Gestion ITR inc. c. Intact Compagnie d'assurance | 2024 QCCA 398 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | 200-09-010381-215, 200-09-010382-213 | ||||
(200-17-019122-134) (200-17-015974-124) | |||||
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DATE : | 4 avril 2024 | ||||
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N° : | 200-09-010381-215 | ||||
(200-17-019122-134) | |||||
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GESTION I.T.R. INC. RÉNOVAM INC. GESTION T.R.I. INC. I.T.R. ACOUSTIQUE MTL, S.E.N.C. GESTION EPG INC. 7078587 CANADA INC. | |||||
APPELANTES – demanderesses | |||||
c. | |||||
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INTACT COMPAGNIE D’ASSURANCE | |||||
INTIMÉE – défenderesse | |||||
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N° : | 200-09-010382-213 | ||||
(200-17-015974-124) | |||||
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GESTION I.T.R. INC. RÉNOVAM INC. GESTION T.R.I. INC. I.T.R. ACOUSTIQUE MTL, S.E.N.C. GESTION EPG INC. 7078587 CANADA INC. | |||||
APPELANTES – défenderesses | |||||
c. | |||||
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INTACT COMPAGNIE D’ASSURANCE | |||||
INTIMÉE – demanderesse | |||||
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[1] Dans le dossier 200-09-010382-213, les appelantes se pourvoient contre un jugement rendu le 2 juin 2021 par la Cour supérieure, district de Québec (l’honorable Marie-France Vincent), qui accueille la demande en justice de l’intimée et les condamnent solidairement à payer à celle-ci 5 101 607,84 $, plus les intérêts au taux préférentiel de la Banque Royale du Canada majoré de 2 % à compter de différentes dates.
[2] Dans le dossier 200-09-010381-215, les appelantes demandent la permission d’appeler de bene esse du même jugement qui rejette leur demande en justice contre l’intimée, tout en la déclarant abusive.
[3] Pour les motifs de la juge Gagné, auxquels souscrivent les juges Mainville et Beaupré, LA COUR :
[4] REJETTE l’appel dans le dossier 200-09-010382-213, avec les frais de justice;
[5] REJETTE la demande de bene esse pour permission d’appeler modifiée dans le dossier 200-09-010381-215, avec les frais de justice.
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| ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A. | |
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| SUZANNE GAGNÉ, J.C.A. | |
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| MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A. | |
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Me Marc-André Gravel Me Robert Gagné Me Antoine Sarrazin-Bourgoin | ||
GRAVEL BERNIER VAILLANCOURT | ||
Pour les appelantes | ||
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Me Ian Gosselin Me Raphaëlle Lévesque Mignault | ||
NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA | ||
Pour l’intimée | ||
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Date d’audience : | 4 avril 2023 | |
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MOTIFS DE LA JUGE GAGNÉ |
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[6] Les appelantes, Gestion I.T.R. inc. et al. (« Groupe ITR »), œuvrent dans l’industrie de la construction. À l’époque du litige, elles font affaire avec Axa Assurances inc. (« Axa »)[1] depuis un certain nombre d’années. En contrepartie de la signature de conventions d’indemnisation, Axa leur fournit divers cautionnements.
[7] Le 12 janvier 2005, Axa et Groupe ITR signent la « Convention d’indemnisation et de sûretés » (« Convention d’indemnisation ») qui est au cœur du litige[2]. Le 1er septembre 2006, à la demande de Groupe ITR, un avenant est souscrit pour ajouter Limestone Development LLC (« Limestone ») à titre de « Débiteur principal ».
[8] Je reviendrai en détail sur la Convention d’indemnisation; il suffit pour le moment de mentionner qu’aux termes de celle-ci, « les Garants [Groupe ITR[3]] s’engagent à indemniser la Caution [Axa] en entier pour toute perte ou dommages qu’elle pourrait subir suite à l’émission d’un ou plusieurs Cautionnements ».
[9] Comme Axa n’a pas l’autorisation d’émettre des contrats de cautionnement aux États-Unis, elle a recours à Hartford Fire Insurance Company (« Hartford »), une compagnie d’assurance américaine. Vers le 1er novembre 2007, Axa et Hartford concluent une convention intitulée « General Reinsurance Agreement » (« Convention de réassurance ») en remplacement d’une convention antérieure. Celle-ci prévoit que tout cautionnement doit faire l’objet d’une « Letter of Instruction and Indemnity setting out the terms under which the Reinsured agrees to reinsure the surety risk presented by the Reinsurer ».
[10] Les 19 mars 2009 et 1er mars 2010, sur instructions d’Axa, Hartford émet des cautionnements (Payment Bond et Performance Bond) au bénéfice de Limestone pour deux projets de construction, l’un à White River Junction au Vermont (« Projet du Vermont ») et l’autre à Fort Smith en Arkansas (« Projet de l’Arkansas »). Ces cautionnements sont émis à la suite de demandes formulées par Limestone auprès d’Axa et à la connaissance de Groupe ITR. Pour chacun d’eux, Axa signe une « Letter of Instruction and Indemnity » par laquelle elle s’engage à indemniser Hartford « against all claims and liabilities under the said Bond(s) ».
[11] À compter de la fin mars et du début avril 2011, Hartford commence à recevoir des réclamations de sous-traitants impayés par Limestone pour le Projet de l’Arkansas, puis, à compter de mai 2011, pour le Projet du Vermont. De concert avec Hartford, Axa met en place un processus de traitement des réclamations et a de nombreux échanges avec Groupe ITR.
[12] Finalement, Hartford paie le coût d’achèvement des projets et se fait rembourser par Axa selon les stipulations de la Convention de réassurance et des « Letter of Instruction and Indemnity ». Axa se tourne ensuite contre Groupe ITR en se fondant sur la Convention d’indemnisation. Dans le dossier de la Cour supérieure no 200‑17‑015974‑124 (« Dossier 124 »), elle lui réclame 5 101 607,84 $, soit les sommes payées à Hartford ainsi que tous les frais qu’elle a engagés. Dans un dossier distinct portant le no 200-17-019122-134 (« Dossier 134 »), Groupe ITR lui réclame 1 100 000 $ à titre de dommages-intérêts compensatoires et punitifs[4].
[13] La Cour supérieure accueille la demande en justice d’Axa (devenue Intact) et rejette celle de Groupe ITR, en plus de déclarer abusive la position soutenue par cette dernière, tant en défense qu’en demande[5].
[14] Groupe ITR se pourvoit de plein droit contre sa condamnation dans le Dossier 124 et demande la permission d’appeler de bene esse du jugement dans le Dossier 134. Cette dernière demande est déférée à la Cour[6].
