Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Granit Design inc. et Raycraft

2012 QCCLP 3679

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Sherbrooke

8 juin 2012

 

Région :

Estrie

 

Dossiers :

448034-05-1108      457737-05-1112      461987-05-1202

462376-05-1202

 

Dossier CSST :

134073287

 

Commissaire :

Annie Beaudin, juge administratif

 

Membres :

Nicole Girard, associations d’employeurs

 

Philip Danforth, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

448034          461987          462376

457737

 

 

Granit Design inc.

Granit Design inc.

Partie requérante

Partie requérante

 

 

et

 

 

 

Andrew Raycraft

 

Partie intéressée

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

Dossier 448034

 

[1]           Le 25 août 2011, Granit Design inc., l’employeur, dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 20 juillet 2011 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 16 juin 2011 et qui déclare qu’à la suite de l’avis du Bureau d’évaluation médicale, la CSST est justifiée de poursuivre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se prononce sur la capacité du travailleur étant donné la présence de limitations fonctionnelles.

Dossier 461987

 

[3]           Le 9 février 2012, l’employeur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 9 janvier 2012 à la suite d’une révision administrative.

[4]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 16 septembre 2011 et qui déclare que le travailleur a droit à la réadaptation que requiert son état, compte tenu des conséquences de sa lésion professionnelle.

Dossier 462376

 

[5]           Le 13 février 2012, l’employeur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 11 janvier 2012 à la suite d’une révision administrative.

[6]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 17 novembre 2011 et qui déclare que la CSST est justifiée de référer le travailleur à un organisme spécialisé afin de l’aider à trouver un stage en milieu de travail.

Dossier 457737

[7]           Le 20 décembre 2011, l’employeur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 23 novembre 2011 à la suite d’une révision administrative.

[8]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 29 septembre 2011. Elle déclare que l’employeur a démontré un motif raisonnable pour être relevé de son défaut d’avoir déposé la demande de transfert de coût en dehors du délai prévu à la loi, mais que l’employeur doit être imputé de la totalité du coût des prestations.

[9]           L’audience s’est tenue à Sherbrooke le 3 mai 2012 en présence du travailleur et du représentant de l’employeur pour ce qui est des trois premiers dossiers. Le témoignage du travailleur se déroule en anglais. Le reste de l’audience de ces dossiers se déroule en français et en anglais.

[10]        Quant à l’audience pour le dossier 457737, elle se déroule sans la présence du travailleur, ni celle des membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales.

[11]        Tous les dossiers ont été mis en délibéré le 3 mai 2012.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[12]        L’employeur, par le biais de son représentant, demande de déclarer que la procédure relative à la demande au Bureau d’évaluation médicale est irrégulière, que les conclusions qui en découlent devraient donc être annulées et que celles du Rapport d’évaluation médicale du 19 février 2010 devraient être confirmées. Selon le représentant de l’employeur, conséquemment, le travailleur n’aurait pas droit à la réadaptation.

[13]        Subsidiairement, si la Commission des lésions professionnelles conclut que la procédure relative à la demande au Bureau d’évaluation médicale est régulière, le représentant de l’employeur demande un transfert de l’imputation pour la période postérieure au 22 juin 2009, à l’exclusion des coûts reliés à l’atteinte permanente à l’intégrité physique.

LA PREUVE

[14]        Le 21 décembre 2008, le travailleur est opérateur de scie chez l’employeur et il subit un accident du travail lorsqu’une pièce de granit tombe et écrase son index gauche.

[15]        Le 3 février 2009, la CSST accepte la réclamation du travailleur à titre d’accident du travail avec le diagnostic d’écrasement de l’index gauche.

[16]        Le 22 juin 2009, le médecin qui a charge, soit le docteur Orfali, remplit le rapport final avec consolidation le jour même. Il coche oui pour une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et non pour les limitations fonctionnelles.

[17]        Le 19 février 2010, le docteur Orfali produit le rapport d’évaluation médicale dans lequel il précise :

1. Le 21 décembre 2008, fracture comminutive ouverte par écrasement phalange proximale index gauche avec lacération du tendon extenseur et lacération de la main.

