Décision

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Université de Sherbrooke c. Roy

2024 QCCS 401

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

SAINT-FRANÇOIS

 

No :

450-17-008739-238

 

 

 

DATE :

12 février 2024

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MARTIN BUREAU, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE

 

Demanderesse

c.

 

ME PIERRE-GEORGES ROY, ES QUALITÉ D’ARBITRE DE GRIEFS

 

          Défendeur

et

 

SYNDICAT DES EMPLOYÉES ET EMPLOYÉS DE SOUTIEN DE L’UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE (SEESUS)

 

          Mis en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT sur pourvoi en contrôle judiciaire

(art. 529 et ss c.p.c.)

______________________________________________________________________

[1]                Par une sentence arbitrale rendue le 14 avril 2023[1], le défendeur (L’Arbitre) ordonne la réintégration de Diane St-Pierre (La Salariée). Celle-ci, jusqu’à ce que la demanderesse ( L’Employeur) mette fin à son lien d’emploi avec elle, est son employée depuis plus de 20 ans.

[2]                C’est en raison d’un taux d’absentéisme, qu’il considère trop élevé et qui est lié à des causes multiples, que L’Employeur met fin à ce lien d’emploi. Il évalue qu’il lui est impossible d’entrevoir que La Salariée puisse fournir une prestation de travail normale et régulière.

[3]                L’Employeur affirme que cette sentence arbitrale est déraisonnable. Il reconnaît que L’Arbitre résume correctement l’état du droit en ce qui a trait au fardeau de preuve qui repose sur les épaules d’un employeur qui souhaite justifier le congédiement d’un employé pour absentéisme excessif en raison de causes multiples. Toutefois, il plaide que la conclusion à laquelle il en arrive s’appuie largement sur une contradiction, presque parfaite, des constats qu’il effectue.

[4]                L’Employeur considère que le raisonnement interne de L’Arbitre est en soi incohérent et irrationnel et qu’il a pour effet de rendre impossible un processus de congédiement pour absentéisme excessif qui ne serait pas vicié d’avance.

[5]                L’Employeur plaide que l’ Arbitre lui impose un fardeau de preuve excessif, fondé sur une erreur de droit et qu’en conséquence, la sentence arbitrale devrait être annulée.

[6]                Pour les motifs qui suivent, la demande de pourvoi en contrôle judiciaire est accueillie.

LE CONTEXTE

[7]                L’Employeur est une institution d’enseignement supérieur fournissant divers services aux étudiants, dont l’accès à plusieurs bibliothèques.

[8]                Le mis en cause est un syndicat dûment accrédité au sens du Code du travail[2] (Le Syndicat) pour représenter les employés de soutien de l’Employeur, dont Mme Diane St-Pierre, (La Salariée) concernée fait partie.

[9]                L’Arbitre est un arbitre de grief au sens du Code du travail et il a été nommé pour entendre le grief[3] concernant le congédiement fait par L’Employeur.

[10]           La Salariée est à l’emploi de L’Employeur à compter de l’année 2002 jusqu’au mois de février 2022. Depuis le mois de septembre 2020, elle agit à titre de commis de bibliothèques sur le campus de L’Employeur.

[11]           Le 3 février 2022, L’Employeur procède au congédiement de La Salariée en invoquant son absentéisme, pour des causes multiples, et qu’il considère excessif.

[12]           L’analyse faite par l’ Employeur du taux d’absentéisme révèle, au fil des ans, des causes multiples d’absence de sorte qu’il établit que celui-ci avoisine, au cours des sept dernières années un taux de 38 %, ce qui est beaucoup plus élevé que le taux moyen de tout autre employé du même secteur.

[13]           D’ailleurs, cette situation concernant le taux d’absentéisme de La Salariée n’est pas un élément nouveau puisqu’au mois de septembre 2020 L’Employeur écrit à celle-ci, (L’Avis)[4], pour lui faire part de l’analyse globale de son taux d’absence des cinq dernières années et lui indique qu’il est de l’ordre de 43 %.

[14]           Toujours dans cette lettre du 10 septembre 2020, L’Employeur souhaite sensibiliser La Salariée à la situation et lui indique qu’elle devra s’assurer que sa présence au travail s’améliorera pour les années à venir afin pouvoir préserver son lien d’emploi.

[15]           À la suite de cet avis formel en septembre 2020, La Salariée s’absente de nouveau à trois reprises dans les 16 mois qui suivent de sorte que L’Employeur fait une nouvelle évaluation de la situation en janvier 2022 et du taux d’absentéisme.  Parce que celui-ci est dû à des causes multiples, L’Employeur en arrive à la conclusion qu’il lui est impossible d’entrevoir que La Salariée fournisse dans le futur une prestation de travail normale et régulière.

[16]           C’est alors que L’Employeur, comme plus haut décrit, procède au congédiement de La Salariée.[5]

[17]           Le Syndicat, après avoir pris connaissance de cette lettre mettant fin au lien d’emploi de La Salariée, dépose un grief[6] et demande la réintégration immédiate de celle-ci dans ses conditions de travail préexistantes.

[18]           À la suite d’une audition d’une durée de trois jours, L’Arbitre accueille, par sa sentence arbitrale du 14 avril 2023[7], le grief déposé par La Salariée et Le Syndicat et ordonne à L’Employeur de la réintégrer dans son poste habituel tout lui en ordonnant également de lui rembourser toutes sommes dont elle aurait été privée à la suite de sa fin d’emploi.

LA SENTENCE ARBITRALE

[19]           Dans cette décision arbitrale, L’Arbitre résume ce qu’il considère être la preuve pertinente et traite de la nature des activités de L’Employeur et du statut de La Salariée, des remarques initiales de L’Employeur au sujet de l’absentéisme de son employée, des absences subséquentes de celle-ci après le mois de septembre 2020, ainsi de la décision L’Employeur de mettre fin au lien d’emploi de La Salariée.

[20]           L’Arbitre, y résume les prétentions respectives des parties et par la suite expose les motifs de sa décision.

[21]           Dans cette partie de sa sentence arbitrale, L’Arbitre établit les règles applicables et qui régissent l’intervention d’un employeur en cas d’absentéisme excessif de salariés.

[22]           Il distingue la situation résultant d’un absentéisme excessif dû à une seule cause et celle découlant d’un absentéisme causé par plusieurs motifs différents.

[23]           Il expose que dans les deux situations, c’est la raisonnabilité de la démarche patronale qui sera l’objet de discussions et il considère qu’à moins que la décision «ne soit déraisonnable, abusive, arbitraire ou discriminatoire, L’Arbitre maintiendra la mesure»[8].

[24]           Une fois ces règles établies, L’Arbitre entreprend l’analyse du dossier d’absentéisme de La Salariée et traite d’abord, de façon plus spécifique, du taux d’absence moyen de celle-ci et de la décision de L’Employeur, basée sur ses observations. Il traite ensuite de l’impact, sur la raisonnabilité de la décision de L’Employeur, de la nature des absences de La Salariée survenue depuis le 10 septembre 2020, soit après que L’Employeur l’ait avisée de ses préoccupations quant à sa situation et qu’elle devait s’assurer que sa présence au travail s’améliorera pour les années à venir.

[25]           C’est dans le cadre de cette analyse que L’Arbitre, après avoir affirmé qu’il «incombait à la partie syndicale de faire la preuve de la possibilité pour Diane St-Pierre de fournir au moment de la terminaison de son lien d’emploi une prestation de travail comparable à celle de ses collègues dans un avenir prévisible» ajoute que : «le Syndicat s’est acquitté de cette tâche en faisant valoir que Diane St-Pierre ne s’est pas absentée davantage que ses collègues de travail pendant la période entre le 10 septembre 2020 et le mois de juillet 2021» et en ajoutant que Le Syndicat affirme : «que ces absences subséquentes, jusqu’à la date de la terminaison de son lien emploi, n’ont pas été nombreuses et qu’elles sont le résultat de situations imprévisibles, qui ne sont pas susceptibles de se reproduire avec régularité.»[9]

[26]           Procédant ensuite à évaluer le bien-fondé de la position syndicale, que le Tribunal résume au paragraphe précédent, L’Arbitre indique d’abord «il n’est pas approprié de disséquer les absences de Diane St-Pierre, comme l’a fait la partie syndicale dans le cadre de sa preuve, afin de tenter de réduire son taux d’absence. Peu importe la nature des motifs qui ont justifié ces absences, elles ont toutes affecté la plaignante et représentent des occasions où l’employeur a dû composer avec un manque de main-d’œuvre.»[10]

[27]           Il procède ensuite à l’analyse assez détaillée du contexte des dernières absences, soit celles postérieures à L’avis donné à La Salariée en septembre 2020.

