Grant c. Gravel |
2020 QCRDL 17448 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Longueuil |
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Nos dossiers : |
391788 37 20180409 G 418083 37 20180912 G |
Nos demandes : |
2475584 2584158 |
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Date : |
20 août 2020 |
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Régisseure : |
Danielle Deland, juge administrative |
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Monica Grant |
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Locataire - Partie demanderesse |
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c. |
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Francine Gravel
Réal Savaria |
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Locateurs - Partie défenderesse |
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France Lacroix [...] Partie intéressée |
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D É C I S I O N
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[1] La locataire demande la résiliation du bail, des dommages moraux pour atteinte à sa vie privée, ainsi que pour troubles et inconvénients (5 000 $) et des dommages punitifs (5 000 $).
[2] Les locateurs demandent des dommages matériels pour pertes et dégradations au logement (1 587,72 $), une indemnité équivalant au loyer perdu (310 $) ainsi que des dommages pour troubles et inconvénients (5 000 $).
[3] Après
avoir rejeté une demande de réunion des dossiers à l’audience du 12 juillet
2019, la soussignée les a finalement réunis conformément aux dispositions de
l’article
[4] Les parties étaient liées par un bail signé avec l’ancien propriétaire de l’immeuble et couvrant la période du 1er février 2016 au 31 janvier 2017 pour un loyer mensuel de 600 $, bail reconduit au 30 juin 2018 pour un loyer de 605 $ par mois. Le bail est au nom de la locataire demanderesse et au nom de sa mère, Madame France Lacroix. Les locataires ayant envoyé au locateur un avis de non-renouvellement de bail dans les délais prévus par la loi, le bail n’a pas été reconduit au 30 juin 2018. La demande de résiliation de bail est donc dorénavant caduque. Le logement a été reloué pour le 1er juillet 2018.
Préambule
[5] Environ six mois avant son départ, la locataire a introduit dans le logement un petit chien en contravention du bail et des règlements de l’immeuble. La soussignée a expliqué aux locateurs que le fait que la locataire n’ait pas respecté le bail ou les règlements aurait pu être pertinent dans une demande de résiliation de bail en leur faveur, mais qu’après les faits, cette dérogation devenait peu pertinente dans l’affaire qui nous occupe, si ce n’est que pour l’évaluation des dommages, tel que vu plus loin.
[6] La locataire ayant envoyé au locateur Real Savaria une première mise en demeure le 18 janvier 2018 et une deuxième mise en demeure par avocat le 1er février 2018, on comprend aisément que les relations déjà tendues entre les parties, se sont par la suite envenimées.
[7] Deux rapports de Groupe Solution Sinistre et de Sinisco ont été déposés au dossier du Tribunal en dépit du fait que leurs auteurs n’ont pas témoigné à l’audience et ce, avec l’accord des deux parties.
Demande des locateurs
[8] La preuve a démontré qu’au départ de la locataire, il y a eu un problème d’odeur d’urine de chien, problème qui a probablement été accentué par le manque d’aération du logement évacué de ses occupants et par la chaleur estivale.
[9] Le nouveau locataire a refusé de prendre possession du logement et d’y installer ses meubles neufs tant que le problème d’odeur n’était pas réglé.
[10] Des discussions ont eu lieu entre les locateurs et les parents de la locataire, puisque le père de la locataire s’était offert pour faire une partie des travaux, c’est-à-dire enlever les couches de planchers qui devait être enlevées et replacer le tout une fois que les experts auraient mis les produits désinfectants pour enrayer l’odeur. Le père de la locataire, Monsieur Richard Grant, a témoigné qu’il a fini par changer d’idée parce qu’il sentait que les locateurs avaient de nouvelles exigences à tous les jours et que notamment, ils voulaient le tenir responsable si le problème d’odeur n’était pas définitivement réglé et qu’il considérait que ce n’était pas à lui d’offrir cette garantie, mais plutôt à l’expert chargé de la désinfection.
[11] Les locateurs ont donc fait faire les travaux pour un coût de 1 236,95 $, plus le coût d’achat de matériaux de 82,67 $. Ils réclament en outre la somme de 310 $ équivalant aux loyers des deux premières semaines de juillet 2018 qu’ils ont remboursée au nouveau locataire, puisque ce dernier a dû retarder son entrée dans le logement.