[15] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel et la demande de permission d’appeler, avec les frais de justice dans les deux dossiers.
[16] La juge de la Cour supérieure résume ainsi les arguments des parties et les points à trancher :
[46] Le Groupe ITR prétend que le General Reinsurance Agreement est un contrat de réassurance. Ce contrat lie uniquement les signataires, Axa et Hartford.
[47] Par conséquent, Axa ne peut réclamer au Groupe ITR les sommes payées à Hartford. Les présentes démarches judiciaires ont engendré des dommages à certaines sociétés du Groupe ITR, inconvénients dont Axa est responsable en plus d’avoir entamé un recours non fondé en droit.
[48] Axa allègue, au contraire, que le General Reinsurance Agreement est une entente commerciale intervenue entre elle et Hartford en raison des cautionnements émis par Hartford pour les projets de construction américains de Limestone, le tout conformément aux demandes du Groupe ITR.
[49] À ces moments, Axa, ne pouvant pas émettre de cautionnements aux États‑Unis, devait transiger par une compagnie américaine. Par la Convention d’indemnisation et ses avenants, le Groupe ITR, de même que Limestone, Keystone et Ghislain L. Harvie, sont tenus de rembourser les sommes défrayées par Axa à Hartford. Cette obligation était connue par le Groupe ITR qui a abusé de ses droits en se défendant sans motif valable.
[50] En raison de ces arguments, le Tribunal doit trancher les points suivants.
[51] Premièrement, le Tribunal doit déterminer si le General Reinsurance Agreement intervenu entre AXA et Hartford est un contrat de réassurance, comme le prétend le Groupe ITR, ou un contrat de cautionnement selon les dires d’AXA.
[52] Deuxièmement, AXA est-elle en droit d'invoquer la Convention d’indemnisation (et ses avenants P-3 à P-5) pour être indemnisée par le Groupe ITR des sommes acquittées par elle en relation avec les cautionnements émis par Hartford pour garantir les obligations de Limestone dans le cadre du Projet du Vermont et dans celui du Projet de l'Arkansas?
[53] Troisièmement, est-ce qu’AXA est responsable des dommages allégués par le Groupe ITR?
[54] Et quatrièmement, est-ce que les procédures de l’une ou l’autre des parties sont abusives?[7]
[Italiques dans l’original]
[17] Sur le premier point, la juge détermine que la Convention de réassurance intervenue entre Axa et Hartford n’est pas un contrat de réassurance, mais plutôt « une entente commerciale visant l’obtention de cautionnements émis par Hartford aux États‑Unis à la demande d’AXA pour Limestone »[8].
[18] Sur le deuxième point, la juge conclut que le droit d’action d’Axa prend sa source dans la Convention d’indemnisation[9]. Selon elle, l’engagement fondamental de Groupe ITR consistait à rembourser Axa en cas de perte causée par des cautionnements émis à sa demande[10].
[19] Sur le troisième point, la juge estime que Groupe ITR est seule responsable des inconvénients subis pour avoir manqué à ses obligations envers Axa.
[20] Enfin, sur le quatrième point, la juge retient que Groupe ITR et son président, M. Yvan Roy, savaient qu’Axa devait recourir aux services de Hartford pour émettre des cautionnements aux États-Unis et qu’ils ont été avisés de leurs obligations comme garants dès les premiers manquements de Limestone[11]. En raison des agissements de Groupe ITR – dont sa réclamation qui est passée de 7 000 000 $ en 2013 à 1 100 000 $ au procès – la juge « déclare abusive la position prise par les sociétés appartenant à [Groupe ITR] dans le processus judiciaire »[12].
[21] Groupe ITR formule cinq questions en litige :
Question 1 : La Convention d’indemnisation est-elle en l’espèce génératrice de droits pour Axa?
Question 2 : Quelle est la qualification juridique de la Convention de réassurance et quelles sont les conséquences de cette qualification?
Question 3 : Axa a-t-elle manqué à son obligation de renseignement et, par conséquent, a-t-elle occasionné des dommages à Groupe ITR?
Question 4 : La juge de première instance a-t-elle erré en concluant au caractère abusif de la position de Groupe ITR?
Question 5 : La permission d’appeler dans le dossier 200-09-010381-215 est-elle nécessaire, et dans l’affirmative, doit-elle être accordée afin d’éviter une injustice flagrante?
[22] Je traiterai d’abord des droits et obligations des parties aux termes de la Convention d’indemnisation. Même si la réponse à cette question permet de solutionner l’essentiel du litige, je dirai quelques mots de la Convention de réassurance qui, malgré son titre, n’est pas un contrat de réassurance au sens de l’article 2397 C.c.Q. J’examinerai ensuite la question de l’obligation de renseignement qui incombait à Axa, le caractère abusif de la position soutenue par Groupe ITR et la demande de permission d’appeler.
[23] Groupe ITR soutient que la Convention d’indemnisation ne trouve aucune application et ne peut être génératrice de droit en faveur d’Axa en l’absence d’un cautionnement émis par elle. Or, les cautionnements en cause ici ont plutôt été émis par Hartford.
[24] À mon avis, la juge n’a pas erré en concluant que le droit d’action d’Axa prenait sa source dans la Convention d’indemnisation, plus précisément dans les clauses 4, 7, 9 et 17 que voici :
4. Objet de la présente convention et définition de « Cautionnements » – La présente convention a pour objet :
a) d’établir les droits de la Caution et d’autres bénéficiaires, et
b) d’établir les droits et obligations des Garants, et
c) de créer et d’obtenir des hypothèques, des cessions et des sûretés désignées (« security interests »),
suite à l’émission d’un ou de plusieurs cautionnements pour garantir les obligations de tout Débiteur principal (notamment, mais non limitativement des cautionnements de soumission, d’exécution, de paiement de la main d’œuvre et des matériaux, de paiement de demandeurs, d’entretien relatifs à des privilèges, hypothèques légales, avances ou retenues, de crédit ou de garantie financière, ainsi que des lettres d’engagement ou d’intention) ou autres formes de garanties ou d’obligations (ci-après appelées les « Cautionnements »); le terme « Cautionnements » comprend également tout changement, renouvellement, continuation, remplacement, rétablissement ou prolongation de ceux-ci.
[…]
7. Contrepartie de la présente convention – Les Garants reconnaissent que la Caution requiert la signature de la présente convention par ceux-ci, en contrepartie :
a) de l’émission passée, présente ou future de Cautionnements, par la Caution ou par toute personne mentionnée au paragraphe 9 ci‑dessous, ou
b) du fait de ne pas résilier de tels Cautionnements, et
c) (en dehors du Québec) de la somme de deux dollars et bonne et valable considération payée et fournie par la Caution à chacun des Garants (la réception et la suffisance desquels sont par les présentes reconnues).
