Décision

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R. c. Ny St-Amand

2025 QCCS 1327

 

COUR SUPÉRIEURE

Chambre criminelle et pénale

 

 

 

Canada 

PROVINCE DE QUÉBEC

 DISTRICT DE LAVAL

 

 

 :          540-01-107498-233 (CS)

  

 

 

DATE :

Le 29 avril 2025

 

 

______________________________________________________________________

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE ÉRIC DOWNS, J.C.S.

 

______________________________________________________________________

 

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI

          Poursuivant

 

 

et

 

 

Pierre, NY ST-AMAND

          Accusé

 

_______________________________________________________________________

JUGEMENT SUR LE VERDICT

_______________________________________________________________________



Table des matières

 

 

Table des matières..............................................................2

L’APERÇU.....................................................................3

LE CONTEXTE PROCÉDURAL...................................................5

L’ANALYSE.....................................................................6

La preuve....................................................................6

i) L’exposé conjoint des faits au soutien des éléments essentiels des infractions reprochés à l’acte d’accusation              6

ii) L’exposé conjoint des faits supportant la défense de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux de l’accusé              11

iii) Le rapport et le témoignage de la Dre Kim Bédard-Charette, psychiatre légiste.....20

iv)   Le rapport et le témoignage du Dr Sylvain Faucher, psychiatre légiste............29

Le droit applicable............................................................33

L’application au cas d’espèce..................................................34

LA SUITE DES PROCÉDURES..................................................35

L’audience sur les modalités...................................................35

L’audience concernant les victimes.............................................35

i) La déclaration de la victime : principes généraux...............................36

ii) La déclaration de la victime en cas de verdict de non-responsabilité criminelle.....37

La requête du poursuivant concernant le statut à haut risque de l’accusé.............39

LE RÉSUMÉ...................................................................40

LA CONCLUSION..............................................................41

 

 

 


L’aperçu

  1.                   L’accusé subit son procès devant un juge seul de la Cour supérieure[1] relativement à deux chefs de meurtre au deuxième degré, un chef de voies de fait causant des lésions corporelles et un chef de voies de fait armées.[2]
  2.                   Selon la preuve, au moment des faits, l’accusé était conducteur d’autobus pour la Société de transport de Laval. Le 8 février 2023, à l’issue de son trajet matinal, l’autobus a embouti la façade de la Garderie éducative Sainte-Rose, à Laval. Deux enfants ont été tués, six autres ont été blessés, certains sérieusement. Cette tragédie a fait l’objet d’une profonde consternation au sein de la communauté et d’une médiatisation à l’échelle provinciale, nationale et internationale.[3]
  3.                   Lors du procès, les parties ont présenté une preuve commune et ont produit un exposé conjoint des faits et différentes pièces.
  4.                   Les parties ont également appelé deux témoins, soit la docteure Kim Bédard-Charette qui a procédé, à la demande de la Cour[4], à l’évaluation de la responsabilité criminelle de l’accusé pour cause de troubles mentaux, ainsi que le docteur Sylvain Faucher mandaté par le poursuivant, afin d’effectuer une contre-expertise[5].
  5.                   Au terme de la preuve, les parties ont demandé qu’un verdict de non-responsabilité criminelle soit rendu, et ce, en raison des troubles mentaux dont souffrait l’accusé au moment de la commission des gestes reprochés.[6]
  6.                   Le Tribunal conclut qu’à la lumière de la preuve commune non contredite et convaincante, les éléments matériels des infractions reprochées ont été prouvés hors de tout doute raisonnable. Il est indéniable que l’autobus conduit par l’accusé a embouti la garderie et qu’il ne s’agissait pas d’un geste accidentel. Par contre, relativement à l’état d’esprit de l’accusé, le Tribunal est convaincu, qu’en l’espèce, l’accusé était atteint de troubles mentaux, au moment des gestes reprochés qui le rendaient incapable de juger de la nature de la qualité de l’acte et de savoir que l’acte était mauvais.
  7.                   Dans le présent cas, le verdict de non-responsabilité criminelle rendu au sens de la loi, n’équivaut ni à l’acquittement de l’accusé, ni à sa condamnation. Le verdict de non-responsabilité criminelle en raison de troubles mentaux entraîne des conséquences juridiques et l’application d’un régime particulier prévu par le Code criminel.
  8.                   Certes, le Tribunal est conscient que les gestes commis par l’accusé consternent les victimes, leurs familles et leurs proches, de même qu’ils consternent les témoins, les intervenants, les membres de la communauté, incluant l’accusé et sa famille.
  9.                   Aussi, dans cette affaire, le Tribunal a adopté à l’audience une approche qui tient compte des traumatismes et il entend poursuivre dans cette voie pour la suite des procédures.
  10.              Le Tribunal entend aussi, dans la mesure du possible, suivre une approche pédagogique. Cette tragédie, met en évidence des éléments complexes du cadre psychiatrique et légal.
  11.              Le présent jugement ne répond pas à la question : Pourquoi l’accusé a-t-il embouti la façade de la garderie avec son autobus? Malheureusement, l’incompréhension face à l’inexplicable demeurera. Par contre, le présent jugement établit, selon la loi, qu’au moment des gestes reprochés, l’accusé était atteint de troubles mentaux, le rendant incapable d’apprécier la nature et la qualité de ses actes et de comprendre que ceux-ci étaient mauvais.
  12.              Le système judiciaire canadien, à l’instar de nombreux pays du monde, prévoit qu’une personne souffrant d’une maladie mentale telle, qu’elle le rend incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de comprendre que l’acte était mauvais, ne doit faire l’objet ni d’une condamnation criminelle, ni d’un acquittement, mais d’un traitement particulier dont il sera plus amplement question dans les prochaines étapes judiciaires de cette affaire.
  13.              En l’espèce, deux psychiatres légistes de très grande expérience, l’un mandaté par la Cour et l’autre par le poursuivant sont unanimes à l’effet que l’accusé, au moment des faits, était atteint d’un trouble mental, soit d’une psychose ce qui le rend non criminellement responsable, selon le critère établi par la loi.
  14.              Le Tribunal avalise l’opinion de ces experts dont l’indépendance et l’impartialité sont manifestes et il conclut, à la lumière de l’ensemble de la preuve, que l’accusé était, au moment des gestes reprochés, aux prises avec un trouble mental de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle au sens de l’article 16 C.cr.
  15.              Enfin, le Tribunal donne suite à la recommandation des parties que la détention de l’accusé dans un centre hospitalier au sens de l’article 672.54 C.cr. se poursuive jusqu’à ce que les modalités soient fixées par le Tribunal.

Le contexte procédural

  1.              Initialement, le procès de l’accusé devait se tenir devant un juge et un jury. Or, le 21 février 2025, lors d’une conférence de gestion, les parties, à la suite de la réception de la contre-expertise du Dr Sylvain Faucher[7] et de sérieuses discussions, ont indiqué au Tribunal leur intention de procéder devant un juge seul et de présenter une preuve commune sur les faits. Les parties ont également annoncé qu’elles recommandaient au Tribunal de rendre un verdict de non-responsabilité criminelle, et ce, en raison des troubles mentaux dont souffrait l’accusé au moment des gestes reprochés.
  2.              Il appartient à la Cour supérieure de prononcer le verdict approprié dans cette affaire. Ici, le Tribunal siège sans jury. Il faut préciser que même en présence d’un jury, le verdict aurait été le même, compte tenu de la position des parties et de leur recommandation. Le Tribunal aurait, dans tous les cas, invité le jury à prononcer un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, et ce, en raison d‘une preuve d’expert non contredite et non contestée.
  3.              En l’espèce, le poursuivant a adopté une position judicieuse et lucide, en regard des circonstances de cette affaire. Le Tribunal tient à le souligner.
  4.              Les parties ont choisi que le procès se tienne de manière équitable et efficace. Il est loin d’être rare qu’en matière de troubles mentaux et de l’application de l’article 16 C.cr., les parties s’entendent de procéder devant un juge seul.[8] Aussi, en raison de leur proactivité, les parties ont présenté une preuve documentaire et ont appelé les témoins centraux de l’affaire, et ce, en regard de la seule question en litige, soit l’état mental de l’accusé au moment des gestes reprochés.
  5.              Ici, l’approche des parties prend en considération tous les éléments de preuve et tient compte des principes de justesse et de proportionnalité. Le Tribunal tient à souligner la qualité du travail des parties.
  6.              De plus, les parties ont anticipé les enjeux reliés à la production des éléments de preuve au dossier et ont respectivement requis une ordonnance de non-publication et non-diffusion quant à des portions distinctes de la vidéo des caméras de surveillance de l’autobus conduit par l’accusé et ayant embouti la garderie, lors du drame.[9]
  7.              Un consortium de médias formé de La Presse inc., MédiaQMI inc. et Groupe TVA inc. est intervenu et s’est opposé, en tout ou en partie, à certaines des demandes d’ordonnance de non-publication et de non-diffusion.
  8.              Au début du procès, le Tribunal a rendu un dispositif[10] relativement à ces demandes de non-publication et de non-diffusion et par la suite un jugement détaillé exposant ses motifs[11].

L’ANALYSE

La preuve

i)        L’exposé conjoint des faits au soutien des éléments essentiels des infractions reprochés à l’acte d’accusation[12]

  1.              D’emblée, l’accusé a reconnu que le poursuivant était en mesure de faire la preuve hors de tout doute raisonnable de l’ensemble des faits se retrouvant dans l’exposé conjoint.[13]
  2.              L’accusé a également reconnu que le poursuivant a prouvé hors de tout doute raisonnable les éléments matériels des infractions ainsi que les conséquences désastreuses que l’on connait.
  3.              Le 8 février 2023, l’accusé travaille comme chauffeur d’autobus pour la Société de transport de Laval (« STL ») depuis une dizaine d’années.
  4.              L’horaire de chaque chauffeur de la STL est déterminé la veille de chaque jour de travail par un système d’attribution par ordinateur.
  5.              La plateforme informatique permet aux chauffeurs d’indiquer leurs préférences quant à la route, et ce, en fonction de leur ancienneté. Ici, l’accusé n’a pas manifesté de préférence quant au choix de la route. Vu son ancienneté, il s’est vu attribué la veille la route la plus payante, soit la ligne 151 effectuant le trajet entre le métro Côte-Vertu à Montréal et le terminus Terrasse Dufferin situé au bout de la rue Terrasse Dufferin, là où se trouve la Garderie éducative Sainte-Rose.
  6.              Le 8 février 2023, l’horaire de l’accusé prévoit qu’il doit desservir, entre 6h18 et 9h26, la ligne 151.
  7.              Chaque autobus de la STL est identifié par un numéro. L’autobus conduit par un chauffeur de la STL lui est attribué par le centre de contrôle.
  8.              Le chauffeur apprend quel autobus lui est attribué pour chaque jour de travail lorsqu’il valide sa présence au travail le jour même à l’aide d’un poinçon.
  9.              Le poinçon produit un document indiquant le numéro de l’autobus attribué et sa localisation dans le garage.
  10.              Le 8 février 2023, l’accusé se présente au travail à vélo à 5h52. À son arrivée, il se dirige à son pigeonnier, il entre dans le garage et continue son chemin vers le vestiaire.
  11.              L’autobus attribué à l’accusé par le centre de contrôle est le numéro 1713, stationné dans la rangée 1.
  12.              Vers 6h00, une chauffeuse d’autobus de la STL se dirige vers l’autobus qui lui est attitré afin de commencer sa journée de travail.  Cet autobus est situé dans la rangée 1,  stationné derrière l’autobus 1713.
  13.              Lorsqu’elle arrive à cet autobus, elle constate que la porte principale est ouverte et voit l’accusé qui est debout dans l’autobus devant le siège conducteur. Il ne fait rien. Elle lui demande « si elle s’est trompé d’autobus ». Il lui répond « non, c’est moi ». L’accusé descend alors de l’autobus et quitte.[14]
  14.              Le témoin qui connait l’accusé à titre de collègue de travail, indique que ce dernier a l’air fatigué. Elle s’installe ensuite dans son autobus et attend que l’autobus no 1713 stationné devant elle quitte afin qu’elle puisse partir.
  15.              Constatant que personne ne prend charge de l’autobus no 1713, elle déplace elle-même celui-ci afin de pouvoir quitter le garage.
  16.              Pendant ce temps, l’accusé entre dans le bureau du préposé à la gestion des autobus. Après avoir salué le préposé, l’accusé lui indique que son autobus, soit le 1713, n’est pas à l’endroit indiqué sur le document produit par le poinçon.
  17.              Le préposé qui n’a jamais eu un quelconque problème dans le passé avec l’accusé, lui attribue donc, un autre autobus, soit le numéro 1818. L’accusé le remercie et quitte le bureau.
  18.              Entre 7h00 et 7h30, le préposé fait une vérification dans le garage et constate que l’autobus 1713 est bel et bien stationné dans la rangée 1. Il avise son superviseur de la situation afin qu’un message soit fait à l’accusé.
  19.              Selon différentes analyses de caméras dont principalement celles du système de caméra de l’autobus #1818, il est révélé les éléments suivants:[15]
  1.         Vers 6h10, l’accusé quitte le garage de la STL avec l'autobus #1818. Il fait le circuit #151. Il embarque et débarque les clients de la STL normalement tout le long de son circuit jusqu'au Métro Côte-Vertu, à Montréal (7h13);
  2.         Vers 7h27, l’accusé repart du Métro Côte-Vertu en direction du rond-point sur Terrasse Dufferin. Il embarque et débarque les clients normalement. Le dernier passager débarque au 105 boul. Sainte-Rose, près de Terrasse Dufferin à 8h24;
  3.         L’accusé circule sur Terrasse Dufferin, en direction Nord. Aucun passager ne se trouve dans l'autobus jusqu'au rond-point. La vitesse maximale que l'autobus a atteinte est de 46 km/h pour une durée d'une fraction de seconde. Il ralentit dans la zone scolaire.
  4.         Vers 8h26 : 52, l’accusé arrive au rond-point de la Terrasse Dufferin. La vitesse de l'autobus passe de 24 km/h à 19 km/h. Il tourne dans le bon sens de la circulation et passe devant l'entrée de la garderie;
  5.         La vitesse de l'autobus passe de 19 km/h à 23 km/h et de 23km/h à 1 km/h lorsqu'il arrive devant l'entrée d'un terrain vague ressemblant à un stationnement, situé au ¾ du rond-point. Devant cette entrée, il immobilise l'autobus et repart. Il tourne de nouveau dans le rond-point avant de s'engager.
  6.           Pour entrer dans le stationnement de la garderie, l’accusé doit tourner son volant vers la gauche dans le rond-point, puis tourner vers la droite pour accéder à l'entrée de la garderie;
  7.         Vers 8h27 : 18, il entre dans l'entrée de la garderie. La vitesse de l'autobus, passe de 15 km/h à 9 km/h. Une fois en ligne droite dans le stationnement, il accélère vers la façade ouest de l’immeuble. On peut entendre le bruit de l'accélération de l'autobus dans la vidéo du système de caméra. Vers 8h27 :27, l'autobus percute la façade ouest de l’immeuble à 27 km/h. Les roues avant, qui sont plus grandes que la hauteur du mur de fondation de la garderie, montent sur le plancher et passe à travers la façade. Le mur de la fondation soulève le devant de l'autobus. L'autobus percute le mur de cuisine à 26 km/h et s'immobilise. La moitié de l'autobus est dans le bâtiment. La pédale de frein n'a jamais été appuyée, une fois que l'autobus est en ligne droite. La pédale a été appuyée environ une seconde, une fois l'autobus immobilisé;
  8.         Au moment de la collision, le temps est nuageux, il fait clair et la température est de 2°C. La neige sur la chaussée du rond-point et dans le stationnement fondait. La chaussée du rond-point et du stationnement était mouillée. Il n'y a pas de plaque de glace dans l'allée de circulation du stationnement de la garderie;
  9.           Le bâtiment de la garderie est situé à 40 mètres à l'Est du rond-point de la Terrasse Dufferin. Pour accéder au stationnement de la garderie à l’aide d’un véhicule à moteur, si on est en direction Nord, il faut tourner le volant du véhicule vers la droite et si on fait le tour du rond-point, il faut tourner le volant vers la gauche et vers la droite par la suite;
  1.              Essentiellement, l’enregistrement vidéo et sonore de l’autobus révèle l’existence de trois segments pouvant être décrits comme suit :[16]
  1.      Le premier segment entre 7 :35 :00 et 8 :27 :07, filme l’intérieur et l’extérieur de l’autobus de la Société de transport de Laval circulant sur la voie publique. Pendant cette période, la conduite de l’autobus par l’accusé est normale et ne révèle rien de particulier.
  2.      Le second segment entre 8 :27 :07 et 8 :27 :35, filme l’intérieur et l’extérieur de l’autobus lors de la manœuvre d’accélération de ce véhicule circulant en direction de la garderie juste avant que celui-ci emboutisse la façade de la garderie.[17]
  3.      Le troisième segment entre 8 :27 :36 et 9 :07 :14, filme l’intérieur de l’autobus alors que celui-ci a embouti la garderie. La bande sonore révèle l’étendue de la scène de désolation où l’on entend notamment les pleurs et les cris des personnes présentes dans la garderie. Pendant une minute, soit entre 8 :27 :36 et 8 :28 :36, on voit l’accusé se dévêtir. Aussi, on le voit nu dans la portion inférieure de son corps. Selon l’admission des parties lors de l’audition, l’accusé est en psychose.

