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Dossier 230800-04-0403
[1] Le 26 mars 2004, Les Carrelages Centre du Québec, l’employeur, dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 20 février 2004 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 9 septembre 2003 et déclare que les hernies discales situées en L3-L4 et en L4-L5 sont en relation avec l’événement du 3 juillet 2003.
Dossier 246228-04-0410
[3] Le 2 octobre 2004, monsieur Daniel Thibodeau, le travailleur, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 8 septembre 2004 à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 20 juillet 2004 à la suite de l’avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale. Elle conclut que la demande de révision a été produite hors délai mais qu’un motif raisonnable a été démontré permettant de relever le travailleur de son défaut. Elle déclare sans objet la demande de révision de l’employeur en ce qui concerne l’admissibilité, que la CSST est justifiée de poursuivre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu, qu’elle doit cesser de payer les soins et les traitements après le 28 juin 2004 et que le travailleur n’a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel.
Dossier 246736-04-0410
[5] Le 20 octobre 2004, Les Carrelages Centre du Québec, l’employeur, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 8 septembre 2004 à la suite d’une révision administrative.
[6] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 20 juillet 2004 à la suite de l’avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale. Elle conclut que la demande de révision a été produite hors délai mais qu’un motif raisonnable a été démontré permettant de relever le travailleur de son défaut. Elle déclare sans objet la demande de révision de l’employeur en ce qui concerne l’admissibilité, que la CSST est justifiée de poursuivre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu, qu’elle doit cesser de payer les soins et les traitements après le 28 juin 2004 et que le travailleur n’a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel.
[7] Une audience est tenue à Drummondville le 9 décembre 2004 en présence du travailleur, de son représentant et de la représentante de l’employeur.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
Dossier 230800-04-0403
[8] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que les hernies discales L3-L4 et L4-L5 ne sont pas liées à l’événement du 3 juillet 2003.
Dossier 246228-04-0410
[9] Aucune des parties ne remet en cause la décision rendue par la CSST à l’effet de relever le travailleur du défaut d’avoir demandé la révision administrative de la décision du 20 juillet 2004 dans le délai prévu par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la Loi)[1]. Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que les diagnostics de la lésion du 3 juillet 2003 sont ceux d’entorse lombaire et de hernies discales L3-L4 et L4-L5. Il prétend que le Bureau d’évaluation médicale n’aurait pas dû se saisir de la question du diagnostic et que le présent tribunal est lié par celui du médecin qui a charge. Il demande le maintien de la date de consolidation, de la question des soins et des limitations fonctionnelles. Quant à l’atteinte permanente, il demande de reconnaître un déficit anatomo-physiologique de 4 % en plus des douleurs et perte de jouissance de la vie. Le travailleur étant incapable de travailler, il a droit à la poursuite du versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Subsidiairement, si le tribunal ne retient que le diagnostic d’entorse, il demande de confirmer intégralement l’avis du Bureau d’évaluation médicale.
Dossier 246736-04-0410
[10] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le diagnostic à retenir est celui d’une entorse lombaire. Il demande de confirmer toutes les conclusions retenues par le membre du Bureau d’évaluation médicale sauf quant aux limitations fonctionnelles. Il estime que l’avis du docteur Fradet devrait être retenu de sorte que le travailleur doit être déclaré capable d’effectuer son travail avec fin du versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
LES FAITS
[11] De l’ensemble du dossier et de la preuve, la Commission des lésions professionnelles retient principalement les éléments ci-après exposés.
[12] Le 3 juillet 2003, le travailleur subit une lésion professionnelle dans les circonstances décrites à sa réclamation :
L’événement s’est passé le 3 juillet 2003 vers 14 :00 (soit après dîner) chez un concessionnaire Ford au boul. St-Joseph à Drummondville. J’ai glisse et tombé sur les fesses, sur un plancher dont un décapant transparent avait été appliqué pour diluer la colle à tapis, c’était comme de la glace bleue. J’ai essayé de me protéger la tête avec mes avant-bras. Il n’y avait aucune barricade, banderole ou indication du danger ni même un avertissement verbale de mon employeur. J’ai subit une entorse au genoux gauche et une entorse lombaire possible.(rapport incl. [sic]
[13] Le 6 juillet 2003, le docteur Njuyen diagnostique une lombosciatalgie gauche et une entorse du genou gauche.
[14] Le 6 juillet 2003, une radiographie démontre des signes suggestifs d’une spondylolyse à L5 avec spondylolisthésis de quelques millimètres de L5 sur S1. Une radiographie du genou gauche pratiquée le même jour s’avère normale.
[15] Le 7 juillet 2003, le docteur B. Dubois diagnostique une entorse lombaire probable ainsi qu’une hernie discale possible.
[16] Le 7 juillet 2003, une tomodensitométrie du rachis lombaire du corps vertébral de L3 s’avère normale sans signe de fracture ou d’autres particularités.
[17] Le 10 juillet 2003, le travailleur est pris en charge par la Clinique de physiothérapie-santé Les Grès.
[18] Le 16 juillet 2003, la CSST rend une décision reconnaissant la survenance d’un accident du travail le 3 juillet 2003, lequel a causé une entorse lombaire avec lombo-sciatalgie gauche et une entorse au genou gauche (T-3).
[19] Le 8 août 2003, une tomodensitométrie lombaire démontre une hernie discale sous-ligamentaire centrale L3-L4 et une autre centro-latérale gauche à L4-L5 lesquelles s’appuient légèrement sur le fourreau dural.
[20] Le 3 septembre 2003, le docteur Rhéal Massicotte diagnostique une hernie discale centrale L3-L4 et une autre centro-latérale gauche L4-L5.
