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Spieser c. Canada (Procureur général)

 

 

 

 

 

 

2012 QCCS 2801

 

JG 1744

 
COUR SUPÉRIEURE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE QUÉBEC

 

 

N° :

200-06-000038-037

 

DATE :

21 juin 2012

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

BERNARD GODBOUT, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

MARIE-PAULE SPIESER

Domiciliée et résidante de la

municipalité de Shannon (Québec)

District de Québec,  G0A 4N0

                                                              Demanderesse

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Au nom de SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

Exerçant ses fonctions au

Complexe Guy-Favreau, Tour E.

200, boul. René-Lévesque Ouest, 9e étage

Montréal (Québec)

District de Montréal,  H2Z 1X4

                                                                                     

et

GENERAL DYNAMICS PRODUITS DE DÉFENSE

ET SYSTÈME-TACTIQUES CANADA INC.

(GD-OTS CANADA INC.)

Personne morale de droit privé

ayant son siège social au

5, Montée des Arsenaux

Le Gardeur (Québec)

District de Joliette,  J5Z 2P4

 

et

SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE VALCARTIER INC.

Personne morale de droit privé

ayant son siège social au

455, boulevard René-Lévesque Ouest

Montréal (Québec)

District de Montréal,  H2Z 1Z3

                                                              Co-défendeurs solidaires

 

TABLE DES MATIÈRES

I-    Le contexte  [2]

II-   Ce que plaident la demanderesse et les défendeurs  [7]

III-  La preuve  [26]

      •     Le microgramme  [29]

      •     Le trichloroéthylène  [40]

      •     Les normes réglementaires  [50]

      •     Classification du TCE  [67]

1)   La preuve factuelle 

      A)   Les parties en cause  [70]

      B)  Un aperçu des témoignages  [94]

      C)  Constat de la présence de TCE dans la nappe phréatique  [163]

            •     La lagune «C» - SIVI - Août 1991  [169]

            •     Le secteur 214 - SIVI - Juin 1994  [173]

            •     Le Parc Lemay - RDDC - Mars 1995  [176]

            •     Secteur d'essais - RDDC - Décembre 1996  [180]

            •     Le Réseau d'aqueduc de la Base militaire - 24 octobre 1997  [182]

      D)  Constat de la présence de TCE dans la nappe phréatique à Shannon  [189]

      E)  Interventions des autorités externes  [201]

2)   La preuve d'experts  [228]

      Les sciences de la terre 

      A)   L'hydrogéologie  [240]

      B)  Intrusions de vapeurs de TCE  [324]

      Les sciences médicales  [348]

      •     Le cancer  [354]

      A)   La toxicologie  [374]

            •     L'analyse toxicologique moléculaire  [386]

            •     L'analyse toxicologique  [438]

      B)  L'épidémiologie  [469]

      C)  Hématologie - Oncologie  [502]

3)   La preuve médicale

      Les rapports d'expertise concernant Mme Spieser  [522]

IV-  Les cas de Woburn et de Marine Corps Base Camp Lejeune  [536]

V-   Analyse  [542]

VI-  Conclusions  [758]

Annexes


 

 

JUGEMENT

SUR UNE REQUÊTE INTRODUCTIVE D'INSTANCE EN

RESPONSABILITÉ CIVILE ET TROUBLE DE VOISINAGE

______________________________________________________________________

 

[1]         Le 19 mars 2007, la demanderesse, madame Marie-Paule Spieser, résidante de la municipalité de Shannon depuis plus de 20 ans, était autorisée à exercer le présent recours collectif et à représenter les membres des deux groupes maintenant décrits ainsi:

«1) Toute personne physique qui réside sur le territoire de la municipalité de Shannon ou sur la rue Cannon située sur le territoire de la municipalité de Saint-Gabriel-de-Valcartier, ou qui y a résidé depuis le 1er janvier 1953, ses ayants droit ou héritiers, affectée personnellement ou dans ses biens, par la contamination de la nappe phréatique par le trichloroéthylène (TCE) et ses sous-produits de dégradation issue des immeubles propriétés du gouvernement du Canada à la base des Forces canadiennes Valcartier et de SNC Technologies inc.

2) Toute personne physique, membre des Forces canadiennes, qui réside sur le territoire de la municipalité de Shannon ou sur la rue Cannon située sur le territoire de la municipalité de Saint-Gabriel-de-Valcartier, ou qui y a résidé depuis le 1er janvier 1953, ses ayants droit ou héritiers, affectée personnellement ou dans ses biens par la contamination de la nappe phréatique par le trichloroéthylène (TCE) et ses sous-produits de dégradation issue des immeubles propriétés du gouvernement du Canada à la base des Forces canadiennes Valcartier et de SNC Technologies inc.»[1]

I-    Le contexte

[2]         Mme Spieser poursuit le gouvernement du Canada qui exploite depuis plus de 75 ans sur le territoire de la municipalité de Shannon une base militaire des Forces canadienne (Base militaire), un centre de recherche et une entreprise de fabrication de munitions qu'il a privatisée en 1966, d'où la poursuite également dirigée initialement contre SNC Technologies inc.  Elle leur reproche d'avoir, de façon insouciante, déversé sur le sol du trichloroéthylène (TCE), contaminant ainsi la nappe phréatique et les puits d'alimentation en eau potable des résidences de la municipalité de Shannon, dont les logements familiaux de la Base militaire.

[3]         La contamination de ces puits par le TCE serait la cause d'un nombre anormalement élevé de cas de cancers, maladies et autres malaises parmi les anciens et les actuels résidants de la municipalité de Shannon, ce que contestent les défendeurs.

[4]         Le recours collectif, objet de la requête introductive d'instance signifiée le 16 juillet 2007, amendée et précisée les 27 janvier 2009 et 20 décembre 2010, et réamendée le 15 novembre 2011, est essentiellement une action en responsabilité civile extra-contractuelle qui soulève également une question de trouble de voisinage aux termes de laquelle la demanderesse recherche contre les défendeurs des conclusions de nature déclaratoire, en dommages-intérêts compensatoires, en dommages-intérêts punitifs et en injonction.

[5]         Il y aurait certes plusieurs façons d'entreprendre l'analyse d'un tel litige dont l'administration de la preuve et les plaidoiries ont requis 115 jours d'audition, du 10 janvier 2011 au 18 novembre 2011, au cours desquels 74 témoins dont 23 témoins experts ont été entendus sur des sujets aussi variés que l'hydrogéologie, les intrusions de vapeurs, la toxicologie, la toxicologie moléculaire, l'épidémiologie, l'oncologie, la médecine et l'évaluation actuarielle des préjudices.

[6]         Mais, quel que soit l'angle sous lequel on l'aborde, cette analyse doit poursuivre un objectif de synthèse emprunt de clarté et de précisions, dont l'examen des faits eu égard à l'application des règles de droit doit permettre au lecteur, quel qu'il soit, de comprendre les raisons pour lesquelles l'une ou l'autre des conclusions recherchées a été ou n'a pas été retenue.  C'est essentiellement l'un des principaux défis qui résulte de la nature, de la diversité et de l'ampleur de la preuve.

II-   Ce que plaident la demanderesse et les défendeurs

[7]         Le gouvernement du Canada exploite depuis le début des années 1930 sur les territoires des municipalités de Shannon, de Saint-Gabriel-de-Valcartier et de la ville de Québec (anciennement ville de Val-Bélair) une Base militaire qui loge la Garnison Valcartier, un centre de recherche (Recherche et Développement pour la Défense du Canada) (RDDC) et une entreprise de fabrication de munitions (les Arsenaux canadiens) privatisée en 1966 (Les Industries Valcartier inc. - IVI inc.), maintenant propriété de GD-OTS Canada inc., l'une des défenderesses corporatives.  Les immeubles sur lesquels a été exploitée cette entreprise jusqu'au 30 juin 1991 ont été vendus à la Société immobilière Valcartier inc. (SIVI), l'autre défenderesse corporative.

[8]   Mme Spieser reproche aux défendeurs, le Procureur général du Canada au nom de Sa Majesté du Chef du Canada (le PGC), GD-OTS Canada inc. et Société immobilière Valcartier inc. (SIVI) (les défenderesses corporatives), d'avoir, au cours de nombreuses années, déversé sur le sol divers produits chimiques, dont plus particulièrement du TCE, contaminant ainsi la nappe phréatique et les puits d'alimentation en eau potable des résidences des citoyens de la municipalité de Shannon et des logements familiaux de la Base militaire qui sont situés sur les territoires des municipalités de Shannon et de Saint-Gabriel-de-Valcartier.

[9]         Elle plaide que le PGC et les défenderesses corporatives sont responsables de ces déversements effectués bien avant le 1er janvier 1953, date de l'entrée en vigueur de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif [2], selon les périodes suivantes:

-     De 1953 à 1966 par les employés d'une entreprise de fabrication de munitions alors propriété de «Canadian Arsenals ltd», une société d'État mandataire de la couronne fédérale;

-     De 1966 à 1991 par les employés de cette même entreprise alors privatisée, dont l'une des corporations propriétaires successives, soit SNC Technologies inc., a définitivement mis fin aux opérations le 30 juin 1991;

-     De 1953 à 1985 par les employés du centre de recherche qui est toujours en opération, propriété de la couronne fédérale par l'entremise du ministère de la Défense nationale.

[10]                     Elle reproche aussi au PGC et aux défenderesses corporatives de ne pas avoir suivi en 1994 les recommandations de leurs propres experts visant à connaître précisément l'orientation et la vitesse de l'écoulement de la nappe phréatique, recommandations qui auraient ainsi diminué la durée d'exposition au TCE des résidants de la municipalité de Shannon.

[11]        Mme Spieser blâme de plus le PGC de ne pas avoir avisé au mois d'octobre 1997 les résidants des logements familiaux situés sur la Base militaire, dès que l'on a constaté que le puits d'alimentation en eau potable du réseau d'aqueduc contenait du TCE.

[12]        Elle reproche enfin au PGC ainsi qu'aux défenderesses corporatives de ne pas avoir avisé leurs voisins avant le mois de décembre 2000, plus particulièrement les autorités de la municipalité de Shannon qui n'ont été avisées que le vers le 11 décembre 2000, alors qu'ils connaissaient l'état de la contamination de la nappe phréatique depuis plusieurs années.

[13]        Mme Spieser soutient que la contamination de la nappe phréatique par le TCE est la cause d'un nombre anormalement élevé de cas de cancers, maladies et autres malaises éprouvés parmi les anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon, d'où les dommages-intérêts qu'elle réclame en son nom et au nom des membres de deux groupes qu'elle représente.

[14]        Elle demande également qu'il soit ordonné au PGC et aux défenderesses corporatives de prendre les mesures visant à décontaminer la nappe phréatique.  Elle demande enfin que les défendeurs soient condamnés à payer aux membres des deux groupes qu'elle représente des dommages-intérêts punitifs pour atteinte à leur intégrité physique et à la libre jouissance de leur propriété, deux droits reconnus par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

[15]        La preuve que présente Mme Spieser repose essentiellement sur le constat qu'elle fait de ce qu'elle considère être une situation anormale que vivent les anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon.  Elle tente de démontrer ce constat, entre autres par l'opinion d'un témoin expert en hématologie-oncologie, le docteur Claude Shields, à laquelle s'ajoutent les opinions d'autres experts en toxicologie, toxicologie moléculaire et épidémiologie. Toutes ces opinions sont fondées sur des informations colligées par deux infirmières, mesdames Micheline Giroux et Francine Trottier, à partir des dossiers médicaux des personnes qui ont répondu à son appel et à celui d'autres initiateurs de ce recours collectif, dont le docteur Claude Juneau et monsieur Jean Bernier.

[16]        Le PGC et les défenderesses corporatives, qui contestent les allégations de Mme Spieser et les conclusions qu'elle recherche, soutiennent entre autres avoir toujours disposé du TCE selon les usages alors reconnus et qu'ils se sont à tout moment conformés aux critères les plus élevés de l'une et l'autre des réglementations fédérale et provinciale régissant l'usage et la disposition d'un tel produit.

[17]        Le PGC plaide plus particulièrement que, dès qu'il a été informé de la présence de TCE dans le puits alimentant le réseau d'aqueduc de la Base militaire et du RDDC, il a immédiatement pris les mesures pour remédier à la situation.  Il a alors entrepris des démarches pour identifier la ou les sources de contamination, visant ainsi à décontaminer la nappe phréatique et assurer un approvisionnement de qualité en eau potable.

[18]        Le PGC et les défenderesses corporatives allèguent de plus que même si le présent litige se situe dans le contexte procédural d'un recours collectif, Mme Spieser et les membres des deux groupes qu'elle représente ne peuvent être dispensés de faire une preuve individuelle des préjudices qu'ils prétendent avoir subis.

[19]        Aussi, aucune conclusion ne saurait leur être imposée à l'égard d'une personne membre de l'un ou l'autre des deux groupes si celle-ci ne démontre pas qu'elle a effectivement été exposée au TCE et que son état de santé ou sa condition physique résulte précisément de cette exposition.

[20]        Ils soutiennent de plus à ce sujet que les faibles taux de concentration de TCE observés dans les puits alimentant le réseau d'aqueduc de la Base militaire et ceux des résidences de la municipalité de Shannon ne peuvent être la cause des cas de cancers, maladies et autres malaises allégués, d'autant plus qu'aucune preuve scientifique ne démontre que le TCE cause le cancer chez l'être humain.

[21]        Le consensus scientifique à ce jour, sans être concluant et qui repose uniquement sur des circonstances d'exposition comportant une concentration élevée pendant une longue période, suggère la probabilité seulement d'un lien entre le TCE et le cancer du rein chez l'être humain et la possibilité sans plus d'un tel lien avec le cancer du foie et le lymphome non-hodgkinien.  Trois types de cancers dont l'observation parmi les résidants de la municipalité de Shannon ne démontre pas d'excès par rapport à ce qui est observé parmi l'ensemble de la population canadienne[3].

[22]        C'est dans le contexte de ces connaissances scientifiques que le PGC et les défenderesses corporatives contestent:

-     D'une part, la valeur scientifique des expertises présentées par Mme Spieser, tant en ce qui concerne la pertinence et l'exactitude des données factuelles et autres informations utilisées par les différents experts, que l'application des concepts scientifiques auxquels ils se réfèrent pour asseoir leur opinion, notamment en hydrogéologie, en toxicologie, en toxicologie moléculaire et en épidémiologie;

-     D'autre part, l'approche générale que propose Mme Spieser, soit l'association qu'elle fait entre le TCE et son constat qui, selon eux, est insuffisante pour établir un lien de causalité.  Ils plaident que seule une démarche individuelle et personnalisée doit être considérée.  Cela signifie que chaque cas de cancer ou de maladie allégué doit être analysé, prenant en considération le fait que la personne concernée ait été ou non exposée au TCE en fonction d'un risque significatif résultant d'une exposition à une forte concentration pendant une longue période.  S'ajoutent à cela les autres facteurs de risque propres à cette personne telles l'hérédité, l'alimentation, sa condition physique et ses habitudes de vie, qu'on ne peut ignorer.

[23]        Le PGC et les défenderesses corporatives concluent que l'absence d'une preuve scientifique démontrant selon le critère de la probabilité un lien de causalité entre la présence du TCE dans la nappe phréatique et les différents types de cancers observés dont l'incidence par ailleurs, soit le nombre de cas observés pendant une période, n'est pas supérieure à ce qui est observé parmi la population canadienne en général, impose le rejet du recours qu'ils considèrent au surplus prescrit en ce qui concerne Mme Spieser elle-même.

[24]        Les dommages-intérêts compensatoires pour les préjudices matériels allégués, telle la perte d'un puits, ne devraient pas davantage être accordés étant donné que le gouvernement du Canada a déjà investi 35.8 M $ pour la construction d'un réseau d'aqueduc au profit de la municipalité de Shannon et de ses citoyens qui seront par ailleurs exemptés du paiement d'une taxe pour ce service et son entretien pendant vingt ans.

[25]        Enfin, le PGC et les défenderesses corporatives plaident qu'aucune ordonnance d'injonction ne devrait être prononcée contre eux, étant donné les travaux de réhabilitation déjà entrepris.

III-  La preuve

[26]        Les faits à l'origine du litige, mis en preuve de part et d'autre, ne sont pas pour l'essentiel contestés.  C'est plutôt sur l'existence ou non de conséquences résultant de ces faits que porte la contestation. On comprendra ainsi que la solution du litige, en ce qui concerne plus particulièrement le lien de causalité, repose davantage sur l'analyse de la preuve présentée par les différents experts, les faits contemporains constatés étant en grande partie admis.

[27]        Pour bien comprendre le litige, il est essentiel d'identifier en tout premier lieu les différentes parties en cause, les divers sites et les activités concernées.  Suivra un aperçu des témoignages regroupés selon les sujets traités.  Par la suite, avec certains documents mis en preuve, on précisera l'endroit et le moment des premières constatations de la présence de TCE dans la nappe phréatique. Enfin, la preuve des témoins experts sera présentée et regroupée par thème en fonction de l'interrelation des sujets discutés.

[28]        Toutefois, quelques précisions préliminaires s'imposent.  L'une portant sur l'unité de mesure qu'est le «microgramme» dont il est amplement question dans ce dossier, l’autre sur la nature et les caractéristiques physico-chimiques du TCE.  Seront aussi précisées quelles sont les normes réglementaires des concentrations maximales admissibles (CMA) de TCE dans l'air et l'eau potable au Québec.  Enfin, on identifiera quelle est la classification du TCE selon les différents organismes de recherche scientifique.

      •     Le microgramme

[29]        La présence de TCE dans l'environnement, principalement l'eau et l'air, est généralement associée à une unité de mesure, soit le «microgramme».  Il n'est donc pas inutile de tenter de comprendre ce que représente cette unité de mesure.

[30]        Le microgramme (µg) est une unité de masse du système international (SI) dont l'unité de base est le kilogramme.

[31]        Un kilogramme (kg) compte 1 000 grammes (g); un gramme compte 1 000 milligrammes (mg); un milligramme compte 1 000 microgrammes (µg).

[32]        Il y a donc un million (1 000 000) de microgrammes (µg) dans un gramme (g) et un milliard (1 000 000 000) de microgrammes (µg) dans un kilogramme (kg).

[33]        Ce qui peut être représenté ainsi:

1 microgramme (µg) = 0.000001 gramme (g) ou 1 X 10-6 gramme (g)

ou 0.000000001 kilogramme (kg) ou 1 X 10 -9 kilogramme (kg)

[34]        On dit également qu'un microgramme équivaut à «une partie par milliard» qui est représentée par l'expression (1ppb), la lettre «b» signifiant «billion», la traduction anglaise de milliard.  Il ne s'agit pas alors d'une mesure de masse, mais bien d'un rapport.

[35]        À titre d'illustration, même si le kilogramme est une unité de masse du système international qui, au plan scientifique, a une signification différente de la livre, une unité de poids du système impérial, l'on sait qu'un kilogramme correspond ou équivaut à 2.2 livres:

1 kilogramme (kg) = 2.2 livres

[36]        Ainsi, un milliard (1 000 000 000) de microgrammes (µg) correspond ou équivaut à 2.2 livres.

[37]        Le microgramme (µg) est donc une unité de masse infiniment petite.

[38]        Pour préciser la concentration d'un produit dans un liquide, on utilise l'expression «microgramme par litre» (µg/l) ou «gramme par litre» (g/l).

[39]        Et, pour préciser la concentration d'un produit dans l'air ou le sol, on utilise l'expression «microgramme par mètre cube» (µg/m3) ou «gramme par mètre cube» (g/m3).

      •     Le trichloroéthylène

[40]        Le trichloroéthylène (TCE) ne se retrouve pas dans l'environnement à l'état naturel.  C'est un produit fabriqué chimiquement dont l'origine dans l'environnement est uniquement anthropique, c'est-à-dire qui résulte essentiellement de l'activité humaine.

[41]        Découvert en Allemagne en 1864, le TCE est fabriqué à partir de l'éthylène, un hydrocarbure dont la molécule est composée de deux atomes de carbone reliés par un double lien et de quatre atomes d'hydrogène.  Sa formule chimique simplifiée est C2H4, représentée ainsi:

H                    H

         C=C

H                    H

[42]        La fabrication du TCE résulte du remplacement de trois atomes d'hydrogène par trois atomes de chlore, d'où son nom tri  chloro  éthylène ou trichloroéthène ou trichlorure d'éthylène.  Il fait partie de la famille des hydrocarbures chlorés ou des hydrocarbures allogènes dont la formule chimique simplifiée est C2HCl3, représentée ainsi:

 

 Cl                     H

           C=C

 Cl                    Cl

[43]        Le tétrachloroéthylène ou perchloroéthylène (PCE) a des propriétés physico-chimiques semblables à celles du TCE.  Aussi, le PCE fut à l'occasion utilisé au même titre que le TCE.  Les quatre atomes d'hydrogène de l'éthylène sont alors remplacés par quatre atomes de chlore, d'où sa formule chimique simplifiée C2Cl4, représentée ainsi:

 Cl                     Cl

           C=C

 Cl                    Cl

[44]        Le dichloroéthylène (C2H2Cl2) et le chlorure de vinyle (C2H3Cl1), qui comportent respectivement deux atomes et un atome de chlore, sont des sous-produits de dégradation du TCE. Ils sont représentés ainsi:

 H                      Cl                              H                       H

           C=C                                                     C=C

 H                      Cl                               H                      Cl

[45]        Le TCE est un liquide incolore, peu visqueux et ininflammable ayant une odeur caractéristique semblable à celle de l'éther ou du chloroforme.  Ses principaux paramètres physico-chimiques, en ce qui concerne la présente affaire, sont les suivants:

- Densité:           •   1,465 à 20o Celsius (Co)

- Solubilité:         •   1,1 - 1,4 g/l

- Seuil olfactif:    •   dans l'air 546 à 1092 mg/m3

                        •   dans l'eau 0,31 mg/l

- La conversion de sa concentration dans l'air est de:

                            •   1 ppm (partie par million) équivaut à 5,41 mg/m3 à 20o C

                            ou

                            •   1 ppb (partie par billion) équivaut à 5,41 µg/m3

[46]        Au contact de l'air, le TCE se volatilise rapidement.  Il est modérément soluble dans l'eau (1,1 - 1,4 g/l).  Plus dense que l'eau (1,465 à 20oC), il s'accumule dans la partie souterraine du sol et de la nappe phréatique.

[47]        Son seuil olfactif dans l'air est de 546 mg/m3, soit à peu près 100 ppm, et il est dans l'eau de 0,31 mg/l, soit 310 µg/l.

[48]        Le TCE a été largement utilisé dans l'industrie du nettoyage à sec, de l'alimentation, ainsi que dans le domaine médical principalement comme un composant anesthésiant.

[49]        Mais, sa principale utilisation résulte du fait qu'il est un excellent solvant, efficace pour l'extraction des graisses et autres matières grasses, huiles, cires et goudron des pièces métalliques.

      •     Les normes réglementaires

[50]        Au Québec, la Loi sur la qualité de l'environnement est entrée en vigueur le 21 décembre 1972 (L.R.Q., c. Q-2). Le Règlement sur les déchets dangereux, adopté aux termes de cette Loi par le Décret 1000-85 du 29 mai 1985, inscrit dans la liste des déchets dangereux à l'article 111 «les solvants halogénés usés suivants: Tétrachloroéthylène, trichloroéthylène…».

[51]        La Loi canadienne sur la protection de l'environnement (L.C. 1988, ch. 22), sanctionnée le 28 juin 1988, inscrit dans la liste des substances toxiques prévue à l'annexe I «le chlorure de vinyle», l'un des sous-produits de dégradation du TCE (Pièce PGC-136, # 7).

[52]        L'inscription du chlorure de vinyle (CV) dans la liste des substances toxiques est maintenue dans la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999) (L.C. 1999, ch. 33), sanctionnée le 14 septembre 1999.

[53]        L'année suivante, soit le 23 mars 2000, le TCE est ajouté à cette liste de produits toxiques.

[54]        Par ailleurs, c'est en 1944 qu'un premier règlement précise une norme concernant le TCE.

[55]        Les règlements édictés en vertu de la Loi de l'hygiène publique de Québec, adoptée le 12 février 1944 (S.R.Q., 1941, c. 183, AC no 479), prévoyait dans son chapitre portant sur «Les établissements industriels», à l'article 25, ce qui suit:

«Lorsque, dans les locaux où des personnes sont employées, l'atmosphère devient chargée, soit par des poussières, des fumées, des vapeurs, des gaz, ou soit par toute autre substance susceptible d'affecter la santé, la limite de concentration de ces substances dans l'atmosphère doit être inférieure à celles qui sont établies respectivement par la cédule suivante:

-     Tétrachloréthylène                         200 PPM

-     Trichloréthylène                              200 PPM»

[56]        Le 15 février 1988, le ministère de l'Environnement du Québec adopte la Politique de réhabilitation des terrains contaminés qui classe les sols et les eaux souterraines selon une grille comportant trois critères indicatifs de contamination.

[57]        Sous le titre «Autres hydrocarbures chlorés», on retrouve les hydrocarbures aliphatiques, dont le tétrachloroéthylène et le trichloroéthylène, qui ne peuvent excéder les concentrations suivantes dans les sols et eaux souterraines réhabilités (Pièce PGC-127, # 8):

 

SOLS

mg/kg de matière sèche

(ppm)

Critères

 

EAUX

SOUTERRAINES

(ppb)

Critères

 

 

A

B

C

A

B

C

VI -  AUTRES HYDROCARBURES

        CHLORÉS

 

        HC aliphatique

        (chacun)

        (sommation)*

 

 

 

 

 

<0,3

<0,3

 

 

 

 

5

7

 

 

 

 

50

70

 

 

 

 

<1

<1

 

 

 

 

10

15

 

 

 

 

50

70

*     La sommation est la somme totale des teneurs détectées pour chacun des produits dosés individuellement dont le tétrachloroéthène et le trichloroéthène.

[58]        Le Règlement sur la qualité de l'eau potable, adopté le 30 mai 2001 aux termes de la Loi sur la qualité de l'environnement par le Décret 647-2001, prévoit à l'article 3 et l'annexe I la concentration maximale de substances organiques que peut contenir l'eau destinée à la consommation humaine, entre autres (Pièce PGC-127, # 10):

•    Chlorure de vinyle :           2 µg/l

•    Tétrachloroéthylène :        30 µg/l

•    Trichloroéthylène :            50 µg/l

[59]        Au mois de novembre 1987, Santé Canada, qui dispose d'un pouvoir de recommandation seulement en cette matière, avait recommandé, à la suite d'une analyse portant sur le trichloroéthylène, que «La concentration maximale acceptable (CMA) de trichloroéthylène dans l'eau potable (soit) de 0,05 mg/L (50 µg/L)» (Pièce PGC-1).  Ce qui peut expliquer la norme de 50 µg pour le TCE prévue au Règlement sur la qualité de l'eau potable adopté par le gouvernement du Québec le 30 mai 2001.