[28]           Ensuite L’Arbitre émet l’opinion suivante : «Dans un tel contexte, l’employeur devait faire état d’une analyse du dossier qui soupèse la nature exacte de chacune des absences de Diane St-Pierre afin de juger de leur impact réel sur la possibilité qu’elle puisse fournir une prestation de travail normal à l’avenir. Une simple référence au taux moyen d’absence sans replacer la situation dans son contexte ne suffit plus dans de telles circonstances.»[11]

[29]           Et concluant son analyse du taux d’absentéisme de La Salariée et la décision prise par L’Employeur, L’Arbitre s’exprime ainsi : « Je suis d’avis que l’employeur doit, dans ce contexte, être tenu d’assumer les conséquences juridiques découlant de la façon dont il a choisi de traiter le dossier de Diane St-Pierre. Or, sa décision de mettre fin à son lien emploi en raison du fait que son assiduité n’était pas susceptible de s’améliorer dans un avenir prévisible me paraît, dans le contexte actuel que j’ai décrit, ne pas correspondre à la réalité. Elle est en conséquence déraisonnable et doit être infirmée. »[12]

(Nos soulignements)

LA NORME DE CONTRÔLE

[30]           Il importe de souligner que tant L’Employeur que Le Syndicat conviennent que la norme de contrôle que doit appliquer le Tribunal est celle de la décision raisonnable puisqu’aucune des exceptions retenues par la jurisprudence ne justifie de déroger à la présomption selon laquelle le décideur, agissant au cœur de sa compétence, doit rendre une décision raisonnable au sens des principes juridiques applicables et du degré de cohérence et d’intelligibilité requis.[13]

[31]           Le Tribunal accepte cette position conjointe et entend évidemment appliquer cette norme de contrôle dans l’analyse de la décision de L’Arbitre.

[32]           C’est au niveau de l’application du droit et de la raisonnabilité de la décision de L’Arbitre que les prétentions des parties diffèrent. La Mise en cause soumet que la seule question en litige porte sur la raisonnabilité de la sentence arbitrale. La demanderesse suggère que les 3 questions qui suivent sont en litige et elle présente son argumentation pour chacune d’elles. La mise en cause y répond de façon spécifique.

LES POINTS EN LITIGE :

[33]           Voici ce que les parties, dans leurs mémoires respectifs et lors de la présentation de leurs arguments lors de l’audition, considèrent être les questions sur lesquelles le Tibunal doit se pencher :

A)    De manière générale, L’Employeur considère que l’analyse de la sentence arbitrale révèle des incohérences et des contradictions qui affectent la logique globale de celle-ci au point de la rendre déraisonnable.

 

B)    Par la suite, L’Employeur plaide que l’incohérence résultant de l’impossibilité d’application des enseignements de la sentence arbitrale rend celle-ci déraisonnable.

 

 

C)    Enfin L’Employeur conclut que L’Arbitre commet une erreur de droit, ou une erreur mixte de fait et de droit, en appliquant des critères d’analyse erronés par rapport à la jurisprudence soumise par les parties, et qu’il retient lui-même, en matière de congédiement pour absentéisme excessif découlant de causes multiples.

LES PRÉTENTIONS DES PARTIES SUR CHACUNE DES TROIS QUESTIONS

 

A)  L’analyse de la sentence arbitrale révèle-t-elle des incohérences et des contradictions qui affectent la logique globale de celle-ci au point de la rendre déraisonnable ?

 

Celles de L’Employeur

[34]           D’emblée, L’Employeur affirme que L’Arbitre fait fi de la situation dans laquelle il se trouvait réellement au moment même de prendre la décision de mettre fin à l’emploi de La Salariée, absente depuis près de quatre mois au moment de son congédiement, pour se concentrer uniquement sur une période antérieure de neuf mois, pendant laquelle il n’y a eu aucune absence significative.

[35]           Pour L’Employeur, il est incohérent que L’Arbitre valide l’argument présenté par Le Syndicat en procédant à un découpage temporel pour affirmer que le dossier d’assiduité est parfait pour une période donnée entre deux périodes d’absence.

[36]           L’Employeur est d’avis que cette présentation des faits déforme la réalité puisque cela passe sous silence que, pendant cette période de septembre 2020 à février 2022, date de fin d’emploi, le taux d’absence de La Salariée est de près de 19 % et que L’Arbitre occulte aussi le fait qu’il ne s’agit pas de la première fois, dans le dossier de La Salariée, qu’une période de plusieurs mois s’écoule sans absence particulière.

[37]           L’Employeur plaide que le raisonnement de L’Arbitre, selon lequel l’évolution temporelle démontre une assiduité satisfaisante, repose sur une prémisse absurde, dû au découpage incohérent des périodes d’absence et de présence de La Salariée, qui affecte la logique interne de décision et commande l’intervention du Tribunal.

[38]           L’Employeur ajoute que cette façon de faire traduit une approche compartimentée qui ne saurait être acceptable dans les dossiers semblables de fin d’emploi pour absentéisme excessif.

[39]           De plus, L’Employeur soutient qu’en semblant appuyer largement sa conclusion, selon laquelle l’avenir n’est pas nécessairement lié au passé, sur le fait que la dernière absence pour COVID-19 n’est pas déterminante et que les deux motifs d’absence précédents de La Salariée étaient de natures différentes et ayant un caractère aléatoire, n’étant donc pas susceptible de se reproduire, L’Arbitre en arrive à des conclusions illogiques qui illustrent un raisonnement incohérent, lequel rend la décision déraisonnable.

[40]           L’Employeur fonde cette conclusion sur les raisons qui suivent.

[41]           Il affirme d’abord que les dossiers d’absentéisme excessif, pour causes multiples, sont de nature administrative et que les motifs d’absence revêtent un caractère involontaire. C’est l’accumulation des absences qui justifient la fin d’emploi et non le caractère volontaire ou involontaire de celles-ci.

[42]           Précisant que dans le cas sous étude, les trois derniers motifs d’absence, visés spécifiquement par l’analyse, représentent près de quatre mois sur les sept derniers mois de travail de La Salariée, L’Employeur estime qu’il est déraisonnable que deux de ces trois récentes absences soient écartées en raison de leur caractère aléatoire, sans explication sur le raisonnement à ce sujet, d’autant que toutes les absences contenues à la liste retenue par L’Arbitre depuis 2016 sont elles aussi aléatoires, c’est-à-dire imprévisibles, comme toutes celles qui peuvent résulter d’un grand nombre de circonstances, par le jeu d’une combinaison de facteurs pratiquement impossibles à prévoir.

[43]           L’Employeur soulève que le propre des dossiers d’absentéisme excessif découlant de causes multiples est le caractère aléatoire et imprévisible des absences, d’autant plus, si l’on considère le processus administratif de fin d’emploi qui implique des manquements involontaires.

[44]           L’Employeur reproche à L’Arbitre, en énonçant que les absences qu’il semble exclure ont un caractère aléatoire, de ne pas expliquer leur teneur aléatoire, par rapport aux autres absences au dossier de La Salariée, ce qui constitue un manque de transparence et d’intelligibilité fatal à la décision.

[45]           L’Employeur indique que parmi les effets et les conséquences de la décision de L’Arbitre, un employeur ne pourrait mettre fin à l’emploi de salariés qui s’absentent pour des raisons différentes et aléatoires, puisqu’à chaque fois, il se retrouverait devant une nouvelle absence, imprévisible, mais tout de même survenue et qui serait plus ou moins susceptible de se reproduire dans l’avenir. De plus, cela implique que l’on exigerait alors de L’Employeur qu’il évalue la probabilité de récidive de la ou des absences contemporaines, ce qui est déraisonnable.

[46]           L’Employeur ajoute à ces motifs, lesquels selon lui justifient l’intervention du Tribunal, que le raisonnement de L’Arbitre concernant la nature différente des dernières absences, soit celle liée à un accident de la route et  celle résultant de côtes fêlées et en excluant l’absence causée par la COVID- 19, par rapport à d’autres absences antérieures de La Salariée pour d’autres motifs touchant à la santé physique et mentale de celle-ci, illustre qu’il n’est pas transparent et que cela impacte la raisonnabilité de la décision.