[…]
9. Bénéficiaires additionnels de la présente convention – Tous les termes et conditions de la présente convention sont également stipulés pour le bénéfice de :
a) tout successeur ou ayant droit de la Caution, notamment suite à une acquisition de portefeuille, une fusion ou autrement, et
b) toute caution conjointe ou solidaire, toute compagnie de réassurance et toute autre caution procurées par la Caution suite à la demande du Débiteur principal d’émettre un ou des Cautionnements, que la Caution émette ou non, ou qu’elle retienne ou non toute portion de tout Cautionnement en question.
[…]
17. Indemnisation de la Caution – Les Garants s’engagent à indemniser la Caution en entier pour toute perte ou dommages qu’elle pourrait subir suite à l’émission d’un ou plusieurs Cautionnements, suite à la décision de la Caution de ne pas émettre tout Cautionnement ou suite à tout défaut des Garants en vertu de la présente convention. Le présent engagement comprend, sans limiter la généralité de ce qui précède, l’obligation des Garants de rembourser à la Caution toute somme qu’elle peut être appelée à payer :
a) suite à tout jugement, sentence arbitrale ou règlement;
b) à titre de dommages quels qu’ils soient, y compris les dommages punitifs et exemplaires, le cas échéant;
c) à l’égard de toute réclamation, responsabilité ou perte;
d) en règlement de toute dépense et frais qu’elle peut encourir, notamment les frais d’experts en sinistre ou de consultants, internes ou externes;
e) en règlement des honoraires et frais judiciaires et extra-judiciaires des avocats de la Caution (réellement payés aux avocats retenus par la Caution) et de mémoires de frais aux avocats de réclamants;
f) à titre de frais d’administration en rapport avec des réclamations en vertu de Cautionnements ou en vertu de la présente convention.[13]
[Transcription textuelle; italiques dans l’original; caractères gras ajoutés]
[25] En effet, la définition de « Cautionnements » à la clause 4 est très large et permet d’englober les cautionnements émis par Axa ou par toute autre caution procurée par elle, en l’occurrence Hartford. La clause 7a), qui stipule que les Garants signent la Convention d’indemnisation en contrepartie de « l’émission […] de Cautionnements par la Caution ou par toute personne mentionnée au paragraphe 9 ci-dessous » appuie cette interprétation, tout comme la fin de la clause 9b) : « […] que la Caution émette ou non, ou qu’elle retienne ou non toute portion de tout Cautionnement en question ».
[26] Pour soutenir que la Convention d’indemnisation confère des droits à Axa seulement à l’égard de cautionnements émis par elle (et non à l’égard de ceux émis par une caution procurée par elle), Gestion ITR invoque la clause 8 que voici :
8. Cautionnements couverts et durée de la présente convention – La présente convention s’applique, à tous les Cautionnements émis par la Caution depuis le (l’absence d’indication signifie que la présente convention s’applique aux Cautionnements émis à compter de la date des présentes), pour une période indéterminée, jusqu’à ce que la présente convention soit résiliée conformément à ses termes.[14]
[Italiques dans l’original]
[27] Or, cette clause doit recevoir le sens qui résulte de l’ensemble du contrat[15]. Au risque de me répéter, la clause 17 stipule l’engagement des « Garants » à indemniser la « Caution ». Selon la clause 7, la contrepartie de cet engagement est l’émission de cautionnements « par la Caution ou par toute personne mentionnée au paragraphe 9 », donc par « tout autre caution procurée par la Caution ». Limiter les droits de la « Caution » aux seuls cautionnements émis par elle, comme le propose Groupe ITR, irait à l’encontre de l’économie de la Convention d’indemnisation.
[28] Dans le cas qui nous concerne, Groupe ITR ne conteste pas réellement le fait que Hartford est une caution procurée par Axa au sens de la clause 9. Dans son mémoire, elle écrit : « Hartford était, au mieux, une “caution procurée”. Le seul effet juridique étant d’attribuer à Hartford le statut de “Bénéficiaire additionnel”, tel que prévu à l’article 9b) ». D’autre part, la preuve démontre que les cautionnements pour le Projet du Vermont et pour le Projet de l’Arkansas ont été émis à la suite de demandes formulées par Limestone à titre de « Débiteur principal », auprès d’Axa.
[29] J’en viens à la conclusion que les cautionnements émis par Hartford pour le Projet du Vermont et pour le Projet de l’Arkansas sont couverts par la Convention d’indemnisation, même s’ils n’ont pas été émis par Axa. Celle-ci a donc le droit d’être indemnisée par Groupe ITR[16] pour toute perte ou dommages qu’elle a subis par suite de l’émission de ces cautionnements.
[30] C’est, du reste, la compréhension qu’avait le président de Groupe ITR, M. Yvan Roy, comme il appert de l’extrait suivant de son contre-interrogatoire au procès :
Q Mais ma question était en lien avec le fait que vous compreniez, à l’époque, que vous garantissiez Limestone vis-à-vis AXA, vous l’endossiez, vous le garantissiez, ce sont vos mots?
R Ben oui, pis je suis…
Q Ça va?
R … entièrement d’accord avec ça.
Ben oui.[17]
Et des réponses qu’il a données à des questions posées par la juge :
Q Puis, là, pour qu’AXA fasse tout ça, pour... avec Limestone, là, parce qu’ils ont...
R Oui.
Q … demandé à Hartford de faire un cautionnement, parce que Limestone est aux États-Unis et AXA ne peut pas émettre de cautionnement aux États‑Unis...
R Exact.
Q ... bien, AXA, pour s’assurer qu’ils n’auront pas de problème avec Limestone, bien, là, vous, vous signez – bien, I.T.R...
Q ... puis les autres, là, signent la convention d’indemnisation.
R Oui.
Q O.K.
Pour être garant de ce qui va arriver avec Limestone.
R De qu’est-ce qui peut arriver avec Limestone, exactement.[18]
[31] Vu ce qui précède, il n’est pas nécessaire d’examiner l’argument subsidiaire d’Axa fondé sur la subrogation légale prévue à l’article 1656(3o) C.c.Q. Je me contenterai de dire que Groupe ITR a tort d’y voir « la mère de toutes les questions dans la présente instance ». Dès lors que la Convention d’indemnisation confère à Axa le droit d’être indemnisée pour toute perte ou dommages subis par suite de cautionnements émis par une caution procurée, la question de savoir si elle est subrogée dans les droits de Hartford devient superfétatoire.
