Sherwood Crescent c. Aaron |
2020 QCRDL 16965 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
518277 31 20200415 G |
No demande : |
2991666 |
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Date : |
20 août 2020 |
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Régisseure : |
Luce De Palma, juge administrative |
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Sherwood Crescent SOCIÉTÉ EN COMMANDITE |
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Locateur - Partie demanderesse |
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c. |
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George Aaron |
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Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le 15
avril 2020, le locateur demande au Tribunal de statuer sur l’opportunité d’une
évacuation temporaire du locataire afin d’effectuer des travaux majeurs dans son
logement, de même que dans l’immeuble ici concerné, le tout en vertu de
l’article
[2] Le locateur demande également au Tribunal de fixer des conditions justes et raisonnables en ce qui a trait à l’évacuation requise, ainsi que l’exécution provisoire de la décision, nonobstant appel.
[3] Notons
que la présente demande a été réunie avec celles concernant deux autres logements
de cet immeuble pour fins d’audition et de preuve commune, comme le permet
l’article
[4] Chacune de ces demandes fait toutefois l’objet d’une décision distincte.
[5] En la présente espèce, le locataire habite un logement comprenant 4 ½ pièces pour un loyer mensuel de 990 $ par mois.
[6] La preuve révèle d’abord que le, ou vers le 27 mars dernier, le locateur avisait le locataire de son intention d’effectuer des travaux majeurs dans son logement, tout en l’avisant également que des travaux importants seraient aussi effectués dans tout l’immeuble et ce, à compter du 1er juillet 2020.
[7] Cet avis prévoyait également l’évacuation temporaire du locataire pendant une période de 14 mois, de même que le paiement d’une indemnité équivalente à deux mois de loyer et de ses frais de déménagement pour un montant maximal de 1000 $, plus taxes.
[8] Le locataire n’ayant pas répondu à cet avis, il est réputé avoir refusé de quitter les lieux, d’où la présente demande.
[9] Celle-ci
appelle sans conteste l’application des articles
1922 : Une amélioration majeure ou une réparation majeure non urgente, ne peut être effectuée dans un logement avant que le locateur n'en ait avisé le locataire et, si l'évacuation temporaire du locataire est prévue, avant que le locateur ne lui ait offert une indemnité égale aux dépenses raisonnables qu'il devra assumer en raison de cette évacuation.
1925 : Lorsque l'avis du locateur prévoit une évacuation temporaire, le locataire doit, dans les 10 jours de la réception de l'avis, aviser le locateur de son intention de s'y conformer ou non; s'il omet de le faire, il est réputé avoir refusé de quitter les lieux.
En cas de refus du locataire, le locateur peut, dans les 10 jours du refus, demander au tribunal de statuer sur l'opportunité de l'évacuation.
1927 : La demande du locateur ou celle du locataire est instruite et jugée d'urgence. Elle suspend l'exécution des travaux, à moins que le tribunal n'en décide autrement.
Le tribunal peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables.
1928 : Il appartient au locateur, lorsque le tribunal est saisi d'une demande sur les conditions dans lesquelles les travaux seront effectués, de démontrer le caractère raisonnable de ces travaux et de ces conditions, ainsi que la nécessité de l'évacuation. (nos soulignements)
[10] Précisons d’abord que les travaux projetés sont ainsi décrits à l’avis transmis aux locataires :
1. « Repair the exterior brick where it is necessary and redo the insulation, put vapor barriers and sound-proofing;
2. Make modifications on the roof for the Work regarding ventilation, mechanic and plumbing;
3. Demolish certain walls in concrete blocks in the basement et rebuild new walls in concrete blocks. Drill holes in the concrete floors from level 1 to 4 for the Work regarding mechanic, ventilation, plumbing, heating and electricity;
4. New floor coverings in the entire Building;
5. New electrical entrance and new electrical wiring;
6. New plumbing and namely replace all the risers for hot and cold water;
7. Renovation of the entrance hall of the Building and new intercom system;
8. Reconfiguration of the central heating system;
9. Renovation of the elevators which shall be in conformity with all applicable norms and regulations;
10. Update all the fire protection equipments in order to bring it in conformity with all applicable norms and regulations;
In your Apartment, the following Work will be done:
Strip the Apartment in order to rebuild it as new, including without limiting the generality of the above, the following Work:
New insulation and soundproofing, new walls, new floors, new doors, new kitchen cabinets, new bath room(s), new electrical panel, air exchanger, new air conditioning split system, new heating units, new installation for washing machine and dryer, all the interior finishing works of the Apartment, new lighting, etc.;»
[11] Conformément à
l’article
[12] D’entrée de jeu, le mandataire de la compagnie locatrice souligne que l’immeuble ici en cause comprend 65 logements, et minimalement autant de locataires, alors que, de ce nombre, 62 locataires ont pris entente avec lui en ce qui a trait auxdits travaux, acquiesçant aux modalités proposées afin que ceux-ci puissent être réalisés.