[12] La soussignée a de très gros doutes sur le fait que l’urine d’un petit chien ait pu faire de tels dommages dans le plancher de l’entrée. Le locateur a expliqué que vis-à-vis la porte d’entrée du logement, à une distance approximative de deux pieds de la porte, les dommages causés par l’urine du chien étaient tels que les ouvriers ont dû enlever le prélart neuf qui était en surface, un autre prélart, une couche de céramique, trois planches de <plywood> situées une par-dessus l’autre et qu’on avait dû en plus couper une des poutres qui soutenaient tout cela. (Photos, pièce P-14). Devant le scepticisme du Tribunal, le locateur a expliqué le phénomène de la capillarité qui aurait fait que l’urine se serait dirigée vers ce point spécifique du plancher. Si on peut admettre ce phénomène, il semble en revanche très peu crédible que même par capillarité, l’urine se serait non seulement dirigée vers ce point central mais aurait également fait son chemin sous le seuil de la porte et aurait continué
vers le côté gauche de l’espace où était encastrée la cuisinière, aurait ensuite tourné à angle droit pour longer le fond de cet espace sur une largeur d’environ trois pieds et aurait de nouveau tourné à angle droit pour longer cette fois le côté des armoires de cuisine, le tout sans atteindre le centre de l’espace prévu pour la cuisinière…. (Photo, pièce P-15). Il apparaît plutôt que ces traces d’humidité seraient peut-être les traces laissées par le produit appliqué pour désinfecter et enrayer l’odeur d’urine.
[13] Quoi qu’il en soit, la soussignée accordera aux locateurs la totalité de la somme réclamée pour pertes et dégradations (1 319,62 $), puisqu’elle est très raisonnable et que même s’il était démontré qu’une autre cause, par exemple un ancien dégât d’eau, aurait été partiellement responsable de la dégradation des nombreuses couches de planchers, le coût de remplacement d’une seule couche de revêtement de sol et de désinfection aurait facilement pu atteindre le même coût.
[14] Même s’il a été question à l’audience d’une cuisinière, d’une moustiquaire et d’un calorifère, les locateurs n’ont réclamé aucune somme pour ces trois items.
[15] La preuve prépondérante a d’ailleurs été faite que le logement a été laissé dans un bon état et que la moustiquaire avait été réparée par le père de la locataire avant le départ de cette dernière.
[16] Le Tribunal octroiera également aux locateurs la somme de 310 $ à titre d’indemnité équivalant au loyer perdu et les frais payés au Groupe Solution Sinistre pour l’application du produit anti-odeur (268,10 $).
[17] Les locateurs ont justifié la réclamation de 5 000 $ de dommages pour troubles et inconvénients par le fait que la locataire a dérogé aux clauses du bail en ayant un chien, par le fait que son logement était en désordre, ce qui le rendait moins attractif à des visiteurs en vue d’une relocation au 1er juillet et par toutes les démarches et tractations causées par la réfection nécessaire du plancher. La soussignée considère que les deux premiers motifs ne donnent pas ouverture à des dommages moraux, mais octroiera la somme de 1 000 $ pour les troubles et inconvénients pour avoir dû trouver un expert, voir à la réparation du plancher et négocier un accommodement avec le futur locataire Monette.
Demande de la locataire
[18] La preuve prépondérante est à l’effet que le locateur Réal Savaria a tenté d’entrer ou est entré dans le logement de la locataire sans l’avoir avisée au préalable à au moins deux reprises.
[19] Outre le témoignage de la locataire qu’à l’automne 2017, alors qu’elle écoutait la télévision, elle a entendu quelqu’un « trafiquer » avec la serrure de sa porte d’entrée. Elle est donc allée ouvrir et le locateur lui aurait alors demandé si elle avait changé la serrure parce qu’il n’était pas capable d’ouvrir la porte avec ses clés. La locataire a témoigné qu’elle n’avait pas changé la serrure et qu’elle était restée craintive que le locateur ne s’introduise dans son logement à son insu et que cette crainte a été d’autant plus grande après l’événement du 15 janvier 2018 ci-après décrit.