[60]        Au mois de mai 2005, le Comité fédéral-provincial-territorial sur la santé et l'environnement, qui relève de Santé Canada, publiait un rapport exhaustif intitulé «Le trichloroéthylène» dans lequel il recommande que «La concentration maximale acceptable (CMA) proposée pour le trichloroéthylène dans l'eau potable (soit) de 0,005 mg/L (5µg/L)»[4] (Pièce PGC-4).

[61]        Cette recommandation du Comité fédéral-provincial-territorial sur la santé et l'environnement au sujet de la qualité de l'eau potable au Canada a été maintenue au mois de décembre 2010 (Pièce PGC-119).

[62]        Pour résumer, selon la réglementation présentement en vigueur au Québec depuis le 30 mai 2001, la concentration maximale acceptable (CMA) que peut contenir l'eau destinée à la consommation, soit l'eau potable, est de:

-     2 µg/l pour le chlorure de vinyle (CV)

-     30 µg/l pour le tétrachloroéthylène

-     50 µg/l pour le trichloroéthylène (TCE)

[63]        Depuis le mois de mai 2005, Santé Canada recommande que cette concentration maximale acceptable (CMA), en ce qui concerne le TCE, soit de 5 µg/l.

[64]        Toutefois, une précision s'impose.  L'on reconnaît que ces «valeurs guides» et ces «normes», sont déterminées à la suite d'expériences et d'analyses en laboratoire sur des animaux soumis à de fortes doses.

[65]        Les valeurs retenues comportent donc une grande marge de sécurité et sont destinées à évaluer dans quelle mesure une exposition humaine à un tel produit devrait faire l'objet d'une attention particulière dans une démarche de prévention.

[66]        Ces «valeurs guides» et ces «normes» ne peuvent donc pas, à elles seules, être utilisées pour établir un lien de cause à effet entre une exposition passée à un produit et un effet observé chez une population, qu'il soit ou non cancérogène.

      •     Classification du TCE

[67]        En 1995, le Centre international de recherche sur le cancer de l'Organisation mondiale de la Santé (International Agency for Research on Cancer) (IARC), classe le trichloroéthylène et le tétrachloroéthylène (ou Perchloroéthylène) probablement cancérogène pour l'humain:

«Trichloroethylene (TCE) is probably carcinogenic to humans (Group 2A) based on limited evidence in humans for the carcinogenicity of TCE and sufficient evidence in experimental animals for the carcinogenicity of TCE

«Tetrachloroethylene (Perc) is probably carcinogenic to humans (Group 2A) with the working group finding limited evidence in humans for the carcinogenicity of Perc and sufficient evidence in experimental animals for the carcinogenicity of Perc[5]

[68]        En 2008, l'IARC classe parmi les produits cancérogènes pour l'humain le chlorure de vinyle (CV):

«There is sufficient evidence in humans for the carcinogenicity of vinyl chloride.  Vinyl chloride causes angiosarcomas of the liver and hepatocellular carcinomas.

[…]

Vinyl chloride is carcinogenic to humans (Group 1).»[6]

[69]        Le 18 septembre 2011, le United States Environmental Protection Agency (EPA) publie son rapport final intitulé: Toxicological Review of Trichloroethylene - in Support of Summary on the Integrated Risk Information System (IRIS) (Pièce PGC-216, p. xlii) dans lequel il est écrit:

«Based on the available human epidemiologic data and experimental and mechanistic studies, it is concluded that TCE poses a potential human health hazard for noncancer toxicity to the central nervous system, kidney, liver, immune system, male reproductive system, and the developing fetus.  The evidence is more limited for TCE toxicity to the respiratory tract and female reproductive system.  Following U.S. Environmental Protection Agency (2005b) Guidelines for Carcinogen Risk Assessment, TCE is characterized as - carcinogenic in humans by all routes of exposure.  This conclusion is based on convincing evidence of a causal association between TCE exposure in humans and kidney cancer.  The human evidence of carcinogenicity from epidemiologic studies of TCE exposure is strong for non-Hodgkin Lymphoma, but less convincing than for kidney cancer, and more limited for liver and biliary tract cancer.  Less human evidence is found for an association between TCE exposure and other types of cancer, including bladder, esophageal, prostate, cervical, breast, and childhood leukemia.  Further support for the characterization of TCE as - carcinogenic to humans by all routes of exposure is derived from positive results in multiple rodent cancer bioassays in rats and mice of both sexes, similar toxicokinetics between rodents and humans, mechanistic data supporting a mutagenic mode of action for kidney tumors, and the lack of mechanistic data supporting the conclusion that any of the mode(s) of action for TCE-induced rodent tumors are irrelevant to humans.»

1)   La preuve factuelle

      A)  Les parties en cause

[70]        Mme Spieser est depuis 1991 propriétaire d'une résidence unifamiliale située au 15, King's Drive, dans la municipalité de Shannon, alors qu'elle s'y installe avec son conjoint et ses deux enfants âgés de 6 et 4 ans.

[71]        Sa résidence est située à l'est de la rivière Jacques-Cartier qui sépare la partie est de la partie ouest de la municipalité, à l'intérieur de ce qui sera éventuellement identifié «le triangle rouge».

[72]        La municipalité de Shannon a été constituée le 1er janvier 1947.  Elle est située dans la Municipalité régionale de comté (MRC) de La Jacques-Cartier, à quelque 30 kilomètres au nord-ouest du centre-ville de la ville de Québec.

[73]        Les premières résidences de la municipalité, la bibliothèque municipale et le nouvel hôtel de ville érigé en 1995 sont situés à l'est de la rivière Jacques-Cartier.

[74]        Selon Statistique Canada, la municipalité de Shannon a une superficie de 63,71 kilomètres carrés.  Sa population, comprenant celle des logements familiaux de la Base militaire, était en 2001 de 3 668 personnes et en 2006 de 3 825 personnes (Pièce R-152 b).  Elle était en 2011 de 5 086 personnes, représentant une augmentation de 33 % par rapport à 2006[7].

[75]        La Base militaire a été établie aux alentours de 1913 par l'expropriation de terrains situés au nord-ouest de la ville de Québec.  À cette époque, la communauté de Shannon à l'est de la rivière Jacques-Cartier n'existait pas.  Des expropriations subséquentes ont agrandi le territoire de la Base militaire en 1914, 1941 et 1965, faisant en sorte qu'elle occupe présentement une superficie de 210 kilomètres carrés (210 km2) sur les territoires des municipalités de Shannon, de Saint-Gabriel-de-Valcartier et de la ville de Québec (anciennement ville de Val-Bélair).

[76]        La Base militaire sert essentiellement à l'entraînement de la Garnison Valcartier et à l'entretien du matériel militaire.  Pour répondre aux besoins des militaires et de leurs familles, la Garnison Valcartier dispense des services de la nature de ceux que l'on retrouve habituellement dans une ville, ce qui comprend entre autres un quartier résidentiel de 900 logements, un hôpital, des centres médicaux, dentaires et paramédicaux, deux écoles, deux chapelles, un centre de la famille, un centre commercial, un aréna et des clubs sportifs et récréatifs.

[77]        La Base militaire dispose de son propre réseau d'aqueduc alimenté en eau potable par des puits et dont il sera question ultérieurement.  Ce réseau d'aqueduc alimentait en temps opportun les immeubles et autres emplacements de la Base militaire, les logements familiaux, le centre de recherche, l'entreprise de fabrication de munitions jusqu'en 1991, date de la cessation de ses opérations, l'hôtel de ville et la bibliothèque de la municipalité de Shannon.  À la fin des années 1990, la Base militaire a confié à la municipalité de Shannon l'administration et l'entretien de différents services municipaux, tels l'entretien, le déneigement et l'éclairage des rues, et le réseau d'aqueduc.

[78]        La construction de l'usine de fabrication de munitions a débuté au cours des années 1930.  Elle fut inaugurée le 27 septembre 1938.

[79]        Propriété du gouvernement du Canada par l'entremise de «Dominion Arsenals ltd», l'emplacement de Québec était alors connu sous la dénomination sociale de «l'usine de Val-Rose».

[80]        L'usine de Val-Rose devient en 1946 une division de «Canadian Arsenals ltd», une société d'État créée en 1945, mandataire de la couronne fédérale.

[81]        Le 30 novembre 1966, l'usine de fabrication de munitions est vendue à une entreprise privée, «Les Industries Valcartier inc.» qui deviendra ultérieurement «IVI inc.».

[82]        C'est au cours de l'année 1980 que l'entreprise SNC, par l'une de ses entités corporatives, acquiert les actions de IVI inc. (Pièce R-1.2).

[83]        Le 30 décembre 1988, Les Produits de défense SNC ltée, qui détient alors les actions de IVI inc., devient également bénéficiaire de la distribution de ses actifs (Pièce R-4).

[84]        Détentrice des actions et des actifs, Les Produits de défense SNC ltée deviendra à compter du 26 novembre 1999, à la suite d'une réorganisation corporative, «SNC-Technologies inc.» (SNC-Tec) (Pièce R-3).

[85]        Les défenderesses corporatives admettent d'ailleurs au paragraphe 283 de leur défense que SNC-Tec a opéré l'usine de fabrication de munitions de 1980 à 1991, date de la cessation de ses opérations.

[86]        De son inauguration le 27 septembre 1938 à sa fermeture au 30 juin 1991, l'usine de fabrication de munitions a donc été exploitée:

-     De 1938 à 1946 par le gouvernement du Canada, par l'entremise de Dominion Arsenals ltd;

-     De 1946 à 1966 par Canadian Arsenals ltd, une société d'État mandataire de la couronne fédérale;

-     De 1966 à 1980 par une entreprise privée, Les Industries Valcartier inc., devenue ultérieurement IVI inc.;

-     De 1980 à 1991 par SNC-Tec qui était aux droits et aux obligations des corporations qui l'ont précédée et plus particulièrement Les Produits de défense SNC ltée, détentrice des actions de IVI inc., qui devient le 30 décembre 1988 également propriétaire des actifs, dont les immeubles.

[87]        Le 4 janvier 2007, SNC-Tec vend, sans garantie, pour la somme de 1 $ à l'une des défenderesses corporatives, Société immobilière Valcartier inc. (SIVI), les immeubles et les bâtisses qu'elle détient dans les municipalités de Shannon, de Saint-Gabriel-de-Valcartier et de la ville de Québec, soit l'emplacement de l'usine de fabrication de munitions (Pièce R-7).

[88]        Le 8 janvier 2007, l'autre défenderesse corporative, GD-OTS Canada inc., annonce l'acquisition de SNC-Tec (Pièce R-5).  Quoiqu'elle n'ait jamais exploité l'usine de fabrication de munitions, GD-OTS Canada inc. admet au paragraphe 31.1 de sa défense qu'elle est «aux droits et obligations de SNC Technologies et de ses auteurs».

[89]        Le contexte de ces deux transactions, plus particulièrement l'engagement de la défenderesse corporative, GD-OTS Canada inc., d'assumer les obligations du vendeur et de ses auteurs, règle en définitive la question du lien de droit advenant une éventuelle responsabilité extra-contractuelle de sa part.

[90]        En 1942, le site de Valcartier est choisi par le gouvernement du Canada pour la construction d'un «Établissement d'expertise sur des explosifs», notamment en raison de la proximité de la Base militaire et de «Dominion Arsenals ltd».  La construction débute en 1943.  Les édifices sont alors situés à environ 0.5 kilomètre à l'ouest de la ville de Québec (anciennement ville de Val-Bélair) et à environ 3 kilomètres à l'est de la municipalité de Shannon.

[91]        Créé en 1945, le «Canadian Armamant Research and Development Establishment» (CARDE) a pour mission d'effectuer de la recherche dans le domaine militaire, notamment en ce qui a trait à l'équipement visant à protéger adéquatement le personnel militaire et accroître l'efficacité de l'armement et des munitions.

[92]        Au cours des années, la dénomination sociale du centre de recherche changera pour adopter celle de «Centre de recherche pour la Défense - Valcartier» (CRDV) et aujourd'hui «Recherche et Développement pour la Défense du Canada» (RDDC).

[93]        Le RDDC a deux emplacements qui sont séparés par la route 369, soit le RDDC Nord situé au nord de la route 369 et RDDC Sud situé au sud de la route 369.  Ces deux emplacements sont situés à proximité des immeubles de l'usine de fabrication de munitions.

      B)  Un aperçu des témoignages

[94]        L'analyse des principales questions en litige dans le présent dossier, notamment celles portant sur le lien de causalité, relève davantage de l'examen de la preuve des experts.

[95]        Malgré cela, on ne peut passer sous silence certains aspects de la preuve factuelle, plus particulièrement les témoignages de personnes qui, elles-mêmes, un membre de leur famille, un ami ou une proche connaissance, ont éprouvé ou éprouvent un problème de santé.

[96]        Les témoignages de ces personnes, dont certaines ont été interrogées au préalable et/ou à l'audience, sont ici regroupés en fonction du sujet traité et résumés brièvement.

•    Les initiateurs du recours

[97]        Mme Spieser a une formation d'infirmière.  Au mois de juin 1991, avec son conjoint et leurs deux enfants, elle emménage au 15, King's Drive, à l'est de la rivière Jacques-Cartier.

[98]        Mme Spieser témoigne que dès 1991, elle éprouve certains malaises.  Toutefois, à cette même période, en plus de ses responsabilités familiales, elle assume une lourde charge de travail.

[99]        Elle remarque que lorsqu'elle s'absente temporairement de son domicile, les problèmes qu'elle éprouve s'estompent.  Ce qui l'incite à consommer de l'eau embouteillée à compter de 1998.

[100]     Elle témoigne au sujet des différents problèmes de santé qu'elle a éprouvés, ce qui a fait l'objet d'expertises médicales en gastro-entérologie et symptomatologie psychique pouvant découler d'un stress.  Elle a perdu une bonne amie qu'elle a accompagnée tout au long de sa maladie et qui est décédée au mois de septembre 2000 d’un cancer du foie.

[101]     Elle vit maintenant avec la crainte d'avoir été exposée au TCE.  Mais, elle déclare à peu près dans ces termes que si la Direction de la santé publique avait fait «une étude sérieuse sur le terrain», elle aurait probablement accepté le résultat.

[102]     Mme Spieser reçoit le 21 décembre 2000 un avis l'informant que l'on a détecté la présence de TCE dans le puits d'une résidence de la municipalité de Shannon (Pièce R-12).  Sa résidence sera raccordée au réseau d'aqueduc de la municipalité de Shannon le 19 décembre 2001.

[103]     Le Dr Claude Juneau est médecin généraliste qui a exercé sa profession de 1960 à 1997.  Il est toujours membre du Collège des médecins du Québec.

[104]     Résidant de la municipalité de Shannon, le Dr Juneau a exercé sa profession en médecine générale, en obstétrique et en pédiatrie.  Il fut d'ailleurs chef du département de pédiatrie de l'Hôpital Chauveau pendant près de 20 ans.

[105]     C'est lorsqu'il a été informé de la présence de TCE dans le puits d'une résidence de la municipalité de Shannon qu'il a été, selon ses propres termes, «troublé».

[106]     Il s'est alors renseigné au sujet de ce produit et de ses effets sur la santé.  Il a consulté le Dr Claude Shields, hémato-oncologue à l'Hôpital de l'Enfant-Jésus à Québec.  Il a aussi rencontré à quelques reprises dès le début de l'année 2001 les autorités médicales de la Direction de la santé publique.

[107]     Reconnaissant qu'il est «impossible» en médecine d'établir avec certitude un lien de causalité entre le TCE et chaque cas de cancer, il demeure convaincu que la présence de TCE dans les puits d'alimentation en eau potable des résidences de la municipalité de Shannon est la cause du nombre anormalement élevé de cas de cancers qu'il a constatés dans cette municipalité.

•    Les représentants de la municipalité de shannon

[108]     Monsieur Clive Kiley, résidant permanent de la municipalité de Shannon depuis 1974, a été élu échevin en 1976 et maire de la municipalité au mois de novembre 1997.

[109]     La municipalité de Shannon compte selon lui près de 5 000 résidants dont à peu près 2 500 résident à Shannon et 2 200 résident dans la partie résidentielle de la Base militaire, soit les logements familiaux.

[110]     Ce n'est que le 11 décembre 2000 que le maire Kiley est informé par monsieur Normand Légaré, inspecteur et directeur des travaux publics, de la présence de TCE dans le puits d'une résidence de la municipalité.  D'ailleurs, jusqu'à ce moment, il ignorait ce qui se passait chez les voisins et la municipalité, soit la Base militaire, le RDDC et l'usine de fabrication de munitions.  Pour lui, le problème de la contamination de la nappe phréatique par le TCE débute donc au mois de décembre 2000, malgré que quelques années auparavant une entente soit intervenue entre le gouvernement du Canada et la municipalité de Shannon aux termes de laquelle celle-ci acquérait le réseau d'aqueduc du secteur des logements familiaux de la Base militaire dans le contexte de la municipalisation des services.

[111]     En effet, le 10 mai 1999 le gouvernement du Canada vend à la municipalité de Shannon l'immeuble ci-après désigné au contrat par l’identification de différents lots, comprenant:

«[…] les rues, le réseau d'aqueduc, le réseau d'égout pluvial, le réseau d'égout sanitaire ainsi que deux stations de pompage, le système d'éclairage public et les trottoirs qui se situent à l'intérieur du territoire de l'acquéreur ci-après nommé l'Infrastructure municipale”.» (Pièce R-199)

[112]     Le maire Kiley témoigne entre autres au sujet des préoccupations et des inquiétudes que les citoyens lui ont exprimées, des démarches qu'il a effectuées auprès des gouvernements fédéral et provincial, de la Direction de santé publique et des experts auxquels il a eu recours.

[113]     Il signale au passage que c'est SNC-Tec qui, la première, a fait un test de l'eau du puits d’une résidence de la municipalité.

[114]     Il ne comprend toujours pas pourquoi il n’a pas été informé de la situation avant le mois de décembre 2000, étant donné l'acquisition des infrastructures municipales en 1999 et d'autant plus que les autorités de la Ville de Val-Bélair avaient été informées.

[115]     À l'instar du maire Kiley, M. Légaré explique dans quel contexte il a été informé de la présence de TCE dans le puits d'une résidence de la municipalité et les démarches que lui-même et d'autres employés ont effectuées par la suite.  Il témoigne également au sujet des nombreux appels qu'il a reçus de la part des citoyens.

[116]     Il précise que très rapidement on a identifié un secteur touché par le TCE et des secteurs à risque.  La première phase du raccordement des résidences au réseau d'aqueduc de la municipalité correspond d'ailleurs à ce secteur touché par le TCE.

[117]     La première «phase de raccordement par rue des résidences à l'aqueduc municipal de Shannon» a été complétée le 19 décembre 2001 au coût de 3.5 M $.  À peu près 160 unités d'habitation ont alors été raccordées au réseau d'aqueduc. Trois autres phases ont été réalisées:  Du mois de novembre à décembre 2004; du mois de septembre à décembre 2005; au mois de juin 2006 (Pièce R-132).

[118]     Initialement approvisionné par les puits de la Base militaire, le réseau de l'aqueduc municipal de Shannon est depuis le mois de septembre 2010 approvisionné par ses propres puits.

[119]     L'ensemble du réseau d'aqueduc municipal de Shannon et les nouveaux puits d'approvisionnement ont coûté 35.8 M $ payés par le gouvernement du Canada.

•    Les ex-employés du centre de recherche et de l'usine de fabrication de munitions

[120]     Quatorze ex-employés du RDDC et de l'usine de fabrication de munitions ont témoigné au sujet de l'utilisation et de la disposition du TCE.

[121]     On retient notamment de ces témoignages que le RDDC comprend deux sections, le RDDC Nord et le RDDC Sud.

[122]     De 1950 à 1965, le solvant utilisé est le tétrachloroéthylène ou perchloroéthylène (PCE) qui a été remplacé par le TCE.

[123]     De 1958 à 1985, on dispose des résidus de ces deux solvants, notamment à un endroit situé près du RDDC Nord que l'on nomme «le lagon bleu».

[124]     On dispose également des résidus à un autre endroit qui sert de dépotoir pour toutes sortes de matériaux et que l'on nomme «green gate».

[125]     Les ex-employés de l'usine de fabrication de munitions ont témoigné au sujet des emplacements de l'usine, des procédés de fabrication des munitions et de la disposition des résidus.

[126]     L'usine de fabrication de munitions comprend:

-     Le Plan # 1 où on installe les amorces et fait la mise en cartouche, l'emballage et l'inspection finale du produit;

-     Le Plan # 2 où est située la fonderie, lieu de fabrication de la douille par un procédé d'étirage du métal;

-     Le Plan # 3 où est situé l'outillage, endroit où l'on répare entre autres la machinerie.

[127]     Le TCE est présent dans les différentes étapes de fabrication de la douille et de la mise en cartouche pour dégraisser et nettoyer le métal des résidus d'autres produits utilisés pour la fabrication de ces munitions de même que pour nettoyer la machinerie de production.

[128]     Alors, plus on fabrique de munitions, plus on utilise du TCE.

[129]     L'ensemble des témoignages démontre que c'est effectivement au début des années 1980, 1985 étant la date de la mise en vigueur du Règlement sur la disposition des déchets dangereux, que l'on a cessé les déversement de TCE, quoique certaines factures démontrent qu'on en aurait disposé autrement auparavant, notamment en 1975.

[130]     Un des témoins, monsieur André Loisel, relate qu'il a lui-même, en 1985, pris les dispositions pour qu'une entreprise spécialisée vienne chercher trois douzaines de barils de 45 gallons contenant divers produits dont des résidus de TCE.

[131]     Selon ce même témoin, il y a eu la période «avant 1985» et la période «après 1985».

•    Les anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon

[132]     Dix-sept personnes, dont Mme Spieser, ont témoigné au sujet des cancers, maladies ou autres malaises qu'elles-mêmes, un membre de leur famille, un proche parent ou un ami ont éprouvés.

[133]     On ne peut être insensible face à l'épreuve que chacune de ces personnes a traversée et dans certains cas vit encore.  Emprunt de sérénité, chaque témoignage exprime toute la souffrance et les inquiétudes associées à cette grave maladie qu'est le cancer, à ses conséquences et aux difficiles traitements pour le vaincre.

[134]     À l'écoute de chacun de ces témoignages, on constate que trois éléments se démarquent.

[135]     Chacune de ces personnes éprouve de sérieux doutes et quelques fois se dit convaincue que ce qu'elle a vécu a été causé par la seule présence du TCE dans son eau de consommation.

[136]     On reproche aussi aux responsables des différentes entreprises et organismes publics concernés de ne pas avoir informé la population de la municipalité de Shannon dès qu'ils ont eu connaissance de la présence de TCE dans la nappe phréatique.  Quelques-uns de ces témoins se sont même sentis «trahis» de ne pas avoir été informés.

[137]     Enfin, certains témoins vivent encore aujourd'hui avec la crainte des conséquences d'avoir été exposés au TCE.  Cette crainte est quelques fois exacerbée par le fait qu'ils ont déjà été atteints d'un cancer.

[138]     C'est donc dans ce contexte que chacune de ces personnes, avec beaucoup de sérénité, a témoigné de la maladie ou des malaises qu'elle a éprouvés et des conséquences que cette situation a provoquées et, à l’occasion, provoque encore dans sa vie de tous les jours.

•    Les représentants du ministère de la Défense nationale

[139]     Madame Ginger Stone, directrice générale de la protection de l'environnement au ministère de la Défense nationale, assiste au début du mois de novembre 1998 à une réunion à laquelle participe également madame Claudie Tremblay, officier d'environnement de la Garnison Valcartier.

[140]     Alors que celle-ci termine son exposé portant sur le constat de la présence de TCE dans le réseau d'aqueduc de la Base militaire, Mme Stone, qui pour la première fois entend parler de cette situation, lui conseille d'en aviser les personnes intéressées, à savoir les personnes desservies en eau potable par ce réseau d'aqueduc.

[141]     C'est le 31 octobre 1997 que Mme Tremblay a été informée par monsieur Stéphane Jean, agent de l'environnement au RDDC, de la présence de TCE dans le réseau d'aqueduc de la Base militaire.

[142]     Mme Tremblay témoigne qu'avant cette date, le TCE n'était aucunement un sujet de préoccupation.  À l’instar de ce qu’affirme Mme Stone, ce sont davantage les huiles usées et les métaux lourds (cuivre, plomb et zinc) qui sont à ce moment une source de préoccupation.

[143]     Les démarches que Mme Tremblay a alors effectuées visaient principalement deux objectifs: Identifier la où les sources de contamination et assurer un approvisionnement de qualité en eau potable.

[144]     Il n'y avait, selon ses vérifications, aucune indication selon laquelle on aurait utilisé en grande quantité des solvants dont du TCE à la Garnison Valcartier, à l'exception de la buanderie.

[145]     Le 17 avril 1998, Mme Tremblay tente d'obtenir du ministère de l'Environnement du Québec de l'information au sujet de la situation de l'un des voisins de la Base militaire, soit SNC-Tec.

[146]     Le 22 septembre 1998, elle s'informera à nouveau auprès du ministère de l'Environnement pour savoir si les municipalités voisines ont été informées de la situation.  On lui aurait alors répondu qu'il n'y avait pas d'indication de débordement.

[147]     Toutefois, au cours du mois de février 1999, elle demande à l'un des employés de la Base militaire qui résidait dans la municipalité de Shannon de tester le puits de sa résidence.  Le résultat est alors de 0.41 µg/l, soit une mesure dix fois inférieure à la norme de 50 µg/l (Pièce PGC-58, # 128).

[148]     Monsieur Michaël Hodgson, qui remplace temporairement Mme Tremblay à compter de l'automne 2000, confirme que la principale préoccupation était alors d'identifier la ou les sources de contamination des puits, principalement le puits P5, et dans une moindre mesure les puits P2 et P4.

[149]     À ce moment, seul le puits # 5 approvisionne le réseau d'aqueduc.  Il sera débranché du réseau d'aqueduc au mois de mars 2000, malgré que l'on continue à pomper ce puits jusqu'au mois de novembre 2002, l'eau servant alors à la climatisation des immeubles.

[150]     Les puits P2 et P4 sont donc branchés au mois de mars 2000 à la tête du réseau d'aqueduc.

[151]     M. Jean, qui auprès du RDDC occupe une fonction similaire à celle de Mme Tremblay, témoigne lui aussi qu'il n'a été confronté au problème du TCE qu'au mois d'octobre 1997.  Avant cette date, ses préoccupations environnementales étaient davantage orientées vers les matériaux énergétiques enfouis dans le sol.

[152]     M. Jean confirme que depuis 1985, des entreprises spécialisées viennent chercher les déchets dangereux.  C'est d'ailleurs lui-même qui, à partir de 1989, donne les contrats.  Il présente par la suite l'étude qu'il a effectuée à compter de 2004 qui est intitulée:  «Utilisation et disposition antérieures du TCE à RDDC Valcartier» (Pièce PGC-85).