2. Œdème de l’index à l’usage intense

    Difficulté à la flexion

     Frilosité

[…]

9. Pas de limitation fonctionnelle.

 

[18]        Il conclut à un déficit anatomo-physiologique de 3,75 % et à un préjudice esthétique de 4,5 %.

[19]        Le 17 mai 2010, le travailleur transmet une réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation, laquelle est refusée le 15 octobre 2010. Cette décision n’a pas fait l’objet d’une contestation.

[20]        Dans les notes évolutives au dossier, jusqu’au 7 avril 2009, la même agente écrit les interventions. Puis, le 22 avril 2009, une autre agente intervient.

[21]        Le 13 juillet 2010, une troisième agente écrit :

Titre : Nouvelle du T

-ASPECT MÉDICAL :

M. Brousseau représentant de T nous informe qu’il a revu Dr Orfali en mai et une amputation serait envisagée. T serait arrivé chez son ami dans un état de panique car il ne souhaite pas se faire amputer. T ne peut utiliser son index et tout ce qu’il désire est de faire soigner correctement son doigt pour reprendre le travail.

 

Après discussion avec le représentant du T, il est convenu qu’une deuxième opinion sera demandée à un autre médecin avant d’envisager l’amputation, donc pour le moment il n’y a pas de signe de détérioration de sa condition physique.

[sic]

 

 

[22]        On peut lire une intervention d’une quatrième agente en date du 28 octobre 2010 avec le titre « Position administrative CSST » :

-ASPECT LÉGAL :

Considérant le REM du Dr. Orfali en date du 2009-12-21 qui indique 8,95% APIPP au niveau de l’index gauche dont 3,5% au niveau de la cicatrice.

Considérant le fait accident décrit le 2008-12-21, et les difficultés que le travailleur à la CSST.

Le dossier a été vu en équipe multi, et nous voulons être certain à savoir si le travailleur a ou pas des limitations fonctionnellesé.

Le dossier sera soumis au bureau de notre service médical dans le but de demander une expertise médicale (204) au niveau des limitations fonctionnelles seulement.

[sic]

 

 

[23]        Le docteur Hyacinthe, qui a vu le travailleur le 17 février 2011 à la demande de la CSST, rend son expertise médicale le 11 mars 2011. Après avoir fait une revue du dossier et rapporté son examen, il écrit en conclusion et en réponse aux questions :

Conclusion :

Monsieur Andrew Raycraft a subi une fracture par écrasement de la première phalange de l’index gauche au travail le 21 décembre 2008.

Il a été pris en charge par le Dr Orfali, chirurgien plastique, au Centre hospitalier de l’Université de Sherbrooke, qui a procédé à une réduction ouverte et ostéosynthèse de la fracture avec immobilisation sur une attelle et arrêt de travail.

Il a été référé en rééducation après exérèse de l’attelle, mais il a développé une ankylose du doigt avec limitations fonctionnelles associées à la douleur, dysesthésie et hypersensibilité au froid le portant à éliminer l’index au travail et dans les activités de la vie quotidienne et domestique.

L’examen fait en vue de produire ce rapport a révélé :

- une ankylose vicieuse de l’index gauche au niveau des articulations IPP et IPD;

- une hypoesthésie avec dysesthésie de la moitié radiale de l’index sur les trois phalanges secondaire à une atteinte du nerf collatéral externe;

- une cicatrice vicieuse de 3,2 cm2.

Le travailleur a des limitations fonctionnelles importantes pour tous les gestes nécessitant la pince bidigitale et tridigitale, la dextérité fine, la dextérité bimanuelle et les gestes répétitifs avec la main gauche en raison de la perte de mobilité de l’index gauche.

