Lumande c. Raamco International Properties Canadian Ltd. |
2019 QCRDL 20900 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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Nos dossiers : |
378722 31 20180201 G 378722 31 20180201 Q |
Nos demandes : |
2426530 2698376 |
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Date : |
25 juin 2019 |
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Régisseure : |
Sophie Alain, juge administrative |
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Rachid Lumande |
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Locataire - Partie demanderesse |
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c. |
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Raamco International Properties Canadian Ltd |
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Locateur - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Par un recours introduit le 1er février 2018, le locataire demande, après amendement, la résiliation rétroactive du bail au 1er mars 2018, la diminution de loyer à compter du 1er juillet 2017, plus des dommages matériels, moraux et punitifs.
[2] Le locateur plaide qu’il n’a pas l’obligation de dénoncer la présence d’insectes dans l’immeuble à la signature du bail. Il conteste donc la demande du locataire, qu’il juge, entre autres, exagérée.
Questions en litige
[3] Pour trancher le litige entre les parties, le Tribunal doit répondre aux questions suivantes :
1. Le locateur devait-il dénoncer la présence d’une problématique de coquerelles et de punaises de lit dans l’immeuble avant la signature du bail ?
2. La résiliation rétroactive du bail est-elle appropriée ?
3. Le locateur a-t-il fait défaut de procurer la pleine jouissance des lieux loués? Le cas échéant, quelle sera la diminution de loyer à accorder ?
4. Quels sont les dommages moraux et matériels à accorder ?
5. Le locateur a-t-il porté atteinte aux droits et libertés du locataire justifiant l’octroi de dommages punitifs ?
Contexte
[4] Le locataire et son épouse, madame Bendesa, ont habité leur précédent logement durant huit ans et pour lequel ils payaient un loyer mensuel de 895 $. Avec l’arrivée des enfants, l’épouse a cessé de travailler. Comme le revenu de la famille a baissé, le locataire souhaitait payer un loyer mensuel moindre.
[5] C’est dans ce contexte qu’il visite, en janvier 2017, l’immeuble de huit logements, lequel est mitoyen avec d’autres immeubles appartenant aussi au locateur. Le locataire convoite le logement numéro 8 qui comporte 4½ pièces, dont deux chambres.
[6] Le locataire soumet une offre de location et comme l’enquête se révèle positive, le locateur accepte de lui louer le logement.
[7] Le bail est signé le 10 mai 2017 pour une occupation du 1er juillet 2017 au 30 juin 2018 au loyer mensuel de 700 $. Lors d’une seconde visite, le logement est en rénovation, mais l’employé du locateur, Shawn, rassure le locataire que le logement sera prêt et que les accessoires de salle de bain seront changés.
[8] Le bail indique qu’avant la délivrance du logement, le locateur s’engage à le peindre en blanc et à sabler et vernir le plancher de bois.
[9] Le locataire emménage dans le logement le 1er juillet avec son épouse et leurs deux filles âgées de 19 mois et de 3 ans.
[10] Il constate qu’à l’exception de la vanité, la salle de bain n’a pas été rénovée et la cuve de toilette est tâchée. Il remarque l’absence de moustiquaires dans les chambres et le salon[1].
[11] Dès la première nuit, le locataire aperçoit des coquerelles.
[12] Le lendemain, l’enfant de 3 ans présente des marques rouges et gonflées sur la peau, et elle se gratte fortement. Le locataire et son épouse ignorent la raison. Son épouse appelle au bureau du locateur et discute avec Aïda pour l’aviser que sa fille a des traces de piqûres. Surprise, Aïda lui répond qu’un traitement d’extermination fut fait avant leur arrivée au logement de sorte qu’il ne devrait pas y avoir d’insectes. Elle rassure l’épouse du locataire qu’elle inscrit le logement sur la liste d’attente pour une visite de l’exterminateur.
[13] Entretemps, le locataire et son épouse apprennent que leur fille se fait piquer par des punaises de lit.
[14] L’exterminateur inspecte le logement le 24 juillet et traite celui-ci contre les coquerelles. Il note la présence d’une punaise de lit et suggère de traiter le logement contre les punaises de lit.
[15] Le 2 août, l’exterminateur traite contre les coquerelles et les souris et à nouveau le 6 septembre et 2 novembre. Le 11 août, il y a un traitement contre les souris seulement. Les traitements suivants, contre les coquerelles, ont lieu le 27 novembre 2017 ainsi que le 24 janvier et 14 mars 2018, 24 mai et 19 juin.
[16] Entretemps, le 7 septembre 2017, le locataire reçoit une mise en demeure du locateur l’avisant que le logement n’était pas préparé pour l’extermination contre les punaises de lit et qu’il s’agit du dernier avis; une copie conforme est transmise à la Ville de Montréal. Le locataire est surpris, car il n’a jamais reçu un tel avis. Le 11 septembre, il reçoit une lettre d’excuses du locateur pour la mise en demeure transmise par erreur.
[17] Le logement est finalement traité contre les punaises de lit le 11 septembre et les 12 et 23 octobre 2017.
[18] Fin octobre, la famille du locataire ne ressent plus la présence des punaises de lit. Cependant, le locataire et son épouse veulent quitter le logement, surtout pour les enfants. Ils se présentent au bureau du locateur pour rencontrer M. Aguilar. Ils tentent de conclure une entente de résiliation de bail avec le locateur. M. Aguilar refuse de résilier le bail et leur dit avec un geste de ses doigts qu’ils ne recevront rien et il se lève debout, élève le ton et dit « Sortez de mon bureau », déclare le locataire.
[19] Ensuite, M. Aguilar fera appeler la police lorsque madame Bendesa se met à pleurer, explique le locataire.
