Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Landry c. Sherbrooke Nissan inc.

2021 QCCQ 2894

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

SAINT-FRANÇOIS

LOCALITÉ DE

SHERBROOKE

« Chambre civile »

N° :

450-32-701221-202

 

DATE :

 31 mars 2021

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MADELEINE AUBÉ, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

TONY LANDRY, domicilié et résidant au [...], Sherbrooke (Québec) [...]

Demandeur

c.

SHERBROOKE NISSAN INC., ayant un établissement au 4280, boulevard Bourque, Sherbrooke (Québec) J1N 1W7

et

NISSAN CANADA INC., ayant un établissement au 5290 Orbitor Drive, P.O. Box 1709, station B, Mississauga (Ontario) L4W 4Z5

Défenderesses

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

OBJET DU LITIGE

[1]           Le demandeur (l’Acheteur) réclame 4 697,10 $[1], reprochant aux défenderesses une usure prématurée de la peinture de son automobile achetée de Sherbrooke Nissan inc. (le Vendeur) et construite par Nissan Canada inc. (le Fabricant).

[2]           Le Vendeur et le Fabricant contestent la réclamation. Au 1er mars 2019, le véhicule avait 5 ans et 10 mois et, selon eux, la peinture ne cause pas de déficit d’usage. Ils indiquent que l’état de la peinture, en raison de pierres ou débris de la route, n’est pas couvert par la garantie conventionnelle[2] qui est d’ailleurs expirée.

[3]           Ils allèguent également que l’Acheteur n’a pas prouvé que le défaut de la peinture constitue un vice de fabrication et soutiennent que le montant réclamé est exagéré, considérant l’âge du véhicule et son kilométrage.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[4]           Le Tribunal doit déterminer le bien-fondé de cette réclamation en répondant aux questions suivantes :

4.1.        Y-a-t-il eu une usure prématurée de la peinture sur le véhicule usagé de l’année 2013 acheté en novembre 2016?

4.2.        Si oui, quelle est la sanction à ce manquement?

LE CONTEXTE

[5]           Le 6 décembre 2016, l’Acheteur prend possession d’un véhicule Nissan Murano acheté le 26 novembre 2016, véhicule usagé de l’année 2013 ayant 21 320 kilomètres[3].

[6]           En avril 2017, il constate que la peinture du capot commence à s’effriter. Il se rend d’abord chez un concessionnaire Nissan à Drummondville, en juin 2017. En août 2017, il se rend chez le Vendeur. Quelques semaines plus tard, le gérant lui offre de faire repeindre le capot aux frais du Vendeur.

[7]           Lorsqu’il reprend possession de son véhicule, le Vendeur lui présente une facture de 459,90 $ d’un sous-traitant, datée du 24 janvier 2018, pour le surfaçage de la peinture[4] que l’Acheteur paye.

[8]           En mars 2019, le problème de peinture apparaît sur les ailes arrière du véhicule. Après avoir transmis des photos au gérant et demandé une intervention, le Vendeur l’informe qu’il ne donnera pas suite à sa demande.

[9]           Par lettre de son procureur datée du 20 septembre 2019 et reçue le 24 septembre 2019, l’Acheteur dénonce le vice au Fabricant et au Vendeur et les met en demeure de procéder à l’inspection du véhicule et de le repeindre à leurs frais ou les enjoignant de payer 9 510,73 $, soit les coûts estimés des travaux[5].

[10]        Le 30 septembre 2019, le Fabricant informe l’Acheteur que le véhicule n’est plus couvert par la garantie[6].

[11]        Le 8 octobre 2019, le Vendeur nie que le problème de peinture puisse être lié à un vice caché, considérant que le véhicule a plus de six ans, et l’invite à poursuivre ses démarches auprès du Fabricant[7].

[12]        Le 20 mars 2020, l’Acheteur fait repeindre le véhicule et produit la facture de 2 417,71 $[8].

ANALYSE ET MOTIFS

[13]        Il n’est pas contesté que la garantie conventionnelle est expirée. Toutefois, lorsque le véhicule n’est plus couvert par cette garantie, il demeure assujetti à la garantie légale énoncée au Code civil du Québec[9].

[14]        Quatre conditions sont requises pour que la garantie s’applique : le vice doit être grave et diminuer de façon importante l’usage ou l’utilité du bien, il doit exister au moment de la vente, il ne doit pas avoir été dénoncé à l’acheteur et il doit être caché[10].

[15]        Selon l’article 1729 du Code civil du Québec, en cas de vente par un vendeur professionnel, comme en l’espèce, l’existence du vice est présumée, lorsque le mauvais fonctionnement du bien ou sa détérioration survient prématurément par rapport à des biens identiques ou de même espèce; cette présomption est repoussée si le défaut est dû à une mauvaise utilisation du bien par l’acheteur.

