Décision

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Lombard du Canada ltée c

Lombard du Canada ltée c. Ezeflow inc.

2008 QCCA 1759

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-017219-064

(500-05-070771-025)

 

DATE :

24 septembre 2008

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

J.J. MICHEL ROBERT, J.C.Q.

MARC BEAUREGARD, J.C.A.

LOUIS ROCHETTE, J.C.A.

 

 

LOMBARD DU CANADA LTEE

APPELANTE/Défenderesse

c.

 

EZEFLOW INC.

INTIMÉE/Demanderesse

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                LA COUR; - Statuant sur pourvoi contre un jugement prononcé le 24 octobre 2006 par la Cour supérieure, district de Montréal (l'honorable Chantal Corriveau), qui a accueilli la réclamation en paiement d'une indemnité d'assurance responsabilité présentée par l'intimée Ezeflow inc. au motif que la police d'assurance multirisques devait recevoir application et que les exclusions soulevées par Lombard étaient inapplicables.

[2]                Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;

[3]                Pour les motifs du juge en chef auxquels souscrit le juge Rochette et pour les motifs additionnels du juge Beauregard;

[4]                ACCUEILLE l'appel;

[5]                INFIRME le jugement rendu le 24 octobre 2006 par la Cour supérieure;

[6]                REJETTE l'action de la demanderesse;

[7]                LE TOUT avec dépens.

 

 

 

 

J.J. MICHEL ROBERT, J.C.Q.

 

 

 

 

 

MARC BEAUREGARD, J.C.A.

 

 

 

 

 

LOUIS ROCHETTE, J.C.A.

 

Me Marc Lemaire

Tremblay, Bois, Mignault, Lemay

Pour l'appelante

 

Me Jean Fréchette

Bélanger, Sauvé

Pour l'intimée

 

Date d’audience :

22 janvier 2008

 


 


 

 

MOTIFS DU JUGE EN CHEF

 

 

[8]                L'appelante, Lombard du Canada Ltée (ci-après « Lombard »), se pourvoit contre un jugement rendu le 24 octobre 2006 par la Cour supérieure, district de Montréal, (l'honorable Chantal Corriveau), qui a accueilli la réclamation en paiement d'une indemnité d'assurance responsabilité présentée par l'intimée Ezeflow inc. (ci-après « Ezeflow »), au motif que la police d'assurance multirisques devait recevoir application et que les exclusions soulevées par Lombard étaient inapplicables.

FAITS

[9]                Lombard est une compagnie d'assurances.  Elle est l'assureur de Ezeflow.  Cette dernière est une compagnie spécialisée dans la fabrication de raccords de tuyauterie destinés notamment aux raffineries, gazoducs et plates-formes de forage en mer.  Lors des événements ayant causé le litige entre les parties, M. Jean-Maurice Latendresse était le propriétaire de cette compagnie depuis 1978.

[10]           Le 2 février 1998, la Société Phocéenne du Groupe Genoyer (ci-après « Genoyer ») conclut un contrat avec Ezeflow pour fabriquer 142 raccords de tuyauterie (appelés également « duplex fittings », « coude » ou « elbows »).  Ces raccords devaient être incorporés à des plates-formes de forage en construction appartenant à Sable Offshore Energy Project (« Sable »), à Teeside, en Angleterre, et à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse. La compagnie Kvaerner était responsable de l'installation de ces raccords pour le compte de Sable.

[11]           La méthode de fabrication des raccords se résume ainsi : Ezeflow achète des plaques de métal qu'elle doit couper et souder pour en faire des raccords. Ceux-ci sont faits d'un alliage de nickel spécifique qui est particulièrement résistant à la corrosion.  Lors de la fabrication des raccords, Ezeflow doit effectuer un traitement thermique sur les plaques.  Elle doit également envoyer des échantillons (appelés « coupons ») dans un laboratoire externe pour qu'on en vérifie la qualité après que le traitement thermique a été effectué.

[12]           Lors de l'assemblage des raccords aux tuyaux des plates-formes, Kvaerner constate la présence de fissures au niveau des soudures joignant les raccords fournis par Ezeflow aux tuyaux de la plate-forme.  Des tests supplémentaires effectués par un laboratoire externe révèlent alors que les raccords ont subi une phase sigma soit un déséquilibre dans l'intégration des matériaux de base.  La phase sigma a pour conséquence de faciliter la propagation de fissures en présence de chaleur.  Ceci peut être causé par une variation de la température du four utilisé par Ezeflow lors du traitement thermique.

[13]           L'installation de 114 raccords sur 142 a déjà été effectuée lorsque des défaillances sont découvertes sur certains raccords. Il semble que la cause de l'apparition des fissures sur les tuyaux soit liée à l'application de chaleur sur les soudures.

[14]           Même si Ezeflow suggère de soumettre les pièces à un traitement thermique additionnel pour résoudre le problème, Sable, Genoyer et Kvaerner refusent et décident plutôt de remplacer les raccords par l'achat de nouveaux raccords chez un concurrent d'Ezeflow : GAM Raccordi.  Ce choix est, semble-t-il, justifié par des contraintes de temps puisque les plates-formes devaient être livrées en un temps bien précis.  Ezeflow ne pouvait répondre à cette demande à l'intérieur du délai correspondant à moins de deux mois après la découverte du problème.

[15]           Ainsi, Kvaerner doit procéder au retrait, procédé qu'on appelle la dépose, de ces 114 raccords installés en sciant dans le chanfrein[1].  Selon la preuve, cette technique voulant qu'on scie dans les soudures permet d'éviter la plupart des dommages aux tuyaux.  Ces derniers doivent toutefois être rechanfreinés, c'est-à-dire qu'ils doivent être coupés en biseau pour permettre l'installation et la soudure des nouveaux raccords.  Ezeflow a dû assumer le coût de ces travaux.

[16]           Ezeflow réclame à son assureur, en vertu de sa couverture prévue dans le contrat d'assurance responsabilité, le montant qu'elle a versé à Genoyer.  Ezeflow décide de ne pas réclamer le coût des nouveaux raccords à l'appelante au jour du procès.  Les parties se sont entendues sur le montant des dommages réclamés soit 410 572,80 $.