[20] Le 29 novembre 2017, le locataire met en demeure le locateur de corriger la situation de manière définitive ou de résilier le bail avant terme en raison des inconvénients subis par sa famille. La mise en demeure se lit comme suit :
« Présentement, comme je vous l’ai dit plusieurs fois, je vis les problèmes suivants :
- Présence de punaises de lit du 1er juillet à la fin octobre 2017, ce qui a causé des problèmes de santé à une de mes enfants;
- Présence de coquerelles;
- La salle de bain est en mauvais état (plancher, porte-savon et toilette)
- Un moustiquaire manquant dans une des chambres.
De plus, un des responsables du locateur est impoli et agressif verbalement avec moi et ma conjointe.
Les exterminations m’ont occasionné des dépenses de 752.51 dollars (dommages matériels). Aussi, vu la situation, je veux mettre fin à mon bail entre le 31 mars et le 30 avril 2018.
En conséquence, vous êtes formellement mis en demeure de me verser les dommages matériels de dollars dans les dix (10) jours de la réception de la présente et de me retourner signée l’entente de résiliation de bail jointe avec la présente.
À défaut par vous de vous y conformer, je n’aurai d’autre choix que d’entreprendre des démarches légales, sans autre avis ni délai afin que mes droits soient reconnus et respectés. »
[Reproduit tel quel]
[21] Le 21 décembre 2017, la Ville de Montréal transmet des avis de non-conformité au locateur pour l’immeuble du locataire ([...]), mais aussi les deux autres mitoyens, soit le [...] et [...]. Ces avis portent entre autres sur la présence d’insectes et diverses déficiences et, plus spécifiquement pour le logement du locataire, la mention suivante :
« Emplacement [...]
Logement : 8
Salubrité
Chambre
Installer la moustiquaire à la contre-fenêtre qui est manquante. (Art. 52.1)
CES TRAVAUX DOIVENT ÊTRE EXÉCUTÉS AU PLUS TARD 60 JOURS APRÈS LA RÉCEPTION DE CET AVIS.
Cuisine
Voir la note pour la description de l’infraction.
CES TRAVAUX DOIVENT ÊTRE EXÉCUTÉS AU PLUS TARD 60 JOURS APRÈS LA RÉCEPTION DE CET AVIS.
Note : Veuillez remplacer l’uréthane qui bouche les trous sous l’évier de cuisine par un matériau conforme. »
[Reproduit tel quel]
[22] Le locataire explique que les punaises de lit réapparaissent à son logement en fin décembre. Il avise le locateur, mais aucun traitement n’est effectué.
[23] Le 29 janvier 2018, l’épouse du locataire appelle la secrétaire du locateur, Aida, pour l’aviser à nouveau que ses enfants se font piquer. Celle-ci met l’appel sur le « speaker phone » et un homme déclare « avez-vous des preuves ? ».
[24] Le locataire a avisé la secrétaire du locateur, Aida, en février et mars 2018 pour obtenir un traitement contre les punaises de lit, mais celle-ci disait chaque fois « soyez patient, on va passer ».
[25] Cependant, jusqu’à leur départ du logement, le locateur n’enverra aucun exterminateur pour les punaises de lit. Le locataire a emménagé dans sa nouvelle demeure le 1er juin 2018 tout en payant son loyer de juin au locateur.
[26] À nouveau le 27 avril 2018, la Ville transmet un avis de non-conformité où elle indique, plus spécifiquement à l’égard du logement du locataire :
« Logement : 8
Chambre État
Non corrigée
Installer la moustiquaire à la contre-fenêtre qui est manquante. (Art. 62.1)
CES TRAVAUX DOIVENT ÊTRE EXÉCUTÉS AU PLUS TARD 60 JOURS APRÈS LA RÉCEPTION DE CET AVIS.
Les correctifs doivent être exécutés au plus tard 60 jours après la réception de cet avis.
Cuisine Non corrigée
Voir la note pour la description de l’infraction.
CES TRAVAUX DOIVENT ÊTRE EXÉCUTÉS AU PLUS TARD 60 JOURS APRÈS LA RÉCEPTION DE CET AVIS.
Note : Veuillez remplacer l’uréthane qui bouche les trous sous l’évier de cuisine par un matériau conforme.
Les correctifs doivent être exécutés au plus tard 60 jours après la réception de cet avis.
Extermination
Il y a présence de punaises de lit dans le logement. Faire procéder à l’extermination par un exterminateur membre de L’ASSOCIATION QUÉBÉCOISE EN GESTION PARASITAIRE et nous fournir un rapport de l’intervention. (Art. 25.9.1)
CES TRAVAUX DOIVENT ÊTRE EXÉCUTÉS AU PLUS TARD 30 JOURS APRÈS LA RÉCEPTION DE CET AVIS.
Les correctifs doivent être exécutés au plus tard 30 jours après la réception de cet avis. »
[Reproduit tel quel]
[27] Le locateur ne partage pas la version du locataire. Son représentant, Ramiro Aguilar, soumet qu’il n’y avait pas d’infestation dans le logement du locataire.
[28] Il explique que le locataire ne s’est jamais informé sur la présence d’insectes avant la signature du bail ni avant son arrivée au logement.
[29] Au surplus, M. Aguilar expose avoir même agi de manière préventive en faisant traiter le logement avant l’arrivée du locataire et plaide n’avoir commis aucune faute dans la gestion de la problématique.
[30] De surcroît, le locataire n’a pas respecté l’exigence au bail de remettre la preuve d’assurance-habitation, ajoute-t-il.
[31] Le locateur produit l’avis de non-conformité de la Ville de Montréal du 26 juillet 2017[2] qui ne mentionne pas la présence de punaises de lit dans l’immeuble du locataire.
[32] En réplique, le locataire admet ne pas avoir questionné les employés du locateur sur la présence de punaises de lit avant juillet 2017, car il ne connaissait pas cet insecte. Cependant, connaissant les coquerelles, il n’en veut pas chez lui. Lui et son épouse témoignent que s’ils avaient été avisés du problème de coquerelles, jamais ils n’auraient loué le logement. De même, si le locateur les avait informés de la présence de punaises de lit dans l’immeuble, jamais ils n’auraient exposé leurs enfants à cet insecte.
