Phanor c. Croisières AML inc. | 2022 QCCS 3358 | |||||
COUR SUPÉRIEURE | ||||||
(Action collective) | ||||||
CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | MONTRÉAL | |||||
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No : | 500-06-001172-218 | |||||
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DATE : | 9 septembre 2022 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | CHRISTIAN IMMER, J.C.S. | ||||
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OLIVIER PHANOR | ||||||
Demandeur | ||||||
c. | ||||||
CROISIÈRES AML INC. | ||||||
Défenderesse | ||||||
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JUGEMENT Autorisation d’intenter une action collective | ||||||
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[2] Phanor considère qu’il s’agit là d’une pratique abusive et dépose dès le lendemain une demande pour autorisation d’intenter une action collective (la « Demande »).
[3] Quelques jours après la signification de la Demande, AML lui rembourse, ainsi qu’à toutes les personnes ayant acheté des forfaits soupers et brunch de Noël 2021, les frais de réservation, les frais de pourboires et les taxes afférentes payées en sus du tarif annoncé. AML estime que le remboursement est justifié. Néanmoins, Phanor ne retire pas sa Demande.
[4] Phanor est d’avis que cette pratique de charger des frais de réservation et pourboire constitue une violation de la Loi sur la protection du consommateur (« LPC »)[1] puisque qu’AML a exigé un prix supérieur à ce qui était annoncé[2] et que ce prix annoncé constitue donc une fausse représentation[3]. Il affirme que ces pratiques ont cours chez AML depuis plusieurs années bien avant la mise en vente des forfaits en fin 2021. Ainsi, bien que ces frais lui aient été remboursés et qu’il ne peut plus en demander le remboursement, les personnes qui se sont fait imposer des frais de réservation dans le passé, n’ont pas reçu de remboursement.
[5] Il cherche donc à être autorisé d’instituer, à titre de représentant, une action collective pour le groupe suivant :
Tous les consommateurs qui, depuis le 12 juin 2018, ont payé un prix supérieur à celui qui était annoncé pour une croisière offerte par la défenderesse; ou tout autre groupe à être désigné par la Cour;
[6] Pour sa part, et pour les membres putatifs qui ont été remboursés, il ne réclame que des dommages punitifs. Pour les autres, ils demandent le remboursement des frais et des dommages punitifs.
[7] La Demande est contestée. AML est d’avis qu’il faut d’abord examiner le recours individuel de Phanor. Or, selon elle, il ne fait pas valoir une cause d’action défendable ou soutenable eu égard aux dommages punitifs. En remboursant promptement les frais, elle fait preuve d’un comportement diligent et responsable. Puisque tous les frais de Phanor ont été remboursés et qu’il est insoutenable d’avancer que Phanor a droit à des dommages punitifs, les faits allégués ne paraissent pas justifier les conclusions recherchées et le paragraphe 575(2) n’est donc pas respecté. Phanor n’a de ce fait pas non plus l’intérêt requis pour agir et ne remplit pas non plus le critère de l’article 575(4) C.p.c.
[8] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal estime qu’au stade de l’autorisation, les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées quant aux dommages punitifs. De ce fait, les demandes des membres relativement aux frais de réservation soulèvent des questions de droit ou de fait similaires ou connexes au sens du paragraphe 575(3) C.p.c. et Phanor a l’intérêt requis pour agir à titre de représentant.
575. Le tribunal autorise l’exercice de l’action collective et attribue le statut de représentant au membre qu’il désigne s’il est d’avis que:
1° les demandes des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes;
2° les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées;
3° la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l’application des règles sur le mandat d’ester en justice pour le compte d’autrui ou sur la jonction d’instance;
4° le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres.
[10] AML ne conteste pas que le critère de l’article 575(3) LPC est rempli. D’ailleurs, Phanor allègue que AML fait affaires dans plusieurs villes et régions du Québec et vend près 600 000 billets par année.
[11] AML ne conteste pas non plus qu’advenant que les allégations visant le recours individuel de Phanor paraissent justifier les conclusions recherchées, les demandes des membres du groupe visant les frais de réservation soulèvent des questions similaires ou connexes.
[12] Il reste donc à examiner si les critères de 575(2) et (4) sont remplis.