 

Réponses aux différentes questions :

1. Existence de limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle :

·         Considérant le fait accidentel rapporté et le diagnostic de fracture ouverte par écrasement de la première phalange de l’index gauche retenu par la CSST;

·         Considérant la réduction ouverte de la fracture avec ostéosynthèse, l’ankylose développée au cours de l’évolution et la consolidation des lésions par le médecin traitant;

·         Considérant les plaintes du travailleur et les trouvailles de l’examen fait en vue de produire ce rapport;

Il y a limitations fonctionnelles de la main gauche secondaires à l’ankylose vicieuse associée à une atteinte nerveuse de l’index gauche.

2. Évaluation des limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle :

 

Le travailleur a une perte de dextérité fine qui le limitera pour la manipulation des petits objets et dans tous les gestes nécessitant la pince bidigitale et tridigitale.

Il est également fortement limité pour la préhension des gros objets avec la main gauche ainsi que pour les gestes répétitifs en raison de la perte d’enroulement et de l’ankylose de l’index gauche qui reste dans une position accrochante.

Il présente également une dysesthésie qui l’obligera à porte une protection thermique lors d’exposition à un milieu froid.

Il sera également fortement limité pour grimper, tirer, tordre ou manipuler des objets avec la main gauche.

[sic]

 

 

[24]        À la réception de ce rapport, la CSST soumet une demande au Bureau d’évaluation médicale afin qu’il se prononce quant aux limitations fonctionnelles.

[25]        Le 6 juin 2011, le Bureau d’évaluation médicale rend son avis et conclut aux limitations fonctionnelles suivantes :

 

Éviter un travail nécessitant :

- une manipulation fine de petits objets entre le pouce et l’index

- la préhension de gros objets de façon soutenue seulement avec la main gauche.

- des mouvements répétitifs avec la main gauche

- de grimper, de s’agripper et de tordre des objets avec la main gauche

Éviter un travail où il y a exposition au froid sans protection,

Éviter de tirer, soulever ou pousser des charges de plus de 5 kg avec la main gauche

 

 

[26]        Le 16 juin 2011, la CSST rend une décision dans laquelle elle déclare justifié de poursuivre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se prononce sur la capacité du travailleur étant donné la présence de limitations fonctionnelles.

[27]        Le 20 juillet 2011, la CSST confirme cette décision, d’où la contestation dans le dossier 448034.

[28]        Le 29 juillet 2011, l’employeur transmet à la CSST une demande de transfert d’imputation du coût des prestations à compter du 4 avril 2009, date de retour au travail du travailleur, aux employeurs de toutes les unités.

[29]        Le 16 septembre 2011, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare que le travailleur a droit à la réadaptation que requiert son état, compte tenu des conséquences de sa lésion professionnelle.

[30]        Le 29 septembre 2011, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse la demande de transfert de l’imputation de l’employeur.

[31]        Le 17 novembre 2011, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare qu’elle est justifiée de référer le travailleur à un organisme spécialisé afin de l’aider à trouver un stage en milieu de travail.

[32]        Le 23 novembre 2011, la CSST confirme sa décision du 29 septembre 2011 d’où la contestation dans le dossier 457737.

[33]        Le 9 janvier 2012, la CSST confirme sa décision du 16 septembre 2011 d’où la contestation dans le dossier 461987.

[34]        Le 11 janvier 2012, la CSST confirme sa décision du 17 novembre 2011, d’où la contestation dans le dossier 462376.

[35]        À la demande du tribunal, le travailleur témoigne succinctement. Il explique que selon lui, il est retourné au travail trop tôt, après environ deux mois. Il faisait son travail, mais c’était douloureux et son doigt enflait.

[36]        L’hiver suivant, il est mis à pied et lorsqu’il retourne au travail au printemps 2010, il vit des difficultés importantes à faire le polissage, particulièrement au contact de l’eau froide, ce qui l’amène à cesser de travailler en mai 2010. On l’incite alors à faire une réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation, ce qu’il fait.

[37]        Dans le cadre de l’audience tenue pour le dossier 457737, le représentant de l’employeur dépose le document « Portrait du travailleur » (E-1) fournissant les informations suivantes :

Date d’événement

Motif d’autorisation

Nombre de jours

Montant

Période

2008-12-21

PERIODE OBLIG.