[33] Quant à la preuve d’assurance, il avait une assurance-habitation avec Desjardins Assurance, mais on ne lui a jamais rappelé durant son occupation qu’il devait fournir une copie du contrat.
[34] Ainsi se résument succinctement les faits. Avant d’aborder les questions en litige, voyons d’abord les obligations d’un locateur quant à la problématique de coquerelles et de punaises de lit dans un logement.
Droit applicable
[35] Le locateur assume, entre autres, l'obligation de délivrer un logement en bon état de réparation de toute espèce et de procurer au locataire la jouissance paisible de son logement[3], le maintien de celui-ci en bon état d'habitabilité[4] et l'exécution de toutes les réparations nécessaires, sauf celles qui sont purement locatives[5].
[36] Les obligations du locateur sont, entre autres, stipulées aux articles suivants du Code civil du Québec (C.c.Q.) :
1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.
Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail.
1864. Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l'exception des menues réparations d'entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu'elles ne résultent de la vétusté du bien ou d'une force majeure.
1910. Le locateur est tenu de délivrer un logement en bon état d'habitabilité; il est aussi tenu de le maintenir ainsi pendant toute la durée du bail.
La stipulation par laquelle le locataire reconnaît que le logement est en bon état d'habitabilité est sans effet.
[37] En bref, l’obligation au locateur de procurer la libre jouissance des lieux loués constitue l’essence même du bail, une obligation fondamentale et essentielle[6].
[38] Les obligations prévues aux articles 1854 al.1 et 1864 C.c.Q. sont dites « de résultat », ce qui signifie que les moyens de défense du locateur sont limités :
Au contraire, dans le cas d'une obligation de résultat, la simple preuve par le créancier de l’absence du résultat suffit à faire présumer la responsabilité du débiteur. Dès lors, le débiteur, pour dégager sa responsabilité, doit aller au-delà d'une preuve de simple absence de faute. Du point de vue probatoire, l'absence de résultat fait donc présumer la responsabilité du débiteur et place sur ses épaules le fardeau de démontrer que l'inexécution provient d'une cause qui ne lui est pas imputable. Le débiteur n'a pas la possibilité de tenter de prouver absence de faute de sa part; il doit identifier, par prépondérance de la preuve, une force majeure ou encore le fait de la victime, qui a empêché l'exécution de l'obligation. À défaut de décharger ce fardeau, le débiteur est tenu responsable de l'inexécution.[7]
[Caractère gras ajouté et référence omise]
[39] Tandis que les
articles
En présence enfin d'une obligation de garantie, la présomption de responsabilité est encore plus lourde. Le créancier, pour tenir le débiteur responsable, doit, comme pour l'obligation de résultat, prouver simplement l'absence de celui-ci. Cependant, à la différence d'une obligation de résultat, le débiteur d'une obligation de garantie ne peut se libérer qu'en démontrant que le fait de la victime a empêché l'exécution de l'obligation, dans les rares cas où il le peut dans les circonstances. La défense de force majeure est irrecevable, comme évidemment celle d'absence de faute.[8]
[Caractère gras ajouté et référence omise]
[40] Selon les circonstances, en présence d’un trouble anormal et persistant, comme la présence de vermine et d’insectes, la Loi[9] offre trois options au locataire : l’exécution en nature, la résiliation du bail ou la diminution du loyer, avec ou sans dommages-intérêts. Ces deux dernières notions sont différentes[10].
[41] La diminution du loyer vise à rétablir l'équilibre des prestations en évaluant la valeur objective de la perte de jouissance locative subie par un locataire en raison de l'inexécution des obligations du locateur. Pour l’accorder, la preuve doit être prépondérante que la perte est sérieuse, significative et substantielle[11].
[42] Pour sa part, l’octroi de dommages vise à compenser le préjudice subi par le locataire (moral[12], matériel) lorsqu’il y a un lien entre la faute reprochée et les dommages réclamés.
[43] De plus, le locateur est soumis à ces obligations, peu importe l'état de l'immeuble ou du logement lors de la signature du bail et malgré la connaissance ou l'acceptation de certaines anomalies par un locataire[13]. Également, un locateur est tenu de respecter ces obligations, et ce, bien que les locataires puissent se succéder sans délai à la fin d'un bail[14].
[44] En corollaire, et pour mettre à exécution les obligations de ce dernier, le locataire doit user du bien loué avec prudence et diligence[15]. Plus spécifiquement, le locataire est tenu d’entretenir[16] et de maintenir son logis en bon état de propreté[17], de ne pas contrevenir aux obligations légales prescrites eu égard à sa sécurité ou salubrité[18] et d'aviser le locateur dans un délai raisonnable[19], lorsqu'il aura connaissance d'une défectuosité ou d'une détérioration substantielle des lieux loués. Ainsi avisé, le locateur devra réagir avec célérité et diligence pour enrayer le problème.
[45] Comme le rappelle la juge administrative Francine Jodoin dans plusieurs décisions[20] « (i)l va sans dire que la présence d'insectes, tels que des coquerelles et des punaises de lit, dans un immeuble constitue un fléau qu'il importe d'éradiquer rapidement ». D’ailleurs, l'article 25 du Règlement de la Ville de Montréal portant sur la salubrité, l'entretien et la sécurité des logements[21] prohibe la malpropreté, la présence d'insectes et de punaises de lit et les conditions qui favorisent la prolifération de ceux-ci.
DÉCISION
1. Le locateur devait-il dénoncer la présence d’une problématique de coquerelles et de punaises de lit dans l’immeuble avant la signature du bail ?
[46] Oui. En l’instance, le locateur ne pouvait pas ignorer la problématique de coquerelles et de punaises de lit dans l’immeuble, mais aussi dans les immeubles mitoyens lui appartenant. Les rapports d’extermination du 27 mars et des 13 et 23 avril 2017 démontrent la présence de punaises de lit avant la signature du bail le 10 mai 2017.
