Décision

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Dion c. Conseil de la Justice administrative du Québec

2025 QCCS 2765

 

 

 

 

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

québec

No :

200-17-037015-252

 

 

 

DATE :

7 août 2025

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

BERNARD TREMBLAY, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

AMÉLIE DION

Demanderesse

c.

CONSEIL DE LA JUSTICE ADMINISTRATIVE DU QUÉBEC

Défendeur

et

PATRICE SOH

          Mis en cause

           

______________________________________________________________________

 

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

  1.                 La demanderesse se pourvoit en contrôle judiciaire d’une décision rendue le 25 novembre 2024 par un comité d’enquête [le Comité] constitué par le Conseil de la Justice administrative du Québec [CJAQ] qui conclut qu’elle a commis un manquement au Code de déontologie des membres du Tribunal administratif du logement[1] et qui recommande au CJAQ de lui imposer une réprimande.

 

  1.                 La demanderesse est membre du Tribunal administratif du logement [TAL].
  2.                 Il lui est reproché d’avoir fait preuve de partialité en faveur de la représentante d’un locataire lors d’un débat opposant celui-ci à son locateur, représenté par le mis en cause, en outrepassant son devoir d’assistance et de secours équitable.
  3.                 De fait, le locataire, bien qu’ayant reçu le même jour un avis d’augmentation du coût de son loyer et un avis de reprise de logement, ne s’opposait qu’au premier, ayant laissé le second sans réponse.
  4.                 La demanderesse aurait toutefois, selon le Comité, multiplié les interventions pour inciter le locataire à faire valoir ses droits contre l’éviction, allant jusqu’à l’informer des conséquences de son inaction, du véhicule procédural pour y remédier et des moyens de défense possibles.
  5.                 Le Comité conclut que, ce faisant, la demanderesse a commis un manquement déontologique, alors qu’elle a pris en main l’audience afin de privilégier le locataire et versé dans le conseil, ce qui, dans les circonstances, justifie, selon lui, l’imposition d’une réprimande.
  6.                 Le Tribunal estime que la décision entreprise appartient aux issues possibles et acceptables au regard des faits et du droit applicable.

ANALYSE

La décision entreprise

  1.                 Pour déterminer si les interventions de la demanderesse constituent un manquement déontologique, le Comité retient la grille d’analyse suivante, tirée de l’affaire Prud’homme et Chaloux[2] :

a) Le juge a-t-il troqué sa toge contre celle d’un avocat?

b) A-t-il donné l’impression de vouloir prendre le dossier en main, sans l’aide des parties?

c) Le rôle actif qu’il s’est attribué a-t-il gêné l’une des parties et privé celle-ci du bénéfice d’un procès qui donne l’apparence de l’impartialité nécessaire au maintien du respect que doit susciter l’administration de la justice ?

d) Sa conduite a-t-elle rompu l’équilibre de façon telle qu’il résulte une atteinte à l’équité de l’audience?[3]

  1.                 Par la suite, le Comité conclut que :

29. Les actions de la juge administrative lors de cette première audience démontrent qu’elle conseille la conjointe du locataire;

30. Toutes ces actions sont initiées de son propre chef et non pas à la suggestion ou à la demande d’une partie. Le Comité d’enquête constate qu’elle prend en main l’audience afin de privilégier le locataire. Ses actions vont au-delà du devoir de secours et d’assistance puisqu’elle verse dans le conseil. L’insistance à consulter un avocat sort des limites de la suggestion ou de l’offre. Si la conjointe du locataire avait accepté l’invitation de la juge de consulter un avocat, il appartenait à ce dernier de l’informer des conséquences de son inaction, du véhicule procédural pour y remédier et de ses moyens de défense possibles.

[…]

37. Le comité estime que Me Dion a outrepassé son devoir d’assistance et de secours équitable en prodiguant un véritable conseil juridique au locataire; elle lui indique les recours à sa disposition et les motifs pouvant être invoqués pour contrer l’action prise par le locateur.

38. Ce seul élément tend à démontrer un manque d’impartialité.

39. Ce sentiment est renforcé par le fait qu’elle refuse de répondre à la question du plaignant quant à son droit de percevoir le loyer dans le contexte alléguant qu’elle ne peut lui prodiguer de conseils juridiques.