Celles du Syndicat

[47]           De manière générale, Le Syndicat soumet que les questions soulevées par L’Employeur à l’encontre de la sentence de L’Arbitre ne constituent, en aucun cas, des erreurs flagrantes de celui-ci et que la décision est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes. En conséquence, Le Syndicat plaide qu’elle ne doit pas faire l’objet d’une révision quant aux trois principaux motifs invoqués par L’Employeur à son encontre et que la décision est raisonnable.

[48]             Quant au premier motif soulevé par L’Employeur et qui concerne les incohérences et les contradictions qui affecteraient la logique globale de la décision au point de la rendre déraisonnable, Le Syndicat affirme que L’Arbitre, après avoir mentionné qu’un certain débat persiste entre les parties sur les règles applicables à un congédiement pour absentéisme élevé, tranche rapidement celui-ci en exposant le test en deux étapes qui doit être suivi par le décideur.[14] Le Syndicat indique que L’Arbitre précise rapidement que la raisonnabilité de la décision de L’Employeur doit être évaluée aux deux étapes du test.[15]

[49]           Le Syndicat soulève que L’Arbitre retient la position de L’Employeur selon laquelle il n’est pas approprié de disséquer les absences de La Salariée à la première étape du test, mais ajoute que ce n’est qu’à la deuxième étape de celui-ci, que L’Arbitre se permet d’analyser la nature des différentes absences afin d’évaluer la raisonnabilité de la décision de L’Employeur.

[50]           Le Syndicat souligne que ce n’est qu’à cette deuxième étape du test, celle où il se doit, pour La Salariée, de justifier que les absences ne sont pas synonymes d’une incapacité à donner une prestation normale de travail dans un avenir prévisible, que L’Arbitre se permet d’analyser la nature de ces différentes absences. Il était alors tout à fait logique, selon Le Syndicat, qu’il procède ainsi puisqu’il devait, à ce moment, évaluer la raisonnabilité de la décision de L’Employeur.

[51]           C’est à ce moment que L’Arbitre conclut à la non-raisonnabilité de celle-ci. Cette conclusion découle du fait que L’Employeur l’aurait prise sans vérifier s’il y avait un lien entre les motifs d’absences reprochées récemment et les problèmes d’absentéisme excessif constatés au cours des années précédentes.

[52]           Le Syndicat plaide que L’Employeur fait fausse route en affirmant que L’Arbitre n’aurait pas suffisamment défini les raisons pour lesquelles il écarte deux absences. Le Syndicat considère que l’Arbitre n’écarte pas ces deux absences, puisqu’il les considère à la première étape du test, et que ce n’est qu’à la deuxième étape qu’il les qualifie d’absences de natures différentes lorsqu’il procède à son analyse  portant sur l’incapacité de la Salariée de donner une prestation de travail normal dans un avenir prévisible.

[53]           Le Syndicat soumet que L’Employeur s’attaque à l’appréciation de la preuve et il conclut sur cet aspect de l’incohérence et des contradictions soulevées par celui-ci que le raisonnement de L’Arbitre est conforme aux critères que l’arrêt Vavilov commande.

 

B)    L’incohérence résultant de l’impossibilité d’application des enseignements de la sentence arbitrale rend celle-ci déraisonnable ?

 

Celles de L’Employeur

 

[54]           L’Employeur soulève que les incohérences de la sentence arbitrale l’empêchent de valablement statuer à l’avenir sur  l’identité et le caractère déterminant des différentes natures d’absence, sur la valeur de chaque motif d’absence et leur caractère multiple dans l’analyse du dossier d’un salarié, sur la susceptibilité de récidive et le poids à accorder au risque de récidive de chaque absence, sur la satisfaction attendue à l’égard de l’évolution du pourcentage d’absentéisme dans les prochains mois et sur l’impact de quelques mois sans absence significative.

[55]           Ces incohérences démontrent, aux yeux de L’Employeur, le caractère déraisonnable du raisonnement de L’Arbitre ce qui justifie l’intervention du Tribunal.

 

Celles du Syndicat

[56]           Le Syndicat affirme être en profond désaccord avec cette affirmation de L’Employeur selon laquelle il est, en raison de la décision arbitrale, dans l’impossibilité de comprendre les enseignements de celle-ci dans la façon de traiter La Salariée pour la suite ou pour traiter tout dossier similaire.

[57]           Le Syndicat considère que L’Arbitre explique les répercussions de sa décision pour L’Employeur au paragraphe 70 de celle-ci et ajoute que L’Employeur fait erreur lorsqu’il affirme qu’il ne peut saisir ni comprendre, les enseignements de la sentence arbitrale sur la valeur, l’impact et le caractère de chaque absence.

[58]           Le Syndicat précise que dans son analyse de la preuve, L’Arbitre constate que la représentante patronale ne s’est pas attardée aux raisons des absences de La Salariée, ce qui constitue un manque d’analyse flagrant par celle-ci,  faisant en sorte que la décision de rompre le lien d’emploi était déraisonnable.

[59]           Le Syndicat ajoute que si L’Employeur avait fait son travail adéquatement, il aurait alors constaté l’amélioration du taux d’absentéisme de La Salariée depuis 2020 et qu’il ne pouvait, vu le peu d’absences pendant cette période, prétendre qu’elle ne pourrait fournir une prestation normale de travail dans un avenir prévisible.

[60]           Le Syndicat soumet que les paragraphes 71 et 72 de la décision arbitrale indiquent clairement de quelle manière L’Employeur devra se prendre pour traiter le dossier de La Salariée dans le futur. Il n’aura, selon Le Syndicat, qu’à évaluer de nouveau le taux d’absentéisme de celle-ci, et à se questionner quant à la nature des absences et à vérifier si celles-ci confirment qu’elle ne pourra rendre une prestation normale de travail dans un avenir prévisible.

Le Syndicat conclut, quant à ce deuxième motif invoqué par L’Employeur, que l’analyse faite par celui-ci est intrinsèquement cohérente, transparente et intelligible.

 

C)    L’Arbitre commet-il une erreur de droit, ou une erreur mixte de fait et de droit, en appliquant des critères d’analyse erronés par rapport à la jurisprudence soumise par les parties, et qu’il retient lui-même, en matière de congédiement pour absentéisme excessif découlant de causes multiples ?

 

Celles de L’Employeur

[61]           Enfin L’Employeur soumet que L’arbitre, en exigeant que celui-ci « convainque le tribunal d’arbitrage que sa décision est par ailleurs raisonnable dans de telles circonstances » ignore la présomption reconnue par la jurisprudence en matière d’absentéisme excessif découlant de causes multiples et impose plutôt à L’Employeur la preuve d’une invraisemblance de retour au travail.

[62]           Cette modification du fardeau de la preuve n’est pas conforme, selon L’Employeur, à la jurisprudence et est en soi, toujours selon L’Employeur, une incohérence qui rend la décision déraisonnable, tout en constituant une erreur sur le critère d’analyse  Il s’agit d’une erreur qui est révisable par le Tribunal puisqu’elle impacte le résultat de la sentence arbitrale.

[63]           L’Employeur plaide qu’en exigeant qu’il prouve davantage, L’Arbitre vicie le processus arbitral et prend par surprise la partie patronale qui ne pouvait raisonnablement s’attendre à devoir prouver davantage que le fardeau de preuve qui lui incombe et qui est reconnu généralement en semblable matière.

[64]           L’Employeur conclut que si L’Arbitre souhaitait s’écarter de la jurisprudence retenue, même par lui, il aurait eu le loisir de le faire tout en expliquant les raisons sous-jacentes, mais il a plutôt erronément affirmé suivre la jurisprudence tout en imposant finalement un critère d’analyse et un fardeau de preuve qui n’existent pas. Cette façon de procéder justifie l’intervention du Tribunal puisque la décision devient ainsi déraisonnable .

Celles du Syndicat

[65]           Finalement, Le Syndicat se dit également en désaccord avec la position patronale lorsque L’Employeur affirme que la sentence arbitrale souffre de deux lacunes fondamentales qui la rendent déraisonnable, soit le manque de logique interne du raisonnement et le fait que la décision soit indéfendable sous certains rapports, compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes.