Selon le descriptif de ce segment produit par les parties[18], on peut voir l’accusé lancer des vêtements au sol[19], l’accusé bouger proche du siège du conducteur[20], se diriger et tenter d’ouvrir une première fois la porte de l’autobus avec force[21], puis se reculer, et tenter la même manœuvre une seconde fois.

On peut voir l’accusé, à moins d’un mètre de la porte de l’autobus, faire des gestes avec ses bras de haut en bas[22], tenter d’ouvrir la porte de l’autobus avec force à de nombreuses reprises.[23]

  1.              Dans les instants suivant la collision, des témoins civils entrent dans la garderie pour venir en aide aux différentes personnes impliquées. Deux témoins se rendent rapidement dans la salle nommée Papillon, là où l’autobus s’est immobilisé. Ces témoins se rendent devant la porte de l’autobus, laquelle est fermée et endommagée. Au travers de cette porte, ils voient l’accusé assis dans le siège avant de l’autobus et il regarde devant lui. Les témoins crient à l’accusé de reculer l’autobus. L’accusé ne réagit pas.
  2.              Par la suite, les deux témoins voient l’accusé se lever et enlever ses pantalons, ses sous-vêtements et ses bottes. L’accusé émet des sons et des bruits. Il fait des gestes avec ses mains. Il se frappe au visage. Il essaie d’ouvrir la porte. Lorsque la porte est ouverte par un témoin, ce dernier utilise la force pour maîtriser l’accusé, alors qu’il est à genou au sol et maîtrisé par le témoin. À nouveau, l’accusé résiste et tente de se relever. Il est maîtrisé par d’autres témoins. Pendant cette séquence, l’accusé formule des paroles incompréhensibles.[24]
  3.              Les deux témoins portent secours aux enfants, à tour de rôle, en se rendant sous l’autobus. Avec courage et détermination, ils réussissent à sortir des enfants au travers des débris.
  4.              Un premier appel 911 est logé à 8h28. Une première policière arrive sur les lieux à 8h34. Elle constate que deux personnes maintiennent l’accusé au sol. Il est recroquevillé sur lui-même et vêtu seulement d’un chandail. Dès lors, il est menotté.
  5.              Un autre policier arrive sur les lieux. L’accusé est ensuite conduit par les policiers vers un véhicule de patrouille. Il est difficile de le transporter puisqu’il se laisse traîner sans tonus musculaire. À mi-chemin, entre la garderie et le véhicule patrouille, l’accusé se raidit et ancre ses pieds au sol sans raison précise. Il émet des gémissements. Son regard est vide et sans émotion.
  6.              Le policier ordonne à l’accusé d’entrer dans le véhicule mais ce dernier n’a aucune réaction. L’accusé raidit son corps pour finalement entrer tête première à l’horizontale dans le véhicule.
  7.              Dans le véhicule, l’accusé est mis en état d’arrestation et informé de ses droits. Il est ensuite conduit à l’hôpital Sacré-Cœur.
  8.              La Garderie éducative Sainte-Rose dont les heures d’ouverture sont de 6h45 à 18h15 accueille 80 enfants et 15 employés par jour.
  9.              Dans la salle Papillon, on a retrouvé huit victimes. Deux enfants X (2018-[...]) et Y (2018-[...]) sont décédés. Six autres enfants sont blessés, certains très gravement.[25]
  10.              L’analyse de l’autobus et de la scène de crime révèlent que l’état mécanique du véhicule n’est pas en cause. La collision résulte strictement d’un facteur humain.
  11.              Les analyses toxicologiques des prélèvements sanguins sur l’accusé ne révèlent rien d’anormal, non plus que les échantillons d’urine recueillis.

ii) L’exposé conjoint des faits supportant la défense de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux de l’accusé[26]

  1.              Il convient de résumer l’exposé conjoint des faits préparé par les parties et appuyant la défense de non-responsabilité criminelle de l’accusé pour cause de troubles mentaux.
  2.              Il faut signaler que les éléments ci-après mentionnés sont appuyés par une preuve testimoniale ainsi qu’une preuve documentaire abondante.
  1. L’accusé
  1.              L’accusé serait âgé de 55 ans. Il est d’origine cambodgienne. Il est arrivé au Canada comme réfugié, orphelin alors qu’il avait environ 10 ans.[27]
  2.              Selon un document, il serait né en 1972 dans la province de Takeo au Cambodge. Un autre document indique qu’il serait plutôt né en 1968.[28]
  3.              À la naissance de l’accusé, sa famille est composée de son père, de sa mère et de ses deux sœurs ainées. Sa vie se déroule normalement jusqu’en 1975 où les Khmers rouges prennent le pouvoir au Cambodge.[29]
  4.              Le Parti communiste du Kampuchéa (« PCK »), connu sous le nom des Khmers rouges, a dirigé le pays entre le 17 avril 1975 et le 6 janvier 1979. Le Cambodge s’appelait alors Kampuchéa démocratique. Le PCK a lancé une révolution socialiste à l’échelle du pays pour instaurer une société khmère ethniquement homogène de travailleurs-paysans. Au cours de cette période, la population civile a été privée de libertés fondamentales et soumise à des actes de cruauté extrême généralisés. Durant ce régime, une culture de la peur a prévalu à travers les massacres, la violence et la persécution. Ce sont entre 1,5 à 2 millions de Cambodgiens qui ont perdu la vie0.[30]
  5.              La preuve documentaire révèle que la sœur de l’accusé lui a dit que leur père avait été enlevé et abattu par les Khmers rouges. Par la suite, la mère de l’accusé est décédée de la dysenterie moins d’un mois après le décès de son père. Dès lors, les sœurs de l’accusé ont été confiées à un oncle. Pour sa part, l’accusé a été pris en charge par un cousin et sa femme.[31]
  6.              Vers 1979, suivant l’invasion du Cambodge par les forces armées vietnamiennes, l’accusé s’est enfui avec son cousin et sa femme à la frontière du Cambodge et de la Thaïlande. Le périple dure plusieurs jours et nuits. L’accusé a dû traverser à pied des champs de mines sous les bombardements. Son cousin a été tué dans des combats avec les forces armées vietnamiennes. L’accusé a alors été pris en charge par la femme de son cousin.[32]
  7.              Entre 1979 et 1982, l’accusé vit dans trois différents camps de réfugiés en Thaïlande. Vers le mois de février 1982, il est dénoncé que la femme du cousin maltraite l’accusé.[33]
  8.              L’accusé est alors pris en charge par le Children Center du camp de réfugiés où il se trouve, et ce, jusqu’à son départ pour le Canada.[34]
  9.              Il arrive au Québec le 4 décembre 1982, parrainé par l’organisme L’Aide Médicale Internationale à l’Enfance (« L’A.M.I.E. »).[35]
  10.              Puisque l’accusé ne connaît pas sa date de naissance, on estime l’année de sa naissance à 1972 et on appose la date du 1er janvier sur les documents officiels. L’accusé parait alors plus jeune que son âge. Vu son état de santé, il doit recevoir des soins physiques et esthétiques. La seule indication quant au nom est le prénom « Ny ».[36]
  11.              Par l’entremise de l’organisme L’A.M.I.E., l’accusé est alors placé dans une première famille d’accueil à Sept-îles. Par la suite, en date du 10 juin 1983, il est placé dans une deuxième famille d’accueil dans cette même ville.
  12.              Cette famille devient sa famille d’adoption. Puisque l’accusé n’a aucun document qui atteste du décès de ses parents biologiques, le processus formel d’adoption n’a jamais été complété. Le 4 avril 1990, l’accusé obtient sa citoyenneté canadienne.
  13.              En 1990, après avoir effectué un DEC à Sept-Îles, l’accusé quitte pour Montréal afin de poursuivre des études.

1.1. Sa relation avec Jacques Barette

  1.              À son arrivée à Montréal, l’accusé est pris en charge par un ami de son père adoptif, Jacques Barette. Un lien de confiance est rapidement créé entre l’accusé et M. Barette. Selon la conjointe de M. Barette, celui-ci était comme un père pour l’accusé. Entre 1994 et 2014, l’accusé et M. Barette se fréquentent assez régulièrement.  
  2.              Vers la fin de 2011, M. Barette commence à avoir des pertes cognitives. À partir de 2014, à la suite de la naissance du premier enfant de l’accusé, les contacts entre ce dernier et M. Barette deviennent moins fréquents. Le lien entre eux reste toutefois fort.
  3.              Vers 2015, l’état cognitif de M. Barette se détériore davantage. À partir de la pandémie de la COVID-19, l’accusé et M. Barette n’ont plus vraiment de contact en raison de l’état de ce dernier, M. Barette n’étant plus en mesure de suivre une conversation. L’accusé continue tout de même à prendre de ses nouvelles par l’entremise de sa conjointe.
  4.              Aux environs du 24 décembre 2022, l’accusé et sa famille se présentent au domicile de M. Barette pour les saluer lui et sa conjointe. Celle-ci confirme que son mari n’a pas reconnu l’accusé. C’est la dernière fois que l’accusé a vu M. Barette avant les événements.