  1.            Statuant sur la sanction, le Comité ajoute que :

43. D’une part, il appert de la preuve que la juge demeure saisie de l’affaire et entend rapidement les parties, ce qui limite les préjudices subis par la locatrice et permet, comme souhaité par Me Dion, à la partie locataire de consulter un avocat dans un délai relativement court. Malgré la conclusion du comité sur le manquement, il n’en demeure pas moins que la balance des inconvénients pour les parties est sauvegardée par ce court délai, ce qui apparait au comité comme un facteur atténuant.

[…]

45. Il est indéniable qu’il appert qu’elle a voulu porter conseil et assistance à une partie qui n’est pas représentée par avocat et qui n’a aucune compréhension du processus juridique auquel elle fait face par rapport à une partie qui semble avoir une certaine expérience devant le TAL.

[…]

48. Certes, il est important d’assister les parties, de les accompagner dans le processus de l’audience et le décorum à suivre, de déterminer l’objet du litige, de les instruire quant au fardeau de preuve. Les conseiller porte préjudice à l’impartialité des institutions que sont les tribunaux administratifs.

Les moyens invoqués et les principes applicables

  1.            Selon la demanderesse, la décision du Comité est déraisonnable et à cet égard, elle fait valoir les moyens suivants :

Même en admettant que la demanderesse aurait « outrepassé son devoir de secours et d’assistance par ses différentes interventions et décisions à l’audience », il est déraisonnable de conclure pour autant qu’elle a commis une infraction déontologique;

Le CJAQ a erré dans sa compréhension de la portée du devoir d’assistance à un justiciable non représenté tel que défini par la jurisprudence et il a omis de tenir compte de l’ensemble des circonstances et de la situation réelle du locataire[4]. 

  1.            Selon la demanderesse, qui s’appuie sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada rendu dans l’affaire Vavilov[5], le CJAQ a rendu une décision qui n’est pas justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur sa décision.
  2.            L’article 63 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[6] énonce que :

Le membre du Tribunal apporte à chacun un secours équitable et impartial de façon à faire apparaître le droit et en assurer la protection.

  1.            Dans l’affaire Lachapelle c. Ville de l’Assomption[7], notre Cour s’exprime de la façon suivante :

24. Les juges ont non seulement le pouvoir, mais l’obligation d’assister un justiciable non représenté. Ce devoir s’inscrit dans le contexte de la nécessité d’assurer un procès juste et équitable :

[8] Le juge du procès a le devoir d’assister le défendeur non représenté par avocat afin de s’assurer que le procès est juste et équitable. La forme et l’étendue de l’assistance que doit fournir le juge sont en fonction de la nature et des circonstances de l’affaire. L’assistance du juge doit aussi être adaptée aux capacités du défendeur. Généralement, le juge doit donner au défendeur des explications sommaires sur le processus et le guider pour qu’il puisse se défendre de manière appropriée et pour qu’il puisse faire valoir ses droits. Le juge doit donner une aide raisonnable au justiciable sans pour autant jouer le rôle de l’avocat de la défense. La suffisance de l’assistance fournie par le juge doit être évaluée en contexte. Il s’agit de déterminer s’il y a eu atteinte au droit à un procès juste et équitable causant un déni de justice.

       [Renvois omis]

  1.            Dans l’arrêt M.R. c. R., la Cour d’appel rappelle ce qui suit :

 25. Lorsque l’accusé n’est pas représenté par avocat, le défi est de taille pour le juge à qui incombe, à l’égard de la partie non représentée, une obligation d’assistance. Cette obligation, à géométrie variable, peut être minimale ou plus élaborée selon les circonstances[8].

  1.            La demanderesse réfère le Tribunal à un article intéressant article sur le sujet :

L’étude de la jurisprudence de la Cour d’appel du Québec et de la Cour suprême du Canada démontre que l’intensité et la nature de cette obligation est à établir en fonction des circonstances propres à chaque espèce. Or l’absence de balises claires crée de l’incertitude non seulement pour les parties mais également pour les juges, qui ne savent pas toujours comment ou jusqu’à quel point mettre en œuvre l’obligation d’assistance.