[17]           Le montant réclamé ne vise pas le coût des 142 raccords fournis par Ezeflow, ni les coûts de retrait, qui ont été assumés par elle, mais uniquement le coût des réparations faites aux tuyaux. 

[18]           Lombard prétend que le montant payé par Ezeflow pour réparer les dommages subis par Genoyer ne découle pas de dommages qui seraient survenus à la suite d'un sinistre.  Elle soutient que le coût de réparation des tuyaux (soit le coût de leur rechanfreinage) provenait de l'enlèvement des raccords défectueux et non d'un sinistre.  Par conséquent, ces dommages, selon elle, ne sont pas couverts par la police d'assurance.

[19]           Ezeflow avait souscrit à une police d'assurance responsabilité (et non une assurance responsabilité sur les produits) auprès de Lombard, tel qu'il appert de la police identifiée sous le numéro CBP0857310.  Il est opportun de reproduire ci-après les dispositions de cette police d'assurance responsabilité pertinentes au litige.

 

PARTIE VI

ASSURANCE DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE DES ENTREPRISES

(BASÉE SUR LA SURVENANCE DES DOMMAGES)

(…)

CHAPITRE PREMIER - LES GARANTIES

GARANTIE A - DOMMAGES CORPORELS, DOMMAGES MATÉRIELSET/OU PRIVATION DE JOUISSANCE

1.      NATURE ET ÉTENDUE DE LA GARANTIE

Nous garantissons les conséquences pécuniaires de la Responsabilité Civile pouvant incomber à l'assuré en raison de DOMMAGES CORPORELS, de DOMMAGES MATÉRIELS ou de privation de jouissance de biens corporels.  Pour être couverts, les dommages susdits doivent survenir pendant que le contrat est en vigueur et résulter d'un SINISTRE s'étant produit dans les limites territoriales de la garantie.

La privation de jouissance de biens corporels non endommagés est réputée survenir au moment du SINISTRE l'ayant provoquée.

La garantie se limite aux dommages compensatoires et elle s'exerce dans les limites énoncées au chapitre III.

Si l'Assuré est poursuivi pour des dommages que nous couvrons, nous avons le droit et l'obligation de prendre sa défense, tout en nous réservant d'agir à notre guise en matière d'enquête et de règlement.

Nos droits et obligations en matière de défense cessent dès l'épuisement du montant de garantie applicable par suite du règlement des dommages.

Nos seuls autres engagements envers l'Assuré sont stipulés à la rubrique Garanties subsidiaires.

2.      EXCLUSIONS

Sont exclus de l'assurance:

I)    La privation de jouissance, la détérioration ou la destruction de VOS PRODUITS survenant du fait de tout ou partie de ceux-ci;

J)   En ce qui concerne le risque PRODUITS APRÈS/TRAVAUX, la privation de jouissance, la détérioration ou la destruction de VOS TRAVAUX, lorsqu'ils ont été exécutés par vous et que les dommages surviennent du fait de tout ou partie de ceux-ci;

K)     La privation de jouissance, la détérioration ou la destruction de BIENS DÉFECTUEUX ou la privation de jouissance de biens n'ayant subi par ailleurs aucun dommage, causées par:

a)      Des défauts, lacunes ou dangers dans VOS PRODUITS ou VOS TRAVAUX ou leur non-conformité à l'usage auquel ils sont destinés;

b)      Des retards ou des manquements dans l'exécution de contrats;

Demeure cependant couverte la privation de jouissance d'autres biens occasionnée par des dommages soudains et accidentels atteignant VOS PRODUITS ou VOS TRAVAUX, après leur mise en usage conformément à leur destination;

L)      Le préjudice ou les frais occasionnés par la privation de jouissance, le retrait, le rappel, l'inspection, la réparation, le remplacement, le réglage, l'ajustement, l'enlèvement ou l'élimination:

a)      De VOS PRODUITS;

b)      De VOS TRAVAUX;

c)      De BIENS DÉFECTUEUX;

si ces produits, travaux ou biens sont retirés du marché ou repris à leurs utilisateurs en raison de défauts, lacunes, dangers ou non-conformité à l'usage auquel ils sont destinés, que cet état de choses soit réel ou soupçonné;

CHAPITRE V - DÉFINITIONS

Pour l'application de la Partie VI du présent contrat on entend par :

[…]

BIENS DÉFECTUEUX, tous biens corporels qui n'étant ni VOS PRODUITS ni VOS TRAVAUX, sont inutilisables en tout ou en partie en raison :

De défauts, lacunes ou dangers, réels ou soupçonnés, dans ceux de VOS PRODUITS ou de VOS TRAVAUX qui en font partie ou de la non-conformité, réelle ou soupçonnée, desdits produits ou travaux à l'usage auquel ils sont destinés;

[…]

RISQUE PRODUITS / APRÈS travaux, le risque de dommages pouvant survenir hors des lieux dont vous êtes propriétaire ou locataire, du fait soit de VOS PRODUITS, dès lors qu'ils ne sont plus en votre possession; soit de VOS TRAVAUX terminés ou abandonnés, étant précisé que VOS TRAVAUX sont réputés terminés dès la survenance d'un des événements suivants :

[…]

SINISTRE, tout accident, ainsi que l'exposition continuelle ou répétée à des risques essentiellement de même nature.

[…]

VOS PRODUITS

Les marchandises ou produits, autres que des biens immeubles, fabriqués, vendus, manutentionnés, distribués ou aliénés par vous, par des tiers commerçant sous votre nom ou part toute personne physique ou morale dont vous avez acquis l'entreprise ou l'actif;

[…]

Sont également compris dans cette rubrique les engagements ou déclarations en matière de rendement, de qualité, de durabilité ou de possibilités d'affectation des éléments visés aux deux alinéas précédents.

VOS TRAVAUX, les travaux exécutés par ou pour vous ainsi que les matériaux, pièces équipements ou matériel utilisés pour leur exécution.  Sont également compris dans cette rubrique les engagements ou déclarations en matière de rendement, de qualité, de durabilité ou de possibilités d'affectation des éléments visés à l'alinéa précédent.

JUGEMENT DONT APPEL

[20]           La juge de première instance accueille la requête de Ezeflow et ordonne à la compagnie Lombard du Canada de payer à Ezeflow 410 572,80 $ au motif que la police d'assurance doit s'appliquer et que les exclusions soulevées par l'assureur sont inapplicables.