[13] Il témoigne par ailleurs avoir acquis cet immeuble au mois d’octobre 2019, tout en sachant que cette bâtisse, construite dans les années 50, donc voilà près de 70 ans, se devait d’être rénovée, étant de toute évidence vieillotte.
[14] Il entend notamment refaire la plomberie et le filage électrique de cet immeuble, de sorte que, ne serait-ce que pour la réalisation de ces travaux, les murs du logement du locataire seront dégarnis.
[15] Bien qu’il tente notamment de démontrer le caractère d’urgence que représente le remplacement du filage électrique au moyen du rapport d’inspection d’un ingénieur, la preuve de cette caractéristique particulière ne saurait être admise, devant l’objection présentée par le locataire, eu égard à ce témoignage écrit.
[16] Le locateur précise par ailleurs que ces travaux électriques ont été approuvés par la municipalité et ils lui apparaissent malgré tout inévitables, compte tenu de l’âge de l’immeuble. Une mise aux normes s’impose et il serait déraisonnable d’attendre que la situation ne devienne dangereuse avant d’y voir.
[17] Il lui apparaît également raisonnable de procéder aux autres travaux se rattachant à l’immeuble lui-même, notamment au remplacement des ascenseurs et à la rénovation du hall d’entrée, lesquels constituent, pour l’essentiel, des améliorations, eu égard à la situation existante.
[18] Cela dit, il soumet qu’il serait déraisonnable d’exiger qu’un expert vienne expliquer la nature et la nécessité de chacune des améliorations projetées, soulignant que cet immeuble, de même que les logements de celui-ci, n’ont fait l’objet d’aucune réfection importante, au fil des ans.
[19] Les fenêtres ont été remplacées, il est vrai, de même que les balcons, mais la majorité des rénovations réalisées par le passé ont été mineures, voire cosmétiques, insiste-t-il, alors que des éléments majeurs relevant du bon fonctionnement de la bâtisse sont demeurés inchangés.
[20] Pour sa part, il souhaite redonner à l’immeuble un certain lustre, voire une « deuxième vie », notamment dans un but de conservation et d’amélioration de celui-là, de même que des logements s’y trouvant.
[21] Il estime légitime de procéder ainsi plutôt que de laisser l’immeuble se dégrader au point où la situation deviendrait critique, d’où sa volonté de protéger son investissement, voire de prendre le risque d’investir encore davantage afin que cette bâtisse à logements multiples soit conservée.
[22] Eu égard plus particulièrement au logement du locataire, les travaux projetés concernent en grande partie la salle de bain et la cuisine, pièces qui seront refaites dans leur ensemble, voire modernisées.
[23] Il verra également à ce qu’une entrée/sortie pour les appareils de lavage y soit réalisée, alors que la buanderie commune sera éliminée. Cette façon de faire lui apparaît, encore là, une amélioration sur la situation passée. Un espace du logement sera donc voué à l’installation de tels appareils, lequel sera toutefois peu important.
[24] Le système de chauffage au gaz, source d’énergie servant également au fonctionnement de vieilles cuisinières, sera converti en un système électrique, ce remplacement lui apparaissant judicieux, en l’instance, dans le cadre de la réalisation de l’ensemble de son projet.
[25] Il soumet également avoir confié l’ensemble des travaux à un entrepreneur général, lequel confirme, selon l’échéancier soumis, que ceux-ci pourront débuter le 7 septembre 2020 pour se terminer à la fin du mois d’août 2021.
[26] Il insiste tout autant sur le fait qu’il n’entend aucunement changer la vocation locative de l’immeuble et démontre le sérieux de son projet en déposant plans, permis et preuve de financement, lesquels sont aussi garants de sa bonne foi, invoque-t-il.