1.2. Sa vie de famille[37]

  1.              L’accusé rencontre sa conjointe par l’entremise d’un ami en 2009. Celle-ci est d’origine cambodgienne et sa langue maternelle est le Khmer. Dès 2010, ils forment un couple.
  2.              Ils communiquent ensemble en anglais puisque l’accusé ne parle plus le khmer, sa langue maternelle. L’accusé ne s’est jamais confié à sa conjointe sur ce qu’il a vécu, lui disant préférer « tout oublier » de son enfance.
  3.              En 2012, ils se marient au Cambodge lors d’une cérémonie traditionnelle bouddhiste. Il s’agit du premier voyage de l’accusé au Cambodge depuis qu’il a quitté le pays. L’accusé et sa conjointe ne sont toutefois pas légalement mariés lors de ce mariage religieux. Aussi, lors de ce séjour, l’accusé tente, sans succès, de trouver son village d’origine et/ou de ses parents.  
  4.              L’accusé et sa conjointe forment le projet d’avoir des enfants. En 2014, ils ont leur premier enfant. En 2018, ils ont leur deuxième enfant. Selon sa conjointe, l’accusé est un père présent qui s’occupe de ses enfants.
  5.              En 2013, l’accusé commence à travailler comme chauffeur d’autobus à la STL. Sa conjointe, pour sa part, obtient un emploi suivant la naissance de leur premier enfant. Elle occupe cet emploi de manière continue, mais à temps partiel (sauf pour cause de congé de maternité), et ce, jusqu’au 8 février 2023.
  6.              Quant aux finances de la famille, c’est l’accusé qui s’en occupe, sauf en ce qui concerne les achats pour les enfants. L’accusé est le principal salarié de la famille. Il est décrit par sa conjointe comme un homme travaillant, priorisant les besoins de sa famille avant les siens.

1.3. Le projet de mariage civil[38]

  1.              Au début de l’année 2023, le couple forme le projet d’officialiser légalement leur mariage. C’est le souhait de la conjointe de l’accusé. Ce mariage devait permettre à l’accusé d’obtenir une semaine de vacances supplémentaire en vertu de sa convention collective.
  2.              Le couple prévoyait utiliser cette semaine de vacances pour faire un voyage à Walt Disney World avec leurs enfants pour une durée de deux semaines.
  3.              Le couple a entrepris des démarches auprès d’une notaire afin d’officialiser le mariage. La notaire a exigé certains papiers de l’accusé afin notamment de prouver son identité et celle de ses parents. Dans les deux ou trois semaines précédant le 8 février 2023, l’accusé communique avec sa mère adoptive afin d’obtenir la documentation exigée par la notaire. Le mariage devait être célébré le 11 mars 2023.

1.4. Le nombre moyen d’heures au travail par l’accusé en 2022 et en 2023

  1.              Selon la preuve documentaire obtenue de la STL, l’accusé est payé en moyenne 56 heures par semaine en 2022. Sur ce total de 56 heures, une moyenne de 32.36 heures par semaine consiste à conduire un autobus, le reliquat étant du temps de mise en disponibilité ou d’attente.
  2.              Entre le 1er janvier et le 3 février 2023, l’accusé a été payé en moyenne 55,8 heures par semaine. Sur ces 55,8 heures, une moyenne de 34 heures par semaine est consacrée à la conduite d’autobus, le reliquat étant du temps de mise en disponibilité ou d’attente.

2. Le souper de la fin de semaine précédant le 8 février 2023

  1.              Différents témoins ont été rencontrés et ceux-ci attestent que l’accusé et sa famille ont reçu des amis pour souper la fin de semaine précédant le 8 février 2023. Les témoins n’ont rien noté de particulier chez l’accusé lors de cette soirée.

3. Le 7 février 2023

3.1. Au travail

  1.              Le 7 février 2023, l’accusé a travaillé selon l’horaire qui lui a été attribué la veille par le système d’attribution de route de la STL. Il a desservi le circuit 901.
  2.              Vers 07 :30, le superviseur de l’accusé reçoit un avis à l’effet que le circuit 901 a 15 minutes de retard. Cette vérification du superviseur permet de constater que le retard a été causé par une erreur de parcours de l’accusé. Aussi, à un endroit du circuit, l’accusé est revenu sur ses pas sur une distance de quelques kilomètres pour ensuite recommencer une portion du circuit.[39]
  3.              Au moment de compléter le circuit au Terminus Cartier, l’accusé a fait un appel à son superviseur à l’aide du module téléphonique de son autobus pour savoir s’il devait effectuer son prochain circuit vu son retard. Son superviseur lui a répondu qu’en l’absence de chauffeur additionnel, l’accusé devait commencer le circuit en retard. Le superviseur lui a aussi demandé pourquoi il est retard. L’accusé lui a répondu que c’était son erreur et qu’il « avait de quoi dans sa tête ». Le superviseur signale que, durant cette conversation, l’accusé lui a parlé d’une manière amicale comme à l’habitude.
  4.              Cette erreur est la seule répertoriée au dossier employé de l’accusé à la STL.

3.2. Au retour à la maison après le travail[40]

  1.              Selon la conjointe de l’accusé, ce dernier est revenu du travail à l’heure habituelle. Il lui a indiqué être fatigué et avoir mal à la tête, ce qui est inhabituel. L’accusé a mangé et a aidé un des enfants à faire ses devoirs.
  2.              Par la suite, il a manifesté à sa conjointe qu’il voulait se coucher tôt puisqu’il était fatigué. Contrairement à ses habitudes, il lui a dit qu’il ne prendrait pas la peine de se doucher puisqu’il était fatigué.
  3.              Entre 20h et 21h, l’accusé s’est couché avec les enfants alors que sa conjointe s’est couchée dans la chambre des maîtres. Celle-ci indique ne pas avoir été en mesure de dormir puisqu’elle a entendu l’accusé faire plusieurs va-et-vient à la salle de bain pendant la nuit. Vers 1h00 du matin, celle-ci est allée dans la salle de bain afin de savoir pourquoi l’accusé allait souvent à la toilette, s’il avait la diarrhée et s’il voulait des médicaments. L’accusé lui a répondu qu’il avait simplement envie d’uriner. Dès lors, sa conjointe a demandé à l’accusé de venir dormir avec elle pour éviter qu’il réveille les enfants, ce que l’accusé a accepté. Alors qu’ils sont couchés dans le même lit, la conjointe de l’accusé n’arrive toujours pas à dormir puisque ce dernier continue de faire des va-et-vient à la salle de bain. Elle décide donc d’aller se coucher avec les enfants et elle s’endort. Elle est réveillée par l’alarme de réveil de l’accusé. À ce moment, elle pense que l’accusé est à la salle de bain puisque l’alarme sonne plus longtemps qu’à l’habitude et qu’elle entend la chasse d’eau. Lorsqu’elle se lève, l’accusé a déjà quitté pour le travail.

4. Le 8 février 2023

4.1. De son arrivée au travail à son arrestation

  1.              Pour cette portion, les parties réfèrent à l’exposé conjoint des faits au soutien des éléments essentiels des infractions résumés aux paragraphes 24 à 54 du présent jugement.

4.2. À l’hôpital

  1.              Le 8 février 2023, vers 9h50, l’accusé, alors détenu, arrive à l’hôpital Sacré-Coeur escorté par deux policiers, les agents Hétu et Lesage. L’accusé est admis à l’urgence. À 10h23, un médecin confirme que l’accusé est en état d’exercer son droit à l’avocat.
  2.              De 10h33 à 10h43, l’accusé s’entretient avec Me El-Haddad.
  3.              Vers 12h30, les notes médicales révèlent que l’accusé présente un discours décousu. Il demande à l’intervenante médicale si « elle est humaine » et si « elle est Sabrina ». Il lui demande ensuite si elle peut « retirer le sang de sa mère ».  
  4.              À 14h10, à la demande des enquêteurs au dossier, l’accusé est mis en communication téléphonique avec Me Lespérance Hudon.
  5.              Entre 15h02 et 16h47, les enquêteurs Barbier et Chevalier rencontrent l’accusé pour un interrogatoire filmé. À la fin de l’interrogatoire, la comparution téléphonique de l’accusé a lieu devant un juge de Cour du Québec a lieu. L’accusé ne semble pas bien comprendre ce qui se passe. Aussi, une deuxième tentative de comparution est effectuée à la demande du juge. Cette deuxième comparution est toutefois suspendue afin que les avocats puissent discuter entre eux.
  6.              Entretemps, vers 17h00, une demande de garde en établissement est effectuée par un médecin, ce dernier étant d’avis que l’accusé représente un danger grave et immédiat pour lui-même ou pour autrui. Il demande également une consultation et une prise en charge de l’accusé en psychiatrie et une prise en charge de l’accusé.  Toutefois, cette garde en établissement n’aura pas lieu, vu l’ordonnance de détention prononcée à la suite de la mise en accusation de l’accusé.
  7.          À 17h20, les avocats demandent de rappeler le juge pour poursuivre la comparution de l’accusé. Alors qu’un agent tente de se connecter à l’application Teams pour permettre la comparution de l’accusé, celui-ci devient agressif. Il crie une phrase à l’agent Lesage qui ne peut comprendre. Aussi, l’accusé frappe, avec son pied droit, l’agent Lesage. Il fait tomber le cellulaire de ce dernier. Dès lors, l’accusé est menotté et regarde les menottes en riant. L’accusé finit par se calmer et la comparution est complétée.
  8.          Vers 17h40, l’accusé est déplacé dans une autre salle. Il crie sans raison qu’il veut tourner dans une direction opposée. Il s’agite et doit être ramené à l’ordre par une infirmière. À un moment, il sourit sans raison précise. Une fois dans l’autre salle, l’accusé se calme et semble dormir.
  9.          Vers 19h41, les agents des services correctionnels arrivent à l’hôpital et prennent charge de l’accusé. Celui-ci est agité et agressif. Il bouge les pieds dans tous les sens et crie et doit être maîtrisé. Après quelques secondes, il se calme. Il se met alors à sourire et à rire sans raison. Il dit « pogner les tous ». Finalement, l’accusé est transporté à l’établissement de détention de Montréal (Bordeaux).

5. En détention entre le 8 et le 20 février 2023

  1.          L’accusé est détenu à l’établissement de détention de Montréal de manière continue du 8 février 2023 jusqu’au 20 février 2023, sauf pour un transport afin de séjourner à l’Hôpital Sacré-Cœur, entre le 9 février 2023 à 22h00 et le 10 février 2023 à 16h20.
  2.          Lors du séjour de l’accusé à l’Hôpital Sacré-Cœur, le personnel infirmier constate et note la désorganisation de l’accusé, une atteinte de ses fonctions motrices exécutives, de la confusion et de l’amnésie. Une consultation en neurologie a lieu afin de détecter une possible encéphalite ou une autre cause physique à ces symptômes. Tous les résultats sont négatifs.
  3.          Pendant le reste de la période du 8 au 20 février 2023, les notes du personnel des soins infirmiers de la détention révèlent que l’état de l’accusé fluctue fréquemment de manière significative. Ces notes font notamment état des éléments suivants :

I. Le 8 février 2023 vers 21h20, l’accusé est désorienté dans le temps et dans l’espace et semble confus.

II. Le 9 février 2023, à différents moments de la journée, on constate que l’accusé:

  1.      Présente un affect inapproprié;
  2.      Présente une dissociation entre sa pensée et ses agissements;
  3.       Présente un trouble de la coordination;
  4.      Qu’il semble dans une réelle détresse psychologique;
  5.      Qu’il est dans sa cellule debout, nu, regardant vers le sol et semblant marcher sur un fil invisible avec les bras placés en balancier;
  6.        Parle seul dans sa cellule;
  7.      A une agitation psychomotrice;
  8.      Est complètement perdu et incapable de fonctionner normalement dans ses actes et ses gestes.

III. Le 11 février 2023, lorsque l’accusé est rencontré pour une évaluation en santé mentale, on note que ce dernier semble avoir un délire mystique et on mentionne :

a)     Qu’il voit des graffitis sur les murs de sa cellule, que c’est lui qui les aurait créés et qu’ils lui parlent;

b)     Qu’une entité aurait pris son corps pour faire l’incident et que cette entité reconnaît son corps et son âme;

c)      Que l’âme des enfants l’appelle, qu’il croit pouvoir aider les victimes décédées à entrer en contact avec leurs parents, qu’il veut sauver l’âme des enfants et qu’il veut être le messager spirituel;

d)     Que des stigmas seraient apparus sur son corps en montrant une égratignure sur son avant-bras, que ce serait un signe et qu’il sent qu’il a une mission;

e)     Qu’il désire rééquilibrer le Ying et le Yang;

f)       Lorsqu’on lui demande sa date de naissance, il donne d’abord son matricule de la STL;

g)     Il dit avoir besoin d’aide astrale;

h)     Il dit que c’est la première fois que la force l’attire ici en pointant sa cellule.

IV. Le 14 février 2023 au courant de la matinée, il est noté :

  1.      Que l’accusé a inondé sa cellule?;
  2.      Qu’il présente des pensées incohérentes;
  3.       Qu’il mentionne en souriant et en regardant l’eau dans sa cellule : « J’ai fait un bateau pour mes choses magiques »;
  4.      Qu’il est désorganisé et agité, ce qui nécessite une intervention et l’utilisation d’agent inflammatoire pour maîtriser son agressivité.
  1.          En date du 14 février 2023, la conjointe de l’accusé rencontre les policiers lors d’une entrevue. Elle relate avoir discuté avec l’accusé à deux reprises depuis qu’il est détenu. Elle rapporte qu’il lui a dit ne pas comprendre ce qu’il a fait et ne pas savoir ce qui se passe avec lui.

6. Évolution de l’état de l’accusé depuis le 21 février 2023

  1.          À partir du 21 février 2023, l’accusé est détenu à l’Institut national de psychiatrique légal Philippe-Pinel. (« Pinel »). Depuis son admission à cet endroit, l’accusé a toujours maintenu aux différents intervenants n’avoir aucun souvenir d’avoir commis les infractions.
  2.          La conjointe de l’accusé indique également que l’accusé maintient n’avoir aucun souvenir de ce qui s’est passé.