[66]           Le Syndicat affirme qu’il n’est pas étonnant que L’Arbitre considère, après la preuve syndicale présentée démontrant que le dossier de La Salariée n’était pas aussi négatif que ce que considérait L’Employeur et que les absences, survenues au cours des mois précédant la fin de l’emploi, n’étaient pas susceptibles nécessairement de se reproduire à l’avenir, qu’il devenait alors nécessaire pour L’Employeur de démontrer la rigueur de sa démarche et que celui-ci ayant fait défaut de le faire, il est alors difficile de reconnaître que sa décision de mettre fin au lien d’emploi est raisonnable.

[67]           Le Syndicat plaide que la jurisprudence en semblable matière perçoit, dans le cas d’un congédiement pour absentéisme élevé, le fardeau de preuve du test en deux étapes de manière non rigide et permettant d’être contrecarré.

[68]           Le Syndicat ajoute que L’Arbitre ne s’écarte pas de la jurisprudence retenue et que sa logique est tout à fait conforme à la jurisprudence applicable. Même si, selon les enseignements de la Cour Suprême, les motifs d’un arbitre ne font pas référence à tous les arguments, à toutes les dispositions législatives, à tous les précédents, cela ne met pas nécessairement en doute leur validité ni celle du résultat, au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision.

[69]           Il faut, selon Le Syndicat, que les motifs fournis par L’Arbitre à l’appui de sa décision, contiennent des lacunes fondamentales ou révèlent une analyse déraisonnable pour que le Tribunal puisse intervenir. Ce n’est pas, souligne-t-il, la situation dans le présent dossier.

[70]           En conclusion, Le Syndicat considère que L’Employeur semble demander au Tribunal d’analyser de novo la sentence arbitrale et de déterminer quelle décision il aurait rendue à la place du décideur administratif, ce qui ne peut être fait. Le raisonnement de L’Arbitre est, aux yeux du Syndicat, rationnel et logique et il est conforme aux critères que l’arrêt Vavilov commande.

LES PRINCIPES APPLICABLES

[71]           Comme déjà mentionné, les parties reconnaissent que la norme de contrôle applicable à l’analyse que doit faire le Tribunal de la décision de L’Arbitre est celle de la décision raisonnable.

[72]           Notre collègue, l’Honorable Jean-Louis Lemay dans une très récente décision[16], résume  de façon  claire et simple, mais complète, la façon dont le tribunal chargé de la révision judiciaire d’une décision du TAT se doit d’aborder et d’appliquer cette norme :

« (34) D’abord, il appartient à la partie qui conteste une décision administrative d’en démontrer le caractère déraisonnable.

(35)  La Cour de révision doit faire preuve de déférence envers le décideur administratif plutôt que de substituer son opinion à la sienne.

(36)  Les motifs du décideur administratif doivent être interprétés « de façon globale et contextuelle » et ne « pas être jugés au regard d’une norme de perfection »

(37) Dans une décision récente, sous la plume du juge Simon Ruel, j.c.a., la Cour d’appel précise on ne peut mieux le cadre d’intervention de la Cour supérieure dans un contexte similaire à celui en l’espèce:

« [21] Le contrôle judiciaire vise à réviser la légalité de la décision    administrative, non son opportunité.

[22] Il n’appartient pas à la Cour supérieure, siégeant en révision judiciaire et appliquant la norme de la décision raisonnable, de trancher elle-même la question en litige soulevée devant le tribunal administratif. Elle n’agit pas à ce titre comme tribunal d’appel, encore moins comme palier de novo.

        [23] Plus largement, « [l]e contrôle selon la norme de la décision raisonnable vise à donner effet à l’intention du législateur de confier certaines décisions à un organisme administratif, tout en exerçant la fonction constitutionnelle du contrôle judiciaire qui vise à s’assurer que l’exercice du pouvoir étatique est assujetti à la primauté du droit ».

       [24] L’analyse de la raisonnabilité selon le cadre établi dans l’arrêt Vavilov s’effectue en deux étapes : (1) une décision raisonnable est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent; et (2) une décision raisonnable est justifiée au regard des contraintes juridiques ou factuelles qui ont une incidence sur la décision.

       [25] Sur ce dernier point, il s’agit pour la cour de révision de délimiter le périmètre décisionnel administratif, c’est-à-dire « les limites et les contours de l’espace à l’intérieur duquel le décideur peut agir, ainsi que les types de solution qu’il peut retenir », et d’évaluer si la décision administrative s’inscrit à l’intérieur de ce périmètre.

        [26] En délimitant le périmètre décisionnel administratif, il faut tenir compte du contexte dans lequel le tribunal opère et des circonstances du cas particulier sous étude, de manière à circonscrire « la latitude du décideur administratif en matière de décision raisonnable dans un cas donné ».

      [27] De manière similaire, sous l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, la décision raisonnable était celle qui appartenait « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». L’arrêt Vavilov n’écarte pas ce concept en traitant de la considération des contraintes juridiques et factuelles ayant « pour effet de circonscrire l’éventail des issues raisonnables ».

     [28] Si l’arrêt Vavilov enrichit et précise les considérations dont le tribunal de révision doit tenir compte lors d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable, s’agissant désormais d’un « cadre d’application plus rigoureux », la Cour suprême ne modifie pas fondamentalement l’approche qui reste empreinte de déférence, considérant le choix « d’organisation institutionnelle du législateur consistant à déléguer certaines questions à des décideurs non judiciaires par voie législative »  (références omises).»

[73]           C’est donc de cette façon que le Tribunal entend procéder à son analyse du caractère raisonnable ou non de la sentence arbitrale en cause, et en vertu des principes plus hauts élaborés qu’il doit déterminer si cette décision doit être révisée.

L’ANALYSE

Remarques préliminaires

[74]           Précisons d’abord que L’Arbitre, lorsqu’il rend sa sentence, procède à l’analyse d’une décision prise par L’Employeur et qu’il se doit lui-même de suivre certaines normes et certains principes.[17]

[75]           Le pouvoir d’intervention de L’Arbitre ne peut s’exercer sans contrainte, et la jurisprudence a clairement établi, au fil des ans, la manière selon laquelle doit être analysée la décision prise par un employeur de congédier un salarié pour des motifs liés à un absentéisme excessif découlant de causes multiples.

[76]           L’Arbitre lui-même souligne, particulièrement aux paragraphes 37 à 46 de sa décision, les principes qui régissent l’intervention de l’employeur en cas d’absentéisme excessif.

[77]           Il affirme entre autres que lorsque l’absentéisme excessif est du à plusieurs motifs différents : « l’employeur peut se contenter de faire état de l’absentéisme excessif de la salariée et c’est plutôt à elle de justifier que ses absences ne sont pas synonymes d’une incapacité de donner une prestation de travail normale dans un avenir prévisible[18]                                                                                                                                                                                                                                                                 (Notre soulignement)

[78]           Il  précise  ensuite avec justesse que : « c’est la raisonnabilité de la démarche patronale qui sera l’objet de discussion » et il cite à ce sujet une décision d’un de ses collègues, Me Jean-Pierre Lussier, pour préciser ce qu’il considère être son rôle  :

« Dans cette éventualité, s’il y a grief et arbitrage, le rôle du tribunal est d’évaluer la raisonnabilité de la décision de l’Employeur. À moins que celle-ci ne soit déraisonnable, abusive, arbitraire ou discriminatoire, l’arbitre maintiendra la mesure. Au  cas contraire, il l’annulera purement et simplement. Il n’a pas la discrétion, comme lorsqu’il s’agit d’une mesure disciplinaire, de lui substituer une mesure lui paraissant mieux adaptée à l’ensemble des circonstances. »[19]                (Notre soulignement)

[79]           De plus, en ce qui concerne le fardeau de preuve qui s’applique lorsqu’il s’agit d’absences découlant de motifs multiples, L’Arbitre réfère à une décision qu’il a lui-même rendu dans un cas de même nature et décrit ainsi ce qu’il considère être la règle à ce sujet :

            « Je suis d’avis que les paramètres applicables lors de l’appréciation de la raisonnabilité d’une décision mettant fin au lien d’emploi d’un salarié en raison de son absentéisme excessif pour des motifs variés sont maintenant connus de façon certaine.

Dans un premier temps, l’employeur doit faire état du taux d’absentéisme du salarié en le comparant au taux d’absence moyenne de ses collègues de travail. Cet exercice doit couvrir une période suffisamment longue. Il semble clair qu’elle doit être au minimum de trois années.

