Décision

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C A N A D A

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

 

 

COMITÉ D’ENQUÊTE DU

CONSEIL DE LA MAGISTRATURE

__________________________________________

Numéro de dossier :

2022-CMQC-017

 

 

 

Québec, le 13 décembre 2022

 

 

 

 

 

PLAINTE DE :

 

 

 

Monsieur Jean Rochefort

 

 

 

 

 

À L’ÉGARD DE :

 

 

 

Madame la juge Brigitte Gouin, Cour du Québec, Chambre civile, Division des petites créances

 

__________________________________________

 

 

 

 

EN PRÉSENCE DE :

Monsieur le juge Scott Hughes, président

 

Monsieur le juge Daniel Perreault

 

Madame la juge de paix magistrat Christine Lafrance

 

Maître Claude Rochon

 

Madame Mélanie Mercure

 

rapport d’enquête

 

[1]               Le Comité doit enquêter sur la plainte de Monsieur Jacques Rochefort à l’égard de la juge Brigitte Gouin (la « juge »).

[2]               La décision du Conseil, à l’étape de l’examen de la plainte[1] permet de résumer les comportements sur lesquels l’enquête porte :

      L’écart entre le ton poli de M. Rochefort et celui « inapproprié » de la juge;

      L’énumération par la juge de ses qualifications professionnelles lors de ses interventions;

      L’affirmation selon laquelle elle commet rarement des erreurs dans ses jugements;

      La longue intervention sur l’importance de respecter l’institution qu’elle représente.

[3]               Au cours de la préparation en vue de l’enquête, la juge signe une lettre d’excuses adressée à M. Rochefort où elle reconnaît que son comportement ne rencontrait pas les exigences de la déontologie judiciaire. Celui-ci, insatisfait en partie de la teneur de la lettre, tient à témoigner et à fournir au Comité ses observations.

[4]               Lors de son témoignage la juge réitère ses excuses auprès de M. Rochefort, ainsi que ses regrets d’avoir agi de manière à jeter un certain discrédit sur la magistrature. En outre, elle fait un résumé de sa carrière sans tache à la Cour du Québec depuis sa nomination en 1992.

LA DIVISION DES PETITES CRÉANCES

[5]               Puisque les événements pertinents se sont déroulés lors d’une audition devant la Division des petites créances, il est pertinent de décrire cette juridiction si importante pour les justiciables au Québec.

[6]               Le rôle du juge siégeant à la Division des petites créances est unique, notamment en ce que :

      Le juge n’a aucun intermédiaire entre lui et le public et a une implication directe auprès des parties;

      Il se doit de guider les parties et agir comme pédagogue;

      Il dirige la preuve, interroge lui-même les parties, en leur apportant une aide équitable;

      Il doit également déceler les questions de droit en jeu;

      Il doit maintenir l’ordre dans la salle d’audience[2].

[7]               Aussi, dans Bradley (Re)[3], la juge en chef Duval Hesler écrit, au sujet du rôle du juge à cette division : 

[44] Force est donc de constater et de reconnaître que la ou le juge qui préside l’audience de la division des petites créances exerce des fonctions judiciaires particulières et souvent difficiles. Son rôle, sa façon d’être et de faire, sont à l’avant-plan de la confiance que peuvent nourrir les citoyens envers l’administration de la justice. Le justiciable qui se présente à la Cour des petites créances a confiance en l’occasion qui lui est donnée de faire valoir ses droits. Il importe qu’il soit reçu et traité avec dignité et respect.

ANALYSE

[8]               Les articles du Code de déontologie de la magistrature[4]  (le « Code ») pertinents à l’espèce sont les suivants : 

2. Le juge doit remplir son rôle avec intégrité, dignité et honneur.

[…]

8. Dans son comportement public, le juge doit faire preuve de réserve, de courtoisie et de sérénité.

[9]               L’écoute de l’enregistrement des débats démontre les manquements déontologiques de la juge. D’ailleurs, devant le Comité, elle ne les remet pas en question.

[10]           L’attitude de la juge a été inappropriée sous deux aspects lors de l’audience. D’abord, à l’occasion de deux questions de procédure et ensuite à l’égard d’une question de décorum.

[11]           D’une part, dès le début, la juge questionne M. Rochefort concernant la validité du document du syndicat de copropriété qui l’autorise à le représenter au litige. Alors qu’il tente d’expliquer que le document employé serait suffisant, la juge se lance dans un monologue concernant ses années d’expérience, sa connaissance des litiges en cette matière, ses activités d’enseignement et le fait qu’elle est une « vraie juge ». En tout état de cause, l’affaire procède sur la foi du document produit.

[12]           La juge a, à cette occasion, perdu la sérénité nécessaire à l’exercice de sa charge. Elle affirme, à outrance, son autorité alors que rien ne le requérait. D’aucune manière ses compétences, ni son pouvoir n’ont été remis en question. Les propos sont sans pertinence et inappropriés.

[13]           De plus, le ton employé apparaît condescendant et ne constitue pas celui approprié à la responsabilité de « guider les parties et agir comme pédagogue », notamment.

[14]           Cette absence de « pédagogie » doit être retenue également lorsque M. Rochefort demande pourquoi un tiers a été appelé à intervenir au débat. Au lieu d’expliquer que le sous-traitant de l’entreprise poursuivie est appelé à indemniser celle-ci, la juge répond par une affirmation lapidaire que « c’est la nature même de la tierce intervention ». Le justiciable avait le droit de comprendre cette procédure et poser la question n’était pas inapproprié. La juge devait faire mieux afin de respecter les obligations découlant de la déontologie.