[32] Selon Groupe ITR, la juge a commis une erreur de droit en interprétant la Convention de réassurance intervenue entre Axa et Hartford comme une simple « entente commerciale »[19], neutralisant ainsi l’article 2397 C.c.Q. selon lequel « [l]e contrat de réassurance n’a d’effet qu’entre l’assureur et le réassureur ». Cette disposition d’ordre public empêche tout recours subrogatoire du réassureur, en l’occurrence Axa, contre l’auteur du préjudice[20].
[33] Cette question aussi paraît superfétatoire, car même si la Convention de réassurance était un contrat de réassurance, l’article 2397 C.c.Q. ne ferait pas échec au recours d’Axa fondé sur la Convention d’indemnisation. Comme l’explique la Cour dans l’arrêt Boiler, l’absence de subrogation légale du réassureur dans les droits de l’assuré n’exclut pas qu’il puisse y avoir subrogation conventionnelle (ou un autre lien de droit contractuel) :
[9] Il n’y a pas de lien de droit entre le réassureur et l’assuré. De la même façon, il n’y a pas de subrogation par l’effet de la loi entre le réassureur et l’assuré. Ainsi, seule la subrogation conventionnelle dûment dénoncée aux auteurs présumés du préjudice pouvait conférer un droit d’action à Boiler [le réassureur] contre ceux-ci. […][21]
[Renvoi omis]
Plus loin, écartant l’argument de la stipulation pour autrui avancé par Boiler, la Cour ajoute ceci :
[19] Rien ne permet de croire que Domtar [l’assuré primaire] entendait contracter avec Boiler et on ne peut certes le présumer.[22]
[Renvoi omis]
[34] Ici, c’est tout le contraire. Groupe ITR s’est engagée à indemniser Axa pour toute perte ou dommages qu’elle pourrait subir par suite de cautionnements émis par elle ou par toute autre caution procurée par elle. Le fait qu’Axa ne soit pas subrogée légalement dans les droits de Hartford n’y changerait rien.
[35] Cela étant, comme la question de la qualification de la Convention de réassurance a occupé une grande partie du débat, j’en traiterai brièvement.
***
[36] Le Code civil du Québec ne définit pas le contrat de réassurance. La doctrine propose plusieurs définitions dont l’idée maîtresse est le transfert des risques d’un assureur à un autre (le réassureur).
[37] Prenons, par exemple, la définition du Dictionnaire de droit québécois et canadien :
Réassurance (n.f.)
Contrat par lequel un assureur transfère à un ou à plusieurs autres assureurs ou à une entreprise spécialisée en réassurance, en tout ou en partie, les risques qu’il supporte à l’égard de son assuré sans, pour autant, modifier sa responsabilité envers ce dernier.[23]
[38] Les auteurs Jean-François Gagnon et Valérie Lemaire proposent, quant à eux, la définition suivante :
12-10. La réassurance, pour sa part, est l’opération par laquelle l’assureur transfère à un ou des tiers, en contrepartie d’une prime, une partie ou la totalité des risques associés aux polices qu’il a souscrites.[24]
[39] De même, pour Sébastien Lanctôt et Paul A. Melançon, « [l]a réassurance est une entente par laquelle l’assureur transfère à une autre personne, le réassureur, la totalité ou une partie des risques qu’il assumait »[25]. Ces auteurs expliquent qu’il s’agit d’un moyen technique permettant à un assureur « de se placer à l’abri des écarts entre l’occurrence théorique des évènements et la réalité, et de mieux disperser les risques »[26].
[40] Il est vrai que la réassurance se pratique aussi en matière de cautionnement, comme le souligne l’autrice Louise Poudrier-LeBel dans un ouvrage portant sur le cautionnement par compagnie de garantie :
22- La réassurance est le transfert de responsabilité par une compagnie de la totalité ou d’une partie du risque à une autre compagnie au moyen d’un contrat séparé. C’est une assurance contre le risque qui a été cautionné. Elle se pratique fréquemment en matière d’engagement par compagnie de garantie.
[…]
34- La majorité des compagnies qui s’adonnent au cautionnement exercent leurs activités tant au Canada qu’aux États-Unis; elles sont familières avec les termes et concepts de la common law, mais non avec ceux du droit civil du Québec. Les quelques compagnies québécoises qui pratiquent l’assurance-cautionnement emploient fréquemment des formules rédigées en anglais ou directement traduites de cette langue dans le but de faciliter la réassurance de leurs obligations auprès de compagnies américaines. […][27]
[Renvois omis]
[41] Est-ce à dire que le contrat de réassurance visé à l’article 2397 C.c.Q. ne requiert pas un contrat d’assurance sous-jacent? Autrement posée, la question est la suivante : est-ce qu’un contrat de réassurance au sens de cette disposition peut avoir pour cause un contrat de cautionnement? Je ne le crois pas.
[42] L’article 2397 C.c.Q. se trouve dans le chapitre consacré aux assurances, plus précisément dans la sous-section « De la nature du contrat et des diverses espèces d’assurance ». Je rappelle le texte de cette disposition qui, par l’emploi des termes « assureur » et « réassureur », sous-entend qu’il doit y avoir un « assuré » :
2397. Le contrat de réassurance n’a d’effet qu’entre l’assureur et le réassureur. | 2397. The contract of reinsurance has effect only between the insurer and the reinsurer. |
[43] Selon les commentaires du ministre de la Justice :
Cet article précise que l’assuré n’a aucun lien de droit avec l’assureur de son assureur. Il s’agit de deux contrats distincts. Cette disposition est conforme à l’article 2493 C.C.B.C.[28]
[44] Le contrat d’assurance, lui, est défini à l’article 2389 C.c.Q. :
2389. Le contrat d’assurance est celui par lequel l’assureur, moyennant une prime ou cotisation, s’oblige à verser au preneur ou à un tiers une prestation dans le cas où un risque couvert par l’assurance se réalise. L’assurance est maritime ou terrestre.
| 2389. A contract of insurance is a contract whereby the insurer undertakes, for a premium or assessment, to make a payment to the client or a third person if a risk covered by the insurance occurs. Insurance is divided into marine insurance and non-marine insurance. |
[45] Comme l’observe l’auteur Charles-Antoine M. Péladeau, deux thèses s’opposent sur la nature juridique du contrat de réassurance en droit civil québécois : celle du contrat d’assurance et celle du contrat innommé, la première étant de loin majoritaire[29]. Selon lui, l’argument le plus convaincant à l’appui de la thèse du contrat d’assurance est la présence des mêmes éléments caractéristiques, à savoir la prime, la prestation et le risque. En revanche, le contrat de réassurance présente des spécificités pouvant justifier de le considérer comme un contrat innommé, notamment la qualité des parties cocontractantes, l’objet ou la finalité du contrat et la cause de celui-ci[30]. Sur la cause du contrat, le même auteur écrit que « la raison qui pousse les parties à la conclusion d’un contrat de réassurance est essentiellement l’existence d’un contrat d’assurance sous‑jacent »[31].