7. Les démarches d’enquête policière – Absence de mobile de commettre le crime

  1.          Dans le cadre de leur enquête, les policiers du service de Police de Laval ont cherché à déterminer si l’accusé avait un mobile quelconque de s’en prendre à la Garderie éducative Sainte-Rose. L’ensemble des vérifications effectuées se sont avérées négatives.
  2.          Aucun lien entre la garderie et l’accusé n’a pu être identifié. De plus, l’enquête démontre qu’il n’a pas choisi de desservir la ligne d’autobus 151, le 8 février 2023.
  3.          Aucun lien entre l’accusé, les enfants et le personnel fréquentant la garderie n’a pu non plus être établi. De manière plus générale, aucun lien n’a pu également être identifié entre l’accusé et une quelconque garderie.
  4.          L’analyse du contenu du cellulaire de l’accusé n’a rien révélé de particulier.
  5.          La rencontre de la conjointe de l’accusé n’a rien révélé de particulier outre l’état de l’accusé dans la soirée du 7 février 2023 et pendant la nuit du 7 au 8 février 2023.
  6.          Les rencontres de la fille ainée de l’accusé, des membres de la famille de l’accusé, des amis de la famille de l’accusé, des collègues de travail de l’accusé n’ont rien révélé de particulier.  
  7.          Par ailleurs, de manière plus générale, l’enquête a permis d’établir que :
  1.         L’accusé n’a pas d’antécédents judiciaires;
  2.         L’accusé n’a pas de problème médical ou d’antécédent psychiatrique répertorié;
  3.         L’accusé n’a pas de problème de jeu;
  4.         L’accusé n’a pas de problème d’alcoolisme ni de toxicomanie;
  5.         L’accusé ne consomme pas de médication.
  1.          Finalement, l’enquête n’a pas permis d’établir que l’accusé et sa conjointe avaient des problèmes conjugaux, ni des problèmes familiaux, non plus que l’accusé et sa conjointe avaient des problèmes financiers.
  2.          Les parties ont produit, pour faire preuve de leur contenu, les différents rapports psychiatriques et psychologiques.
  3.          La psychiatre légiste Dre Kim Bédard-Charette de Pinel, a été mandaté par la Cour, dans un premier temps, pour évaluer l’aptitude à comparaître de l’accusé, et ce, en vertu de l’alinéa 672.11a) C.cr.[41]
  4.          Par la suite, elle a également été mandatée par la Cour pour évaluer si l’accusé était atteint de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle au moment de la perpétration des infractions reprochées, et ce, en vertu de l’alinéa 672.11b) C.cr.[42]
  5.          Dans le cadre de cette évaluation, Dre Bédard-Charette, a demandé l’aide d’une collègue du même institut, la Dre Rosalie Ouellette, psychologue et neuropsychologue, laquelle a également effectué une évaluation psychologique de l’accusé et produit un rapport.[43]
  6.          Le poursuivant a requis, lors de l’enquête préliminaire, le témoignage de ces deux experts en santé mentale.
  7.          Le poursuivant a aussi demandé une contre-expertise par le Dr Sylvain Faucher, psychiatre légiste. Celui-ci a produit initialement un court rapport comportant ses conclusions[44] ainsi qu’un rapport final détaillé[45].
  8.          Lors du procès, la Dre Bédard-Charette a témoigné en défense et elle a été interrogée par l’un des procureurs de l’accusé, Me Lespérance-Hudon. Le Dr Sylvain Faucher a témoigné par la suite et a été interrogé par l’un des procureurs du poursuivant, Me Karine Dalphond.

iii) Le rapport et le témoignage de la Dre Kim Bédard-Charette, psychiatre légiste

  1.          La Dre Bédard-Charette est psychiatre légiste, depuis 22 ans, et elle travaille à Pinel depuis le début de sa pratique médicale. Elle a réalisé plus de 2000 expertises.
  2.          Dès que l’accusé a été admis à Pinel le 21 février 2023, elle a été désignée à titre de psychiatre traitante de l’accusé. À cet établissement, les patients faisant l’objet d’accusation d’homicide sont confiés à différents psychiatres en rotation selon les lits disponibles dans les différentes unités. Lors de l’arrivée de l’accusé à Pinel, il incombait, selon la procédure, à la Dre Bédard-Charette de prendre charge de ce patient.[46]
  3.          L’accusé est toujours détenu à Pinel jusqu’à ce jour. Depuis son arrivée, la Dre Bédard-Charette assurait les traitements du patient jusqu’à tout récemment. Elle a été à même de constater l’évolution de la situation psychiatrique de l’accusé par ses différentes rencontres et par l’accès au dossier médical de celui-ci.
  4.          La Dre Bédard-Charette a effectué, à la demande de la cour, une évaluation de la responsabilité criminelle de l’accusé au moment des infractions reprochées, et ce, en regard de l’application du paragraphe 16(1) C.cr. et elle a rédigé un rapport extrêmement détaillé.
  5.          Pour ce faire, elle a bénéficié des observations et des notes de l’ensemble du personnel traitant de l’unité H-3 de Pinel, du dossier médical de l’hôpital Sacré-Cœur de Montréal, des informations collatérales obtenues de la criminologue de Pinel, Miriam Giguère, ainsi que du dossier de la divulgation de la preuve du poursuivant.
  6.          La Dre Bédard-Charette a discuté avec la Dre Rosalie Ouellette, de son rapport, de ses conclusions et de ses recommandations. D’ailleurs, dans son rapport, la Dre Bédard-Charette dresse un compte rendu des évaluations psychologiques et neuropsychologiques de la Dre Ouellette.
  7.          Le rapport étoffé de la Dre Bédard-Charette comporte les éléments pertinents de l’histoire personnelle de l’accusé et contributif à l’évaluation. Les délits sont décrits, de même que l’évolution du patient à Pinel. Il contient également un compte rendu détaillé de l’évaluation psychologique et neuropsychologique.
  8.          Dans son rapport, la Dre Bédard-Charette reprend de larges passages de ce compte rendu rédigé par la Dre Rosalie Ouellette. Il convient de reproduire de longs extraits.

Il s'agit sans aucun doute d'un cas fort complexe pour lequel il est difficile de se prononcer avec certitude quant à la présence d'éventuelles pathologies psychologiques et psychiatriques. La présente démarche, couplée aux démarches effectuées par d'autres professionnels et collègues, a toutefois permis d'éliminer avec une certitude satisfaisante les hypothèses suivantes : intoxication aux substances, médicaments ou à l'alcool, incluant les produits naturels ; encéphalopathie et organicité, incluant l'épilepsie, les conditions infectieuses, les tumeurs, les lésions cérébrales, accident vasculaire cérébral, démences ; maladies physiques pouvant avoir une incidence négative sur la cognition et le fonctionnement cérébral. Nous écartons également, pour l'instant, la présence d'un trouble neuropsychiatrique du spectre de la schizophrénie.

Les résultats aux tests que nous avons administrés mettent en lumière un tableau clinique où se côtoient des éléments psychologiques et neuropsychologiques suggérant un fonctionnement psychologique adéquat, permettant de percevoir et de comprendre le monde comme le font la plupart des gens, accompagné d'une réactivité au stress significative et de difficultés émotionnelles importantes. Nous retrouvons également plusieurs éléments qui suggèrent qu'en dépit de cette force psychologique et de cette résilience, il existe des fragilités dans le testing de la réalité et dans l'interprétation de certaines situations qui pourraient révéler une vulnérabilité aux états limites, prépsychotiques et psychotiques. Ceci serait particulièrement vrai lors de situations stressantes et/ou à teneur émotionnelle.

L'ensemble des informations provenant de la présente démarche converge ainsi vers l'hypothèse d'une interaction entre d'une part, une structure de personnalité au fonctionnement fragile chez un homme polytraumatisé dont les mécanismes d'adaptation sont sursollicités de façon chronique et, d'autre part, une importante réactivité au stress qui exacerbe une vulnérabilité probablement psychotique. Les lignes suivantes proposent un rappel de certains faits, une analyse d'éléments contributifs au tableau clinique et une synthèse expliquant cette hypothèse.

Éléments d'analyse et de discussion

Nous rappellerons d'abord qu'il s'agit d'un homme dont les fondations du Soi, de l'identité et de la compréhension du monde se sont édifiées dans un contexte hautement traumatique. Plusieurs des traumatismes vécus se sont étalés sur une période de plus de cinq ans, alors que la guerre sévissait. Monsieur est un enfant orphelin polytraumatisé ; il a subi la mort de ses parents, la perte de ses sœurs, la perte de sa maison, il a été placé en famille d'accueil, il a fui à pied à travers des bombes et des tirs, il a perdu son cousin qui veillait sur lui, il a été battu et blessé par celle qui devait prendre soin de lui, il a été placé dans différents camps de réfugiés, il a eu peur pour sa sécurité, pour son intégrité, il a eu faim, il a eu soif, il a dû travailler, il a volé. Monsieur est arrivé au pays avec un statut de réfugié, sans papiers, sans nom de famille, sans date de naissance, sans connaissance de la langue ni du pays d'accueil. Il a été accueilli par une famille québécoise aimante qui a tenté de rendre sa vie plus douce et moins traumatique.

Il semble que la stratégie d'adaptation et de régulation émotionnelle mise en place par monsieur, peut-être même une stratégie de survie psychologique, repose en grande partie sur un refoulement massif, voire un déni, de son passé et des multiples traumatismes vécus. Il semble avoir reconstruit certains souvenirs de façon à les rendre probablement moins douloureux. Plusieurs de ses souvenirs ne correspondent pas à la réalité. Il a tenté consciemment d'oublier tout son vécu et ses racines. Il ne voulait pas en parler et il n'en a pas parlé. La croyance sous-jacente semble être que les choses dont on ne parle pas n'existent pas. Cette stratégie défensive est encore en opération à ce jour.

[…]

Monsieur n'a probablement pas été en mesure d'anticiper l'ensemble des enjeux sur le plan psychologique soulevés par le fait de devenir père, lui qui n'en a pas eu lorsqu'il avait l'âge de ses filles. Il ne semble pas avoir pris conscience de l'impact troublant de prendre soin des enfants pour quelqu'un qui a connu l'abandon, l'instabilité des figures parentales, la faim, la soif, la violence, la peur, l'impuissance, l'instabilité résidentielle. Il s'est efforcé d'offrir tout le contraire à ses filles, de ne pas répéter ce qu'il avait lui-même vécu, sans réaliser le coût psychique élevé associé à cela. Monsieur donne ainsi l'impression à son entourage d'être un homme solide ou encore d'un pilier de famille, comme il se décrit lui-même. Il insiste souvent pour mettre de l'avant comment il a enfin atteint son but, son rêve, qu'il a enfin trouvé un sens à sa vie, qu'il a trouvé son identité, qu'il a une belle famille.

Malheureusement, en dépit du grand bonheur associé à cette vie, il semble que la charge quotidienne, la pression vécue au travail, le stress quotidien et la réalité d'être un conjoint et un père de famille aient pu ébranler la structure interne de monsieur. L'histoire de vie nous suggère que les fondations du Soi sont au mieux fragiles et instables, et que l'identité demeure, malgré le rôle de père récemment investi, floue et troublée. Éduquer des enfants, être en proximité relationnelle et porter une situation familiale sur ses épaules constituent des défis importants pour la majorité des gens et cela peut être particulièrement confrontant pour quelqu'un qui n'a pas reçu les bases nécessaires à son développement socioaffectif, qui a grandi dans un environnement hostile et précaire.

[…]

Compréhension clinique

La présente évaluation visait à proposer un éclairage diagnostique chez M. St­Amand et à proposer une compréhension de son fonctionnement psychologique. Il s'agit d'un homme sans antécédents judiciaires et sans antécédents psychiatriques. Monsieur est accusé d'avoir foncé dans une garderie alors qu'il conduisait un autobus de ville, dans le cadre de son travail. Différentes hypothèses peuvent être avancées pour tenter de mieux comprendre ce qui s'est passé, mais il est difficile de statuer avec certitude sur une explication plutôt qu'une autre.

Ceci étant dit, suite aux tests médicaux, d'imagerie médicale, radiologiques qui ont été effectués depuis l'arrestation de monsieur, et aux tests psychologiques et neuropsychologiques que nous avons effectués, nous écartons les hypothèses associées à une intoxication, à une maladie physique, à une encéphalopathie, à une démence et à une maladie psychiatrique du registre de la schizophrénie.

Nous émettons l'hypothèse qu'un contexte d'augmentation du stress, lié à des événements tels que les préparatifs du mariage, d'un voyage, de l'anniversaire de sa fille et son travail exigeant, accompagné d'une diminution du sommeil et d'une augmentation des tracas financiers, ait pu fragiliser l'état mental de monsieur dans les jours précédant les événements. Le modèle stress-vulnérabilité stipule que chez une personne présentant une vulnérabilité à la psychose, des facteurs de stress internes et externes peuvent accroître substantiellement le risque d'une fragilisation menant à une décompensation psychotique.

Nous croyons également qu'en raison de la sursollicitation chronique des ressources adaptatives de monsieur, des événements de vie et des facteurs de stress, qui sont généralement bien gérés par la plupart des gens, aient pu entraîner un débordement de ses capacités adaptatives en fragilisant sa structure interne. Les prochaines lignes proposent un survol de facteurs de stress récents pouvant être contributifs au tableau clinique.

D'abord, durant la dernière année, son tuteur et ami qui l'a beaucoup aidé depuis environ 30 ans a eu de sérieux problèmes de santé. Il a beaucoup perdu d'autonomie et il a des troubles neurocognitifs. Ceci a été un coup très dur pour monsieur, il est très affecté par cette perte. Il perd ainsi la personne vers qui il se tournait pour être soutenu et guidé, l'isolant davantage.