[47] Le Tribunal est d’avis que la présence de coquerelles et punaises de lit dans le logement numéro 6 situé sous le logement du locataire le 26 juin 2017[22] (soit avant l’arrivée du locataire) rend plus probable qu’improbable la présence de punaises de lit dans le logement au moment de sa livraison au locataire en date du 1er juillet 2017.
[48] En effet, l’exterminateur Bissonnette témoigne de la présence de punaises de lit au logement numéro 6 et qu’elles peuvent se déplacer dans l’immeuble. Il confirme l’urgence d’intervenir rapidement en présence de punaises de lit.
[49] D’ailleurs, il est de connaissance du tribunal spécialisé de la Régie du logement que les punaises de lit s’infiltrent et se cachent de la lumière du jour dans les interstices qu’elles trouvent (planchers, plaques murales, plinthes ou ailleurs). Ce n’est pas parce qu’on ne peut pas les apercevoir au premier coup d’œil que cela signifie que les lieux en sont exempts[23].
[50] Or, comme le rappelle la juge administrative Louise Fortin dans la décision Hubert c. Marion[24], un locateur qui savait qu'un locataire de l'immeuble avait connu une infestation de punaises de lit dans son logement devait en informer les nouveaux locataires au moment de la conclusion de leur bail.
[51] Divulguer cette information à un locataire est si important que dans la décision Keroack c. Tran[25], le bail a été annulé puisque le consentement de la locataire, lors de la signature du bail, a été vicié par l'omission du locateur de la renseigner adéquatement sur la présence antérieure dans l'immeuble de souris et de punaises de lit.
[52] Si le locateur avait dénoncé la problématique au locataire, ce dernier aurait pu alors prendre une décision éclairée avant d’emménager dans le logement. Or, en omettant cette information, le locateur n’a pas respecté son obligation de bonne foi. Le Tribunal conclut que le locateur a fait défaut de respecter son obligation de délivrer le logement en bon état d’habitabilité.
[53] Par conséquent, le Tribunal rejette la défense du locateur à cet égard et celui-ci sera donc tenu responsable des dommages en lien entre cette faute.
2. La résiliation rétroactive du bail est-elle appropriée ?
[54] Bien que le locataire ait demandé que sa demande soit entendue en urgence, en raison de l’insuffisance de temps, l’audience du 4 avril 2018 fut remise sans aucune faute des parties.
[55] Le locataire a habité les lieux jusqu’au 1er juin; il a donc quitté le logement avant la seconde convocation des parties du 17 juillet 2018.
[56] Dans sa demande réamendée du 16 juillet 2018, le locataire demande au Tribunal de résilier le bail rétroactivement au 1er mars 2018 et de rembourser les loyers payés (2 800 $)
[57] Dans la décision Klingender c. Rolland[26], les locataires ont quitté le logement le 15 juillet 2016 tout en y laissant leurs biens. Un avis d’abandon est transmis le 18 juillet 2016. Le Tribunal résilie le bail, à compter du 1er juillet 2017 puisque c’est le défaut de délivrer le logement en bon état d’habitabilité qui est sanctionné.
[58] De même, dans la décision Bélanger c. Gestion immobilière Langlois inc.[27], le Tribunal conclut à la résiliation rétroactive du bail aux torts du locateur, à compter du 1er juillet 2017 vu le défaut de délivrer le logement en bon état d’habitabilité; la locataire y est demeurée jusqu’en octobre 2017.
[59] En l’instance, le locataire souhaite la résiliation du bail au motif de l’inexécution des obligations du locateur (entre autres, le refus d’exterminer les punaises de lit), car il en a subi un préjudice sérieux.
[60] Il y a une infestation mineure de coquerelles selon les 2e et 3e visites de l’exterminateur en 2018.
[61] Quant aux punaises de lit, bien que la preuve du locataire ne permette pas de qualifier leur présence « d’infestation » ou de « prolifération », le locateur n’a pas contredit le locataire, car il ne mandatera aucun exterminateur pour cet insecte jusqu’au départ du locataire; Abiosphère a le mandat d’extermination pour les coquerelles uniquement. Le locateur attendra la fin du bail pour mandater un exterminateur spécialiste dans les punaises de lit. Puisque l’inspection a lieu le 11 juillet, le Tribunal ne retient aucune des constatations de Solution Cimex.
[62] Ajoutons qu’en contre-interrogatoire, M. Aguilar ne répondra à aucune question de Me Lacourcière sur les raisons de l’absence de traitements contre les punaises de lit de janvier à juin 2018; il esquivera les questions en témoignant sur d’autres aspects. Dans les faits, aucun exterminateur ni employé du locateur n’ira constater la présence ou l’absence de punaises de lit. Le Tribunal juge que le locateur ne pouvait « exiger des preuves » au locataire, alors que les fillettes se font toujours piquer.
[63] Par conséquent, le
Tribunal résilie le bail à compter du 1er mars 2018, en vertu de
l’article
[64] En revanche, le Tribunal n’accordera pas la demande de rembourser l’entièreté des loyers payés à compter de mars 2018 puisque le locataire a habité le logement. Cet aspect de la demande sera analysé ci-dessous dans la diminution de loyer comme étant une demande de diminution de 100% du loyer.
3. Le locateur a-t-il fait défaut de procurer la pleine jouissance des lieux loués ? Le cas échéant, quelle sera la diminution de loyer à accorder ?
[65] Oui. La preuve est prépondérante que le locataire n’a pas obtenu la pleine jouissance des lieux loués en raison de la présence de coquerelles et de punaises de lit et de tous les inconvénients qui en ont découlés.
[66] De plus, le Tribunal est d’avis que le locataire a subi une perte réelle, significative et substantielle de son logement.
[67] Malgré la mise en demeure du 29 novembre 2017, le locateur n’a pas donné suite à celle-ci.