[15]           Lors de ces deux interventions, la juge a manqué de courtoisie et de sérénité.

[16]           Par ailleurs, au cours de la preuve, une question concerne l’identité de la personne ayant pris certaines photographies. La fille de M. Rochefort intervient pour dire que c’est elle. On comprend qu’elle se trouve dans la salle d’audience et qu’elle ne se lève pas lorsqu’elle prend la parole. S’ensuit une longue intervention de la juge quant à l’importance de l’institution qu’elle représente et les égards requis. Elle fait une affirmation qu’elle commet rarement des erreurs dans ses jugements.

[17]           Il va de soi que les juges doivent assurer le décorum dans la salle d’audience, parfois même avec une certaine autorité[5]. Toutefois, ici, rien ne justifiait le ton, la rigueur du message et la longueur de l’intervention de la juge. De même, affirmer qu’elle commet rarement des erreurs n’ajoute rien à la valeur de son éventuel jugement.

[18]           Ni M. Rochefort, ni sa fille n’ont eu une attitude qui remettait en question le bon déroulement de l’audience, ni l’autorité de la juge. Les propos de celle-ci de même que le ton qu’elle a employé n’étaient pas justifiés par le contexte. Un simple rappel à la personne qu’elle devait se lever pour s’exprimer était suffisant, et ce, d’autant plus qu’il faut présumer, à moins d’un contexte différent, que les justiciables ignorent les règles de décorum applicables.

[19]           Le Comité conclut qu’au cours des premières minutes de l’audience la juge a manqué à ses obligations déontologiques en ce qu’elle a perdu la sérénité attendue d’un juge, qu’elle a employé un ton inapproprié et qu’elle a fait l’étalage de son expérience et de sa compétence d’une manière inutile. La juge a contrevenu à ses obligations en vertu des articles 2 et 8 du Code.

[20]           Après ses interventions initiales, la juge a présidé correctement au reste de l’affaire et a rendu son jugement oralement. Aucun reproche ne lui est fait pour cette autre partie de l’audience.

LA SANCTION APPROPRIÉE

[21]           La Loi sur les tribunaux judiciaires[6] ne prévoit que deux recommandations possibles : la réprimande ou la destitution[7]. Dans ce dernier cas, le Comité recommande au ministre de la Justice de demander qu'une enquête soit instituée devant la Cour d'appel en vue de déterminer si la destitution est appropriée[8]. Cette conclusion est réservée aux cas de fautes déontologiques les plus graves.

[22]           Les faits établis constituent évidemment un cas de réprimande. D’abord, parce que les manquements retenus ne sont pas de nature à compromettre gravement la confiance du public en la magistrature. D’aucune manière la capacité de la juge de continuer à agir en toute impartialité n’est atteinte. De plus, depuis sa nomination en 1992, aucun manquement déontologique n’a été retenu contre elle. Finalement, le Comité tient compte du fait que la juge a reconnu que ses comportements n’étaient pas appropriés, tant dans la lettre qu’elle a adressée à M. Rochefort que lors de son témoignage. Elle lui a offert ses excuses. De même, elle a exprimé des remords sincères d’avoir mis à mal l’institution qu’elle représente et la magistrature dans son ensemble.

[23]           Manifestement, la mission éducative et réparatrice du Conseil sera pleinement exercée par une recommandation de réprimande en l’espèce.

CONCLUSION

[24]           POUR CES MOTIFS, le Comité d’enquête conclut que la juge Brigitte Gouin a enfreint les articles 2 et 8 du Code de la déontologie de la magistrature et recommande au Conseil de la magistrature de lui adresser une réprimande.

 

 

 

Monsieur le juge Scott Hughes, président du Comité

 

 

 

Monsieur le juge Daniel Perreault

 

 

 

Madame la juge de paix magistrat Christine Lafrance

 

 

 

Maître Claude Rochon

 

 

 

Madame Mélanie Mercure

 

 

 

 

 

 

 

Me Emmanuelle Rolland

Audren Rolland

Pour le Comité d’enquête

 

Me Giuseppe Battista

Battista Turcot Israel

Pour la juge Brigitte Gouin

 

 


[1]  2022 CMQC-017.

[2]  Bettan c. Dumais, 2002 CanLII 63920 (QC CM), par. 43; Michaud c. De Michele, 2009 CanLII 22871 (QC CM), par. 33; Bielous c. De Michele, 2016 CanLII 18164 (QC CM), par. 32.

[3]  2018 QCCA 1145.

[4]  RLRQ, c. T-16, r. 1.

[5]  Gagné et Descôteaux, 2021 CanLII 144766 (QC CM), par. 75.

[6]  RLRQ, c T-16.

[7]  Id., art. 279 :  Si le rapport d’enquête établit que la plainte est fondée, le conseil, suivant les recommandations du rapport d’enquête,

a) réprimande le juge; ou

b) recommande au ministre de la Justice et procureur général de présenter une demande à la Cour d’appel conformément à l’article 95 ou à l’article 167.

S’il fait la recommandation prévue par le paragraphe b, le conseil suspend le juge pour une période de trente jours.

[8]  Id., art. 95 : Le gouvernement ne peut démettre un juge que sur un rapport de la Cour d’appel fait après enquête, sur requête du ministre de la Justice.

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