Greenspoon Winikoff c. Northern Brite Distilleries inc. | 2025 QCCQ 3610 |
COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
DISTRICT DE | MONTRÉAL |
Chambre civile |
N° : | 500-22-275862-236 |
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DATE : | 5 août 2025 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | DOMINIQUE LAUNAY, J.C.Q. |
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GREENSPOON WINIKOFF S.E.N.C.R.L. |
Partie demanderesse |
c. |
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NORTHERN BRITE DISTILLERIES INC. |
Partie défenderesse |
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JUGEMENT
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APERÇU
- La défenderesse est une entreprise qui vend et distribue des boissons alcoolisées. Elle requiert les services d’un avocat pour la représenter dans le cadre d’un litige concernant un conflit entre ses actionnaires.
- La demanderesse est un cabinet d’avocats au sein duquel travaille Me Matthew Meland, à titre d’avocat salarié. Il connaît la défenderesse puisqu’il a déjà effectué des mandats pour elle et souhaite la représenter dans ce dossier.
- Voulant encourager Me Meland à développer sa propre clientèle et considérant que la défenderesse ne représente pas un client d’envergure, la demanderesse accepte qu’il puisse desservir la défenderesse sur la base d’une convention d’honoraires à pourcentage (« Convention »). Me Meland transmet donc une proposition en ce sens à la défenderesse.
- Le 9 mai 2020, la défenderesse accepte les termes de cette Convention et Me Meland commence son travail dans le dossier. Soulignons qu’elle ne contient rien de particulier en cas de transfert de dossier.
- En avril 2022, Me Meland annonce son projet de rejoindre un autre cabinet d’avocats, celui où travaille son père et qu’il va donc quitter celui de la demanderesse.
- Par la suite, Me Meland prépare sa transition de cabinets et dresse la liste des clients qu’il souhaite transférer avec lui à son nouveau cabinet, incluant celui de la défenderesse. Puis, il convient avec la demanderesse des modalités concernant le transfert du dossier de la défenderesse.
- Le 3 juin 2022 est son dernier jour de travail chez la demanderesse.
- Dans les jours suivants, le dossier de la défenderesse est transféré au nouveau cabinet.
- Après que ce transfert s’opère, Me Howard Greenspoon, avocat associé chez la demanderesse, constate que Me Meland a travaillé un nombre important d’heures pour le compte de la défenderesse avant son départ. Il s’aperçoit aussi que ce dossier a été mis en état avant qu’il ne quitte le cabinet.
- Selon Me Greenspoon, il est injuste que son cabinet qui a payé le salaire de Me Meland pour mettre le dossier en état ne reçoive aucune compensation dans le cas où des sommes sont recouvrées dans le dossier de la défenderesse. Il propose alors à Me Meland un partage entre les cabinets des sommes recouvrées au prorata des heures travaillées par chaque cabinet.
- Me Meland répond que sa cliente refuse puisque la demanderesse a accepté le transfert des dossiers dans la mesure où elle a conservé le dépôt de 8 000 $ prévu à la Convention.
- Le 8 décembre 2022, la demanderesse transmet une mise en demeure à la défenderesse, réclamant la valeur des services rendus par Me Meland avant le 3 juin 2022, soit 41 673,22 $.
- La défenderesse ne répond pas à cette mise en demeure.
- Selon la demanderesse, les honoraires pour les services rendus par le cabinet avant le départ de Me Meland doivent être calculés sur la base du principe du quantum meruit. Elle allègue que la défenderesse a mis fin à la Convention en donnant instruction à Me Meland de continuer à la représenter au sein du nouveau cabinet.
- La défenderesse soutient plutôt que la demanderesse a volontairement mis fin à la Convention puisqu’elle a accepté, en contrepartie de conserver le dépôt de 8 000 $, que son dossier soit transféré au nouveau cabinet.
QUESTION EN LITIGE
- La demanderesse peut-elle réclamer que les honoraires pour les services professionnels rendus avant le départ de Me Meland soient calculés sur la base du quantum meruit? Si oui, à combien se chiffrent-ils?
ANALYSE
- En principe, en l’absence de convention expresse entre l’avocat et son client, l’avocat a droit à ses honoraires et frais sur la base de la valeur des services rendus[1]. En effet, dans un tel cas, le client peut mettre fin en tout temps au contrat de service le liant à son avocat, pourvu qu’il paie la valeur des services rendus jusqu’à la date de résiliation[2].