[46] Il n’est pas nécessaire de départager les deux thèses en présence (contrat d’assurance ou contrat innommé), la question ici étant de savoir si la Convention de réassurance intervenue entre Axa et Hartford est un contrat de réassurance au sens de l’article 2397 C.c.Q. Il suffit de constater que le contrat de réassurance visé à cette disposition est pour le moins semblable au contrat d’assurance (il possède les mêmes éléments caractéristiques) et qu’il a pour cause l’existence d’un contrat primaire d’assurance. Je cite de nouveau l’auteur Péladeau :
L’objet de la réassurance serait donc la nécessité d’un rééquillibrage [sic] de la mutualité par l’entremise du partage des risques assumés, nécessité découlant de l’existence même des contrats d’assurance souscrits par l’assureur et qui serait d’une certaine manière, comme le mentionnent les professeurs Picard et Besson, la cause du contrat de réassurance.[32]
[Renvoi omis]
[47] En l’espèce, la Convention de réassurance intervenue entre Axa et Hartford vise à transférer au « Reinsurer » les risques associés à des cautionnements, lesquels sont définis ainsi :
(a) “Bond”: All Bonds or other instruments issued by the Reinsured and classified by the Reinsured as commercial surety or contract surety. It is specifically understood that bid Bonds and letters of consent are covered within the scope of this Agreement on the same basis as the corresponding final Bond issued.[33]
[48] En droit civil québécois, le contrat de cautionnement et le contrat d’assurance sont distincts et ne répondent pas aux mêmes règles[34]; Groupe ITR en convient. Le seul fait que des compagnies de garantie recourent à la réassurance pour limiter leurs risques ne fait pas en sorte que l’article 2397 C.c.Q. s’applique en matière de cautionnement.
[49] Il y a plus. Selon la clause 4 de la Convention de réassurance, c’est le « Reinsurer » (Axa) qui paie un « Bond Fronting Fee » au « Reinsured » (Hartford) pour que celle-ci émette des cautionnements, et non l’inverse. Cela me convainc qu’Axa n’est pas le réassureur de Hartford au sens où l’entend le droit des assurances. D’ailleurs, selon un principe établi en droit des obligations, « le juge ne sera jamais lié par la qualification par les parties et il a le pouvoir d’attribuer à la convention la nature juridique qui, d’après lui, correspond réellement à son contenu »[35].
[50] Je partage donc l’opinion de la juge selon laquelle la Convention de réassurance intervenue entre Axa et Hartford, malgré son titre et l’emploi fréquent des mots « reinsurance », « reinsurer » et « reinsured », n’est pas un contrat de réassurance au sens de l’article 2397 C.c.Q.
***
[51] Finalement, Groupe ITR reproche à la juge de ne pas s’être interrogée sur la licéité de la Convention de réassurance, laquelle servirait à contourner la réglementation canadienne et américaine.
[52] Or, comme le souligne Axa, Groupe ITR n’a présenté aucune preuve du droit américain pour soutenir cet argument. La preuve tend plutôt à démontrer que la façon de procéder d’Axa était « conforme aux prescriptions des autorités réglementaires canadiennes et américaines »[36]. Selon la doctrine, il s’agit d’une pratique très répandue :
[...] The bonding company for a Canadian construction company may be a subsidiary of a United States company and thus offer a bonding facility not only in Canada, but in the United States as well. If that is not the case and a bond is needed in the United States, then the Canadian bonding company will seek an arrangement with an American bonding company to front for it. In other words, the Canadian bonding company will indemnify the American bonding company with respect to a bond issued in the United States and will pay a fronting fee to a bonding company. [...][37]
[Soulignement ajouté]
[53] Cet argument n’est donc pas fondé.
[54] Groupe ITR réitère l’argument plaidé en première instance selon lequel Axa a manqué à son obligation de renseignement en ne lui divulguant pas la Convention de réassurance conclue avec Hartford. Elle soutient que M. Yvan Roy n’aurait jamais accepté les conditions de cette entente s’il les avait connues et que son courtier, M. Michel Jacques, lui aurait déconseillé de s’engager dans de telles conditions. Axa aurait également manqué à ses obligations de bonne foi, d’honnêteté et de collaboration, ce qui constituerait une fin de non-recevoir à sa réclamation et justifierait l’octroi de dommages-intérêts.
[55] La juge conclut que M. Roy et son courtier Michel Jacques savaient qu’Axa faisait affaire avec Hartford pour l’émission de cautionnements aux États-Unis et qu’ils n’ont jamais demandé à obtenir les conditions de l’entente intervenue entre Axa et Hartford[38]. Cette conclusion de fait est amplement supportée par la preuve, notamment par l’interrogatoire préalable de M. Yvan Roy :
Q. Ce que vous dîtes, c’est que vous saviez que c’était Hartford qui émettait les cautionnements, aux États-Unis?
R. Je savais que c’était Hartford qui donnait la caution, aux États-Unis; on le sait, depuis le début, ça.
[…]
R. Non, non, mais, la question, au tout début, on s’est fait dire qu’Axa ne pouvait pas cautionner, aux États-Unis.
Q. O.K.
Ça…
R Je l’ai su, au début.
Q. …vous avez entendu ça de qui?
R. Du courtier.[39]
[56] Quant aux conditions de la Convention de réassurance, Groupe ITR se plaint du fait qu’Axa « avait les mains liées […] et qu’elle avait abdiqué toute possibilité de contester les réclamations d’Hartford ». Or, ce n’est pas l’interprétation que les parties à la Convention de réassurance lui ont donnée. Contre-interrogé à ce sujet, M. David Thomas de Hartford précise ce qui suit :
A- I would say that there is a principle of peacefulness embedded within this document, so the payments have to be reasonable, and they have to be related to the matter. And so if you’re asking me if AXA could raise an objection, I believe they could; whether they would be successful is a different... is a different question.