[21]           Elle affirme qu'un sinistre peut être couvert, même s'il survient avant que les biens soient endommagés. 

[22]           Elle identifie le sinistre en l'espèce comme étant « [l]e dommage aux biens d'un tiers […] survenu dans les soudures reliant les tuyaux aux raccords. Ceci constitue pour le Tribunal un sinistre ou un accident »[2].

[23]           En effet, elle estime que les fissures dans les soudures lors de l'installation des raccords ont été causées par la présence de traces de phase sigma dans les raccords fournis par Ezeflow.

[24]           La juge de première instance analyse ensuite les quatre exclusions soulevées par Lombard pour justifier son refus d'indemniser Ezeflow.

[25]           À propos de l'exclusion I), la juge du procès écarte la première exclusion en indiquant qu'il ne s'agit pas d'une réclamation pour des produits d'Ezeflow puisque les coûts réclamés ne visent pas le retrait des produits d'Ezeflow mais se limitent aux réparations sur les biens d'un tiers, soit la mise en place des nouveaux raccords.

[26]           Au sujet de l'exclusion J), la juge souligne que cette exclusion est destinée à empêcher toute réclamation relative aux produits de l'assuré, en l'espèce les raccords, qui s'avèrent défectueux une fois l'installation effectuée.

[27]           Elle écarte alors l'application de cette exclusion en invoquant que ce ne sont pas les raccords qui sont défectueux, mais les soudures. En effet, elle énonce que «[d]ans le cas présent, c'est lors de la soudure des raccords aux tuyaux que les fissures identifiées se sont manifestées. […] l'exclusion ne s'applique pas, puisque ce ne sont pas les raccords qui sont défectueux, mais les soudures »[3].  Elle confirme son interprétation de l'événement en affirmant qu'« il est clair que ce sont les soudures qui sont endommagées et non les raccords comme tels »[4].

[28]           Bien qu'elle ait jugé la clause d'exclusion K) inopposable en raison de l'estoppel, la juge de première instance se prononce sur son application. Il ne s'agit pas d'une situation tombant sous le coup d'une privation de biens ou de diminution de valeur, mais plutôt d'une réclamation pour des travaux de remplacement assumés par un tiers.

[29]           Elle estime qu'il est clair que ce sont les soudures des raccords qui ont été endommagées et non pas les raccords. De plus, elle réitère que « [c']est dans la soudure qu'il y a eu apparition de fissures »[5].

[30]           Puis, la juge conclut à l'inapplicabilité de la clause d'exclusion L) en invoquant que ce n'est pas Ezeflow qui a demandé la reprise et, par conséquent, qu'il ne s'agit pas d'un cas de retrait ou de rappel de produits comme il est prévu au contrat.  Elle soutient que les faits en l'espèce ne sont nullement assimilables à un rappel ou un retrait de produits, puisque c'est Kvaerner qui a décidé de procéder au retrait des raccords installés.

[31]           Finalement, la juge d'instance accueille la requête d'Ezeflow et condamne Lombard à lui payer la somme réclamée avec les intérêts et l'indemnité additionnelle.

QUESTIONS EN LITIGE

[32]           La juge a-t-elle erré en interprétant comme elle l'a fait les clauses du contrat d'assurance?

a.         La juge a-t-elle erré en concluant à la survenance d'un sinistre ayant causé les dommages?

b.         Sinon, la juge a-t-elle erré en concluant que les dommages n'étaient pas exclus par le texte et l'esprit même de la police d'assurance?

c.         La juge a-t-elle erré en invoquant l'estoppel pour refuser de considérer formellement l'exclusion K)?

ANALYSE

[33]           La juge de première instance conclut à la survenance d'un sinistre et interprète le contrat d'assurance entre les parties de sorte que les exclusions de couverture qui y sont prévues ne s'appliquent pas.  Lombard prétend que la juge d'instance a erré en interprétant comme elle l'a fait les clauses du contrat.

a.         La juge a-t-elle erré en concluant à la survenance d'un sinistre ayant causé les dommages?

[34]           Premièrement, pour qu'il y ait couverture, le dommage doit être matériel et, deuxièmement, il doit résulter d'un sinistre. Lombard affirme qu'en l'espèce il n'y a pas eu de sinistre. Selon elle, le fait d'avoir dû scier dans le chanfrein ne constitue pas un dommage matériel résultant d'un accident.  Le dommage a été causé par le retrait des raccords, lequel découle d'une décision volontaire.  Lombard évoque également que la police d'assurance ne couvre pas un dommage lorsqu'il survient avant un accident.  La police d'assurance n'a pas de fonction préventive[6].

[35]           Le sinistre a été défini dans le contrat d'assurance de Lombard comme « tout accident, ainsi que l'exposition continuelle ou répétée à des risques essentiellement de même nature »[7].  En se fondant sur l'arrêt Canadian Indemnity, Ezeflow définit le terme accident comme une « mésaventure ou une malchance imprévue »[8], tout en soulignant qu'il n'y a pas de définition de ce terme dans la police.

[36]           Ezeflow soutient qu'il y eut un accident puisqu'un dommage a eu lieu dans les soudures reliant les tuyaux aux raccords. Or, le dommage est survenu, faut-il le rappeler, par l’apparition de fissures sur les raccords et non dans les soudures les reliant aux tuyaux (soudures circulaires).

[37]           Puis, Ezeflow avance qu'il y a eu un sinistre en s’appuyant sur le fait que le dommage résulte de la décision de Genoyer de retirer les raccords défectueux; ce qui est la cause de l'accident, selon elle.

[38]           Avec respect pour l'opinion contraire, rien dans les faits ne laisse présumer que l’apparition de fissures dans les raccords, lors de leur soudure aux tuyaux, soit causée par une quelconque malchance ou mésaventure. En effet, les fissures qui sont apparues dans les soudures longitudinales à la suite de l'utilisation de chaleur sur les soudures circulaires pour les relier aux tuyaux ne peuvent, en l'espèce, résulter d'une mésaventure ou d'une malchance imprévue et, par conséquent, constituer un accident. Ainsi, contrairement à ce qu'avance la juge de première instance[9], je suis d'avis que le dommage ne résulte pas d'un accident ou d'un sinistre.