[16]        De plus, la Loi sur la protection du consommateur s'applique à tout contrat conclu entre un consommateur et un commerçant[11]. Selon l’article 37 de cette loi, un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à l’usage normal auquel il est normalement destiné. Quant à l’article 38, il édicte qu’un tel bien doit servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien.

[17]        Les dispositions de cette loi allègent le fardeau du consommateur qui n’est pas tenu de faire une preuve directe d’un vice caché, mais que le bien n’a pas servi à un usage normal pendant une durée raisonnable[12].

[18]        Selon la Cour d’appel[13], pour les contrats de consommation, les articles 37 et 38 de la Loi sur la protection du consommateur créent une présomption de responsabilité; le commerçant et le fabricant ne peuvent plaider leur ignorance d’un vice dont l’existence est prouvée ou présumée lors de la vente. Leur seule défense est de prouver que le bien n’était affecté d’aucun défaut caché lorsqu’il a été mis sur le marché.

[19]        Pour bénéficier de cette présomption de responsabilité, le consommateur doit satisfaire les deux conditions suivantes[14] :

19.1.     qu’il a acquis le bien d’un commerçant;

19.2.     qu'il n'a pas pu faire un usage normal du bien pendant une durée raisonnable eu égard au prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien.

[20]        Dans le présent cas, la première condition est démontrée. Quant à la deuxième condition, les photos[15] prises par un estimateur en mai 2019 montrent la peinture écaillée, l’identification du véhicule et l’odomètre qui affiche 211 931 kilomètres. L’Acheteur a également pris d’autres photos[16] au printemps 2020 qui montrent des plaques de peinture manquantes. Il ne s’agit pas de rouille, mais bien de morceaux de peinture qui s'écaillent laissant voir la carrosserie.

[21]        Les photographies de l’Acheteur sont éloquentes et démontrent clairement que, sur une grande surface, la peinture décolle par plaques. La détérioration constatée ne ressemble en rien à une usure normale de peinture par les intempéries au fil du temps, même sur des véhicules âgés.

[22]        Selon l’article 1728 du Code civil du Québec, si le vendeur connaissait le vice caché ou ne pouvait l’ignorer, il est tenu de réparer le préjudice subi par l’acheteur. Or, la Loi sur la protection du consommateur édicte que ni le commerçant ni le fabricant ne peuvent alléguer qu’ils ignoraient le vice ou le défaut[17].

[23]        Pour leur défense, le Fabricant et le Vendeur doivent démontrer que le bien n’est affecté d’aucun défaut caché lorsqu’il a été mis sur le marché. Aucune preuve technique n’a été présentée et aucun test n’a été réalisé sur le véhicule.

[24]        Vu l’absence de preuve par le Vendeur et le Fabricant sur la cause de la détérioration prématurée de la peinture du véhicule, ils n’ont pas repoussé la présomption de l’existence d’un vice au moment de la vente. De plus, ils ne sont pas parvenus à prouver que le défaut du bien vendu est dû à une mauvaise utilisation du bien par l’Acheteur.

[25]        Le Vendeur soutient que l’Acheteur n’a pas été privé de l’usage de son véhicule et qu'il ne s’agit que d’une question esthétique. L'Acheteur a acheté en 2016 un véhicule qui avait 21 320 kilomètres[18]. Il ne conteste pas l’affirmation du Vendeur qu'il a parcouru plusieurs centaines de kilomètres et qu'il utilise encore son véhicule.

[26]        La garantie légale de l’article 38 de la Loi sur la protection du consommateur s’applique puisque la peinture n’a pas eu une durée raisonnable considérant le prix d’un tel véhicule et l’utilisation normale faite par l’Acheteur. Il a payé 41 288,68 $ en décembre 2016 pour un véhicule Nissan Murano 2013 financé sur une période de sept ans[19]. Après un premier problème de peinture sur le capot survenu en avril 2017 et réparé par le Vendeur, la peinture s’écaille sur les ailes en mars 2019. L'Acheteur était en droit de s’attendre à conduire un véhicule dont l’apparence est normale, sans plusieurs manques de peinture.

[27]        La peinture est une composante importante d’un véhicule automobile puisqu’elle permet de protéger la carrosserie des éléments extérieurs qui pourraient l’endommager[20].

[28]        Le Tribunal conclut que l’écaillement de la peinture constitue une usure prématurée. En conséquence, vu les articles 37, 38 et 53 de la Loi sur la protection du consommateur, le Tribunal retient la responsabilité du Vendeur et du Fabricant.

[29]        L’Acheteur détaille sa réclamation ainsi :

·        surfaçage après peinture du capot en janvier 2018[21]

459,90 $

·        location d'un véhicule du 16 au 20 mars 2020[22]

244,61 $

·        peinture des portes arrière et des panneaux latéraux le 20 mars 2020[23]

2 417,71 $

·        frais d'expert[24]

574,88 $

·        troubles, ennuis et inconvénients liés à la poursuite

1 000,00 $

Total :

4 697,10 $

[30]        L’article 272 de la Loi sur la protection du consommateur prévoit comme sanction au manquement du commerçant la possibilité pour le consommateur d’obtenir l’autorisation de faire exécuter l’obligation aux frais du fabricant. En l’espèce, après le refus du Vendeur et du Fabricant, l’Acheteur a fait repeindre le véhicule en mars 2020.