[153]     Enfin, monsieur Daniel Godbout, qui à compter de 2001 est responsable de toutes les constructions effectuées sur les bases militaires au Canada, témoigne des démarches effectuées et des difficultés rencontrées par le ministère de la Défense nationale en vue de remédier à la situation, notamment réhabiliter la nappe phréatique.

•    Les représentants des défenderesses corporatives

[154]     Monsieur André Breton, vice-président aux opérations en charge de l'usine de fabrication de munitions à Valcartier de 1987 à 1991 et monsieur Denis Beaudet, directeur de l'entretien également responsable de l'usine de traitement des eaux, témoignent qu'à compter de 1988, SNC-Tec entreprend des démarches en vue de décontaminer différents sites situés sur les terrains de l’entreprise.

[155]     M. Breton s'occupe plus particulièrement du financement de ces démarches et de faire approuver les plans par le ministère de l'Environnement du Québec en vue de leur réalisation.

[156]     C'est donc dans le cadre de ces opérations que l'on constate au mois d'août 1991, à la lagune C, la présence de TCE.

[157]     C'est aussi dans le cadre de ces procédures de décontamination que l'on entreprend dans le Secteur 214 la construction d'une cellule de type à sécurité maximale destinée à recevoir les sols contaminés.  Elle sera complétée en 1994.

[158]     M. Beaudet, à qui est confiée la responsabilité de la fermeture du site de l'entreprise de fabrication de munitions, témoigne plus particulièrement des démarches qu'il a effectuées au cours des années 1970 pour disposer des huiles et produits chimiques tel le TCE, de même que des démarches qu'il a effectuées jusqu'à son départ à la retraite en 2002.

[159]     Essentiellement, M. Beaudet témoigne que le constat de la présence de TCE à la lagune C au mois d’août 1991 est effectivement une source d'inquiétude.  Toutefois, à ce moment, c'est davantage la présence de métaux lourds (cuivre, plomb et zinc) dans le sol qui préoccupe.  La construction de la cellule de type à sécurité maximale terminée en 1994, on croyait alors que la situation était sous contrôle.

[160]     On constate toutefois en 1995 que le problème soulevé par la présence de TCE n'est pas réglé, on ignore toujours la ou les sources de contamination.

[161]     Selon M. Beaudet, c'est donc un deuxième dossier qui commence à ce moment.

[162]     Aussi, c'est à la suite d'une réunion tenue le 2 novembre 2000 que M. Beaudet, à la suggestion d'un ingénieur de SNC Environnement avec qui il travaille dans ce dossier, prend l'initiative de faire un test des puits de deux résidences de la municipalité de Shannon et avise le ministère de l'Environnement du Québec des résultats.

      C)  Constat de la présence de TCE dans la nappe phréatique

[163]     Le PGC admet l'utilisation du TCE au RDDC Nord de 1959 à 1985.  Les défenderesses corporatives admettent également que ce produit a été utilisé à l'usine de fabrication de munitions dès le début de ses opérations.

[164]     Deux événements vont favoriser le constat de la présence du TCE dans la nappe phréatique au cours des années 1990.

[165]     Premièrement, au mois de décembre 1990 le gouvernement du Canada publie un «Plan vert pour un environnement sain».  Il s'agit d'un plan d'action environnemental pour l'ensemble du pays.  C'est dans le contexte de l'application de ce Plan vert que le ministère de la Défense nationale adopte le 10 décembre 1992 la Politique des Forces canadiennes et du ministère de la Défense nationale en matière d'environnement (Pièce PGC-199).

[166]     Deux études environnementales de base sont alors effectuées par la firme de consultants Tecsult:

-     Tecsult (1992) concerne la Garnison Valcartier (Pièce PGC-75 # 1A).  Cette étude ne signale pas la présence de TCE dans le sol ou la nappe phréatique;

-     Tecsult (1994) concerne le RDDC (Pièce PGC-5).  Étant donné que cette étude réfère à la présence du TCE dans le sol, une étude complémentaire d'un ancien site d'enfouissement, soit la caractérisation des sols du «Parc Lemay» situé à l'extrémité ouest du RDDC Nord, sera effectuée.

[167]     Deuxièmement, le 30 juin 1991 l'usine de fabrication de munitions cesse définitivement ses opérations.  Quelques années auparavant, soit en 1988, SNC-Tec avait entrepris, en collaboration avec le ministère de l'Environnement du Québec, une caractérisation des sols de différents sites situés sur sa propriété afin de procéder à des travaux de décontamination.

[168]     C'est donc dans ce contexte de vérification environnementale et de réhabilitation des sols que l'on constate à quatre reprises la présence de TCE dans la nappe phréatique.

            •     La lagune «C» - SIVI - Août 1991

[169]     Couvrant une superficie d'environ 420m2, la lagune C est située près d'une route non pavée qui conduit à un site d'enfouissement sanitaire de l'usine de fabrication de munitions.  La lagune C a été utilisée de 1963 à 1976 approximativement.

[170]     Dans le cadre des campagnes de caractérisation effectuées sur la propriété de SNC-Tec (maintenant SIVI) en 1990 et 1991, l'on décide de procéder à la caractérisation de l'eau souterraine située à proximité de la lagune C afin de connaître son impact sur la nappe phréatique.

[171]     Trois piézomètres sont installés, la nappe phréatique est située à 3.9 mètres de profondeur.

[172]     Au mois d'août 1991, l'on constate au piézomètre F-11 une concentration d'hydrocarbures halogènes totaux (HHT) de 26 130,8 microgrammes par litre (µg/l), dont 25 000 µg/l est du TCE et 11 µg/l est du chlorure de vinyle, un sous-produit de dégradation du TCE (Pièce DC-19).

            •     Le secteur 214 - SIVI - Juin 1994

[173]     Le secteur 214 est situé sur le terrain de SIVI, dans les environs de la cellule de type à sécurité maximale, lieu de décontamination des sols dont la construction a été complétée au mois de novembre 1994.  On retrouve dans les environs du secteur 214 une ancienne aire de brûlage de déchets.

[174]     C'est à l'occasion d'une caractérisation réalisée le 15 juillet 1994 autour de la cellule à sécurité maximale que l'on constate au puits PZ-37-94, dont la profondeur est de 17 mètres, une concentration de TCE de 400 µg/l.  La concentration en TCE dans ce puits augmentera, atteignant au mois de juillet 1997 une concentration de 71 000 µg/l.

[175]     Le suivi environnemental du secteur 214 démontre que d'autres puits révèlent la présence de TCE, notamment le puits PZ-46-95, d'une profondeur de 20 mètres qui, au mois de juin 1996, présente une concentration en TCE de 40 000 µg/l (Pièces DC-58 et DC-69, tableau 10).

            •     Le Parc Lemay - RDDC - Mars 1995

[176]     À la suite de l'étude environnementale de base Tecsult (1994), le RDDC mandate ADS Environnement inc. pour réaliser une étude complémentaire en hydrogéologie au Parc Lemay, situé à l'extrémité ouest du RDDC Nord.

[177]     Le Parc Lemay est utilisé comme zone d'expérimentation dans le cadre de certaines recherches.  Une partie de ce terrain a aussi servi de site d'enfouissement.

[178]     Étant donné que la Base militaire exploite des puits d'approvisionnement en eau potable à moins de 200 mètres à l'ouest du Parc Lemay, le RDDC veut vérifier si les traces de contamination décelées au Parc Lemay représentent un risque pour ces puits.

[179]     Le 21 mars 1995, l'on constate au piézomètre P-4 une concentration de 0.6 µg/l, concentration inférieure au critère «A» du ministère de l'Environnement pour les eaux souterraines réhabilitées qui est de 1 µg/l et de la norme maximale acceptable de 50 µg/l (Pièce PGC-75 # 4).

            •     Secteur d'essais - RDDC - Décembre 1996

[180]     Toujours à la suite de l'étude environnementale de base Tecsult (1994), le RDDC procède à la caractérisation de neuf lieux d'enfouissement abandonnés sur son territoire [Acturus Environnement ltée - mars 1995 (Pièce PGC-75 # 3)], ainsi qu'à la caractérisation des champs de tir et sites d'essais [ADS Groupe-conseil inc. - septembre 1996 (Pièce PGC-75 # 7)].

[181]     C'est dans le contexte du suivi environnemental de ces études de caractérisation que la firme Enviroconseil inc. constate le 16 décembre 1996 au puits E-3-2 une concentration en TCE de 1100 µg/l (Pièce PGC-75 # 8).

            •     Le Réseau d'aqueduc de la Base militaire - 24 octobre 1997

[182]     C'est à l'occasion d'une vérification de la qualité de l'eau du réseau d'aqueduc de la Base militaire dont on se sert dans la procédure de caractérisation de la nappe phréatique du secteur 214 que l'on constate, le 24 octobre 1997, que l'eau à la borne-fontaine FH-59 située sur le terrain de SIVI contient une concentration en TCE de 46 µg/l selon une première analyse et de 57µg/l selon une deuxième analyse (Pièce DC-94 A, # EDB-38).

[183]     Une vérification subséquente de la qualité de l'eau effectuée à deux bâtiments du RDDC les 28 et 29 octobre 1997 confirme la présence du TCE, soit 60 µg/l au bâtiment 239 et 55 µg/l aux bâtiments 62 et 118 (Pièce PGC-60 # 17).

[184]     Le 5 novembre 1997, l'Agence des services de santé au travail et d'hygiène du milieu de Santé Canada confirme que l'analyse physico-chimique de sept échantillons prélevés sur le réseau d'aqueduc, après qu'il ait été drainé, démontre la présence de TCE allant de 60 µg/l à 62 µg/l (Pièce PGC-58 # 23).

[185]     En résumé, c'est donc dans le contexte de la caractérisation de différents sites situés sur la propriété de SIVI et de la vérification de l'étanchéité de la cellule de type à sécurité maximale que l'on constate au mois d'août 1991 à la lagune C et au mois de juin 1994 au secteur 214 la présence de TCE dans la nappe phréatique.

[186]     Par ailleurs, c'est dans le cadre du suivi environnemental, suite à l'étude environnementale de base Tecsult (1994) effectuée sur la propriété du RDDC, que l'on constate au mois de mars 1995 au Parc Lemay et au mois de décembre 1996 au secteur d'essais la présence de TCE dans la nappe phréatique.

[187]     Enfin, c'est en vérifiant la qualité de l'eau du réseau d'aqueduc de la Base militaire, eau dont on se sert dans la procédure de caractérisation que l'on effectue sur la propriété de SIVI, que l'on constate le 24 octobre 1997 la présence de TCE dans l'eau du réseau d'aqueduc.

[188]     Le tableau suivant résume la situation:

•     Août 1991 - SIVI - Lagune «C»:

25 000 µg/l

•     Juillet 1994 - SIVI - Secteur 214:

•     Juin 1996 - SIVI - Secteur 214:

•     Juillet 1997 - SIVI - Secteur 214:

400 µg/l

40 000 µg/l

71 000 µg/l

•     Mars 1995 - RDDC Nord - Parc Lemay:

•     Décembre 1996 - RDDC Nord - Secteur des essais:

0,6 µg/l

1 100 µg/l

       Réseau d'aqueduc de la Base militaire:

•     24 octobre 1997:

•     28-29 octobre 1997:

 

46 - 57 µg/l

55 - 60 µg/l

      D)  Constat de la présence de TCE dans la nappe phréatique à Shannon

[189]     À la suite de la découverte de TCE dans le réseau d'aqueduc de la Bases militaire, une réunion des représentants de la Garnison Valcartier, du RDDC, de l'Agence des logements familiaux et de Santé Canada qui a lieu le 27 janvier 1998 (Pièce PGC-58 # 30, # 33 et # 34).

[190]     Un plan d'action accompagné d'un échéancier est adopté.  Ce plan d'action comporte trois étapes:

1)  Étude historique des activités et installations (prévue pour mars 1998);

2)  Étude de caractérisation et recommandations (prévue pour novembre 1998);

3)  Mise en place de mesures de protection.

[191]     Bio Géo Environnement inc., qui a été mandatée pour compléter une étude environnementale phase I visant à identifier les activités passées et présentes à la Base militaire, au RDDC et certains lieux périphériques qui ont pu avoir ou peuvent encore avoir un impact négatif sur la qualité des eaux souterraines, remet son rapport, tel qu'il a été prévu, au mois de mars 1998 (Pièce PGC-75 # 11).

[192]     Les consultants H.C.E. inc., qui a été mandatée pour compléter l'étude de caractérisation et recommandations, remet au mois de mars 1999 son rapport final sur la caractérisation hydrogéologique (Pièce PGC-75 # 17), de même que son rapport final sur les différentes solutions possibles à la lumière des informations recueillies (Pièce PGC-75 # 16).

[193]     Ces deux derniers rapports, initialement prévus pour le mois de novembre 1998, sont remis en version finale au mois de mars 1999 car le 16 décembre 1998 a lieu une réunion au cours de laquelle sont discutés ces deux rapports alors remis en version préliminaire (Pièce PGC-58 # 64).

[194]     En effet, au cours de l'été 1998, le ministère de la Défense nationale a fait appel au Centre Géoscientifique de Québec, dont les experts proviennent de l'Institut nationale de la recherche scientifique (INRS) et de la Commission géologique du Canada, pour accompagner les représentants de la Garnison et du RDDC dans le dossier du TCE.  D'où les commentaires de ces experts sur les deux rapports préliminaires de Les Consultants H.C.E. inc. (Pièce PGC-58 # 48).

[195]     Après avoir présenté le 11 février 1999 à la Garnison Valcartier et au RDDC certaines recommandations pour la gestion environnementale des sols et des eaux souterraines sur leur propriété respective, l'INRS présente au mois de mai 1999 la phase I d'une étude portant sur la Caractérisation complémentaire des contextes géologique et hydrogéologique du secteur Valcartier (Pièce PGC-19).

[196]     Le résumé de ce rapport précise ce qui suit:

«Le Centre de recherche pour la défense Valcartier (CRDV) et l'Unité de soutien de secteur (USS) Valcartier, ont entrepris divers travaux dans l'objectif de faire une gestion environnementale de leurs propriétés. […]

L'hydrostratigraphie des terrains du CRDV Nord et Sud, de SNC TEC et du secteur administratif de l'USS Valcartier a été redéfinie à partir de levés géologiques, de données de forage, des levés de piézométrie et de levés de géoradar.  […] La carte piézométrique produite et des mesures in situ de vitesse et de direction d'écoulement ont permis de mieux définir l'emplacement d'une ligne de partage des eaux dans la nappe libre et de préciser le réseau d'écoulement.  Selon la carte piézométrique, l'eau souterraine qui circule sous les terrains du CRDV et de l'USS Valcartier s'écoule dans deux directions opposées à partir de la ligne de partage des eaux et se dirige d'une part vers le sud-ouest (Shannon) et d'autre part vers le sud-est (Val-Bélair)

[soulignement ajouté]

[197]     Ce premier rapport est suivi au mois de novembre 2000 d'un second, complémentaire au premier et portant sur le «secteur Valcartier» (Pièce PGC-19), dans lequel l'INRS recommande entre autres ce qui suit:

-           «[…] de mieux définir le panache de TCE dissout.» (p. 98);

-           «[…] d'évaluer s'il y a émission de contaminants hors des propriétés de l'USS Valcartier et du RDDC et d'identifier la direction vers laquelle les contaminants émis se dirigent» (p. 101).

[198]     C'est dans le contexte des discussions entourant ces dernières recommandations que SNC-Tec, de sa propre initiative, décide de vérifier la qualité de l'eau potable de la résidence de deux de ses employés domiciliés dans la municipalité de Shannon, ce qui est fait le 9 novembre 2000.

[199]     Les 15 et 17 novembre 2000, les certificats d'analyse d'un échantillonnage de l'eau potable de la résidence de monsieur Claude Poulin, située au 10, King's Drive, dans la municipalité de Shannon, démontrent une concentration en TCE de 178 µg/l et de 160 µg/l et une concentration en dichloroéthylène (DCE) de 52 µg/l (Pièce DC-94, EDB-40).

[200]     D'autres tests sont effectués au cours du mois de janvier 2001.  Les résultats démontrent des concentrations en TCE allant jusqu'à 935 µg/l sur King's Drive, 795 µg/l sur le boulevard Jacques-Cartier et 494 µg/l sur la rue de la Station (Pièce R-11.1), trois rues qui font partie de ce qu l'on identifiera «le triangle rouge».

      E)  Interventions des autorités externes

[201]     À quel moment et dans quelles circonstances sont intervenues les différentes autorités externes, soit le ministère de l'Environnement du Québec, Santé Canada, la direction générale de l'environnement du ministère de la Défense nationale et la Direction régionale de la santé publique.

•     Le ministère de l'environnement du Québec

[202]     Les Produits de défense SNC ltée, division IVI, met fin aux opérations de son usine de fabrication de munitions au mois de juin 1991.  Mais, on sait que déjà en 1988 on a commencé, en collaboration avec le ministère de l'Environnement du Québec, la caractérisation de différents sites.

[203]     Le 25 janvier 1991, IVI demande au ministère de l'Environnement du Québec un certificat d'autorisation pour déplacer son site d'entreposage des déchets dangereux (Pièce R-17, annexe I).

[204]     Dans la liste des déchets dangereux à entreposer, IVI déclare:

1.       Solvants halogènes usés

Trichloroéthylène, trichloroéthane et goudron contenu dans des barils de 45 gals ou 5 gals, pour une quantité totale approximative de 400 gals.

[205]     Par ailleurs, le 13 juin 1994, le ministère de l'Environnement du Québec accorde à IVI un certificat d'autorisation pour l'aménagement de la cellule de type à sécurité maximale l'autorisant à «Exécuter des travaux d'excavation de déchets et de sols contaminés» et «Ériger une cellule de type à sécurité maximale […] dans laquelle les sols et déchets ci-haut mentionnés seront confinés» (Pièce DC-202).

[206]     Enfin, le 21 avril 1998, Mme Claudie Tremblay fait une demande d'accès à l'information au ministère de l'Environnement du Québec au sujet de IVI (Pièce PGC-58 # 40).

      •     Santé Canada

[207]     Le 30 octobre 1997, l'Agence des services de santé au travail et d'hygiène du milieu de Santé Canada est informée de la présence de TCE dans le réseau d'aqueduc de la Base militaire.

[208]     Le 5 novembre 1997, Santé Canada, à la suite de son enquête, présente un rapport au ministère de la Défense nationale et au RDDC dans lequel, sous le titre «3.3 Interprétation des résultats», il est écrit:

«Malgré le drainage des conduites, les résultats obtenus dépassent la norme de 0.050 mg/l.  De plus, ceci nous indique que la contamination est généralisée puisque le C.R.D.V. et la base de Valcartier ont des résultats similaires excédant la norme.  En plus, cela nous indique que la contamination provient de la source utilisée lors de l'enquête, soit le puits # 5.  Finalement, ceux-ci confirment les résultats obtenus préalablement par les deux laboratoires privés.

La consommation moyenne quotidienne d'eau potable d'un adulte est de 1.5 litres par jour.  Présentement, on ne dispose pas suffisamment de données épidémiologiques pour évaluer le pouvoir cancérogène du trichloroéthylène pour les humains.  Pour l'instant le composé a été classifié comme pouvant être cancérogène pour les humains.  Par contre, selon notre médecin, il n'y aurait pas de risque pour la santé des utilisateurs à court et moyen terme avec les niveaux mesurés, puisque la CMA est basée sur une consommation à vie et que ce niveau ne représente que 5 % de l'exposition totale à ce produit.  Il faut comprendre que la norme de 0.05 mg par litre est la moyenne pour une vie entière.  Une augmentation de 20 % pour une courte période de temps, quelques mois ou années, ne peut donc aucunement être considérée comme étant vraisemblablement nocive.  Par conséquent, aucune mesure de restriction ou de non consommation de l'eau n'est présentement nécessaire (Pièce PGC-11, p. 9)

[souligné dans le texte original]

      •     La Direction générale de l'environnement du ministère de la Défense nationale

[209]     À l'occasion d'une conférence à laquelle Mme Tremblay participe du 2 au 5 novembre 1998, elle présente un exposé sur la présence de TCE dans le réseau d'aqueduc de la Base militaire.

[210]     Mme Stone reçoit cette information et émet l'opinion qu'il serait souhaitable que les utilisateurs du réseau d'aqueduc soient informés de cette situation.

      •     La Direction régionale de Santé publique de Québec

[211]     Le 1er décembre 1998, Mme Tremblay rencontre messieurs Denis Gauvin et Pierre Ayotte de la Direction régionale de la santé publique de Québec à qui elle remet le rapport de Santé Canada du 5 novembre 1997 (Pièce PGC-11).

[212]     C'est donc le 1er décembre 1998 que la Direction régionale de la santé publique de Québec, organisme relevant de la Régie régionale de la santé et des services sociaux de Québec, est informée de la contamination du puits No 5 qui alimente le réseau d'aqueduc de la Base militaire, contamination connue depuis le 24 octobre 1997.

[213]     En cours de route, la Direction régionale de la santé publique de Québec fera appel à l'Institut national de santé publique du Québec qui, par son expertise scientifique, soutient les directions de santé publique des différentes régions du Québec.

[214]     Plusieurs témoins de la Direction régionale de la santé publique de Québec et de l'Institut national de santé publique du Québec ont été entendus au sujet des communiqués, avis de santé publique et analyses produites par l'un et l'autre de ces organismes.

[215]     Dans son premier communiqué du 7 décembre 1998 portant sur le «Dépassement de la recommandation sur l'eau potable pour le trichloroéthylène à la Base militaire de Valcartier», la Direction de la santé publique écrit:

«Bien que dépassant légèrement la recommandation fédérale sur la qualité de l'eau potable pour le TCE, l'eau de la Base militaire de Valcartier ainsi que du Centre de Recherche du ministère de la Défense ne représente pas une menace pour la santé de la population, que ce soit pour les adultes, les enfants ou les femmes enceintes.  Ainsi, l'utilisation de l'eau sur la Base militaire de Valcartier peut se faire sans restriction, que ce soit pour la consommation de l'eau potable, la prise de douche ou toute autre utilisation domestique.  Néanmoins, afin de distribuer une eau de la meilleure qualité possible, des intervenants de la Base militaire sont à étudier diverses solutions afin de réduire les concentrations observées de TCE.  Une décision sera prise prochainement et les mesures correctrices devraient être mises en place au cours des prochains mois.

Il est à noter que les analyses effectuées pour l'eau distribuée aux logements familiaux sur la Base de Valcartier respectent la recommandation sur la qualité de l'eau potable pour le TCE (< à 50 µg/L).» (Pièce PGC-73-3)

[216]     Toutefois, dans les «Avis de santé publique» du 19 décembre 2000 (Pièce PGC-73-10) et du 5 février 2001 (PGC-73-7) qui accompagnent deux lettres que la municipalité de Shannon envoie «aux résidents du périmètre King's Drive, Jacques-Cartier et de la Station» les 21 décembre 2000 (Pièce R-12) et 7 février 2001 (Pièce R-13), on recommande généralement aux résidants propriétaires de puits dont la concentration est inférieure ou supérieure à 50 µg/l «de ne pas consommer l'eau du robinet et d'utiliser une alternative telle l'eau embouteillée tant que la situation n'aura pas été évaluée adéquatement» (Pièce PGC-73-7).

[217]     Quoique les prochains documents ne sont pas considérés comme des rapports d'expertise dans le cadre de l'analyse de la preuve, il y a lieu tout de même de mentionner leur existence.

[218]     Une étude concernant l'«État de santé de la population de Shannon» a été effectuée par la Direction régionale de la santé publique.  Cette étude effectuée en deux parties a été transmise au maire Kiley les 26 mars 2004 (Pièce PGC-73-42a) et 2 février 2007 (Pièce PGC-73-59).

[219]     Essentiellement, il s'agit d'une analyse comparative des cas de cancers parmi la population de la municipalité de Shannon selon les données recueillies au Fichier des tumeurs du Québec pour les périodes de 1984 à 1999 et de 1984 à 2002.

[220]     Dans sa lettre du 2 février 2007, tableaux et explications à l'appui, la Direction régionale de la santé publique conclut ce qui suit:

«Les données issues du Fichier des tumeurs du Québec ainsi que les informations sur les cas, dont celles obtenues dans les dossiers médicaux pour certains cas, ne nous permettent pas de faire un lien entre la présence de TCE dans la nappe d'eau souterraine et un excès particulier de cancer.»

[221]     Enfin, la Direction régionale de la santé publique a demandé à l'Institut national de santé publique d'effectuer certaines études dont les suivantes:

•    Pertinence et faisabilité d'une étude épidémiologique visant à évaluer les effets nocifs de la contamination du réseau d'eau potable par du trichloroéthylène dans la municipalité de Shannon - Septembre 2005 (Pièce PGC-35);

•    Pertinence et faisabilité d'une étude épidémiologique visant à évaluer les effets nocifs de la contamination du réseau d'eau potable par du trichloroéthylène dans la municipalité de Shannon : Mise à jour - Février 2010 (Pièce PGC-39);

•    Trichloroéthylène dans l'eau souterraine à Shannon: commentaires sur le rapport intitulé «Toxicologie reliée à la contamination de trichloroéthylène (TCE) dans l'eau souterraine à Shannon» - Mars 2010 (Pièce PGC-37);

•    Analyse critique du document «Rapport final:  expertise de toxicologie moléculaire des cancers observés chez les gens de la population de Shannon exposés au trichloroéthylène» - Mars 2010 (Pièce PGC-38);

•    Analyse spatio-temporelle des cas de cancer à Shannon répertoriés dans le Fichier des tumeurs du Québec en relation avec la contamination de la nappe d'eau souterraine dans le secteur Valcartier - Février 2011 (Pièce DC-92.1).

[222]     Les Pièces PGC-37 et PGC-38 commentent et analysent d'une part le rapport d'expertise d'un expert en toxicologie de la partie demanderesse, le Dr Raymond Van Coillie, et d'autre part, le rapport d'expertise de deux autres de ses experts en toxicologie moléculaire, les Drs Michel Charbonneau et Sidney Finkelstein.

[223]     Étant donné leur nature et les conditions selon lesquelles ces analyses ont été produites au dossier de la Cour, à savoir «démontrer leur existence et qu'elles ont été diffusées dans le public» (Procès-verbal du 14 octobre 2010), elles ne sont pas considérées dans l'examen des rapports d'experts en ces matières produits en demande et en défense.