[68] D’abord, dès l’arrivée au logement, le locataire et sa famille ont vécu une perte de jouissance du logement; il y a les coquerelles visibles dès la première nuit et la famille se fera piquer par les punaises de lit, mais surtout les fillettes.
[69] Bien que l’avis de non-conformité de la Ville de Montréal du 26 juillet 2017[28] ne mentionne pas la présence de punaises de lit dans l’immeuble du locataire, le Tribunal retient la preuve photographique du locataire et le rapport de l’exterminateur qui atteste avoir trouvé une punaise dans le logement.
[70] D’ailleurs, l’avis de non-conformité de la Ville de Montréal du 26 juillet 2017 ajoute la présence de rats et de rongeurs dans les logements des immeubles du locateur, d’où le mandat confié à une firme spécialisée pour inspecter l’égout principal et faire un test de fumée le 31 juillet 2017.
[71] Quant aux défectuosités dans le logement, notons l’absence de moustiquaires au salon et dans une chambre tout l’été. Bien que le locateur ait donné l’ordre de travaux le 5 juillet, que les mesures furent prises le 7 et la commande auprès de la vitrerie passée le 13 juillet 2017[29], la preuve est davantage convaincante de la part du locataire que la moustiquaire fut installée au salon qu’à la fin de l’été. Quant à la chambre des maîtres, il n’a jamais été fourni, car comme le souligne Shawn, une seule moustiquaire n’a été commandée.
[72] La salle de bain présentait des déficiences notables au niveau de la céramique et de la toilette.
[73] Le locataire demande la diminution de loyer de 400 $ (environ 57%) de juillet 2017 à février 2018 et de 100% à compter du 1er mars 2018 jusqu’au 30 juin 2018.
[74] Afin de rétablir l’équilibre entre les prestations respectives des parties, le Tribunal accorde une diminution de loyer. En s’inspirant de la jurisprudence du Tribunal, une diminution de loyer de 35 % de juillet 2017 à février 2018 (soit 1 680 $) est appropriée considérant les défauts du logement et le niveau d’intensité des infestations de coquerelles[30] et de punaises de lit.
[75] Quant à la diminution de loyer de 100% à compter du 1er mars 2018, le Tribunal ne peut l’accorder, car la preuve ne permet pas de conclure que le logement était impropre à l’habitation, exigence nécessaire pour un tel pourcentage. Considérant que le locataire a eu l’usage du logement, le Tribunal diminue le loyer de 40% de mars à juin 2018 (soit 1 120 $), vu l’absence de traitement du logement contre les punaises de lit.
[76] En somme, le Tribunal accorde une somme globale de 2 800 $ au locataire à titre de diminution de loyer.
4. Quels sont les dommages moraux et matériels à accorder ?
[77] Le locataire réclame 10 000 $ en dommages moraux et 6 124 $ en dommages matériels.
[78] Le défaut du locateur de délivrer le logement en bon état d’habitabilité engage sa responsabilité et donne ouverture à une réclamation en dommages-intérêts du locataire.
[79] Comme le souligne la juge administrative Jocelyne Gravel dans l’affaire Klingender c. Rolland[31], les principes énoncés dans la cause Marcotte c. Garita enterprises inc.[32] quant à l’octroi des dommages-intérêts ne sauraient trouver application lorsque le locateur contrevient à son obligation de délivrer le logement en bon état d’habitabilité.
[80] Certes, en ce qui concerne les coquerelles, la preuve démontre que le locateur a fait les traitements requis pour tenter d’éradiquer cet insecte (voir les rapports d’inspection de 2017 plus, ceux du nouvel exterminateur Abiosphère du 24 janvier, 14 mars, 24 mai et 19 juin 2018).
[81] En revanche, le locateur a fait défaut de respecter ses obligations en cours de bail, soit celle de procéder en temps utile et avec diligence aux traitements requis en ce qui a trait aux punaises de lit, dès que le locataire dénonce les piqures sur sa fille le 2 juillet, le locateur n’a pas priorisé une visite au logement par un exterminateur avant le 24 juillet. Ensuite, le locateur a agi de manière irresponsable en fixant le premier traitement plus de six semaines après la recommandation écrite de l’exterminateur. Ce délai est nettement trop long. Rappelons que le rapport d’extermination du 24 juillet 2017 est limpide, l’exterminateur indique : « traitement à booker ».
[82] Ajoutons que le locataire et sa famille ont respecté leurs obligations et que le logement a toujours été maintenu propre et la préparation aux nombreux traitements, adéquate.
[83] Concernant les dommages moraux, le locataire soumet que le locateur a sciemment loué un logement à une famille avec jeunes enfants, alors qu’il savait que l’immeuble avait une problématique de punaises de lit, de coquerelles et de rongeurs.
[84] Outre les nombreuses heures de nettoyage et de préparation du logement pour l’exécution de traitements que l’épouse du locataire a dû consacrer, et l’atteinte à la jouissance paisible des lieux, le locataire et son épouse ont témoigné sur le grand stress que la présence de punaises de lit a causé. L’impact des piqûres a particulièrement touché la jeune fille et le bébé. Rappelons que l’exterminateur Bissonette a déclaré qu’une punaise de lit a besoin de mordre tous les soirs pour se reproduire ce qui appuie le témoignage du locataire et de son épouse.
[85] Devant le refus du locateur de résilier le bail et pour cesser les impacts sur les fillettes, le locataire et son épouse ont dû dormir avec celles-ci en maintenant les lumières allumées la nuit. Privé de sommeil, le locataire fut contraint de cesser d’aider son épouse pour lui permettre d’être fonctionnel à son emploi.
[86] Le locataire a exposé de manière franche les troubles, inconvénients et douleur, plus la souffrance psychologique du locataire à titre de père qui voit la souffrance de ses fillettes causée par les punaises de lits. Et nul ne peut rester insensible aux photographies des enfants piqués. L’épouse du locataire dira : « je vivais un enfer ».