[13] Dans Oratoire, la Cour suprême du Canada explique que c’est la situation individuelle de la personne désignée qu’il faut examiner pour conclure si elle remplit le critère de 575(2) C.p.c.[4]. Avant le jugement d’autorisation, le recours n’existe pas sur une base collective et c’est donc à la lumière du recours individuel de la personne désignée qu’il sera déterminé si la condition à l’effet que « les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées est satisfaite ». Si Phanor ne convainc pas le Tribunal que sa cause est défendable, la demande d’autorisation sera rejetée même si un autre membre du groupe pourrait possiblement être en mesure d’établir une cause défendable[5].
[14] En examinant les critères d’autorisation de l’art. 575 C.p.c., le Tribunal est appelé à trancher une question procédurale. L’action collective n’est pas un recours exceptionnel et ne commande pas une interprétation restrictive. L’approche adoptée par le tribunal doit être souple, libérale et généreuse des conditions d’autorisation en vue de faciliter l’exercice des recours collectifs comme moyen d’atteindre le double objectif de la dissuasion et de l’indemnisation des victimes. Il ne faut pas imposer un lourd fardeau à Phanor. Le but est de vérifier qu’AML ne soit pas inutilement assujettie à un litige où elle doit se défendre contre des demandes insoutenables[6]. Phanor doit donc établir une cause défendable. Le syllogisme qu’il propose doit être soutenable. Sa cause ne doit être ni frivole, ni manifestement non fondé en droit[7], mais il ne doit rien faire de plus que d’établir une simple possibilité d’avoir gain de cause. Cette possibilité n’a pas être réaliste ou raisonnable[8]. Le seuil à atteindre pour Phanor est donc peu élevé[9].
[15] À l’étape de l’autorisation, les faits sont tenus pour avérés, pourvu que les allégations soient suffisamment précises[10]. Le Tribunal doit prêter attention non seulement aux faits allégués, mais aussi aux inférences ou aux présomptions de faits ou de droits qui sont susceptibles d’en découler[11]. Des inférences ne peuvent toutefois être faites en l’absence totale d’allégations[12].
[16] Phanor allègue qu’AML offre des services d’expédition de Zodiac, des croisières en tous genres, des tours d’hélicoptère et des soupes-croisières à partir de plusieurs villes et régions du Québec. Elle annonce ces forfaits sur son site web et il possible d’acheter ces billets en ligne, par téléphone ou à la billeterie.
[17] Si la personne intéressée opte pour l’achat en ligne, des frais de 2$ sont imposés; si elle choisit de procéder par achat par téléphone, les frais sont portés à 4$. Aucun frais n’est imposé pour l’achat en personne à la billetterie. Or, Phanor explique qu’il n’y a pas de possibilité d’acheter les billets en ligne et de les ramasser à la billeterie. Ainsi, de façon concrète, tout achat en ligne entraine des frais de réservation et donc il est « vraisemblable » qu’aucun billet en ligne n’a été vendu sans que des frais de réservation soient appliqués.
[18] En anticipation du temps des Fêtes 2021, AML offrait des forfaits soupers-croisières et croisières-brunch. Captures d’écran et vidéos à l’appui, Phanor explique la succession d’écrans au terme de laquelle une personne achète des billets en ligne pour ces forfaits.
[19] Pour les forfaits Super-croisière de Noël au large[13] et Souper-croisière de Noël – ruban rouge, les étapes de la navigation sur le site web s’enchainent comme suit[14]:
19.1. Sur un premier écran, plusieurs forfaits sont offerts dont ces deux forfaits. Ils sont affichés avec des prix de 114,99$ et 164,99$ respectivement. La personne a ensuite le choix de cliquer sur « Acheter mes billets » ou sur « En savoir plus »
19.2. Si elle appuie sur « En savoir plus », un tableau apparaît avec la mention « tarif unique » indiquant un prix de 114,99$ ou 164.99$ selon le forfait choisi. Au bas se trouve la mention suivante : « horaires et tarifs sujets à changement sans préavis ». Elle a alors le choix de cliquer sur une puce « Acheter mes billets ».
19.3. Si elle appuie sur « Acheter mes billets » dans l’un ou l’autre des scénarios indiqués ci-dessus, elle doit ensuite sélectionner le nombre de personnes (et leur catégorie d’âge) et choisir la date de sa croisière.