[39]           Néanmoins, même si nous devions arriver à la conclusion que les dommages découlent d'un sinistre, il n’en demeure pas moins que ceux-ci tombent sous le coup de la clause d’exclusion 2L) du contrat d'assurance.

b.           Sinon, la juge a-t-elle erré en concluant que les dommages n'étaient pas exclus par le texte et l'esprit même de la police d'assurance?

[40]           Ezeflow ayant retiré sa réclamation concernant le montant du coût de ses produits, il est inutile que notre Cour se penche sur la clause d'exclusion 2I).

[41]           La clause 2J) exclut les réclamations pour les travaux de l'assurée. Lombard prétend que la police d'assurance n'est pas destinée à couvrir les dommages qui sont causés par l'installation.  Puis, elle soutient que le coût de réparation des tuyaux est un dommage économique ayant été causé par la défectuosité des raccords et non par un événement fortuit.  Lombard souligne que pour comprendre cette clause d’exclusion, il faut lire la définition du « risque produits / après travaux ».

[42]           Ezeflow prétend que la clause d’exclusion 2J) ne lui est pas opposable car elle n’a pas, eu égard au libellé de la clause, exécuté quelques travaux que ce soit ceux-ci ayant été effectués par des tiers.  De plus, Ezeflow soutient que cette clause réfère à des travaux complétés.  Elle invoque que la juge de première instance a exclu cette clause, en s’appuyant sur les faits de l'affaire Excavations Gilbert Théorêt c. Marcel Baril et Co-Operators General Insurance Company[10] en les distinguant de la présente cause.  Elle effectue cette distinction en avançant qu’en l'espèce il ne s’agit pas de coûts réclamés pour avoir accès à l’endroit où la réfection devait avoir lieu[11].

[43]           Avec égards, je suis d'avis que la juge fait erreur en affirmant que les raccords ne sont pas défectueux. En effet, il m'apparaît que la juge de première instance confond le type de soudures soit les soudures circulaires et les soudures longitudinales.  Les soudures dites circulaires sont celles reliant les raccords aux tuyaux. Les soudures dites longitudinales sont celles effectuées par Ezeflow dans la fabrication des raccords.

[44]           C'est lors de l'installation des raccords par Kvaerner que des fissures ont été découvertes dans les soudures longitudinales des raccords. La preuve a révélé que ces fissures sont apparues lors de l'induction de chaleur, au moment où les raccords ont été fixés aux tuyaux. Ces fissures ont apparemment été causées par une phase sigma c'est-à-dire par un déséquilibre dans l'intégration des matériaux de base des raccords. La phase sigma a fragilisé les pièces et facilité la propagation des fissures en présence de chaleur.  La phase sigma a peut-être été causée par une variation dans la température du four utilisé pour le traitement thermique des pièces à l'usine de l'intimée.

[45]           Aussi suis-je d'avis que la juge de première instance commet une erreur manifeste et déterminante lorsqu'elle affirme que « ce ne sont pas les raccords qui sont défectueux mais les soudures »[12] alors que ce n'est pas ce qui ressort clairement de la preuve.

[46]           Pour souligner la différence entre les deux types de soudure susmentionnés et ce faisant, confirmer que les raccords étaient eux-mêmes défectueux, il convient de reproduire certains extraits du témoignage de Jacques Latendresse, président actuel d'Ezeflow :

Q. -      Bon. Avez vous eu des nouvelles, vous, de ce projet-là par la suite, après l'expédition?

R. -      Bien, on a commencé à en avoir quand que notre client nous a appelés.

[…]

R. -      Genoyer a commencé à nous appeler puis dire : « Bien écoutez, on a des problèmes avec vos pièces.  Quand qu'on les installe, quand qu'on les soude, donc… » alors parce que nous autres c'est des raccords qui sont tous pour embouts soudés, alors les bouts vont être soudés après des pipes, après des tubes en chantier, ils ont commencé donc à souder nos raccords après les autres produits et il y a des fissures qui apparaissaient dans nos propres soudures.  Fort de nos tests non destructifs qui incluaient la radiographie où est-ce que quand qu'on sortait notre propre radiographie, on disait : « Bien, il n'y a pas de fissures sur les nôtres, vous avez, donc, vous autres, un problème avec la méthode d'installation ».

Ils ont continué à avoir des problèmes et ont demandé à nous rencontrer, alors leur expert en assurance qualité nous a donc… a voulu revoir nos testes, est venu chez nous pour vérifier : Bien, est, ce que tout avait été conforme à la spécification, ce qu'on avait fait.  Oui, tout était correct sauf qu'ils ont trouvé certains endroits qu'il y avait eu des tests qui avaient été faits supplémentaires, ce que la norme permettait et tout, et pour en avoir  le cœur net […] ils ont dit : « Bien, ça serait peut-être bon d'avoir un laboratoire indépendant qui revoit cette chose-là et pour le faire correctement on va le faire sur une pièce qu'on va détruire, on va vous payer, Ezeflow, la pièce en question […] et on va donc effectuer les tests dessus ».

[…]

[O]n a commencé par faire des tests d'étirement, d'élasticité maximum du produit avant rupture, on était très contents, ça respectait tous les résultats.

Q. -      Hum hum.

R. -      Après ça on a fait un autre test qui s'appelle un test de résilience.  Le test de résilience est celui qu'on va artificiellement créer une fissure et puis on va, avec une force mécanique, un gros marteau, on va cogner cette fissure-là pour voir comment ça va déchirer […]  Et là, ça a été catastrophique.

Q. -      Qu'est-ce que vous voulez dire par ça?

R. -      Les résultats étaient définitivement à côté complètement de la track, on avait… et il faudrait que je revois la spécification mais je sais qu'on avait une exigence d'à peu près quarante (40) joules et on avait des résultats de quatre (4) joules.

Q. -      Hum hum.

R. -      Ce qui était en-deçà.  Le minimum de quarante (40) joules ou cette valeur-là, je suis pas mal sûr que c'est proche de ça, c'était donc un minimum, quarante (40) joules, et on était à quatre (4) joules, c'était catastrophique.

Q. -      Ce qui se manifestait comment ou ce qui montrait quoi sur vos…

R. -      Ce qui montrait qu'effectivement, aussitôt qu'on induisait de la chaleur dans la pièce, il y avait une propagation de fissures qui pouvaient facilement s'installer, d'où le fait, quand les gars soudaient au chantier, induisaient de la chaleur, bien ça craquait dans nos pièces à nous autres, dans notre soudure.