[87] Aussi, le témoignage du locataire et de son épouse est convaincant que le mandataire du locateur, M. Aguilar, a eu une attitude irrespectueuse lors de la rencontre au bureau du locateur en fin octobre 2017; il demande qu’on le laisse parler, mais n’offre en retour aucun temps pour entendre la position ou la réponse du locataire. Il a fait état d’une indifférence devant les problèmes vécus par le locataire. Il y a, de sa part, une indifférence ou une négligence telle qu’elle est assimilée à de la mauvaise foi[33]. Pire, il appelle la police pour faire sortir le locataire et son épouse. Le Tribunal juge peu crédible l’affirmation de M. Aguilar qu’il avait peur de l’épouse du locataire et qu’il était en choc : M. Aguilar a une forte stature tandis que Mme Bendoza, de taille moyenne, avait ses deux enfants avec elle. Il précisera par la suite qu’il avait peur pour les enfants du locataire.
[88] Pour ce poste, le Tribunal accorde 8 000 $ au locataire.
[89] Quant aux dommages matériels, le locataire réclame 6 124 $ au locateur, soit 624 $ en frais d’hôtel, 135 $ pour les repas (pizza) et 6 230 $[34] pour les meubles qu’il a dû jeter.
[90] Le locataire explique que les produits utilisés lors des exterminations obligeaient les occupants de moins de 5 ans à s’absenter au moins 12 heures[35]. Lors de la première extermination, le locataire a dû s’absenter du travail et amener sa famille au centre commercial. Mais par la suite, il a relogé sa famille au motel les 2 août, 6 et 11 septembre, 12 et 23 octobre et 2 et 27 novembre 2017.
[91] Le locataire a convaincu le Tribunal de la nécessité de reloger sa famille durant les exterminations directement en lien avec la faute du locateur d’avoir avisé le locataire de la présence des insectes avant la signature du bail. Le locataire a mitigé ses dommages. Le Tribunal accorde les frais d’hôtel de 624 $ vu les preuves produites.
[92] Par contre, le Tribunal n’accorde aucun frais de repas puisqu’aucune preuve matérielle n’a été fournie.
[93] Quant aux meubles, le locataire n’a jamais dénoncé au locateur son intention de se départir de ceux-ci, privant ce dernier de constater leur état. Aussi, la preuve ne permet pas de conclure que les biens ne pouvaient pas être traités ou qu’ils constituaient une perte totale[36].
[94] Le Tribunal n’accorde aucun dommage pour la perte des meubles, et ce, même s’il ne doute pas que le locataire a agi pour le bien-être de sa famille.
[95] En somme, le Tribunal accorde un total de 8 624 $ au locataire à titre de dommages-intérêts moraux et matériels.
[96] Le locataire allègue que le locateur a, de manière illicite et intentionnelle, atteint ses droits, soit l’intégrité de sa personne et la libre jouissance de ses biens pour plusieurs motifs.
[97] Le locataire témoigne avoir ressenti un grand mal aise à la réception de la mise en demeure du locateur du 6 septembre 2017.
[98] Le locataire expose avoir été très mal traité par le mandataire du locateur lorsque lui et son épouse ont tenté de résilier le bail pour le bien-être des fillettes en octobre et novembre 2017.
[99] L’absence de traitement contre les punaises de lit à compter de la dénonciation, en janvier 2018, constitue selon lui une conduite malveillante, car le locateur savait qu’il en résulterait des piqûres au locataire et à sa famille, sans compter que les biens du locataire seraient contaminés.
[100] Enfin, il ajoute que le locateur a coupé le chauffage à son logement du 2 au 4 février, du 2 au 5 mars et du 18 au 19 mars 2018, soit exactement après avoir introduit sa demande. Or, chaque fois, les coupures survenaient la fin de semaine et, malgré le froid hivernal, les préposés du locateur tardaient à se présenter au logement (sauf à l’épisode du 19 mars où on se présentera au logement le dimanche et non le lundi comme aux épisodes précédents).
[101] Le locataire réclame 30 000 $ de dommages punitifs, car le locateur est une personne morale ayant d’importants moyens financiers. Il demande au Tribunal d’envoyer un message clair au locateur qu’il doit aviser préalablement les futurs locataires, traiter promptement en cas de punaises de lit et, surtout, respecter ses locataires.
[102] Pour sa part, le locateur nie fermement avoir agi de manière intentionnelle. Niant l’application des conditions pour l’octroi de dommages punitifs, l’avocat du locateur, Me Schneider, plaide que le locateur a tout fait pour prévenir les punaises de lit au logement du locataire, notamment en y effectuant une application préventive quelques jours avant l’arrivée du locataire et de sa famille. Cette conduite démontre que le locateur n’avait aucune intention malveillante.
[103] Également, le locateur a clairement exprimé ses regrets pour l’erreur commise dans l’envoi de la mise en demeure du 7 septembre 2017. Me Schneider soumet que le montant recherché est démesuré; il plaide que le locataire serait avantagé en raison de la situation patrimoniale du locateur.
[104] Enfin, le locateur nie fermement avoir coupé le chauffage au logement du locataire. Il expose que le chauffage de l’immeuble est centralisé à la suite de travaux en mars 2017 et produit, à cet effet, la pièce P-14.
Décision
[105] Les dommages punitifs
obéissent à des règles qui leurs sont propres. Ils visent à décourager les
comportements sociaux répréhensibles qui ont pour effet de violer les droits et
libertés fondamentaux d’autrui[37].