[21] Le 14 septembre 2003, la physiothérapeute Lise Mailhot note une amélioration tant au plan subjectif qu’objectif.
[22] Le 19 octobre 2003, le docteur Alain Pagé, orthopédiste, diagnostique une entorse lombaire avec sciatalgie gauche en plus d’une hernie discale sous-ligamentaire centrale gauche à L3-L4 et centro-latérale gauche L4-L5. Dans la note qu’il consigne au dossier du Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, il indique que les mouvements de la colonne lombaire sont légèrement limités et douloureux. Il note un Lasègue légèrement positif avec hypoesthésie au niveau du territoire de L5 du côté gauche (pièce T-1).
[23] Le 8 février 2004, la physiothérapeute note que le travailleur s’améliorait lentement jusqu’au 6 février 2004 alors qu’il a reçu une infiltration qui a eu pour effet d’augmenter ses douleurs et son engourdissement dans la jambe gauche.
[24] Le 21 mars 2004, la physiothérapeute indique que la condition du travailleur s’améliore dans l’ensemble.
[25] Le 17 mai 2004, le travailleur rencontre le docteur Jean-François Fradet, orthopédiste, à la demande de la CSST. À l’étude du dossier, il constate qu’il n’y a jamais eu de signes neurologiques compatibles avec un diagnostic de hernie discale mais seulement une radiculalgie. Il rapporte l’événement du 3 juillet 2003 lorsque le travailleur est tombé sur les fesses sans douleur immédiate. C’est lorsqu’il a voulu se relever en mettant ses avant-bras au sol pour s’appuyer qu’il a ressenti une brûlure au niveau des avant-bras. Par la suite, une douleur lombaire basse centrale ainsi qu’au niveau de toute la région lombaire droite et gauche est apparue avec irradiation au membre inférieur gauche. Un engourdissement du mollet du pied gauche était également noté. Le travailleur a continué de travailler puisqu’il lui restait environ une heure et demie avant de finir son quart de travail. Le lendemain, la douleur lombaire l’a réveillé et il s’est rendu consulter un médecin à l’urgence.
[26] Au niveau des activités physiques, le travailleur rapporte jouer au badminton, courir des marathons, faire du racquetball, du volley-ball et du canoë. Il n’a pas pratiqué ces activités depuis la lésion. L’examen objectif et neurologique est strictement normal hormis la présence d’une diminution de la sensibilité du côté externe et postérieur de la jambe gauche ainsi qu’à la région latérale et plantaire du pied gauche. Il conclut à un diagnostic d’entorse lombo-sacrée guérie, sans nécessité de traitement supplémentaire, consolidée le 17 mai 2004 sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. En conclusion, il mentionne notamment ce qui suit :
[…]
Il a glissé et il est tombé sur les fesses. Il ne s’agit pas d’un mécanisme de production pouvant provoquer une hernie discale. Il s’agit d’un mécanisme de production pouvant provoquer une fracture et non pas une hernie discale.
[…]
Une investigation a été faite pour éliminer une fracture de L3. Par la suite, une investigation a été faite pour éliminer une hernie discale. Cependant, il n’y a jamais eu de signe neurologique compatible avec une radiculopathie, donc avec un diagnostic de hernie discale clinique. L’investigation a démontré la présence de hernies discales radiologiques, soit des trouvailles radiologiques.
[…]
L’examen fait aujourd’hui s’est révélé dans les limites de la normale au niveau de la colonne lombo-sacrée ainsi qu’au niveau du membre inférieur gauche, à l’exception d’allégations d’une atteinte sensitive qui déborde une atteinte radiculaire isolée compte tenu que cette atteinte touche le territoire de L5 et de S1. Il n’y a pas de signe neurologique confirmant une atteinte neurologique. La petite hernie discale sous-ligamentaire centro-latérale gauche s’appuyant sur le fourreau dural L4-L5 ne peut pas expliquer la symptomatologie rapportée. La petite hernie discale sous-ligamentaire centrale à L3-L4, s’appuyant légère sur le fourreau dural, ne peut pas non plus expliquer la symptomatologie rapportée. Il n’y a pas de compression spécifique au niveau des racines ou de S1 gauche. Il y a par contre présence de plusieurs signes de Waddel.
[…]
[27] Le 8 juin 2004, le docteur Rhéal Massicotte produit un rapport complémentaire à l’encontre de l’avis du docteur Fradet. Il maintient le diagnostic d’entorse lombaire avec sciatalgie gauche et de hernies discales centrale L3-L4 et centro-latérale L4-L5. Il estime que la lésion n’est pas consolidée et qu’il y a nécessité de traitements additionnels de physiothérapie. Il croit qu’il n’y a pas d’atteinte permanente mais que le travailleur devra réorienter sa carrière.
[28] Le 28 juin 2004, le travailleur rencontre le docteur André Girard, orthopédiste, agissant à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale. L’examen objectif s’avère normal dans l’ensemble et l’évaluation des mouvements de la charnière lombo-sacrée est effectuée à deux reprises au goniomètre avec certaines allégations de douleurs. L’examen des genoux est également négatif. En décubitus dorsal, une douleur est alléguée par le travailleur lors d’une tentative de « straight leg raising bilatéral ». En décubitus ventral, une douleur est alléguée par le travailleur au niveau de la charnière lombo-sacrée lors du relevé du tronc aidé de ses membres supérieurs. Le docteur Girard conclut à un diagnostic d’entorse lombaire consolidée le 28 juin 2004 notamment en raison du fait que le travailleur confirmait une stabilisation de sa condition depuis environ deux à trois semaines. Il estime que les soins étaient requis jusqu’à l’atteinte d’une stabilisation mais qu’aucun autre traitement n’est nécessaire après le 28 juin 2004. Puisqu’il s’agit d’une entorse lombaire sans séquelle fonctionnelle, un déficit anatomo-physiologique de 0 % est octroyé en plus des limitations fonctionnelles suivantes :
[…]
Ø Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente des activités impliquant de soulever, porter, pousser et tirer des charges de plus de 15 à 25 kilos;
Ø Éviter de travailler en position accroupie, de ramper ou de grimper,
Ø Éviter d’effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension et de torsion de la charnière lombo-sacrée,
Ø Éviter de travailler sur des véhicules ou des surfaces pouvant émettre des vibrations de basses fréquences ou générer des contrecoups à la charnière lombo-sacrée.