[27] Le locateur se dit par ailleurs conscient qu’il ne pourra changer la forme du présent logement, devant l’opposition du locataire, et s’engage à respecter la configuration actuelle des pièces.
[28] Il explique que celles-ci seront donc rafraîchies, mais peu touchées dans leur structure, au final.
[29] Il maintient qu’il est plus que raisonnable d’exiger la dépossession temporaire du locataire pour son propre bien-être, alors qu’il lui sera littéralement impossible de vivre au milieu d’un véritable chantier de construction.
[30] Il bonifie les conditions offertes dans son avis, offrant de le reloger dans l’un des logements d’un autre immeuble qui lui appartient.
[31] Ces logements comprennent 4 pièces et demie et sont situés sur la rue Athlone, non loin du présent logement, soumet-il. Ils sont offerts en location à 2000 $ par mois, mais il se dit prêt à permettre au locataire d’habiter l’un d’eux pendant 12 mois, au prix payé pour son logement actuel.
[32] À défaut pour lui d’opter pour une telle relocalisation, il offre de lui verser une somme maximale de 400 $ par mois pour combler la différence entre le loyer actuellement payé et le loyer potentiel d’un logement de remplacement.
[33] Les frais de déménagement sont haussés à une somme maximale de 1500 $, plus taxes, à l’aller comme au retour, de même qu’il convient de payer les frais de transfert de tous les services de base, le tout sur présentation de pièces justificatives.
[34] De son côté, le locataire s’oppose vigoureusement au projet de réfection du locateur et ce, particulièrement en ce qui a trait à son logement.
[35] Pour lui, ce logement est en parfait ordre et ne nécessite aucune amélioration ou réparation majeure, du moins à court terme.
[36] Son logement est tout à fait décent, appréciant tout particulièrement sa cuisine et sa salle de bain, alors qu’il n’a nul besoin d’une installation pour le fonctionnement d’appareils de lavage.
[37] Le projet du locateur relève donc de sa seule volonté d’améliorer un logement déjà fort convenable pour le mettre au goût du jour et d’en augmenter le loyer afin de rentabiliser son investissement, opération dont il n’a pas à faire les frais, argue-t-il.
[38] Il insiste sur sa longue période d’occupation ce logement et sur son âge avancé.
[39] Il juge hautement déraisonnable de subir une éviction temporaire, qui plus est en ces temps de pandémie liée à la COVID-19, et ce, dans le seul but de permettre au locateur de voir augmenter la plus-value de son immeuble.
[40] Non seulement les rénovations envisagées par le locateur sont-elles inutiles, mais il soumet qu’elles ont pour but ultime son éviction permanente.
[41] Nul doute que ce dernier agit de mauvaise foi, voire abuse de ses droits en tentant de l’évincer sous le couvert d’une volonté d’améliorer l’immeuble et son logement.
[42] En ce qui a trait à l’évacuation elle-même, advenant le cas où elle serait autorisée, il demande que le présent Tribunal lui octroie une indemnité monétaire lui permettant de louer un logement vacant situé tout près du logis actuel, location qui lui en coûterait environ 600 $ de plus par mois, au terme de ses recherches.
[43] Il explique qu’il est pour lui primordial d’avoir facilement accès aux mêmes services de proximité que présentement, dont la pharmacie et l’épicerie.
[44] Le logement offert sur la rue Athlone constitue certes une amélioration sur les conditions préalablement décrétées par le locateur, mais il n’adhère pas d’emblée à cette proposition.
[45] Sur ce, le locateur réitère sa bonne foi dans la présente affaire, niant avoir pour but ultime de chasser le locataire de son logis et estimant que les conditions d’évacuation proposées sont tout à fait raisonnables.
[46] Il nie tout indice de mauvaise foi, insistant sur le fait que sa démarche est légitime et qu’on lui reproche en fait, et à tort, de vouloir simplement moderniser un vieil immeuble.
[47] La hausse de loyer que craint le locataire sera balisée par les critères de fixation de loyer législatifs qui seront alors en vigueur, alors qu’il ne pourra, quant à lui, espérer récupérer son investissement avant nombre d’années.
[48] Ainsi se résume l’ensemble de la preuve et les prétentions des parties.