[20] Madame Annick Lemay a témoigné qu’alors qu’elle s’était endormie en regardant la télévision dans le salon de la locataire, elle s’est réveillée en sentant qu’elle était observée. Le locateur était dans le logement. Ce dernier a témoigné qu’il avait cogné avant d’entrer et qu’il n’avait pas obtenu de réponse. C’est peut-être vrai, mais il reste que le locateur n’a pas le droit de s’introduire dans un logement, même après avoir cogné, sans avoir donné un préavis de 24 heures à son locataire, à moins d’une urgence et le locateur n’a pas démontré qu’il avait une urgence justifiant son entrée dans le logement. Madame Lemay a téléphoné à la locataire et toutes deux se sont rendues au service de police et se sont fait dire que la prochaine fois, elles devraient téléphoner aux policiers. Madame Lemay et Madame Grant ont décidé de ne pas déposer de plainte.
[21] En ce qui concerne cet évènement, le locateur a quant à lui témoigné qu’il avait reçu de nombreuses plaintes d’autres locataires concernant le chien, mais là encore aucun témoin n’est venu corroborer cette allégation. Le locateur ajoute que voulant vérifier s’il y avait vraiment un chien dans le logement, il s’y est rendu après son travail, a cogné à la porte et réalisé qu’elle était entrouverte. Il aurait alors mis la main sur la poignée pour la retenir pendant qu’il cognait de nouveau, aurait appelé au moins trois fois « y a-t-il quelqu’un? » et n’ayant pas de réponse est entré et a vu l’amie de la locataire qui dormait sur le divan devant la télévision. C’est à ce moment qu’il aurait constaté la présence de deux litières mais n’a pas perçu d’odeur et n’a vu aucun chien. Il est à noter que par la suite, le locateur a nié avoir dit ne pas avoir senti d’odeur, mai une réécoute de l’audience du 4 février 2020 à 10h55, permet de confirmer que le locateur le dit clairement.
[22] La locataire a également fait visionner une vidéo filmée chez un autre locataire de l’immeuble, Monsieur Samuel Vaillancourt. Cette vidéo tend à démontrer que Samuel Vaillancourt ne payait pas son loyer et que le locateur était frustré de cette situation. Il semble évident que Monsieur Vaillancourt n’est pas d’accord avec le fait que le locateur soit entré dans son logement. Mais il n’a pas été démontré que le locateur n’avait pas envoyé de préavis au locataire Vaillancourt.
[23] Mais l’événement le plus déterminant dans la présente affaire est l’épisode du chien du 18 janvier 2018. La locataire a témoigné qu’au moment de revenir chez elle, elle constate que son chien et la cage du chien ne sont plus là. Elle avait reçu quelques jours plus tôt (le 10 janvier 2018) un avis du locateur lui donnant jusqu’au 20 janvier pour se départir de son chien. Constatant l’absence du chien, la locataire appelle les policiers qui lui suggèrent de faire le tour de tous les centres animaliers. Sachant que le locateur habite à Boucherville, la locataire et ses parents ont vérifié au centre animalier de Boucherville et ont constaté que le chien y était. Le locateur n’a pas nié avoir amené le chien au centre animalier. Le rapport de police (pièce L-17) fait mention que :
« La mère de la locataire, Mme. France Lacroix qui est cosignataire du bail, a reçu un appel à 17h15 sur son cellulaire (appel manqué). Il s’agit de la propriétaire Mme. Francine Gravel. Elle mentionne qu’elle a du entrer dans le logement pour un problème d’eau, ell a constaté que le chien n’avait pas d’eau ni de nourriture, elle ne savait pas quoi faire donc du l’amener au service animalier. » (Sic)
[24] Le locateur quant à lui a témoigné que cette journée-là, une nouvelle locataire déménageait dans le logement situé en face du logement concerné. Selon lui, le chien gémissait et il a dû prendre une décision.Il aurait téléphoné à la locataire qui n’a pas répondu à son appel. Le locateur n’a pas fait témoigner la nouvelle locataire et il n’a pas produit de rapports démontrant qu’il avait logé un appel à la locataire.