[29] Le seul témoin entendu à l’audience est le travailleur. Lors de l’événement, il travaillait chez l’employeur depuis trois semaines. Il est cependant carreleur depuis 17 ans.
[30] Il rappelle les circonstances entourant l’événement du 3 juillet 2003 alors qu’il a glissé sur un plancher enduit d’un décapant sans aucune indication de l’existence d’un danger. Il est tombé sur le plancher de béton directement sur les fesses après que ses pieds soient partis par en avant. Sa jambe gauche s’est tordue lors de cet événement. Il avait ensuite mal au pied et à la jambe gauche mais surtout au genou gauche. Il s’est relevé seul et a continué son travail. Il a senti une certaine douleur ainsi qu’un engourdissement au dos, mais c’est le lendemain que les douleurs les plus sévères se sont fait sentir, douleurs qui irradiaient jusqu’au pied gauche.
[31] L’après-midi du 3 juillet 2003, il a pris des comprimés.
[32] Avant l’événement, il pratiquait plusieurs sports et courait des marathons.
[33] Son travail l’oblige à travailler en position accroupie, à quatre pattes, debout, à bout de bras, etc.
[34] Il doit notamment manipuler des sacs de ciment dont le poids varie entre 22,7 et 40 kilos de même que des paquets de céramique pouvant peser entre 30 et 50 livres.
[35] Avant le 3 juillet 2003, il n’avait aucun problème de santé et sa jambe allait très bien.
[36] Maintenant, s’il marche plus d’une heure, il a des douleurs au mollet gauche qui montent dans la cuisse. Il a également des douleurs lombaires. Les douleurs descendent dans la cheville et vont sous le pied.
[37] S’il marche trop longtemps, soit plus d’une heure, il a mal aux orteils du pied gauche et il boite. Les seuls sports qu’il pratique depuis l’événement sont la natation, la marche et un peu de vélo. Les mouvements les plus difficiles sont le fait de s’accroupir ou de s’étirer. Il ne soulève plus de charges à cause des douleurs lombaires.
[38] Les douleurs à son mollet gauche sont continuelles et quant aux douleurs lombaires, elles se sont améliorées, mais il se sent toujours incapable de travailler.
[39] La douleur à la face latérale externe du genou gauche est toujours présente depuis l’événement.
[40] La douleur au pied gauche peut s’améliorer de temps à autre mais s’il marche, elle devient impossible à endurer.
[41] Le travailleur dépose sous la cote T-2 un texte préparé par les docteurs Guy Bouvier, neurochirurgien et Jacques Duranceau, physiatre, en juin 1999, intitulé « La hernie discale lombaire : aspects cliniques ». Seul le chapitre 1 et une partie du chapitre 2 sont déposés. On y indique que la hernie discale reste un diagnostic d’abord clinique qui peut être confirmé par l’imagerie. Le mouvement le plus souvent responsable des hernies discales est la flexion du tronc avec prise de charge au bout des bras. L’augmentation subite de la charge discale lors d’une chute sur les fesses ou suite à un contact violent peut également entraîner une hernie discale.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[42] La procureure de l’employeur estime que le Bureau d’évaluation médicale a été saisi du dossier du travailleur de façon régulière, notamment au niveau du diagnostic. Tout le processus prévu par la loi a été suivi. En utilisant l’article 224.1, la CSST ne procède pas à une reconsidération mais à l’application de la loi. Dans le cadre de la décision rendue suite à l’avis du Bureau d’évaluation médicale, la CSST n’a pas eu à se prononcer sur la relation entre les deux hernies discales et l’événement initial puisque le membre du Bureau d’évaluation médicale n’a pas retenu ce diagnostic. Un diagnostic est évolutif et ne lie pas éternellement la CSST.
[43] La preuve prépondérante au dossier indique que le diagnostic à retenir est celui d’entorse lombaire seulement. C’est ce que décident le docteur Fradet et le membre du Bureau d’évaluation médicale. La chute du travailleur ne constitue pas un mécanisme de production de hernie discale selon l’avis du docteur Fradet. Si la chute avait entraîné une hernie discale ou des hernies discales, les symptômes auraient été plus graves dès le départ. Il n’y a pas concordance entre l’examen objectif et l’imagerie et un diagnostic de hernie discale doit se poser suite à un examen clinique. Les douleurs alléguées par le travailleur correspondent au territoire L5-S1 et non aux niveaux des hernies discales situées à L3-L4 et L4-L5. Des signes de Waddel ont été notés par le docteur Fradet.
[44] Le travailleur était, avant l’événement en cause, un grand sportif et plusieurs des activités qu’il a exercées comme le jogging, sont nuisibles à la colonne lombaire et aux genoux.