Dans de telles circonstances, l’employeur n’a pas à présenter une preuve d’expert évoquant un pronostic favorable de retour au travail normal dans un avenir prévisible. Le salarié doit plutôt démontrer qu’il est vraisemblable qu’il pourra reprendre le travail de façon régulière dans un avenir prochain. »[20]                                                        (nos soulignements)

[80]           L’Arbitre précise ensuite à ce sujet : « Je ne crois pas utile de reprendre plus longuement l’analyse de ces questions puisque l’état du droit à cet égard me paraît fermement établi »[21]. (notre soulignement)

[81]           Toutefois L’Arbitre, après avoir fait cette affirmation quant au fardeau de la preuve du salarié et de son obligation et de celle du Syndicat qui le représente , dans de telles circonstances, de « démontrer qu’il est vraisemblable qu’il pourra reprendre le travail de façon régulière dans un avenir prochain »  impose ensuite et quand même à L’Employeur l’obligation, si le Syndicat présente une preuve ou soulève des arguments qui remettent en question cette conclusion « de convaincre le tribunal d’arbitrage que sa décision est par ailleurs raisonnable dans de telles circonstances »[22]. (notre soulignement)

[82]           Toujours dans le même sens et selon la même logique L’Arbitre ajoute ce qui suit : «… l’employeur y est en effet plutôt confronté à l’obligation de justifier, au terme de la preuve présentée par la partie syndicale, en quoi sa décision de mettre fin au lien d’emploi de Diane Saint-Pierre est  raisonnable. Il peut, à cette fin, par exemple faire valoir qu’il a pris connaissance de l’entièreté du dossier de la personne salariée afin de déterminer la nature réelle des motifs d’absence en cause et la possibilité qu’ils entraînent une impossibilité d’assurer une présence au travail normale dans un avenir prévisible »[23].

[83]           Un peu plus loin dans le cadre de son analyse du dossier d’absentéisme de La Salariée, L’Arbitre, après avoir conclu à un taux d’absence excessif de la part de la salariée et déterminer que ses absences découlent assurément de causes multiples,  précise que L’Employeur s’est acquitté de son fardeau de preuve initiale.

[84]           Il indique ensuite  que Le Syndicat, dans ses efforts pour renverser les motifs mis de l’avant par L’Employeur pour justifier sa décision, a fait valoir que les dernières absences n’étaient pas de la même nature que les précédentes, imposant ainsi à L’Employeur une approche plus nuancée et que le dossier de l’employé n’était pas aussi négatif que ce que considérait L’Employeur de sorte que « les absences qui sont survenues au cours des mois précédant la fin de l’emploi n’étaient pas nécessairement susceptibles de se reproduire à l’avenir et ne devaient donc pas être tenues en compte ».[24]     (Nos soulignements)

[85]           L’Arbitre affirme d’ailleurs à ce sujet : « Il s’agit là d’éléments factuels qui suggèrent avec force que le pronostic d’absentéisme de Diane Saint-Pierre au début de l’année 2022 n’était pas aussi sombre que le suggère l’employeur. Ce constat est suffisant pour questionner la raisonnabilité des conclusions de l’employeur. Celui-ci était alors tenu de justifier sa décision en invoquant davantage que le nombre d’absences ou leurs natures multiples. »[25] (Notre soulignement)

[86]           Précisant ensuite ce que selon lui L’Employeur aurait dû faire, L’Arbitre ajoute que : « Dans un tel contexte, l’employeur devait faire état d’une analyse du dossier qui soupèse la nature exacte de chacune des absences de Diane Saint-Pierre afin de juger de leur impact réel sur la possibilité qu’elle puisse fournir une prestation de travail normale à l’avenir. Une simple référence au taux moyen d’absences sans replacer la situation dans son contexte ne suffit plus dans de telles circonstances. »[26]

[87]           L’Arbitre termine ensuite sa pensée en ce qui concerne le fardeau de preuve de l’Employeur en faisant l’affirmation suivante : « En sommes, cela veut dire que l’employeur était libre de décider du sort de Diane Saint-Pierre sur la seule base des données d’absentéisme colligées par Louis Roberge, mais qu’il devait être prêt à justifier ce choix de façon plus complète dans la mesure où son appréciation de la situation était remise en question par la preuve et l’argumentation présentée par la partie syndicale. »[27]  (Notre soulignement)

[88]           L’Arbitre reproche ensuite à L’Employeur de ne pas s’être préoccupé de la nature des motifs d’absence de son employée et de ne pas avoir vérifié si les derniers motifs avaient un lien avec ceux qui avaient marqué son dossier au cours des années précédentes.

[89]           L’Arbitre termine son raisonnement sur les obligations de L’Employeur en de telles circonstances en faisant l’affirmation suivante : « Comme je viens de le souligner, une étude du dossier d’absentéisme d’une personne salariée, sans l’avoir placé dans son contexte et sans relativiser certains de ses éléments dans le cadre d’une analyse précise, comporte des risques évidents pour l’employeur. De fait, si comme en l’espèce le syndicat présente une preuve et propose des constats différents, qui remettent en question l’expectative d’assiduité de la plaignante, l’employeur doit être capable de démontrer la rigueur de sa démarche. À défaut, il est difficile de reconnaître qu’elle soit raisonnable, et ce surtout alors que le lien d’emploi de Diane Saint-Pierre est en jeu. »[28]

[90]           Et L’Arbitre de conclure ensuite que la preuve indique que le dossier d’absence de La Salariée, à compter de la remise de la lettre en septembre 2020, n’appuie pas le constat de l’impossibilité qu’elle puisse fournir une prestation de travail normale dans un avenir prévisible.

[91]           Il est donc en conséquence d’avis que la décision de mettre fin au lien emploi de celle-ci, en raison du fait que son assiduité n’était pas susceptible de s’améliorer dans un avenir prévisible, lui paraît, dans le contexte factuel ne pas correspondre à la réalité et qu’elle est ainsi en conséquence déraisonnable et doit être infirmée.

        *             *             *

[92]           Procédons maintenant à répondre aux trois questions en litige plus haut décrites, et cela en fonction des prétentions respectives de chacune des parties  et évidemment de l’état du droit.

A)         L’analyse de la sentence arbitrale révèle-t-elle des incohérences et des contradictions qui affectent la logique globale de celle-ci au point de la rendre déraisonnable ?

[93]           Il est reconnu que ce qui justifie chez un employeur la décision de procéder à un congédiement administratif pour absentéisme excessif, fondé sur des causes multiples, c’est l’accumulation des absences et non pas leur caractère volontaire ou involontaire.[29]

[94]           Au moment où L’Employeur prend sa décision dans le présent dossier, La Salariée a été absente pour une période d’environ quatre mois lors des sept derniers mois. Elle l’avait été aussi de manière importante dans les cinq années précédentes.

[95]           Il était alors raisonnable pour L’Employeur de considérer, vu L’Avis déjà donné, ainsi que l’historique du dossier, que celle-ci  n’était plus en mesure d’offrir une prestation de travail adéquate et ainsi de conclure que le passé était garant de l’avenir.

[96]           Il est reconnu que, dans de telles circonstances, c’est le fardeau de la preuve du Syndicat ou de La Salariée de convaincre de «la possibilité pour celle-ci de fournir une prestation de travail comparable à celle des autres salariés.» et non celui de L’Employeur.[30]

[97]           La lecture de la sentence arbitrale laisse voir que la seule preuve qui semble avoir été présentée par le Syndicat, c’est celle d’un dossier adéquat de l’employée pendant environ 10 mois après avoir reçu L’Avis de L’Employeur en septembre 2020 et ensuite que les trois absences, d’une durée totale importante, et qui se produisent dans les huit derniers mois qui précèdent le congédiement, résultent de situations imprévisibles qui «seraient non susceptibles de se reproduire avec régularité».

[98]           L’Arbitre porte donc clairement son analyse sur cette situation d’absentéisme important, de façon spécifique sur cette récente période et oublie qu’il lui faut plutôt, dans ce genre de dossier, éviter de procéder à une analyse compartimentée des périodes d’absence afin d’examiner la possibilité pour un salarié d’offrir une présence au travail normale. Il s’agit d’une erreur de droit commise par L’Arbitre.[31]

[99]           Comme L’Arbitre le mentionne lui-même, au paragraphe 51 de la décision, « ce qui compte pour le calcul d’un taux d’absentéisme élevé c’est le fait que la personne se soit absentée pour des motifs de natures diverses ». D’ailleurs, en ce qui concerne les absences dans le présent dossier, celles-ci découlent clairement de toutes sortes de causes multiples et, même celles liées à la santé mentale, ne peuvent être considérées comme liées entre elles.