[224]     Quant à la Pièce PGC-39, il s'agit d'une mise à jour d'un avis du mois de septembre 2005 portant sur la pertinence et la faisabilité d'une étude épidémiologique dans la municipalité de Shannon qui conclut ainsi:

«Compte tenu de l'absence de données nouvelles pertinentes concernant l'exposition de la population de Shannon au TCE et des revues récentes publiées démontrant que les effets du TCE sont probablement moindres qu'initialement anticipés, nous confirmons que la conclusion de notre avis de septembre 2005 sur la pertinence et la faisabilité d'une étude épidémiologique n'est pas modifiée.  En conséquence, nous ne recommandons toujours pas la mise sur pied d'une étude épidémiologique dans la région de Québec pour étudier les risques associés aux effets du TCE dans la population ayant été antérieurement exposée à ce contaminant.  Comme par le passé, nous considérons qu'une étude épidémiologique ne permettrait pas d'établir avec une bonne certitude si cette population a souffert ou non d'un impact sur sa santé physique.» (p. 4)

[225]     Enfin, l'«Analyse spatio-temporelle des cas de cancers à Shannon répertoriés dans le Fichier des tumeurs du Québec en relation avec la contamination de la nappe d'eau souterraine dans le secteur Valcartier - Février 2011» (Pièce DC-92.1) s'inscrit dans la poursuite des deux analyses précédentes sur la question (Pièces PGC-35 et PGC-39), à savoir:  «de déterminer à partir du Fichier des tumeurs du Québec (FiTQ), s'il existe un excès de cancer dans la population de Shannon et d'estimer l'association avec une exposition au TCE».

 

[226]     Cette dernière analyse conclut ce qui suit:

«Pour l'ensemble des sièges de cancer, les données du FiTQ ne permettent pas d'identifier d'excès de cancer à Shannon par rapport à l'ensemble du Québec.  Les analyses par siège de cancer révèlent cependant des fréquences statistiquement plus élevées qu'attendues pour le cancer du foie et le myélome multiple comparativement à la province de Québec.  Notons cependant que toutes les concentrations maximales de TCE mesurées au domicile ou à proximité du domicile des 11 nouveaux cas de cancer répertoriés dans le FiTQ pour ces deux sièges étaient inférieures à 1 µg/l.  De plus, l'analyse exploratoire utilisant les mesures de TCE dans les puits ne permet pas de conclure à la présence d'une association statistique significative entre l'incidence des cancers potentiellement reliés à une exposition au TCE selon Wartenberg et al. (Wartenberg et al., 2000) et les concentrations maximales de TCE mesurées au domicile ou à proximité du domicile des personnes atteintes.

L'interprétation de ces résultats exige une certaine prudence en lien avec les limites de l'étude, notamment en ce qui concerne les effectifs réduits (petit nombre de cas), une connaissance bien imparfaite de l'importance et de l'historique de l'exposition réelle de la population et de l'impossibilité d'ajuster pour les facteurs confondants». (p. 21)

[227]     Pour résumer, dès 1991 le ministère de l'Environnement du Québec est informé de la présence de TCE aux installations de Les Produits de défense SNC ltée.  Santé Canada émet un avis le 5 novembre 1997 à la suite de la constatation de la présence de TCE dans le réseau d'aqueduc de la Base militaire.  La Direction régionale de la santé publique de Québec en est informée le 1er décembre 1998.

2)   La preuve d'experts

[228]     Quatre témoins experts ont généralement présenté et commenté l'évolution des connaissances relatives à la contamination de la nappe phréatique, les connaissances passées et actuelles concernant les caractéristiques physico-chimiques du TCE, l'état des lieux aux environs des différentes installations situées sur le territoire concerné, l'utilisation du TCE et sa disposition par l'usine de fabrication de munitions et le RDDC.

[229]     Monsieur Martin Boisvenue, géographe spécialisé en photo-interprétation, a produit un rapport portant sur «la caractérisation de sites potentiels de déversements de TCE sur la Base militaire de Valcartier par photo-interprétation multidate» (Pièces R-14 et R-14 a).

[230]     M. Boisvenue a analysé des photographies du territoire datant de 1953, 1961, 1969, 1975, 1981, 1993 et 2002.  De son analyse résultent sept mosaïques sur lesquelles il identifie différents sites d'enfouissement, sans toutefois être en mesure de préciser la nature des produits qui y auraient été déversés.

[231]     Le Dr David Ozonoff, qui a une formation en médecine, épidémiologie, santé publique et santé environnementale, a produit un volumineux rapport daté du 16 juillet 2007 (Pièce R-140) qui présente généralement l'état des connaissances scientifiques au sujet du TCE et le cancer.

[232]     Le Dr Ozonoff affirme que la méthode qu'il a utilisée pour formuler son opinion repose sur - the weight-of-the-evidence methodology - une démarche acceptée et largement utilisée par la communauté scientifique.

[233]     Dans le cadre de cette démarche qui repose sur l'examen de différents critères d'analyse, «scientists agree that causation should not be regarded as an experimental or epidemiological result, but rather as a judgment made about the experimental or epidemiological data» (p. 45).

[234]     À la suite de son analyse, le Dr Ozonoff conclut que «The genotoxicity of TCE and PCE shows they [are] capable of acting by known mechanisms of cancer causation» (p. 128).

[235]     Enfin, le Dr Anthony S. Travis «Chemist and Historian of Chemical Technologies» et monsieur Robert Murray «Expert in environmental assessment of current and historical chemical and waste management practices in relation to soil and groundwater contamination» ont respectivement produit pour la partie demanderesse et la partie défenderesse une analyse réalisée à partir de certains documents corporatifs portant essentiellement sur l'utilisation et la disposition du TCE au cours de la période du début des années 1940 à 1985.

[236]     Dans son analyse, le Dr Travis tente de démontrer que, malgré les connaissances scientifiques et la qualification des experts qui travaillaient au RDDC, on a de façon insouciante disposé du TCE dans l'environnement.

[237]     M. Murray, au contraire, tente de démontrer qu'on a disposé du TCE selon les recommandations des manufacturiers et les connaissances alors appliquées.

[238]     La plus grande partie de la preuve présentée par les témoins experts est davantage spécifique à l'analyse du lien de causalité, mais elle comporte un aspect particulier.  Que ce soit les expertises en hydrogéologie ou intrusion de vapeurs qui visent à préciser l'état des lieux, soit celui de la nappe phréatique et de l'air ambiant à l'intérieur des résidences, ou les expertises qui s'inscrivent dans le contexte des sciences médicales, plus particulièrement en toxicologie et épidémiologie, elles sont toutes tributaires du fait que les mesures de concentration de TCE connues sont pour l'essentiel postérieures à 1997 en ce qui concerne la Base militaire (Pièce PGC-45) et à l'an 2000 en ce qui concerne la municipalité de Shannon (Pièce R-11.1).

[239]     Donc, le défi auquel ont été confrontés la plupart des témoins experts était de se faire une opinion au sujet d'une situation passée, plus précisément de savoir à quel niveau de concentration en TCE les anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon ont été exposés avant l'an 2000, à partir des seules informations connues et postérieures à cette date.

      Les sciences de la terre

      a)   L'hydrogéologie

[240]     L'hydrogéologie, partie de la géologie traitant de la recherche et du captage des eaux souterraines, étudie entre autres les mécanismes de l'écoulement de cette eau souterraine, soit de la nappe phréatique.  Les conditions géologiques définissent les différents aquifères et aquitards[8], qui eux-mêmes définissent l'orientation et la vitesse de l'eau.  L'hydrogéologie permet donc de connaître le comportement de la nappe phréatique à l'intérieur des différentes unités aquifères et aquitards, information souvent essentielle à la réalisation de grands projets de construction.

[241]     L'hydrogéologie est donc une science très technique qui analyse plusieurs paramètres, d'où résulte un nombre considérable de données numériques qui au besoin servent à l'élaboration de modèles mathématiques, numériques ou conceptuels.

[242]     En effet, l'hydrogéologie étudie plus particulièrement les caractéristiques morphologiques de la surface et de l'intérieur du sol, de même que la nature et les particularités des différents sols et rocs.  Ces informations permettent entre autres de déterminer la perméabilité, la porosité et la conductivité hydraulique des différents aquifères et aquitards[9].  À cela s'ajoutent les mesures relatives à l'infiltration de l'eau dans le sol, soit la recharge hydraulique de la nappe phréatique.  Toutes ces informations contribuent notamment à connaître et à comprendre l'écoulement, l'orientation et la vitesse de l'eau souterraine.

[243]     Dans le présent dossier, on a fait appel à l'hydrogéologie pour connaître à la fois l'état qualitatif de l'eau souterraine de même que l'orientation et la vitesse de l'écoulement de la nappe phréatique, non pas en prévision de la réalisation d'un projet futur, mais pour connaître les conséquences contemporaines d'une activité passée.  Cela n'est pas une démarche usuelle!  Quel a été l'état de la nappe phréatique dans la région de la municipalité de Shannon au cours des soixante dernières années, plus particulièrement de 1940 à 2001, date du début des activités industrielles dans les environs de la Base militaire jusqu'à ce que l'on constate la présence de TCE dans la nappe phréatique sous la municipalité de Shannon au mois de décembre 2000?

[244]     Pour répondre à cette question, on a analysé des informations et de nombreuses données numériques recueillies depuis la fin des années 1990. À l'aide de celles-ci, que l'on souhaitait les plus précises possible, on a conçu un modèle mathématique, résultat d'un traitement informatique des données de base, qui, selon l'un des experts (le Dr René Lefebvre), par sa nature même n'est jamais totalement vrai ou totalement faux.  En effet, un tel modèle numérique est souvent simplement représentatif de ce que l'on croit être la réalité.  À ce modèle conceptuel s'ajoute le jugement professionnel de l'hydrogéologue, d'où son opinion d'expert.

[245]     Deux expertises hydrogéologiques ont été produites.  D'une part, le Dr Robert Chapuis, expert en hydrogéologie, professeur à l'École Polytechnique de l'Université de Montréal, a produit à la demande de Mme Spieser:

Ø  Un rapport d'expertise sur les conditions hydrogéologiques à Shannon - 30 septembre 2010 (Pièce R-126 a), accompagné d'une présentation PowerPoint (Pièce R-126 b).

[246]     D'autre part, le Dr René Lefebvre, expert en hydrogéologie, professeur titulaire à l'INRS, a produit à la demande des défendeurs:

Ø  Une expertise hydrogéologique sur le TCE dans l'eau souterraine à Shannon, Québec, Canada - Juillet 2010 (Pièce DC-147);

Ø  Une contre-expertise hydrogéologique sur le TCE dans l'eau souterraine à Shannon, Québec, Canada - 20 décembre 2010 (Pièce DC-147 a), accompagnée d'une présentation PowerPoint (Pièce DC-147 c).

[247]     Le rapport d'expertise du Dr Chapuis est essentiellement un contrôle de qualité des données numériques de base et des calculs des différentes études hydrogéologiques effectuées depuis le début des années 2000 dont s'est servi le Dr Lefebvre pour réaliser son expertise hydrogéologique du mois de juillet 2010 et sa contre-expertise du 20 décembre 2010.  Il précise «qu'il ne s'agit pas de refaire tous les calculs en détail mais de vérifier les méthodes, leurs adéquations au problème étudié, la cohérence des résultats, etc.».

[248]     En effet, la lecture de son rapport d'expertise (Pièce R-126 a) et de sa présentation PowerPoint (Pièce R-126 b), qui reprend les grandes lignes de celui-ci, démontre qu'il traite plus particulièrement des questions suivantes:

•    Les principes généraux du contrôle de la qualité des études hydrogéologiques;

•    L'examen détaillé des problèmes et lacunes des études antérieures dont un résumé est présenté à la page 98 du rapport;

•    Les conséquences de ces lacunes sur le modèle numérique.

[249]     Par la suite, il discute du périmètre de protection des différents puits, c'est-à-dire l'aire de captage ou d'alimentation des puits par l'effet de pompage.  Cette discussion, qui repose sur les études antérieures de l'INRS, porte principalement sur les puits alimentant le réseau d'aqueduc de la Base militaire et tend à démontrer que les mesures de la recharge hydraulique proposées par le Dr Lefebvre seraient insuffisantes pour combler le volume total d'eau pompée.

[250]     Enfin, le Dr Chapuis complète son analyse en proposant une «estimation» du temps qu'il aurait fallu au TCE pour atteindre les puits d'alimentation en eau potable situés sur le territoire de la municipalité de Shannon et les puits alimentant le réseau d'aqueduc de la Base militaire, dont les logements familiaux.

[251]     Le rapport d'expertise du Dr Lefebvre est un complément au travail qu'il effectue depuis plusieurs années dans la région de Shannon.  En effet, dès 1998 le Dr Lefebvre a été mandaté par le ministère de la Défense nationale pour analyser et commenter les premières études hydrogéologiques (celles effectuées par les Consultants H.C.E. inc. en 1998), de même que pour analyser l'état de la nappe phréatique et connaître la direction de son écoulement afin de délimiter le panache de contamination.

[252]     Le rapport d'expertise du Dr Lefebvre doit donc être lu conjointement avec trois autres rapports auxquels il a participé, soit:

•    Tritium - Helium Dating and Geochemical Characterization of Groundwater in the Valcartier Deltaic Aquifer System - S. Murphy et al (février 2010) (Pièce DC-147 a);

•    Interprétation de la caractérisation du TCE dans l'eau souterraine à Shannon, Québec, Canada - R. Lefebvre et al (juillet 2010) (Pièce DC-147 a);

•    Synthèse du contexte hydrogéologique et de la problématique du TCE dans le secteur Valcartier, Québec, Canada - T. Wellon (juillet 2010) - (Pièce DC-147 a).

[253]     Comme celui du Dr Chapuis, le rapport d'expertise du Dr Lefebvre cherche à préciser la date à laquelle le TCE aurait atteint la municipalité de Shannon et les puits d'alimentation en eau potable sur ce territoire, de même que les puits alimentant le réseau d'aqueduc de la Base militaire. Il tente aussi de déterminer quelle aurait été la concentration en TCE dans l'eau de ces puits pendant la durée d’exposition.

[254]     Pour résumer, les Drs Chapuis et Lefebvre tentent de préciser depuis quand les résidants de la municipalité de Shannon et les personnes qui ont habité les logements familiaux situés sur la Base militaire ont été exposés au TCE par la présence de ce produit dans les puits d'alimentation en eau potable, et ce, pendant combien de temps jusqu'en 2001.  Ils tentent aussi de formuler une appréciation du niveau de concentration de TCE dans l'eau de ces puits au cours de la période d'exposition.

[255]     Curieusement, dans son rapport du 30 septembre 2010 (Pièce R-126 a), le Dr Chapuis fait remarquer, à juste titre d'ailleurs, que dans son rapport du mois de juillet 2010 (Pièce DC-147) le Dr Lefebvre n'a pas considéré l'effet que le pompage des différents puits pouvait avoir eu sur la vitesse de l'écoulement de la nappe phréatique, d'où la contre-expertise du Dr Lefebvre du 20 décembre 2010 (Pièce DC-147 a).  Cette remarque très pertinente aura des conséquences sur les conclusions de l'une et l'autre des expertises.

[256]     Plus précisément, l'opinion du Dr Chapuis diffère essentiellement de celle du Dr Lefebvre au sujet de trois paramètres, soit:

•     Le caractère perméable du roc souterrain;

•     La conductivité hydraulique;

•     L'infiltration de l'eau dans le sol.

[257]     Trois paramètres qui, selon lui, ont une incidence directe sur la vitesse de l'écoulement de l'eau souterraine.

[258]     Selon le Dr Chapuis, l'expertise du Dr Lefebvre ne prend pas en considération le caractère perméable du roc souvent fracturé dans sa couche supérieure, ce qui favorise une plus grande conductivité hydraulique.  Aussi, il est d'avis que la conductivité hydraulique est trois fois plus élevée que celle proposée par le Dr Lefebvre, favorisant ainsi un écoulement plus rapide de l'eau souterraine.

[259]     Par ailleurs, il soutient que l'infiltration de l'eau dans le sol est aussi trois fois plus élevée que ce que prétend le Dr Lefebvre, faisant en sorte qu'il y aurait un volume d'eau trois fois plus grand qui aurait circulé dans le sol.  Selon lui, la recharge hydraulique proposée par le Dr Lefebvre ne permettrait même pas d'atteindre le volume d'eau pompée par les différents puits de la Base militaire et de SIVI.

[260]     Le Dr Chapuis conclut que l'infiltration de l'eau dans le sol et la conductivité hydraulique sont au cœur de la présente affaire.  Il est d'avis que les mesures retenues par le Dr Lefebvre conduisent à une sous-évaluation de la vitesse de l'eau. Les données que lui-même retient au sujet de la perméabilité du roc, de la conductivité hydrologique et de l'infiltration de l'eau dans le sol font en sorte que l'eau souterraine dans le secteur étudié circule plus rapidement que ce que propose le Dr Lefebvre.

[261]     Le Dr Lefebvre quant à lui estime que les divergences entre son opinion et celle du Dr Chapuis résultent essentiellement des incertitudes relatives à certaines données numériques nécessaires à l'élaboration du modèle conceptuel.

[262]     Selon le Dr Lefebvre, la localisation des zones sources de contamination a une influence sur la distribution spatiale du TCE dans l'eau souterraine.  Aussi, pour établir un lien entre la présence de zones sources qui émettent du TCE et l'exposition des puits résidentiels, il est nécessaire d'identifier les voies de migration du TCE de même que les conditions qui influencent cette migration, dont l'effet qu’a le pompage des puits situés aux environs des voies de migration.

[263]     Le Dr Lefebvre diffère d'opinion avec celle du Dr Chapuis, principalement pour les raisons suivantes:

•    Le modèle conceptuel du système aquifère présumé par le Dr Chapuis est non représentatif des observations faites sur le terrain, alors que le modèle développé par l'INRS représente en trois dimensions la distribution observée des différentes unités du système aquifère;

•    Le Dr Chapuis a mal interprété l'approche utilisée par l'INRS pour faire l'estimation de la recharge hydraulique.  Les deux experts ont pourtant utilisé les données météo de la station de Ste-Christine, située dans la région de Portneuf.  Cependant, avec ces données, le Dr Chapuis utilise une approche par bilan hydrogéologique annuel sur l'ensemble du bassin de la rivière Jacques-Cartier en présumant que les conditions météorologiques sont les mêmes sur tout ce bassin, alors que l'INRS utilise un bilan quotidien avec les niveaux d'eau observés à Valcartier et Portneuf.  Le Dr Lefebvre reconnaît que la formule mathématique du calcul de la recharge hydraulique est simple, mais que plusieurs paramètres peuvent présenter une grande incertitude et ainsi influencer le résultat;

•    Le Dr Chapuis utilise une valeur de conductivité «moyenne» alors que le modèle de l'INRS utilise une distribution hétérogène de conductivité hydraulique basée sur les «hydrofacies», c'est-à-dire sur les différents matériaux géologiques présents aux propriétés hydrauliques distinctes;

•    Enfin, le Dr Chapuis ne tient pas compte de l'effet du pompage des puits de la Base militaire et de SIVI sur la migration du TCE entre les zones sources et le territoire de la municipalité de Shannon.

[264]     Voilà généralement les principales divergences entre l'opinion du Dr Chapuis et celle du Dr Lefebvre.  Voyons maintenant comment ils s'expriment dans leur rapport respectif et quelles sont leurs conclusions.

[265]     A partir d'un nombre considérable de données numériques recueillies au cours des années passées, les analyses des Drs Chapuis et Lefebvre considèrent, selon une appréciation différente, plusieurs paramètres, entre autres les zones sources de contamination dont six principales ont été identifiées, les voies de migration dont quatre sont identifiées, l'infiltration hydraulique ou la recharge de la nappe phréatique, la conductivité hydraulique, la présence et l'emplacement des puits sur les immeubles de la Base militaire et de SIVI de même que l'effet que le pompage de ces puits a pu avoir sur la circulation et la vitesse de l'eau souterraine.

[266]     Le Dr Chapuis note préalablement au chapitre de ses conclusions que les études numériques antérieures, soit celles de l'INRS, «n'ont pas considéré les forts débits pompés dans les années 40 à 90, et n'ont considéré que les faibles débits pompés dans les années 2000».

[267]     La conductivité hydraulique proposée par le Dr Lefebvre pour les sols aquifères est selon lui 2.76 fois trop faible, «ce qui signifie que l'eau souterraine voyagerait 2.76 fois plus vite que ce que prétend le Dr Lefebvre».

[268]     Ses vérifications et constatations l'amènent à conclure que le taux de recharge hydraulique de la nappe phréatique est de 0.98 mètre par année (m/an), soit environ trois fois plus élevé que les taux retenus par le Dr Lefebvre qui sont de 0.253, 0.35 et 0.30 m/an.

[269]     Le taux de recharge hydraulique de 0.98 m/an «conduit tout modèle numérique à trouver des vitesses environ trois fois plus élevées pour l'eau et les contaminants, et donc de plus longues expositions des puits au TCE».

[270]     De plus, le faible taux de recharge hydraulique utilisé par le Dr Lefebvre «ne permet pas d'expliquer comment les puits de la base ont réussi à pomper ensemble de 7 000 à plus de 10 000 m3/ jour».

[271]     Selon ses calculs:

1)   Le réseau d'aqueduc de SIVI a été atteint par le TCE depuis le milieu des années 40;

2)   Les puits de la municipalité de Shannon ont été atteints à partir de 1956, mais ils auraient pu l'être dès 1951 pour une exposition au TCE de 45 à 50 ans avant 2001;

3)   Le réseau d'aqueduc de la Base militaire a été atteint depuis 1963 ou avant.

[272]     Le Dr Chapuis «rappelle que les premiers niveaux de TCE mesurés dans le réseau de la Base en 1995 étaient de 101 et 85 µg/l et de 55-60 µg/l en 1997».

[273]     Il termine en précisant que «comme la contamination a débuté à Shannon dans les années 50, les concentrations en TCE mesurées dans les puits entre 2001 et 2009 représentent une situation moins sévère que celle qui a existé entre les années 50 et l'année 2001». En effet, il précise que tant que des zones sources de contamination sont actives, la concentration du produit qui contamine la nappe phréatique augmente ou se maintient.  Lorsque les sources disparaissent, la concentration diminue.

[274]     Selon le Dr Lefebvre, les zones sources de contamination et les voies de migration qu'elles empruntent sont représentées à la page 40 de sa présentation PowerPoint (Pièce DC-147 c), reproduite à l'Annexe «A».  Elles sont les suivantes:

1)   La zone source RDDC Nord, qui comprend les bâtiments B-67, B-98 et le lagon bleu, emprunte l'une des voies d'écoulement de la voie de migration 2, soit celle plus au nord;

2)   La zone source SIVI, qui comprend le secteur 214, emprunte la seconde voie d'écoulement de la voie de migration 2, soit celle plus au sud;

3)   Une deuxième zone source SIVI, qui comprend la lagune C, emprunte la voie de migration 4 qui s'approche de la branche sud de la voie de migration 2;

4)   Une troisième zone source SIVI, qui comprend le dépotoir à l'ouest du terrain de SIVI et les lagunes 2 et A, emprunte la voie de migration 3.

[275]     Les différentes études géologiques permettent de constater que sous la région étudiée se trouve une vallée enfouie comblée de sédiments d'une épaisseur pouvant excéder 50 mètres.  À la surface, on retrouve une unité de sable deltaïque d'une épaisseur de 20 à 30 mètres.  Cette unité est très perméable et constitue le principal aquifère de la région.

[276]     L'autre unité aquifère, un peu moins perméable, est constituée de sable, de gravier et de blocs que l'on nomme «les diamictons».  Cette unité géologique repose à la surface du roc et son épaisseur varie de quatre à seize mètres.

[277]     Quatre nappes sont présentes dans ces unités aquifères, mais la principale est la nappe régionale deltaïque située dans l'unité de sable deltaïque et où se trouvent la plus grande étendue et les plus fortes concentrations de TCE.

[278]     C'est donc dans cette vallée enfouie qui s'étend de la limite est de la vallée de Val-Bélair, sur le territoire de la ville de Québec, jusqu'à la rivière Jacques-Cartier à l'ouest, que l'on a identifié un panache de contamination qui circule de l'est vers l'ouest en direction de la municipalité de Shannon, dont la longueur est de 4.5 kilomètres, la largeur moyenne étant de 400 mètres et de 100 mètres en bordure de la rivière Jacques-Cartier (Annexe «A»).

[279]     Ce panache est constitué d'eau souterraine dans laquelle il y a présence de contamination, en l'occurrence du TCE, qui excède les normes ou recommandations environnementales.  Ce panache se déplace dans les aquifères à partir de zones sources en suivant le même écoulement que l'eau souterraine.  Le panache dont il est ici question provient des zones sources de contamination situées sur les propriétés du RDDC Nord et de SIVI.  Il s'étend jusqu'au côté est de la rivière Jacques-Cartier, sous le territoire de la municipalité de Shannon.

[280]     C'est l'analyse des différents paramètres géochimiques et l'utilisation de traceurs qui ont permis de circonscrire les différentes voies de migration et ainsi définir le panache de contamination.

[281]     Par ailleurs, la Base militaire et SIVI possèdent des puits dont la date de construction et le pompage auraient eu un effet sur l'écoulement de l'eau souterraine.

[282]     SIVI a quatre puits, soit le no 1 construit en 1939, le no 2 en 1940, le no 3 en 1941, et le no 4 en 1951.  Ils sont tous situés près du secteur 214 dans l'axe de la voie d'écoulement plus au sud de la voie de migration 2 et dont le Dr Lefebvre tient compte dans son rapport du 20 décembre 2010 (Pièce DC-147 a).

[283]     La Base militaire a entre autres sept puits.  Certains sont situés dans l'axe de l'une ou l'autre des deux voies d'écoulement de la voie de migration 2, soit les puits no 1 (bâtiment 26) et no 2 (bâtiment 25) dont on ignore la date de construction, P2 (1956) (bâtiment 27); SRGU 1 (1961) (bâtiment 524) et SRGU 2 (1961) (bâtiment 525); P5 (1971) (bâtiment 529 A); P6 (1991)[10].

[284]     Il est à noter qu'il y a une admission de la part de Mme Spieser selon laquelle les puits SRGU 1 et SRGU 2 n'ont pas été raccordés au réseau d'aqueduc de la Base militaire de 1961 à 1971.  Ce n'est qu'en 1971 que ces puits ont été raccordés au réseau d'aqueduc et qu'ils ont alors commencé à alimenter les logements familiaux.

[285]     Par ailleurs, l'on sait que SIVI a cessé de pomper ses puits no 1, no 2, no 3 et no 4 en 1991, date de la fermeture de ses installations.

[286]     Dans les conclusions de son rapport du mois de juillet 2010 qui ne considère pas l'effet de pompage sur la vitesse de l'écoulement de la nappe phréatique, le Dr Lefebvre écrit:

«Une estimation a été faite de l'arrivée du TCE à Shannon à partir de zones sources de TCE ainsi que de la durée d'exposition au TCE jusqu'à 2001 pour les puits résidentiels de Shannon localisés à l'intérieur du panache principal, donc potentiellement exposés au TCE. À partir de 2001, les puits résidentiels touchés par le TCE n'ont plus servi à l'approvisionnement en eau.  L'estimation de la durée d'exposition nécessite d'abord d'évaluer la période probable d'arrivée du TCE à Shannon à partir des informations disponibles sur le début possible d'émission du TCE aux zones sources et sur le temps de migration du TCE entre ces zones sources et Shannon.