Dans plusieurs juridictions, des réflexions sont en cours pour clarifier la nature de l’obligation d’assistance, en sensibilisant la magistrature aux réalités socioéconomiques des justiciables non représentés et à la complexité du droit et de la procédure. Elles impliquent la reconceptualisation de rôle judiciaire, mettant en cause les liens entre passivité et impartialité qui renforceraient directement les désavantage des parties non représentées, peu rompues au droit et au processus judicaire[9].

  1.            Toujours selon la demanderesse, la jurisprudence portant sur ce devoir d’assistance d’une partie non représentée par avocat est à la fois abondante et variable sur l’étendue de cette obligation, mais ajoute qu’une erreur commise par un juge dans le cadre de cette fonction constitue non pas un manquement déontologique mais une erreur de droit sujette à révision :

30. La demanderesse soumet qu’une erreur commise par un juge dans le cadre de ses fonctions ne donne pas ouverture à une plainte en déontologie. Comme le Conseil de la magistrature du Québec l’a bien expliqué dans l’affaire Plaignant multiples et Juge, Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, 2022-CMQC-079 : 

[22] Le premier article du Code de déontologie de la magistrature rappelle que le rôle du juge est de de rendre justice dans le cadre du droit. Dans notre société démocratique, un juge ne peut donc refuser délibérément d’appliquer la loi. À titre d’exemple, les juges ne peuvent « invoquer une cause noble qui leur tient particulièrement à cœur pour refuser de rendre justice dans le cadre de la loi et appliquer ce qu’ils estiment juste et pertinent. 

[23] Cela dit, comme expliqué précédemment, l’angle d’analyse déontologique demeure la conduite du juge, et non le bien-fondé de la décision qu’il rend. Par conséquent, si le juge commet, dans sa décision, une erreur de droit, c’est aux tribunaux d’appel qu’appartient la responsabilité de la corriger, et non au Conseil de la magistrature. En bref, le fait pour un juge de se tromper en droit, dans l’exercice de sa discrétion judiciaire, ne donne pas ouverture au processus déontologique, mais plutôt à celui de l’appel[10].

  1.            La demanderesse porte également à l’attention du Tribunal la décision de notre Cour rendue dans l’affaire Girard c. Directeur des poursuites criminelles et pénales[11] :

2.1 La juge a manqué à son devoir d’information relatif au droit à l’assistance d’un avocat.

18. Lorsque Mme Girard se présente à la barre pour rendre témoignage, la juge d’instance ne lui procure aucune assistance et lui demande simplement si elle a quelque chose à dire en lien avec la preuve entendue.

19. Or, la juge d’instance avait, au minimum, le devoir d’informer Mme Girard qu’elle avait le droit à l’assistance d’un avocat et qu’en choisissant de se représenter seule, elle se trouvait dans une position désavantageuse. Elle avait également le devoir de s’assurer qu’elle maintenait son choix malgré tout.

20. La juge d’instance a donc manqué à ses obligations à cet égard.

2.2 La juge n’a pas vérifié la compréhension de Mme Girard des éléments essentiels de l’infraction et du fardeau de preuve qui lui incombait 

21. Mme Girard a admis ne pas avoir porté son couvre-visage dans un lieu public désigné dans le Décret. Le moyen de défense qu’elle invoquait reposait plutôt sur une exception prévue à ce dernier.

22. Or, lorsqu’un défendeur fait valoir une exception à une loi, il lui appartient d’établir, selon la balance des probabilités, qu’il bénéficie de celle-ci.

23. À ce sujet, dans l’arrêt M.R., la Cour d’appel du Québec a conclu qu’il revient au juge du procès de s’assurer que l’accusé comprenne les éléments essentiels de l’infraction pour savoir ce qu’il peut utilement mettre de l’avant au procès, par son témoignage ou autrement, ou encore décider s’il souhaite retenir les services d’un avocat.