[100]       L’Arbitre reconnaît que les efforts syndicaux pour contrer la preuve de L’Employeur portent sur la nature des absences et que celles récentes, c’est-à-dire  postérieures à l’avis reçu par La Salariée en septembre 2020, étaient différentes des absences antérieures portant sur la période 2016 à 2020 , sans toutefois expliquer en quoi et pour quels motifs et sur quelle base  elles doivent être considérées de natures différentes.

[101]       Les dernières absences sont, à plusieurs égards, de la même nature que celles qui se sont produites antérieurement. Elles sont liées à des causes diverses, semblent causées par des circonstances variées et aléatoires, toutes liées à des accidents ou des problèmes de santé physique ou mentale, et ne résultent pas d’un handicap.

[102]       Malgré cela, L’Arbitre n’explique aucunement en quoi les dernières absences divergent de l’ensemble des absences antérieures. Il n’explique pas en quoi elles sont plus, ou moins, aléatoires que celles constatées avant l’envoi de L’Avis à La Salariée en septembre 2020.

[103]       L’Arbitre considère que le simple fait par le Syndicat, de « soulever des questionnements » fait en sorte qu’il était devenu nécessaire que L’Employeur procède à une analyse précise de tout le dossier, puisque selon sa logique ce simple questionnement quant aux trois dernières absences remet en question l’expectative d’assiduité ou de non-assiduité de La Salariée.

[104]       Ce que L’Arbitre semble affirmer c’est qu’en raison des circonstances ayant causé les dernières absences, celles-ci ne peuvent être reprochées à La Salariée ou à tout le moins, même si ces dernières absences maintiennent un taux trop élevé d’absentéisme, cela ne devrait pas être considéré dans l’évaluation de la susceptibilité qu’elles puissent se reproduire dans l’avenir. Encore là, l’analyse est trop compartimentée et ne porte que sur les 16 derniers mois en omettant les 4 années antérieures.

[105]       À la lecture de la sentence arbitrale, il est difficile, sinon impossible, de savoir et de comprendre en quoi la situation vécue après l’envoi de L’Avis en septembre 2020 est différente de la situation qui résultait des autres absences constatées par L’Employeur entre 2016 et 2020.

[106]       Le découpage temporel effectué par L’Arbitre dans l’analyse des absences de La Salariée rend sa décision incohérente et difficilement compréhensible. L’Arbitre adopte une approche trop compartimentée et non globale de toute la problématique d’absence de La Salariée.[32]

[107]       De plus, le raisonnement sur lequel il fonde sa conclusion quant à l’absence de preuve que la perspective d’assiduité de La Salariée n’est pas atteinte, révèle une logique incohérente.

[108]       Il n’apparaît pas raisonnable que L’Arbitre reproche à L’Employeur de ne pas avoir analysé le dossier de façon plus approfondie et surtout d’exclure les dernières absences en les considérant non préoccupantes parce qu’elles étaient aléatoires ou non susceptibles de se reproduire.

[109]       L’Arbitre n’explique d’ailleurs pas en quoi elles étaient plus ou moins aléatoires que celles survenues dans les quatre années précédentes. Il est difficile de comprendre à quoi veut en venir L’Arbitre et quelle aurait dû être l’analyse faite alors par L’Employeur.

[110]       Celui-ci devait-il réévaluer toutes les absences, autant celles avant qu’après 2020, pour déterminer celles qui étaient susceptibles de se reproduire ou non ?

[111]       L’Employeur devait-il faire des liens entre les anciennes et les nouvelles absences? Devait-il essayer de déterminer le taux de responsabilité personnelle ou la faute de La Salariée dans ces absences ?

[112]       En fonction des critères d’analyse appliqués généralement dans de telles circonstances et eu égard à la doctrine et la jurisprudence largement appliquée, le Tribunal considère que les affirmations faites par L’Arbitre au paragraphe 60 de son jugement et le constat qu’il en tire semblent incompréhensibles .

[113]       Les commentaires formulés par L’Arbitre au paragraphe 61 de la décision arbitrale démontrent encore que celui-ci a procédé à  une analyse compartimentée des absences en 2021 et au début de l’année 2022, par rapport à celles s’étant produites entre 2016 et 2020.[33]

[114]       L’Arbite n’explique pas les différences qui pourraient résulter, en fonction de la nature des absences récentes et des absences antérieures, concernant la prévisibilité ou le caractère aléatoire de l’une ou l’autre d’entre elles. La logique utilisée et les explications fournies ne permettent pas de constater, ni de comprendre, ce qui distingue les dernières absences (côtes brisées, entorse cervicale et COVID)  de celles antérieures (la fracture d’un pied,les troubles d’adaptation, la dépression, la pharyngite et la bronchite).

[115]       L’Arbitre souligne au paragraphe 70 de sa décision qu’une étude hors contexte comporte des risques. Il affirme que la décision de mettre fin au lien d’emploi, en raison du fait que l’assiduité de La Salariée n’était pas susceptible de s’améliorer dans un avenir prévisible, lui paraît, dans le contexte actuel qu’il décrit, ne pas correspondre à la réalité. C’est d’ailleurs selon la même logique qu’il reproche également à L’Employeur, au paragraphe 65 de celle-ci, de ne pas avoir vérifié si les dernières absences avaient un lien avec celles antérieures à septembre 2020.

[116]       En fonction de cette façon de voir par L’Arbitre de la situation et d’en faire l’analyse,  qu’aurait dû alors faire L’Employeur au moment où il étudie le dossier ?

[117]       Était-il nécessaire qu’il examine les motifs pour lesquels La Salariée avait eu dans le passé des problèmes d’adaptation ? Devait-il examiner les causes et les motifs de sa dépression profonde ? Avait-il d’obligation d’analyser les circonstances ayant mené à sa fracture du pied ? Devait-il vérifier et analyser les motifs et les causes de ses absences pour bronchite et pharyngite ? Devait-il déterminer si les problèmes de santé de celle-ci relevaient de circonstances particulières ou d’une faiblesse quelconque de sa part ?

[118]       Et après avoir fait l’une ou l’autre ou toutes ces analyses, lesquelles auraient probablement requis de L’Employeur des investigations approfondies et possiblement une ou des expertises médicales (ce que la jurisprudence et la doctrine, même celle retenue par L’Arbitre semblent exclure en cas d’absentéisme résultant de causes multiples[34]), L’Employeur devait-il alors comparer toutes et chacune des multiples absences de La Salariée, préalables à l’automne 2020, avec toutes et chacune de celles survenues au cours des derniers mois précédant le congédiement ?

[119]       L’Employeur aurait-il dû également, en fonction de l’analyse plus approfondie suggérée par L’Arbitre, pousser son enquête pour s’assurer que La Salariée n’avait aucune responsabilité dans les événements ayant causé sa côte fêlée ou encore dans l’accident au cours duquel elle a subi une entorse cervicale ?

[120]       Il semble que poser ces questions amène, de toute évidence, une seule réponse. Le fait qu’il soit nécessaire, en raison de la décision arbitrale et des conséquences de celle-ci, d’envisager la possibilité ou la nécessité de telles démarches crée une situation déraisonnable ainsi qu’une incertitude et une difficulté réelle de compréhension de la logique et des effets de cette décision.

[121]       Le dossier d’absentéisme excessif de La Salariée devait être traité dans son entier et de manière globale. En conséquence, l’avis donné par L’Employeur en 2020, afin que La Salariée pose des gestes appropriés, n’avait certainement pas pour effet d’éliminer les absences antérieures et ne permettait pas et n’exigeait pas de L’Employeur qu’il procède dans le futur à une analyse des absences ultérieures de manière compartimentée.

[122]       C’est justement la diversité des causes d’absence et le manque de liens entre celles-ci, ainsi que leur fréquence trop importante, qui amènent un employeur à ne plus avoir confiance dans l’assiduité future d’une employée et qui justifient une fin d’emploi.

[123]       L’analyse faite par L’Arbitre ne tient pas compte des bases jurisprudentielles et doctrinales fondamentales qui permettent à un employeur de procéder à ce genre de congédiement administratif.