1) Le caractère raisonnable des travaux
[49] Retenons d’abord qu’il appert des articles précédemment cités qu’ils permettent au locateur d’améliorer un logement, ou d’y effectuer des réparations majeures non urgentes, en cours de bail, moyennant certaines conditions.
[50] Un tel droit a été
conféré au locateur lors d’une réforme du droit locatif, en 1987, par
l’adoption des articles
[51] En 1993, l’article
[52] Le législateur paraît donc avoir fait une brèche dans le droit de propriété en imposant au locateur de démontrer le caractère raisonnable des travaux majeurs projetés. Tel est la lecture qu’en fait l’auteur Jobin, tout en précisant que l’autrice Archambault souligne, dans un traité portant sur la Réforme du Code civil, qu’avant l’adoption de cet article, la jurisprudence du présent tribunal tenait également à s’assurer que les travaux prévus étaient bien des améliorations ou des réparations majeures au sens où le permet le Code civil. ([4])
[53] Ainsi, sous l’égide de
l’ancien code, le tribunal refusait-il les demandes de rénovations majeures qui
avaient pour conséquence de modifier la configuration du logement, changement
de forme que prohibe toujours l’article
[54] La Régie contrôlait également les abus et les situations qui lui apparaissaient relever d’une mauvaise foi flagrante, tout en rappelant le principe général voulant que le locateur puisse apporter des améliorations à son immeuble. ([6])
[55] Le locateur ayant ici renoncé à tout changement dans la configuration du logement, reste donc à se prononcer sur le caractère raisonnable, ou non, des travaux qu’il souhaite apporter au présent logement, voire à l’immeuble, et, implicitement, sur sa bonne foi dans la poursuite de ce projet.
[56] Notons que la loi ne définit pas ce qu’elle entend par une amélioration ou une réparation majeure non urgente.
[57] Selon la juge administrative Jodoin, au sens commun, « une amélioration » consiste en un ensemble de travaux ou de dépenses faites sur un bien et lui procurant une plus value4. De façon générale, une amélioration dans le logement visera à donner un aspect plus agréable ou de rendre plus fonctionnel les équipements même s'ils ne sont pas détériorés. À titre d'exemple, la réfection substantielle d'une salle de bain ou le remplacement des armoires de cuisine, de la tuyauterie ou du système électrique peuvent constituer une amélioration au sens de la loi. ([7])
[58] Quant aux réparations, elles visent la remise en état de ce qui est détérioré. Il s'agira, en somme, de corriger les éléments défectueux, de les remplacer ou les restaurer. ([8])
[59] Le terme « majeur » quant à lui réfère à ce qui est important, considérable, substantiel ou significatif. ([9])
[60] En pareil cas deux droits s’opposent et s’affrontent, soit le libre arbitre du locateur en ce qui a trait en ce qui trait aux améliorations ou aux réparations majeures non urgentes qu’il souhaite apporter à son immeuble et l’effet de ces travaux sur les droits des locataires, dont leur droit au maintien dans les lieux. ([10])
[61] Comme l’a soumis le locataire, une jurisprudence de la Cour du Québec maintes fois citée élaborait que pour en arriver à définir le caractère raisonnable des travaux projetés, des éléments tel que l’urgence des réparations, leur nécessité, l’intérêt des parties et les inconvénients causés devraient être considérés. ([11])
[62] Avec égards, notons toutefois qu’il est essentiellement question, en vertu des articles 1922 et suivants, d’améliorations, ou encore de réparations majeures non urgentes.
[63] Partant, à l’instar du
régisseur Joly dans la cause S.E.C. Complexe d’habitations
67 c. Vaillancourt, le tribunal a du mal à retenir que le
caractère d’urgence soit un élément essentiel devant être ici retenu, alors que
l’article
[64] Lorsque tel est le cas, le locateur peut exiger la dépossession temporaire des locataires sans passer par le mécanisme des avis et recours des articles 1922 et suivants. Si les réparations projetées ne sont pas urgentes, mais nécessaires pour assurer la conservation ou la jouissance du bien loué, le locateur doit préalablement obtenir l’autorisation du Tribunal, alors que le locataire dispose, quant à lui, de différents recours, dont celui d’exiger une indemnité en cas d’évacuation.