Un modèle numérique validé a permis d'estimer un temps moyen de migration du TCE de 32 ans dans la nappe deltaïque régionale jusqu'à Shannon à partir de la zone source du Secteur 214 située à la SIVI ainsi que des zones sources situées à RDDC Nord.  Un temps moyen de migration du TCE de 19 ans a été estimé à partir de la zone source de la Lagune C localisée à la SIVI.  […] En considérant l'incertitude sur l'estimation du temps de migration, le temps de migration initial hors de l'aquifère deltaïque, et la période d'émission potentielle aux zones sources, la durée d'exposition possible des puits résidentiels de Shannon peut être estimée:

          •     Pour les zones sources B98 et B67 localisées à RDDC Nord, le TCE émis par ces zones sources n'aurait pas atteint Shannon en 2001, tandis que le TCE émis par la zone source du Lagon Bleu aurait pu atteindre Shannon en 1992 (depuis 9 ans en 2001);

          •     Dans le cas du TCE émis par la zone source du Secteur 214 localisée sur les terrains de la SIVI, le TCE aurait pu atteindre Shannon en 1978 (depuis 23 ans en 2001);

          •     Pour la zone source de la Lagune C située sur les terrains de la SIVI, le TCE émis aurait pu atteindre Shannon en 1982 (depuis 19 ans en 2001);

          •     Du TCE aurait aussi pu atteindre Shannon à partir de zones sources potentielles situées à la limite ouest de la propriété de la SIVI et qui sont présumées être en relation avec l'émergence de TCE dans la nappe deltaïque régionale en amont de Shannon.  La possibilité que ces sites soient des zones sources doit cependant être vérifiée.

[…]

Même si le panache principal de TCE à Shannon ne peut être délimité qu'à partir des données disponibles en 2004 et 2005, il est possible de conclure que l'étendue de ce panache a dû être constante dans le temps.  Cette conclusion est basée sur le fait que l'écoulement de l'eau souterraine et la migration du TCE à Shannon sont contraints de rester à l'endroit où le panache a été délimité à cause des conditions hydrogéologiques.» (p. 36 et 37)

[soulignements ajoutés]

[287]     C'est à la suite de ce premier rapport que le Dr Chapuis note dans son rapport du 30 septembre 2010 (Pièce R-126 a) que le Dr Lefebvre n'a pas considéré l'effet que le pompage des puits situés dans l'axe des voies d'écoulement de la voie de migration 2 aurait pu avoir sur l'écoulement de l'eau souterraine.

[288]     De plus, le Dr Chapuis conteste la dernière conclusion du Dr Lefebvre.  Selon lui, le panache de contamination aurait été beaucoup plus large aux abords de la rivière Jacques-Cartier au cours des années passées.

[289]     Alors, dans les conclusions de son rapport du 20 décembre 2010 (Pièce DC-147 a), Le Dr Lefebvre écrit:

«Ce rapport est un addendum du rapport d'expertise soumis en juillet 2010. […]  Au niveau de l'évaluation de la recharge, nous soulignons dans ce rapport que l'approche utilisée par le Dr Chapuis pour évaluer la recharge basée sur les débits de la rivière Jacques-Cartier n'est pas représentative et ne permet pas de reproduire les observations des niveaux d'eau qui ont été faites dans la région d'étude.  Au contraire, notre évaluation de la recharge reproduit les niveaux d'eau et est supportée par d'autres études réalisées dans la région (Mailloux et al., 2008; Blouin, 2010).

Ce rapport présente aussi une révision de certaines de nos conclusions antérieures concernant la migration du TCE vers Shannon sur la base de nouvelles informations qui nous ont été rendues disponibles sur l'historique des conditions de pompage.  […]  Le modèle permet d'identifier les puits qui interceptent le TCE émis par les différentes zones sources et de définir la provenance de l'eau souterraine qui atteint Shannon et qui peut contenir ou non du TCE.  Considérant ces conditions, l'estimation de notre rapport de juillet 2010 sur le début et la durée de la migration du TCE vers Shannon à partir des zones sources ont été révisés pour les zones sources à l'origine des voies de migration 4 (Lagune C à la SIVI) et 2 (B98, B67 et Lagon Bleu à RDDC-Nord et Secteur 214 à la SIVI).  […]  Cette révision indique que le TCE serait arrivé vers le milieu des années 1990 par les voies de migration 2 et 4.  Le pompage n'a toutefois pas affecté la migration du TCE à partir de la zone source potentielle qui pourrait être associée au dépotoir à l'ouest des terrains de la SIVI ou aux Lagunes X et A (à l'origine de la voie de migration 3 de notre rapport de juillet 2010).  L'estimation de notre rapport antérieur concernant l'arrivée du TCE à Shannon dans le milieu ou à la fin des années 1990 en provenance de ces zones sources demeure donc inchangée.

[…]  Au niveau des puits des Industries Valcartier, ils auraient intercepté le TCE dès le début des émissions à la zone source du Secteur 214 puis de la Lagune C à des concentrations globales situées entre 2 et 163 µ/L.  Sauf pour P5 et les deux puits SRGU, les autres puits utilisés pour l'alimentation en eau de la Garnison Valcartier n'auraient pas intercepté de concentrations significatives de TCE émis par les zones sources de TCE considérées dans notre étude.  Pour le puits P5 de la Garnison Valcartier, entre 1972 et 1991, il y aurait pu y avoir une interception mineure du TCE émis aux zones sources de RDDC Nord qui était principalement capté par les puits des Industries Valcartier.  Cette interception aurait pu se traduire par une concentration détectable ou non de TCE à ce puits.  Entre 1992 et 1996, après la fermeture des puits des Industries Valcartier, les puits P5 et SRGU auraient intercepté le TCE émis par les zones sources de RDDC Nord et en partie du Secteur 214 et de la Lagune C, ce qui aurait entraîné des concentrations de l'ordre de 10 à 45 µg/L.  Ces concentrations estimées aux puits P5 sont cohérentes avec les observations depuis 1997, de même que l'absence de détection de TCE au puits P-5 en 1987 (p. 12 et 13)

[soulignement ajouté]

[290]     Que nous enseignent les rapports d'expertise des Drs Chapuis et Lefebvre, et surtout, que peut-on retenir des conclusions qu'ils proposent dans le cadre de l'analyse d'une preuve qui doit reposer sur un critère de probabilité et non de possibilité?

[291]     On ignore la quantité exacte de TCE utilisée au RDDC Nord pendant une période d'à peu près trente ans, soit de 1958 à 1985.  De même qu'on ignore la quantité exacte de TCE utilisée par SIVI pendant une période de près de cinquante ans, soit de 1940 à 1991, date de la cessation de ses opérations.

[292]     Toutefois, la preuve démontre que SIVI a utilisé une plus grande quantité de TCE que celle utilisée au RDDC Nord et que la période de déversement, indépendamment de l'un ou l'autre des sites, se situerait du début des années 40 au milieu des années 80, date de l'adoption de la réglementation provinciale sur la disposition des déchets dangereux, soit une période d'à peu près quarante-cinq ans.

[293]     Cette même période correspond à celle au cours de laquelle les différents puits de SIVI et de la Base militaire situés dans la région  de certaines voies de migration, les voies de migration 2 et 4 selon le Dr Lefebvre, ont pompé le plus grand volume d'eau.

[294]     Ces puits, propriétés de SIVI ou de la Base militaire, construits entre 1939 et 1991, sont les suivants:

Les puits de SIVI:      

No 1, construit en 1939

No 2, construit en 1940

No 3, construit en 1941

No 4, construit en 1951

[295]     Ces quatre puits, situés dans l'axe de la voie de migration 2 qui capte les eaux souterraines du RDDC Nord, dont le Lagon bleu, et de SIVI, dont le secteur 214, pompaient le plus grand volume d'eau, soit plus de 6 000 m3/ jour qui servait à la production de l'usine de fabrication de munitions et non à la consommation.  Cette eau était par la suite traitée dans une usine de filtration avant d'être rejetée dans la nature.

Les puits de la Base militaire:

Ancien puits No 1 (bâtiment 25)

Ancien puits No 2 (bâtiment 25)

Ancien puits No 3 (bâtiment 156)

[296]     De ces trois puits dont on ignore la date de construction, seuls les puits No 1 et No 2 sont situés dans l'axe de la voie de migration 2.

Puits P2 (bâtiment 27) construit en 1956

Puits P4 (bâtiment 28) construit en 1955

Puits SRGU-1 (bâtiment 524) et SRGU-2 (bâtiment 525) construits en 1961

Puits P5 (bâtiment 525-A) construit en 1971 (principal puits du réseau d'aqueduc qui remplace P-2)

Puits P6, construit en 1991

Puits P7 (bâtiment 193) construit en 2001

[297]     Les puits P2, SRGU-1, SRGU-2, P5 et P6 sont aussi situés dans l'axe de la voie de migration 2.

[298]     Selon la preuve, le réseau d'aqueduc de la Base militaire aurait été alimenté en eau potable par les puits ci-après désignés aux périodes suivantes:

•    P2 (bâtiment 27) de 1956 À 1971

•    P4 (bâtiment 28) de 1955 à 1971

•    P5 (bâtiment 525-A) de 1971 à 2001

•    SRGU-1 (bâtiment 524) et SRGU-2 (bâtiment 525) de 1971 à 1995

•    P7 (bâtiment 193) depuis 2001

[299]     Pour résumer, cela signifie donc que pendant la période d'utilisation et de déversement du TCE, soit de 1940 à 1985, les quatre puits de SIVI (construits en 1939, 1940, 1941 et 1951) ont pompé jusqu'au mois de juin 1991 au-delà de 6 000 m3/jour d'eau servant à la production.

[300]     De 1956 à 1971 s'est ajouté le puits P2 (bâtiment 27) qui est situé près du territoire de la municipalité de Shannon, loin des zones sources du RDDC Nord et du secteur 214 de SIVI.

[301]     De 1961 à 1971 s'ajoutent les puits SRGU-1 et SRGU-2.

[302]     Et, de 1971 à 2001, les puits P5, SRGU-1 et SRGU-2 prennent le relais du puits P2.

[303]     Si on considère les deux zones sources RDDC Nord et SIVI secteur 214, la situation du pompage des puits pendant la période d'utilisation et du déversement du TCE se présente ainsi:

-     Déversement de TCE de 1940 à 1985;

-     Les puits de SIVI No 1, No 2, No 3 et No 4 pompent de 1940 à 1991;

-     S'ajoutent aux puits de SIVI les puits SRGU-1 et SRGU-2 à compter de 1961 qui, jusqu'en 1971, ne sont pas raccordés au réseau d'aqueduc de la Base militaire;

-     Et, à compter de 1971 s'ajoute le puits P5, principal puits du réseau             d'aqueduc de la Base militaire.

[304]     On peut donc retenir que de 1971 à 2001 les puits SRGU-1, SRGU-2 et P5 alimentent le réseau d'aqueduc de la Base militaire, dont la Garnison Valcartier, les logements familiaux, le RDDC et SIVI.

[305]     Pourtant, en 1987 une analyse de l'eau du puits P5 démontre qu'il n'y a pas de TCE (Pièce PGC-64 # 2).

[306]     Ce n'est qu'en 1995 que l'on constate la présence de TCE dans le réseau d'aqueduc, soit le 25 avril 1995 au bâtiment 516 (Gymnase et piscine), 101 µg/l, et le 27 avril 1995 au bâtiment 601 (chlorinateur et contrôle), 85,8 µg/l (Pièce PGC-45).

[307]     Ce constat tend à démontrer que pendant la période au cours de laquelle les puits No 1, No 2, No 3 et No 4 de SIVI étaient en opération, soit de 1940 à 1991, ils auraient récupéré le TCE provenant des zones sources RDDC Nord et du secteur 214 de SIVI.  Ce qui confirmerait que le réseau d'aqueduc de la Base militaire alimenté en eau potable depuis 1971 par les puits P5, SRGU-1 et SRGU-2 aurait été contaminé par le TCE après 1991 seulement.

[308]     Qu'en est-il du territoire de la municipalité de Shannon?

[309]     La situation se présente un peu différemment et cela pour les raisons suivantes.

[310]     Premièrement, à compter de 1998, on diminue la concentration de TCE dans le réseau d'aqueduc de la Base militaire en se servant de l'apport des puits P2 et P4, la concentration de TCE dans P5 demeurant à peu près constante.  Cela confirme qu'il y a donc toujours du TCE dans la voie de migration 2 qui se dirige vers la municipalité de Shannon.

[311]     Deuxièmement, qu'en est-il des voies de migration 1, 3 et 4, toutes situées en aval des puits No 1, No 2, No 3 et No 4 de SIVI et des puits SRGU-1, SRGU-2 et P5 de la base?

[312]     Selon le Dr Lefebvre, la voie de migration 4, dont la source de contamination est la lagune C située sur le terrain de SIVI, subit également l'influence des puits P-1, P-2, P-3 et P-4 de SIVI.  Ces puits cessent d'être en opération en 1991.

[313]     Par ailleurs, la voie de migration 3 ne subit aucune influence, ce que confirme le Dr Lefebvre lorsqu'il écrit:

«Le pompage n'a toutefois pas affecté la migration du TCE à partir de la zone source potentielle qui pourrait être associée au dépotoir à l'ouest des terrains de la SIVI ou aux Lagunes X et A (à l'origine de la voie de migration 3 de notre rapport de juillet 2010).  L'estimation de notre rapport antérieur concernant l'arrivée du TCE à Shannon dans le milieu ou à la fin des années 1990 en provenance de ces zones sources demeure donc inchangée.»

[314]     Pour résumer, selon le Dr Lefebvre, le pompage des puits de SIVI et de la Base militaire a affecté l'écoulement et la migration du TCE à partir des zones sources.

[315]     Les puits P-1, P-2, P-3 et P-4 de SIVI ont pu capter du TCE à partir de 1946 et le puits P-5 de la Base militaire à pu en capter à partir de 1992.

[316]     Il en résulte que «les émissions de TCE à partir du RDDC-Nord ont été interceptées par le pompage jusqu'à 1997 (date du début de la migration vers Shannon) et celles à partir du secteur 214 et de la lagune C au moins jusqu'à 1992 (seconde date du début de la migration vers Shannon)» (Pièce DC-147 c), p. 58).

[317]     La durée d'exposition au TCE des différents puits serait, selon le modèle du Dr Lefebvre:

-     Puits au Industries Valcartier entre 1946 et 1991;

-     Puits P-5 à la Garnison Valcartier entre 1992 et 1999;

-     Puits résidentiels de Shannon localisés à l'intérieur du panache principal     (avant 2001);

      •     Exposition de 0 à 4 ans reliée à RDDC Nord

      •     Exposition de 0 à 9 ans reliée au Secteur 214

      •     Exposition de 0 à 6 ans reliée à la lagune C

      •     Exposition de 1 à 11 ans reliée à une zone source potentielle (dépotoir, Lagune «A» ou lagune «X») (Pièce DC-147 c, p. 60).

[318]     L'Annexe «B», confectionnée à partir de l'information contenue dans les tableaux que l'on retrouve aux rapports d'expertise des Drs Chapuis et Lefebvre, démontre en ce qui concerne plus particulièrement les zones sources suivantes:

•    B67 - RDDC Nord - Voie de migration 2;

•    Lagon bleu - RDDC Nord - Voie de migration 2;

•    Secteur 214 - SIVI - Voie de migration 2;

•    Lagune «C» - SIVI - Voie de migration 4;

qu'ils s'entendent sur le temps de migration du TCE qui est de l'ordre de dix ans pour les trois premières sources (voie de migration 2) et de six à huit ans pour la dernière (voie de migration 4).

[319]     Il y a cependant divergence d'opinions au sujet de la voie de migration 3.

[320]     Par ailleurs, le Dr Lefebvre, qui prend en considération l'effet qu’a eu le pompage des puits, précise pour chacune des zones sources une date du début de la migration vers Shannon, faisant en sorte qu'il y a une grande divergence d'opinion au sujet de la date d'arrivée moyenne du TCE à Shannon et la durée d'exposition.

[321]     Pour le Dr Lefebvre, la durée d'exposition maximum se situerait entre quatre et onze ans.

[322]     Pour le Dr Chapuis, la durée d'exposition au TCE des résidants de la municipalité de Shannon provenant des différentes sources se situerait entre 18 et 45 ans, accordant ainsi moins d'importance à l'effet qu'aurait eu le pompage des puits.

[323]     Donc, les durées d'exposition au TCE des résidants de Shannon évaluées par les Drs Chapuis et Lefebvre ne sont aucunement conciliables.  Il en est de même pour la concentration en TCE que les puits des résidences de la municipalité pouvaient contenir avant l'année 2000.

      B)  Intrusions de vapeurs de TCE

[324]     Les intrusions de vapeurs dans un immeuble peut provenir de la migration de composés organiques volatiles d'une source souterraine qui pénètrent à l'intérieur du bâtiment par les drains, des fissures ou des perforations dans la dalle de béton ou les murs de fondation.

[325]     Ce phénomène d'intrusions de vapeurs est essentiellement dû à la différence de pression entre l'air extérieur et l'air intérieur d'un bâtiment qui crée un «effet cheminée», c'est-à-dire qui favorise le mouvement de l'air de l'extérieur vers l'intérieur.  Les conditions hivernales qui créent une plus forte pression extérieure favorisent habituellement un tel effet.

[326]     Trois témoins experts ont témoigné sur cette question:

•    Monsieur Patrick Renaud de la firme Laforest Nova Aqua (LNA), géologue de formation, a témoigné à titre d'expert en caractérisation environnementale pour la partie demanderesse.  Il a produit un rapport intitulé:

Ø  Étude d'évaluation d'intrusions de vapeurs de TCE et de la qualité de l'eau souterraine à Shannon - 8 janvier 2010 et 28 janvier 2010 (Pièces R-128 et R-128 a), accompagné d'une présentation PowerPoint (Pièce R-128 c).

•     Monsieur Gordon Thompson, ingénieur en environnement, et monsieur Éric Bergeron, ingénieur chimiste dans le domaine de l'environnement, deux témoins de la partie défenderesse, ont témoigné à titre d'experts en environnement, notamment dans la recherche, l'analyse et l'interprétation de données portant sur l'eau souterraine et l'air.

M. Thompson, de la firme Conestoga - Rovers et associés (CRA), a produit un rapport intitulé:

Ø  Suivi de l'intrusion potentielle de vapeurs Shannon - Québec, mai 2010 (Pièce DC-145), accompagné d'une présentation PowerPoint (Pièce DC-145 b).

            •     M. Bergeron, de la firme Golder associés, a produit un rapport intitulé:

Ø  Avis d'expert relativement à l'intrusion de vapeurs dans les résidences de la municipalité de Shannon - 14 mai 2010 (Pièce DC-146 A) accompagné d'une présentation PowerPoint (Pièce DC-146 d).

[327]     L'expertise de M. Renaud de LNA a été faite en deux étapes.  Il a expertisé cinq résidences au mois de mars 2009 et il en a expertisées treize autres au mois de janvier 2010.

[328]     Par ailleurs, les firmes Golder et CRA avaient déjà été mandatées par le ministère de la Défense nationale au cours de l'année 2007 pour vérifier si effectivement on retrouvait des vapeurs de TCE à l'intérieur des résidences de la municipalité de Shannon et pour assurer le suivi de cette vérification.

[329]     C'est pour cette raison que M. Thompson, de CRA, a pu présenter des mesures datant de 2007, 2008, 2009 et 2010.  M. Bergeron, de Golder, a quant à lui présenté des mesures datant du mois de mars 2007.

[330]     Pour faciliter la lecture de ces différentes mesures, un tableau synthèse a été élaboré à l'Annexe «D».  Il démontre:

1)  Les deux premières phases d'échantillonnage de TCE effectuées dans la municipalité de Shannon aux mois de décembre 2000 et janvier 2001 (Pièce R-11.1);

2)  Les résultats des prises de mesures de l'air intérieur (AI), de l'air sous la dalle (ASD), de l'eau de puits (EDP) et de l'air extérieur tels qu'ils ont été constatés aux dates indiquées dans les différents rapports d'expertise.

[331]     Trois informations préalables à l'examen de ce tableau synthèse sont pertinentes.

[332]     Premièrement, Santé Canada a suggéré en 2006 une valeur guide provisoire fixant la concentration maximale acceptable (CMA) de TCE à l'intérieur d'un immeuble résidentiel.  Santé Canada a fixé cette valeur guide provisoire à 5 µg/m3.

[333]     L'INSPQ s'est déclarée d'accord avec cette valeur guide provisoire et la méthode d'analyse de Santé Canada pour la déterminer (PGC-73, # 76).

[334]     Deuxièmement, on reconnaît qu'il est possible de retrouver à l'intérieur des résidences au Canada la présence de vapeurs de TCE que l'on appelle «bruit de fond», causées par l'utilisation de différents produits domestiques contenant du TCE.  Ce bruit de fond est généralement inférieur à 1µg/m3.

[335]     Troisièmement, à l'occasion des différentes prises de mesures, les limites de détection des appareils utilisés étaient les suivantes:

     CRA: 0,48µg/m3

•      LNA: 1,61µg/m3

[336]     CRA utilisait donc un appareil plus sensible que LNA, favorisant ainsi une meilleure précision des mesures.

[337]     Le tableau synthèse en Annexe «D» démontre que:

-     Sur les cinq premières résidences vérifiées par M. Renaud de LNA au mois de mars 2009, soit les résidences «1» à «5», seule la résidence «4» située au 6, rue Juneau, avait une concentration de vapeur de TCE supérieure à la valeur guide provisoire fixée à 5 µg/m3;

-     La concentration de vapeurs de TCE de l'air intérieur de cette résidence était de 7,7µ/gm3.

[338]     Curieusement, la concentration de l'air sous la dalle de cette résidence était inférieure à la concentration intérieure, soit 5,7µg/m3.  Ce qui devrait en principe être le contraire dû à «l'effet cheminée» qui favorise le mouvement de l'air de l'extérieur vers l'intérieur.  De plus, quoique cela ne soit pas nécessairement significatif, aucune présence de TCE n'avait été décelée dans l'eau du puits au mois de janvier 2001.  Mais, on a décelé 60 µg/l au mois de décembre 2008.

[339]     Au mois de mars 2010, M. Thompson de CRA mesure à cette même adresse une concentration intérieure de 0,49 µg/m3 et aucune présence de TCE sous la dalle.

[340]     Sur les treize résidences vérifiées par M. Renaud de LNA au mois de janvier 2010 («6» à «18»), seule la résidence «13» située au 4, rue Juneau, à l'intérieur du «triangle rouge», démontre une concentration en TCE.  Cette concentration est encore une fois inférieure à la valeur guide provisoire.  Elle est de 4,59 et 4,92 µg/m3.

[341]     Deux mois plus tard, soit au mois de mars 2010, M. Thompson de CRA détecte une concentration de 3,8 µg/m3 pour l'air intérieur et de 4,4 µg/m3 et 16 µg/m3 pour l'air sous la dalle.

[342]     Tous les autres résultats de vapeurs de TCE détectées par M. Renaud de LNA au mois de janvier 2010 concernent des résidences situées à l'extérieur du «triangle rouge».  Pour toutes ces résidences, il n'y a aucune détection de TCE dans l'air sous la dalle.

[343]     Sauf pour une de ces résidences, soit la résidence «9» située au 11, rue Conway, M. Thompson de CRA n'a détecté aucune trace de vapeur de TCE dans l'air intérieur et l'air sous la dalle.

[344]     Au sujet de cette résidence située au 11, rue Conway, le résultat de M. Renaud de LNA est:

                        AI : (ND) 4,27

[345]     Les résultats de M. Thompson de CRA sont:

                        AI :       1,4

                        ASD :  75,0 - 34.0

 

[346]     M. Thompson explique ainsi ce résultat:

«Les résultats élevés à 11, rue Conway (ASD-5 et ASD-6) peuvent être expliqués par l'effet que l'implant n'a pas pu être installé de façon étanche (test d'hélium à 0,3 % au lieu de 0,1%) dû à l'absence d'une dalle de béton dans cette maison.  Malgré cette anomalie d'étanchéité, la concentration de TCE dans l'air ambiant de la maison n'a donné que 1,4 µg/m3, soit bien moins que la valeur recommandée de Santé Canada qui est de 5 µg/m3

[347]     Concernant les autres résidences à l'égard desquelles M. Renaud de LNA a mesuré des concentrations de vapeur de TCE supérieures mais avoisinant la norme provisoire de 5 µg/m3, M. Thompson de CRA n'a mesuré aucune concentration de vapeur de TCE dans l'air intérieur et dans l'air sous la dalle.

      Les sciences médicales

[348]     Définie généralement, la médecine regroupe l'ensemble des connaissances scientifiques qui concernent entre autres les maladies. Elle se préoccupe ainsi de leur cause, de leur mode d'apparition, de leur fréquence, de leur évolution, du diagnostic et du traitement.

[349]     Le TCE est-il la cause du nombre anormalement élevé de cas de cancers, maladies et autres malaises allégués par Mme Spieser?  En fait, la question se résume plus particulièrement à savoir si le TCE cause le cancer et, si oui, cause-t-il tous les types de cancer?

[350]     La preuve sur cette question fait appel à plusieurs sciences qui doivent être regroupées et présentées de façon à favoriser une meilleure compréhension et faciliter son analyse qui comportera trois parties.

[351]     Sans aucune prétention de quelque nature que ce soit et surtout bien conscient de la très grande complexité du sujet, on tentera de définir sommairement ce qu'est le cancer et d'expliquer succinctement son processus de formation, soit la cancérogenèse aussi appelée la carcinogenèse ou l'oncogenèse.

[352]     Suivra la présentation des opinions des témoins experts en toxicologie, toxicologie moléculaire, épidémiologie et oncologie, d'une part sur les principes et les fondements de leur science et d'autre part, sur l'application de ces principes à la situation des résidants de la municipalité de Shannon.

[353]     Une synthèse et une analyse des différents aspects de cette preuve portant sur les sciences médicales seront présentées au chapitre réservé à l'analyse de la preuve.

 

      •     Le cancer

[354]     Le texte qui suit s'inspire des différents témoignages des témoins experts présentés de part et d'autre, notamment le Dr Raymond Van Coillie et le Dr Régen Drouin, ainsi que de leur rapport d'expertise et du Larousse médical, édition 2006.

[355]     Selon l'un des experts en toxicologie, le Dr Drouin, «Le Cancer est une maladie génétique» étant donné que «ce sont des gènes qui sont responsables de son développement». L'altération d'un seul gène peut provoquer un mécanisme de prolifération cellulaire anarchique, incontrôlée et incessante qu'est un cancer.

