Décision

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S.M. c. Rousseau

2011 QCCS 3905

JB 2978

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

N° :

200-17-011867-090

 

 

 

DATE :

LE 15 JUILLET 2011

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE FRANK G. BARAKETT, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

S… M…, domicilié et résidant au [...], Québec, Québec, [...]

Demandeur

c.

DANIEL ROUSSEAU, domicilié et résidant au [...], Québec, Québec, [...]

et

LA CAPITALE ASSURANCES GÉNÉRALES, personne morale légalement constituée ayant son établissement au 625, rue St-Amable, Québec, Québec, G1R 2G5

Défendeurs

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(responsabilité civile)

______________________________________________________________________

 

 

SURVOL DES FAITS

[1]   Le demandeur allègue que le 11 septembre 2006 il a été mordu au visage par un chien, propriété du défendeur Daniel Rousseau, au domicile de ce dernier, ce qui est admis par les parties

[2]   Les parties, de bons amis, revenaient de participer à un match de hockey amical à 1:30 AM, ce qui n'est pas contesté par la défense.

[3]   Le demandeur allègue et témoigne qu'il a eu un comportement normal et prudent dans les circonstances et qu'il ne pouvait d'aucune façon prévoir qu'il serait sauvagement attaqué par le chien de son ami, qu'il connaissait déjà.

[4]   En preuve testimoniale, nonobstant l'allégation écrite de la défense quant aux événements et à la morsure, le défendeur admet qu'il avait le dos tourné et qu'il a tout entendu. Par contre, il n'a rien vu car lorsqu'il s'est retourné tout était terminé. Il n'a pu que constater les dégâts.

[5]   Donc, la seule version de l'événement du 11 septembre 2006 est celle du demandeur.

[6]   Le 21 novembre 2006, le demandeur fait parvenir une mise en demeure au défendeur.

[7]   Le 8 septembre 2009, la requête introductive d'instance est signifiée au défendeur.

[8]   Le ou vers le 31 mai 2010, la défense est déposée.

[9]   Le demandeur a subi des blessures, tel que démontré par les photos et les expertises médicales ainsi que les séquelles visibles constatées par le Tribunal lors de l'enquête et audition du mois de février 2011.

[10]        Il n'est pas contesté que ces blessures résultent de la morsure du chien du défendeur (article 1466 C.c.Q.).

[11]        Le profil du demandeur (his history) est celui d'un homme qui était âgé de 42 ans lors de l'incident de septembre 2006, qui a peu d'antécédents médicaux si ce n'est qu'une chirurgie au ménisque du genou droit ce qui ne l'a jamais empêché de jouer au hockey (ligues de garage).

[12]        Avant et après l'incident en l'espèce, M. M… travaille pour la compagnie A., qui œuvre dans le domaine de la vente du disque vinyle. Il travaille aussi comme «disc jockey» les fins de semaine dans les discothèques.

[13]        Il est célibataire, mène une vie sociale active, joue au hockey et pratique des sports.

[14]        L'incident du 11 septembre 2006 lui a occasionné des blessures au visage qui ont nécessité plusieurs interventions chirurgicales réalisées par le Dr Simon Gagnon, O.R.L., à l'Hôpital de l'Enfant Jésus.

[15]        La plus récente des trois interventions a été réalisée le 31 janvier 2008 tel que décrit au dossier médical du demandeur et bien résumé à la page 2 du rapport du Dr Michel Camiré, O.R.L.

[16]        Il est admis que la défenderesse, la Capitale assurances générales assurait la responsabilité du défendeur Daniel Rousseau en septembre 2006.

[17]        À la fin de la deuxième journée d'audition, le demandeur s'est désisté d'une partie des réclamations ventilées au paragraphe 9 de sa requête et en a augmenté d'autres de la façon suivante:°

[17.1]   Les débours du demandeur sont réduits de 3 000 $ à 844,91 $.

[17.2]   Les pertes pécuniaires sont augmentées de 6 000 $ à 8 160 $.

[17.3]   La perte non pécuniaire demeure telle que réclamée, soit 150 000 $.

            [17.4]   Le total réclamé est donc de 159 004,91$.