Ensuite, pendant quelques semaines avant les événements, monsieur a dû faire des démarches et procédures en lien avec son mariage à venir et le voyage à planifier. Par exemple, il a dû rassembler divers papiers officiels visant à prouver son identité et son statut afin de les fournir à un notaire en vue du mariage. Il a dû retourner dans son passé afin d'expliquer sa situation et de régulariser son identité et celle de ses parents. Monsieur ne cache pas que le mariage n'était pas nécessaire pour lui, mais il semble qu'il s’y ralliait surtout pour une question de vacances afin d'aller à Disneyland en famille. Il avait beaucoup de préoccupations en lien avec ces démarches, notamment financières. Environ une semaine avant les événements, il semble que le mariage avait été publié par le notaire.

Finalement, les jours précédant les événements, il semble que monsieur était plus préoccupé. Il dormait de moins et moins bien. Il raconte avoir oublié des événements auxquels il a participé, par exemple un souper chez lui avec des amis. La journée avant les événements, il a raconté avoir vécu un moment d'absence au volant de son autobus. Il avait alors confondu des numéros de circuits et avait effectué le mauvais circuit pendant environ 15 minutes. Il s'agit de sa première grosse erreur, selon lui, et de son premier retard significatif, en 11 ans à l'emploi de la STL. Il est habituellement très performant au travail et s'efforce d'être ponctuel aux arrêts. Il a remarqué qu'il se sentait plus fatigué. Il avait avisé son superviseur et il n’y aurait pas eu de conséquences négatives pour lui.

Lorsque questionné sur son état lors des événements, monsieur ne peut répondre, car il affirme ne pas s'en souvenir. Il indique se rappeler n'avoir pas vraiment dormi la nuit précédente, être rentré travailler, avoir fait quelques fois le trajet avant l'événement tragique et s'être ensuite « réveillé en prison » plusieurs jours plus tard. Il assure n'avoir aucun souvenir des événements, des examens à l'hôpital, de l'interrogatoire policier ni de ce qui pourrait expliquer ce qui est arrivé. Il est dévasté et atterré par ce qui lui a été révélé, il se sent coupable et triste. Il vit une grande détresse et verbalise beaucoup d'empathie, de culpabilité et de regret envers les victimes et leurs familles. Il est dans une grande incompréhension, il cherche des explications.

Selon les documents consultés en provenance de l'Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal, de l'établissement de détention et des policiers, monsieur apparaissait dans un état de désorganisation psychotique au moment de son arrestation et pendant plusieurs jours ensuite, peut-être une dizaine. Plusieurs éléments ont été rapportés par différents intervenants et professionnels, les prochaines lignes en contiennent quelques exemples.

On mentionne notamment qu'après l'impact, monsieur a enlevé son pantalon et son sous-vêtement et qu'il se frappait la tête avec ses poings en criant. Son discours était incompréhensible, il était agité et se débattait. On rapporte que plus tard, son état d'éveil et d'alerte fluctuait, qu'il était capable de répondre aux questions de façon intermittente, qu'il a tenu des propos incohérents, que son comportement était bizarre.

Lors de son séjour en détention, on rapporte que monsieur avait un affect généralement plat, qu'il était stoïque et partiellement orienté. On mentionne des moments d'agitation psychomotrice et de logorrhée. On mentionne que monsieur a marché comme un funambule, puis qu'il s'est mis à quatre pattes sur son lit. On rapporte qu'il a tenu des propos étranges, par exemple à l'effet qu'il était l'auteur de graffitis sur les murs et que des « écriteaux » lui parlaient. À un moment, lorsqu'on lui a demandé sa date de naissance, monsieur a répondu par son matricule de la STL. Il aurait également tenu des propos en lien avec une entité, une force qui se serait emparée de son corps. Il a parlé d'un stigma apparu sur son avant-bras qui indiquerait que c'est un signe qu'il a une mission, il a mentionné qu'en tant que personne asiatique il veut rééquilibrer le Ying et le Yang. À un moment, il a inondé sa cellule et a expliqué avoir « fait un bateau pour ses choses magiques ».

Il semble que les symptômes se soient résorbés graduellement, sur plusieurs jours, et que monsieur se soit senti mieux après un appel téléphonique avec sa conjointe. À noter que monsieur reçoit une médication antipsychotique, qui a été introduite quelques jours après son arrestation.

À son arrivée sur notre unité et jusqu'à maintenant, le contact à la réalité nous apparaît maintenu et nous n'avons pas d'indices qu'il soit actuellement aux prises avec des phénomènes perceptuels étranges, des idées délirantes ou des troubles de la pensée majeurs. Monsieur affirme se sentir mieux et demeurer avec une amnésie rétrograde, une grande perplexité et énormément de tristesse, de culpabilité et de peur face au futur. Nous n'avons pas observé de comportements bizarres. Lorsque questionné sur la présence de tels symptômes dans le passé, monsieur est catégorique qu'il n'en avait jamais présenté, ce que l'entourage a confirmé.

Donc, nous sommes d'avis que monsieur a pu présenter, en janvier et février, une période de fragilisation de son état mental en lien avec une accumulation de stresseurs. Cette fragilisation semble s'être exacerbée au début de février et monsieur semble avoir perdu le contact avec la réalité de façon graduelle. Une nuit blanche la veille des événements, combinée au stress de son travail et de ses obligations, semble avoir contribué à aggraver son état. Il semble que monsieur ait été en psychose au moment des événements et plusieurs jours ensuite. Cet épisode psychotique s'est graduellement résorbé.

  1.          Dans la portion finale de son rapport, la Dre Bédard-Charette décrit l’état mental de l’accusé, donne son opinion diagnostique ainsi que son opinion médico-légale sur la question de la responsabilité criminelle et elle dresse aussi certaines recommandations. Il convient de citer au long ces dernières sections du rapport.  

 EXAMEN DE L'ÉTAT MENTAL

En entrevue, monsieur paraît son âge. L'hygiène est adéquate. L'affect apparaît triste, congruent à l'humeur et aux propos tenus. Aucun élément délirant systématisé n'est mis en évidence. Monsieur nie toute idée auto ou hétéroagressive contemporaine. Aucune anomalie perceptuelle n'a été décelée dans le cours de nos entretiens. Les fonctions mentales supérieures telles que l'attention et la concentration sont adéquates. Monsieur présente une amnésie significative de la période entourant les délits. Le jugement pratique apparaît actuellement correct.

OPINION DIAGNOSTIQUE

Compte tenu de tout ce qui précède, nous retenons, chez M. St-Amand, un diagnostic d'épisode psychotique non spécifié. Rappelons qu'aucune étiologie toxique ou neurologique n'apparaît contributive à la présente situation clinique. Toutefois, les traumatismes psychologiques répétés et complexes ont contribué à une structure de personnalité au fonctionnement fragile, monsieur présentant une réactivité accrue au stress qui semble avoir précipité l'épisode psychotique documenté. Par ailleurs, nous retenons la présence de symptômes dépressifs qui apparaissent clairement reliés au contexte actuel. Il n'est pas impossible que monsieur développe un trouble dépressif caractérisé dans l'avenir. Ceci sera à surveiller de près.

OPINION MÉDICOLÉGALE SUR LA QUESTION DE LA RESPONSABILITÉ CRIMINELLE

À la lumière des informations obtenues, compte tenu des observations faites, des résultats obtenus au testing psychologique et neuropsychologique de même qu'à la lecture longitudinale de l'ensemble des documents soumis à notre appréciation, nous en arrivons à la conclusion que dans la période entourant les délits du 8 février 2023, M. St-Amand a présenté une rupture du contact avec la réalité le rendant incapable de départager la nature ou la qualité de l'acte commis ou encore, de savoir que ce dernier était mauvais. C'est en proie à un épisode psychotique que monsieur aurait embouti une garderie, au volant de l'autobus qu'il conduisait dans le cadre de son travail. Il est vrai que l'amnésie présentée par M. St-Amand rend d'autant plus complexe l'obtention d'informations pertinentes à la présente évaluation. Toutefois, l'ensemble des évaluations complétées, de même que le comportement, les attitudes et les symptômes présentés par M. St-Amand dans la période postdélictuelle immédiate nous amènent à conclure qu'il présentait un état mental perturbé qui a perduré dans le temps.

Ainsi, les polytraumatismes passés, trop longtemps refoulés du champ de la conscience, semblent avoir, telle une surcharge de tension émotionnelle, dépassé les capacités de régulation du patient, produisant dès lors une brèche dans un équilibre déjà précaire, fragilisé par de multiples stresseurs, ceci culminant dans une rupture de contact avec la réalité.

En ce sens, il nous apparaît possible d'émettre une opinion positive sur l'application de l'article 16 du Code criminel canadien dans ce cas-ci.

RECOMMANDATIONS

Si les faits étaient avérés et que monsieur était trouvé non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux des accusations ayant été portées contre lui, nous sommes d'avis qu'il devrait faire l'objet d'un mandat de la Commission d'examen des troubles mentaux du Tribunal administratif du Québec. Compte tenu de la gravité du délit, nous croyons qu'un mandat de détention stricte s'impose que ce mandat devrait être servi à l'Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel.

Compte tenu de la nature même du délit, de même que de la condition clinique de M. St-Amand, une prise en charge multidisciplinaire, incluant des interventions psychologiques, nous apparaît nécessaire pour amorcer un traitement.

  1.          Lors de son témoignage au procès, la Dre Bédard-Charette a synthétisé et vulgarisé certains éléments de son rapport. Le Tribunal retient plus particulièrement les éléments suivants :
  • Elle a demandé à la Dre Rosalie Ouellette de l’éclairer sur les éléments du fonctionnement psychologique et intrapsychique de l’accusé et de lui proposer des hypothèses diagnostics à la lumière des « testings » psychologiques et neuropsychologiques. La Dre Ouellette a fait des tests objectifs et des entrevues subjectives avec l’accusé.[47]
  • Elle a travaillé de concert et en collaboration avec une criminologue Mme Miriam Giguère afin d’aller chercher l’information collatérale auprès des familles, soit la famille d’adoption de l’accusé et sa famille actuelle.[48]
  • Dès l’arrivée de l’accusé à Pinel, le 20 février 2022, elle a reconduit le traitement débuté à l’établissement de détention Bordeaux et elle a prescrit l’antipsychotique, Zyprexa (5 mg), qui initialement avait été prescrit par l’omnipraticienne de l’établissement de détention (Bordeaux). À sa connaissance, ce médicament est toujours prescrit à l’accusé.[49]
  • Elle a suivi l’accusé assidûment lors de sa détention à Pinel et a eu plusieurs entretiens avec ce dernier.
  • Elle a constaté que l’accusé n’avait pas d’antécédents médicaux ou chirurgicaux et elle ne pouvait s’appuyer sur des diagnostics antérieurs pour avoir un éclairage. Elle a conclu à un diagnostic d’épisode psychotique non spécifié et elle a exclu tous les autres diagnostics.
  • Elle définit la psychose à une rupture ou une perte de contact avec la réalité entraînant des comportements et des pensées désorganisés et des hallucinations.[50]
  • Elle a retenu le diagnostic de trouble psychotique non spécifié plutôt que celui de trouble psychotique bref « puisqu’il lui est impossible de dire si c’est le traitement qui a fait arrêter les symptômes ou s’ils auraient continué dans le temps, si jamais l’accusé n’avait pas reçu de médicaments antipsychotiques ».[51]
  • Parmi les éléments qu’elle retient pour son diagnostic de trouble psychotique non spécifié, elle énumère, entre autres, les éléments suivants :

-         Des comportements désorganisés;

-         Une pensée désorganisée, ce qui a aussi été noté avec la confusion qui était présente;

-         Des idées délirantes;

-         Les délires mystiques, l’impression de pouvoir reconnecter l’entité, les stigmates;

-         Le fait que l’accusé a été vu parler seul, ce qui lui fait penser qu’il a probablement aussi entendu des voix.[52]

  • Elle explique que les traumatismes psychologiques passés de l’accusé ont sollicité ses mécanismes de défense de façon très répétée et qu’ici, les défenses ont « sauté un peu comme le presto faisant en sorte que la vapeur devait se trouver un chemin pour sortir ».[53]
  • Selon elle : « L’enfance difficile, le fait qu’il est renfermé, qu’il n’a jamais appris à mentaliser ses émotions et qu’il a choisi de façon inconsciente probablement, le déni comme mécanisme ou le refoulement des symptômes pour ne pas avoir à vivre la douleur qui était liée aux traitements de toute cette information-là, ça a créé un terreau fertile pour qu’à un moment donné il y ait des ruptures de contact ou des pertes de contrôle, des pertes de contact avec la réalité. ».[54]
  • Elle retient que certains indices sont apparus avant le délit démontrant que quelque chose n’allait pas. Par exemple, la veille de l’événement, l’accusé s’est trompé de trajet et il a mal dormi, et ce, sans s’expliquer pourquoi. Le matin de l’événement, il était confus.[55]
  • Selon elle, il est très clair que l’amnésie de l’accusé est authentique et qu’elle n’est pas feinte. Cette amnésie est compatible avec un épisode psychotique.[56]
  • Elle souligne que l’accusé est extrêmement peiné et que, dès le début, « il a manifesté des remords et de la culpabilité, se sentant même coupable, lui d’avoir encore ses filles alors que malheureusement, les familles des enfants touchés, blessés ou décédés, eux avaient à vivre avec les conséquences de ses gestes ».[57]
  • À son opinion, l’accusé avait au moment des gestes reprochés un trouble psychotique correspondant à la définition légale de trouble mental. Selon elle, l’accusé ne savait pas, au moment où il a accéléré et embouti la garderie, qu’il pouvait malheureusement tuer des personnes ou blesser sérieusement des personnes. « L’accusé ne connaissant pas la nature et la qualité de l’acte puisqu’il n’était pas en mesure de savoir ce qu’il faisait et encore moins, de savoir que ce qu’il faisait était mauvais puisqu’il n’était même pas capable de savoir ce qu’il était en train de faire. ».[58]
  • Elle précise que les critères de la loi sont satisfaits et qu’elle formule une opinion positive sur l’application de l’article 16 C.cr., selon la balance des probabilités. À son avis, il apparaît plus probable que moins probable que l’accusé ait souffert d’un trouble mental tel que la responsabilité criminelle de celui-ci n’était pas engagée et que l’on peut donc dire qu’il était donc non criminellement responsable.[59]
  • Elle recommande que l’accusé soit détenu dans un hôpital psychiatrique sécuritaire, en l’occurrence, Pinel, lequel est un établissement surspécialisé comportant notamment des unités de détention barrées.[60]