[…]
A- That means that we should be in communication with AXA and provide AXA with notice of the claims and allow AXA an opportunity, should they so choose, to discuss the claim with the Hartford representative.[40]
[57] D’ailleurs, dès les premières réclamations des sous-traitants de Limestone, Axa a mis en place un processus rigoureux de traitement des réclamations. Avec le consentement de Hartford, elle a mandaté M. Luis Copat de la firme Crawford & Company (Canada inc.) pour s’assurer que toute somme payée par Hartford le serait conformément aux cautionnements émis. Cela appert, notamment, de l’extrait suivant de la déclaration sous serment de M. Thomas :
8. Crawford & Company (Canada) Inc. (“Crawford”) was chosen by AXA with the agreement of Hartford to act as their authorized representative to investigate all claims and losses in relation to these two (2) contracts, to provide reports on the advancement of both Projects, to act as the intermediary between the claimants, Hartford and AXA and to assist in determining whether claims were covered under the bonds;
9. Hartford and AXA reviewed the recommendations provided by Crawford;
10. If AXA approved a claim resolution recommended by Crawford, Hartford would issue payment to the claimant upon receipt of all necessary settlement and release documents. Once payment was issued by Hartford, it would then turn to AXA with proof of payment in order to be reimbursed by AXA;
11. This was the working methodology for all of the claims and losses with regards to Project Arkansas and Project Vermont; and […][41]
[Caractères gras dans l’original]
[58] Bref, contrairement à ce que plaide Groupe ITR, Axa n’avait pas les mains liées aux termes de la Convention de réassurance et elle a fait preuve de diligence dans le traitement des réclamations.
[59] De plus, la preuve démontre de façon convaincante qu’Axa a donné à Groupe ITR l’occasion de minimiser les coûts et qu’elle l’a tenue informée des démarches entreprises par M. Luis Copat. La juge retient à ce propos :
[104] Dès les manquements de Limestone, le Groupe ITR et Yvan Roy sont avisés en juin 2011 de leurs obligations comme garants. De multiples démarches ont été faites par AXA, par l’intermédiaire de Marc-André Lavigne, afin de minimiser les coûts. Des courriels ont été échangés. Des conférences téléphoniques ont été tenues. Des rencontres ont eu lieu. Cependant, le Groupe ITR par Yvan Roy ne voulait rien entendre.[42]
[Renvoi omis]
[60] Groupe ITR ne fait voir aucune erreur manifeste et déterminante pouvant justifier l’intervention de la Cour. Ce moyen d’appel doit donc également échouer.
[61] Comme déjà mentionné, la juge déclare abusive la position soutenue par Groupe ITR, tant en défense qu’en demande.
[62] Il est bien établi que l’existence d’un abus de procédure est une question de fait dont l’appréciation relève du juge du procès, sauf erreur manifeste et déterminante[43].
[63] En ce qui concerne la défense de Groupe ITR, la juge note d’abord que M. Yvan Roy a prétendu au procès « ne pas connaître la présence de Hartford pour l’émission des cautionnements américains », même si l’ensemble de la preuve démontre le contraire[44]. Elle estime que « les allégations en défense, non soutenues par les faits, démontrent la ténacité avec laquelle le Groupe ITR, par Yvan Roy, s’est débattu pour ne pas se rendre à l’inévitable, soit le respect de ses obligations comme garant »[45]. Prenant à témoin le courtier Michel Jacques, elle ne comprend pas comment M. Yvan Roy a pu prétendre ne pas être conscient de la réalité juridique créée par la Convention d’indemnisation[46]. La déclaration sous serment de M. Jocelyn St-Louis appuie également cette conclusion :
33. Avant d’étendre la Convention d’indemnisation et de sûretés P-2 à Limestone, j’ai exprimé à Yvan Roy qu’une telle démarche signifiait que les sociétés composant le Groupe I.T.R. devaient se porter garantes des obligations de Limestone face à AXA.
34. En d’autres mots, cela signifiait concrètement que Groupe I.T.R. se trouvait à « cautionner » les obligations de Limestone dans un marché que ni AXA ni Groupe I.T.R. ne connaissaient, notamment quant aux types de contrats, aux pratiques des donneurs d’ouvrages et à l’environnement légal spécifique à chaque projet.
35. Lors d’une discussion avec Yvan Roy, je l’ai expressément mis en garde de procéder de la sorte, considérant les risques de pertes inhérents à une telle démarche.
36. Malgré mes réserves exprimées à Yvan Roy, les sociétés du Groupe I.T.R. ont accepté de se porter « garantes » des obligations de Limestone aux termes de la Convention d’indemnisation et de sûretés P-2, tel qu’il appert de l’avenant signé le ou vers le 1er septembre 2006 visant à ajouter Limestone comme « Débiteur principal » et « Garant » au sens de la Convention d’indemnisation et de sûretés, Pièce P-3.
37. J’ai compris plus tard en 2010, lorsque j’ai vu une copie du Master Contract Agreement (pièce D-6), que l’intérêt de Groupe I.T.R. de procéder de la sorte ne découlait pas seulement du désir d’obtenir des sous-contrats aux États-Unis pour I.T.R. Drywall, mais également d’une expectative de profits importants en vertu de leur entente selon laquelle une rétribution de 5 % de la valeur des contrats obtenus par Limestone serait versée à Gestion T.R.I., l’une des sociétés du Groupe I.T.R.
38. J’en ai ainsi compris qu’en retour de son engagement vis-à-vis AXA à se porter « Garant » des obligations de Limestone, Groupe I.T.R. entendait percevoir 5 % de la valeur des contrats sans même y être impliqué.
39. Un tel taux (5 %) est nettement supérieur à celui chargé par les compagnies de cautionnement dans l’industrie pour émettre des cautionnements en faveur de leurs clients.[47]
[Italiques dans l’original; renvois omis]
[64] La juge souligne aussi le fait que Groupe ITR a contesté jusqu’au procès la reprise d’instance par Intact, alors que le nom d’Intact apparaît dans les courriels dès le 29 septembre 2011[48].
[65] En somme, pour la juge, la défense mise en avant par Groupe ITR est manifestement mal fondée et dilatoire. M. Yvan Roy sait depuis le début que Groupe ITR s’est engagée à indemniser Axa pour tout perte ou dommages qu’elle pourrait subir par suite des cautionnements émis par Hartford au bénéfice de Limestone, et ce, sans égard à la nature juridique de la Convention de réassurance.
[66] Cette conclusion n’est entachée d’aucune erreur manifeste et déterminante. Le fait qu’une autre juge de la Cour supérieure, dans un jugement antérieur, a qualifié les questions en jeu de « fort intéressantes » n’empêchait pas la juge de conclure, eu égard à l’ensemble de la preuve, à un abus de procédure.
[67] En ce qui concerne la demande en justice de Groupe ITR dans le Dossier 134, la juge retient les éléments suivants :
[106] Le Groupe ITR, par son président Yvan Roy, répond à la demande introductive d’instance d’Axa par une demande en dommages de 7 000 000 $ déposée en 2013 réduite à 1 100 000 $ durant l’instruction.
