Décision

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Tavares et Montpak International inc.

2022 QCTAT 4238

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Laval

 

Dossiers :

1251865-61-2111 1285984-61-2207

Dossier CNESST :

506292481

 

 

Montréal,

le 15 septembre 2022

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

Simon Lemire

______________________________________________________________________

 

1251865

1285984

 

 

Jose Carlos Tavares

Jose Carlos Tavares

Partie demanderesse 

 Partie demanderesse

 

 

et

et

 

 

Montpak International inc.

Montpak International inc.

Partie mise en cause

 Partie mise en cause

 

 

et

 

 

 

Commission des normes, de l’équité,

de la santé et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

L’APERÇU

[1]                Monsieur Jose Carlos Tavares, le travailleur, demande de reconnaître que la lésion professionnelle qu’il a subie le 1er mars 2019 a entraîné un trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive[1].

[2]                Le travailleur demande aussi de déclarer que l’emploi de chauffeur-livreur de petits colis ou de mets préparés n’est pas un emploi convenable et qu’il ne peut donc pas, par conséquent, l’occuper[2].

[3]                Montpak International inc., l’employeur, et la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, la Commission, ont prévenu le Tribunal qu’ils ne seront pas présents à l’audience.

[4]                Le Tribunal est d’avis que le diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive découle des conséquences de la lésion professionnelle initiale et constitue une lésion professionnelle.

[5]                Le Tribunal est aussi d’avis que l’emploi de chauffeur-livreur ne respecte pas les limitations fonctionnelles du travailleur.

L’ANALYSE

[6]                Le Tribunal doit déterminer si le travailleur présente un trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive et si l’emploi de chauffeur-livreur peut être considéré comme un emploi convenable.

[7]                Le Tribunal va traiter en premier lieu la question de l’emploi convenable.

[8]                Le travailleur, désosseur pour l’employeur, est reconnu, à compter du 1er mars 2019, porteur de plusieurs lésions de nature professionnelle et à la suite d’un avis du Bureau d’évaluation médicale, les diagnostics de tendinite et de bursite de l’épaule droite et de tendinopathie de la coiffe des rotateurs droite, d’épicondylite du coude droit avec déchirure du haut grade des tendons communs des extenseurs du coude droit seront consolidés le 5 mars 2021, avec suffisance de soins et de traitement à cette date.

[9]                Ces lésions professionnelles ont aussi entraîné plusieurs atteintes permanentes et des limitations fonctionnelles pour l’épaule droite qui consistent à éviter les gestes au-delà de l’horizontale (90 degrés) du membre supérieur, et d’éviter de pousser, tirer ou soulever, plus de trois kilogrammes avec le membre supérieur droit isolé et loin du tronc.

[10]           Le travailleur conserve aussi des limitations fonctionnelles au niveau du coude droit, soit d’éviter les outils qui génèrent des vibrations ou des contrecoups, d’éviter les gestes répétitifs de prosupination avec le membre supérieur droit et aussi éviter de lever, pousser et tirer plus de trois kilogrammes (ce qui est très peu) avec le coude droit en extension et l’avant-bras en pronation, et ce de façon répétitive ou fréquente.

[11]           La Commission, dans le cadre du programme de réadaptation professionnelle mis en place en raison de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, a retenu le poste de chauffeur-livreur à titre d’emploi convenable pour le travailleur.

[12]           Selon les informations au dossier et celles de la fiche descriptive sur le site officiel de l’information scolaire et professionnelle (Repères), il est indiqué que l’emploi de chauffeur-livreur nécessite de manipuler de la marchandise, de faire l’entretien du camion, ce qui demande surement l’utilisation des deux bras et une force supérieure à trois kilogrammes, même si aucune preuve à cet effet n’a été présentée au Tribunal, et de le conduire évidemment. Dépendamment des modèles, il est fort possible que le volant nécessite, à l’occasion, d’avoir le bras droit surélevé à l’horizontale.

[13]           La Commission a alors déterminé que l’emploi convenable est celui de chauffeur-livreur de petits colis ou de mets préparés qui ne nécessite aucune formation, cela sans de véritables analyses de ce travail et pose l’hypothèse que ce travail respecte les limitations fonctionnelles du travailleur.

[14]           La Commission a aussi indiqué que cet emploi inclut celui de la livraison de petits colis. Cet emploi est difficilement analysable puisqu’on ne sait pas de quels petits colis on parle et quels sont les poids de ces petits colis, ni dans quel secteur de l’économie se retrouve ce type d’emploi, car rien ne garantit que ces petits colis ne dépasseront pas le poids de trois kilogrammes. Le même raisonnement pour cet emploi vaut aussi pour celui de livreur de mets préparés.