14,0

1 140.23$

2008-12-22 au 2009-01-04

 

CONSOL MEDICALE

153,0

2 650.40$

2009-01-05 au 2009-06-06

 

CONSOL MEDICALE

8,0

0.00$

2009-06-14 au 2009-06-21

 

INT. POST 14 JOURS

901,0

357.60$

2009-01-29 au 2011-07-18

 

EVAL. CAP. TRAV.

810,0

38 387.11$

2009-06-22 au 2011-09-09

 

PRISE EN CH. READ

96,0

5 714.88$

2011-09-10 au 2011-12-14

 

EMP CONV NON DISP

113,0

6 838.17$

2011-12-15 au 2012-04-05

 

Total de l’événement

2095,0

55 088,39$

 

 

Total au dossier

2095,0

55 088, 39$

 

 

 

L’AVIS DES MEMBRES

Dossiers 448034, 461987, 462376

 

[38]        Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales sont d’avis de rejeter les requêtes de l’employeur. Ils considèrent que le dossier ne nous révèle pas tous les éléments relatifs au délai que la CSST a mis à se prévaloir de l’article 204 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), lequel délai n’est imputable ni au travailleur, ni à l’employeur.

[39]        Ils estiment que l’article 204 de la loi ne prévoit pas de délai, que le travailleur n’a pas à être pénalisé à cause du délai et que les circonstances particulières de ce dossier justifient de maintenir les conclusions de la CSST à la suite de l’avis du Bureau d’évaluation médicale.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

Dossiers 448034, 461987, 462376

 

[40]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la procédure relative à la demande au Bureau d’évaluation médicale est irrégulière. Plus précisément, la question est de savoir si la CSST était justifiée de demander une seconde opinion qu’elle a obtenue le 11 mars 2011 du docteur Hyacinthe alors que le médecin qui a charge, le docteur Orfali, avait émis le rapport final le 22 juin 2009 et le rapport d’évaluation médicale le 19 février 2010.

[41]        La loi prévoit la possibilité pour la CSST de demander que le travailleur se soumette à un examen médical en vue d’obtenir un rapport écrit d’un médecin qu’elle désigne:

204.  La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.

 

La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115 .

__________

1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.

 

 

[42]        Cette disposition constitue le pendant pour l’employeur de la disposition suivante :

212.  L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :

1° le diagnostic;

 

2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;

 

3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;

 

4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;

 

5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.

 

L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.

__________

1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.

 

 

[43]        La lecture des deux dispositions montre que contrairement à la possibilité offerte à l’employeur qui doit agir dans les 30 jours de la réception de l’attestation ou du rapport qu’il souhaite contester, la CSST n’est pas contrainte à agir dans un délai déterminé dans la loi.

[44]        Le représentant de l’employeur a fait valoir que la CSST se devait d’agir dans un délai raisonnable et que parmi les délais contenus à la loi, le plus long constituait celui de six mois prévu à l’article 272 de la loi :

272.  Le travailleur atteint d'une maladie professionnelle ou, s'il en décède, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur ou du bénéficiaire que le travailleur est atteint d'une maladie professionnelle ou qu'il en est décédé, selon le cas.

 

Ce formulaire porte notamment sur les nom et adresse de chaque employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle.

 

La Commission transmet copie de ce formulaire à chacun des employeurs dont le nom y apparaît.

__________

1985, c. 6, a. 272.

 

 

[45]        La Commission des lésions professionnelles retient que la loi ne prévoit pas de délai quant à la possibilité pour la CSST de requérir un rapport écrit d’un médecin qu’elle désigne et elle considère qu’il ne lui appartient pas de modifier les dispositions applicables.

[46]        Ainsi, la Commission des lésions professionnelles partage la position d’une certaine jurisprudence[2].