[25] Le locateur décide donc d’entrer et constate que le chien est dans sa cage et qu’il n’a pas d’eau. Ne sachant pas si le chien a un problème ni à quelle heure la locataire reviendra, il décide d’apporter le chien dans un refuge et en avise le concierge. Il est donc allé à la Société protectrice des animaux où il a laissé le chien et les coordonnées de la locataire.
[26] Le locateur n’a pas démontré qu’il avait appelé la locataire avant d’entrer dans le logement et même s’il l’avait fait, cela n’aurait rien changé au fait qu’il n’était pas justifié d’entrer dans le logement sans l’autorisation de la locataire.
[27] La locataire Grant a démontré que si son petit chien gémissait c’est qu’il avait subi une opération pour le stériliser l’avant-veille. Le chien avait été laissé pour récupération chez le vétérinaire jusqu’au 17 janvier, veille des événements. La locataire a alors fait remarquer que si elle prenait suffisamment soin de son chien pour le faire soigner par un vétérinaire, ce n’était certainement pas pour le maltraiter par la suite.
[28] La preuve a été faite que c’est en dérogation du bail que la locataire avait un chien, mais la preuve que le chien dérangeait les voisins n’a pas été faite.
[29] Le locateur n’a absolument pas démontré qu’il y avait eu maltraitance ou abandon du chien pour une longue période de temps sans eau et sans nourriture, auquel cas le locateur aurait peut-être été justifié d’appeler les policiers et/ou la Société protectrice des animaux, mais certainement pas d’entrer chez la locataire sans sa permission.
[30] Le locateur a mal estimé les faits en regard du droit la protection des animaux et en regard du droit à la vie privée de sa locataire, tel qu’établi par la Charte.
[31] Le Tribunal conclut de l’ensemble de la preuve que la locataire a subi des dommages moraux et qu’il est tout à fait raisonnable de conclure que la locataire pouvait éprouver de l’anxiété à rentrer chez elle et en particulier à y dormir, bref qu’elle pouvait ne plus se sentir en sécurité dans son propre logement et qu’elle pouvait à juste titre, sentir qu’elle était victime d’atteintes à sa vie privée.
[32] Les articles
« 5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée. »
« 7. La demeure est inviolable. »
« 8. Nul ne peut pénétrer chez autrui ni y prendre quoi que ce soit sans son consentement exprès ou tacite. »
« 49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs. »
[33] Un propriétaire, même si son locataire ne respecte pas le bail ou ne paie pas son loyer, ne peut se faire justice lui-même et/ou entrer dans le logement de son locataire sans respecter les formalités prévues au Code civil du Québec, c’est-à-dire sans avoir donné au locataire un préavis (sauf en cas d’urgence). Et le locateur ne peut jamais abuser de son droit d’accès.
[34] Le Tribunal conclut que la somme des dommages réclamés, que ce soit à titre de dommages moraux (5 000 $) ou à titre de dommages punitifs (5 000 $) est justifiée.
[35] CONSIDÉRANT l’ensemble de la preuve;
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[36] ACCUEILLE la demande de la locataire ;
[37] CONDAMNE les
locateurs à payer à la locataire la somme de 5 000 $ à titre de dommages
moraux, avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à
l’article
[38] CONDAMNE le
locateur Réal Savaria à payer à la locataire la somme de 5 000 $ à
titre de dommages punitifs, avec les intérêts au taux légal et l’indemnité
additionnelle prévue à l’article
[39] REJETTE la demande de la locataire quant à ses autres conclusions ;
[40] ACCUEILLE en partie la demande des locateurs ;
[41] CONDAMNE la
locataire à payer au locateur la somme de 1 587,72 $ à titre de
dommages matériels pour pertes et dégradations, la somme de 310 $ à titre
d’indemnité équivalant au loyer perdu, et la somme de 1 000 $ à titre
de dommages pour troubles et inconvénients, le tout avec les intérêts au taux
légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[42] REJETTE la demande des locateurs quant à ses autres conclusions et quant au surplus ;
[43] AUTORISE les parties à opérer compensation des deux condamnations jusqu’à la somme de 2 897,72 $.
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Danielle Deland |
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Présence(s) : |
la locataire les locateurs la partie intéressée |
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Date de l’audience : |
31 juillet 2020 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.