[31]        L’article 272 de la Loi sur la protection du consommateur prévoit aussi la possibilité d’accorder des dommages-intérêts en sus des autres sanctions possibles. Les recours prévus à cet article peuvent faire l’objet d’une appréciation discrétionnaire par le Tribunal[25].

[32]        Plusieurs facteurs doivent être pris en considération pour établir le remède approprié.

[33]        Le temps alloué et les frais liés pour la préparation de la réclamation sont inhérents à tout recours judiciaire. Selon la Cour suprême, la perte de temps et les efforts déployés pour obtenir justice sont des inconvénients inhérents aux efforts de quiconque est entraîné dans une démarche judiciaire. Sauf en cas d'abus de poursuite, ces sommes ne sont pas reconnues à titre de dommages[26]. Le Tribunal n'accorde donc pas le 1 000 $ réclamé pour les troubles liés à la poursuite.

[34]        Le Tribunal arbitre cependant les autres dommages réclamés et accorde à l’Acheteur un montant global 2 500 $ en dommages-intérêts tenant compte, notamment, de l’âge du véhicule et du kilométrage parcouru par l'Acheteur qui en diminue la valeur et de la plus-value associée à une peinture neuve.

[35]        L’article 54 de la Loi sur la protection du consommateur prévoit que le consommateur qui a contracté avec un commerçant a le droit d’exercer directement son recours fondé sur un vice caché ou sur l’usage normal d’un bien contre le commerçant ou le fabricant.

[36]        L'Acheteur ayant prouvé le bien-fondé de sa demande pour le montant de 2 500 $; le Tribunal condamne donc solidairement le Vendeur et le Fabricant au paiement de cette somme.

[37]        Les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution d'une obligation de payer une somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux convenu ou, à défaut de toute convention, au taux légal[27], soit 5 % par an[28], à compter de la mise en demeure. Dans le présent dossier, la mise en demeure a été reçue le 24 septembre 2019[29].

[38]        Habituellement, les frais de justice sont dus à la partie qui a eu gain de cause, à moins que le tribunal en décide autrement[30]. Il n’y a pas lieu, en l’espèce, de déroger à la règle usuelle.

[39]        Selon l’article 343 du Code de procédure civile, les frais de justice portent intérêt au taux légal à compter du jour du jugement qui les accorde et sont payables à la partie à laquelle ils sont accordés.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[40]        ACCUEILLE en partie la demande;

[41]        CONDAMNE les défenderesses solidairement à payer au demandeur la somme de 2 500 $ avec intérêts au taux de 5 % l'an, plus l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, et ce, à compter du 24 septembre 2019, soit la date de réception de la mise en demeure, ainsi que les frais de justice de193 $.

 

 

__________________________________

MADELEINE AUBÉ, J.C.Q.

 

 

 

Date d’audience :

16 mars 2021

 



[1]     Demande modifiée à l'audience du 26 mars 2021. Voir le procès-verbal d'audience du 26 mars 2021, à 14:53:02.

[2]     Pièces DC-1 et DC-1.1.

[3]     Pièce DC-2.

[4]     Pièce P-14.

[5]     Pièces P-9 et D-1.

[6]     Pièce P-5.

[7]     Pièces P-5 et D-2.

[8]     Pièce P-12.

[9]     Article 1726 du Code civil du Québec.

[10]    ABB Inc. c. Domtar Inc., 2007 CSC 50.

[11]    Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1, article 2.

[12]    Louissaint c. Précision Auto inc. (Précision Acura Sherbrooke), 2020 QCCQ 5483.

[13]    CNH Industrial Canada Ltd. c. Promutuel Verchères, société mutuelle d'assurances générales, 2017 QCCA 154.

[14]    Renaud c. Auto Jean Yan, 2017 QCCQ 2403.

[15]    Pièce P-4.

[16]    Pièce P-11.

[17]    Article 53, alinéa 3 de la Loi sur la protection du consommateur.

[18]    Pièce DC-2.

[19]    Pièce P-1.

[20]    Montembeault c. Honda Canada inc., 2019 QCCQ 5950, par. 24.

[21]    Pièce P-14.

[22]    Pièce P-13.

[23]    Pièce P-12.

[24]    Pièce P-7.

[25]    Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8.

[26]    Hinse c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 35, par. 145; Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée, [2002] R.J.Q. 1262 (C.A.).

[27]    Article 1617 du Code civil du Québec.

[28]    Loi sur l'intérêt, L.R.C. (1985), c. I-15, art. 3.

[29]    Pièce P-9.

[30]    Article 340 du Code de procédure civile.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.