Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Décision

Fabreg c. Gagné

2016 QCRDL 33575

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

255180 31 20160114 G

255298 31 20160114 G

No demande :

1909588

1910198

 

 

Date :

06 octobre 2016

Régisseur :

François Leblanc, juge administratif

 

Elisabeth-Christine Fabreg

 

Locataire - Partie demanderesse

(255180 31 20160114 G)

 

et

 

INES AUGUSTA LOPES

Locataire - Partie demanderesse

(255298 31 20160114 G)

c.

Chantal Gagné

 

Daniel Thibault

 

Locateurs - Partie défenderesse

(255180 31 20160114 G)

(255298 31 20160114 G)

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Les locateurs désirent agrandir deux logements et les locataires s’y opposent.

[2]      Les demandes ont été réunies par le Tribunal, conformément à l’article 57 L.R.L.

[3]      Il est admis que les avis donnés étaient conformes à la loi et les délais respectés. Le nœud du problème reste le projet des locateurs auquel les locataires ne croient pas.

[4]      Le locateur a donc été entendu longuement sur ce sujet, puisqu’en vertu du Code civil du Québec, il doit démontrer qu’il entend réellement agrandir les logements et que la loi le permet (1966 C.c.Q.).

[5]      L’immeuble en cause comporte cinq logements, soit un logement de sept pièces au rez-de-chaussée, et quatre logements ayant la même configuration au second et troisième étage.

[6]      Les logements en cause sont situés au second étage, la locataire Elisabeth Faberg occupe un quatre pièces, tandis qu’Inès Lopes un trois pièces.

[7]      Le but du locateur est de réunir ces deux logements afin de n’en faire qu’un seul, lequel comporterait sept pièces et deux salles de bain. Il a consulté des professionnels et présente un plan, lequel prévoit l’enlèvement de murs porteurs.


[8]      Suivant l’opinion d’un ingénieur, il est possible d’enlever des murs porteurs au second étage si la structure est renfoncée avec des poteaux en aciers lesquels iraient du sous-sol au plafond du second étage.

[9]      La preuve révèle qu’il a eu un permis de la Ville de Montréal pour ce faire. Le permis prévoit ce qui suit :

« Au 2ème étage, réunir deux logements en un seul et réaménager l’espace avec modification à la structure. Mur arrière, éliminer une porte et agrandir l’ouverture pour une porte-patio donnant sur la terrasse. »

[10]   Le procureur des locataires met en doute la légalité des travaux projetés en regard du permis. Ainsi, le locateur admet qu’une excavation sera requise au sous-sol. Le procureur souligne que suivant les plans approuvés, celui du sous-sol ne semble pas l’avoir été et le permis ne parle pas d’excavation.

[11]   En ré-interrogatoire, le locateur souligne qu’il ne s’agit que d’une légère excavation. De plus, le plan de l’étage approuvé par la Ville réfère au plan de l’ingénieur pour une ouverture.

[12]   Il a obtenu une soumission pour les travaux requis et explique pouvoir le faire à bien meilleur compte s’il se charge de la gestion du projet et engage des spécialistes, ce qu’il dit avoir déjà fait dans le passé.

[13]   Il témoigne avoir amplement les ressources pour financer son projet, il produit de relevés bancaires le démontrant. De plus, il produit une série d’annonces, pour tenter de confirmer la rentabilité de son investissement, en raison du prix de location qu’il pourra obtenir.

[14]   Les locataires doutent cependant de la rentabilité du projet, si le logement est reloué à des fins résidentielles.

[15]   Le locateur a admis, en cour d’audience, avoir loué des logements à court terme, sur le site AIRBNB. Les revenus de location, produits à la demande des locataires, tendent à le démontrer. Il affirme ne plus le faire depuis les modifications législatives visant à mieux réglementer cette pratique.

[16]   Cependant, les locataires produisent des annonces faites en mars 2016, sur Tripadvisor, le locateur offrant de louer ses logements à un tarif quotidien.

[17]   La procureure du locateur a plaidé que la loi n’avait pas encore été modifiée, alors que le procureur des locataires a rétorqué que, même à ce moment, le locateur ne respectait pas la loi.