[15]           Le Tribunal est d’avis que cet emploi ne respecte pas les limitations fonctionnelles du travailleur. Dans un premier constat, la conduite d’une automobile nécessite des mouvements qui contreviennent aux limitations retenues au travailleur. Tant au niveau de l’épaule que du coude, les manœuvres d’un volant peuvent nécessiter d’avoir le bras droit à l’horizontale (90 degrés) et peuvent nécessiter des gestes de prosupination et/ou d’extension du membre supérieur droit. Le deuxième constant est que ce travail nécessite le transport de nourriture préparée, transport qui peut être léger, moins de trois kilogrammes, mais peut aussi être bien supérieur. En plus de la nourriture, il y a les breuvages (boissons gazeuses) et parfois un ou deux desserts, ce qui fait que la limitation de charges à trois kilogrammes sera régulièrement dépassée et requerra des gestes qui nécessiteront des mouvements de prosupination, d’extension de pronation, lors du transport et la livraison de ces repas préparés. Ce travail fait en sorte que le travailleur devra soulever et transporter des mets préparés qui dépassent le poids de trois kilogrammes.

[16]           La Commission n’a pas fait d’évaluation réelle et pratique de ce travail. Le Tribunal n’a pas de preuve non plus sur cette question de la manipulation d’un volant d’une voiture ou d’un camion de manière générale, de même la commande de mets préparés peut être considérée dans la sphère de la connaissance judiciaire et permet de reconnaître qu’un mets prépa peut facilement dépasser les trois kilogrammes, ne serait-ce qu’il soit souvent accompagné d’une boisson gazeuse d’un ou deux litres. Même s’il n’est pas possible d’affirmer que toutes les commandes vont dépasser les trois kilogrammes, il est probable que plusieurs commandes dépasseront ce poids.

[17]           Le non-respect des limitations fonctionnelles dans le cadre de l’emploi de chauffeur-livreur constitue un risque pour la santé et la sécurité du travailleur et ne peut donc être considéré comme un emploi convenable.

[18]           Toujours est-il que la Commission n’a pas fourni de preuve que cet emploi respectera les limitations fonctionnelles reconnues au travailleur.

[19]           Sur ces deux constats, il y a lieu de déclarer que l’emploi de chauffeur-livreur contrevient aux limitations fonctionnelles du travailleur.

[20]           Le travailleur, portugais, a un faible niveau d’instruction et ne peut ni lire ni écrire le français, ceci couplé avec les limitations fonctionnelles le désavantage face aux autres personnes qui postulent pour ce poste. Ce qui limite pour lui les possibilités raisonnables d’embauche et qui permet de déclarer que l’emploi de chauffeur-livreur ne peut être retenu à titre d’emploi convenable pour le travailleur. Car, cet emploi ne respecte pas les conditions de la définition de l’emploi convenable de l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, la Loi[3].

[21]           Un emploi convenable doit respecter les limitations fonctionnelles et ne pas constituer un danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité du travailleur. De plus, cet emploi ne constitue pas une possibilité raisonnable d’embauche. En sus, le travailleur conserve toujours une douleur à l’épaule et au coude de son membre supérieur droit qui risque de s’aggraver dans le cadre de cet emploi.

[22]           Sur la question du diagnostic du trouble d’adaptation avec humeur anxio- dépressive, le Tribunal constate que le docteur Domenico Ciricillo ne pose ce diagnostic que le 21 juillet 2021, soit plus de deux ans après la reconnaissance des lésions professionnelles. Ce délai a permis à cette maladie de s’installer chez le travailleur.

[23]           Le travailleur lors de son témoignage, explique qu’il conserve une douleur à l’épaule et au coude qui perturbe sa qualité de vie et nuit à son sommeil, ce qui affecte son moral. Ces lésions affectent son moral par l’inquiétude qu’elles soulèvent pour son avenir.

[24]           La douleur que conserve le travailleur semble être l’élément déterminant en regard de ce diagnostic de nature psychologique.

[25]           L’ergothérapeute, madame Véronique Pominville dans son rapport du 23 septembre 2019, note déjà une diminution de son fonctionnement au quotidien en raison de la douleur lors d’activités physiques. Elle note aussi qu’il s’inquiète pour son bras droit et craint de se blesser davantage.

[26]           Le travailleur a été examiné par le docteur Yves Chaput, psychiatre, le 26 juillet 2021 qui écarte la présence de pathologie organique pouvant être partiellement responsable du tableau clinique (problème psychologique). Le docteur Chaput retient comme diagnostic le plus probant un trouble de l’adaptation avec humeur mixte reliée à une condition médicale handicapante (douleur) avec un trouble dépressif majeur unipolaire, sans élément psychotique ou saisonnier greffé sur le syndrome douloureux. Le docteur Chaput note l’absence de la présence franche d’un trouble de personnalité et ajoute que la condition médicale est « ici contributive ». La conclusion de cette expertise établit le lien entre le diagnostic psychologique à la douleur que le travailleur conserve.

[27]           Le 29 novembre 2021, le docteur Jacques Lesage, psychiatre, note dans son expertise que le travailleur a un léger antécédent au niveau psychiatrique. Le travailleur ayant consulté à deux reprises, il y a plusieurs années, à la suite d’un divorce selon le témoignage du travailleur, cette période n’a entraîné aucun arrêt de travail et le travailleur n’a conservé aucune séquelle.