Q. -      Est-ce que vous avez été en mesure de déterminer pourquoi vous aviez ce problème de résilience?

R. -      Oui.  Alors, on a fait évidemment des tests avec… on a regardé un peu partout […] c'était les fours, le four, le gros four à gaz qui n'avait pas une température homogène à travers le four lui-même à la grandeur.

Q. -      Ce qui avait quoi comme conséquence?

R. -      Ce qui avait, sans aller trop technique, comme je disais au début, le duplex, le « du » ça veut dire entre un alliage, deux (2) alliages différents qu'on a essayé de combiner ensemble.  […] Les deux (2) ensemble ça fait un acier dur mais excellent pour la corrosion, à l'exception qu'à l'intérieur, le mélange doit être correctement fait et aussi, les traitements thermiques c'est très très très sensible.  Si on fait juste jouer de vingt-cinq (25) degrés Fahrenheit qui n'est pas beaucoup, dans un four où est-ce qu'on le met à mille neuf cents (1900) degrés Fahrenheit, il y a l'apparence d'une troisième phase, quand je parle de ferrétique et austénitique, une troisième phase qui s'appelle la phase sigma et elle fragilise le produit complètement[13].

[…]

R.-       Alors, je pourrais dire que quatre (4) jours après on a reçu ces résultats-là de Bodycote.

Q. -      Hum hum.

R. -      Qui montraient de façon claire qu'il n'y avait effectivement la présence de la phase sigma dans nos pièces qui faisait que ça fragilisait la pièce elle-même autant dans la zone de soudure que la zone immédiate à la soudure, un terme technique s'appelle la zone affectée thermiquement, quand qu'on soude chaque côté de la soudure, il y a une zone plus chaude dans le produit, qui se crée, puis des fois il peut y avoir des choses particulières, dans ce cas-là il y en avait aussi[14].

 

[47]           Qui plus est, Jacques Latendresse, en contre-interrogatoire précisait les types de soudures et de tests qui étaient effectués et comment ils en sont venus à découvrir le vice de certains raccords.

Q. -      Votre père parlait de fissures dans la soudure qui joint le raccord au tuyau.

R. -      Oui.

Q. -      Ça, est-ce que vous êtes au courant de cela ou c'est lui qui…

R. -      Oui, parce que c'est comme ça que c'est parti.

Q. -      O.k.

[…]

R. -      Il faut bien comprendre qu'il y avait des tests partout.

Q. -      Hum hum.

R. -      Ce que je veux dire par là c'est des tests non destructifs, les fissures se voient par radiographie.

Q. -      C'est ça.

R. -      Donc comme chez nous, tout joint soudé a une radiographie, la même chose pour les installateurs, ils vont installer notre raccord après un tuyau.

Q. -      Hum hum.

R. -      Vont le souder et après ça vont faire une radiographie, donc chacun des joints circulaires qu'on appelle, pareil comme notre joint longitudinal qui est notre raccord à nous autres…

Q. -      Hum hum.

R. -      … va passer les tests de radiographie.

Q. -      D'accord.

R. -      Et c'est là qu'ils ont découvert, qu'ils ont dit : « Bien là, vous avez des fissures dans vos joints ».  On sortait nos propres radiographies puis on disait : « Bien non, regarde, la mienne, il n'y en a pas ».

Q. -      Hum hum. Parfait.

R. -      Alors…

Q. -      Et c'est de là qu'on a entraîné le test chez Bodycote.

R. -      Oui.

Q. -      Qui lui s'est fait sur une pièce, étant donné que c'était un test destructif.

R. -      Oui.

Q. -      … il s'est fait sur une pièce qui n'avait pas été installée?

R. -      Exactement.[…][15].

[48]           Jean-Maurice Latendresse, père de Jacques Latendresse et ancien président de Ezeflow dans un interrogatoire ad futuram memoriam réalisé le 18 mai 2005, expliquait lui aussi comment le défaut découvert sur les raccords provenait du propre procédé de fabrication de Ezeflow.

Q. -      […] Pour clarifier dans la tête du juge qui entendra peut-être cette cause-ci, la non-conformité qui a finalement entraîné le retrait de l'ensemble des pièces, des cent quarante-deux (142) pièces - qu'elles aient été posées ou pas - c'est quoi?  La phase sigma?

R. -      Oui.

Q. -      C'est ça le problème qui a finalement…

R. -      C'est ça.

Q. -      … peu importe que ça se soit révélé exact ailleurs - c'est à cause d'une phase sigma qu'ils ont trouvé dans trois (3) pièces, à tout le moins?

R. -      C'est ça.

Q. -      Okay.  Et une phase sigma […] ?

R. -      C'est que ça rend la pièce trop dure pour une certaine section.

Q. -      Okay.

R. -      Manque d'élasticité.

Q. -      Et c'est un vice qui est susceptible d'affecter tous les coudes…

R. -      Oui.

Q. -      …dans ce cas-là, parce qu'il provient, si je comprends bien, de votre préparation thermique?

R. -      De certaines « batches », oui.

Q. -      Okay. D'accord.

R. -      Voyez-vous?

Q. -      Mais c'est parce que…

R. -      C'est parce qu'on les a traitées - disons si on en rentre dix (10) …

Q. -      Oui?

R. -      … on en a fait dix (10) …

Q. -      Okay.

R. -      De dix (10) chacun.  Alors lequel des dix (10) est bon, lequel qui ne l'est pas? C'est là, les problèmes.

Q. -      Okay.  Mais c'est susceptible, donc, d'affecter les coudes par batches

R. -      Oui.

Q. -      … et ça pourrait être toutes les batches comme une certaine batch, mais ça a été susceptible d'affecter les cent quarante-deux (142) coudes…

R. -      C'est ça.

Q. -      … ce vice-là.  Et dans les faits, ça provient de votre procédé de fabrication, si je comprends bien, ou ça proviendrait de votre procédé de fabrication dans la phase de l'aspect thermique?

R. -      Oui, traitement thermique.

Q. -      Traitement thermique, c'est ça.  Ça ne vient pas de la plaque métallique que vous avez achetée…

R. -      Non.

Q. -      … ça vient de l'étape où après avoir plié, après avoir soudé, vous faites passer les trucs dans votre four thermique?