Ils ne sont pas de nature compensatoire, mais plutôt de nature préventive,
dissuasive, punitive et répressive. Leur octroi demeure exceptionnel. En effet,
l’article
[106] De plus, comme le souligne la Cour Suprême dans l’affaire Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand[38], l’octroi de dommages punitifs « ne dépend pas de la mesure du préjudice résultant de l’atteinte illicite, mais du caractère intentionnel de cette atteinte ». Dans l’affaire Charron c. Soglo[39] le juge administratif Pierre C. Gagnon écrit :
[17] Reste la réclamation de
dommages-intérêts punitifs. Selon l'article
[18] De précieux éclaircissements nous sont fournis à cet égard par l'énoncé de principe de Mme la juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt St-Ferdinand de la Cour suprême. Elle statue qu'il y a ouverture aux dommages-intérêts punitifs sous le régime de la Charte
«...lorsque l'auteur de l'atteinte illicite a un état d'esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s'il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l'insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère ». [Citations omises]
[107] En l’instance, le locataire
soumet que le locateur a contrevenu à ses droits prévus aux articles 1 et 6[40]
de la Charte des droits et libertés de la personne[41],
et ce, de manière intentionnelle, et qu’en conséquence, le locateur doit être
condamné à des dommages punitifs selon l’article
1. Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu'à la sûreté, à l'intégrité et à la liberté de sa personne.
Il possède également la personnalité juridique.
6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.
49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.
[108] Le locataire a-t-il démontré que les employés du locateur ont intentionnellement eu une conduite malveillante à l’égard de ses droits ? Y a-t-il une démonstration d’une volonté délibérée du locateur de faire fi de ses obligations afin de porter atteinte aux droits du locataire ? Le locateur voulait-il les conséquences de ses gestes ?
[109] D’abord, le Tribunal ne retient pas que la mise en demeure fut transmise de manière malveillante. Le mandataire du locateur a exprimé ses regrets pour l’erreur commise, et ce, rapidement. Toutefois, bien que M. Aguilar témoigne avoir transmis la lettre d’excuse à la Ville de Montréal, celle-ci ne comporte pas la mention « transmise en copie conforme ».
[110] Par contre, le reste de la preuve soumise permet au Tribunal de conclure à une conduite intentionnelle malveillante des employés du locateur et d’accueillir cette portion de la demande pour les raisons suivantes.
[111] Le bébé et la jeune fille de 3 ans sont les principales victimes des piqures des punaises de lit. Le locataire a tenté à deux reprises de résilier le bail puisque les conditions de vie n’étaient plus acceptables. Il s’agit d’une situation exceptionnelle lorsque de si jeunes enfants sont les principales victimes de l’état d’un logement et, par ricochet, leurs parents. Or, en refusant de négocier avec le locataire pour mettre fin au bail, le représentant du locateur a fait preuve de mauvaise foi.
[112] À la réapparition des punaises de lit, le locateur ne traitera pas le logement du locataire. Le Tribunal considère inadmissible la réponse par un préposé du locateur le 29 janvier 2018 qui a exigé des preuves de punaises de lit. Jusqu’au départ du locataire, le locateur n’aura jamais mandaté un exterminateur pour le traitement d’extermination des punaises de lit. En refusant de traiter, le locateur soumettait le locataire et sa famille aux piqûres des punaises de lit.
[113] Quant aux coupures de chauffage, les témoins du locateur expliquent que le chauffage est centralisé et qu’il était fonctionnel dans le logement du locataire, mais le Tribunal est perplexe devant la pièce P-14; la soumission ne porte pas la signature du client (le locateur) et elle indique une date incomplète, car le numéro de l’année est absent (« 201 »). Ajoutons que les témoins du locateur se contredisent : M. Aguilar dira d’abord que les travaux ont eu lieu en 2015 tandis que M. Dinei en mars 2017. De plus, la facture est imprimée à moitié, sans montrer le coût, le paiement ou encore l’adresse des travaux. Était-ce une facture pour un autre immeuble ? Le Tribunal en doute. Par conséquent, il retient que le témoignage du locataire et de son épouse est convaincant des coupures de chauffage, et ce, de manière intentionnelle, alors que d’autres locataires avaient du chauffage.
[114] Quant au montant de dommages
punitifs à accorder, celui-ci doit respecter les principes directeurs de
l’article
[115] Aussi, le Tribunal juge utile de rappeler les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Richard c. Time Inc.[44] :
[200] La gravité de la faute constitue sans aucun doute le facteur le plus important […]
[201] Le
deuxième facteur énoncé dans l’art.
[…]
[205] Premièrement, dans les cas d’atteinte aux droits et libertés garantis par la Charte québécoise, les tribunaux ont retenu l’identité et le profil d’une personne morale de droit privé comme critère supplémentaire. […]
[206] Il est également tout à fait acceptable, à notre avis, d’utiliser les dommages-intérêts punitifs, comme en common law, pour dépouiller l’auteur de la faute des profits qu’elle lui a rapportés lorsque le montant des dommages-intérêts compensatoires ne représenterait rien d’autre pour lui qu’une dépense lui ayant permis d’augmenter ses bénéfices tout en se moquant de la loi (Whiten, par. 72).
[207] En troisième lieu, les antécédents civils, disciplinaires ou criminels de l’auteur de l’atteinte peuvent constituer des facteurs pertinents. Le montant accordé peut ainsi varier dans le cas d’un fautif qui en est à sa première infraction et qui a eu auparavant une conduite exemplaire, par rapport à celui qui a des antécédents nombreux et importants (Whiten, par. 69; Dallaire, p. 136-142 et 164-165).
[116] Le locateur est une personne morale œuvrant au Canada et aux États-Unis et qui détient huit complexes immobiliers uniquement au Québec. Les états financiers permettent au Tribunal d’évaluer la capacité financière du locateur.
[117] À cet égard, le Tribunal note l’absence de collaboration du locateur qui a remis les états financiers uniquement avant les plaidoiries, soit sept mois après la demande initiale!
[118] Comme le souligne l'auteure, Me Claude Dallaire, pour être utile, le quantum soit refléter la capacité financière de l'auteur de l'atteinte pour éviter de constituer une invitation à violer à rabais les droits fondamentaux d'autrui[45].