[65] Cet article s’applique à tous les types de baux, mais ne dit toutefois mot sur les améliorations qu’un locateur entend apporter à son immeuble.
[66] Les articles 1922 et suivants créent donc un autre régime particulier, cette fois en matière résidentielle, en ce qui a trait à celles-ci, de même qu’en ce qui concerne les réparations majeures non urgentes.
[67] Cela dit, le Tribunal estime donc que le fait que le locateur n’ait pu établir, en l’espèce, le caractère d’urgence de certains travaux, voire la nécessité qu’ils soient entrepris à très court terme, n’est pas fatal au recours, en tout respect pour la jurisprudence contraire et soumise par les locataires.
[68] En fait, le Tribunal estime qu’il doit d’abord et avant tout se pencher sur les intentions réelles du locateur au terme de la présente démarche pour juger de la raisonnabilité de celle-ci. Le but du locateur, voire sa bonne foi, doivent donc être recherchés, alors que l’évacuation pour cause d’amélioration ou de réparations majeures non urgentes constitue cette fois une brèche dans le droit au maintien dans les lieux des locataires.
[69] En effet, bien que le droit au maintien dans les lieux du présent locataire se trouve inévitablement ébranlé par les travaux projetés, tel droit n’est pas absolu. Par l’introduction d’un droit octroyé au locateur de procéder à des améliorations ou à des travaux majeurs non urgents, le législateur a aussi permis la conservation de la qualité des logements, tel que déjà mentionné, alors que le présent Tribunal se doit de garder tels droits en équilibre. ([13])
[70] Aussi, bien que le Tribunal possède un pouvoir d’intervention lorsqu’il lui apparaît que les travaux projetés sont déraisonnables ou abusifs, il importe de tenir compte, dans cette analyse, du droit du locateur d’améliorer son bien. Il paraît quelque peu antinomique de conclure que toute amélioration, ou réparation majeure, doit être absolument urgente et nécessaire, à court terme, afin qu’il puisse se voir autorisé à y procéder.
[71] Par ailleurs, contrairement aux cas d’agrandissements ou de reprises de logement, le législateur permet au locataire de réintégrer son logement, au terme des travaux.
[72] En l’instance, le Tribunal est face à un projet de modernisation d’un immeuble et de ses logements, lesquels n’ont pas fait l’objet de rénovations importantes depuis près de 70 ans, hormis la réfection des balcons et des fenêtres, éléments qui demeureront tels quels, au demeurant.
[73] Par ailleurs, le Tribunal ne doute pas de l’intention de ce dernier d’effectuer les travaux décrits. Le permis requis est en vigueur et le contrat avec l’entrepreneur, conclu.
[74] Réitérons que le projet est des plus certain, voire concret, alors que 62 des 65 locataires de cet immeuble ont implicitement acquiescé à celui-là en prenant les dispositions qui leur convenaient avec le locateur, tel que précisé par ce dernier.
[75] Cette modernisation n’apparaît pas abusive, ni même somptuaire, alors qu’il est aisé de concevoir qu’après toutes ces années, il soit raisonnable, voire nécessaire de moderniser les composantes visées par l’avis donné par le locateur.
[76] De plus, rien ne démontre ici que le locateur cherche à évincer le locataire de son logis, alors qu’il consent à annuler tout plan qui aurait pour conséquence de modifier l’état des lieux et s’engage à respecter les divisions existantes, devant la volonté du locataire de ne pas voir cette configuration modifiée.
[77] Qui plus est, une étude de la jurisprudence soumise par le locataire met aussi en évidence que des projets de rénovations refusés démontraient qu’en filigrane, une intention de transformer les logements en condominiums pour une vente éventuelle pointait à l’horizon. ([14])
[78] Or, en l’instance, tout porte à croire que le locateur ne souhaite aucunement soustraire cet immeuble du marché locatif, alors que son intention de le moderniser, après 70 ans, paraît légitime. ([15])
[79] Au surplus, l’immeuble ne deviendra pas pour autant un « immeuble neuf », de sorte que le locataire conservera son droit à la fixation du loyer, pour l’avenir.
[80] Bref, le tribunal
estime que le projet soumis respecte les dispositions des articles
2) Les conditions de l’évacuation
[81] En ce qui a trait à la durée de l’évacuation temporaire, le locateur soumet un échéancier des travaux lors de l’audience.