[47]        La Commission des lésions professionnelles comprend, par ailleurs, l’argumentation du représentant de l’employeur qui considère qu’il peut devenir difficile de se gouverner dans un dossier avec la possibilité toujours présente que la CSST redémarre un processus d’évaluation médicale.

[48]        Certaines décisions portant sur la procédure d’évaluation médicale initiée par la CSST qui reconnaissent l’absence de délai formel soulignent également l’obligation pour la CSST d’agir dans un délai raisonnable, avec diligence et célérité, certaines posant aussi l’exigence de ne pas créer d’injustice[3].

[49]        La Commission des lésions professionnelles est d’avis que chaque situation est unique et doit être analysée d’après le mérite réel et la justice du cas.

[50]        Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles estime que la CSST a joué son rôle quant au rapport d’évaluation médical pour le moins surprenant du médecin qui a charge, concluant à une absence de limitations fonctionnelles chez un travailleur ayant subi un traumatisme de cette nature.

[51]        À la suite des difficultés connues au travail au printemps 2010 et l’arrêt qui s’en est suivi, déjà le 13 juillet 2010, dans les notes évolutives, il est question de faire voir le travailleur par un autre médecin.

[52]        Le 28 octobre 2010, la CSST prend une position administrative le 28 octobre 2010 de faire voir le travailleur par un autre médecin, bien que cette position ne se concrétise qu’en février 2011.

[53]        Il aurait été souhaitable que la CSST fasse voir le travailleur plus rapidement, mais la lecture des notes évolutives montre des changements répétés d’agent au dossier, ce qui pourrait expliquer le délai.

[54]        La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur n’a pas à subir les conséquences de ce délai dans le contexte où les limitations fonctionnelles finalement déterminées par le Bureau d’évaluation médicale découlent de la lésion professionnelle du 21 décembre 2008.

[55]        Ainsi, les circonstances particulières du présent dossier expliquent et justifient de considérer que la procédure d’évaluation médicale initiée par la CSST est régulière et qu’en conséquence, les conséquences découlant des conclusions du Bureau d’évaluation médicale doivent être maintenues.

Dossier 457737

[56]        Considérant la conclusion à laquelle la Commission des lésions professionnelles en vient concernant les trois précédents dossiers, elle doit maintenant déterminer si l’employeur a droit à un transfert de l’imputation pour la période postérieure au 22 juin 2009, à l’exclusion des coûts reliés à l’atteinte permanente à l’intégrité physique.

[57]        L’employeur base sa demande de transfert d’imputation sur l’article 326 de la loi :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[58]        Dans Location Pro-Cam inc. et CSST et Ministère des Transports du Québec[4], la Commission des lésions professionnelles s’exprime ainsi à propos du fardeau de preuve à rencontrer :

[21]      En ne retenant que le critère de l’injustice d’une situation, l’interprétation large et libérale évacue complètement la notion « d’obérer ». Or, si le législateur a choisi cette expression, il faut nécessairement y donner un sens, selon les règles élémentaires d’interprétation des lois.

 

[22]      De l’avis de la soussignée, l’employeur sera « obéré injustement » dans la mesure où le fardeau financier découlant de l’injustice alléguée est significatif par rapport au fardeau financier découlant de l’accident du travail. Ainsi, la notion « d’obérer », c’est-à-dire « accabler de dettes », doit être appliquée en fonction de l’importance des conséquences monétaires de l’injustice en cause par rapport aux coûts découlant de l’accident du travail lui-même. La notion d’injustice, pour sa part, se conçoit en fonction d’une situation étrangère aux risques que l’employeur doit assumer, mais qui entraîne des coûts qui sont rajoutés au dossier de l’employeur.

 

[23]      Donc, pour obtenir un transfert des coûts basé sur la notion « d’obérer injustement », l’employeur a le fardeau de démontrer deux éléments :

 

Ø  une situation d’injustice, c’est-à-dire une situation étrangère aux risques qu’il doit supporter;

 

Ø  une proportion des coûts attribuables à la situation d’injustice qui est significative par rapport aux coûts découlant de l’accident du travail en cause.