[45] La date de consolidation à retenir est celle du 28 juin 2004 sans atteinte permanente ce qui est reconnu même par le médecin qui a charge. En l’absence d’atteinte permanente, on ne peut conclure à la présence de limitations fonctionnelles. L’avis du docteur Fradet doit être retenu à ce sujet. En l’absence de signes cliniques objectifs, il ne saurait être question de limitations fonctionnelles. Elles ont été émises par le Bureau d’évaluation médicale simplement en fonction de symptômes douloureux ce qui ne suffit pas à l’octroi de telles limitations. Le travailleur n’avait donc pas droit à la réadaptation et il était capable de reprendre son emploi à la date de consolidation.
[46] Si jamais l’avis du Bureau d’évaluation médicale est jugé illégal sur le diagnostic, le débat de la relation entre les hernies discales et l’événement initial devra être fait et tranché.
[47] Le représentant du travailleur rappelle que la CSST a accepté le diagnostic de hernie discale et elle doit agir avec équité. Dans l’avis de transmission au Bureau d’évaluation médicale, la CSST indique que les diagnostics retenus sont ceux d’entorse lombaire, de lombosciatalgie gauche et d’entorse au genou gauche. Elle omet ici d’indiquer le diagnostic de hernies discales admis antérieurement. Le médecin du Bureau d’évaluation médicale n’avait donc pas les bonnes prémisses pour procéder à son examen. En rendant une décision acceptant les diagnostics de hernies discales à deux niveaux, la CSST avait épuisé sa juridiction au niveau de la détermination du diagnostic.
[48] Même si les hernies discales ne sont pas assez sévères pour nécessiter une chirurgie, elles sont bel et bien présentes et donnent des signes. En acceptant le diagnostic de hernies discales sans saisir préalablement le Bureau d’évaluation médicale de la question de son existence, la CSST a fait son lit et ne peut revenir sur sa décision. Comme un nouvel avis médical ne constitue pas un fait nouveau, il ne peut être question de reconsidération au sens de l’article 365 de la Loi.
[49] Subsidiairement, si le tribunal estime que le Bureau d’évaluation médicale pouvait être saisi du dossier du travailleur au niveau du diagnostic à cause de l’existence d’une contradiction, la CSST devait agir dans un délai raisonnable comme celui qui existe en matière de révision pour cause.
[50] Comme une sciatalgie gauche est apparue lors de la chute sur les fesses et que le travailleur n’avait pas de problèmes avant cette date, la relation entre les hernies discales et la lésion initiale doit être reconnue. Les sports pratiqués par le travailleur ne lui ont jamais causé de problèmes. La symptomatologie est ressentie du côté gauche et l’une des hernies est latéralisée de ce côté. Les hernies discales ne sont pas seulement une trouvaille radiologique mais entraînent des signes cliniques.
[51] La date de consolidation doit être celle retenue par le Bureau d’évaluation médicale de même que la question des traitements. Un déficit anatomo-physiologique de 4 % doit être octroyé pour deux hernies discales non opérées. L’opinion du docteur Fradet doit être rejetée parce qu’elle n’est pas crédible. Il mentionne notamment qu’une chute sur les fesses ne peut causer une hernie discale, ce qui est manifestement faux. Il est de plus le seul à parler de signes de Waddel. Le travailleur a de la difficulté à se pencher vers l’avant et à s’accroupir. Il a donc des limitations fonctionnelles qui le rendent incapable de travailler.
[52] En réplique, la procureure de l’employeur rappelle la jurisprudence qu’elle a déposée[2]. Il ne peut être question d’appliquer la théorie du functus officio. L’article 224.1 ne constitue pas une reconsidération ou une remise en cause de décision déjà rendue. Il s’agit plutôt d’un mécanisme prévu par la loi pour s’ajuster à la décision rendue par un membre du Bureau d’évaluation médicale.
L’AVIS DES MEMBRES
[53] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs partagent le même avis. L’objection du travailleur quant à la compétence du Bureau d’évaluation médicale doit être rejetée puisqu’en acceptant la relation entre un diagnostic et la lésion, la CSST ne se prive pas de recourir au Bureau d’évaluation médicale pour faire décider de l’existence ou non de ce diagnostic.
[54] Quant au fond, la preuve prépondérante démontre qu’il n’y a pas de hernies discales cliniques chez le travailleur de sorte que seul le diagnostic d’entorse lombaire doit être retenu. La décision concernant la relation entre les hernies discales et l’événement initial devient donc sans objet. Les conclusions quant aux soins et la consolidation doivent être celles retenues par le Bureau d’évaluation médicale puisque non remises en cause par les parties. L’atteinte permanente doit être de 0 % en l’absence de hernie discale et de signes objectifs résiduels d’une entorse. À défaut d’éléments objectifs, il ne peut être question d’octroyer des limitations fonctionnelles. Le travailleur était donc capable de reprendre son emploi à la date de consolidation et l’indemnité de remplacement du revenu devait cesser à cette date.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[55] Pour rendre sa décision, la Commission des lésions professionnelles a pris connaissance de l’ensemble de la documentation au dossier, du témoignage rendu à l’audience, de l’argumentation des parties et tenu compte de l’avis des membres. Elle rend en conséquence la décision suivante.
[56] La Commission des lésions professionnelles doit décider des cinq points d’ordre médical prévus à l’article 212 en relation avec la lésion du 3 juillet 2003 et, s’il y a lieu, de la question de la relation entre les hernies discales L3-L4 et L4-L5 et l’événement du 3 juillet 2003.
[57] Quant aux moyens soulevés par le travailleur à l’effet que la CSST ne pouvait pas référer le dossier au Bureau d’évaluation médicale quant à la question du diagnostic parce qu’elle avait accepté dans une décision non contestée celui de hernie discale L3-L4 et L4-L5, il n’est pas fondé, ceci dit avec respect pour l’opinion contraire.