19.4. Ensuite, un écran portant le titre « Réservation » apparaît qui contient un relevé intitulé « Votre commande ». Les « frais de réservation » ainsi que des « frais de pourboire » y sont mentionnés pour la première fois.
- Pour le forfait Souper Croisière de Noël au large, le tarif de deux billets de 229,98$ (2 x 114,99$) est majoré de 4,00$ au titre de frais de réservation (2 x 2$) et de 20,12$ (2 x 10,06$) au titre de frais de pourboire.
- Pour le forfait Souper croisière de Noël – Ruban rouge, le tarif de deux billets de 229,98$ (2 x 114,99$) est majoré de 4,00$ (2 x 2$) au titre de frais de réservation et de 32,72$ (2 x 16,36$) au titre de frais de pourboire.
19.5. La personne doit alors remplir les champs relatifs à ses renseignements personnels et son mode de paiement et appuyer sur la puce « Payer ».
[20] Pour les forfaits Croisière brunch de Noël et Croisière brunch de Noël – Ruban rouge, les renseignements fournis sont quelque peu différents.
20.1. Sur un premier écran, ces deux forfaits sont affichés, mais sans prix. La personne a ensuite le choix de cliquer sur « Acheter mes billets » ou sur « En savoir plus ».
20.2. Si elle appuie sur « En savoir plus », un tableau apparaît avec la mention «tarif unique ». Trois catégories de prix sont offertes selon l’âge. Au bas se trouve la mention suivante : « Taxes, frais de réservation téléphonique (4$/personne) et surcharge de carburant (si applicable) en sus. Service inclus. » Elle a alors le choix de cliquer sur une puce « Acheter mes billets ».
20.3. Si elle appuie sur « Acheter mes billets » dans l’un ou l’autre des scénarios indiqués ci-dessus, le même processus doit être suivi que celui expliqué ci-dessus. C’est là qu’apparaissent pour la première fois des « frais de réservation de 2$». La personne doit alors remplir les champs relatifs à ses renseignements personnels et son mode de paiement et appuyer sur la puce « Payer ».
[21] Le 28 novembre 2021, Phanor achète en ligne deux forfaits Souper-croisière de Noël au large annoncé au prix de 114,99$ chacun. Il se dit surpris d’être facturé pour des frais de réservation et de pourboire en sus du tarif mentionné. Il initie alors une session de clavardage avec le service de la clientèle d’AML en soulevant l’à-propos de ces frais. La représentante lui confirme que les frais de réservation et les frais de pourboire sont « obligatoires » et chargés sur tous les soupers de Nöel[15].
[22] Dès le lendemain, il dépose la Demande.
[23] Il argumente que le modus operandi d’AML viole la LPC, en ce que:
23.1. A exigé pour un bien ou un service un prix supérieur à celui qui est annoncé (art. 224c) LPC). Les frais de réservation et de pourboire sont obligatoires et ils doivent donc être affichés. La façon de procéder d’AML constitue une pratique qualifiée par les tribunaux comme une décomposition de prix.
23.2. A fait une représentation fausse ou trompeuse aux consommateurs en divulguant un prix incomplet qui n’inclut pas les frais de réservation et les frais de pourboire, ayant de ce fait également passé sous silence un fait important (art. 219 et 228 LPC).
23.3. A agi sans se soucier des conséquences de ses représentations fausses ou trompeuses, notamment en ce qu’elle a systématiquement annoncé en ligne des prix qui ne représentent pas la réalité et a négligé et néglige toujours de modifier sa pratique.
[24] Or, comme AML l’explique dans sa demande de preuve additionnelle, et comme Phanor l’admet dans sa Demande modifiée, dès le 3 décembre 2021, AML rembourse tous les frais de réservation, les fais de pourboire et les taxes afférentes à toutes les personne ayant acheté un des quatre forfaits mentionnés ci-dessus. Phanor a donc reçu 27,72$.
[25] Phanor allègue toutefois que AML n’a pas remboursé les frais de réservation payés par les clients de AML dans le passé et qui n’étaient pas divulgués dans le premier prix annoncé. Il relate l’expérience de deux autres personnes, en septembre 2020 et août 2021 qui auraient payé des frais de réservation de 2$ en sus du prix annoncé[16]. Il n’est plus en mesure de fournir des captures d’écran du prix annoncé, mais indique que même au moment d’instituer la Demande, le prix affiché ne faisait toujours pas état des frais de réservation de 2$ par billet sur le premier écran où il apparaît.