24. Le juge doit donc prendre soin d’identifier, pour l’accusé non représenté, les questions importantes pour le procès, de lui prêter une assistance raisonnable dans la présentation de sa défense et de le guider d’une manière que sa défense puisse avoir pleinement effet.

[…]

26. Lors du procès de Mme Girard, l’arrêt Lauzon n’avait pas encore été rendu. Cependant, le jugement de la Cour supérieure, qui concluait au même effet, l’était. La juge d’instance avait donc l’obligation de signaler à Mme Girard que si elle souhaitait se prévaloir de cette défense, il lui incombait d’établir, selon la balance des probabilités, qu’une condition médicale l’empêchait de porter le masque.

  1.            Sur ce dernier volet, la demanderesse invoque l’extrait suivant de la décision du Conseil de la magistrature rendue dans l’affaire Guillemette c. Verreault[12] :

Il semble évident que le seul fait de rendre un mauvais jugement ne peut constituer un manquement à l’article premier du Code de déontologie. Si un juge, par oubli, par inadvertance ou même par ignorance, n’applique pas une disposition de la loi, ou encore, s’il estime à tort qu’elle ne s’applique pas à son cas, ou encore, s’il l’interprète mal, le moyen de remédier à sa décision est un recours aux tribunaux d’appel. Il en est de même lorsque, de bonne foi, un juge retient, dans le cadre de l’exercice de sa discrétion judiciaire, des motifs dont il n’aurait pas dû légalement tenir compte. Dans de tels cas, le juge a erré à l’intérieur de sa discrétion judiciaire et on ne peut le lui reprocher devant un organisme disciplinaire.

Il en est autrement cependant du juge qui délibérément n’applique pas la loi ou qui retient, pour décider, des motifs, sachant que le droit lui commande de les écarter. Dans ces cas, il devient sujet à sanctions par l’organisme disciplinaire quelle que soit la raison qui a pu le pousser à agir de la sorte.

Un juge commet donc un manquement au Code de déontologie lorsque, sachant le droit, il ne l’applique pas de propos délibéré pour un motif autre que l’interprétation qu’il en donne.

La décision de l’intimée nous convainc qu’elle a tenté de se bien diriger en droit et de tenir compte des facteurs qu’elle estimait pertinents à la décision qu’elle devait rendre. Si elle a erré, manifestement elle l’a fait de bonne foi, et il appartiendra à la Cour d’appel d’en décider.

L’intimée n’a donc pas contrevenu à l’article 1 du Code de déontologie.

  1.            En somme, selon la demanderesse, elle a agi conformément à son devoir de secours et d’assistance d’une partie non représentée par un avocat en tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’affaire et s’il fallait conclure qu’elle aurait pu outrepasser ce devoir, il n’en résulte pas une infraction déontologique, mais une erreur de droit.
  2.            Ce faisant, selon la demanderesse, il était déraisonnable pour le Comité d’en arriver à une autre conclusion.
  3.            Pour sa part, le CJAQ soutient que le rapport du Comité du 25 novembre 2024 ne contient aucune lacune fondamentale qui justifierait l’intervention de la Cour en ce que les motifs énoncés à ce rapport, lu dans son ensemble, sont rationnels et sont défendables compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes.
  4.            Selon le CJAQ, le Comité s’est bien dirigé en utilisant la grille d’analyse établie par le Conseil de la Magistrature du Québec[13].
  5.            Le CJAQ ajoute que la demanderesse a par conséquent franchi les limites de son devoir de secours et d’assistance en prodiguant des conseils juridiques stratégiques à la conjointe du locataire, et non seulement des renseignements sur la procédure devant le TAL.
  6.            Il s’appuie en cela sur le constat voulant que la demanderesse n’a pas uniquement incité la représentante du locataire à avoir recours aux services d’un avocat, mais l’a également informé de l’existence d’une procédure pour être relevé du défaut d’avoir répondu à l’avis d’éviction, ajoutant qu’elle lui fait part de son opinion quant aux motifs qui pourraient invoqués afin d’éviter l’éviction et que « ce seul élément tend à démontrer un manque d’impartialité »[14].
  7.            Le Comité du CJAQ conclut enfin comme ceci :

Vu les motifs ci-dessus exposés, le comité conclut qu’il s’agit d’actes répréhensibles dont la gravité est suffisante aux yeux d’une personne raisonnable et bien informée pour porter atteinte à l’honneur, la dignité et l’intégrité de la charge de juge administratif du logement et ainsi ébranler la confiance du public dans le système de justice administrative.