[18]   De plus, le procureur des locataires souligne que les locateurs ont un bail pour l’un de leurs logements qui se termine en avril 2017, et qu’ils ont déjà un locataire pour le 1er mai 2017.

[19]   Le locateur souligne que même s’ils louent à des étrangers de passage, ils le font toujours pour des périodes de plus d’un mois pour respecter la loi.

[20]   L’immeuble aurait été mis en vente en 2015, mais le locateur explique avoir rapidement changé d’idée. Est aussi mis en preuve un courriel envoyé par le locateur à Inès Lopes, en août 2015, lequel se lit comme suit :

« Je tiens à préciser que bien que l’immobilier est un investissement en soi, nous avons acheté l’immeuble au 4459-67 Marquette pour y emménager notre famille à cause de sa cour unique sur le Plateau. Alors pour nous il s’agit de reprise et non d’éviction. Pour moi la distinction est importante. Selon ma compréhension, et peut-être que je me trompe, l’éviction c’est pour mettre à la porte les gens indésirables qui brisent la loi. Ce n’est pas le cas avec toi ». (sic)

[21]   Le locateur explique que son projet a toujours été d’agrandir ce logement, mais qu’il ne souhaite plus l’occuper et entend réellement le subdiviser et le remettre sur le marché.

[22]   Les locataires affirment avoir eu plusieurs versions des projets des locateurs. 

[23]   Ainsi, le locateur a d’abord présenté son projet de rentabiliser son investissement en fusionnant les logements du 2e et 3e étage pour n’en faire qu’un seul par étage.

[24]   Ensuite, le locateur a mentionné qu’il était possible qu’il reprenne des logements pour loger les parents de la locatrice.

[25]   Troisième version, juste après le départ des locataires du troisième; il veut maintenant le second étage pour y loger sa famille.


[26]   Quantième version, le 21 décembre 2015, mise en vente de l’immeuble pour 24 heures.

[27]   Enfin, le 31 décembre 2015, ils reçoivent un avis d’agrandissement. À cette époque, c’était pour la famille et elles ont appris à l’audience que c’était pour relouer le logement à un tiers.

[28]   Les locataires ont aussi déposé un dossier de la Régie du logement au nom de Gilles Vallée, lequel habitait un logement des locateurs situé dans un immeuble en face de celui en cause. En septembre 2011, il a reçu un avis d’éviction indiquant que le logement serait agrandi. Il s’est opposé à cet avis, mais a conclu une transaction laquelle a été entérinée par le Tribunal[1].

[29]   Or, d’après une des locataires, la subdivision n’a jamais eu lieu. De plus, le logement a été rénové et reloué à un loyer de beaucoup supérieur, d’après la preuve faite.

[30]   Elle aurait confronté le locateur à ce sujet et il lui aurait répondu en bafouillant qu’il ne faisait pas d’argent avec ce logement. Suivant la demande déposée, le loyer, avant l’éviction, était de 358 $ mensuellement.

[31]   Le locateur a expliqué le changement de programme par le fait qu’il n’avait pas demandé de permis avant d’envoyer son avis et que les exigences de la ville étaient trop grandes, vu le caractère patrimonial de l’immeuble.

[32]   Enfin, les logements du troisième étage de l’immeuble se sont vidés depuis l’acquisition de celui-ci par le locateur. Un des locataires de cet étage a été entendu. Il avait eu vent aussi d’un agrandissement possible de son logement et confirme qu’il y a eu des locations à court terme au premier étage.

[33]   D’après la preuve des locataires, après rénovations, les logements du troisième étage ont ensuite été reloués à court terme.

ANALYSE ET DÉCISION

[34]   Les demandes des locateurs d’agrandir les logements, commandent de prouver deux choses, à savoir que la loi le permet et qu’ils entendent réellement le faire. C’est ce que prévoit l’article 1966 C.c.Q. :

« 1966.      Le locataire peut, dans le mois de la récep­tion de l'avis d'éviction, s'adresser au tribunal pour s'opposer à la subdivision, à l'agrandissement ou au changement d'affec­tation du logement; s'il omet de le faire, il est réputé avoir con­senti à quitter les lieux.