[356]     Une seule cellule du corps humain peut donc être à l'origine d'un cancer.

[357]     La cellule est la structure de base du corps humain, le plus petit élément qui a les attributs de la vie.  La plupart des cellules humaines ont une structure semblable composée de trois éléments principaux:

-     Le noyau contient les chromosomes formés d'une longue molécule d'acide désoxyribonucléique (ADN), support de l'information génétique;

-     Le cytoplasme est une matière fluide qui entoure le noyau.  Il contient de nombreux organites dont les «mitochondries»  qui contiennent leur propre ADN et fournissent entre autre l'énergie nécessaire à la cellule, notamment pour sa reproduction;

-     La membrane est l'enveloppe externe qui sépare la cellule du milieu extérieur.

[358]     Revenons au noyau de la cellule.  Le noyau de chaque cellule humaine, excepté les cellules sexuelles appelées les «gamètes», possèdent 22 paires de chromosomes appelés «autosomes», numérotées de 1 à 22 par ordre de taille décroissante, ainsi qu'une paire de chromosomes sexuels appelés «gonosomes»:  XX chez la femme et XY chez l'homme.  Les gamètes (l'ovule chez la femme et le spermatozoïde chez l'homme) sont les cellules reproductrices et n'ont qu'un seul exemplaire de chaque chromosome.

[359]     Le chromosome est formé d'une longue molécule d'ADN constituée de deux brins parallèles qui ont l'apparence d'un filament en forme d'hélice.  L'ADN porte le code génétique qui permet aux cellules issues de la cellule mère lors de la division cellulaire que l'on appelle la «mitose» d'être identiques à celle-ci.

[360]     Les gènes sont des segments de la molécule d'ADN situés à des endroits bien précis que l'on appelle «locus».  La localisation d'un gène sur une molécule d'ADN est identique d'une génération à l'autre à la suite de la mitose.  L'être humain possèderait près de 30 000 gènes différents répartis sur les 23 paires de chromosomes que l'on retrouve dans le noyau de chaque cellule.  L'ensemble du matériel génétique codé dans l'ADN, c'est-à-dire dans toutes les molécules d'ADN d'une cellule, est appelé «génome».  Et, le «génotype» est l’ensemble des caractères génétiques d’un être vivant, qu’ils se traduisent ou non dans son «phénotype», c’est-à-dire l’ensemble de ses caractéristiques corporelles, qu’elles soient physiques ou biologiques.

[361]     Si l'un de ces gènes est altéré, entre autres par un agent cancérigène[11], et que survient une mutation de ce gène lors de sa reproduction, il peut alors s'enclencher un mécanisme de reproduction cellulaire anarchique, incontrôlée et incessante provoquant l'apparition d'une tumeur qui, lorsqu'elle se développe et grossit, peut devenir hors contrôle. Il s'agit alors d'une «tumeur maligne» que l'on désigne aussi «tumeur cancéreuse».

[362]     Le cancer peut mettre de longues années à se manifester.  En fait, il peut apparaître 10, 20, 30 ou même 40 ans après l'exposition à un agent cancérogène connu ou à une substance qu'on soupçonne de causer le cancer.  Aussi, plusieurs autres facteurs peuvent contribuer au développement du cancer, dont l'hérédité, l'alimentation et les habitudes de vie.

[363]     La cancérogenèse fait donc l'objet de nombreuses recherches qui suscitent de multiples débats.  Toutefois, selon l'un des experts en toxicologie, le Dr Van Coillie, qui a écrit sur la question certains extraits étant ici reproduits, il existerait «un consensus sur l'évolution lente du phénomène en trois phases, à savoir l'initiation ou endogénicité, la promotion ou épigénicité, et la conversion ou oncogénicité».

[364]     L'initiation est la phase pendant laquelle se produit une agression génotoxique de l'ADN.  Suite à une telle agression, il peut arriver que la partie altérée de l'ADN soit remplacée au terme d'un processus naturel d'«autoréparation».  Il peut aussi arriver que la cellule meure (ce «suicide» cellulaire ou cette «mort programmée» s'appelle «l'apoptose») et soit remplacée par une autre.  Mais lorsque l'un ou l'autre de ces phénomènes n'intervient plus, le processus d'initiation peut devenir progressivement irréversible.  «L'initiation est donc une lutte à finir entre l'agression génotoxique de l'ADN et l'autoréparation de l'ADN».  Cette première phase qu'est l'initiation qui implique une réaction directe sur l'ADN porte aussi le nom «endogénicité».

[365]     De façon générale, on peut dire qu'il y a «deux grandes familles de gènes qui protègent les cellules pour qu'elles ne deviennent pas cancéreuses: les oncogènes et les gènes suppresseurs de tumeurs.  Les oncogènes (ou proto-oncogènes, pendant qu'ils fonctionnent normalement) sont des gènes essentiels au bon fonctionnement des cellules.  Par contre, lorsqu'ils sont altérés ou activés par différents mécanismes ou agents, ils peuvent devenir hyperactifs et favoriser une division anormale et accélérée des cellules.  On parle de prolifération tumorale ou cancéreuse.  Cette caractéristique est commune à tous les cancers.  […] Les gènes suppresseurs de tumeurs (ou de cancers) sont des gènes qui ont pour rôle de maintenir les fonctions normales de la cellule (se diviser, se réparer et mourir [apoptose].  Lorsque ces gènes subissent des mutations, ils ne peuvent plus assurer leur fonction normale de gardien du bon fonctionnement de la cellule.  Un cancer se développe».

[366]     La promotion est la phase où se multiplient les cellules «initiées», c'est-à-dire les cellules agressées par un agent génotoxique, ce qui amène graduellement des prénéoplasmes ou des lésions prénéoplasiques.

[367]     Le mécanisme d'action de la promotion n'implique donc pas une réaction directe sur l'ADN, d'où l'appellation «épigénicité», par rapport à la phase précédente appelée «endogénicité».

[368]     Enfin, la conversion ou l'oncogénicité «est la phase pendant laquelle se développent les cellules anarchiques dans les tumeurs issues de la promotion; les lésions prénéoplasiques ou prénéoplasmes bénins évoluent alors en lésion néoplasmiques ou néoplasmes malins» qui sont des tumeurs cancéreuses.

[369]     Cette phase est irréversible.  Elle constitue l'étape finale et décisive de l'apparition d'un cancer.  Seule l'ablation des tumeurs cancéreuses par chirurgie, chimiothérapie et/ou radiothérapie peut arrêter la progression du cancer.

[370]     Un cancer est donc le résultat de la division multiple d'une cellule «anarchique».  Selon l'un des experts oncologues, le Dr Drouin, «il se développe en fonction d'interactions complexes entre la susceptibilité génétique d'un individu et les différents facteurs de risque auxquels il est exposé».

[371]     Quelques données de la Société canadienne du cancer tirées des «FAITS SAILLANTS» des Statistiques canadiennes sur le cancer 2010 (Pièce PGC-100) démontrent l'ampleur de cette maladie:

«On estime que 173 800 nouveaux cas de cancer (à l'exclusion de 75 500 cas de cancer de la peau autre que le mélanome) et 76 200 décès causés par cette maladie surviendront au Canada en 2010.»

«Plus d'hommes que de femmes reçoivent un diagnostic de cancer, mais l'écart entre les deux sexes a diminué au cours des dernières années (51,7 % des cas de cancer sont des hommes tandis que 48,3 % sont des femmes).»

«Tant chez les hommes que chez les femmes, le deuxième siège de cancer le plus fréquent est le cancer du poumon (13,9 %), tandis que le cancer du côlon et du rectum arrive au troisième rang (12,9 %).  Les cancers les plus fréquents demeurent le cancer de la prostate chez l'homme et le cancer du sein chez la femme, dont on prévoit respectivement 24 600 et plus de 23 200 nouveaux cas en 2010.  Quatre cancers (sein, poumon, côlon et rectum et prostate) représenteront 54,4 % de tous les cancers diagnostiqués au Canada en 2010.»

«Le cancer du poumon demeure la première cause de décès par cancer, tant chez l'homme (28,0 %) que chez la femme (26,0 %).  Tandis que le cancer de la prostate est le plus fréquent chez les hommes, il se classe au troisième rang sur le plan de la mortalité, causant environ 4 300 décès.  Le cancer du sein, qui représente 27,6 % des cas de cancer chez la femme, se classe au deuxième rang sur le plan de la mortalité (14,6 %).  Le cancer du côlon et du rectum a un impact important sur la mortalité chez les deux sexes combinés, et 9 100 décès sont attendus (11,9 % de tous les décès).»

«Les hausses du nombre de nouveaux cas de cancer sont principalement attribuables à la croissance démographique et au vieillissement de la population.»

«Le risque de cancer augmente avec l'âge; 43 % des nouveaux cas de cancer et 61 % des décès par cancer touchent des personnes de 70 ans et plus.»

«Les taux d'incidence et de mortalité chez les hommes dépassent ceux enregistrés chez les femmes vers l'âge de 55 ans.»

 «Environ 29 % des décès au Canada sont liés au cancer.»

«Le taux de mortalité est en déclin chez les hommes de la plupart des groupes d'âge et chez les femmes de moins de 70 ans.»

«Le cancer du poumon demeure la première cause de décès par cancer, tant chez les hommes (28%) que chez les femmes (26%).»

«Plus du quart (27 %) de tous les décès par cancer sont attribuables au cancer du poumon.»

[372]     Cependant, la recherche nous permet de conserver un espoir:

«En excluant le cancer du poumon, le taux de mortalité global par cancer a diminué de près de 20% chez les femmes depuis 1981.»

«Entre 1996 et 2005, le taux de mortalité global a beaucoup diminué chez les deux sexes.  Le taux a diminué d'au moins 2 % par année pour les cancers du poumon, de la cavité buccale, de la prostate et du larynx chez les hommes, pour le cancer du col de l'utérus chez les femmes; et pour le cancer de l'estomac et le lymphome non hodgkinien chez les deux sexes.»

[373]     La pertinence de ces quelques informations réside dans le fait que la preuve des experts en toxicologie et toxicologie moléculaire se situe au niveau de l'un ou l'autre des 30 000 gènes, dont chacun, rappelons-le, est un segment d'une molécule d'ADN que l'on retrouve dans les 23 paires de chromosomes situés dans le noyau de chaque cellule humaine.

      A)  La toxicologie

[374]     La toxicologie est la science qui traite des effets nocifs des substances chimiques (et de certains agents physiques) sur les organismes vivants.  Les grandes fonctions de la toxicologie sont de:

Ø  Découvrir et décrire les effets nocifs;

Ø  En expliquer les mécanismes;

Ø  Prédire le risque toxique ou son évaluation (évaluation des risques).

[375]     Une substance, tel un agent chimique, peut causer divers types d'effets toxiques, cancérogènes et/ou non-cancérogènes.  Mais, dans chaque cas, il y a une relation entre la dose absorbée et son effet, la réponse.

[376]     En toxicologie, la «relation dose-réponse» est donc une équation fondamentale qui signifie que la fréquence d'apparition d'un effet toxique croît avec le niveau d'exposition à une substance, qui peut être chimique.

[377]     Dans la recherche de l'évaluation d'un risque, celui-ci est ainsi fonction de la nature de la substance (le danger), la concentration de celle-ci et la durée pendant laquelle le sujet est exposé à cette substance (l'exposition) ou (la dose).

Risque = Danger X Exposition (Dose)

[378]     Dans le contexte de la présente affaire, cette équation signifie:

Risque    =        Danger       X             Exposition

                                                                        Concentration X Durée

                                              TCE                                 Dose

[379]     On le constate, la toxicologie n'est pas une science exacte.  C'est une science dont les conclusions reposent sur de multiples analyses basées sur de nombreuses expériences.

[380]     La toxicologie moléculaire est cette partie de la toxicologie qui étudie les risques qui peuvent affecter les gènes qui composent les molécules d'ADN que l'on retrouve dans les 23 paires de chromosomes du noyau de chaque cellule humaine.  On parle alors d'agent génotoxique, ce qui veut dire qui affecte les gènes.

[381]     Six témoins experts, de formation et d'expériences différentes, ont été entendus en rapport avec une preuve portant sur la toxicologie et la toxicologie moléculaire.

[382]     D'une part, à la demande de Mme Spieser, les personnes suivantes ont témoigné:

•     Le Dr Michel Charbonneau, expert en biochimie, toxicologie et pharmacologie, spécialiste des mécanismes des agents chimiques conduisant à la formation des cancers;

•     Le Dr Sydney Finkelstein, expert en pathologie traditionnelle et pathologie moléculaire;

•     Le Dr Raymond Van Coillie, expert en toxicologie environnementale.

 

[383]     Les Drs Charbonneau et Finkelstein ont produit un rapport intitulé:

Ø  Expertise de toxicologie moléculaire des cancers observés chez les gens de la population de Shannon exposés au trichloroéthylène (TCE) - 27 janvier 2009 (Pièce R-31.5) accompagnée des présentations PowerPoint (Pièces 31.5 b) et 31.5 h).

[384]     Le Dr Van Coillie a produit un rapport intitulé:

Ø  Toxicologie reliée à la contamination de trichloroéthylène (TCE) dans l'eau souterraine de Shannon - Novembre 2008 (Pièce R-15.2) et mise à jour - Janvier 2010 (Pièce R-15.3).

[385]     D'autre part, à la demande des défendeurs, les personnes suivantes ont témoigné:

            •     Le Dr Régen Drouin, expert en oncogénétique et toxicologie moléculaire, a produit un rapport intitulé:

Ø  Expertise de toxicologie moléculaire des cancers observés chez les gens de la population de Shannon exposés au trichloroéthylène (TCE) (Pièce DC-143) accompagnée d'une présentation PowerPoint (Pièce DC-143 c).

            •     Le Dr Leonard Ritter, expert en toxicologie «specifically in assessment in the hazard risk and exposure notably in relation to cancer», a produit un rapport intitulé:

Ø  Shannon report - March 21, 2010 (Pièce DC-142) accompagné d'une présentation PowerPoint (Pièce DC-142 c).

            •     Le Dr Robert Tardif, expert en toxicologie dans le domaine de la santé publique avec une expertise particulière dans l'analyse de risque, a produit un rapport intitulé:

Ø  Analyse critique d'une analyse de risque toxicologique - Janvier 2010 (DC-140 a) et Complément portant sur les effets cancérogènes et non cancérogènes - 2 juin 2010 (Pièce DC-140 b) accompagné d'une présentation PowerPoint (DC-140 d).

            •     L'analyse toxicologique moléculaire

[386]     Les témoignages des Drs Charbonneau et Finkelstein d'une part, et des Drs Ritter et Drouin d'autre part, traitent de toxicologie moléculaire.

[387]     Pour bien saisir la portée des témoignages et du rapport (Pièce R-31.5) des Drs Charbonneau et Finkelstein, quelques précisions s'imposent.

[388]     L'expertise que le Dr Charbonneau a effectuée a comme prémisse les constatations et les résultats que l'on retrouve dans l'analyse toxicologique du Dr Van Coillie.

[389]     De plus, à l'instar du Dr Ozonoff, le Dr Charbonneau est d'avis que le TCE est un agent génotoxique à l'égard duquel il n'existe aucun seuil sécuritaire d'exposition.  Ce qui revient à dire qu'il n'existerait aucune possibilité de concentration maximale acceptable (CMA) et une exposition à quelque dose que ce soit, la plus minime soit-elle, peut provoquer un cancer.

[390]     Il écrit:

«Il fut conclu que pour un nombre d'habitations comparables, soit 55 maisons dans chacune des deux zones, le nombre de cas ce cancers trouvés est cinq fois plus élevé dans la zone rouge au fort niveau d'exposition que dans la zone témoin.  Cette étude toxicologique, et non épidémiologique, s'appuyant de façon simple sur le concept de la relation dose-réponse entre des groupes de résidents voisins, à priori homogènes quant à leurs habitudes de vie et leur susceptibilité génétique, suggère qu'une exposition accrue au TCE serait responsable du plus grand nombre de cas de cancers dans la zone rouge.  Cette dernière région qui permet l'étude de la relation dose-réponse a donc été mise à profit dans le présent travail pour amorcer des études de toxicologie moléculaire des cancers chez les citoyens de Shannon.» (p. 2)

[391]     Il précise de plus sur quels fondements repose l'expertise:

«Les observations rapportées dans le présent rapport reposent sur deux fondements majeurs de la toxicologie, à savoir la relation dose-réponse, qui démontre que la fréquence d'apparition d'un effet toxique croît avec le niveau d'exposition à une substance et, la mesure de biomarqueurs qui constituent des paramètres substituts permettant d'évaluer ou de prédire une réponse toxique.  Ainsi, le niveau relatif de l'expression d'un biomarqueur chez des gens fortement exposés comparativement à celui chez des gens faiblement ou non exposés permet d'appuyer le concept d'une relation causale entre l'exposition à une substance et l'apparition d'un effet toxique.  Dans le cas présent, le biomarqueur est un profil de mutations spécifiques mesurées dans l'ADN extrait des cellules cancéreuses isolées d'une biopsie obtenue chez les résidents exposés, alors que le niveau d'exposition est déterminé par le lieu de résidence et la période durant laquelle le sujet est demeuré à cet endroit.» (p. 1)

[soulignements ajoutés]

[392]     L'expertise des Drs Charbonneau et Finkelstein repose donc à la fois sur la «relation dose-réponse» vue précédemment et l'identification de biomarqueurs, soit une ou plusieurs mutations génétiques spécifiques mesurées dans la molécule d'ADN.

[393]     L'identification des biomarqueurs est précisément le travail qu'a effectué le Dr Finkelstein selon une méthode d'analyse qu'il a développée.  Il écrit à ce sujet:

«PathFinderTG is a molecular DNA-based cancer diagnostic test which obtains a genetic fingerprint of mutations from routine histology and cytology slides as well as fluid samples

[394]     Sa démarche repose sur deux notions reconnues en génotoxicité:

1)  «Loss of heterozygosity» (LOH)

2)  «Fractional Allelic Loss» (FAL)

[395]     Il explique ainsi ces deux notions:

•    «Loss of heterozygosity (LOH) in a cell represents the loss of normal function of one allele of a gene in which the other allele was already inactivated.»

•    Fractional Allelic Loss (FAL) «express ( ) a fraction of total mutations divided by total informative markers.»

[396]     Le Dr Charbonneau définit le FAL comme «un indicateur du taux de mutation».

[397]     Le Dr Finkelstein décrit ainsi l'objectif et la démarche qu'il a suivie:

«The objective of the approach by RedPath Integrated Pathology, Inc in patients from Shannon, Quebec is to seek the presence or absence of objective evidence of DNA damage that was causally related to cancer formation from a toxic source of damage.  […]  Using the small but highly representative and optimally purified microdissected tissue targets of cancer and non-neoplastic tissue, he (Dr Finkelstein) searched for three forms of evidence shown to be closely associated with genotoxic chemical exposure.  This consisted of:

1)   the presence and extent of chromosome 3 mutational damage;

2)   mutational damage to mitochondrial DNA in the D-loop region and;

3)   point mutation in the DNA sequence of the distal portion of the fist exon of von-Hippel Lindau (VHL) tumor suppressor gene.» (p. 12)

[398]     À la suite de ses analyses, le Dr Finkelstein «have found that a ratio of 0.3 for the Fractional Allelic Loss (FAL) is sufficient to establish a relationship between mutation accumulation and phenotypic alterations».

[399]     En effet, on constatera à la lecture des deux tableaux en Annexes «E» et «F» que le Dr Finkelstein retient en définitive qu'un FAL dont le ratio est de 0.3 ou plus sur le chromosome 3 est suffisant, selon lui, pour établir une relation entre l'accumulation des mutations observées et un phénotype de cancer induit par le TCE.

[400]     Il est important de préciser que le Dr Finkelstein a examiné sans détenir aucune information des tissus sélectionnés par le Dr Charbonneau selon des critères que ce dernier avait déterminés.

[401]     Les tissus de deux groupes de personnes atteintes d'un cancer ont été analysés.  Le premier groupe composé de treize personnes ayant résidé à l'intérieur du «triangle rouge» (Annexe «E»).  Le second groupe composé de seize personnes, dont quatorze ayant résidé à Shannon à l'extérieur du «triangle rouge» et deux dernières n'ayant aucun rapport avec l'une ou l'autre de ces régions de la municipalité de Shannon (Annexe «F»).

[402]     Les critères de sélection pour les citoyens de la municipalité de Shannon étaient les suivants:

1)  Avoir habité à l'intérieur ou à l'extérieur du «triangle rouge» après 1980;

2    La durée minimale d'exposition pour l'initiation d'un cancer a été fixée à cinq ans;

3)  La durée entre le début de l'exposition et l'apparition d'un cancer a aussi été fixée à cinq ans; cette période est donc concomitante à la période d'exposition.

[403]     Lors de son interrogatoire à l'audience, le Dr Charbonneau explique que le rapport qu'il a rédigé avec le Dr Finkelstein est un retour dans le temps qui vise, en utilisant un biomarqueur, à démontrer un lien de cause à effet entre le TCE, un produit chimique génotoxique, et de multiples altérations à la molécule d'ADN.  Selon le Dr Finkelstein, le TCE cause de multiples dommages à la molécule d'ADN, d'où sa triple analyse.

[404]     Le Dr Charbonneau précise que la constatation de biomarqueurs sur la molécule d'ADN est un paramètre qui permet d'inférer la présence d'un cancer.  Il y aurait ainsi une relation entre l'exposition au TCE et la mesure de ce paramètre.  Il vérifie donc le lien causal entre le TCE et le cancer, en mesurant un paramètre qui, selon lui, est en lien avec l'exposition au TCE.

[405]     La démarche vise à démontrer une «relation dose-réponse» entre l'exposition au TCE et un niveau positif du biomarqueur identifié, dans le but d'établir une relation de cause à effet (la causalité) entre l'exposition au TCE et la formation d'un cancer.

[406]     En résumé, le TCE est un produit chimique génotoxique au sujet duquel il n'existe aucun seuil sécuritaire d'exposition. Le niveau d'exposition est quant à lui déterminé par le lieu de résidence et la période pendant laquelle le sujet est demeuré à cet endroit, en l'occurrence à l'intérieur ou dans les environs du «triangle rouge».  Et, un FAL dont le ratio est de 0.3 ou plus sur le chromosome 3 serait suffisant pour démontrer qu'il y a une relation entre l'accumulation des mutations génétiques observées et la présence d'un cancer induit par le TCE.

[407]     Les résultats des analyses du Dr Finkelstein apparaissent à ses tableaux 2 et 4 du rapport.  Mais, il est intéressant de joindre ces deux tableaux aux tableaux 1 et 3 du même rapport pour avoir une image complète de chaque situation qu'il veut démontrer, d'où les Annexes «E» et «F».  Ces deux annexes seront commentées dans la section réservée à l'analyse de la preuve.

[408]     Deux extraits des témoignages des Drs Charbonneau et Finkelstein retiennent toutefois l'attention.

[409]     D'une part, l'opinion du Dr Charbonneau repose sur la certitude qu'il entretient que les personnes concernées ont été exposées au TCE.  Sans cette exposition il ne peut expliquer ses résultats:

«Q.    Donc, votre opinion…

R.      Parce qu'il y a des données qui sont là, j'en ai vu des données, qui me disent qu'on est à deux cents (200) fois la norme, dans un espace-temps où on a des données disponibles, et la modélisation antérieure, et là les hydrogéologues pourront nuancer le propos et vous pourrez juger vous-même de cette valeur-là, mais moi, comme toxicologue, on me dit qu'il y en a eu un panache, donc je fais l'interprétation, c'est comme ça que je pouvais… c'est comme ça que j'ai construit la sélection et tout.

Q.      Mais là, ça va… même dans mon esprit, ça va à un degré plus élevé, votre opinion, si j'écris: Votre opinion repose sur la certitude de la présence de TCE, vous êtes d'accord avec ça?

R.      Je suis d'accord, parce que j'ai… il y a des données de deux mille un (2001) qui sont là…»

[…]

Q.      Et votre réponse c'est que s'il n'y a pas de TCE, vous ne pouvez pas expliquer vos résultats.

R.      Tout à fait.

Q.      Parce que la prémisse de base c'est la présence du TCE.

R.      Tout à fait.»[12]

[soulignements ajoutés]

[410]     D'autre part, l'analyse du Dr Finkelstein lui permet de constater l'état de la molécule d'ADN dans un chromosome, mais elle ne lui permet pas d'identifier l'agent génétoxique qui aurait pu causer le dommage spécifique:

«Q. 219     Right.  But my question to you is you presumed exposure to TCE and concluded causation in relation to the observed cancers.  My question is did you, as Dr. Shiao indicates, look at any of the other environmental or non-environmental agents which may also cause mutation?

R.              No, that's part of… my work was to just do the molecular analysis.

Q. 220       So, your molecular analysis per se cannot tell us what environmental or non-environmental agent caused those mutations?

R.              Only to the extent that for TCE the work has been shown and the analogy to the work that we're doing here exists.  For other agents, that has to be shown as well.

[…]

Q. 225       So, it's the information that Dr. Charbonneau would have given you to the effect that there was TCE present that led you to draw the inference that the mutations that you saw were mutations caused by TCE?

R.              Yes, we are working as a team.

[…]

Q. 239       […]

                  And my question to you is:  In your analysis of the LOHs, did you attempt to differentiate, just looking at the DNA, or are you able to differentiate what, in fact, gave rise to the mutation? Was it an environmental agent, was it an agent in cigarette smoke, was it some medication?

                  Are you, when you look at the DNA, are you able to identify what, in fact, may underlie that mutation?

R.              No, I did not.  I meant for the analysis to be integrated with other information.

[...]

Q. 257       My question to you, Dr. Finkelstein, you indicated to us earlier today that you did a blind test?

R.              Yes.

Q. 258       And as a result of doing a blind test, you can't really say what these samples that you examined were exposed to?

R.              Yes.

Q. 259       So, you can't tell us whether the mutations that you observed are related to radiation, tobacco smoke, viruses or any other mutagenic or genotoxic agents?

R.              Yes, that has to be done together with all the information.»[13]

[soulignements ajoutés]

[411]     En conclusion de son analyse, le Dr Charbonneau est d'avis que malgré le fait que «plusieurs cas individuels et situations particulières appuient très fortement l'allégation de la formation de cancers résultant d'une exposition au TCE […] les observations présentées dans [son] rapport doivent cependant être analysées au niveau collectif».

[412]     C'est donc la situation en général des résidants de la municipalité de Shannon qu'il faut considérer.  Et, cette situation qui résulte des «données présentées dans [son] rapport appuient d'une part, de façon objective, les observations d'un taux de cancer plus élevé chez les gens de la zone rouge et d'autre part, l'allégation générale de cancer chez les gens de la population de Shannon résultant d'une contamination de l'eau potable au TCE».