[58] Le processus de référence au Bureau d’évaluation médicale initié par la CSST mettait en contradiction l’opinion du docteur Jean-François Fradet et l’attestation du 6 avril 2004 du docteur Rhéal Massicotte. Dans son avis du 6 avril 2004, le docteur Massicotte concluait à un diagnostic de hernie discale double alors que le docteur Fradet concluait à un diagnostic d’entorse lombo-sacrée simple.
[59] L’avis obtenu du docteur Fradet le fut en vertu de l’article 204 de la Loi qui se lit comme suit :
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115.
__________
1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
[60] L’article 205.1 de la Loi prévoit quant à lui ce qui suit :
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
__________
1997, c. 27, a. 3.
[61] Ainsi, le rapport du docteur Fradet contredisait les conclusions du docteur Massicotte, conclusions d’ailleurs réitérées dans son avis complémentaire du 8 juin 2004 dans le cadre duquel il maintenait le diagnostic de hernie discale double en plus de celui d’entorse lombaire avec sciatalgie gauche.
[62] La CSST a ensuite, en vertu du dernier alinéa de l’article 205.1, soumis le dossier au Bureau d’évaluation médicale prévu par l’article 216 de la Loi.
[63] Le processus prévu par le législateur a donc été respecté en tout point par la CSST.
[64] Ainsi, si le rapport du médecin désigné par la CSST infirme les conclusions du rapport du médecin du travailleur, cela suffit pour rendre valide la procédure devant le Bureau d’évaluation médicale dans sa totalité[3]. Au surplus, l’article 221 permet au Bureau d’évaluation médicale de se prononcer sur des questions qui ne lui ont même pas été soumises.
[65] De plus, il s’infère de l’abrogation de l’article 214 de la Loi que la CSST n’est plus astreinte au respect d’un délai de 30 jours ou à tout autre délai pour soumettre un sujet visé à l’article 212 à la procédure d’évaluation médicale[4].
[66] Dans l’affaire Riendeau et Ministère des Transports[5], la commissaire Lampron rappelle que la Loi permet à la CSST de faire examiner le travailleur par un médecin qu’elle désigne sans qu’aucune limite de temps ne soit précisée. Elle rappelle aussi que, bien que la CSST ne soit pas obligée de demander un avis au Bureau d’évaluation médicale, elle est liée par les conclusions de cet avis lorsqu’elle décide de le faire et elle doit rendre une décision en conséquence puisque le libellé de l’article 224.1 est impératif. C’est bien ce que la CSST a fait en l’espèce.
[67] Rien dans la loi n’oblige la CSST à contester le premier rapport médical faisant état d’un nouveau diagnostic et à suspendre l’indemnisation en attendant de le faire. Elle peut continuer à verser l’indemnité de remplacement du revenu et accepter la relation médicale sans pour autant renoncer à contester l’existence même du diagnostic en temps opportun. Le tribunal ne peut limiter les droits de la CSST de recourir à la procédure d’évaluation médicale alors que le législateur ne le fait pas lui-même et qu’il a plutôt voulu donner une importante marge de manœuvre à la CSST en cette matière.
[68] La loi mentionne de plus que la CSST, tout comme l’employeur d’ailleurs, peut contester toute attestation ou rapport du médecin qui a charge du travailleur. La CSST pouvait donc contester l’attestation du 6 avril 2004 et elle a agi dans un délai raisonnable en obtenant une expertise en date du 17 mai 2004, l’avis complémentaire du médecin traitant en date du 8 juin 2004 et en référant le dossier au Bureau d’évaluation médicale le 14 juin 2004. On ne peut certes pas, dans les circonstances, parler de délai déraisonnable pour enclencher le processus de contestation médicale surtout qu’aucun délai n’est prévu par la Loi[6].
[69] Le processus prévu par la loi a donc été respecté par la CSST qui pouvait soumettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale selon l’article 206 de la Loi :
206. La Commission peut soumettre au Bureau d'évaluation médicale le rapport qu'elle a obtenu en vertu de l'article 204, même si ce rapport porte sur l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 sur lequel le médecin qui a charge du travailleur ne s'est pas prononcé.
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1985, c. 6, a. 206; 1992, c. 11, a. 13.
[70] Dans l’affaire Riendeau précitée, la question en litige s’apparentait à celle qui nous concerne. En effet, le membre du Bureau d’évaluation médicale avait modifié le diagnostic émis par le médecin traitant ne retenant que celui d’entorse lombaire et non plus celui de hernie discale. Le Bureau d’évaluation médicale a alors émis l’avis que la hernie discale diagnostiquée n’existait pas et il s’agit là d’une question médicale au sens de l’article 212 de la Loi qui doit être suivie d’une décision au sens de l’article 224.1 de la Loi. La commissaire Lampron rappelle aussi que, vu que la condition d’un travailleur est susceptible d’évoluer dans le temps, le législateur devait donner certains pouvoirs à la CSST afin de lui éviter de commettre des erreurs que ce soit au plan factuel ou au plan médical. Le recours à l’article 204 va dans ce sens.
[71] De plus, ce n’est pas parce que la CSST a rendu une décision sur la question de la relation entre les hernies discales et l’événement initial qu’elle était empêchée de référer le dossier sur la question du diagnostic et des autres sujets prévus à l’article 212 au Bureau d’évaluation médicale.
[72] Lorsqu’elle a rendu sa décision du 9 septembre 2003, la CSST ne faisait qu’appliquer la loi, plus précisément son article 224 qui se lit comme suit :
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
__________
1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[73] Suite au nouveau diagnostic de hernies discales, qui n’était pas encore contesté, la CSST demeurait, temporairement du moins, liée par ce diagnostic et devait se prononcer sur sa relation avec la lésion initiale. Ce faisant, elle n’a pas rendu de décision sur la reconnaissance de l’existence même de ces diagnostics. Elle n’a donc fait que prendre acte de l’existence présumée temporairement de hernies discales et s’est prononcée sur la question de la relation.