LITIGE

[18]        Considérant qu'il n'y a aucun témoignage pour contredire la version du demandeur relativement à "l'incident de la morsure";

[19]        Considérant qu'il y a un lien entre le dommage, le chien et le propriétaire du chien;

[20]        Considérant l'amendement fait par le demandeur en cours d'audition, -suite à la production des pièces au chapitre des débours et pertes pécuniaires et le fait que le Tribunal, -selon sa discrétion judiciaire, est satisfait quant au montant de 9 004,91 $ qui représente raisonnablement et équitablement les pertes pécuniaires du demandeur, -le coeur de ce débat porte surtout, sinon uniquement, sur la perte non pécuniaire réclamée, soit 150 000 $;

[21]        La défense maintient que les dommages sont grandement inférieurs à  159 004,91 $ tel qu'elle entend en faire la preuve.

TÉMOIGNAGES, DISCUSSION ET ANALYSE

Témoignage du demandeur

[22]        Monsieur M… témoigne qu'il connaissait le chien du défendeur et qu'après la partie de hockey ils se sont rendus chez ce dernier. Là, le défendeur a remis au demandeur un biscuit pour qu'il le donne à manger au chien.

[23]        En même temps que le défendeur tourne le dos au chien et au demandeur dans le but de remettre les biscuits dans l'armoire, le demandeur témoigne que le chien a sauté et l'a mordu au visage lui arrachant une partie du nez.

[24]        Il témoigne qu'il n'a absolument rien fait pour provoquer le chien.

[25]        Ce témoignage n'est nullement contredit.

[26]        Plus est, lorsque le demandeur témoigne, le Tribunal constate visuellement les limitations quant à son apparence et à son élocution.

[27]        Il est évident que pour une personne qui mène la vie sociale et occupe un emploi comme celui du demandeur cela doit et peut certes causer un certain complexe (une gêne) et marquer la personne qui subit une telle transformation du jour au lendemain.

témoignage de monsieur wilson roseberry, pour la défense

[28]        Monsieur Wilson Roseberry, âgé de 50 ans, était le gardien de sécurité à l'hôpital et était en service le soir même où le demandeur a été hospitalisé.

[29]        Monsieur Wilson Roseberry connaît le demandeur et le défendeur pour avoir joué au hockey avec eux à l'époque.

[30]        Monsieur Roseberry, connaît bien monsieur M… le demandeur puisqu'ils avaient tous les deux des chiens. Il connaît le chien du défendeur, un Aquita nommé Kimo, qui, selon son témoignage, est normalement un chien doux.

[31]        En contre-interrogatoire, monsieur Roseberry avoue qu'il savait que le chien avait déjà mordu avant l'incident du 11 septembre 2006.

témoignage du défendeur

[32]        Le défendeur Rousseau admet également que son chien avait déjà mordu au moins à deux reprises avant l'incident du 11 septembre 2006, mais les morsures avaient causé moins de dommages. Au moment de l'incident en l'espèce, le chien avait 4 ans.

[33]        Le défendeur Rousseau admet que depuis l'incident du 11 septembre 2006, son assureur a ajouté une clause d'exclusion à son contrat d'assurance de sorte que le défendeur n'est plus assuré pour les dommages causés par son chien.

[34]        Le défendeur confirme que suite à l'incident en l'espèce il n'a pas fait euthanasier son chien. Celui-ci est mort plusieurs années par la suite.

[35]        La conclusion de ces deux segments de témoignages démontre que:

(i)         Le propriétaire défendeur savait donc que son chien pouvait mordre (risque) et a quand même négligé de le faire euthanasier commettant ainsi une omission qui s'apparente à la faute personnelle de l'article 1457 C.c.Q.

            (ii)        Même après cet incident du 11 septembre 2006 (troisième morsure), le défendeur a négligé de faire euthanasier son chien acceptant ainsi de courir un certain risque, ce qui confirme son attitude négligente.

eu égard à la responsabilité de l'article 1466 C.c.Q.

[36]        La défenderesse n'a apporté aucune preuve modifiant ou contredisant la version du demandeur quant à l'incident de sorte que le Tribunal constate que le demandeur n'a aucunement contribué aux dommages qu'il a subis par la morsure du chien du défendeur et n'est aucunement responsable de ces dommages. En conséquence, l'article 1466 C.c.Q. s'applique.

«Art. 1466. Le propriétaire d'un animal est tenu de réparer le préjudice que l'animal a causé soit qu'il fût sous sa garde ou sous celle d'un tiers, soit qu'il fût égaré ou échappé.

La personne qui se sert de l'animal en est aussi, pendant ce temps, responsable avec le propriétaire.»