[107] Lors de son témoignage, Yvan Roy tente, de peine et misère, d’expliquer les inconvénients subis à ses sociétés. Étant incapable, il laisse le tout à la discrétion du Tribunal. Or, une condamnation en responsabilité ne fonctionne pas de la sorte. Une preuve détaillée et sérieuse doit être administrée. Une faute doit être prouvée. Des dommages doivent être démontrés. Un lien de causalité doit être établi. Rien n’a été fait en l’espèce. Cette réclamation par le Groupe ITR s’apparente plutôt à de l’intimidation : « Vous me poursuivez, je vais vous poursuivre ».[49]
[Renvoi omis]
[68] Dans sa déclaration d’appel et dans sa demande de bene esse pour permission d’appeler modifiée[50], Groupe ITR insiste sur le lien étroit qui existe entre les deux dossiers et sur le risque de jugements contradictoires dans l’éventualité où la Cour accueillerait l’appel dans le Dossier 124. Elle n’énonce aucun moyen de droit ou de fait à l’encontre de la conclusion de la juge sur l’absence de preuve d’un préjudice et d’un lien de causalité. Elle soulève tout au plus la question de savoir « si les conséquences financières d’une poursuite peuvent faire l’objet d’un dédommagement à l’endroit d’une personne morale ». Enfin, les conclusions qu’elle recherche ne prévoient pas de condamnation à des dommages-intérêts :
41. La partie Appelante demandera à la Cour d’appel de :
ACCUEILLIR l’appel;
INFIRMER le jugement de première instance;
CONDAMNER la partie intimée aux frais de justice tant en première instance qu’en appel.[51]
[69] Dans son mémoire, Groupe ITR fait valoir qu’elle « est en droit de réclamer et de se voir attribuer une juste et valable compensation pour les préjudices qu’elle a subis », sans le moindre renvoi à la preuve. Dans ses conclusions, elle reprend simplement les chefs de réclamation de sa demande en justice, soit 400 000 $ pour les honoraires et les débours engagés, 400 000 $ pour les troubles, dommages et inconvénients et 300 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs.
[70] L’arrêt Beauregard c. Boulanger (Succession de Boulanger) énonce le critère applicable à une demande de permission d’appeler visée à l’article 30 alinéa 2(3o) C.p.c. :
[31] Dans un cas d’abus, la permission est requise parce qu’il faut éviter de laisser l’abus se perpétuer en appel. Bien que la présence d’une question de principe, d’une question nouvelle ou d’une question de droit faisant l’objet d’une jurisprudence contradictoire puisse justifier d’accorder la permission, dans la plupart des cas d’abus, la question est plutôt de savoir s’il existe une faiblesse apparente dans le jugement rejetant l’action et la déclarant abusive, de telle manière qu’il y a un risque d’une injustice.[52]
[Renvoi omis, caractères gras ajoutés]
[71] En l’espèce, Groupe ITR ne démontre ni faiblesse apparente ni risque d’injustice. La demande de permission d’appeler doit donc être rejetée.
[72] J’ajouterais qu’Axa ne réclame pas de dommages-intérêts à titre de sanction des abus commis[53]. Vu l’issue de l’appel dans le Dossier 124, les déclarations d’abus et la demande de permission d’appeler revêtent un caractère quelque peu théorique.
[73] Pour ces motifs, je propose de rejeter l’appel ainsi que la demande de permission d’appeler, avec les frais de justice dans les deux dossiers.
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SUZANNE GAGNÉ, J.C.A. |
[1] L’intimée, Intact Compagnie d’assurance (« Intact »), agit désormais aux droits d’Axa.
[2] À l’origine, la Convention d’indemnisation intervient entre Axa et les sociétés I.T.R. Acoustique inc., I.T.R. Drywall inc. et 9023-1457 Québec inc., devenue Gestion T.R.I. inc. Des avenants seront signés les 3 mars 2006, 11 avril 2006 et 14 janvier 2009 pour ajouter les autres sociétés appelantes à titre de « Débiteur principal ». Voir : Exposé d’audience signé le 13 novembre 2020, plus précisément les points 5, 6, 7, 9 et 10 de l’exposé des faits admis.
[3] Selon la clause 3 de la Convention d’indemnisation, toutes les parties désignées comme « Débiteur principal » sont des « Garants ».
[4] Dans la Demande introductive d’instance en nullité et en dommages modifiée datée du 21 février 2021, la réclamation de Groupe ITR est ventilée comme suit : 400 000 $ pour les honoraires et les débours engagés, 400 000 $ pour les troubles, les dommages et les inconvénients subis et 300 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs.
[5] Intact Compagnie d’assurance c. ITR Acoustique inc., 2021 QCCS 2238 [Jugement entrepris].
[6] Gestion ITR inc. c. Intact Compagnie d’assurance, 2022 QCCA 399 (Lavallée, j.c.a.).
[7] Jugement entrepris, par. 46-54.
[9] Id., par. 85.
[10] Id., par. 86. La juge se réfère à l’arrêt Cie d’assurance d’hypothèque du Canada c. Construction Sylt Ltée, J.E. 1988-903, 1988 CanLII 691 (C.A.).
[11] Jugement entrepris, par. 98-100.
[12] Id., par. 109.
[13] Pièce P-2, Copie de la Convention d’indemnisation et sûretés, 18 février 2005, clauses 4, 7, 9 et 17, p. 1-3 de 18.
[14] Id., clause 8, p. 2 de 18.
[15] Art. 1427 C.c.Q.
[16] La clause 12 de la Convention d’indemnisation stipule la solidarité entre les « Garants », de manière que chacun puisse être séparément obligé envers la « Caution » pour la totalité des obligations.
[17] Contre-interrogatoire de M. Yvan Roy, 22 février 2021, p. 156, ligne 21 à p. 157, ligne 4.
[18] Interrogatoire de M. Yvan Roy, 23 février 2021, p. 66, ligne 9 à p. 67, ligne 3.
[19] Jugement entrepris, par. 76.
[20] Boiler Inspection and Insurance Company of Canada c. H.A. Simons Ltd., 2011 QCCA 1194, par. 9, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 22 mars 2012, n° 34447 [Boiler]; Jean‑François Gagnon et Valérie Lemaire, « Le contrat de réassurance : notions et principes », dans Sébastien Lanctôt (dir.), Le contrat d’assurance de dommages et le contrat de réassurance, Montréal, LexisNexis Canada, 2015, 349, p. 351, par. 12-15.
[21] Boiler, supra, note 20, par. 9.
[22] Id., par. 19.