  1.            Sur la question de savoir s’il s’agit d’une erreur de droit ou d’une faute déontologique, le CJAQ avance que la conduite d’un juge ne peut être soustraite à l’enquête disciplinaire du simple fait que sa conduite s’est manifestée dans le cadre d’une décision que le juge a prise dans une instance, qu’elle soit ou non susceptible d’appel, de sorte qu’une même conduite peut constituer à la fois un manquement déontologique et un motif d’appel[15].
  2.            Ainsi, selon le CJAQ, un même comportement d’un juge peut faire l’objet d’un contrôle à la fois sur le fond et sur la forme, rappelant que l’objectif devant guider un juge est de prévenir toute atteinte à la confiance du public envers les institutions judiciaires.
  3.            De l’avis du CJAQ, la demanderesse attaque l’opportunité du rapport du Comité ainsi que celle de la recommandation de la sanction, plutôt que leur raisonnabilité alors qu’il ne revient pas à la Cour de révision de se substituer au Comité et de rendre la décision qu’elle aurait rendue en ses lieu et place de sorte qu’en l’absence d’erreur déraisonnable liée aux contraintes factuelles et juridiques applicables, la Cour de révision ne doit pas intervenir[16].

Discussion et décision

  1.            Les deux parties conviennent que c’est la norme de la décision raisonnable qui doit s’appliquer en l’espèce, ce avec quoi le Tribunal est d’accord.
  2.            Le contrôle judiciaire consiste en un procès de la décision entreprise.  En appliquant la norme de la décision raisonnable, le tribunal de révision n’a pas à déterminer si la demanderesse a ou non commis une erreur et, le cas échéant, de quelle nature, mais d’évaluer sa raisonnabilité.
  3.            La question est en effet de déterminer si, à la lumière de la preuve dont il disposait et des principes juridiques applicables, le Comité pouvait raisonnablement conclure à un manquement déontologique de la part de la demanderesse et recommander l’imposition d’une réprimande.
  4.            À cet égard, il appartient à la demanderesse d’identifier dans la décision du Comité, une erreur consistant en une lacune fondamentale entachant sa décision de manière déraisonnable, au niveau de la justification factuelle retenue ou des principes juridiques appliqués.
  5.            Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême rappelle d’ailleurs :

 Il s’ensuit que le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision. Le rôle des cours de justice consiste, en pareil cas, à réviser la décision et, en général à tout le moins, à s’abstenir de trancher ellesmêmes la question en litige. Une cour de justice qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème. […] [17].