[26] Il est d’avis que le comportement d’AML justifie une condamnation au paiement de dommages punitifs. Aux paragraphes 69 et suivants de la Demande, il allègue qu’AML adopte « une attitude laxiste, passive ou même un comportement d’ignorance, d’insouciance ou de négligence sérieuse à l’égard de leurs droits, en omettant de préciser les éléments essentiels du contrat ». Il affirme que ce comportement est répréhensible vu qu’AML accueille 600 000 passagers par année et que les sommes ainsi perçues sont substantielles.
[27] Le fait de ne pas inscrire un prix qui inclut les frais de réservation soulève une cause d’action soutenable en vertu de la LPC, si le tribunal tient pour avéré que ces frais sont « obligatoires ». AML ne le conteste pas vraiment. D’ailleurs, la déclaration sous serment du représentant d’AML dont le dépôt a été autorisé au titre de preuve additionnelle explique qu’AML a entrepris des « vérifications relatives à la programmation de son site Web qui lui ont permis de réaliser qu’un remboursement des personnes ayant acheté l’un ou l’autre des Forfaits de Noël 2021 était justifié ».
[28] Du fait du prompt remboursement, Phanor ne subit toutefois aucun dommage matériel. Ainsi, la détermination à savoir si son recours comporte une cause d’action soutenable repose uniquement sur sa réclamation éventuelle de dommages punitifs qui peuvent être accordés en vertu de l’article 272 LPC.
[29] La Cour suprême du Canada dans Time reconnait que la demande pour dommages punitifs est autonome des autres mesures prévues à l’article 272 LPC. Ainsi, Phanor peut limiter sa demande aux seuls dommages punitifs[17]. La Cour suprême explique dans quel cadre des dommages punitifs peuvent être accordés.
[176] L’assujettissement des relations consommateurs-commerçants à des règles d’ordre public met en évidence l’importance de ces dernières et la nécessité pour les tribunaux de veiller à leur application stricte. Les commerçants et fabricants ne peuvent donc adopter une attitude laxiste, passive ou ignorante à l’égard des droits du consommateur et des obligations que leur impose la L.p.c. Au contraire, l’approche adoptée par le législateur suggère qu’ils doivent faire preuve d’une grande diligence dans l’exécution de leurs obligations. Ils doivent donc manifester le souci de s’informer de leurs obligations et de mettre en place des mesures raisonnables pour en assurer le respect.
[177] Ainsi, selon nous, la L.p.c. cherche à réprimer chez les commerçants et fabricants des comportements d’ignorance, d’insouciance ou de négligence sérieuse à l’égard des droits du consommateur et de leurs obligations envers lui sous le régime de la L.p.c. Évidemment, le recours en dommages-intérêts punitifs prévu à l’art. 272 L.p.c. s’applique aussi aux actes intentionnels, malveillants ou vexatoires, par exemple.
[178] Cependant, le simple fait d’une violation d’une disposition de la L.p.c. ne suffirait pas à justifier une condamnation à des dommages-intérêts punitifs. Par exemple, on devrait prendre en compte l’attitude du commerçant qui, constatant une erreur, aurait tenté avec diligence de régler les problèmes causés au consommateur. Ni la L.p.c., ni l’art. 1621 C.c.Q. n’exigent une attitude rigoriste et aveugle devant les efforts d’un commerçant ou d’un fabricant pour corriger le problème survenu. Ainsi, le tribunal appelé à décider s’il y a lieu d’octroyer des dommages-intérêts punitifs devrait apprécier non seulement le comportement du commerçant avant la violation, mais également le changement (s’il en est) de son attitude envers le consommateur, et les consommateurs en général, après cette violation. Seule cette analyse globale du comportement du commerçant permettra au tribunal de déterminer si les impératifs de prévention justifient une condamnation à des dommages-intérêts punitifs dans une affaire donnée.
[Soulignés du Tribunal]
[30] À la lecture de cet extrait, il serait faux de limiter le droit à des dommages punitifs à des actes intentionnels, malveillants ou vexatoires du commerçant. Ils peuvent aussi être octroyés si le commerçant se rend coupable de comportements d’ignorance, d’insouciance ou de négligence sérieuse[18].