PREUVE D'EXPERTISES, ANALYSE ET DISCUSSION

[37]        LA DEMANDE DÉPOSE:

1)    Le dossier médical du demandeur (P-1);

2)    L'expertise du Dr Michel Camiré, O.R.L., datée du 21 décembre 2009 (P-3);

3)    Des photos du visage du demandeur à différentes époques depuis l'incident;

4)    L'expertise du Dr Michel Brochu, psychiatre, datée du 21 août 2009 (P-4);

et

5)    À l'audition, le Tribunal peut constater visuellement les séquelles au visage du demandeur et entendre les défauts d'élocution lorsqu'il témoigne.

[38]        LA DÉFENSE DEPOSE:

1)    Le dossier médical de l'hôpital l'Enfant-Jésus;

2)    Le rapport d'expert du Dr Denis Chabot, chirurgien-plastique (12 juillet 2010) et,

3)    Le rapport d'expert du Dr Charles Lajeunesse, psychiatre (D-4) (6 juillet 2010.)

[39]        Ni l'une ni l'autre des parties n'a produit de statistiques d'expectative de vie de monsieur M… afin de tenir compte, en matière de dommages non pécuniaires, des grandes lignes de l'arrêt Andrews[1] telles qu'appliquées par l'arrêt Brière c. Cyr[2] et plus récemment, l'arrêt de Bérubé c. Durette[3] appliquant les enseignements de Brière c. Cyr. L'arrêt Barrette c. Hébert[4] du 30 novembre 2009 référant aussi aux arrêts Andrews et Brière c. Cyr, sera commenté plus amplement ultérieurement dû à la méthode utilisée (points) par les parties.

[40]        À l'instruction de la cause, mais sans contester sa qualité d'expert, la défense illustre quelques faiblesses reliées à l'expertise du psychiatre Michel Brochu qui en est à sa première expertise.

[41]        En revanche, pendant l'instruction, il fut évident pour le Tribunal que le principal expert de la défense, le Dr Denis Chabot, chirurgien-plastique (D-3), avait commis une erreur de compréhension en traduisant de l'anglais au français la procédure à suivre pour l'évaluation du PIP (Permanent Impairment Percentage) tiré de la 6e édition, volume 1, chapitre 11 du Guides to the evaluation of permanent impairment [Le Guide] sous la plume de Robert D. Rondinelly de l'American Medical Association (A.M.A.), guide dont se sont servis les experts en l'espèce.

[42]        Le Guide contient les tables qui ont été produites, lesquelles exigent du médecin évaluateur les critères d'évaluation en première ligne (chapitre 11) faisant en sorte qu'avant de procéder à l'évaluation, on doit d'abord et avant tout décider dans quelle "classe" le demandeur se situe. L'erreur de compréhension du Dr Chabot a eu pour effet de sous-estimer un aspect des dommages non pécuniaires du demandeur.

[43]        Le Dr Chabot, chirurgien-plastique et expert pour la défense, fait une première classification sous le chapitre Facial disorder disfigurement et considère le demandeur comme faisant partie de la classe 2.

[44]        L'expert de la demande, le Dr Brochu, considère le demandeur comme faisant partie de la classe 3 (dommage de base plus grave que la classe inférieure) parce qu'il y a «a loss of part of the nose with resulting cosmetic deformaty» et le fait que «the patient may have some concerns regarding his or her appearance affecting the extent of social activities».

[45]        Cette différence entre la classe 2 et la classe 3 change l'évaluation de base, ce qui fait en sorte que la classification du Dr Chabot tend à réduire de beaucoup les dommages non pécuniaires à ce chapitre, réduction de classe non justifiée selon le Tribunal.

[46]        Il est primordial et important de se servir de la bonne classe comme point de départ parce que l'on ne peut plus changer de classe une fois que la catégorie a été établie.

[47]        Cette classification de départ du Dr Chabot fait en sorte que l'évaluation est faite à partir de la mauvaise classe et le résultat final est que les dommages non pécuniaires subis par le demandeur sont sous-évalués si on compare avec un départ dans la classe 3.

[48]        Le Tribunal souligne que le barème de gravité classe 2 est le deuxième moins grave, le plus grave étant 5.

[49]        La demande reproche à l'expert de la défense, le Dr Chabot, d'avoir consacré une grande partie de son expertise à critiquer les médecins traitants et le travail qu'ils ont fait, expliquant qu'il aurait agi autrement et que les résultats auraient été meilleurs que ceux obtenus.

[50]        Avec égard, le travail exécuté par les médecins traitants ne fait pas l'objet du débat, n'est pas allégué dans la défense et, en l'espèce, ils ne sont pas là pour répondre.