[82] Celui-ci fait état de travaux devant s’échelonner du 7 septembre 2020 au 19 août 2021, de sorte qu’une période d’évacuation sera inévitable.
[83] Pour le locataire, tout déplacement sera pénible, tel que déjà souligné, mais une période de 12 mois lui paraît déjà moins problématique que la période de 14 mois initialement prévue par le locateur, surtout en termes de relocalisation.
[84] Cela étant, compte tenu de la nature des travaux et de leur ampleur, le Tribunal estime qu’une période d’évacuation de l’ordre de 12 mois est ici raisonnable, soit du 1er septembre 2020 au 31 août 2021.
[85] Le locataire pourra toutefois quitter temporairement son logis actuel au plus tard le 5 septembre 2020. Les travaux ne doivent débuter que le lundi 7 septembre, alors que le Tribunal se doit de tenir compte du court délai restant à courir jusqu’à cette évacuation, lequel pouvant s’expliquer par les impondérables reliés à la COVID-19.
[86] En ce qui a trait à l’indemnité payable pour le relogement temporaire du locataire, le locateur fait valoir que son offre de le reloger dans l’un de ses logements de la rue Athlone est tout à fait raisonnable, immeuble situé à quelques rues du présent logement, explique-t-il.
[87] Le locataire souhaite, quant à lui, avoir le libre choix de son logement temporaire, notamment pour les raisons précédemment expliquées.
[88] Toutefois, alors qu’il paie actuellement un loyer de 990 $ par mois, il lui en coûtera facilement 600 $ de plus par mois afin de louer un logement disponible le, ou vers le 1er septembre, dans l’un des immeubles avoisinants l’immeuble ici concerné, soit dans le centre-ville commercial de Ville Mont-Royal, selon la preuve qu’il soumet, à cet égard particulier.
[89] Tel que déjà relaté, il fait valoir qu’il est âgé et qu’il supporterait difficilement un déracinement qui l’obligerait à se déplacer de plusieurs rues pour se rendre à la pharmacie ou à l’épicerie, soulignant que l’immeuble de la rue Athlone est situé dans un tout autre secteur que le présent immeuble.
[90] Aussi demande-t-il que le Tribunal lui attribue cette différence monétaire entre le loyer présentement payé et celui d’un logement temporaire de son choix et ce, jusqu’à concurrence d’une somme de 600 $ par mois, selon le document présenté.
[91] Le locateur réitère être prêt à payer une somme maximale de 400 $ par mois, à ce titre, si le locataire refuse d’emménager sur la rue Athlone, soulignant lui offrir un logement neuf, dont il serait le premier occupant, alors qu’il est situé à proximité de certains commerces, lui aussi.
[92] À l’instar du juge administratif Cloutier dans l’affaire 9193-7094 Québec inc. c. Frève, le Tribunal estime que si le locateur a le droit légitime de rénover son immeuble pour les raisons précédemment mentionnées, le locataire a le droit, quant à lui, d’exiger d’être indemnisé d’une manière adéquate et raisonnable pour que son évacuation soit la moins dérangeante possible. ([16])
[93] Aussi, en raison de l’âge du locataire et des conditions particulières engendrées par la pandémie de la COVID-19, le Tribunal estime raisonnable de lui permettre de se reloger à proximité du présent logement, soit dans le même quartier, si tel est son choix, afin qu’il continue d’avoir accès aux mêmes services.
[94] À cet égard, le Tribunal est convaincu, de la preuve, qu’une somme de 600 $ par mois, en sus du loyer de 990 $ actuellement payé, sera nécessaire pour lui permettre de se reloger temporairement dans ce quartier.
[95] Quant aux frais de déménagement, le Tribunal estime juste et raisonnable que le locateur paie au locataire un montant maximal de l’ordre de 1 500 $, plus taxes, afin qu’il puisse procéder à son déménagement avec l’aide de déménageurs professionnels, sur présentation des pièces justificatives, et ce, à l’aller comme au retour.
[96] Telle somme pourra inclure les frais d’emballage de certains effets, si le locataire juge opportun de s’adjoindre une telle aide.
[97] Le locateur devra également, s’il y a lieu, rembourser au locataire les frais raisonnables d’entreposage de biens non nécessaires lors de son évacuation, sur présentation des pièces justificatives.