                 S'il y a opposition, il revient au locateur de démontrer qu'il entend réellement subdiviser le logement, l'agrandir ou en changer l'affectation et que la loi le permet. »[2]

[35]   Donc, contrairement à la reprise de logement, le Tribunal ne doit pas vérifier s’il s’agit d’un prétexte pour atteindre d’autres fins, mais seulement la légalité et la faisabilité du projet[3].

[36]   Et dans ce contexte, l’émission d’un permis constitue une forte preuve du caractère sérieux du projet[4]. Cependant, le Tribunal est justifié de se demander s’il est convaincu que le changement se fera[5].

[37]   Ceci équivaut donc, pour le locateur, à prouver sa bonne foi[6]. À ce sujet, Thérèse Rousseau-Houle et Martine de Billy écrivaient :

« Même si cet article ne mentionne pas expressément que le locateur doit démontrer qu’il est de bonne foi, comme cela est requis lors de la reprise de possession (article 1659 C.c.), il doit prouver le caractère sérieux de son projet et démontrer qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour évincer le locataire. Il s’agit en réalité de bonne foi… »[7].

[38]   Or, le locateur écrit, en août 2015, ne pas connaître la distinction entre reprise et éviction, alors que la preuve a démontré qu’en 2011, il avait procédé à une éviction. Laquelle visant un agrandissement, qui ne s’est jamais matérialisé.

[39]   De même, pour l’étage au-dessus de celui des locataires, où il a parlé d’agrandissement avant de remettre les logements sur le marché, sans les agrandir.

[40]   Enfin, les nombreuses versions de ses projets évoluant au gré des changements de locataire en rajoutent.

[41]   Tout cela fait douter des intentions du locateur, surtout qu’à la question de savoir s’il avait déjà fait une éviction, il a d’abord nié ce fait.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

Quant à la demande 255180 :

[42]   ACCUEILLE l'opposition de la locataire Elisabeth-Christine Fabreg à la subdivision du logement et à la non-reconduction du bail;

[43]   SANS FRAIS.

Quant à la demande 255298 :

[44]   ACCUEILLE l'opposition de la locataire Ines Augusta Lopes à la subdivision du logement et à la non-reconduction du bail;

[45]   SANS FRAIS.

 

 

 

 

 

 

 

 

François Leblanc

 

Présence(s) :

Elisabeth-Christine Fabreg, la locataire

Ines Augusta Lopes, la locataire

Me Marc-André Émard, avocat des locataires

Daniel Thibault, le locateur

Me Suzanne Boisvert, avocate des locateurs

Dates des audiences :

29 juin 2016

12 septembre 2016

 

 

 


 



[1] Vallée c. Thibault (R.D.L., 2012-01-12), 2012 QCRDL 490, SOQUIJ AZ-50821102.

[2] Le Tribunal souligne.

[3] Charbonneau c. Beauvais* (R.D.L., 2010-04-15), 2010 QCRDL 14314, SOQUIJ AZ-50628692, requête pour permission d'appeler accueillie (C.Q., 2010-07-27) 755-80-000959-107, 2010 QCCQ 6579, SOQUIJ AZ-50659456, 2010EXP-3960, appel rejeté (C.Q., 2010-11-19) 755-80-000959-107 et 755-80-001009-100, 2010 QCCQ 10360, SOQUIJ AZ-50695762, 2011EXP-208, J.E. 2011-114.

[5] Gestion RPR inc. c. Desmarais-Hubert (C.Q., 2014-11-26), 2014 QCCQ 12196, SOQUIJ AZ-51134984, 2015EXP-869, J.E. 2015-465.

[6] Pierre-Gabriel JOBIN, Traité de droit civil, Le louage, 2e éd., précité note 3, p. 583.

[7] Thérèse Rousseau-Houle et Martine de Billy, Le bail du logement : analyse de la jurisprudence, Wilson & Lafleur Ltée, Montréal, 1989, p. 243.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.