[28]           Le docteur Lesage ne rapporte aucun autre événement de dépression, d’alcoolisme ou de suicide.

[29]           Après son évaluation, le docteur Lesage indique que la douleur et les limitations fonctionnelles associées à la contestation de l’employeur accentuent le stress du travailleur et contribuent à l’état mental de celui-ci. Le docteur Lesage dans son expertise au niveau de la discussion indique :

Comme diagnostic à l’axe I, il y a un trouble d’adaptation avec humeur anxieuse d’intensité légère. Monsieur est inquiet pour l’avenir en ce qui concerne sa santé physique. Il est également inquiet et déçu des démarches administratives faites par l’employeur. Ses soucis anxieux écourtent son sommeil. II décrit une tension musculaire durant le jour. Cette tension était observable en entrevue. Il avait l’air anxieux. Il décrit des malaises abdominaux occasionnels en lien avec cette même tension. Il décrit aussi une perte d’appétit avec perte de poids qu’il attribue à cette même tension. Il présente quelques symptômes anxieux, je pose donc un diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxieuse.

 

Il n’a pas de symptômes de la lignée dépressive. Il conserve de l’intérêt dans les activités habituelles. Il décrit un sentiment de découragement, ce qui est normal dans les circonstances. Il ne rapporte pas de tristesse.

 

Pour ce qui est du traitement, les symptômes anxieux ne sont pas suffisamment sévères pour mériter une médication.

 

Le traitement de choix est une psychothérapie d’approche cognitivo-comportementale, idéalement faite en portugais. Cette approche aura pour but de faire comprendre à monsieur que son anxiété lui est inutile et que l’avenir sera le même, qu’il soit anxieux ou pas. Dix à douze séances de psychothérapie devraient être suffisantes.

 

CONCLUSION

 

Diagnostic

 

Le diagnostic a été discuté plus haut. Il a été présenté selon les cinq axes du DSM-lV pour avoir un diagnostic psychosocial complet. II satisfait également aux critères du DSM-5.

 

Relation du diagnostic avec l’événement

 

Il y a un lien de causalité en termes de probabilité entre l’événement du i mars 2019 et un diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxieuse d’intensité légère. Monsieur n’avait aucune condition personnelle préexistante ou coexistante de trouble psychiatrique au 1er mars 2019. La réalité des faits au point de vue des lésions physiques a été reconnue, incluant l’incapacité de faire son travail habituel. L’histoire naturelle de production de symptômes anxieux dans le cadre de douleur chronique et de limitations fonctionnelles physiques est que lorsque la personne constate que son état devient chronique et que son mode de vie devra changer à cause de ses problèmes de santé physique, il s’installe souvent des symptômes dépressifs et/ou anxieux. Dans le cas de monsieur, ce sont des symptômes anxieux qui se sont installés. Tout le discours anxieux tourne autour des conséquences de l’événement du 1er mars 2019. Monsieur ne rapporte aucun événement dans sa vie personnelle qui puisse causer les symptômes anxieux.

 

Il n’y a aucun élément discordant au dossier.

[30]           La preuve est donc à sens unique sur la question de la relation entre le diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive et les limitations fonctionnelles au niveau physique reconnues au dossier. Cette relation apparaît rapidement et deux psychiatres l’ont reconnue. Ils n’ont pas mis en évidence des éléments de nature personnelle ou étrangers à la lésion professionnelle du travailleur.

[31]           Les consultations passées, effectuées par le travailleur ou les contestations de l’employeur ne permettent pas à elles seules d’écarter la relation entre les séquelles et la douleur que le travailleur conserve et le diagnostic de nature psychiatrique.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

Dossiers : 1251865-61-2111 et 1285984-61-2207

ACCUEILLE les contestations de monsieur Jose Carlos Tavares, le travailleur;

INFIRME les décisions rendues le 2 novembre 2021 et le 13 juillet 2022 par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que monsieur Jose Carlos Tavares a subi une lésion professionnelle de nature psychiatrique, soit un trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive lui donnant droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

DÉCLARE que l’emploi de chauffeur-livreur de petits colis ou de mets préparés n’est pas un emploi convenable au sens de l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

RETOURNE le dossier à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail afin qu’elle reprenne le processus de réadaptation professionnelle.

 

 

 

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Simon Lemire

 

 

 

 

Me Pasquale Di Prima

PASQUALE DI PRIMA, AVOCAT

Pour la partie demanderesse

 

Me Kevin Buteau

LDP TRINOME SERVICES JURIDIQUES INC.

Pour la partie mise en cause

 

Me Véronique Ranger

PINEAULT AVOCATS CNESST

Pour la partie intervenante

 

Date de la mise en délibéré : 12 septembre 2022

 

 


[1]  Ce litige correspond au dossier 1251865.

[2]  Ce litige correspond au dossier 1285984.

[3]  RLRQ, c. A-3.001.

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