- La Cour d'appel définit l'expression d'une action intentée à la valeur des services effectivement rendus ou “au quantum meruit” de la façon suivante[3]:
« Le principe du quantum meruit s'applique lorsqu’aucun accord n'a fixé le prix d'un service ou d'une marchandise, lorsque la totalité du service ou de la marchandise n'a pu être rendue, ou lorsque le contrat prévoyant le prix/rémunération est atteint de nullité ou ne peut avoir d'effet comme c'est le cas en l'espèce. L'article 126(3) Loi sur le Barreau prévoit le paiement des honoraires sur la base du quantum meruit »
(Références omises)
- Ainsi, le principe du quantum meruit est utilisé pour déterminer le montant des honoraires qui sont dus à un entrepreneur ou un professionnel en l’absence d’une convention d’honoraires avec son client[4].
- De plus, la jurisprudence reconnaît que, dans certaines circonstances, lorsqu’une convention d’honoraires à pourcentage ne peut plus être exécutée sans aucune faute de la part de l’avocat, il peut réclamer le paiement de ses honoraires sur la base du quantum meruit.
- C’est le cas lorsqu’un avocat se retire du dossier, car il est incapable de communiquer avec son client, en raison du comportement négligent de son client[5] ou s’il n’a pas donné suite aux demandes répétées de l’avocat[6]. Il en est de même lorsque l’avocat doit se retirer du dossier, car il a perdu confiance en son client[7] ou encore lorsque le client met fin au mandat, puisqu’il n’a plus confiance en son avocat[8].
- Toutefois, à la lumière de l’ensemble de la preuve, le Tribunal conclut que la notion du quantum meruit ne s’applique pas aux faits du présent litige. Voici pourquoi.
- Voyons d’abord les principaux termes de la Convention convenue entre les parties. Ils sont les suivants :
- La défenderesse verse un dépôt non remboursable de 8 000 $, payé en quatre versements mensuels de 2 000 $;
- Christopher Kajacks (président de la défenderesse) et la défenderesse sont conjointement et solidairement responsables du paiement de tous les frais (huissier, sténographe, messagerie, timbres judiciaires, expertise, etc.);
- Dans le cas où un montant est récupéré, que ce soit à la suite d’un jugement ou par le biais d’un règlement négocié, la demanderesse retient un pourcentage calculé comme suit :
- 30 % des premiers 100 000 $ (0 à 100 000 $);
- 25 % des 50 000 $ suivants (100 000 $ à 150 000 $);
- 20 % des 350 000 $ suivants (150 000 $ à 500 000 $);
- 15 % de tout montant supérieur à 500 000 $ (500 000 $ et plus).
- Cette entente s’applique uniquement aux procédures devant un tribunal de première instance.
- Par conséquent, en acceptant cette Convention, il est clair que la demanderesse accepte de fournir des services professionnels en ne tenant compte que du résultat obtenu, sans égard à la difficulté du dossier ou au temps requis pour le mener à terme. Il est même possible qu’elle ne reçoive aucune compensation si aucune somme n’est recouvrée, et ce, malgré les heures investies dans le dossier en cause.
- Tel que mentionné précédemment, cette Convention ne prévoit aucun mode alternatif de paiement des honoraires advenant le cas où elle ne peut être exécutée ou si d’autres éventualités se produisent.
- Par ailleurs, s’agissant d’un contrat de service entre les parties, il importe d’analyser les circonstances entourant sa résiliation.
- La preuve révèle que Me Greenspoon et Me Meland, avant que Me Meland ne quitte le cabinet de la demanderesse, se mettent d’accord sur les modalités du transfert du dossier de la défenderesse : la demanderesse y consent dans la mesure où elle conserve le dépôt de 8 000 $ prévu à la Convention.
- La demanderesse ne pose aucune autre condition avant de permettre le transfert du dossier. Et, Me Greenspoon comprend que la défenderesse souhaite que Me Meland poursuive le mandat puisqu’ils ont développé une relation de confiance.
- Par conséquent, à la suite du départ de Me Meland le 3 juin 2022, le dossier de la défenderesse est effectivement transféré au nouveau cabinet.
- La demanderesse confirme elle-même le transfert du dossier aux parties qui y sont impliquées. En effet, le 7 juin 2022, Me Greenspoon reçoit un courriel de la partie adverse souhaitant obtenir des documents de la part de Me Meland. Il répond en indiquant que ce dernier a quitté le cabinet et transmet ses nouvelles coordonnées afin d’obtenir les informations concernant ce dossier.
- De plus, le 13 juin 2022, une substitution d’avocats est déposée au dossier de la cour indiquant que la défenderesse est dorénavant représentée par le nouveau cabinet où travaille Me Meland.