[23] Hubert Reid et Simon Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 6e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2023, « réassurance ». Voir aussi la définition dans le dictionnaire Usito d’Hélène Cajolet-Laganière, Pierre Martel et Chantal-Édith Masson (avec le concours de Louis Mercier comme conseiller éditorial), Dictionnaire Usito, Sherbrooke, Université de Sherbrooke, « réassurance » : « Opération consistant, pour un assureur qui a conclu un contrat d'assurance avec un client, à couvrir une partie ou parfois la totalité des risques assumés en se faisant assurer à son tour par un ou plusieurs autres assureurs dans des conditions fixées par contrat ».
[24] J.-F. Gagnon et V. Lemaire, supra, note 20, p. 351, par. 12-10.
[25] Sébastien Lanctôt et Paul A. Melançon, « De la nature du contrat et des diverses espèces d’assurance (art. 2389-2397 C.c.Q.) » dans Sébastien Lanctôt et Paul A. Melançon (dir.), Commentaires sur le droit des assurances, Montréal, LexisNexis, 2021, 9, p. 25 [Renvois omis]. Voir aussi la définition dans l’ouvrage de Jean-Guy Bergeron, Les contrats d’assurance, t.1, Sherbrooke, SEM Inc., 1989, p. 72, par. 38 : « Contrat liant exclusivement l’assureur et un réassureur. Méthode par laquelle les assureurs confient une partie des risques acceptés, moyennant une partie des primes, à des entreprises spécialisées en réassurance ou à des assureurs acceptant de jouer le rôle de réassureur. Par cette technique, il y a une dispersion du risque favorisant un meilleur équilibre de la mutualité ».
[26] Id., p. 26 [Renvoi omis].
[27] Louise Poudrier-LeBel, Le cautionnement par compagnie de garantie, Cowansville, Yvon Blais, 1986, p. 8 et 13, par. 22 et 34.
[28] Ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice : Le Code civil du Québec, t. 2 « Loi sur l’application de la réforme du Code civil », Québec, Publications du Québec, 1993, art. 2397.
[29] Charles-Antoine M. Péladeau, La nature juridique du contrat de réassurance en droit civil québécois, Montréal, Thémis, 2019, p. 65-66. La thèse du contrat d’assurance est favorisée par plusieurs auteurs : Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, 3e éd., Montréal, Thémis, 2018, n° 135; Didier Lluelles, Droit des assurances terrestres, 6e éd., Montréal, Thémis, 2017, p. 6, n° 11 : « la convention de réassurance constitue cependant un véritable contrat d’assurance entre l’assureur et le réassureur »; Sébastien Lanctôt, L’utile et le juste de la discrimination dans la sélection, la classification et la tarification des risques assuranciels, thèse de doctorat, Montréal, Université McGill, 2008, p. 46 : « [u]n contrat de réassurance est un contrat d’assurance ».
[30] C.-A. M. Péladeau, supra, note 29, p. 77. Sur la thèse du contrat innommé, voir aussi : Canadian National Railway Company c. Chartis Insurance Company of Canada (Commerce and Industry Insurance Company of Canada), 2013 QCCA 1271, par. 64 (motifs du j. Dalphond, en obiter).
[31] C.-A. M. Péladeau, supra, note 29, p. 80-81.
[32] Id., p. 32.
[33] Pièce P-16, General Reinsurance Agreement between AXA CANADA INC., AXA ASSURANCES INC., AXA PACIFIC INSURANCE COMPANY and HARTFORD FIRE INSURANCE COMPANY and their respective successors and assigns, 1er novembre 2007, clause 1a).
[34] Groupe commerce, compagnie d'assurance c. Bokobza, EYB 1997-04040, 1997 CanLII 7987, par. 51‑54 (C.S.), confirmée par Bokobza c. Groupe Commerce compagnie d'assurance, EYB 2001‑22866, 2001 CanLII 39723 (C.A.); Cie d'assurance London garantie c. Girard & Girard Inc., EYB 2004-53445, 2004 CanLII 20537, par. 37 (C.A.).
[35] Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 7e éd. Par Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Cowansville, Yvon Blais, 2013, p. 85, no 56, cité dans Uniprix inc. c. Gestion Gosselin et Bérubé inc., 2017 CSC 43, par. 29.
[36] Contre-interrogatoire en demande de M. Jocelyn St-Louis, 16 novembre 2020, p. 24, lignes 22-24.
[37] Keneth Scott and R. Bruce Reynolds, « The underwriting process », dans Surety Bonds, Carswell, 1996, p. 4. Voir également Reliance Insurance Company v. Shriver Inc. (2000), 224 F. (3d) 641 (7th Cir.) (É.-U.), p. 643. Le témoignage de Mme Françoise Guénette va dans le même sens.
[38] Jugement entrepris, par. 65.
[39] Interrogatoire préalable de M. Yvan Roy, 1er avril 2014, p. 133-134. La déclaration sous serment de M. Jocelyn St-Louis est au même effet, plus particulièrement le par. 25 : « Il était ainsi bien connu de la direction de Groupe I.T.R. que les cautionnements étaient émis par Hartford lorsqu’il était question de projets aux États-Unis ».
[40] Contre-interrogatoire de M. David Thomas, 17 novembre 2020, p. 71, lignes 8-15 et p. 74, lignes 9-13.
[41] Déclaration sous serment de M. David Thomas, 9 décembre 2014, par. 8-11.
[42] Jugement entrepris, par. 104.
[43] Voir notamment : Dupras c. Ville de Mascouche, 2022 QCCA 350, par. 64, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 29 septembre 2022, n° 40161; Ville de Saint-Rémi c. 9120‑4883 Québec inc., 2021 QCCA 630, par. 85; Succession de Drolet c. Succession de Boilard, 2021 QCCA 144, par. 42 et Syndicat de la copropriété de l’Île Bellevue Phase I c. Propriétés Belcourt inc., 2021 QCCA 92, par. 31.
[44] Jugement entrepris, par. 96.
[45] Id., par. 101.
[46] Id., par. 102-103.
[47] Déclaration sous serment de M. Jocelyn St-Louis, 12 novembre 2020, par. 33-39.
[48] Jugement entrepris, par. 105.
[49] Id., par. 106-107.
[50] Une permission d’appeler est effectivement requise en vertu de l’article 30 alinéa 2(3o) C.p.c.
[51] Déclaration d’appel datée du 8 juillet 2021 dans le Dossier 134. Les mêmes conclusions figurent au paragraphe 48 de la demande de bene esse pour permission d’appeler modifiée.
[52] Beauregard c. Boulanger (Succession de Boulanger), 2021 QCCA 728, par. 31.
[53] Plaidoiries de Me Ian Gosselin, 24 mars 2021, p. 173.
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