iv)   Le rapport et le témoignage du Dr Sylvain Faucher, psychiatre légiste

  1.          Le Dr Sylvain Faucher est psychiatre légiste depuis près de 30 ans et il travaille en pratique privée ainsi qu’à temps partiel en milieu hospitalier à l’Institut universitaire de santé mentale de Québec.[61] Dans sa carrière, il a effectué près de 5 000 expertises.[62] Il a été mandaté par le poursuivant afin d’évaluer le bien-fondé des conclusions retenues par la psychiatre Dre Bédard-Charette ayant été désignée par la Cour.
  2.          Pour effectuer son mandat, il a révisé l’ensemble de la documentation concernant l’accusé provenant de Pinel pour la période couvrant du 21 février 2023 au 5 décembre 2024, de même que le dossier médical de l’hôpital Sacré-Cœur de Montréal pour la période du 8 février 2023 au 10 février 2023, ainsi que les notes des infirmières à l’établissement de détention de Montréal (Bordeaux) pour la période du 8 février 2023 au 20 février 2023.
  3.          Il a évidemment pris connaissance de l’évaluation psychiatrique de la Dre Kim Bédard-Charette, du rapport psychologique et neuropsychologique de la Dre Rosalie Ouellette et de la divulgation de la preuve du poursuivant incluant les enregistrements vidéo de l’autobus du 8 février 2023.
  4.          Il a de plus, assisté par vidéo conférence aux auditions de l’enquête préliminaire où Dre Bédard-Charette et Dre Rosalie Ouellette ont témoigné.
  5.          Enfin, il a tenu plusieurs rencontres avec l’accusé dont la dernière s’est tenue à Pinel, le 6 décembre 2024.
  6.          Dans son rapport, le Dr Faucher relate les éléments de l’histoire antérieure de l’accusé et il recense minutieusement les différentes notes des dossiers pour fonder son opinion.
  7.          Dans la dernière section de son rapport, il traite de l’examen mental et donne son opinion diagnostic sur la responsabilité criminelle de l’accusé.
  8.          Relativement à l’état mental de l’accusé à l’origine des comportements reprochés, il retient le trouble psychotique bref. Selon lui, cette hypothèse explique l’ensemble des informations existantes.
  9.          Dans son rapport, il écrit :

En effet, elle est compatible avec celles provenant des témoins de l’événement (intimé à moitié nu après s’être déshabillé dans l’autobus, propos incohérents [monsieur ne parle pas le cambodgien], altercation physique avec un parent…), mais aussi avec les constatations des premiers policiers arrivés sur les lieux (absence de tonus, regard vide, sans émotion, apparaissant dans l’incompréhension de ce qui se déroule autour de lui…) et avec les observations du personnel médical de l’Hôtel-Dieu du Sacré-Cœur de Montréal et de l’Établissement de détention de Montréal (amnésie plus ou moins significative des événements, confusion et désorientation, agitation ou comportement désorganisé, affects inappropriés, propos mystique ou concernant une mission…), de même que les attitudes et les comportements adoptés par le sujet lors de son interrogatoire (indifférence, perplexité, désengagement, agressivité subite…). En effet, cette hypothèse expliquerait la présentation variable de l’intimé d’une heure à l’autre, d’une journée à l’autre, dans la semaine suivant son arrestation. Elle pourrait expliquer également sa présentation lors de son interrogatoire, mais aussi son geste agressif envers un agent à la suite de sa première comparution. Ce passage à l’acte serait une répétition, certes bien atténuée, de l’agir délictuel. Il serait un autre geste hétéroagressif chez un individu connu de tous comme avenant, serviable et poli, n’ayant jamais adopté auparavant de comportement préjudiciable envers autrui. Par contre, si on se fie aux souvenirs du témoin Ly, le sujet se serait déjà désorganisé, sans, semble-t-il, s’attaquer à autrui outre crier, alors qu’il était dans une bibliothèque, une ambulance avait été demandée. Cette hypothèse est aussi soutenue par la dégradation du fonctionnement de monsieur St-Amand dans les jours et heures qui précèdent les événements, alors qu’il s’écarte de sa routine, commet des erreurs, a des trous de mémoire et présente des symptômes nouveaux, dont de l’insomnie. Sans compter les observations des témoins Ayotte et Gravel qui le décrivent comme triste, distant, avec un regard fixe et adoptant des comportements étranges. Finalement, elle est appuyée par son évolution à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel où il séjourne depuis son séjour carcéral (aucune récidive de symptômes psychotiques, fragilité observée sous stress, à plus d’une reprise, où il perd ses moyens pour s’exprimer correctement et pour comprendre les informations ou les enjeux auxquels il est confronté, introspection limitée et mise à distance des émotions).

  1.          Au sujet de la responsabilité criminelle de l’accusé, le Dr Faucher conclut en indiquant :

Je partage donc la conclusion de Dre Bédard-Charette en retenant un diagnostic apparenté au sien et par un raisonnement se distinguant que par certaines nuances. Ainsi, je suis d’avis que lors des événements délictuels, l’état mental de monsieur St-Amand était perturbé par des symptômes psychotiques, dont l’origine selon moi serait un trouble psychotique bref, qui l’a, à tout le moins, empêché d’apprécier la qualité des gestes qu’il adoptait, à savoir s’ils sont bons ou mauvais.

  1.          Enfin, lors de son témoignage, il expose à nouveau les différentes hypothèses qu’il a considérées et il développe certains concepts. Le Tribunal retient plus particulièrement les éléments suivants :
  • Au moment de débuter sa contre-expertise, il a cherché à obtenir le plus d’informations possible afin d’effectuer son mandat qu’il définit comme une enquête qui doit le conduire à retenir l’hypothèse la plus probable.[63]
  • En plus des documents qu’il a mentionnés à son rapport, il indique qu’il a obtenu d’autres documents relativement au parcours de l’accusé avant et après son arrivée au Canada, ainsi que des documents qui provenaient du dossier de la notaire qui devait célébrer le mariage.[64]
  • Initialement, lorsqu’il a pris connaissance des différents éléments du dossier, il a estimé que la difficulté du cas reposait sur le fait que l’accusé avait commis un geste insensé alors que dans les minutes du passage à l’acte, l’accusé semblait fonctionnel.[65]
  • Il est d’accord avec la Dre Bédard-Charette que l’accusé a subi de nombreux traumatismes pendant son enfance et qu’il a développé un état de stress post-traumatique. Selon lui « cette pathologie serait apparue pendant son enfance et il a développé des symptômes chronicisés, dont des symptômes résiduels qui sont devenus des caractéristiques de fonctionnement ».[66]
  • Il reconnaît que l’accusé n’a pas d’antécédents judiciaires, qu’il n’a jamais consulté un psychiatre, ni un psychologue avant les événements, « qu’on ne connait pas ses antécédents familiaux, qu’on ne sait pas s’il y a une fragilité ou non à développer des psychoses parce que des membres de sa famille en ont déjà développés. ».[67]
  • Il reconnaît également que des causes médicales pouvaient être exclues, tout comme l’alcool ou l’utilisation de stupéfiants.[68]
  • Selon lui, l’accusé, dans les heures précédant les événements, avait perdu son efficience puisqu’il présentait des écarts dans sa routine. L’accusé présentait aussi de nouveaux symptômes, comme l’insomnie, des maux de tête et une polyurie (uriner fréquemment).[69]
  • À son avis, l’accusé lui est apparu authentique et ne pas simuler. Il identifie cinq éléments démontrant que l’accusé ne simule pas :[70]
  1.      Premièrement, l’accusé pouvait être orienté et devenir ensuite confus dans la même journée, nonobstant qu’on l’observait ou pas.[71] Il n’y avait pas de fluctuations.[72]
  2.      Deuxièmement, l’accusé ne se souvenait pas des événements et il était incapable de donner des détails. Habituellement, une personne qui simule multiplie les détails.[73]
  3.      Troisièmement, à son arrivée à Pinel, l’accusé n’était plus psychotique alors que cela aurait été le moment le plus opportun de présenter des symptômes.[74]
  4.      Quatrièmement, l’amnésie chez l’accusé s’est manifestée graduellement dans le temps, de sorte qu’il a perdu de plus en plus de détails.[75]
  5.      Cinquièmement, une personne qui simule a tendance à exagérer « à pousser le crayon » et cela se manifeste habituellement dans les tests psychométriques tels que le MMPI. Or ici, ce n’est pas le cas.[76] De plus, selon le Rorschash, l’accusé a une fragilité à devenir psychotique.[77]
  • Il rejette l’hypothèse que l’accusé ait fait un geste volontaire, impulsif, à visée autodestructrice[78], soit un geste où l’on veut s’enlever la vie ou soit parce qu’on veut détruire sa vie ou détruire la base de sa vie.[79]
  • Il rejette aussi l’hypothèse que les symptômes psychotiques soient survenus par la suite d’un événement alors que l’accusé aurait pris conscience de la gravité des conséquences de son geste.[80]
  • À l’instar de la Dre Bédard-Charette, il retient l’hypothèse que l’accusé était en psychose au moment des gestes.[81] Selon lui, il s’agit plus précisément d’un trouble psychotique bref qui répond spécifiquement à la définition du DSM-5-TR.[82]
  • Le trouble psychotique bref s’installe souvent en quelques jours ou même en quelques heures mais peut aussi arriver soudainement, tout d’un coup.[83] Il est brutal et l’on constate l’apparition de fissures, « d’erreurs » dans le fonctionnement.[84]
  • Ce trouble est subit, intense et dure quelques jours.[85]
  • En ce qui concerne l’accusé, il constate que les mécanismes de fonctionnement de ce dernier avaient commencé à lâcher dans les heures précédentes. Il décrit la dégradation de l’efficience de l’accusé, tel que le retard la veille dans le trajet d’autobus, les écarts dans la routine, de même que des symptômes nouveaux tels que la fatigue, l’insomnie, la polyurie et les maux de tête.[86]
  • Il constate qu’au moment des événements, il existait des signes évidents de psychose, par exemple, l’accusé s’est frappé, il a crié, il s’est déshabillé et il a tenu des propos incohérents.[87]
  • Concernant les éléments dits stresseurs susceptibles de déclencher une psychose, le Dr Faucher identifie le stress post-traumatique de l’accusé non traité ainsi que des nouveaux stresseurs tel que le mariage à venir et les démarches effectuées pour retourner dans son passé afin de répondre aux demandes de la notaire.
  • À son avis, concernant le critère énoncé à l’article 16 C.cr., au niveau de la nature et de la qualité du geste, il n’a pas assez d’information pour se prononcer à l’effet du trouble mental. Par contre, selon lui, puisque l’accusé était psychotique au moment de l’événement, il ne pouvait savoir que le geste posé était bon ou mauvais.[88] Il est d’accord avec la conclusion de la Dre Bédard-Charette quant au fait que l’accusé était atteint d’un trouble mental le rendant non criminellement responsable.

Le droit applicable

  1.          Les principes de droit relativement à la non-responsabilité criminelle sont bien établis en droit canadien. La loi est claire et ne fait pas l’objet de controverse jurisprudentielle.
  2.           L’article 16 du Code criminel prévoit la défense de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux. Le texte de loi se lit ainsi :

Troubles mentaux

16(1) La responsabilité criminelle d’une personne n’est pas engagée à l’égard d’un acte ou d’une omission de sa part survenu alors qu’elle était atteinte de troubles mentaux qui la rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais.

Présomption

(2) Chacun est présumé ne pas avoir été atteint de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle sous le régime du paragraphe (1); cette présomption peut toutefois être renversée, la preuve des troubles mentaux se faisant par prépondérance des probabilités.

Charge de la preuve

(3) La partie qui entend démontrer que l’accusé était affecté de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle a la charge de le prouver.

  1.          Ce moyen de défense repose sur le principe voulant que la responsabilité criminelle soit fondée sur la volonté morale d’un accusé. Le moyen de défense doit être établi selon un test à deux volets. Premièrement, l’accusé doit être atteint d’un trouble mental au moment des actes qui lui sont imputés. Deuxièmement, le trouble mental doit avoir engendré l’une ou l’autre des situations suivantes: soit que l’accusé était incapable de juger de la nature et de la qualité de ses actes, soit qu’il était incapable de savoir que ses actes étaient mauvais.[89]

L’application au cas d’espèce

  1.           En l’espèce, les parties conviennent que la preuve démontre que l’accusé a commis les actes qui lui sont imputés, mais qu’il était alors atteint d’un trouble mental le rendant non criminellement responsable, au sens de l’article 16 C.cr. Les parties ont raison.
  2.          Le Tribunal considère que les éléments matériels des infractions reprochées ont été prouvés hors de tout doute raisonnable.
  3.          Le Tribunal conclut également qu’au moment des événements, l’accusé, était aux prises avec un trouble mental qui le rendait incapable de juger de la nature et de la qualité de ses actes qui le rendait incapable de distinguer le bien du mal au sens de l’article 16 C.cr.
  4.          Au moment des événements, l’accusé était aux prises avec une psychose sévère altérant sa capacité de distinguer le bien du mal, le légal de l’illégal.
  5.          À la lumière de la preuve psychiatrique et l’ensemble de la preuve, le Tribunal est convaincu, selon la balance des probabilités que l’accusé présentait, au moment des événements du 8 février 2023, un trouble mental d’une telle nature qu’il n’engage pas sa responsabilité criminelle.