[74] Cela ne l’empêchait aucunement d’exercer les droits prévus par les articles 204 et suivants non pas quant à la relation entre les hernies et l’événement initial mais quant à leur existence même, question qui relève du médecin traitant ou subsidiairement du membre du Bureau d’évaluation médicale.
[75] Comme elle en a le droit, et dans un délai acceptable, la CSST a référé le dossier au Bureau d’évaluation médicale et elle devenait alors liée par l’avis du membre de ce Bureau, notamment quant au diagnostic et ce, en vertu de l’article 224.1 qui se lit comme suit :
224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.
Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.
Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.
La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.
__________
1992, c. 11, a. 27.
[76] Il ne s’agit donc pas de reconsidérer une décision passée mais de donner application à la volonté du législateur à l’effet que la CSST et la Commission des lésions professionnelles soient liées par les conclusions du Bureau d’évaluation médicale sous réserve des droits de contestation des parties.
[77] Dans Vaillancourt et CHUS Hôpital Fleurimont et autres[7], la commissaire s’exprime comme suit :
[…]
En vertu de cette disposition (article 224.1), parce qu’il faut différencier les conclusions médicales qui la lient de la « décision en conséquence » à rendre, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que cette dernière notion ne peut faire référence qu’aux conséquences juridiques et amener la CSST à statuer sur les droits qui découlent de ces conclusions médicales
À cet effet, rappelons que la Loi ne permet pas à la CSST d’apprécier les questions médicales. Elle est liée par l’avis du médecin ayant charge du travailleur (article 224 de la Loi) ou par l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale (article 224.1 de la Loi). En ce sens, la notion de « rend une décision en conséquence » s’inscrit obligatoirement dans le processus d’appréciation juridique que doit faire la CSST à partir des conclusions médicales qui la lient.
La Commission des lésions professionnelles estime que d’empêcher la CSST de statuer sur la relation entre la lésion nouvellement diagnostiquée et l’événement serait un non-sens et rendrait le processus d’évaluation médicale stérile sans conséquence, voir inutile. Dans le cadre d’une loi qui vise la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent, quelle serait l’utilité de connaître la nature de la lésion que présente un travailleur sans jamais pouvoir statuer s’il existe une relation avec l’événement sous prétexte que l’on a déjà reconnu une autre lésion qui, de plus, n’est peut-être pas la bonne.
[…]
[78] D’ailleurs, la décision initiale du 9 septembre 2003 reconnaissant un lien entre les hernies discales et l’événement initial n’a pas acquis de caractère final et définitif puisqu’un appel est logé dans le présent dossier devant le présent tribunal à ce sujet.
[79] La différence qui existe entre les questions de l’existence du diagnostic et du lien entre ce diagnostic et un événement a été bien cernée par la jurisprudence au fil des ans. Ainsi, dans l’affaire C.U.M. et Blouin[8], la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles établissait que le lien de causalité entre une pathologie et un événement donné ne relevait pas du processus d’arbitrage médical prévu à cette époque, lequel a été remplacé par la référence au Bureau d’évaluation médicale[9].
[80] Ceci met en exergue la différence qui existe entre la question de l’existence d’un diagnostic et celle de la relation avec l’événement initial. On ne peut ainsi conclure que le fait pour la CSST de se prononcer sur la question de la relation médicale entre un diagnostic et une lésion l’empêchait de contester un diagnostic par le processus de référence au Bureau d’évaluation médicale puisqu’il s’agit là de deux questions distinctes.
[81] Le législateur a d’ailleurs prévu que, en prenant acte de l’avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale, la CSST pouvait être amenée à corriger le tir face à certaines décisions rendues auparavant et c’est pourquoi il a prévu l’article 224.1 de la Loi.
[82] De plus, le fait pour la CSST d’indiquer au document de référence au Bureau d’évaluation médicale certains diagnostics en omettant celui de hernie discale double ne change rien au présent dossier. Il s’agit tout au plus d’un oubli clérical qui ne liait aucunement le médecin du Bureau d’évaluation médicale qui était bien au fait des prétentions de certains intervenants médicaux à l’effet qu’il existait une double hernie discale. Il inscrit d’ailleurs à la dixième page de son avis qu’une tomodensitométrie effectuée le 8 août 2003 a démontré une hernie discale centrale L3-L4 et une autre à L4-L5. Il était donc au courant de l’existence possible de ce diagnostic et avait toute la lumière qu’il fallait pour trancher le débat de l’existence ou non du diagnostic de hernies discales et des autres diagnostics.
[83] Par exemple, la CSST a mentionné au document de référence au Bureau d’évaluation médicale le diagnostic d’entorse au genou gauche qui n’a nullement été repris par le Bureau d’évaluation médicale. Il s’agit là d’une indication supplémentaire que le membre du Bureau d’évaluation médicale ne s’est aucunement senti lié par les inscriptions faites par la CSST au niveau des diagnostics retenus. Le tribunal estime donc que le Bureau d’évaluation médicale avait la compétence de se saisir de la question du diagnostic et de la trancher. C’est ce qu’il a fait et les parties ont exercé leur droit de contestation jusqu’au présent tribunal qui doit maintenant décider du diagnostic ou des diagnostics à retenir en ce qui concerne l’événement du 3 juillet 2003.