R. -      C'est ça[16].

[49]           Contrairement à ce qu'a conclu la juge de première instance, il ressort des témoignages que les raccords eux-mêmes étaient, du moins pour certains, défectueux.

[50]           Or, il est vrai que Ezeflow ne réclame pas les coûts de remplacement de ses produits défectueux.  Elle réclame seulement les coûts encourus par le rechanfreinage des tuyaux soit les réparations apportées aux biens d'un tiers et les coûts encourus par l'installation des nouveaux raccords.

[51]           Je suis d'accord avec la juge de première instance lorsqu'elle exclut l'application de la clause 2J).  Toutefois, je ne peux souscrire à sa conclusion en ce qui concerne la clause d'exclusion 2L).

[52]           Ainsi, je suis d'avis que la clause d'exclusion 2L) trouve application et que la juge de première instance a commis une erreur manifeste et déterminante en l'écartant.  Les raccords de l'intimée étaient défectueux et les coûts encourus pour les retirer ne peuvent être couverts par la police d'assurance responsabilité.

[53]           Une interprétation du contrat faisant en sorte que ce type de police ne couvre pas les pertes économiques liées à un produit défectueux est par ailleurs conforme à la jurisprudence[17].  La juge Marcelin, confirmée en Cour d'appel, écrivait à ce sujet:

Les dommages séquentiels à une faute ou une malfaçon ne saurait tomber sous le coup de la police de responsabilité générale même si les frais sont encourus par un tiers et non l'assuré. Il s'agit dans le cas sous étude de dommages de nature économique et non de dommages à la propriété au sens de la police.  Nous savons qu'en vertu de la jurisprudence que les dommages économiques ne sont pas couverts, sauf la perte d'usage qui est souvent stipulée couverte dans ce type de contrat d'assurance[18].

[54]           Les travaux de rechanfreinage des tuyaux pour permettre l'installation de nouveaux raccords ont un coût.  Ce coût découle de la défectuosité des raccords de l'intimée.  Il constitue un dommage de nature économique qui ne peut être couvert.

[55]           Notre Cour affirmait récemment, sous la plume de la juge Rayle, que « les dommages purement pécuniaires qui découlent de la performance inadéquate d'un produit ne sont pas la conséquence d'un sinistre : ils sont plutôt le résultat d'un incident normal qui peut survenir dans le cours habituel des activités »[19]. En l'espèce, le coût de réparations des tuyaux des raccords constituant des dommages purement économiques ne peuvent donc constituer un sinistre.

[56]           Il est notoire que les exclusions en matière d'assurance doivent avoir une portée limitée en ne restreignant pas indûment la garantie.  Cependant, la juge de première instance fait une interprétation des plus restreintes de la clause 2L).  Elle élude la portée des termes « repris à leurs utilisateurs » pour ne retenir que la partie de cette clause relative au retrait du marché.  La clause d'exclusion implique, de façon générale, le fait de retirer le produit de l'assurée du marché ou, en d'autres termes, de le mettre hors service[20].  Or, en l'espèce, les termes « repris à leurs utilisateurs » présents à la fin de la clause d'exclusion 2L) de Lombard vise une autre fin soit celle de reprendre le produit (les raccords) des mains de l'utilisateur.  Qui plus est, pour interpréter les termes d'un contrat, il est impérieux que ceux-ci soient ambigus, toutefois, je suis d'avis que tel n'est pas le cas en l'espèce. 

[57]           Le retrait du marché n'est pas une condition sine qua non pour que la clause trouve application en l'espèce. En effet, la présence de la conjonction « ou » dans le libellé de la clause 2L) permet d'appliquer les termes « repris à leurs utilisateurs » et, ainsi, donner ouverture à l'application de cette exclusion.

[58]           Partant, les faits en l'espèce répondent aux conditions prévues par la clause 2L).  En effet, bien que le retrait des raccords n'ait pas été demandé par l'intimée et que ceux-ci n'aient pas été retirés du marché, des frais ont été occasionnés par le retrait et la réparation de biens défectueux (les raccords). De plus, ces derniers ont été repris à leurs utilisateurs en raison de leurs défauts réels ou soupçonnés.  En effet, les raccords ont été repris à leurs utilisateurs car ils ne pouvaient pas servir à la fin à laquelle ils étaient destinés.

[59]           Considérant cette conclusion, il n'est pas nécessaire de se pencher sur les autres clauses d'exclusion.  Je dirai quelques mots toutefois sur l'exclusion 2K).

c.         La juge a-t-elle erré en invoquant l'estoppel pour refuser de considérer formellement l'exclusion K)?

[60]           Ne trouvant pas application en l'espèce, la juge de première instance ne pouvait pas s'appuyer sur l'estoppel pour refuser de considérer l'exclusion 2K).  Cependant, il n'en demeure pas moins que le défaut d'invoquer cette clause d'exclusion s'avère fatal à l'assureur.  En effet, dans l'arrêt Lapointe-Boucher c. Mutuelle-vie des fonctionnaires[21], je fais état, en m'appuyant sur l'arrêt Tracy Place Shop Inc. c. Continental Insurance Co.[22] du fait que la tardiveté pour l'assureur d'invoquer un moyen de défense pour refuser le paiement de l'indemnité est fatal.  C'est d'ailleurs ce qu'évoque l'auteur Bergeron en énonçant que « [l]e fait de ne pas invoquer le moyen de défense […] est un indicateur sérieux d'une volonté de renoncer pour un assuré raisonnable »[23]Les commentaires sur la tardiveté à invoquer ce moyen de défense ont été repris dans l'arrêt Di Capua c. Barreau du Québec[24].

[61]           De plus, bien que la renonciation en l'espèce soit tacite, ce qui n'invalide pas son caractère effectif, il m'apparaît, pour reprendre les critères développés dans l'arrêt Sylvère c. Hazan[25], qu'elle est suffisamment claire, sans équivoque et, surtout, qu'elle est vraisemblable dans les circonstances pour lui donner plein effet.