[413]     En réponse aux rapports d'expertise des Drs Charbonneau et Finkelstein, les défendeurs présentent les témoignages des Drs Ritter et Drouin.

[414]     Le Dr Ritter commente une revue exhaustive de la littérature scientifique portant sur la toxicologie, plus particulièrement en relation avec le TCE, alors que le Dr Drouin commente les techniques et les conclusions présentées dans le rapport d'expertise des Drs Charbonneau et Finkelstein.

[415]     Après avoir précisé les objectifs de la toxicologie, Le Dr Ritter décrit la démarche que doit suivre une analyse d'évaluation du risque:

«The risk assessment paradigm can be considered to include four critical steps:

(1)  Hazard evaluation and characterization

(2)  Dose-response evaluation

(3)  Exposure assessment

(4)  Risk characterization» (Pièce DC-142, p. 7)

[416]     Il précise que le concept de risque acceptable signifie «In the case of cancer risk, typically one excess cancer in 100,000 or one in 1,000,000 people is most often considered to be de minimis - or in more practical terms, an acceptable excess cancer risk for exposure to a chemical

[417]     Enfin, le Dr Ritter rappelle que Santé Canada, en considérant un risque de cancer «de minimis» (essentiellement négligeable) arrive à la conclusion que 22 µg/l dans l'eau potable est une concentration maximale acceptable (CMA).

[418]     À la suite de ces considérations, le Dr Ritter commente les résultats obtenus par les Drs Finkelstin et Charbonneau.  Il précise entre autres que des personnes dont le nom apparaît aux tableaux 2 et 4 de leur rapport d'expertise et qui ont un FAL supérieur à 0.33 n'auraient pas été exposés au TCE.

[419]     De plus, une des personnes ayant subi un cancer du rein auquel le TCE est selon la littérature scientifique associé a un FAL = 0, donc l'ADN n'ayant subi aucune perte d'hétérozigocité.

[420]     Le Dr Drouin commente les techniques et les conclusions présentées dans le rapport d'expertise des Drs Charbonneau et Finkelstein.

[421]     Sommairement, il est d'avis que, peu importe la dose ou la durée d'exposition au TCE, «l'utilisation de la technique du Dr Finkelstein afin d'établir une relation de cause à effet entre le trichloroéthylène et des cancers n'est pas appropriée pour atteindre cet objectif et n'est aucunement soutenue par les connaissances scientifiques disponibles en toxicologie moléculaire et en génétique, car il n'existe pas de mutation signature de l'exposition au TCE reconnue présentement par la communauté scientifique.»

[422]     Le Dr Drouin explique au cours de son témoignage qu'une «signature génétique ou génotoxique» comporte l'identification de dommages génétiques attribuables uniquement à une exposition à un agent particulier.  Cette signature génétique ou génotoxique signifie donc qu'un agent mutagène cause des dommages spécifiques qui peuvent entraîner des mutations caractéristiques de l'ADN.

[423]     Toutefois, le Dr Drouin précise que:

«Ceci n'est pas suffisant pour conclure que cet agent a causé un cancer chez une personne en particulier, puisque le cancer est toujours le résultat de plusieurs facteurs, dont une susceptibilité individuelle et une accumulation de mutations.»

[424]     Il conclut:

«Il est donc jamais possible d'établir, à 100%, que l'exposition à un agent mutagène a causé un cancer particulier chez un être humain.»

[425]     Ces principes énoncés, le Dr Drouin précise de nouveau qu'aucune signature génétique n'a encore été reliée au TCE.

[426]     Seule une mutation spécifique a été observée au nucléotide 454 du gène VHL, un gène suppresseur de tumeur, en association possible avec le TCE.  Toutefois, cette mutation n'a été observée spécifiquement que dans 29% des tumeurs rénales de patients exposés au TCE faisant en sorte que cette association n'est pas encore acceptée par la communauté scientifique.

[427]     Le Dr Drouin analyse et commente la démarche suivie par le Dr Finkelstein.  Concernant l'ensemble de la démarche, il affirme que si le Dr Finkelstein a rigoureusement suivi les protocoles de préparation des échantillons pour faire les tests, il reconnaît que les moyens techniques utilisés peuvent permettre de déterminer s'il y a eu ou non perte d'hétérozygote.

[428]     Cependant, il diffère d'opinion avec le Dr Finkelstein en ce qui concerne ses conclusions concernant:

•    La recherche de mutation au niveau du gène VHL;

•    La recherche d'anomalie de l'ADN;

•    La recherche de mutation au niveau des chromosomes.

-     Le gène VHL

[429]     Tel qu'il est énoncé précédemment, s'il y a une signature génétique de l'exposition au TCE, ce qui n'est pas accepté par la communauté scientifique, cette signature se retrouverait au codon 454 du gène VHL situé sur le chromosome 3:

«Sur les 29 cas étudiés par le Dr Finkelstein, un seul patient qui avait un épithélioma des amygdales et un cancer du rein avait une mutation au niveau du gène VHL et ce n'était pas la mutation spécifique au TCE.  La mutation dont la nature n'est pas précisée par le Dr Finkelstein était présente au codon 95 dans la partie distale de l'exon 1 du gène VHL.

Tous les autres cas n'avaient pas de mutations au niveau du gène VHL.  Ceci n'est pas étonnant puisqu'il n'y avait aucune raison de trouver une mutation du gène VHL dans des cancers autres que des cancers du rein.» (p. 14)

-     L'ADN mitochondrial

[430]     La mitochondrie est le principal endroit où a lieu le métabolisme cellulaire.  Ainsi, l'ADN mitochondrial est plus susceptible aux mutations que l'ADN nucléaire, c'est-à-dire l'ADN du noyau de la cellule.

[431]     Selon les explications du Dr Drouin au sujet du métabolisme cellulaire dans la mitochondrie, explications basées sur la littérature scientifique:

«[…] les anomalies génétiques de l'ADN mitochondrial sont une manifestation phénotypique fréquente et quasi constante des cellules cancéreuses qui peuvent être utilisées comme une méthode de dépistage de certains cancers.  Cependant, le lien causal entre les anomalies génétiques de l'ADN mitochondrial et le cancer n'a pas encore été établi.» (p. 15)

[432]     Il conclut que le principal agent causal des anomalies génétiques de l'ADN mitochondrial provient du métabolisme interne de la cellule et est ainsi associé au vieillissement.  Les anomalies génétiques de l'ADN mitochondrial n'ont donc rien de spécifique au TCE.

-     Le chromosome 3

[433]     Selon le Dr Drouin, la recherche de la perte d'hétérozygote sur le chromosome 3 qui porte le gène VHL est un moyen d'établir si une mutation a eu lieu.  Toutefois, ce moyen «ne permet pas d'identifier la mutation, ni, évidemment, l'agent mutagène».

[434]     Les LOH sont donc associés à un processus oncogénique et sont étudiés en fonction du type de tumeur et non en fonction de l'agent génotoxique, à moins que ce dernier cause un seul type de tumeur.

[435]     Le Dr Drouin écrit:

«Est-ce que les LOH peuvent témoigner d'une exposition à un agent génotoxique?  Probablement que oui au même titre que le processus oncogénique en témoigne, mais sans identifier l'agent mutagénique comme tel.»

[436]     Il n'y a donc selon lui, «aucune évidence scientifique qui associe le TCE avec les LOH sur les chromosomes 3».

[437]     En conclusion, le Dr Drouin est d'avis que «Les tests effectués par le Dr Finkelstein montrent qu'il y a un processus oncogénique en cours, ce qui est attendu, car ce sont des tumeurs cancéreuses qu'il a étudiées, mais ne supportent pas une contribution spécifique du TCE».

            •     L'analyse toxicologique

[438]     Le Dr Van Coillie, expert en toxicologie environnementale, tente de démontrer que les résidants de la municipalité de Shannon sont confrontés à un risque toxicologique supérieur à celui des autres citoyens dû à la présence de TCE dans la nappe phréatique.  Aussi, il identifie un secteur plus à risque situé à l'est de la rivière Jacques-Cartier qu'il nomme «le triangle rouge».

[439]     Pour les fins de son analyse, le Dr Van Coillie considère deux normes utilisées par Santé Canada, soit la dose journalière admissible (DJA) et le coefficient de cancérogénicité, aussi appelé la valeur du risque unitaire.

[440]     La dose journalière admissible (DJA) précise la dose de TCE qui en principe ne cause aucun effet sur la santé humaine, soit :

Ø     1,46 µg de TCE / kg (poids corporel) / jour

[441]     Le coefficient de cancérogénicité ou la valeur du risque unitaire est de :

Ø     0,81 µg de TCE / Kg (poids corporel) / jour

[442]     Avec ces deux références et le niveau de concentration moyen de TCE dans les puits d'alimentation en eau potable du «triangle rouge», le Dr Van Coillie calcule:

            1)         la valeur du risque auquel auraient été ou sont confrontés les citoyens de Shannon;

            2)         le risque additionnel que chaque résidant de Shannon court d'être atteint           d'un cancer.

[443]     Il vérifie finalement les résultats auxquels il arrive en comparant une partie de la population de la municipalité de Shannon exposée au TCE avec une autre partie de la population non exposée.

[444]     Avec les mesures de concentration de TCE obtenues lors des différentes campagnes d'échantillonnages des puits d'alimentation en eau potable du «triangle rouge», le Dr Van Coillie calcule que chaque puits aurait dû avoir une concentration moyenne en TCE de 214 µg/l, soit sous le seuil olfactif qui est de 310 µg/l.  Il calcule alors ce qu’il appelle «la dose estimée d’exposition», «le quotient du risque toxicologique du TCE» et «le risque additionnel de cancers».

-     La dose estimée d'exposition

[445]     Pour connaître la dose estimée d'exposition de chaque résidant du «triangle rouge», le Dr Van Coillie considère que:

-           Chaque puits contient 214 µg/l de TCE;

-           Une personne boit 1,58 litre d'eau par jour;

-           Cette personne a un poids corporel de 70,7 kg.

[446]     Avec ces informations, le Dr Van Coillie calcule la dose estimée d'exposition de chaque résidant en solutionnant l'équation suivante:

Concentration moyenne de TCE dans l'eau X Quantité moyenne d'eau bue par jour

poids corporel (p.c.) humain moyen

214 µg de TCE / litre d'eau X 1.58 litre d'eau par jour

70.7 kg (p.c.)

[447]     Le résultat de cette équation, soit la dose estimée d'exposition, est de 4,79 µg de TCE / kg (p.c) / jour.

[448]     Le Dr Van Coillie refait ce même calcul en considérant cette fois-ci une exposition pendant une période de 30 ans.  La dose estimée d'exposition est alors de 5,79 µg de TCE / kg (p.c.) / jour.

-     Le quotient du risque toxicologique du TCE (Q)

[449]     Le rapport de la dose estimée d'exposition au TCE à Shannon sur la dose journalière admissible (DJA) de Santé Canada donne comme résultat le quotient (Q) de risque toxicologique à Shannon pour un adulte, soit:

  4,79  =  3,28

1,46

[450]     On comprend que si Q = 1, il n'y a aucun risque.  Si Q est plus grand que 1, il y a un risque.

[451]     Selon le Dr Van Coillie: Q  = 3,28 signifie qu'il y a dans la municipalité de Shannon «un risque pour la santé associé à la consommation de l'eau contaminée au TCE».

-     Le risque additionnel (R. add.) de cancer

[452]     Le calcul du risque additionnel de cancer dû au TCE est le produit de la dose d'exposition à long terme multiplié par le risque unitaire ou le coefficient de cancérogénicité du TCE, soit:

5,79 X 0.81 = 4,69

[453]     Dans ses calculs, Santé Canada considère un risque de cancer «de minimis», c'est-à-dire «essentiellement négligeable» de 10-6, soit la possibilité d'un seul cas au-dessus d'un cas sur un million de personnes.

[454]     Alors, si R. add. est plus grand que 1 / 1 000 000, il y a un excès de risque de cancer.

[455]     Selon le Dr Van Coillie: R. add. = 4,69 / 1 000 000 signifie qu'il y a dans la municipalité de Shannon «un excès de risque de cancer dû à une présence potentielle de TCE dans l'eau consommée».

[456]     Pour résumer, le rapport d'expertise du Dr Van Coillie démontre que:

-     La contamination moyenne en TCE des puits du «triangle rouge» de la municipalité de Shannon serait de 214 µg / litre d'eau;

-     La dose estimée d'exposition au TCE des résidants du «triangle rouge» serait de:

                                •    4,79 µg de TCE / kg (p.c.) / jour

-     La dose estimée d'exposition pour une période de 30 ans serait de:

                                •    5,79 µg de TCE / kg (p.c.) / jour

-     Le quotient du risque toxicologique au TCE serait de:

                                •    Q = 3,28

            -     Le risque additionnel d'être atteint d'un cancer à Shannon serait de:

                                            •   R. add. = 4,69 / 1 000 000

[457]     Enfin, en comparant la situation des résidants de 84 résidences situées à l'intérieur du «triangle rouge», soit à l'est de la rivière Jacques-Cartier, avec la situation des résidants de 84 résidences situées à l'extérieur du «triangle rouge», soit à l'ouest de la rivière Jacques-Cartier, le Dr Van Coillie constate qu'à l'intérieur du «triangle rouge»:

Ø  Le nombre de personnes atteintes d'un cancer est supérieur de 2,8 fois;

Ø  Le nombre de cancers primaires est supérieur de 2,5 fois;

Ø  Les malaises autres que cancéreux sont supérieurs de 4,6 fois.

[458]     Le Dr Van Coillie conclut que les résultats de son rapport d'expertise ne représentent que la «pointe de l'iceberg», étant donné que plusieurs facteurs qui auraient pu avoir une incidence à la hausse sur les résultats obtenus n'ont pas été pris en considération.

[459]     Le Dr Tardif, dont le mandat était d'évaluer les résultats de l'analyse de risque présentée par le Dr Van Coillie, précise que «l'évaluation des risques en santé publique vise à (prédire ou estimer) l'incidence d'effets néfastes (les risques toxicologiques) découlant de l'exposition à un agent ou plusieurs agents nocifs».

[460]     Cette évaluation est basée sur une démarche qui comprend quatre étapes:

-     L'identification du potentiel dangereux consiste à identifier la ou les substances potentiellement toxiques ou à risque pouvant être à l'origine de l'effet néfaste, en l'occurrence le TCE;

-     L'estimation de la relation dose-réponse consiste à identifier, à partir des données toxicologiques ou épidémiologiques disponibles, les principaux effets toxiques associés à un contaminant donné et à identifier la relation qui existe entre la dose et la réponse toxique;

-     L'évaluation des expositions consiste à estimer les doses d'expositions auxquelles la population est susceptible d'avoir été ou d'être exposée;

-     L'estimation et la caractérisation du risque consistent à déterminer l'incidence actuelle ou prévisible de l'affection étudiée dans une population donnée.

[461]     Selon le Dr Tardif, l'analyse de risque est un outil important en santé publique, car il permet de gérer des situations d'exposition à des contaminants susceptibles de générer des risques toxicologiques et permet de faire ainsi des choix éclairés au niveau des interventions possibles, voire nécessaires pour contrôler, limiter ou faire cesser cette exposition.

[462]     Cette démarche permet donc d'évaluer des estimateurs de risques, notamment en comparant la dose d'exposition à des doses références ou en calculant un excès de risque par rapport à un risque considéré négligeable ou acceptable.

[463]     Donc, cette démarche en quatre étapes, qui permet d'évaluer si un risque s'écarte des valeurs guides, est un outil de gestion de risque en santé publique qui vise à prendre les mesures adéquates pour corriger une situation.

[464]     Le Dr Tardif conclut qu'à son avis «le Dr Van Coillie fonde son analyse sur une utilisation erronée de la démarche d'évaluation des risques.  En effet, cette démarche ne peut être utilisée de façon fiable pour établir un lien de cause à effet (probabilité statistique) entre certains résidents de Shannon et le fait qu'ils aient été exposés au TCE via l'eau potable».

[465]     Il précise au cours de son témoignage que «les valeurs guides permettant d'évaluer dans quelle mesure une exposition à un contaminant devrait faire l'objet d'une attention particulière […] dans une démarche de prévention (mais elles) ne devraient pas être utilisées pour établir un lien de cause à effet entre une exposition (passée) et un effet (cancérogène ou non cancérogène) observé dans une population»[14].

[466]     Par la suite, le Dr Tardif critique la démarche suivie par le Dr Van Coillie pour déterminer la concentration moyenne en TCE des puits du «triangle rouge» de la municipalité de Shannon et le fait qu'il n'ait pas pris en considération dans ses calculs une durée de vie moyenne de 70 ans.  Finalement, il fait ressortir qu'il n'a pas tenu compte des connaissances actuelles en toxicologie et en épidémiologie concernant le TCE, notamment celles rapportées par Santé Canada en 2005 et plus récemment par le National Research Council des Étant-Unis en 2009.

[467]     Reprenant la démarche selon ses propres calculs, le Dr Tardif démontre que:

-     Seules quelques résidences pour lesquelles la valeur de l'excès de risque est légèrement supérieure à la valeur de 1 X 10-6 considérée comme négligeable par Santé Canada ont été identifiées;

-     On retrouve autant de cas de cancer (n=11) chez les personnes ayant habité des résidences dont l'eau contenait des concentrations élevées de TCE que dans les résidences (n=12) dont l'eau contenait des concentrations pratiquement négligeables, voire inexistantes de TCE.

[468]     Ses constatations quant aux effets non cancérogènes sont de la même nature.

      B)  L'épidémiologie

[469]     L'épidémiologie est une branche de la médecine publique qui étudie la fréquence et la répartition des maladies dans le temps et l'espace chez une population humaine, ainsi que le rôle des facteurs qui déterminent cette fréquence et cette répartition.

[470]     Selon le Dr Claude Tremblay, on reconnaît généralement que l'épidémiologie est à la fois une science:

•    descriptive qui fournit un portrait sociosanitaire d'une population, soit un portrait de la distribution des maladies (morbidité), de la survie et des décès (mortalité).

•    analytique qui repose sur des études ou enquêtes (prospective ou rétrospective) visant à mettre en évidence des liens (statistiques) par association entre un facteur donné (exposition) et une maladie.

[471]     Ces analyses, qui visent à étayer une relation de cause à effet, reposent sur des techniques d'association et de comparaison complexes dont entre autres des études de «cohorte» et des études de «cas témoin».

[472]     L'étude de cohorte, qui conduit à la détermination d'un risque relatif (RR), compare les individus atteints d'une maladie parmi une population exposée à un agent avec les individus atteints de cette maladie parmi une population non exposée à cet agent.

RR =

Personnes malades (risque) parmi les exposées

Personnes malades (risque) parmi les non exposées

[473]     Le RR, soit le ratio des deux risques, montre l'importance du lien entre le facteur de risque, l'exposition (Ex.: tabac) et la maladie (Ex.: le cancer du poumon).

[474]     L'étude de «cas témoin» qui conduit à la détermination d'un «odd ratio» (OR) compare les individus atteints d'une maladie (cas) avec les individus non atteints par cette maladie (témoin), et cela en regard d'un facteur de risque, soit d'une exposition à un agent potentiellement dangereux.

OR =

Personnes malades (risque) parmi les exposées

Personnes non malades parmi les exposées

[475]     Au même titre que le risque relatif (RR), le «odd ratio» (OR) montre l'importance du lien entre le facteur de risque étudié (Ex.: tabac) et la maladie (Ex.: cancer du poumon).

[476]     On rencontre également deux autres types d'analyses en épidémiologie:

-     L'analyse écologique dans laquelle le sujet d'observation n'est plus individuel mais collectif et que l'on nomme «agrégat», tels une ville, une province ou un pays. Ce sont donc des groupes qui sont comparés les uns par rapport aux autres.

-     L'analyse évaluative vise à évaluer les actions et les interventions dans le domaine de la santé.  Elle a un caractère expérimental et, contrairement à l'épidémiologie d'observation (descriptive et analytique), elle requiert de l'investigateur qu'il contrôle les facteurs d'exposition dont la «relation dose-réponse», base de la toxicologie.

[477]     Chacune de ces études épidémiologiques peut être viciée par trois principaux types d'erreurs, soit un biais de sélection, un biais d'information et un biais d'analyse.

[478]     Il faut aussi tenir compte d'erreurs aléatoires qui conduisent à la conclusion que le résultat observé ne peut être que la seule conséquence du hasard.

[479]     On le constate, l'épidémiologie est elle aussi une science très complexe qui repose à la fois sur la précision des données et des informations de base, ainsi que sur la qualité des différentes analyses dans la recherche d'une conclusion fiable et probante.

[480]     Trois témoins experts en épidémiologie ont été entendus.

[481]     À la demande de Mme Spieser, le Dr Tremblay a témoigné.

            •     Le Dr Tremblay, qui détient une formation de niveau doctoral en épidémiologie et toxicologie, a été reconnu témoin expert en épidémiologie spécialisé dans la recherche des causes environnementales du cancer.  Il a produit un rapport d'expertise intitulé:

Ø  Expertise épidémiologique portant sur la fréquence des cancers dans la population de Shannon - 31 mars 2010 (Pièce R-125)

[482]     À la demande des défendeurs, les personnes suivantes ont témoigné:

•    Le Dr Jack Siemiatycki, expert en épidémiologie spécialisé notamment dans l'analyse des causes du cancer dans un contexte environnemental, a produit deux rapports:

Ø  Report on the risks of cancer and other diseases resulting from exposure to TCE in Shannon, Quebec - 25 January 2010 (Pièce DC-141).

Ø  Revue du document intitulé «Expertise épidémiologique portant sur la fréquence des cancers dans la population de Shannon» préparé par Claude Tremblay, 31 mars 2010, version corrigée - mai 2010 (Pièce DC-141 a).

Ces deux rapports sont accompagnés d'une présentation PowerPoint (Pièces DC-141 c) et DC-141 h).

•    Le Dr Leonard Ritter, expert en toxicologie, a aussi témoigné pour commenter les aspects du rapport du Dr Tremblay portant sur cette spécialité.  Il a produit un rapport intitulé:

Ø  Assessment of exposure related to a report prepared by Dr. Tremblay - June 1, 2010 (Pièce DC-142 A).

[483]     Le Dr Tremblay a fait une étude épidémiologique descriptive de type «morbidité proportionnelle» basée sur les cas de cancers «autodéclarés» des anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon.  Il a comparé le nombre de cas de cancers déclarés par les personnes qui ont résidé à Shannon du 1er janvier 1992 au 31 décembre 2005 avec le nombre de cas de cancers de l'ensemble de la population du Québec au cours de la même période.

[484]     Il a ainsi comparé des rapports, soit la proportion de personnes atteintes d'un cancer dans la population de Shannon qui en principe a été exposée au TCE avec la proportion de personnes atteintes du même cancer dans la province de Québec qui n'a pas été pas exposée au TCE, visant ainsi à démontrer que la morbidité est proportionnellement plus importante chez les personnes exposées.

[485]     Le Dr Tremblay précise toutefois cette réserve:

«Le calcul est simple puisqu'il s'agit de fractionner chaque cancer et de comparer les pourcentages dans les deux groupes, exposés et non exposés, ce qui constitue le ratio de morbidité proportionnel (PMR).  Cependant, l'interprétation qu'on en fait doit être limitée.  De fait, le PMR peut montrer une augmentation d'une cause de cancer spécifique dans le groupe exposé, sans qu'on puisse conclure à une association causale (cause à effet).  Il s'agit ici de la simple comparaison de deux proportions et ne réfère pas à la comparaison de deux risques, au sens épidémiologique.

En épidémiologie, l'inférence causale (association cause à effet) ne peut être démontrée que par la comparaison des risques spécifiques estimés dans les deux groupes, l'un exposé et l'autre non exposé.» (Pièce R-125, p. 24)

[soulignements ajoutés]

[486]     Son analyse comporte de plus une estimation du risque effectuée à l'aide d'un calcul de «rapport de cote», soit la détermination d'un «odd ratio» (OR) basé sur une analyse statistique.  Lorsque le «odd ratio» est inférieur ou égal à 1.0, cela signifie qu'il n'y a pas d'excès de risque.  Si le «odd ratio» est supérieur à 1.0, il indique alors un excès de risque.

[487]     Le Dr Tremblay obtient les résultats suivants:

«Au 31 décembre 2009, 307 dossiers médicaux des personnes atteintes d'un cancer et ayant résidé à Shannon étaient disponibles.  Étant donné la période d'inclusion de la présente étude (1992-2005), 163 personnes ont été retenues (53%) pour l'analyse.

Durant la période 1992-2005, 79 femmes et 84 hommes ont rapporté être atteints d'un cancer.  Au total, 71 femmes ont rapporté un cancer primaire et 8 femmes ont rapporté plus d'un cancer primaire.  Chez les hommes, on en retrouve 70 avec une tumeur primaire et 14 avec plus d'une tumeur primaire.  Ainsi, 79 femmes ont eu 88 diagnostics de tumeurs primaires et 84 hommes ont eu 98 diagnostics de tumeurs primaires.  Tous les cas ont été confirmés à partir du dossier hospitalier de chaque personne à l'étude.

[…]  La proportion de cancers rapportés chez les femmes occupe 47% de l'ensemble des cas et elle est de 53% pour les hommes.  Dans la province de Québec, pour la même période, la proportion de femmes atteintes occupe 48% et celle des hommes est de 52% de l'ensemble des cas déclarés.  Il n'y a pas de différence dans les proportions observées chez les femmes à Shannon et dans la province de Québec (47% vs 48%) ou chez les hommes (53% vs 52%).

Somme toute, la proportion des nouveaux cas rapportés chez les femmes et chez les hommes de Shannon dans la période 1992-2005 est équivalente à la proportion des nouveaux cas déclarés au Registre des tumeurs de la province de Québec pour la même période.  Ainsi, le ratio F : H est le même chez les personnes ayant déclaré un cancer dans la population de Shannon que celui observé dans la population québécoise.  À l'image, il n'y a pas de surdéclaration de cas chez les femmes ou les hommes.  Tel qu'attendu, le cancer du sein chez la femme et celui de la prostate chez l'homme occupe le premier rang, comme c'est le cas pour l'ensemble du Québec.

[…]

Au tableau 2, on retrouve les résultats pour les femmes.  Les risques pour trois cancers spécifiques sont élevés:  estomac, rein, cerveau.  Pour l'estomac, le risque se situe à 4,06 (I.C. à 95% : 1,75-9,38), ce qui est significatif statistiquement (p=0,001).  Le risque estimé pour le cancer du rein se démarque également, sans être statistiquement significatif: 2,05 (0,74-5,64).  Le risque pour le cerveau a la même ampleur: 2,21 (0,69-7,03).  On remarque également que le cancer du côlon - rectum est significativement moins élevé dans cette population que celui de la population québécoise, ce qui représente un déficit statistiquement significatif.