[84] La preuve prépondérante au dossier est à l’effet que le travailleur n’est pas porteur de hernies discales. La littérature médicale incluant celle déposée à l’audience de même que la jurisprudence ont rappelé à de nombreuses reprises que le diagnostic de hernie discale était avant tout clinique et non pas radiologique. Ainsi, on ne peut se satisfaire d’une image en cette matière mais on doit conclure à l’aide d’un examen clinique que la hernie discale est vraiment symptomatique.
[85] Or, le membre du Bureau d’évaluation médicale, le docteur André Girard, orthopédiste, conclut manifestement à l’absence de hernie discale puisqu’il ne retient que le diagnostic d’entorse lombaire. L’avis de ce médecin, complètement indépendant des parties, constitue un élément déterminant au dossier.
[86] Le docteur Fradet, autre spécialiste, arrive également à la conclusion de l’absence de hernie discale après un examen tout aussi détaillé que celui du docteur Girard. Encore là, cet examen est demandé par la CSST et non pas par les parties. Le docteur Fradet explique que certaines trouvailles à son examen ne peuvent corroborer des hernies discales au niveau où elles se trouvent radiologiquement. Son examen détaillé et circonstancié de même que ses conclusions motivées sont donc retenus par le tribunal.
[87] L’imagerie démontre d’ailleurs que les hernies discales s’appuient légèrement sur le fourreau dural de sorte qu’elles ne sont la source d’aucune compression et qu’elles ne peuvent entraîner aucun symptôme. Il s’agit donc de hernies discales radiologiques et non cliniques. D’ailleurs, tous les signes cliniques prépondérants en cette matière sont négatifs et ceux qui pourraient être positifs ne concernent pas le bon territoire.
[88] L’avis du docteur Pagé du 19 octobre 2003 ne peut être retenu puisque beaucoup moins détaillé et explicite que les autres. Il conclut de plus à une « petite » hernie alors que son examen objectif n’est pas très concluant.
[89] Quant à l’avis du médecin de la CSST, il ne peut non plus être retenu puisque ce médecin n’a nullement examiné le travailleur et que l’avis est plutôt laconique. Cet avis semble plutôt porter sur la relation entre la hernie et l’événement et aucunement sur l’existence même des hernies qui est la question en cause.
[90] Finalement le docteur Rhéal Massicotte, médecin traitant du travailleur, affirme l’existence d’une hernie discale mais n’explique pas du tout pourquoi on peut conclure de la sorte.
[91] En l’absence de hernie discale, il devient donc inutile de se prononcer sur la relation entre les deux prétendues hernies et l’événement puisqu’elles n’existent tout simplement pas. Il devient donc non pertinent de trancher le débat à savoir si le fait de tomber sur les fesses peut entraîner une hernie discale comme le prétend la littérature déposée par le travailleur ou encore que ce mécanisme n’en est pas un de production d’une hernie discale comme le prétend le docteur Fradet.
[92] Quant aux questions de la consolidation et des soins, elles sont admises par les deux parties et il n’y a donc plus de litige à ce sujet. La décision de la CSST et l’avis du Bureau d’évaluation médicale doivent donc être maintenus à savoir une consolidation au 28 juin 2004 sans nécessité de traitements additionnels après cette date.
[93] En l’absence de hernie discale, la question de l’atteinte permanente ne pose pas non plus problème. Dans un premier temps, le tribunal estime que le Bureau d’évaluation médicale n’aurait pas dû se saisir de cette question puisqu’il n’y avait pas contradiction entre les avis des docteurs Fradet et Massicotte. En effet, le docteur Fradet concluait à l’absence d’atteinte permanente et le docteur Massicotte s’est rallié à cet avis dans son rapport complémentaire du 8 juin 2004. Comme le Bureau d’évaluation médicale est là pour régler des litiges et non pour en créer, le tribunal estime que l’avis du médecin traitant confirmant celui du médecin désigné doit être retenu et qu’il y a absence d’atteinte permanente en l’espèce.
[94] De toute façon, et même si le Bureau d’évaluation médicale avait pu se saisir de cet aspect du dossier, il n’en reste pas moins qu’il conclut à l’absence d’atteinte permanente puisque l’entorse lombaire ne laisse aucune séquelle fonctionnelle. Son examen, fait à deux reprises au goniomètre, démontre la normalité des mouvements de la colonne lombaire. De toute façon, les parties s’en remettent également à l’avis du Bureau d’évaluation médicale à savoir l’absence de déficit anatomo-physiologique et il n’existe plus de contestation à ce sujet.
[95] Reste la question des limitations fonctionnelles. Le tribunal comprend mal pourquoi le docteur Girard accorde de telles limitations en présence d’un examen musculo-squelettique normal. En effet, aucun signe objectif ne ressort de cet examen qui ne démontre que des séquelles douloureuses qui sont plutôt subjectives.
[96] L’avis du docteur Fradet doit donc être retenu puisque plus conforme à l’état du patient, aux trouvailles médicales et à la jurisprudence du présent tribunal qui requiert la preuve de séquelles objectives avant de conclure à la présence de limitations fonctionnelles[10]. Le docteur Girard reconnaît d’ailleurs lui-même l’absence de séquelles fonctionnelles lorsqu’il octroie un déficit anatomo-physiologique de 0 % selon le code 203997 du Règlement sur le barème sur les dommages corporels. Il est difficile d’expliquer comment, en l’absence de séquelles fonctionnelles, on peut conclure à la présence de limitations fonctionnelles. L’existence ou l’absence de limitations fonctionnelles doit donc être déterminée en fonction des données cliniques et paracliniques et aucunement en fonction des activités normales du travailleur[11]. De plus, il est reconnu que les notions d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles sont intimement reliées[12]. Or, le tribunal ne peut pas comprendre comment une lésion qui n’a laissé aucune atteinte permanente pourrait laisser des limitations fonctionnelles. En effet, s’il n’y a pas atteinte objective des structures, comment cela peut-il se traduire par des limitations dans les fonctions habituelles d’une personne?