[124]       L’Arbitre, lorsqu’il affirme que le Syndicat en « suggérant » que les derniers motifs d’absence diffèrent des précédents et n’amènent pas à conclure à une perte de possibilité d’amélioration future, fait alors une erreur de droit et celle-ci entraîne une décision déraisonnable.

[125]       L’Arbitre considère lui-même le taux d’absentéisme comme non acceptable et il reconnaît que la prestation de travail de l’employée n’est pas normale. Malgré tout cela, il conclut, quand même, en se fondant uniquement sur une possibilité et un questionnement soulevé par Le Syndicat, mais non démontrés par prépondérance de preuve, que La Salariée surmonte son fardeau et qu’elle a démontré que ses nombreuses et variées absences, presque toutes pour des motifs divers et aléatoires, n’étaient pas nécessairement susceptibles de se reproduire. Il s’agit d’une conclusion déraisonnable et contraire à l’état du droit.[35]

[126]       Cette façon d’aborder le dossier n’est pas logique et surtout incompréhensible et déraisonnable en fonction des principes élaborés par L’Arbitre lui-même.

[127]       Comment comprendre que la décision de L’Employeur n’était pas raisonnable (c’est le critère que L’Arbitre lui-même dit qu’il doit appliquer) alors que L’Arbitre reconnaît que les absences sont trop nombreuses et qu’elles sont diverses ?

[128]       Comment suivre son raisonnement lorsqu’il reconnaît que les absences avant 2020 sont trop fréquentes et qu’elles causent des problèmes de gestion et que même si, selon la preuve reconnue, elles se continuent encore d’une façon beaucoup plus élevée que celles des autres employés, et qu’elles résultent encore  de motifs divers, malgré que l’employé ait été avisé, il conclut, malgré tout, que la décision de L’Employeur est déraisonnable ?

[129]       La décision arbitrale est ainsi, à certains égards, incohérente avec les constats factuels et elle apparaît fondée sur une logique difficile à comprendre et certainement encore plus difficile à appliquer.

[130]       Au risque de se répéter,  le Tribunal ne peut, tout comme L’Employeur, déterminer de quelle façon comprendre, en fonction de l’ensemble du dossier d’absentéisme de La Salariée qui persiste depuis plus de six ans, en quoi les dernières absences révèlent-elles, ou ont-elles des particularités différentes de celles survenues entre 2016 et 2020.

[131]       De plus , en quoi sont-elles si différentes,  au point où L’Arbitre semble les excuser ou les exclure de l’analyse globale du dossier en ce qui concerne la capacité de La Salariée de fournir une prestation de travail convenable ?

[132]       À tout le moins, en quoi l’ensemble de cette situation amène-t-elle L’Arbitre à considérer que c’était le fardeau de L’Employeur et non plus celui de La Salariée de le convaincre de la raisonnabilité de sa décision de considérer que le passé est garant de l’avenir ?

[133]       L’Employeur est justifié de plaider que cette décision ne lui permet plus de savoir  comment se comporter dans le futur, tant en ce qui concerne cette salariée, que pour la gestion de ses autres employés éprouvant des problèmes d’absentéisme excessif pour causes multiples et qu’il ne peut comprendre en quoi sa façon de gérer le dossier de La Salariée était déraisonnable eu égard aux normes bien établies dans ce domaine.

 

     B) L’incohérence résultant de l’impossibilité d’application des enseignements de la sentence arbitrale rend celle-ci déraisonnable ?

[134]       Encore ici, au risque de se répéter, il est difficile à la lecture de cette décision de comprendre ce que doit faire un employeur, et de façon plus spécifique ce qu’aurait dû faire ou devra faire dans le futur L’Employeur, que ce soit dans le présent dossier et dans ceux concernant d’autres salariés.

[135]       Dans l’analyse plus complète que suggère L’Arbitre, L’Employeur devait-il réévaluer chacune des absences antérieures et postérieures à 2020 ?

[136]       Devait-il déterminer pour chacune d’elles le lien avec une autre, ainsi que le risque que chacune de ses absences se reproduise[36] ?

[137]       L’Employeur aurait-il dû attendre encore que se produisent d’autres absences, alors que celles antérieures à 2020 et celles postérieures à L’Avis donné à la Salariée en septembre 2020 étaient diversifiées, aléatoires ou involontaires ?

[138]       L’Employeur devait-il vraiment les analyser, compte tenu de leurs causes diverses, et examiner, pour chacune d’elles le risque de récidive ?

[139]       L’Employeur doit-il être plus tolérant si La Salariée est quelques mois sans absences, même si son taux d’absentéisme est quand même beaucoup plus élevé que celui de ses collègues ?

[140]       La décision de L’Arbitre signifie-t-elle qu’il aurait été préférable que L’Employeur ne donne pas d’avis en 2020 ? Signifie-t-elle plutôt qu’en envoyant un tel avis cela avait pour effet qu’il fallait changer la façon d’analyser les absences antérieures et les absences postérieures à cet avis et ne devoir, dans le futur, que considérer celles postérieures à L’Avis ?

[141]       Il apparaît impossible de répondre de façon claire et sans hésitations  à l’ensemble de ces questions, ce qui en soi crée une situation qui rend la décision, eu égard à toutes les circonstances et à l’état du droit, déraisonnable.

     C)   L’Arbitre commet-il une erreur de droit, ou une erreur mixte de fait et de droit, en appliquant des critères d’analyse erronés par rapport à la jurisprudence soumise par les parties, et qu’il retient lui-même, en matière de congédiement pour absentéisme excessif découlant de causes multiples ?

[142]       Il se dégage de la décision arbitrale que L’Arbitre impose à L’Employeur le fardeau de le convaincre de la raisonnabilité de la décision qu’il prend, malgré que celui-ci a présenté une preuve claire, et acceptée même par L’Arbitre, d’un taux d’absentéisme excessif de La Salariée et que ce taux soit fondé sur des motifs divers et multiples.

[143]       Il n’apparaît pas compréhensible, ni logique et surtout non fondé sur les règles de droit établies, de conclure que le simple fait pour un Syndicat de questionner le caractère aléatoire et la nature différente des absences récentes de La Salariée, en comparaison générale avec celles constatées antérieurement par L’Employeur, suffise à repousser la présomption selon laquelle en de telles circonstances le passé est garant de l’avenir.

[144]       Il apparaît bien reconnu que dans de telles circonstances, il repose sur les épaules du Syndicat ou de La Salariée de démontrer, et non pas simplement de laisser soupçonner, qu’elle était au moment de la terminaison de son emploi, capable de fournir une prestation de travail comparable à celle de ses collègues, et ce dans un avenir prévisible.[37]

[145]       Le passé de cette salariée était composé de diverses absences, trop fréquentes, et le résultat de causes ou de motifs différents. Les absences étaient en apparence toutes  involontaires et aléatoires et  les explications fournies par l’Arbitre ne permettent pas de comprendre en quoi celles survenues au cours des 16 derniers mois étaient de natures différentes de celles déjà vécue avant L’Avis.

[146]       Le simple fait pour le Syndicat ou La Salariée de suggérer, comme l’indique L’Arbitre, que les dernières absences n’étaient pas de la même nature que les anciennes, sans fournir plus de précisions ni d’analyse à ce sujet, ne permettait pas de modifier les règles établies et d’imposer un fardeau de preuve différent et supplémentaire à L’Employeur.

[147]       La preuve démontre que L’Employeur a pris une décision fondée sur des faits précis, en fonction de règles d’analyse bien connues et reconnues et il est difficile, sinon impossible, à la lumière de la logique utilisée par L’Arbitre dans sa décision, de comprendre comment il a pu en arriver à conclure que cette décision de L’Employeur était déraisonnable.

 Conclusions

[148]       La logique et l’argumentaire utilisés par L’Arbitre pour décider du contraire ne sont  pas limpides et ils créent des incertitudes et des incohérences quant au fardeau de la preuve et quant aux critères d’analyse que doit appliquer un employeur en présence d’absences diverses, tant passées  que plus contemporaines.

[149]       Exiger plus de L’Employeur, dans de telles circonstances, amène une panoplie d’incertitudes quant à l’application des critères d’évaluation et d’application des règles déjà bien établies sur le sujet, et la décision arbitrale fait en sorte qu’en fonction de l’état actuel du droit à cet égard elle est déraisonnable.

[150]       Au contraire, en fonction de la preuve présentée et retenue par L’Arbitre, et des règles de droit en semblables matières, la décision de L’Employeur apparaît raisonnable.