[31] Par ailleurs, toute détermination du droit à des dommages punitifs soulève une question mixte de fait et de droit. La Cour d’appel dans Nashen met les tribunaux en garde de se prononcer au stade de l’autorisation sur le bien-fondé d’une réclamation en dommages punitifs[19].
[39] Enfin, l’attribution de dommages-intérêts punitifs en vertu de l’article 272 LPC est tributaire elle aussi des questions qui relèvent du fond, particulièrement l’examen du comportement du commerçant. Malgré le caractère exceptionnel de tels dommages, on ne saurait conclure que les allégations de la demande d’autorisation à ce sujet, considérées globalement, et les arguments de l’appelant sont frivoles ou autrement insoutenables au point de justifier le rejet de la demande.
[Soulignés du Tribunal]
[32] Or, AML plaide que les seules allégations de la Demande qui concernent les dommages punitifs sont des allégations générales qui ne contiennent aucun fait particularisé. Elle avance donc que ces allégations sont nettement insuffisantes pour justifier l’autorisation d’un recours en dommages punitifs.
[33] Il est vrai que plusieurs allégations semblent générales et tout simplement reprendre les mots clés de Time. Il est toutefois faux d’affirmer qu’il y a absence d’allégations de faits particuliers. Du moins en ce qui a trait aux frais de réservation en ligne, Phanor allègue que la pratique de ne pas en faire état dès la première annonce du prix existait bien avant les forfaits de Noël 2021, soit au moins depuis 2020. Par ailleurs, cette pratique est systématiquement appliquée pour les ventes en ligne, la représentante au service de la clientèle indiquant que les frais sont « obligatoires ». Par ailleurs quelques 600 000 passages sont vendus par année. Or, ce ne sont que les frais de réservation des forfaits du temps des Fêtes 2021 qui ont été remboursés et ce après que le recours ait été institué. Pourquoi? AML explique dans une formulation quelque peu énigmatique que ce remboursement s’avérait « justifié ». L’interrogatoire écrit du déclarant n’éclaire pas plus le Tribunal sur les motifs animant le choix des forfaits pécis pour lequel il y aurait remboursement.
[34] Pour trancher la question, une audience sur le fond est requise. Pour l’instant, en tenant les faits pour allégués, le Tribunal n’entretient pas de doute que Phanor se décharge du fardeau de démontrer qu’il y a une cause défendable qui est ni frivole, ni manifestement non fondé en droit quant à l’octroi de dommages punitifs. Il y a une simple possibilité qu’il ait gain de cause en avançant qu’AML a fait preuve de comportements d’ignorance, d’insouciance ou de négligence sérieuse sur la base des faits allégués.
[35] Conséquemment, il a aussi intérêt pour agir au sens où l’exige le paragraphe 575(4) C.p.c.
[36] AML note avec justesse qu’il n’y a pas d’allégations, outre que pour les forfaits pour le temps des Fêtes 2021, que des frais de pourboire ont été payés par des clients d’AML. Il y a aussi absence totale de preuve que des personnes ont payé des frais téléphoniques.
[37] Le Tribunal convient que les faits allégués n’ont trait qu’aux achats en ligne et que le groupe doit être restreint à ces consommateurs.
[38] Il estime qu’il est toutefois prématuré de limiter les réclamations aux seuls frais de réservation et que ce sera au juge du fond de faire les distinctions qui s’imposent dans sa décision.
[39] Cela étant dit, la définition du groupe ne doit pas s'appuyer sur un ou des critères qui dépendent de l'issue du recours collectif au fond. L’appartenance au groupe ne peut être laissée à l'appréciation du membre putatif, car la définition perdrait alors de son objectivité[20] .Or, une des questions que le Tribunal doit décider est précisément si les consommateurs ont payé un prix supérieur à celui qui était annoncé.
[40] Finalement, le Tribunal ne voit aucune raison pour que la date de départ de la période visée soit le 12 juin 2018. Aucune allégation ne l’explique. Or, la Demande a été déposée le 29 novembre 2021. Ainsi, vu les délais de prescription applicables, la date de départ sera le 29 novembre 2018.