[97] Les dispositions de la loi posent le principe de l’absence de limitations fonctionnelles en l’absence d’atteinte permanente et la limitation fonctionnelle présuppose l’existence préalable d’une atteinte permanente[13].
[98] De plus, la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles avait déjà soumis cette question à un banc de trois commissaires qui avait conclu majoritairement que l’absence d’atteinte permanente entraîne nécessairement l’absence de limitations fonctionnelles[14].
[99] Au surplus, le traumatisme initial n’était pas de par sa nature susceptible de laisser des séquelles permanentes. Le travailleur a pu finir son quart de travail, il n’a pas consulté un médecin initialement et les douleurs ne sont pas apparues immédiatement lors du traumatisme selon la version donnée au docteur Fradet. Il est de plus de la nature d’une entorse de guérir.
[100] En l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, le travailleur pouvait reprendre son emploi à compter de la date de consolidation et l’indemnité de remplacement du revenu devrait prendre fin à cette date en vertu de l’article 57 de la Loi :
57. Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants:
1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48;
2° au décès du travailleur; ou
3° au soixante-huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.
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1985, c. 6, a. 57.
[101] Finalement, le tribunal note au dossier et notamment à la radiographie du 6 juillet 2003 que le travailleur est aux prises avec des conditions personnelles qui peuvent possiblement expliquer certaines douleurs résiduelles.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 230800-04-0403
ACCUEILLE la requête de l’employeur Les Carrelages Centre du Québec;
ANNULE les décisions des 9 septembre 2003 et 20 février 2004 rendues par la Commission de la santé et de la sécurité du travail parce que sans objet;
DÉCLARE qu’il devient sans objet de décider de la question hypothétique de la relation entre les hernies discales et l’événement du 3 juillet 2003.
Dossier 246228-04-0410
REJETTE la requête de Daniel Thibodeau, le travailleur;
MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 8 septembre 2004 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le diagnostic de la lésion du 3 juillet 2003 est celui d’entorse lombaire consolidée le 28 juin 2004 sans nécessité de soins après cette date;
DÉCLARE que la lésion professionnelle du 3 juillet 2003 n’a laissé aucune atteinte permanente ni limitations fonctionnelles;
DÉCLARE que le travailleur est capable de reprendre son emploi depuis le 28 juin 2004 et que l’indemnité de remplacement du revenu doit cesser à cette date.
Dossier 246736-04-0410
ACCUEILLE la requête deLes Carrelages Centre du Québec, l’employeur;
MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 8 septembre 2004 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le diagnostic de la lésion du 3 juillet 2003 est celui d’entorse lombaire consolidée le 28 juin 2004 sans nécessité de soins après cette date;
DÉCLARE que la lésion professionnelle du 3 juillet 2003 n’a laissé aucune atteinte permanente ni limitations fonctionnelles;
DÉCLARE que le travailleur est capable de reprendre son emploi depuis le 28 juin 2004 et que l’indemnité de remplacement du revenu doit cesser à cette date.
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Me Jean-François Clément |
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Commissaire |
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Me Marie-Ève Vanden Abeele |
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A.P.C.H.Q. |
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Représentante de la partie requérante |
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M. Jean-Pierre Devost |
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JEAN-PIERRE DEVOST, CABINET-CONSEIL |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3001
[2] Nadeau et Fempro inc., C.L.P. 210299-63-0306 et 228805-63-0403, 30 août 2004, F. Mercure; Riendeau et Ministère des Transports, C.L.P. 214611-62B-0308, 28 janvier 2004, M.-D. Lampron; Longo et IDA Construction ltée, C.L.P. 77569-60-9603, 23 janvier 1998, R. Brassard.
[3] Lapierre et Produits aluminium CBC inc., C.L.P. 127080-64-9911, 22 août 2000, D. Martin; Lévesque et Toitures PLC inc. [2002], C.L.P. 823 .
[4] Marchand et Habitations Le Domaine enr., C.A.L.P. 64802-60-9412, 1er août 1996, M. Cuddihy.
[5] Déjà citée
[6] Tye-Sil Corporation ltée et St-Cyr, C.L.P. 87035-73-9703, 14 décembre 2000, C.-A. Ducharme.
[7] C.L.P. 156697-05-0103, 7 avril 2003, D. Beauregard
[8] [1987] C.A.L.P. 62
[9] Voir aussi Marcotte c. Brazeau, [1987] C.A.L.P. 723 , Cour supérieure, requête pour rejet d’appel accueilli, Cour d’appel Québec 200-09-000715-0877, 4 août 1993, juge Lebel; Duplantis c. C.A.L.P., [1988] C.A.L.P. 911 , Cour supérieure.
[10] Longo et IDA Construction ltée, déjà citée; Nadeau et Fempro inc., déjà citée; Routhier et Ministère du Développement des ressources humaines, [1996] C.A.L.P. 123 , révision rejetée 64930-03-9412, 12 juin 1996, J.-M. Dubois; Yanniciello et CLSC Montréal-Nord, C.L.P. 93759-73-9801, 10 septembre 1999, L. Juteau
[11] Bélanger et Ville de Laval, C.A.L.P. 71279-61-9507, 5 février 1997, A. Leydet
[12] Delisle et Résidences Champlain centre-ville, [1996] C.A.L.P. 259
[13] Bordeleau c. C.A.L.P., Cour supérieure de Joliette, 705-05-001412-967, 21 février 1997, juge Tessier.
[14] Lalonde et Corporation Outils Québec, [1990] CALP 72 .
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.