Remède approprié dans les circonstances

[151]       Les juges de la Cour suprême réitèrent dans l’arrêt Vavilov[38] qu’il convient de respecter la volonté du législateur et que même s’il y a lieu d’accueillir un pourvoi judiciaire à l’encontre d’une décision de décideur administratif, il est préférable de confier l’affaire de nouveau au décideur administratif de première instance.

[152]       Ils reconnaissent toutefois que « les préoccupations concernant les délais, l’équité entre les parties, le besoin urgent de régler le différend, la nature du régime de réglementation donnée, la possibilité réelle ou non pour le décideur administratif de se pencher sur la question en litige, les coûts pour les parties et l’utilisation efficace des ressources publiques peuvent aussi influencer sur l’exercice par la cour de son pouvoir discrétionnaire de renvoyer l’affaire – tout comme ces facteurs peuvent influer sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de casser une décision lacunaire »[39]

[153]       La Cour d’appel affirme elle aussi qu’il peut y avoir des situations limitées ou le résultat inévitable de l’analyse de la preuve fait en sorte que parfois le renvoi à l’arbitre n’aurait servi à aucune fin utile.[40]

[154]       C’est d’ailleurs ce que notre collègue, l’honorable Michel Beaupré a décidé dans les termes suivants : « Par ailleurs, compte tenu des présents motifs et jugement, le tribunal estime qu’il serait contraire à une saine administration de la justice et disproportionné de renvoyer le dossier à l’arbitrage pour examen du grief afin de déterminer si le congédiement doit être annulé. Il y a lieu en effet de faire entorse aux principes usuels dans les circonstances et de rendre la décision que l’arbitre aurait dû rendre. »[41]

[155]       C’est ce que demande L’Employeur dans sa demande de pourvoi initial et ce qu’il réitère dans les conclusions de son mémoire à l’appui de sa demande. Il y prévoit également, et subsidiairement, que l’affaire soit renvoyée devant un autre décideur.

[156]       Comme déjà indiqué antérieurement dans le présent jugement au paragraphe 78, le pouvoir d’intervention de L’Arbitre limitait son rôle à déterminer si la décision de l’employeur était raisonnable et, en fonction de son analyse, il ne pouvait que confirmer cette décision ou accueillir le grief et annuler le congédiement. Il n’y avait aucune autre possibilité ouverte.

[157]       Pour l’essentiel, les éléments de preuve traités par L’Arbitre ne sont pas remis en question ni par les parties ni par le Tribunal et c’est plutôt l’application par L’Arbitre des règles de droit et des principes fondamentaux en matière de congédiement résultant de l’absentéisme excessif pour des motifs variés qui est en cause.

[158]       Puisque la marge de manœuvre de L’Arbitre était limitée, et en fonction de tous les éléments factuels reconnus et acceptés dans ce dossier,  le Tribunal estime qu’il a en main tous les éléments lui permettant de se prononcer sur le sort du grief.

[159]       En fonction des circonstances du dossier, et pour les motifs relatifs à la raisonnabilité de la décision de L’Employeur et à la déraisonnabilité de celle de L’Arbitre,  il convient de conclure qu’une seule interprétation ou solution est envisageable et que toute autre interprétation ou solution serait déraisonnable.[42]

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[160]       ACCUEILLE la demande de pourvoi en contrôle judiciaire d’une sentence arbitrale;

[161]       ANNULE la sentence arbitrale rendue par l’arbitre, Me Pierre Georges Roy, le 14 avril 2023 ;

[162]       REJETTE le grief du 21 mars 2022 portant le numéro 2022 – 002;

[163]       LE TOUT SANS FRAIS DE JUSTICE vu la nature du dossier.

 

 

 

 

__________________________________MARTIN BUREAU, j.c.s.

 

Me Martin Brunet

Me Audrey Campbell

Cain Lamarre, s.e.n.c.r.l.

Avocats de la Demanderesse

 

Me Pierre-Georges Roy

Défendeur (non présent ni représenté)

 

Me Philippe Dufort

Me Joël Gagnon

Syndicat canadien de la fonction publique

Avocats du mis en cause

 

Date d’audience : 27 novembre 2023

 

 


[1]  Pièce P-1.

[2] RLRQ, c. C-27.

[3] Pièce P-2.

[4]  Pièce S-4 devant L’Arbitre.

[5]  Pièce S-3 devant L’Arbitre.

[6]  Pièce P-2.

[7]  Pièce P-1.

[8]  Pièce P-1, page 10, par. 39.

[9]  Pièce P-1, page 13, par. 56.

[10]   Pièce P-1, page 14, par. 58.

[11]   Idem, page 14, par. 62.

[12]   Idem, page 16, par. 70.

[13]   Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, par. 16, 23, 25, 83.

[14] Pièce P-1, page 10, par. 39.

[15] Idem, page 10, par 40.

[16] CPE au Jardin des abeilles c. Tribunal administratif du travail, 2024 QCCS 7.

[17] Centre Intégré de Santé et des Services Sociaux de Lanaudière et Syndicat des Travailleuses du CISS de Lanaudière-FSS-CSN et al., 2021 CanLii 31536 (QC SAT), par. 3 et 4.

[18] Décision arbitrale, par. 38.

[19] Vanico-Maronyx inc. et Syndicat des employés de VaricoMaronyx inc., D.T.E. 2015T-92 par.18.

[20]  Voir aussi à ce sujet Saint-Hyacinthe (Ville) c. Lavoie, ès qualités Arbitre, 2001 CanLII 59440 (QC CS) par. 12 et 14.

[21] Décision arbitrale, pièce P-1, par. 41, Voir aussi Vezeau et frères inc. c Syndicat des paramédics de l’Abitibi-Témiscamingue Nord-Du-Québec, 2016 QCTA 760, par. 65 à 70.

[22]  Idem, par. 43.

[23] Idem, par. 46.

[24] Décision arbitrale Pièce P-1, par. 59.

[25] Idem, par. 61.

[26] Idem, par. 62.

[27] Idem, par. 64.

[28]  Idem, par. 66.

[29] Voir Vezeau et frères inc. c Syndicat des paramédics de l’Abitibi-Témiscamingue Nord-Du-Québec précitée note 21, par. 57 et 58.

[30] Voir à titre d’exemple, Syndicat du préhospitalier (FSSS-CSN) c. Corporation d’Urgences-Santé, 2014 CanLii 61288 (QC SAT) page 27, par.97.4.

[31] Syndicat Canadien des Communications,de l’Énergie et du Papier (SCEP) c. Richard Marcheterre et Bell Canada, 2014 QCCS 3242, par. 89 et 90.

[32]  Précité note 20, par 38.

[33] Précité notes 20 et 31, par. 43 et 44., Centre intégré Universitaire de Santé et de Services Sociaux du Saguenay-Lac St-Jean c. Jean M. Morency et al., 2019 QCCS 1056, par 101.

[34] Syndicat des Travailleurs et Travailleuses de ADF-CSN c. Groupe ADF 2014, CanLii 33110 (QC SAT) page 5 par. 22, Syndicat du préhospitalier (FSSS-CSN), précité note 30, par 97.4.

[36]  Voir sur ce sujet précis Syndicat des travailleuses et travailleurs en petite enfance de la Montérégie -CSN  ET Centre de la Petite enfance Alakazoum Inc., 2017 CanLii 3232 (QC SAT), par. 37.

[37]  Syndicat de employées et employés de la Société québecoise des infrastructures et Société québecoise des infrastructures, 2022 CanLii 20585 (QC SAT) par. 53 à 55 , Syndicat des Employées et Employés de L’Université du Québec à Montréal et L’Université du Québec à Montréal (UQAM), 2019 CanLii 94110 (QC SAT) par. 116., Vanico-Maronyx inc et Syndicat des employés de Vanico-Maronyx inc, 2014 QCTA 1059, par 30.

[38] Précité note 13, par. 142.

[39]  Vavilov, précitée note 38, par. 142 in fine.

[40] Syndicat des travailleuses et travailleurs de Autobus Yamaska inc. - CSN c. Autobus Yamaska inc., 2022 QCCA 24.

[41] Syndicat des travailleuses et travailleurs du fibre de verre (CSN) c. Me Côme Poulin et Bain Maax, 2016 QCCS 3165 par. 53.

[42] Voir à cet effet Giguère c. Chambre des notaires du Québec,  2004 1 R.C.S. 3, par 66.

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