 

 

[59]        Selon les propos tenus dans la décision Ville de Laval[5], l’interprétation retenue dans Location Pro-Cam inc.[6] est celle qui est privilégiée par la jurisprudence la plus récente[7].

[60]        Cette même interprétation a également été reprise dans plusieurs décisions subséquentes[8] et la soussignée souscrit également à cette interprétation jurisprudentielle qui apparaît maintenant majoritaire.

[61]        Dans le présent dossier, l’employeur prétend que le délai mis par la CSST à se prévaloir de l’article 204 de la loi a pour effet de l’obérer injustement du coût des prestations reliées à l’accident du travail subi par le travailleur.

[62]        Il prétend de plus qu’il s’agit d’une proportion significative puisque selon le portrait du travailleur (E-1), 810 jours d’indemnité de remplacement du revenu ont été imputés au dossier de l’employeur par rapport à 153 jours en comptant seulement la période jusqu’au 6 juin 2009.

[63]        Il demande en conséquence que le coût des prestations postérieures au 22 juin 2009 soit imputé aux employeurs de toutes les unités.

[64]        Le 22 juin 2009 correspond à la date à laquelle le docteur Orfali produit le rapport final dans lequel il coche que le travailleur n’a pas de limitations fonctionnelles.

[65]        Par ailleurs, c’est le 6 juin 2011 que le Bureau d’évaluation médicale, au terme de la procédure d’évaluation médicale initiée par la CSST, conclut à des limitations fonctionnelles ayant donné lieu à la décision du 16 juin 2011 déclarant justifié de poursuivre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu compte tenu des limitations fonctionnelles.

[66]        La Commission des lésions professionnelles consent à considérer que le choix de la CSST de faire appel au docteur Hyacinthe, le 17 février 2011, créé une situation d’injustice pour l’employeur considérant le long délai pour ce faire après le rapport final du 22 juin 2009. Ce choix survient 20 mois après que le médecin qui a charge ait produit le rapport final et un an après qu’il eut rempli le rapport d’évaluation médicale.

[67]        Toutefois, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la situation d’injustice vaut pour la période du 22 juin 2009 au 16 juin 2011. L’employeur n’a pas démontré de situation d’injustice pour la période postérieure à cette date.

[68]        Postérieurement à la décision de la CSST entérinant l’avis du Bureau d’évaluation médicale, la suite des choses est en lien avec la lésion professionnelle, notamment les limitations fonctionnelles reliées à celle-ci qui entraînent le processus de réadaptation. D’ailleurs, le représentant de l’employeur a pour la même raison exclu de ses prétentions le transfert des coûts reliés à l’atteinte permanente.

[69]        De plus, la Commission des lésions professionnelles conclut également à une proportion significative des coûts attribuables à la situation d’injustice. En effet, elle retient de son appréciation de la preuve que le coût des prestations payables au travailleur durant une période de près de deux ans, soit du 22 juin 2009 au 16 juin 2011, est attribuable à la situation d’injustice. En comparant cette période à une période totale allant du 22 décembre 2008 au 5 avril 2012, soit un peu plus de trois ans, il apparaît qu’elle en représente environ les deux tiers.

[70]        Même si le travailleur a été au travail et mis à pied pendant un certain temps, la Commission des lésions professionnelles conclut que le coût associé à la situation d’injustice constitue une portion significative de l’ensemble du coût total de l’indemnité de remplacement du revenu versée.

[71]        En somme, la Commission des lésions professionnelles juge que l’employeur a démontré qu’il a droit à un transfert du coût de l’indemnité de remplacement du revenu pour la période du 22 juin 2009 au 16 juin 2011 puisque l’imputation de ce coût a pour effet de l’obérer injustement.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 448034

 

REJETTE la requête de Granit Design inc., l’employeur;

 

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 20 juillet 2011, à la suite de la révision administrative;

 

DÉCLARE que la CSST était justifiée de poursuivre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’une décision sur la capacité soit rendue étant donné la présence de limitations fonctionnelles;

 

 

Dossier 461987

 