[51]        Le Tribunal considère qu'un tel témoignage de la part du Dr Chabot est spéculatif. Il s'agit simplement de moyens qu'il aurait pu prendre, lesquels sont différents de ceux employés par les médecins traitants du demandeur.

[52]        Il n'est cependant pas contesté que le demandeur a suivi à la lettre tous les traitements et a subi toutes les chirurgies que ses médecins traitants lui ont recommandées.

[53]        Le demandeur a utilisé tous les moyens qui lui ont été soumis pour limiter ses dommages et améliorer son sort.

[54]        Lors de l'expertise du Dr Chabot en 2010, le demandeur lui a même demandé conseils.

[55]        La preuve a démontré, sans être contestée, que le demandeur a tout fait pour mitiger ses dommages, surtout lorsque l'on considère la motivation qui l'habite eu égard à son profil de vie, publique et sportive.

[56]        Le demandeur a perdu une partie de son nez et il est demeuré avec une déformation physique, ce que le Tribunal a pu constater visuellement et lorsqu'il s'exprimait.

[57]        Plus est, il est admis qu'il manque de sensation à une partie de sa bouche de sorte qu'à l'occasion il ne sent pas la salive qui s'écoule, ce qui est gênant.

[58]        Le Tribunal, pour l'avoir constaté visuellement, considère que le demandeur est sans doute affecté par son apparence qui est manifestement dégénérée et de toute évidence, l'historique du demandeur est très relatif par rapport à la vie qu'il mène et les activités sociales (célibataire sexuellement actif) qu'il avait avant.

[59]        Or, l'expertise du Dr Chabot devait déterminer objectivement les dommages subis par monsieur M… et non critiquer le travail exécuté par les médecins traitants en expliquant qu'il aurait agi d'une autre manière, adopté d'autres techniques et obtenu de meilleurs résultats, ce qui aurait fait en sorte que les dommages du demandeur auraient été moindres.

[60]        L'objet de l'expertise est de déterminer, dans la mesure où le demandeur a personnellement accepté de limiter ses dommages suite à l'incident, quels sont les dommages non pécuniaires qui en résultent. Or, la partie du rapport du Dr Chabot, consacrée à l'évaluation est viciée par une mauvaise traduction de l'anglais et la compréhension que le Dr Chabot en fait.

[61]        Le Tribunal est convaincu que l'erreur de "classe" n'est pas volontaire, mais résulte du fait que le Dr Chabot n'est pas parfaitement bilingue et que les bouquins de l'American Medical Association (A.M.A.) sont écrits en anglais. -le tout aidant la cause de la défense. Vue dans son ensemble, l'expertise manque d'objectivité.

[62]        Cela attaque la fiabilité de l'expertise du docteur Chabot d'autant plus que la défense admet que certains chapitres de cette expertise ne sont pas pertinents au débat instruit en l'espèce; (manque d'objectivité selon le Tribunal).

[63]        Par contre, certaines des opinions du Dr Chabot ne sont pas sans mérite, ce qui amène la défense à énoncer en plaidoirie, et le Tribunal paraphrase:

«Nous reconnaissons que notre évaluation des dommages a certaines lacunes, mais nous vous soumettons que la réalité (quantum) se situe quelque part entre le montant de notre évaluation et le montant réclamé par la demande.»

[64]        Les limitations du demandeur ne sont pas contestées, mais l'évaluation (l'importance) qu'on en fait donne un pourcentage de déficit facial de 17% et, quant à la restriction nasale affectant la respiration. Le Dr Camiré, O.R.L. pour la demande, attribue un pourcentage de déficit de 9%.

[65]        L'expertise psychiatrique de la demande est livrée par le Dr Michel Brochu, psychiatre. Son diagnostic est basé sur DSM4, 5e édition, et le Tribunal a été informé qu'il existe une 6e édition qui est plus récente.

[66]        La résultante de cette évaluation, en visant la condition clinique principale, est décrite à la page 11 de cette expertise et conclut à une condition correspondant à une classe de gravité 2 qui correspond à un DAP de 5%.

[67]        L'expertise psychiatrique de la défense (livrée par le Dr Charles Lajeunesse, psychiatre) conclut à une évaluation globale de fonctionnement (E.G.F.) à 85% comparativement à la EGF de 70% à laquelle conclut le psychiatre de la demande.