LA SUITE DES PROCÉDURES

L’audience sur les modalités

  1.          Le paragraphe 672.45(1) C.cr. prévoit que lorsqu’un verdict de non-responsabilité est rendu à l’égard d’un accusé, le tribunal peut d’office et doit, à la demande de l’accusé ou du poursuivant, tenir une audience pour déterminer la décision à rendre.
  2.          En effet, un verdict de non-responsabilité criminelle entraîne une audience pour prise de décision quant à savoir « whether, and to what extent, the state retains jurisdiction over the offender », en vertu de l’article 672.54 C.cr.[90]. À ce stade, le risque pour la sécurité publique est central. L’existence d’un trouble mental est non pertinente, puisque c’est la sécurité publique et la santé mentale de l’accusé, en lien avec un risque pour la sécurité publique, qui sont déterminantes pour la juridiction de l’état sur l’accusé[91].

L’audience concernant les victimes 

  1.          Tel que le prévoit le Code criminel, le Tribunal recevra prochainement aussi les déclarations des victimes concernant les conséquences des actes causés par l’accusé.
  2.          Selon la Cour d’appel du Québec, dans un contexte d’audition sur la peine, tous les acteurs du système judiciaire ont pris des mesures et doivent poursuivre leurs efforts afin de rendre le témoignage des victimes le moins difficile possible[92].
  3.          Tel que le rappelle également la Cour d’appel, dans la plupart des cas, « peu de mots suffisent pour comprendre l’ampleur de la souffrance des victimes de crimes »[93]. En effet, « [l]a criminalité sème la souffrance »[94]. « Plus particulièrement, tous comprennent la douleur des victimes et de leurs proches »[95].

i)       La déclaration de la victime : principes généraux

  1.          Le paragraphe 722(1) C.cr. prévoit la déclaration de la victime, en cas de condamnation. Au sens de cet article, depuis 2015, la victime désigne toute personne qui a subi des dommages matériels, corporels ou moraux ou des pertes économiques par suite de la perpétration d’une infraction contre toute autre personne, selon l’article 2 C.cr.[96]
  2.          La déclaration de la victime est un document décrivant les dommages — matériels, corporels ou moraux — ou les pertes économiques qui ont été causés à la victime à la suite de la perpétration de l'infraction ainsi que les répercussions que l'infraction a eues sur elle[97].
  3.          Pour être admissible, le contenu de la déclaration de la victime doit être conforme à ce qui est autorisé et le procureur du poursuivant doit s’assurer que tel est le cas[98].
  4.          Le formulaire de la déclaration de la victime (SJ-753B)[99] est mis à la disposition des victimes sur le site Internet du ministère de la Justice[100] et il y est indiqué ce qu’elle ne doit pas comporter, notamment ce qui n’est pas lié aux dommages ou pertes subis.

ii)                 La déclaration de la victime en cas de verdict de non-responsabilité criminelle

  1.          En vertu de l’article 672.541 C.cr., en cas de verdict de non-responsabilité pour troubles mentaux, la Cour ou la commission d’examen doit prendre en compte la déclaration de la victime, dans la mesure où elle est pertinente, notamment dans le cadre de l’audience pour une décision à rendre en vertu de l’article 672.54, de même que lors d’une audience pour déclaration à haut risque (ou sa révocation)[101].
  2.          En vertu de l’article 672.5(14) C.cr., dans la section du Code criminel sur les troubles mentaux, à l’audience que tient un tribunal ou une commission d’examen en vue de rendre ou de réviser une décision à l’égard d’un accusé, la victime peut rédiger et déposer auprès du tribunal ou de la commission d’examen une déclaration écrite décrivant les dommages  —  matériels, corporels ou moraux —  ou les pertes économiques qui lui ont été causés par la perpétration de l’infraction ainsi que les répercussions que l’infraction a eues sur elle[102].
  3.          Selon la doctrine, il existe, dans certaines provinces canadiennes, un formulaire spécifique standardisé pour les audiences suivant un verdict de non-responsabilité, lequel fait écho à celui utilisé pour les audiences sur la peine[103]. De plus, le lieutenant-gouverneur de la province peut approuver un autre formulaire[104].
  4.          L’article 672.5(15) C.cr. prévoit que, dans les meilleurs délais possible suivant le verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, le tribunal ou la commission d’examen veille à ce qu’une copie de la déclaration déposée conformément au paragraphe (14) soit fournie au poursuivant et à l’accusé ou son avocat. Le paragraphe 14 réfère bien évidemment à la déclaration de la victime. En fait, le Tribunal est d’ailleurs tenu en amont, en vertu de l’article 672.5(15.2) C.cr., de s’enquérir auprès du poursuivant ou de la victime si la victime a été informée de la possibilité de rédiger et déposer une déclaration de victime[105].
  5.          Il faut noter qu’en vertu de l’article 672.541 C.cr., une fois que la déclaration de la victime est déposée, le tribunal ou la commission d’examen doit la prendre en considération dans sa décision à rendre, dans la mesure où elle est pertinente aux critères contenus à l’article 672.54 C.cr.[106].
  6.          Il importe de noter que bien que les principes issus des déclarations de victimes déposées dans le cadre d’audiences sur la peine soient transposables à ceux liés aux audiences concernant une décision à rendre suivant un verdict de non-responsabilité criminelle, des nuances demeurent. La doctrine énonce ce qui suit quant à l’article 672.541 C.cr. :

While this provision imposes a duty on Review Boards that mirrors the duty of sentencing courts to consider victim impact statements, arguably the relevance and ultimate use of this evidence is more limited in disposition hearings. Indeed, while evidence of victim impact is always an important factor of consideration in determining a fit sentence, particularly given that s. 718 of the Code specifically recognizes that a sentence ought to acknowledge and provide reparation for harm done to the victim, the same is not true of disposition hearings where the only issue is whether the offender poses a significant threat to public safety.[107]

  1.          La pertinence étant potentiellement plus limitée, le Tribunal invite le poursuivant à identifier les passages qu’il estime plus pertinents dans les déclarations de victimes qu’il entend déposer.
  2.          Par ailleurs, le Tribunal signale que la déclaration de la victime doit se limiter à ce qui est prévu par la loi, c’est-à-dire une description des dommages  matériels, corporels ou moraux  ou des pertes économiques qui lui ont été causés par la perpétration de l’infraction ainsi que les répercussions que l’infraction a eues sur elle[108]. Elle ne doit pas contenir de remarques incendiaires, de recommandations quant à la décision à rendre, de critiques de l’accusé, de déclarations concernant l’infraction ou de mauvaises actions de l’accusé[109]. Ces recommandations semblent en phase avec celles associées aux déclarations de victimes usuelles.
  3.          Enfin, le Tribunal ne peut se substituer aux autorités sous la gouverne du ministre de la Justice afin de permettre que l’indemnisation des victimes par le biais de services psychologiques appropriés leur soient octroyés.
  4.          Cependant, dans l’examen des conséquences des infractions, le Tribunal demeure très sensible aux réalités des répercussions pour les victimes et leurs familles des actes posés par l’accusé et peut certainement, à ce chapitre, recevoir les déclarations, et ce, afin de faire des recommandations aux autorités compétentes.

La requête du poursuivant concernant le statut à haut risque de l’accusé

  1.          Le poursuivant a annoncé son intention de demander à ce que l’accusé se voit conférer le statut d’accusé à haut risque.
  2.          Le paragraphe 672.64(1) C.cr. se lit comme suit :
    1.                  Déclaration – Sur demande du poursuivant faite avant toute décision portant libération inconditionnelle de l’accusé, le tribunal peut, au terme d’une audience, déclarer qu’un accusé âgé de dix-huit ans ou plus au moment de la perpétration de l’infraction lui a fait l’objet d’un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux pour une infraction grave contre la personne au sens du paragraphe 672.81(1.3) C.cr. – est un accusé à haut risque si, selon le cas :

a)  il est convaincu qu’il y a une probabilité marquée que l’accusé usera de violence de façon qu’il pourrait mettre en danger la vie ou la sécurité d’une autre personne;

b)  il est d’avis que les actes à l’origine de l’infraction étaient d’une nature si brutale qu’il y a un risque de préjudice grave - physique ou psychologique – pour une autre personne.

(2) Facteurs à considérer – Pour décider s’il déclare ou non que l’accusé est un accusé à haut risque, le tribunal prend en compte tout élément de preuve pertinent, notamment :

a) la nature et les circonstances de l’infraction;

b)  la répétition d’actes comme celui qui est à l’origine de l’infraction;

c) l’état mental actuel de l’accusé;

d) les traitements suivis et à venir de l’accusé et la volonté de celui-ci de suivre ces traitements;

(3) Détention de l’accusé à haut risque – Si le tribunal déclare que l’accusé est un accusé à haut risque, il rend une décision à l’égard de l’accusé aux termes de l’alinéa 672.54c), mais les modalités de détention de l’accusé ne peuvent prévoir de séjours à l’extérieur de l’hôpital, sauf si les conditions suivantes sont réunies :

a) le responsable de l’hôpital estime la sortie appropriée pour des raisons médicales ou pour les besoins de son traitement, si l’accusé est escorté d’une personne qu’il a autorisée à cette fin;

b)  un projet structuré a été établi pour faire face aux risques relatifs à la sortie, qui, en conséquence, ne présente pas de risque inacceptable pour le public.

(4)  Appel – Les articles 672.72 à 672.78 C.cr. s’appliquent à toute décision de ne pas déclarer qu’un accusé est un accusé à haut risque.

(5)  Précision – Il est entendu que la déclaration qu’un accusé est un accusé à haut risque est une décision et que les articles 672.72 à 672.78 s’appliquent.

  1.          Le Tribunal demeure dans l’attente de la requête du poursuivant justifiant sa demande, et ce, dans les meilleurs délais.
  2.          L’accusé pour sa part, devra rapidement, après le dépôt de la requête, faire part de sa position.

LE RÉSUMÉ

  1.          Aujourd’hui, l’accusé n’est pas acquitté, il n’est pas non plus libéré. Il est reconnu non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux.
  2.          Ce verdict est lourd de sens et de conséquences. Il est reconnu que l’accusé a causé les gestes reprochés. Il est reconnu qu’au moment des gestes posés, l’accusé était atteint de troubles mentaux, le rendant non criminellement responsable, au sens du droit criminel.
  3.          Le Tribunal statue également que la détention de l’accusé dans un hôpital psychiatrique spécialisé sécuritaire doit se poursuivre. De sorte que l’accusé n’est pas relâché en société. Il n’est pas libre de ses mouvements. Il est détenu.
  4.          Prochainement, le Tribunal devra fixer les modalités de sa détention.
  5.          Le Tribunal devra trancher de la demande du poursuivant sur le statut à haut risque ou non de l’accusé. Il devra se pencher également sur la contestation de l’accusé, le cas échéant, de ce statut.
  6.          Enfin, lors de la prochaine audition, conformément à la loi, le Tribunal entendra les victimes qui souhaitent s’adresser à lui concernant les conséquences du délit qu’elles ont subies.

 

LA CONCLUSION

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.          PRONONCE un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux en vertu de l’article 16 C.cr., à l’égard des quatre chefs d’accusation contenus dans l’acte d’accusation;
  2.          ORDONNE la détention de l’accusé dans un centre hospitalier sécuritaire en vertu de l’article 672.54c) C.cr., selon les modalités que le Tribunal imposera après avoir entendu les représentations des parties;
  3.          RECOMMANDE que ce lieu de détention soit l’Institut national de psychiatrie légal Philippe-Pinel de Montréal;
  4.          ORDONNE le prélèvement du nombre d’échantillons de substance corporelle jugé nécessaire pour fins d’analyses génétiques en vertu de l’article 487.051(3) C.cr.

 

 

 

_________________________________

Éric Downs, J.C.S.

 

Me Karine Dalphond et

Me Simon Blais

Procureurs pour le poursuivant

 

Me Véronique Talbot et

Me Julien Lespérance-Hudon

Procureurs pour l’accusé

 

 

Dates d’audition : 21 février, 24 février, 15 mars, 7 avril et 8 avril 2025


[1]  Les parties ont conjointement et de consentement requis la tenue d’un procès devant un juge seul de la Cour supérieure, et ce, en vertu de l’article 473 C.cr., les accusations de meurtre étant de la compétence exclusive de la Cour supérieure en vertu de l’article 469 C.cr.

[2]  Les victimes de cette affaire sont de jeunes enfants. Les victimes de meurtre (chefs 1 et 2) sont identifiées par les initiales suivantes : X (2018-[...]) et Y (2018-[...]). Les victimes des lésions corporelles sont identifiées comme suit : Z (2018-[...]), A (2018-[...]), B (2017-[...]), C (2018-[...]). Les victimes des voies de fait armées sont identifiées comme suit : D (2017-[...]), E (2017-[...]), Z (2018-[...]), A (2018-[...]), B (2017-[...]) et C (2018-[...]).

[3]  Requête RP-1, paragr. 6, requête RD-1, paragr. 2, requête RD-2, paragr. 2.

[4]  Le rapport est daté du 25 avril 2023. Il a été réalisé à la suite de l’ordonnance rendue par un juge suivant l’art. 672.11b) C.cr., et ce, avant la tenue de l’enquête préliminaire.

[5]  Le rapport est daté du 23 janvier 2025. Il a été réalisé à la demande du poursuivant.