[98] Le locateur devra aussi rembourser au locataire les frais d’installation du service téléphonique, de transfert des services d’Internet et de câble TV, d’assurance, le cas échéant, de même que du service postal, sur présentation des pièces justificatives, et ce, autant pour son logement temporaire qu’au retour dans son logement.
[99] Il va de soi que le locataire ne sera pas tenu de payer le loyer du présent logement pendant la période de l’évacuation.
[100] Le préjudice causé au locateur justifie l'exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à l'article 82.1 de la Loi sur la Régie du logement[17].
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[101] DÉCLARE opportune l’évacuation temporaire du locataire afin que le locateur procède aux travaux décrits à l’avis du 27 mars 2020 du 5 septembre 2020 et jusqu’au 31 août 2021;
[102] FIXE les conditions suivantes pour l’exécution des travaux :
A) ORDONNE l’évacuation du locataire à compter du 5 septembre 2020 et jusqu’au 31 août 2021 et le dispense du paiement du loyer de son logis actuel à compter du 1er septembre 2020, et pendant toute la période de son évacuation;
B) Le locateur paiera aux locataires :
1. ORDONNE au locateur de mettre à la disposition du locataire l’un des logements situés dans son immeuble de la rue Athlone moyennant un loyer de 990 $ par mois;
OU, selon le choix du locataire:
ORDONNE au locateur de payer au locataire la somme maximale de 600 $ par mois pour sa relocalisation dans un logement de son choix, soit la différence entre le loyer payé actuellement et le loyer éventuellement payable, sur présentation du bail conclu pour son logement temporaire.
2. ORDONNE au locateur de payer au locataire ses frais de déménagement, à l’aller comme au retour, jusqu’à une somme maximale de 1500 $, plus taxes, chaque fois, sur présentation des pièces justificatives;
3. ORDONNE au locateur de payer au locataire les frais d’entreposage des biens non nécessaires durant sa période d’évacuation, le cas échéant, sur présentation des pièces justificatives;
4. ORDONNE au locateur de payer au locataire les frais d’installation ou de transfert des services et utilités de base, notamment les frais de la téléphonie, de l’Internet, du câble TV, le cas échéant, et du changement d’adresse postale, et ce, tant pour le logement temporaire que pour le logement ici en cause, lors du retour dans celui-là;
C) PERMET la réintégration du locataire dans son logis actuel à compter du 1er septembre 2021;
D) ORDONNE l’exécution provisoire de la présente décision, malgré appel, à compter du 11ième jour de sa date.
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Luce De Palma |
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Présence(s) : |
le mandataire du locateur Me Serge Laflamme, avocat du locateur le locataire |
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Date de l’audience : |
7 août 2020 |
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[1] L.Q., chap.77, art. 8
[2] Pierre-Gabriel JOBIN, Le louage de choses, Montréal, les Editions Yvon Blais, p.316, no.127
[3] Nicole ARCHAMBAULT, Droits des obligations du louage dans la Réforme du Code Civil, Ste Foy, Les Presse de l’Université Laval, 1993, p. 662;
[4]
Pierre-Gabriel JOBIN, Le louage, deuxième édition, Cowansville,
Les Editions Yvon Blais, 1996, p. 239, no. 93; Caron c. Cournoyer,
[5] Fortin c. Masse, précitée, note 4.
[6] Caron c. Cournoyer, précitée, note 4; Sharples Loreilei c. Bernard, précitée, note 4.
[7]
9213-9328 Québec inc. c. Campeau, Régie du
logement, Montréal,
[8] Id.
[9] Id.
[10]
9213-9328 Québec inc. c. Petiote, 2010,
CanLii 146185 (QCRDL); S.E.C. Complexe D’habitations 67 c.
Vaillancourt,
[11] Bercovitch c. Caprera, EYB, 1996-30197 (C.Q., Montréal, j. B. Tellier).
[12] Complexe D’habitations 67 c. Vaillancourt, précitée note 8.
[13] Sharples Loreili c. Bernard, précitée note 4;
[14] 9203-7167
Québec inc. c. Falardeau, Régie du logement, Montréal,
[15] 9193-7094 Québec inc. c. Frève, 2011 CanLii 111253 (QCRDL)
[16] Id.
[17] RLRQ, c. R-8.1.
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