[68]        Selon la preuve entendue, et ce que le Tribunal a constaté visuellement, l'expertise de la demande est plus convaincante, plus conforme à la réalité constatée selon la discrétion judiciaire du Tribunal.

[69]        Si le demandeur n'était pas un jeune homme célibataire ayant une vie sexuelle active, qui vit et travaille surtout de nuit et gagne sa vie dans le public comme animateur (disc- jockey), etc. il pourrait ne pas être autant affecté psychologiquement par son apparence (bec de lièvre) et les difficultés de respiration évidentes.

[70]        Le Tribunal, avec beaucoup d'égard pour les experts de la défense, ne peut concevoir que le demandeur, qui se voit dans le miroir le matin, qui entend des cillements lorsqu'il respire, qui bave occasionnellement sans s'en apercevoir (manque de sensation) ne puisse être sérieusement affecté psychologiquement d'un certain complexe.

[71]        Il est resté traumatisé et traverse la rue pour éviter les chiens qui se trouvent sur son chemin.

[72]        L'expertise de la demande et ce qui est constaté par le Tribunal fait en sorte que les experts de la demande sont plus convaincants.

[73]        Le tout rappelle les paroles de l'avocate de la défense, déjà partagée par le Tribunal lorsqu'elle les prononçait, -à l'effet que ni l'une ni l'autre des évaluations n’étaient justes et objectives, la réalité se situant entre les deux.

[74]        À ce sujet, le Tribunal rappelle que la jurisprudence citée à partir de Andrews, donne un résultat pour un quadraplégique (21 ans) de la moitié de l'âge du demandeur (42 ans) qui, actualisée, donne un montant qui varie (selon les causes depuis les cinq dernières années) entre 350 000 $ pour un quadraplégique âgé de 21 ans et un montant d'environ 500 000 $ selon la cause, (moyenne de 420 000 $).

[75]        Il est donc raisonnable que des dommages non pécuniaires de la nature de ceux subis par le demandeur (42 ans) ne puissent s'actualiser à la somme de 150 000 $, (environ 1/3 du montant pour un quadraplégique de 21 ans.)

[76]        La défense du 31 mai 2010 conclut ainsi:

«REJETER la requête introductive d'instance.»

[77]        D'emblée, cette défense ne peut être accueillie et les imprécisions des expertises des deux côtés ne permettent pas de faire un calcul actuariel, mais permettent de se rendre compte, en visualisant le demandeur et en écoutant la façon dont il s'exprime (limitations physiques) à conclure que le demandeur a subi des dommages non pécuniaires qui vont le suivre pour le reste de ses jours.

[78]        Si l'on compare l'âge du demandeur avec celui des demandeurs dans l'affaire Bérubé, l'affaire Barrette ou l'affaire Andrews, le demandeur M… est plus âgé et l'expectative de vie est donc considérablement moindre.

[79]        Selon la méthode Andrews dûment indexée, les tribunaux ont quand même reconnu que l'évaluation des dommages non pécuniaires est essentiellement un exercice de cas par cas et la Cour suprême a fixé un maximum à l'intérieur duquel on suggère aux tribunaux d'exercer leur discrétion.

[80]        Dans l'affaire Brière c. Cyr, notre Cour d'appel a tenté de s'éloigner de la méthode d'un montant fixe point par point.

[81]        Dans l'affaire Bérubé, la demanderesse s'est vue accorder la somme de
120 000 $ et dans l'affaire Barrette, le demandeur s'est vu accorder un montant de
38 000 $ à titre de dommages non pécuniaires.

[82]        En l'espèce, selon la preuve les dommages non pécuniaires dans leur ensemble sont plus graves que ceux accordés dans l'affaire Barrette mais moins grave que ceux accordés dans l'affaire Bérubé, ce Tribunal ayant entendu ces deux autres causes.

[83]        En retenant qu'un quadraplégique à peine d'âge majeur (21 ans) se voit attribuer des dommages non pécuniaires (actualisés par nos tribunaux à 450 000 $ en moyenne) on ne peut considérer des dommages non pécuniaires en l'espèce à 150 000 $.

[84]        Considérant la vie sociale du demandeur, le milieu où il gagne sa vie et ce que le Tribunal a pu constater visuellement durant l'instance;

[85]        Considérant la discrétion judiciaire du Tribunal, -selon les témoignages, les expertises et d'avoir vu et entendu le demandeur pendant deux jours;

[86]        Considérant l'âge du demandeur (plus vieux qu'Andrews)

[87]        Il est juste, équitable et raisonnable, suivant la jurisprudence actuelle et les montants accordés, -que des dommages non pécuniaires de 65 000 $ soient accordés au demandeur M….

calcul des intérêts et de l'indemnité additionnelle, - à partir de quelle date?