- Me Greenspoon affirme que ce n’est qu’à la suite du transfert qu’il constate le nombre important d’heures travaillées par Me Meland dans ce dossier. Et, fort de ce constat, il propose une solution plus équitable à Me Meland afin que le cabinet puisse être compensé pour son apport au dossier.
- Des discussions ont lieu entre Me Greenspoon et Me Meland. Finalement, Me Meland indique que sa cliente n’est pas d’accord avec cette proposition, puisqu’elle modifie l’entente convenue permettant le transfert du dossier.
- Puis, en décembre 2022, la défenderesse reçoit la mise en demeure et comprend alors que la demanderesse lui réclame maintenant les honoraires calculés sur la base d’un taux horaire pour le travail effectué par Me Meland.
- Le Tribunal est d’avis que par ses propos et comportements, la demanderesse a laissé entendre que la Convention a pris fin avec le transfert du dossier aux conditions initialement convenues entre Me Meland et Me Greenspoon.
- En effet, la preuve révèle que le dossier de la défenderesse est transféré au nouveau cabinet avec l’accord de la demanderesse, qui a conservé le dépôt de 8 000 $, sans autres conditions.
- La preuve révèle également qu’avant ce transfert, la demanderesse n’a eu aucune communication directe avec la défenderesse sur le sort de la Convention ou le paiement éventuel d’honoraires.
- Or, le Tribunal est d’avis que si la demanderesse avait l’intention de réclamer des honoraires advenant le cas où la Convention ne puisse être exécutée, il avait l’obligation d’informer adéquatement la défenderesse des conséquences, et notamment du fait que dans une telle situation, les honoraires seraient évalués sur la base des services rendus. La demanderesse avait également l’obligation de l’informer du nombre d’heures en cause et des taux horaires des professionnels[9].
- Ces informations auraient incontestablement permis à la défenderesse d’évaluer la situation et de prendre une décision éclairée.
- La défenderesse a certes indiqué à Me Meland qu’elle autorisait le transfert de son dossier au nouveau cabinet, puisqu’elle souhaitait continuer à travailler avec lui. Mais, au moment où elle prend cette décision, la seule condition concerne le dépôt de 8 000 $. Il n’est aucunement question que la demanderesse envisage de lui réclamer le paiement des honoraires pour les services rendus.
- Le Tribunal est d’avis que la défenderesse n’a posé aucun geste qui puisse justifier l’application du principe du quantum meruit dans le présent dossier. Elle n’a pas agi de manière à empêcher l’application de la Convention. Elle a compris que la Convention a pris fin lorsque la demanderesse autorise le transfert.
- Le Tribunal conclut que la Convention n’a pas été exécutée à la suite de l’autorisation donnée par la demanderesse. Il n’en tenait qu’à elle de clarifier la situation directement avec la défenderesse avant le transfert du dossier. Elle avait en sa possession tous les faits pertinents et pouvait en prendre connaissance avant d’accepter le transfert du dossier.
- Par conséquent, le Tribunal rejette la demande introductive d’instance de la demanderesse.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- REJETTE la demande introductive d’instance de la demanderesse;
- LE TOUT avec frais de justice.
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| __________________________________ DOMINIQUE LAUNAY, J.C.Q. |
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GREENSPOON WINIKOFF S.E.N.C.R.L. (Me Sébastien Dubois) |
Procureurs de la partie demanderesse |
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ALLEN MADELIN INC. (Me Dorin Holban) |
Procureurs de la partie défenderesse |
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Date d’audience : | 14 février 2025 |
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[1] Loi sur le Barreau, art. 126(3).
[2] Code civil du Québec, art. 2125, 2129.
[3] Miller c. Avrith, 2000 CanLII 10388 (QC CA), par. 7.
[4] Voir par exemple : Penterman c. Ranger, 2013 QCCA 729; par. 15; Tortorici c. K & K Construction, 2020 QCCA 1583, par. 20; Jean-Guy Provencher, avocat c. Voghell, 2017 QCCQ 6468, par. 29; Sodavex inc. c. Lupien, 2016 QCCQ 862, par. 37.
[5] Sanft c. Pinto, 2015 QCCS 5362, par. 17, 18.
[6] Jutras c. Duval, 2012 QCCQ 653, par. 24 à 26.
[7] Boutin c. Larochelle, 2000 CanLII (QC CQ), par. 29.
[8] Claude St-Laurent c. Tommy Laflamme, 2008 QCCQ 6388, par. 29 et suiv.
[9] Code de déontologie des avocats, art. 3.08.04 et 3.08.05.