[62]           Par conséquent, je suis d'accord avec la juge de première instance[26] lorsqu'elle écrit que Lombard est forclose de soulever l'exclusion 2K) ne l'ayant pas évoquée dans son avis de refus d'indemnisation ni dans sa défense, mais en me basant sur un principe juridique autre que l'estoppel, à savoir la renonciation tacite.

[63]           Pour ces motifs, je propose d'accueillir l'appel, d'infirmer le jugement rendu le 24 octobre 2006 par la Cour supérieure et de rejeter l'action de la demanderesse. LE TOUT avec dépens.

 

 

 

 

J.J. MICHEL ROBERT, J.C.Q.

 


 

 

 

MOTIFS DU JUGE BEAUREGARD

 

 

[64]           Je conclus comme le juge en chef.

[65]           L'assuré a vendu 142 raccords[27] de tuyauterie à un client.

[66]           Après en avoir installé 114 sur ses tuyaux, le client a constaté que les raccords étaient défectueux.

[67]           Le client demanda à l'assuré de lui rembourser : 

1)                 Le coût de la dépose des raccords défectueux;

2)                 Le coût de la réparation des tuyaux qui avaient été nécessairement endommagés par la dépose;

3)                 Le prix de nouveaux raccords achetés d'un tiers;

4)                 Le coût de la pose de ces nouveaux raccords.

[68]           Acceptant sa responsabilité pour tous ces dommages subis par le client, l'assuré indemnisa son client.

[69]           Concédant que le prix des nouveaux raccords achetés d'un tiers n'était pas garanti par la police de son assureur, l'assuré demanda à celui-ci d'être indemnisé pour : 

1)                 Le coût de la dépose;

2)                 Le coût de la réparation des tuyaux endommagés par la dépose;

3)                 Le coût de la pose des nouveaux raccords.

[70]           L'assureur refusa la demande d'indemnité aux motifs que ces coûts n'étaient pas garantis par sa police : il n'y avait pas eu « accident » ni « sinistre »; d'autre part, les produits de l'assuré de même que les dommages résultant du remplacement de ceux-ci étaient exclus aux termes de certaines clauses de la police[28].

[71]           La veille de l'instruction en Cour supérieure, l'assuré se désista de sa demande d'indemnité pour le coût de la dépose des raccords défectueux, concédant ainsi que ce coût n'était pas garanti par la police : la dépose n'avait pas été rendue nécessaire par un dommage matériel causé aux tuyaux ou la perte d'usage de ceux-ci, mais bien par le fait que les raccords étaient défectueux. L'assuré ne pouvait être indemnisé pour un préjudice économique.

[72]           Curieusement, l'assuré conserva sa demande d'indemnité pour la pose des nouveaux raccords. À tort, selon moi, puisque le coût de la pose des nouveaux raccords ne résultait pas du fait que les tuyaux du client avaient été endommagés, mais du fait que les raccords installés au départ étaient défectueux et devaient être remplacés. Ici encore, il s'agissait d'un préjudice économique, et non d'un préjudice résultant d'un dommage matériel causé aux tuyaux ou de la perte d'usage des tuyaux.

[73]           Mais, comme on l'a vu plus haut, la dépose des raccords défectueux avait nécessairement causé des dommages aux tuyaux, ce pour quoi le client avait engagé des frais pour refaire le chanfrein des tuyaux.

[74]           Contrairement à l'assureur, je suis d'avis que les dommages causés aux tuyaux constituaient a priori un sinistre garanti puisque ces dommages résultaient d'un fait de l'assuré, fait accidentel, même s'il avait été causé par la faute de l'assuré. Juridiquement, les dommages aux tuyaux n'ont pas été causés par la dépose, mais par les raccords défectueux, lesquels ne pouvaient être enlevés sans nécessairement qu'on endommage les tuyaux.

[75]           Les dommages causés aux tuyaux sont cependant exclus de la garantie, non pas par les clauses 2.I, 2.J et 2.L de la police, mais par la clause 2.K.

[76]           Les clauses 2.I, 2.J, 2.K et 2.L forment un tout, et chacune des clauses doit être interprétée sous l'éclairage des autres. Elles s'adressent à quatre types de dommages : 

1)                 La clause 2.I ne concerne que les dommages causés aux raccords eux-mêmes;

2)                 La clause 2.J ne concerne que les dommages résultant des travaux que peut exécuter l'assuré, ce qui n'est pas le cas en l'espèce;

3)                 La clause 2.K exclut la garantie des dommages matériels causés aux biens du client par suite d'une défectuosité dans un produit de l'assuré;

4)                 La clause 2.L concerne le préjudice subi par le client ou les frais engagés par celui-ci comme conséquence du retrait d'un produit de l'assuré ou de la réparation que l'assuré peut faire à ce produit ou à un bien du client; il ne s'agit plus ici d'un dommage matériel.

[77]           Puisque la clause 2.L exclut le préjudice subi par le client comme conséquence de la réparation de son bien, la clause n'a pas trait aux dommages constitués du coût de la réparation. Étant donné que la clause 2.K concerne les dommages matériels causés aux biens du client, la clause 2.L ne fait pas double emploi avec la clause 2.K mais, encore une fois, exclut le préjudice consécutif à la réparation du produit de l'assuré ou d'un bien du client.

[78]           Prétendant que le coût de la réparation des tuyaux n'est pas exclu par les clauses 2.I, 2.J et 2.L, l'assuré propose que l'assureur ne peut invoquer la clause 2.K parce qu'il ne l'a pas invoquée avant de faire sa plaidoirie en Cour supérieure.

[79]           Je me suis déjà exprimé sur la doctrine concernant la renonciation que peut faire un assureur en n'invoquant pas un moyen de défense en temps utile, et je ne répéterai pas ce que j'ai écrit dans l'affaire Lapointe-Boucher c. Mutuelle-Vie des fonctionnaires, [1996] R.R.A. 957 .

[80]           En tout état de cause, l'espèce n'est pas du tout un cas où on peut taxer un assureur de mauvaise foi ou dire qu'il a renoncé à invoquer un moyen de défense.

[81]           Ici, l'assureur n'invoque pas d'une façon abusive un moyen subsidiaire qu'au départ il ne désirait pas faire valoir. Il n'oppose pas une cause de nullité de la police ou encore que l'assuré n'a pas rempli une formalité ou n'a pas satisfait à l'une ou l'autre des conditions de la police. L'assureur a toujours prétendu que ce que lui réclamait l'assuré n'était pas garanti par la police.