[119] La somme accordée ne doit être ni excessive ni insuffisante. Elle doit tenir compte de l’indemnité déjà accordée au locataire à titre de dommages compensatoires[46].
[120] En l’instance, le locateur a déjà été condamné à des dommages-intérêts punitifs l’impliquant avec d’autres locataires en matière de coquerelles et de punaises de lit. Dans la cause Raamco International Properties Canadian Ltd. c. Mustafizur[47], les locataires ont réclamé 2 000 $ en dommages punitifs. Le Tribunal leur a accordé 1 000 $. Dans la décision Jean c. Raamco International Properties Canadian Ltd.[48], le locataire demandait 3 000 $ en dommages punitifs, somme que le Tribunal lui a accordée. Me Lacourcière plaide que ces montants sont insuffisants pour décourager le locateur, car ses préposés n’ont pas changé leurs façons de faire[49].
[121] Dans les circonstances du présent dossier et à la lumière des critères énoncés ci-dessus, le Tribunal croit approprié de sanctionner les manœuvres du locateur par des dommages-intérêts punitifs de 8 000 $.
[122] Cette somme est juste et raisonnable vu la conduite et la capacité financière importante du locateur.
[123] Les intérêts et l'indemnité additionnelle sur une telle somme ne sont accordés qu'à compter de la décision[50].
[124] Enfin, le Tribunal condamne le locateur à payer au locataire les frais judiciaires et de signification de 84 $.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[125] ACCUEILLE en partie la demande du locataire;
[126] RÉSILIE le bail au 1er mars 2018;
[127] DIMINUE le loyer et CONDAMNE
le locateur à payer au locataire 2 800 $, avec intérêts au taux légal
et l'indemnité additionnelle prévue à l'article
[128] CONDAMNE le locateur
à payer au locataire 8 624 $, avec intérêts au taux légal et
l'indemnité additionnelle prévue à l'article
[129] CONDAMNE le locateur
à payer au locataire 8 000 $ à titre de dommages punitifs, avec
intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article
[1] Le locataire témoignera que des guêpes sont entrées dans le logement et que par la suite, il a dû garder les fenêtres fermées, même en période chaude.
[2] Pièce P-9.
[3]
Article
[4]
Article
[5] Article
[6]
9185-4000 Québec
inc. c. Centre commercial Innovation inc.* (C.A.,
2016-03-29 (jugement rectifié le 2016-06-29)),
[7] Jean-Louis BAUDOUIN, Pierre-Gabriel JOBIN, Les obligations, 7e édition par P.-G. JOBIN avec la collab. de Nathalie VÉZINA, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, parag. 40.
[8] Id.
[9]
Article
[10]
Mirza c. Chowdhury,
[11] Par opposition, la perte de jouissance qualifiée simplement de minime ou de peu d’importance ne peut donner ouverture à une diminution de loyer.
[12] Les dommages moraux visent à compenser les troubles, ennuis, inconvénients, la perte de jouissance de la vie, les douleurs et les souffrances psychologiques.
[13]
Simoneau c. Singh,
[14] Gauthier c. Descheneaux,
[15] Art.
[16] Art.
[17] Art.
[18] Art.
[19]
Art.
[20]
Entre autres, dans les décisions Bendavid
c. OMHM (Manoir Charles Dutaud), (R.D.L.,
2016-10-27), 2016 QCRDL 36481,
[21] Ville de Montréal, Règlement 03-096 (Codification administrative) (Dernière mise à jour : 30 novembre 2015).
[22] Voir pièce P-1.
[23] Corthals c. Placements Parthenais-Messier
inc. (R.D.L., 2018-12-13),
2018 QCRDL 41181,
[24]
[25]
[26] Klingender
c. Rolland (R.D.L., 2017-10-03), 2017 QCRDL 31954,
[27] Bélanger c. Gestion immobilière Langlois inc. (R.D.L., 2018-03-15), 2018 QCRDL 8965,
[28] Pièce P-9.
[29] Pièces P-5 et P-6.
[30] À titre d’exemple, les coquerelles se cachaient même dans le réfrigérateur.
[31]
Klingender c. Rolland (R.D.L., 2017-10-03), 2017 QCRDL 31954,
[32]
Marcotte c. Garita Enterprises
inc. (R.D.L., 2013-06-18), 2013 QCRDL
21867,
[33] DESLAURIERS, Jacques, Vente, louage, contrat d'entreprise ou de service, 2e éd. (2013), Wilson et Lafleur, parag. 1682.
[34] Après amendement verbal à l’audience du 29 janvier 2019.
[35] Voir pièces L-8 et L-9.
[36]
Stellato c. Hébert (R.D.L., 2010-06-23), 2010 QCRDL 24931,
[37] Denis LAMY,
[38]
[39]
Charron c.
Soglo (R.D.L., 2014-11-10),
2014 QCRDL 38938,
[40]
Qui s'applique aussi au locataire : Investissements Historia
inc. c. Gervais Harding et Associés Design inc
[41] RLRQ, c. C-12.
[42] Whiten c. Pilot Insurance Co.,
[43] Précitée, note 34, parag. 199.
[44]
Richard
c. Time Inc. (C.S.
Can., 2012-02-28), 2012 CSC 8,
[45] Claude Dallaire, La mise en œuvre des dommages exemplaires sous le régime des chartes (2e éd.), Montréal, 2003, Wilson &Lafleur, p. 132.
[46]
Québec (Curateur Public) c. Syndicat national des employés de
l’Hôpital St-Ferdinand,
[47] (R.D.L., 2018-06-06), 2018 QCRDL 19219,
[48] (R.D.L.,
2017-03-15), 2017 QCRDL 8103,
[49] Ces décisions ne font pas preuve de faits similaires, donc le Tribunal ne les retient pas pour prouver la négligence du locateur.
[50]Voir parag. 138 à 153 de Genex Communications inc. c. Association québécoise de
l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo* (C.A., 2009-11-20), 2009 QCCA 2201,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.