[6]  L’article 16(1) C.cr. prévoit que « la responsabilité criminelle d’une personne n’est pas engagée à l’égard d’un acte ou d’une omission de sa part survenue alors qu’elle était atteinte de troubles mentaux qui la rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais ».

[7]  Rapport d’expertise du 23 janvier 2025, pièce D-9.

[8]  Les décisions suivantes constituent des cas dont la situation est assimilable à la présente affaire et qui ont mené à des verdicts de non-responsabilité criminelle dans des procès devant juge seul avec preuve non-contestée par dépôt d’exposé des faits conjoint et d’expertise : R. c. Dion-Roy, 2023 QCCS 4149, R. c. Ferland, 2022 QCCS 472; R. c. C.P., 2021 QCCS 4382; R. c. Gaudette, 2020 QCCS 2778; R. c. Tran, 2019 QCCS 5211; R. c. Bourbonnais, 2019 QCCS 4931; R. c. F.J., 2017 QCCS 4629.

 

[9]  Pièce P-3.

[10]  R. c. Ny St-Amand, 2025 QCCS 1086.

[11]  R. c. Ny St-Amand, 2025 QCCS 1144.

[12]  Pièce P-1, Exposé conjoint des faits au soutien des éléments essentiels des infractions. Lors du procès, cet énoncé a été lu au long par l’un des procureurs du poursuivant, Me Simon Blais.

[15]  Pièce P-1, Exposé conjoint des faits au soutien des éléments essentiels des infractions, paragr. 52.

[16]  Pièce P-3.

[17]  À 8 :27 :27, un arrêt sur l’image permet notamment de distinguer la silhouette d’un enfant présent dans la garderie dans les moments précédant l’impact.

[18]  Pièce P3-A.

[19]  Entre 08 :27 :45 et 08 :27 :48.

[20]  Entre 08 :27 :48 et 08 :27 :58.

[21]  Entre 08 :27 :58 et 08 :28 :08.

[22]  Entre 08 :28 :08 et 08 :28 :20.

[23]  Entre 08 :28 :20 et 08 :28 :36.

[24]  Les témoignages de Mike Hadad et de André Beaudoin rendus à l’enquête préliminaire le 25 mars 2024 sont produits à titre de pièce P-4 et P-5.

[25]  L’identité et les blessures des enfants sont décrites à l’exposé conjoint des faits au soutien des éléments essentiels des infractions. Pièce P-1, paragr. 106 à 121.

[26]  Pièce D-1. Lors du procès, l’un des procureurs du poursuivant, Me Simon Blais, a lu au long l’exposé conjoint des faits supportant la défense de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux de l’accusé.

[27]  Pièces D2-A à D2-E.

[28]  Pièces D2-A et D2-B.

[29]  Pièces D2-A et D2-B.

[30]  Résumé de l’arrêt rendu à l’issue du deuxième procès dans le cadre du dossier No 002, Chambre de la Cour suprême, Chambre Extraordinaires au sein des Tribunaux Cambodgiens, para. 5 (disponible en ligne : https://eccc.gov.kh/sites/default/files/documents/F76.1_FR.PDF). Les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens ont été établies conformément à un accord conclu entre le Gouvernement royal du Cambodge et l’Organisation des Nations Unies. Voir https://eccc.gov.kh/fr.

[31]  Pièces D2-A, D2-B et D2-C.

[32]  Pièce D2-C.

[33]  Pièce D2-C.

[34]  Pièces D2-C, D2-D et D2-E.

[35]  Pièces D2-D et D2-E.

[36]  Pièces D2-D et D2-E.

[37]  Le témoignage de la conjointe de l’accusé rendu à l’enquête préliminaire le 26 mars 2024 est produit à titre de pièce P-4.

[38]  Le témoignage de la conjointe de l’accusé rendu à l’enquête préliminaire le 26 mars 2024 est produit à titre de pièce P-4.

 

[39]  Le témoignage de Tudor Ryland rendu à l’enquête préliminaire le 26 mars 2024 est produit à titre de pièce D-3.

[40]  Le témoignage de la conjointe de l’accusé rendu à l’enquête préliminaire le 26 mars 2024 est produit à titre de pièce P-4.

 

[41]  Pièce D-6, Expertise psychiatrique portant sur l’aptitude à comparaître du 23 février 2023 (4 pages).

[42]  Pièce D-7, Expertise psychiatrique portant sur la responsabilité criminelle du 26 avril 2023 (22 pages).

[43]  Pièce D-8, Rapport d’évaluation psychologique du 25 avril 2023 (23 pages).

[44]  Pièce D-9, Rapport psychiatrique du 23 janvier 2025 (6 pages).

[45]  Pièce D-10, Rapport psychiatrique du 20 mars 2025 (49 pages).

[46]  Notes sténographiques du 7 avril 2025, p. 9, l. 13-14, 22-23, p. 15, l. 16-25. À l’unité des crimes graves contre la personne, neuf lits pour neuf patients sont réservés au nom de la Dre Bédard-Charette.

[47]  Notes sténographiques du 7 avril 2025, p. 19, l. 16-21, p. 20, l. 11-24.

[48]  Notes sténographiques du 7 avril 2025, p. 21, l. 15-22.

[49]  Notes sténographiques du 7 avril 2025, p. 33, l. 8-15.

[50]  Notes sténographiques du 7 avril 2025, p. 48. l. 8-13.

[51]  Notes sténographiques du 7 avril 2025, p. 50, l. 5-10.

[52]  Notes sténographiques du 7 avril 2025, p. 49, l. 3-14.

[53]  Notes sténographiques du 7 avril 2025, p. 51, l. 8-14.

[54]  Notes sténographiques du 7 avril 2025, p. 67, l. 21 à p. 68, l. 4.

[55]  Notes sténographiques du 7 avril 2025, p. 55, l. 20-25, p. 56, l. 1-21.

[56]  Notes sténographiques du 7 avril 2025, p. 43, l. 9-13, p. 44, l. 11-12.

[57]  Notes sténographiques du 7 avril 2025, p. 45, l. 5-13.

[58]  Notes sténographiques du 7 avril 2024, p. 56, l. 19-21, p. 57, l. 14-25, p. 58, l. 1-5.

[59]  Notes sténographiques du 7 avril 2025, p. 58, l. 6-21.

[60]  Notes sténographiques du 7 avril 2025, p. 60, l. 4-17 et p. 24, l. 2-4.

[61]  Le Dr Faucher a travaillé à temps plein à l’Institut universitaire de santé mentale à Québec jusqu’en 2020. Il estime maintenant que les mandats qui lui sont confiés en pratique privée proviennent dans la proportion de 60% de la défense et de 40% du poursuivant.

[62]  Notes sténographiques du 7 avril 2025, p. 88, l. 17-18.

[63]  Notes sténographiques du 7 avril 2025, p. 92, l. 21-25, p. 93, l. 10-13.

[64]  Notes sténographiques du 7 avril 2025, p. 6. l. 6-13.

[65]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 8, l. 17-22.

[66]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 9, l. 15-19.

[67]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 17, l. 1-14.

[68]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 17, l. 15-17.

[69]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 17, l. 18-25, p. 18, l. 1-4.

[70]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 26, l. 3-9.

[71]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 27, l. 4-14.

[72]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 27, l. 15-20.

[73]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 29, l. 8-22.

[74]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 29, l. 23-25, p. 30, l. 1-9.

[75]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 30, l. 9-23.

[76]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 31. l. 12 à p. 35. l. 11.

[77]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 34, l. 20 à p. 35, l. 11)

[78]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 36, l. 4-6.

[79]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 37, l. 1-9.

[80]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 37, l. 20-25, p. 38, 1-8.

[81]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 40, l. 8-23.

[82]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 42, l. 1-8.

[83]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 46, l. 18-25.

[84]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 50, l. 1-7.

[85]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 49, l. 13-15.

[86]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 53, l. 11-25.

[87]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 56, l. 1-6, p. 57, l. 1-22.

[88]  Notes sténographiques du 8 avril 2025, p. 71, l. 2-17, p. 88, l. 1-25, p. 89. l. 1-22.

[89]  Voir notamment: R. c. Bouchard-Lebrun, 1, [2011] 3 RCS 575; R. c. Stone, 1999 CanLII 688 (CSC), [1999] 2 RCS 290; R. c. Swain, 1991 CanLII 104 (CSC), [1991] 1 RCS 933; R. c. Landry, 1991 CanLII 114 (CSC), [1991] 1 RCS 99; R. c. Chaulk, 1990 CanLII 34 (CSC), [1990] 3 RCS 1303; Tshilumba c. R., 2022 QCCA 1591, paragr. 77-102; R. c. Turcotte, 2013 QCCA 1916), paragr. 57-94; R. v. Worrie, 2022 ONCA 471; R. v. Ivins, 2024 ONCA 408; R. v. Capano, 2014 ONCA 599.

[90]  Joan M. BARRETT et Riun SHANDLER, Mental disorder in Canadian criminal law, Toronto, Thomson Carswell, 2006, feuilles mobiles, mise à jour 12\2024, section 4:40.

[91]  Joan M. BARRETT et Riun SHANDLER, Mental disorder in Canadian criminal law, Toronto, Thomson Carswell, 2006, feuilles mobiles, mise à jour 12\2024, sections 4:40 et 8:2.

[92]  R. c. Lacelle-Bélec, 2019 QCCA 711, paragr. 50, permission d’appeler rejetée, C.S.C., 12-12-2019, No. 38690.

[93]  R. c. Lacelle-Bélec, 2019 QCCA 711, paragr. 48, permission d’appeler rejetée, C.S.C., 12-12-2019, No. 38690.

[94]  R. c. Lacelle-Bélec, 2019 QCCA 711, paragr. 49, permission d’appeler rejetée, C.S.C., 12-12-2019, No. 38690.

[95]  R. c. Lacelle-Bélec, 2019 QCCA 711, paragr. 49, permission d’appeler rejetée, C.S.C., 12-12-2019, No. 38690.

[96]  R. c. Lacelle-Bélec, 2019 QCCA 711, paragr. 52, permission d’appeler rejetée, C.S.C., 12-12-2019, No. 38690..

[97]  R. c. Lacelle-Bélec, 2019 QCCA 711, paragr. 53, permission d’appeler rejetée, C.S.C., 12-12-2019, No. 38690; citant l’article 722(1) C.cr.

[98]  R. c. Lacelle-Bélec, 2019 QCCA 711, paragr. 55, permission d’appeler rejetée, C.S.C., 12-12-2019, No. 38690; citant l’article 722(4) C.cr. et les décisions R. c. Jackson (2002), 163 C.C.C. (3d) 451, paragr. 49-50, 54-55 (C.A.O.) et R. c. Berner, 2013 BCCA 188.

[99]  Ce formulaire vise également les déclarations de victimes préparées dans le contexte de l’article 672.54, c’est-à-dire d’audiences d’un tribunal ou d’une commission d’examen en vue de rendre ou de réviser une décision à l’égard d’un accusé, et non seulement celles liées à la détermination de la peine.

[100]  R. c. Lacelle-Bélec, 2019 QCCA 711, paragr. 56-57, permission d’appeler rejetée, C.S.C., 12-12-2019, No. 38690. La Cour d’appel référait en 2019 à un site internet gouvernemental relatif au formulaire SJ-753b, lequel correspond désormais à https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/justice/formulaires/ personnes-victimes/sj753b.pdf. Nous référons également le lecteur au site gouvernemental suivant lié à l’audience sur la détermination de la peine et la déclaration de la personne victime : https://www.quebec.ca/justice-et-etat-civil/accompagnement-victimes-crime/participation-processus-judiciaire-criminel/declaration-victime.

[101]  Joan M. BARRETT et Riun SHANDLER, Mental disorder in Canadian criminal law, Toronto, Thomson Carswell, 2006, feuilles mobiles, mise à jour 12\2024, section 8:29. Voir également l’article 672.541 C.cr.

[102]  Voir l’article 672.5(14). Joan M. BARRETT et Riun SHANDLER, Mental disorder in Canadian criminal law, Toronto, Thomson Carswell, 2006, feuilles mobiles, mise à jour 12\2024, section 8:29.

[103]  Joan M. BARRETT et Riun SHANDLER, Mental disorder in Canadian criminal law, Toronto, Thomson Carswell, 2006, feuilles mobiles, mise à jour 12\2024, section 8:29.

[104]  Joan M. BARRETT et Riun SHANDLER, Mental disorder in Canadian criminal law, Toronto, Thomson Carswell, 2006, feuilles mobiles, mise à jour 12\2024, section 8:29.

[105]  Joan M. BARRETT et Riun SHANDLER, Mental disorder in Canadian criminal law, Toronto, Thomson Carswell, 2006, feuilles mobiles, mise à jour 12\2024, section 8:31. Voir article 672.5(15.2).

[107]  Joan M. BARRETT et Riun SHANDLER, Mental disorder in Canadian criminal law, Toronto, Thomson Carswell, 2006, feuilles mobiles, mise à jour 12\2024, section 8:29.

[108]  Joan M. BARRETT et Riun SHANDLER, Mental disorder in Canadian criminal law, Toronto, Thomson Carswell, 2006, feuilles mobiles, mise à jour 12\2024, section 8:32. Voir l’article 672.5(14).

[109]  Joan M. BARRETT et Riun SHANDLER, Mental disorder in Canadian criminal law, Toronto, Thomson Carswell, 2006, feuilles mobiles, mise à jour 12\2024, section 8:32. À cet égard, la doctrine réfère en particulier aux décisions Gabriel et Bremner, lesquelles concernant des audiences sur la peine et sont identifiées dans certaines notes de bas de page du présent mémorandum (R. v. Gabriel (1999), 137 C.C.C. (3d) et R. c. Bremner, 2000 BCCA 345).

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.