[88]        La demande plaide que les intérêts et l'indemnité additionnelle doivent courir depuis la date de la mise en demeure, soit le 21 décembre 2006.

[89]        La défense plaide que les intérêts et l'indemnité additionnelle ne peuvent courir depuis cette date parce que la mise en demeure ne spécifiait aucun dommage, ceux-ci n'étant réclamés que depuis la date de l'action, le 4 septembre 2009.

[90]        La pensée derrière une telle défense est logique de prime abord puisque c'est l'équivalent de dire «Nous ne pouvions pas lui payer quoi que ce soit, même pas une avance quelconque puisque l'on ne connaissait aucun montant, aucun montant ne nous étant réclamé.»

[91]        Il n'en reste pas moins que depuis l'introduction de l'action le 4 septembre 2009, non seulement la défense n'a jamais avancé un montant quelconque, mais le dépôt de la défense le 31 mai 2010 conclut ainsi:

«REJETER la requête introductive d'instance.»

[92]        Or, pour considérer que l'argument de la défense est crédible à l'encontre de la date de la mise en demeure, il aurait fallu que tout au moins dans la défense on reconnaisse une responsabilité ou encore qu'on offre de régler pour un montant quelconque.

[93]        La défense est l'équivalent d'une "dénégation générale."

[94]        Cette position ne contribue aucunement à soutenir que le demandeur n'avait qu'à demander un montant quelconque et la défense aurait pu au moins donner un acompte à titre d'avance.

[95]        Au contraire, la défense déposée le 31 mai 2010, une fois tous les montants connus, ne demande pas de réduire le montant, mais nie totalement la responsabilité et conclut en demandant le rejet de l'action avec dépens.

[96]        En l'espèce, le Tribunal considère que le fait qu'il y ait eu un montant ou pas dans la première mise en demeure n'aurait pas changé la position des défendeurs qui ont nié toute responsabilité

[97]        La demande a prouvé les dommages pécuniaires de 9004,91 $ encourus depuis l'incident, -avant et après la mise en demeure du 21 novembre 2006, - et a droit à la totalité des dommages prouvés depuis la date de la mise en demeure, soit le 21 novembre 2006.

les frais d'expertises

[98]        La demande a produit deux expertises au point, succinctes et convaincantes.

[99]        Les frais de l'expert Dr Marcel Camiré, ORL pour la demande, totalisent 2 400 $ alors que celle du Dr Chabot pour la défense sont d'environ 12 500 $.

[100]     Le Dr Marcel Brochu, psychiatre pour la demande, soumet une facture de 900 $ alors que celui de la défense est de beaucoup supérieure à ce montant.

[101]     En l'espèce, les expertises de la demande étaient nécessaires étant donné la dénégation générale depuis le début et il est raisonnable, juste et équitable que ces deux montants totalisant 3 100 $ fassent partie des frais accordés au demandeur.

CONCLUSION

[102]     Le Tribunal conclut que les dommages pécuniaires sont de 9 004,91 $ et que les dommages non pécuniaires sont au montant de 65 000 $, le tout pour un total de
74 004,91
$.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[103]     ACCUEILLE l'action du demandeur S… M…;

[104]     ORDONNE au défendeur Daniel Rousseau et à la mise en cause La Capitale assurances générales de verser au demandeur S… M… la somme de
74 004,91 $ avec intérêt au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue selon la loi, et ce, à compter du 21 novembre 2006.

[105]      LE TOUT avec DÉPENS plus les FRAIS D'EXPERTISES totalisant 3 100 $.

 

 

 

 

__________________________________

FRANK G. BARAKETT, J.C.S.

 

 

 

Me Guy Leblanc (Casier 124)

Carter Gourdeau

Procureur du demandeur

 

Me Geneviève Tremblay  (Casier 40)

Rousseau Potvin

Procureure des défendeurs

 

 

Date d’audience :

Les 7 et 8 février 2011

 

 



[1] Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., (1978) 2 R.C.S. p. 229

[2] Brière c. Cyr, (2007) JQ Quicklaw no 10367 (C.A.)

[3] Bérubé c. Durette, C.S. 100-17-000458-051, 13 novembre 2007

[4] Barettte c. Hébert, C.S. 200-17-008051-070, 30 novembre 2009

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