REJETTE la requête de Granit Design inc., l’employeur;

 

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 9 janvier 2012, à la suite de la révision administrative;

 

DÉCLARE que le travailleur a droit à la réadaptation que requiert son état, compte tenu des conséquences de sa lésion professionnelle;

 

 

Dossier 462376

 

REJETTE la requête de Granit Design inc., l’employeur;

 

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 11 janvier 2012, à la suite de la révision administrative;

 

DÉCLARE que la CSST était justifiée de référer le travailleur à un organisme spécialisé afin de l’aider à trouver un stage en milieu de travail;

 

 

Dossier 457737

ACCUEILLE la requête de Granit Design inc., l’employeur;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 23 novembre 2011, à la suite de la révision administrative;

 

DÉCLARE que le coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée à monsieur Andrew Raycraft, le travailleur, pour la période du 22 juin 2009 au 16 juin 2011, doit être transféré aux employeurs de toutes les unités.

 

 

 

__________________________________

 

Annie Beaudin

 

 

 

 

Me Éric Latulippe

Langlois Kronström Desjardins

Représentant de la partie requérante

 

 

 



[1]           L.R.Q. c. A-3.001.

[2]          Marchand et Les Habitations Le Domaine enr., 64802-60-9412, 1er août 1996, M. Cuddihy; Larue et C-Mac Network System, [2004] C.L.P. 1634 ; Carrelages Centre du Québec et Thibodeau, C.L.P. 230800-04-0403, 28 janvier 2005, J.-F. Clément; Archambault Pilon et Place des Aînés de Laval, C.L.P. 271462-64-0509, 9 novembre 2006, D. Armand, (06LP-167), révision rejetée, 3 juillet 2007, S. Moreau.

[3]          Archambault Pilon et Place des Aînés de Laval, précitée, note 2; Beghdadi et Les Tricots Mains inc., C.L.P. 193426-71-0210, 19 décembre 2006, M.-H. Côté.

[4]           C.L.P. 114354-32-9904, 18 octobre 2002, M.-A. Jobidon.

[5]           C.L.P. 389558-61-0909, 21 juillet 2010, G. Morin.

[6]           Précitée, note 4.

[7]           Elle donne les références suivantes : GPG Construction et Mutuelle de prévention en construction du Québec, C.L.P. 296600-07-0608, 24 mai 2007, M. Langlois; S.T.M. et Heppel, C.L.P. 363971-63-0811, 14 juillet 2009, M. Juteau; Acier Picard inc. et CSST, C.L.P. 375269-03B-0904, 4 août 2009, J.-L. Rivard; Scierie Parent inc., C.L.P. 348383-04-0805, 17 août 2009, D. Lajoie; C.S.S.S. de Gatineau, C.L.P. 376077-07-0904, 21 août 2009, S. Séguin; Alimentation de Comporté, C.L.P. 373136-31-0903, 27 août 2009, M. Lalonde; C.S.S.S. Québec-Nord, C.L.P. 322347-31-0707, 14 septembre 2009, C. Lessard; Canadian Tire Jonquière, C.L.P. 370257-02-0902, 5 octobre 2009, J. Grégoire; Le Groupe Jean Coutu PJC inc., C.L.P. 353645-62-0807, 14 octobre 2009, R. Daniel; CSSS Lucille-Teasdale, C.L.P. 381662-61-0906, 17 novembre 2009, L. Nadeau; Société des transports de Montréal, C.L.P. 395615-63-0912, 13 mai 2010, J.-P. Arsenault.

[8]           Voir notamment Auto Classique de Laval inc., C.L.P. 394677-61-0911, 23 novembre 2010, L. Nadeau; Service d'Entretien Signature, 2011 QCCLP 2851 ; Société des Alcools du Québec, 2011 QCCLP 451 ; Commission scolaire de l'Or-et-des-Bois,  2011 QCCLP 2872 ; Daubois inc., 2011 QCCLP 3433; Domtar inc. (Usine de Windsor), 2011 QCCLP 2885 .

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