  1.            D’entrée de jeu, le Tribunal partage l’avis du CJAQ qu’une erreur d’appréciation du droit, comme celle de ne pas exercer ou encore d’outrepasser le devoir de secours et d’assistance, peut aussi constituer une faute déontologique[18].
  2.            On observe à la lecture des notes sténographiques que le locataire n’a pas contesté l’avis d’éviction en temps utile au motif qu’il croyait que la question relative à l’éviction avait été réglée par un jugement antérieur rendu le 14 novembre 2022 par le juge administratif Grégoire Des Rosiers qui a rejeté pour une question de forme le recours pour subdivision exercé par la locatrice[19].
  3.            Or, la demanderesse retiendra finalement que cette erreur a été corrigée par la locatrice le 22 décembre 2022 en transmettant un avis d’éviction rédigé cette fois-ci sur le bon formulaire en vue d’un changement d’affectation de son logement.
  4.            La lecture des notes sténographiques de l’audience du 12 juillet 2023 nous révèle également que le locataire a soulevé un doute sur l’existence d’une réponse ou non donnée par lui à l’avis d’éviction[20]. Ce doute a lui aussi contribué à inciter la demanderesse à ajourner l’audience pour s’assurer que le dossier était bien complet[21].
  5.            Or, dès qu’un ajournement fut envisagé par la demanderesse, le représentant de la locatrice a immédiatement remis en cause l’impartialité de celle-ci en lui indiquant à plusieurs reprises qu’elle était perçue par plusieurs plaideurs comme étant pro-locataire[22] et qu’il entendait porter plainte contre la demanderesse[23].
  6.            La demanderesse a donc invité à plusieurs reprises la locatrice à présenter une demande en récusation[24], terrain sur lequel cette dernière n’a pas trop voulu s’avancer par crainte de provoquer une remise.
  7.            Au moment d’ajourner l’audience du 12 juillet au 25 août 2023, tout en restant saisie du dossier, et ce, en tenant compte de la non-disponibilité de la locatrice durant les deux dernières semaines du mois de juillet, la demanderesse a, à nouveau, invité la locatrice à présenter rapidement une demande en récusation, si telle était son intention[25].
  8.            L’ajournement de cette audience a donc été motivé par plusieurs considérations, dont l’apparente partialité de la demanderesse soulevée par la locatrice et la possibilité que la locatrice puisse présenter une demande en récusation, la possibilité que la documentation déposée ne soit pas complète quant à l’existence d’une réponse ou non à l’avis d’éviction, ainsi que la possibilité d’une situation de chose jugée[26] résultant de la décision du juge Desrosiers du 14 novembre 2022, et enfin par la confusion possible résultant de la présence simultanée de deux avis aux finalités contradictoires et possiblement l’inopposabilité de la demande d’éviction pouvant en résulter [27].
  9.            Il est exact cependant que le report de cette audience du 12 juillet 2023 et du 25 août 2023 n’a causé aucun préjudice à la locatrice qui a finalement eu gain de cause et obtenu l’éviction de son locataire.
  10.            Là où la difficulté se pose en l’espèce est lorsque la demanderesse informe le locataire de la possibilité de demander d’être relevé de son défaut de contester l’avis d’éviction, ce qui peut sembler aller au-delà de la simple recommandation de consulter un avocat.
  11.            Le locataire a certes indiqué ne pas avoir les moyens de consulter un avocat mais n’a pas d’emblée refusé de le faire lorsque la demanderesse a évoqué la possibilité de recourir à l’aide juridique[28].
  12.            De plus, le locataire persiste durant l’audience du 12 juillet 2023 à soutenir qu’il a contesté l’avis d’éviction[29].
  13.            La demanderesse a, en quelque sorte, réfléchi à voix haute, par souci de prudence sans doute, sur les questions juridiques que pouvait soulever la preuve lui étant présentée, tout en voulant s’assurer que le locataire bénéficie des conseils d’un avocat pour y voir plus clair, d’avoir un dossier complet, mais également pour permettre à la locatrice de présenter une demande de récusation, le cas échéant, puisqu’ayant remis clairement en cause le manque d’impartialité de la demanderesse.
  14.            Or, lors de l’audience du 25 août 2023, la demanderesse comprend finalement qu’il n’y a pas eu de contestation de l’avis d’éviction[30], le locataire confondant sa réponse à l’avis d’augmentation de son loyer dans lequel il indique vouloir demeurer dans son logement, ajoutant qu’il croyait toujours que cette possibilité d’éviction avait été écartée définitivement par le jugement précité du juge Desrosiers[31].
  15.            En voulant éviter qu’une injustice ne soit commise, la demanderesse en a-t-elle causé une autre à l’endroit de la locatrice, créant ainsi une situation entrainant un manque d’impartialité envers cette dernière?
  16.            C’est ce qu’a décidé le Comité à la lumière de la preuve présentée devant lui.
  17.            Rappelons qu’il s’agissait pour le Comité en l’espèce d’établir les limites d’un devoir imposé aux tribunaux de prêter secours et d’assister une partie non représentée.
  18.            Le tribunal de révision ne doit pas procéder à une réévaluation de cette preuve pour parvenir à ses propres conclusions, mais uniquement évaluer si la décision du Comité est déraisonnable.
  19.            Or, la demanderesse n’a pas identifié au Tribunal une erreur fatale dans la décision du Comité qui rende celle-ci déraisonnable à la lumière de la preuve présentée et des principes de droit retenus par le Comité.
  20.            La question n’est pas de savoir si le tribunal de révision, s’il avait été saisi de la situation aurait conclu différemment du Comité, car ce n’est pas là la finalité du contrôle judiciaire à la lumière de la norme de la décision raisonnable.
  21.            La question est de savoir si le Comité a omis de tenir compte d’une contrainte juridique ou factuelle qui, s’il l’eut fait, aurait pu amener une solution différente.
  22.            Avec égards, le Tribunal estime que la demanderesse n’a pas mis en lumière une erreur du Comité de nature à rendre sa décision déraisonnable et constituant ainsi une faille importante qui affecte fatalement son raisonnement eu égard aux contraintes factuelles et juridiques applicables en l’espèce.
  23.            Il apparaît plutôt au Tribunal que le Comité a pris en considération les contraintes applicables et en a tiré une conclusion faisant partie des issues possibles dans cette affaire.
  24.            Par conséquent, il n’était déraisonnable pour le Comité de conclure que les interventions et décisions de la demanderesse constituent un manquement déontologique.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE le pourvoi en contrôle judiciaire;