[82]           Il faut se rappeler ce que l'assuré réclamait au départ. Comme on l'a vu, l'assuré voulait être indemnisé pour le coût de la dépose et pour les dommages matériels causés aux tuyaux. Mais, sous prétexte de réclamer les dommages causés aux tuyaux, il réclamait de fait surtout le coût de la pose des nouveaux raccords. Comme le coût de la dépose et le coût de la pose des nouveaux raccords constituaient certainement presque la totalité de la réclamation de 570 240 $, et comme ces coûts étaient exclus de la garantie parce qu'ils ne constituaient pas la valeur de dommages matériels, l'avocat de l'assureur, qui a expliqué le refus de son client, ne semble pas s'être attardé à la clause 2.K. D'autant que, lue en elle-même, sans le contexte de la clause 2.K, la clause 2.L pouvait, dans l'esprit de l'avocat, exclure de la garantie les dommages causés aux tuyaux.

[83]           Si, lorsqu'un assureur omet d'invoquer un moyen de défense, il existe une présomption qu'il renonçait à ce moyen, cette présomption n'est pas irréfragable.

[84]           Or, en l'espèce, il est manifeste qu'en ne réenvoyant pas spécifiquement la clause 2.K, mais en invoquant que toute la réclamation n'était pas garantie par les clauses 2.I, 2.J et 2.L, laquelle clause 2.L pouvait peut-être, en elle-même, être interprétée comme excluant les dommages aux tuyaux, l'avocat de l'assureur ne renonçait pas à invoquer que la réclamation pour les dommages aux tuyaux était exclue par la police.

[85]           Encore une fois, nous ne sommes pas en présence d'un assureur qui, plus ou moins de bonne foi, invoque un argument technique ou qui ne touche pas au cœur de la garantie.

[86]           Il serait extraordinaire que, pour ne pas avoir invoqué une clause d'exclusion plutôt qu'une autre, l'avocat de l'assureur ait fait en sorte que la police d'assurance responsabilité générale soit magiquement convertie en une police garantissant l'assuré contre les défectuosités de ses produits. Un tribunal ne peut quand même pas condamner un assureur lorsque, à la lecture de la police, il constate que le sinistre n'est pas garanti.

[87]           En tout état de cause, les éléments de preuve n'indiquent pas quelle portion de la somme finalement réclamée par l'assuré représente le coût de la pose des nouveaux raccords et quelle portion représente le coût pour refaire le chanfrein des tuyaux. Il me paraît manifeste que le coût de souder 114 raccords d'un diamètre de 16 pouces constitue la très grande partie de la somme de 410 572,80 $ réclamée par l'assuré au chapitre du coût des réparations faites aux tuyaux. Serions-nous d'avis que l'assureur doit rembourser le coût de la réfection du chanfrein des tuyaux, que nous ne connaîtrions pas ce coût ?

[88]           Je suis donc d'avis que la juge a erré en ne faisant pas une application de la clause 2.K et qu'en tout état de cause, elle a mal interprété l'exclusion.

[89]           Finalement, je n'arrive pas à comprendre comment l'assuré peut prétendre que le coût de la réparation des tuyaux inclut celui de la pose des nouveaux raccords.

 

 

 

 

MARC BEAUREGARD, J.C.A.

 



[1]     Un chanfrein est défini par l'Office québécois de la langue française comme une « disposition géométrique offerte par deux pièces placées en regard pour être soudées, cavité propre à recevoir un métal de remplissage.  C'est la forme prise par un assemblage une fois que les pièces le constituant ont été usinées en vue du soudage ». Voir chanfrein (travail des métaux), www.granddictionnaire.com.

[2]     Jugement dont appel, paragr. 48 [Nos soulignés].

[3]     Jugement dont appel, paragr. 64.

[4]     Jugement dont appel, paragr. 78.

[5]     Jugement dont appel, paragr. 79.

[6]     Foodpro National Inc. v. The General Accident Insurance Company of Canada et al., [1987] I.L.R. 1-2138 (Ont. C.A.), p. 5; Heather A. Sanderson, Robert D.G. Emblem et Woodley J. Lyle, Commercial general liability insurance, Toronto, Butterworths, 2000, p. 143.

[7]     Police CBP 0857310, chap. 5.

[8]     Canadian Indemnity Co. c. Walkem Machinery & Equipment Ltd., [1976] 1 R.C.S. 309 , 316.

[9]     Jugement dont appel, paragr. 48.

[10]    [2004] B.E. 2004BE-840 (C.S.), conf. par 2006 QCCA 1496 [Excavations Gilbert Théorêt].

[11]    Jugement dont appel, paragr. 67.

[12]    Jugement dont appel, supra note 3.

[13]    Interrogatoire de Jacques Latendresse, 26 septembre 2006 (caractères gras ajoutés) [interrogatoire].

[14]    Ibid.

[15]    Contre-interrogatoire de Jacques Latendresse, 18 août 2005 (caractères gras ajoutés).

[16]    Interrogatoire, supra note 12.

[17]    Tembec inc. c. American Home Assurance Company et al., [2000] R.R.A. 619 (C.A.), paragr. 21 et 22. Voir également Administration de la voie du St-Laurent c. Canron, [1996] J.E. 97-140 (C.A.), paragr. 33.

[18]    Excavations Gilbert Théorêt, supra note 10, paragr. 32.

[19]    CGU, Compagnie d'assurances  du Canada c. Soprema inc., [2007] R.R.A. 40 , paragr. 33. [Nos soulignés]. 

[20]    H.A. Sanderson, R.D.G. Emblem et W.J. Lyle, supra note 6, p. 16.

[21]    [1996] R.R.A. 957 (C.A.), p. 963-964.

[22]    [1980] (C.S.) 903 conf. par The Continental Insurance Company c. Tracy Plate Shop Inc., [1987] R.R.A. 176 . (C.A.).

[23]    Ibid.

[24]    [2003] R.R.A. 750 (C.A.).

[25]    [2006] J.E. 2006-1103 (C.A.), paragr. 57.

[26]    Jugement dont appel, paragr. 75.

[27]    D'un diamètre de 16 pouces.

[28]    La clause de la garantie et les clauses d'exclusion de la garantie sont citées par le juge en chef.

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