[41] Ainsi, le groupe sera défini comme suit :
Tous les consommateurs qui, depuis le 29 novembre 2018, ont acheté en ligne un billet pour un service offert par Croisières AML inc. et ont payé au moment de leur achat, en sus du tarif, des frais de réservation ou un pourboire;
[42] Par ailleurs, le Tribunal reformule légèrement les questions, adoptant plutôt les questions reproduites dans les conclusions du présent jugement.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[43] ACCUEILLE la Demande pour autorisation d’exercer une action collective du demandeur;
[44] AUTORISE l’exercice de l’action collective d’une action en réduction des obligations et en dommages-intérêts punitifs;
[45] ATTRIBUE à OLIVIER PHANOR le statut de représentant aux fins d’exercer l’action collective pour le compte du groupe des personnes suivant (le « Groupe ») :
Tous les consommateurs qui, depuis le 29 novembre 2018, ont acheté en ligne un billet pour un service offert par Croisières AML inc. et ont payé au moment de leur achat, en sus du tarif, des frais de réservation ou un pourboire.
[46] IDENTIFIE comme suit les principales questions de faits et de droits qui seront traitées collectivement :
[47] IDENTIFIE comme suit les conclusions recherchées qui s’y rattachent :
[48] DÉCLARE qu’à moins d’exclusion, les membres du Groupe seront liés par tout jugement à intervenir sur l’action collective de la manière prévue par la loi;
[49] CONVOQUE les parties à une audience afin d’entendre leurs représentations quant au contenu de l’avis requis en vertu de l'article 579 du Code de procédure civile, la communication ou la publication appropriée dudit avis et le délai approprié pour qu’un membre du groupe demande l'exclusion, une telle audience devant avoir lieu dans les 45 jours du présent jugement, à une date à être déterminée entre les parties et le Tribunal;
[50] DÉCLARE que l’action collective sera entendue dans le district de Montréal;
[51] LE TOUT avec les frais de justice, incluant les frais de publication de l’avis éventuel.
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| __________________________________christian immer, j.c.s. | |
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Me Jimmy Ernst Jr Laguë-Lambert | ||
LAMBERT AVOCAT INC. | ||
Avocat du demandeur | ||
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Me Vincent Rochette | ||
Me Clara Morissette | ||
NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA S.E.N.C.R.L., S.R.L. / LLP | ||
Avocats des défenderesses | ||
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Date d’audience : | 29 avril 2022 | |
[1] RLRQ, c. P-40.1.
[2] Id., art. 224 (c).
[3] Id., art. 219.
[4] L’Oratoire Saint‑Joseph du Mont‑Royal c. J.J., 2019 CSC 35, [2019] 2 R.C.S. 831, par. 82 [« Oratoire »].
[5] Champagne c. Subaru Canada inc., 2018 QCCA 1554, par. 23;Tessier c. Desjardins Groupe d'assurances générales inc., 2022 QCCS 714, par. 27-28; Mireault c. Loblaws inc., 2022 QCCS 31, par. 68.
[6] Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, [2014] 1 R.C.S. 3, pa. 61, [« Vivendi »].
[7] Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin, 2020 CSC 30, par. 54 et 55 [« Asselin »].
[8] Oratoire, par. 58 et 59.
[9] Asselin, par. 27.
[10] Oratoire, par. 22.
[11] Oratoire, par. 24 et Asselin, par. 17.
[12] Asselin, par. 16.
[13] Pièce P-7.
[14] Pièce P-8.
[15] Pièce P-10.
[16] Pièce P-11.3.
[17] Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8, [2012] 1 R.C.S. 265, par. 144 à 147.
[18] Vu le raisonnement limpide de la Cour suprême, il serait faux, en citant la Cour d’appel dans Karras c. Société des loteries du Québec, 2019 QCCA 813, par. 48, de limiter les cas donnant ouverture à l’octroi de dommages punitifs aux actes intentionnels, malveillants ou vexatoires du commerçant.
[19] Nashen c. Station Mont-Tremblant, 2022 QCCA 415, par. 39.
[20] Collectif de défense des droits de la Montérégie (CDDM) c. Centre hospitalier régional du Suroît du Centre de santé et de services sociaux du Suroît, 2011 QCCA 826, par. 26 à 31; demande de permission d’en appeler à la Cour suprême du Canada rejetée : Centre hospitalier régional du Suroît du Centre de santé et des services sociaux du Suroît et autres c. Collectif de défense des droits de la Montérégie (C.D.D.M.) et autres, 2012 CanLII 9748 (CSC).
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