LE TOUT, avec frais.                                                                                                                 

 

BERNARD TREMBLAY, J.C.S.

Me Guiseppe Batista, Ad. E.

Battista Turcot Israel S.E.N.C.

gbattista@btiavocas.com

 

Me David Ferland

Stein, Monast S.E.N.C.R.L. Avocats

David.ferland@steinmonast.ca

 

Date d’audience :

5 juin 2025

 


[1]  RLRQ, c. T-15.01, r. 1, articles 2, 3, 6 et 8.

[2]  2016 CMCQ 060.

[3]  Décision entreprise, par. 19.

[4]     Extrait de la plaidoirie écrite de la demanderesse.

[5]  Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65.

[6]  Loi sur le Tribunal administratif du logement, RLRQ, c. T-15.01.

[7]  2017 QCCS 467.

[8]  M.R. c. R., 2018 QCCA 1983.

[9]  Emmanuelle BERNHEIM, Alexandra BAHARY-DIONNE, Louis-Philippe JANNARD et Richard-Alexandre LANIEL, « L’assistance du tribunal aux justiciables non représentés : une obligation à géométrie variable, un rôle judiciaire à repenser », dans (2021) 55 RJTUM 1, 2.

[10]    Extrait de la plaidoirie écrite de la demanderesse.

[11]  2025 QCCS 389.

[12]  1994 CanLII 1786 (QC CM).

[13]  Prud’homme c. Chaloux, préc., note 2.

[14]  Décision entreprise, par. 38.

[15]  Luc HUPPÉ, La déontologie et la magistrature : droit canadien : perspectives internationales, Montréal, Wilson et Lafleur ltée, 2018, pages 154 et 177.

[16]  Lavigne c. Conseil de la justice administrative, 2021 QCCS 3106.

[17]    Préc. note 5, par. 100.

[18]  Moreau-Bérubé c. Nouveau- Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11.

[19]  Transcription de l’audience du 12 juillet 2023, pages 50 et 58.

[20]   Id., pages 16, 17, 18, 51, 52, 55, 56, 57, 59,

[21]   Id., pages 56 et 57.

[22]   Id., pages 34, 37, 41, 44, 52, 54, 55, 62, 68.

[23]   Id., pages 36, 39.

[24]   Id., pages 36, 38, 39, 54, 55, 61, 62.

[25]   Id., page 66.

[26]  Id., pages 32, 33, 56 et 57 et page 32 de la transcription de l’audience du 25 août 2023.

[27] Transcription de l’audience du 12 juillet 2023, pages 33, 44, 56 et 57.

[28]  Id., pages 32, 33, 49 et transcription de l’audience du 25 août 2023, page 28.

[29]  Transcription de l’audience du 12 juillet 2023.

[30]  Transcription de l’audience du 12 juillet 2023, page 49 et transcription de l’audience du 25 août 2023, pages 13, 20, 22.

[31]  Transcription de l’audience du 12 juillet 2023, page 50 et transcription de l’audience du 25 août 2023, page 21.

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