 du Code civil du Québec est souvent qualifiée de « dernière chance » et vise à permettre à un locataire de s'amender et d'éviter immédiatement la sanction ultime que constitue la résiliation du bail.
[26] Dans un tel cas, la seule preuve de la contravention suffit à faire droit à la demande de résiliation de bail.
[27] L'auteur Me Pierre-Gabriel Jobin mentionne ce qui suit :
« En matière de louage résidentiel, d'une part, une disposition expresse confère au tribunal le pouvoir discrétionnaire de refuser la résiliation demandée et d'ordonner plutôt l'exécution en nature de l'obligation violée; si, toutefois, le locataire, ensuite, persiste dans son défaut et que le locateur formule une seconde demande de résiliation, elle sera alors accordée automatiquement. Il s'agit d'une sorte d'ultimatum lancé au locataire[4]. »
[28] Le Tribunal réserve les recours des locateurs en ce qui a trait aux dommages pouvant découler de la remise en état du système électrique, résultant des manipulations faites par le locataire.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[29] ORDONNE au locataire de cesser immédiatement et de façon définitive toute manipulation quelconque du système électrique et de n’effectuer aucune modification, réparation ou installation dans le logement concerné sans avoir, au préalable avisé les locateurs et avoir obtenu leur consentement, et ce, pour toute la durée du bail en cours et pour ses trois périodes de reconduction subséquentes, le cas échéant;
[30] ORDONNE l'exécution provisoire immédiate de la présente décision, malgré l'appel;
[31] CONDAMNE le locataire à payer au locateur la somme de 102 $, à titre de frais judiciaires, y incluant les frais de signification prévus par règlement;
[32] REJETTE la demande quant aux autres conclusions;
[33] RÉSERVE les autres recours des locateurs.
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Marilyne Trudeau |
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Présence(s) : |
les locateurs le locataire |
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Date de l’audience : |
21 octobre 2021 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.