L'évaluation du risque de cancer chez les hommes est présentée au tableau 3.  Trois cancers se démarquent: estomac, cerveau, mélanome.  Le cancer de l'estomac est de l'ordre de 2,55 (I.C. à 95% : 1,10-5,89).  Le risque pour le cancer du cerveau chez les hommes à Shannon est plus que le triple de celui du Québec et est statistiquement significatif: OR : 3,87 (I.C. à 95% : 1,67-8,94).  Le risque de mélanome est également élevé et significatif: OR : 3,46 (I.C. à 95% : 1,39-8,61).  Pour le cancer de l'estomac, la valeur p se situe à 4%, celle du mélanome est de l'ordre de 1 pour 100, celui du cerveau à 2 pour 1 000, ce qui est largement significatif du point de vue statistique.

[…]

Chez les femmes, on observe trois cancers spécifiques en excès, soit les cancers de l'estomac, du rein et le cerveau.  L'âge moyen des femmes atteintes de ces cancers est de 52 ans pour l'estomac, 57 ans pour le rein et 45 ans pour le cerveau.  Elles sont atteintes en bas âge.  Quant au temps de résidence moyen avant le diagnostic, il se situe à 18 ans pour le premier, 12 ans pour le second et 11 ans pour le dernier.  Au total, 12 femmes atteintes sur 13 étaient résidantes dans la zone exposée dite zone rouge.

Pour les hommes, on observe également trois cancers en excès pour l'ensemble de la période de l'étude : estomac, cerveau, mélanome.  L'âge moyen au diagnostic est supérieur à celui des femmes.  Les hommes sont diagnostiqués dans la soixantaine, soit 62 ans en moyenne pour le cancer de l'estomac et le mélanome et 56 ans pour le cancer du cerveau avec des moyennes de résidence de 15, 30 et 22 ans pour chacun.  Au total, 14 cas sur 17 ont habité dans la zone exposée dite zone rouge.

Autant chez les femmes que chez les hommes, les cancers diagnostiqués touchent principalement la période 1999 à 2005.  De fait, en se référant aux cancers en excès, on remarque que 10/13 cancers rapportés chez les femmes ont été diagnostiqués dans cette période.  Chez les hommes, il y a 14/17 cancers dans la même période.» (p. 25 à 28)

[488]     Le Dr Tremblay conclut:

«L'étude épidémiologique de type morbidité proportionnelle enrichie d'une estimation de risque a permis de confirmer la présence de cancers en excès dans la population de Shannon pour la période de 1992 - 2005.

[…]

L'hypothèse d'un lien avec une exposition d'origine environnementale, étant donné la connaissance d'une contamination historique du milieu par des composés organiques multiples, s'avère des plus plausibles.  La contamination par le trichloroéthylène (TCE) a été largement évoquée.» (p. 31)

[489]     Le Dr Ritter, expert en toxicologie, et le Dr Siemiatycki, expert en épidémiologie, contestent les conclusions du Dr Tremblay.

[490]     Le rapport du Dr Ritter (Pièce DC-142 A), les tableaux à l'appui de celui-ci qu'il a confectionnés (Pièces DC-142 G, H et I), de même que son témoignage à l'audience visent à démontrer que les cancers de l'estomac et du cerveau chez la femme et l'homme, ainsi que le mélanome chez l'homme, ne sont pas reconnus en toxicologie comme étant associés à une exposition au TCE.

[491]     Par ailleurs, le Dr Ritter a regardé la situation des personnes dont on a diagnostiqué un cancer du rein ou du foie.

[492]     Selon ses constatations, seulement trois résidants qu'il a identifiés auraient pu être exposés au TCE à des concentrations excédant la concentration maximale admissible (CMA) de Santé Canada, soit 22 µg/l.

[493]     La caractérisation du risque de ces trois résidants a démontré qu'un seul présentait un niveau de risque excédant de peu le risque «essentiellement négligeable» considéré par Santé Canada pour toute une vie, soit 70 ans.  Ce résidant avait cependant été diagnostiqué d'un cancer primaire du côlon qui n'est pas reconnu pour être associé à une exposition au TCE.

[494]     Le Dr Ritter conclut:

«In summary and in accordance with my March 21, 2010 report, based on the exposure assessment and risk characterization, it is unlikely that the cancers diagnosed in the residents of Shannon are caused by exposure to TCE (p. 19)

[495]     Étant donné son expérience et les particularités de l'épidémiologie, le témoignage du Dr Siemiatycki a porté sur plusieurs aspects de la preuve présentée par les différents experts de la partie demanderesse.

[496]     Il a entre autres commenté les rapports d'expertise des Drs Van Coillie, Finkelstein et Charbonneau.  Mais, il a plus particulièrement présenté une contre-expertise à celle du Dr Tremblay.

[497]     Après avoir commenté les notions à la base de toute étude et analyse épidémiologique, le Dr Siemiatycki écrit au sujet du rapport d'expertise du Dr Tremblay ce qui suit:

«L'analyse statistique que Dr. Tremblay a effectuée en utilisant l'approche de morbidité proportionnelle présente plusieurs failles, dont les plus importantes sont listées ci-dessous:

      a)   Les données utilisées ne sont pas basées sur un groupe scientifiquement valide de cas de cancer diagnostiqués et confirmés de façon rigoureuse; en fait, il s'agit de cas auto-rapportés par des citoyens.

      b)   Les méthodes d'analyse employées sont fondées sur une méthode épidémiologique peu fiable qui est parfois utilisée pour générer des hypothèses, mais non pas pour tester des hypothèses.

      c)   Il n'a pas utilisé la méthode selon les standards de pratique (définition claire des cas, des contrôles, des variables d'exposition, et des facteurs de confusion potentiels).

      d)   La description de ce qu'il a fait est vague et ambiguë.

      e)   Son interprétation de ses propres résultats ne tient pas compte des principes de base en épidémiologie pour l'interprétation des estimés de risque et des tests multiples (multiple testing).

      f)    Les résultats ne présentent pas de cohérence interne et conduisent à des inférences non défendables.

      g)   Ses conclusions ignorent toutes les recherches et opinions crédibles sur le caractère cancérogène du TCE.

Une seule de ces failles suffirait à invalider les conclusions de Dr. Tremblay.  Examinées ensemble, ces failles démontrent que le rapport de Dr. Tremblay manque de crédibilité scientifique et qu'il n'apporte aucun élément à la démonstration des demandeurs d'une relation causale entre l'exposition au TCE et le Cancer.» (Pièce DC-141 A, p. 2 et 3)

[498]     Il précise au cours de son témoignage à l'audience que le Dr Tremblay utilise avec une certaine ambiguïté la notion d'agrégat qui, par ailleurs, doit être définie lorsqu'elle est utilisée dans une étude épidémiologique.  Selon lui, le Dr Tremblay semble confondre les notions d'agrégat et de risque, deux concepts bien distincts.

[499]     Il ajoute que les résidants actuels de la municipalité de Shannon ne représentent qu'une fraction seulement de tous les résidants qui ont habité cette ville, faisant ainsi en sorte que si l'on considère l'ensemble de tous ces résidants passés et actuels, il est normal que l'incidence des cas de cancer soit plus élevée, cette population ayant vieilli.

[500]     Il conclut que le rapport d'expertise du Dr Tremblay ne comprend pas les éléments et n'a pas les caractéristiques de ce qu'est une expertise épidémiologique.  Les méthodes qu'il a utilisées ne peuvent garantir la fiabilité de ses résultats.

[501]     À ce sujet, il considère que les nombres en cause sont à ce point faibles, que toute tentative d'étude épidémiologique conduirait à des résultats dont la fiabilité sera toujours incertaine.

      C)  Hématologie - Oncologie

[502]     Le Dr Claude Shield, expert en hématologie-oncologie et médecine interne aux fins de traitements dans ces deux spécialités, a produit à la demande de Mme Spieser:

Ø  Une expertise médicale concernant Mme Spieser en médecine interne, hématologie et oncologie - 7 novembre 2007 (Pièce R-31.1);

Ø  Un document intitulé «Effets d'une exposition au TCE et sous-produits de dégradation sur la santé des résidents de Shannon» - 7 janvier 2009 (Pièce R-31.1 A);

Ø  Répartition par adresses civiques des cas de cancers contenus à la Pièce R-31.4 A) - 23 février 2011 (Pièce R-31.1 A-2);

Ø  Rapport d'évaluation du préjudice corporel - 25 juin 2009 (Pièce R-31.1 B).

[503]     Le Dr Daniel Bélanger, expert en hématologie et oncologie médicale, a produit pour les défendeurs:

Ø  Un rapport d’expertise médicale concernant Mme Spieser - 28 janvier 2009 (Pièce DC-2);

Ø  Un document intitulé «Commentaires concernant le rapport du docteur Claude Shield» - 15 février 2010 (Pièce DC-2A);

Ø  Une présentation PowerPoint (Pièce DC-2B).

[504]     On examinera dans la présente section les témoignages portant sur la question de l'exposition au TCE que l'on retrouve dans les rapports du Dr Shields (Pièces R-31.1 A et R-31.1 A2) et du Dr Bélanger (Pièce DC-2A).

[505]     Les expertises médicales concernant Mme Spieser (Pièces R-31.1 et DC-2), de même que le rapport du Dr Shields au sujet de l'évaluation du préjudice corporel (Pièce R-31.1 B) ne sont pas discutés dans la présente section.

[506]     Le Dr Shields et le Dr Bélanger sont des spécialistes cliniciens en hématologie-oncologie.  Le Dr Shields exerce sa spécialité au Centre hospitalier affilié, Hôpital de l'Enfant-Jésus, à Québec.  Le Dr Bélanger exerce sa spécialité au Centre hospitalier Maisonneuve-Rosemont, à Montréal et au Centre hospitalier Anna-Laberge, à Châteauguay.  Ils traitent donc quotidiennement des personnes atteintes du cancer.

[507]     C'est en 2003 que le Dr Shields, suite à un appel de M. Kiley, maire de Shannon, commence à s'intéresser la situation des résidants de la municipalité de Shannon.

[508]     Il visite les lieux, participe à des réunions avec le comité de citoyens et se documente sur le TCE.

[509]     Il recrute deux infirmières qui ont exercé leur profession en santé du travail, madame Micheline Giroux et madame Francine Trottier, qui colligeront les dossiers médicaux (Pièce R-138) et feront une compilation des cas de cancers et de pré-cancers répertoriés à Shannon en date du 31 octobre 2010 (Pièce R-31.4 A).  Elles participeront à l'élaboration du formulaire «Fiche d'évaluation» préparé par le Dr Shields à l'intention des résidants de Shannon (Pièce R-31.4 B).

[510]     Mesdames Giroux et Trottier ont été exemptées de témoigner à la suite d'une admission écrite des défendeurs le 20 janvier 2011, produite au dossier de la Cour.  Cette admission porte entre autres sur les dossiers médicaux (Pièce R-138), le fait que des personnes ont déclaré avoir résidé aux adresses et périodes indiquées aux Pièces R-31.4 A, R-15.2 et R-15.2 A, et qu'elles ont eu les maladies qu'elles ont déclarées dans ces pièces.  Bref, les défendeurs ont admis le travail de cueillette d'information et de compilation de mesdames Giroux et Trottier, travail à la base des expertises des Drs Van Coillie et Shields.

[511]     Le Dr Shields reconnaît d'emblée qu'il n'a pas fait une analyse épidémiologique de la situation à Shannon. Il a, selon ses propres termes, «investigué un événement naturel», «colligé des données», fait un «recensement» et constaté des «éléments qui s'additionnent».

[512]     Pour résumer, le Dr Shields a regardé et examiné une situation, soit celle des cas de cancers déclarés par les anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon.  Il a considéré l'existence d'un dénominateur, soit le fait que ces personnes auraient été exposées au TCE par leur eau de consommation, et il conclut de son analyse:

-     Qu'il y a une concentration de cas de cancers dans la zone désignée «le triangle rouge»;

-     Que l'on retrouve plusieurs cas de cancers aux mêmes adresses;

-     Que certains cas de cancers sont non habituels pour l'âge de la personne atteinte de cette maladie.

[513]     Essentiellement, le Dr Shieilds a identifié les adresses des personnes qui lui ont déclaré avoir été atteintes d'un cancer.

[514]     Il a par la suite fait une compilation de ces adresses, du résultat des prises de mesures de concentration de TCE dans la nappe phréatique, plus particulièrement en fonction du secteur de la municipalité que l'on a qualifié de «triangle rouge» (Pièce R-11.1).

[515]     Il a identifié cinq secteurs et trois rues pour lesquels au 31 octobre 2010 il avait recensé 489 cas de cancers auprès de 414 personnes qui avaient résidé ou résidaient encore dans la municipalité de Shannon:

SECTEUR

NOMBRE DE CANCERS

COMMENTAIRES

Secteur rouge

111

Dont 72 dans le «triangle rouge» tel qu'il a été défini par le Dr Raymond Van Coillie

(73 selon la Pièce R-31.1 A 3)

Secteur vert

57

 

Secteur orange

37

 

Secteur bleu

33

 

Secteur magenta

(logements familiaux)

219

Dont trois ajouts à la

Pièce R-31.1 A 3

Rue Cannon

28

 

Autres

4

Rue de l'Arsenal : 2

Rivière-aux-Pins : 2

[516]     Une analyse de la compilation par type de cancer pour tous les secteurs de Shannon au 31 octobre 2010 (Pièce R-31.1 A-3, p. 107, tableau 28) démontre que:

-     Les quatre cancers les plus fréquents au sein de la population, soit les cancers du poumon, du sein, de la prostate et des intestins, comptent 224 sur 489, soit 44.9 %.

      En 2010, ces quatre cancers représentaient 54.4% de tous les cancers diagnostiqués au Canada.

-     Si l'on regarde chaque type de cancer, on constate que généralement le nombre de cas augmente après 50 ou 60 ans:

                  •     Poumon:                      15 cas avant 60 ans

                                                             37 cas après 60 ans

                  •     Sein:                            32 cas avant 50 ans

                                                             32 cas après 50 ans

                  •     Prostate:                      19 cas avant 60 ans

                                                             33 cas après 60 ans

                  •     Intestin:                        20 cas avant 60 ans

                                                             29 cas après 60 ans

                  •     Rein:                            4 cas avant 50 ans

                                                             11 cas avant 60 ans

                                                             5 cas après 60 ans

                  •     Foie:                            4 cas après 50 ans

                  •     LNH                              10 cas avant 50 ans

                                                             6 cas après 50 ans

[517]     Les cas de cancers sont généralement plus nombreux après 60 ans, sauf pour les cancers du sein, du rein ou du foie qui semblent être diagnostiqués en majorité après 50 ans.  Quant au LNH, les cas sont plus nombreux avant 50 ans.

[518]     Le Dr Bélanger commente premièrement la méthodologie utilisée par le Dr Shields en soulignant notamment que les technologies diagnostiques ont beaucoup évolué au cours des dernières années, faisant en sorte que le nombre de cas répertoriés il y a plus de 30 ans a pu être faussé.

[519]     Par ailleurs, il précise certains autres facteurs qu'il qualifie de très importants dans la pathophysiologie des néoplasies, tels la prédisposition génétique, les habitudes de vie, l'usage du tabac, la prise d'alcool et les habitudes sexuelles.  Il écrit:

«Toutes ces variables doivent être prises en compte si on veut prouver une relation statistique entre l'exposition potentielle à un produit toxique et le cancer.  Cela est d'autant plus difficile qu'il s'agit d'une maladie très fréquente qui est responsable de plus de 40% des décès dans la population générale.» (Pièce DC-2, p. 3)

[520]     Après avoir commenté certains cas particuliers et fait ressortir les particularités et facteurs de risque propres à chacun, le Dr Bélanger conclut:

«Les cancers se développent en fonction des interactions entre la susceptibilité génétique d'un individu et les différents facteurs de risque auxquels il est exposé.  Il s'agit d'un processus très complexe et il est souvent très difficile d'isoler un facteur en particulier.  Dans le rapport du Docteur Shields, il n'est  pas fait mention des différents facteurs de risque importants et bien documentés sur le plan scientifique pour chaque patient en rapport avec la néoplasie décrite.  En plus des facteurs de risque, il faut tenir compte des mouvements de la population et des différents niveaux d'exposition aux produits.  De toute évidence, il est essentiel de relever tous ces facteurs et de les considérer dans l'analyse épidémiologique avant de tenter d'en imputer la cause à une substance en particulier.  De plus, il est nécessaire d'avoir une formation poussée en épidémiologie pour concevoir, réaliser et analyser statistiquement une étude de cette envergure.  À mon avis, il s'agit d'une analyse très complexe qui n'est pas de la compétence d'un hémato-oncologue, et en conséquence, une évaluation par épidémiologiste s'impose.» (Pièce DC-2 a, p. 5)

[521]     Au sujet des autres maladies répertoriées dans le rapport du Dr Shields, il écrit:

«Lorsqu'on étudie le rapport d'évaluation du préjudice corporel produit par Docteur Claude Shields en date du 25 juin 2009, on note qu'un système de cotation en fonction des différentes maladies a été établi pour juger des préjudices subis par chaque citoyen de Shannon.  Il est remarquable de constater qu'en plus d'établir une cotation pour les patients ayant eu un diagnostic de néoplasie, à peu près toutes les maladies y sont cotées incluant les plus fréquentes, soit le diabète, l'hypertension, l'hyperlipidémie, l'asthme, la maladie pulmonaire obstructive chronique, les problèmes cardiaques, les allergies, la diverticulose colique, l'hypothyroïdie, l'eczéma ainsi que les maladies psychiatriques.  La lecture de ce document semble vouloir suggérer qu'à peu près toutes les maladies qui ont affecté la population de Shannon étaient reliées au TCE.  Or comme dans le cas des néoplasies, il est évident que pour chaque maladie non néoplasique, il y a plusieurs facteurs de risque que l'on doit considérer mais il n'est est fait aucunement mention dans le document.  La pathophysiologie des différentes néoplasies mentionnées est complexe et tenter d'en attribuer la cause au TCE sans tenir compte de l'ensemble des facteurs n'est pas scientifiquement valable.  L'ensemble du document doit être soumis à l'évaluation d'un spécialiste en épidémiologie de façon à tirer les conclusions qui s'imposent sur la validité de l'association présumée entre le TCE et l'ensemble de ces pathologies.»  (Pièce DC-2 a, p.6)

3)         La preuve médicaleé

            Les rapports d'experts concernant Mme Spieser

[522]     Le Dr Marcel Lacerte, pour la demanderesse, et le Dr Raymond Lahaie, pour les défendeurs, deux gastro-entérologues, ont rencontré Mme Spieser.  Ils ont respectivement produit au dossier un rapport d'expertise (Rapport du Dr Lacerte - 3 mars 2008 - Pièce R-31.2 et Rapport du Dr Lahaie - 3 septembre 2008 - Pièce DC-3).

[523]     Depuis plusieurs années, Mme Spieser éprouve des problèmes digestifs.  Les deux experts notent le fait qu'en 1998, Mme Spieser se rend dans la région de Toronto pour une période de deux semaines.  Elle remarque, après quelques jours, que sa digestion est revenue à la normale et qu'elle va beaucoup mieux.  De retour à la maison, elle cesse donc de consommer l'eau de son puits et consomme depuis de l'eau embouteillée.

[524]     Toutefois, le Dr Lahaie précise que : «Le fait de cesser de consommer l'eau de ce puits ne change en rien les symptômes dont elle se plaignait».

[525]     Dans la section «Discussion» de son rapport, le Dr Lacerte écrit:

«En parcourant la littérature médicale récente, on peut voir que l'intolérance au gluten ou la maladie caeliaque fait partie d'un groupe de maladies auto-immunitaires très complexes qui évoluent chacune à sa façon.  Je n'ai pas la compétence d'un immunologiste ni d'un hématologue pour expliquer leur physio-pathologie compliquée, mais en tant que clinicien, je peux deviner les liens qui les associent.

Après avoir parcouru le dossier médical de Mme Marie-Paule Spieser que Me Charles Veilleux m'avait remis au début d'octobre 2007, je me rappelai que j'avais lu deux mois plus tôt (juillet 2007) un article publié dans le Journal de l'Association canadienne de gastro-entérologie sur l'apparition d'une maladie caeliaque quelques mois après une gastro-entérite à Campytobacter jejuni.

Le même phénomène a été aussi décrit avec l'Hélicobacter pylori.  On peut donc se demander si l'intolérance au gluten présentée par Mme Spieser n'a pas été causée par l'Hélicobacter pylori dans un environnement de trichloroéthylène.»

[526]     Dans la section de son expertise intitulée «Conclusion», le Dr Lacerte écrit:

«Mme Marie-Paule Spieser a développé entre les années 1991 et 2008 des maladies auto-immunes évolutives qui ont été très probablement causées par l'intoxication au trichloroéthylène soit par inhalation (vapeur de douche, etc.), soit par ingestion.  L'eau embouteillée depuis 1998 a diminué sensiblement les symptômes mais l'atteinte antérieure du système immunitaire continue à causer l'évolution des maladies ci-haut mentionnées.»

[527]     De son côté, le Dr Lahaie écrit au sujet de Mme Spieser que «depuis 2005, alors qu'elle s'est mise à un régime sans gluten, les symptômes digestifs dont elle se plaignait depuis plusieurs années se sont atténués».

[528]     Dans la section de son rapport intitulé «Discussion et conclusions», il écrit:

«L'histoire clinique de madame Spieser nous démontre très bien que l'exposition au TCE n'a pas été responsable des symptômes digestifs dont elle se plaignait au cours des années.  Les symptômes en question ont persisté malgré qu'elle ait complètement cessé de consommer l'eau du puits contaminé (1998) et ne se sont résolus que lorsqu'elle a commencé à suivre un régime sans gluten, plusieurs années plus tard (2005).  La résolution complète des symptômes et l'état asymptomatique actuel de madame suggèrent aussi qu'il ne semble pas y avoir eu de conséquence, à moyen terme, suite à l'exposition au TCE.

Quant à l'allégation que l'exposition au TCE a pu engendrer des problèmes immunitaires telles la maladie coeliaque, une thyroîde et une arthrite inflammatoire, je n'ai aucune évidence clinique ou biologique que cela puisse être le cas.  La maladie coeliaque est une pathologie intestinale auto-immune qui nécessite un facteur environnemental, l'exposition au gluten, pour qu'elle s'exprime.  Cette maladie affecte 1% de la population nord-américaine et européenne.  Elle nécessite aussi une prédisposition génétique soit la présence d'un allèle qui code pour les protéines HLA-DQ2 ou HLA-DQ8: Celiac disease does not develop unless a person has allele that encode for HLA-DQ2 or HLA-DQ8 proteins… their presence is necessary but not sufficient for the development of the disease: NEJM 2007 (1). Madame Spieser n'ayant pas la prédisposition génétique nécessaire (HLA-DQ2 et HLA-DQ8 négatifs) ne peut donc pas être atteinte de la maladie coeliaque.»

[529]     Aux termes de son analyse, le Dr Lahaie conclut:

«En conclusion, les symptômes digestifs dont madame Spieser s'est plainte ne sont de toute évidence pas le résultat de l'exposition au TCE.  La patiente m'a d'ailleurs clairement dit qu'elle ne croyait pas que le TCE était responsable de ceux-ci.  Ces symptômes sont probablement la manifestation d'un syndrome de l'intestin irritable qui a bien répondu à des modifications diétiques, comme cela est souvent le cas chez ces patients.  Je ne retiens pas le diagnostic de maladie coeliaque, la prédisposition génétique indispensable pour cette maladie étant absente chez madame.  Je n'ai aucune évidence clinique ou biologique d'atteinte systémique, inflammatoire ou immunologique qui pourrait être une séquelle de l'exposition au TCE.  Les seuls anticorps présents chez cette dame peuvent être retrouvés dans une proportion significative de la population normale et n'ont pas de valeur diagnostique en soit.»

[530]     Mme Spieser a aussi rencontré le Dr Jean-Pierre Fournier, psychiatre, qui a procédé à une évaluation médicale de sa situation le 18 octobre 2007 (Rapport d'expertise, Pièce R-31.4).

[531]     Dès le début de son rapport d'expertise, le Dr Fournier écrit:

«Avertissement:  La présente évaluation vise à fournir une opinion concernant la symptomatologie psychique qui pourrait découler du stress et des inquiétudes vécues par la requérante dans le contexte de la contamination de la source d'eau potable dans sa municipalité.  Nous n'émettons aucune opinion sur la nature réelle ou non du danger encouru.  Nous n'avons pas l'expertise pour statuer à cet égard.  Cet aspect a été ou sera évalué par des spécialistes dans le domaine.»

[532]     Dans son rapport, le Dr Fournier relate des aspects de la vie personnelle, familiale et professionnelle de Mme Spieser, ainsi que la présence du TCE dans le puits d'alimentation en eau potable de sa résidence.

[533]     Il dit que:

«Sur le plan idéationnel, madame se plaint d'inquiétudes vis-à-vis son état de santé ou celle de ses proches, d'une certaine méfiance, elle rapporte un sommeil fractionné qui est toutefois amélioré […].  Elle rapporte par ailleurs un sentiment de frustration relié au contexte de contamination de l'eau dans sa municipalité et de la non reconnaissance par le Département de santé publique d'un lien entre des maladies cancéreuses dans la population de Shannon et la contamination au TCE.»

[534]     Le Dr Fournier résume ainsi les causes de la situation de Mme Spieser:

«Bien qu'il y ait d'autres stresseurs identifiés tels […] nous sommes d'avis que les quelques symptômes adaptatifs présents depuis quelques années doivent être imputés de façon prépondérante à la perception (justifiée ou non) qu'à la requérante à l'effet que ses enfants ou elle-même ont pu être mis en danger par la contamination du puits artésien de madame Spieser et également la perception (justifiée ou non) que des maladies dont les cancers chez des voisins ou des gens qui ont habité sa municipalité pouvaient être associées à cette contamination.

[]

Il n'existe pas chez madame Spieser d'évidence de limitations fonctionnelles et encore moins d'invalidité.  []

[]

Cette dame présente actuellement certains symptômes psychiques se traduisant par de l'insomnie (sommeil fractionné) [] par des inquiétudes, par des sentiments de frustration, par une certaine méfiance et par quelques difficultés subjectives d'attention et de concentration.  Ces quelques manifestations ne sont pas suffisamment étendues ou sévères pour générer des altérations fonctionnelles mais elles génèrent néanmoins un certain inconfort.

[535]     Les défendeurs n'ont pas produit d'expertise médicale en psychiatrie.

IV  Le cas de Woburn et de Marine Corps Base Camp Lejeune

[536]     Avant d’entreprendre l’analyse de la preuve, il n’est pas inutile de relire certains extraits des sommaires exécutifs de deux enquêtes effectuées aux États-Unis, l’une en 1997 et l’autre en 2009, mettant en cause la présence de TCE dans l’eau de consommation, à savoir :

-     Woburn Childhood Leukemia Follow-up study - Final Report July 1997 - Massachusetts Department of Public Health Bureau of Environmental Health Assessment (Pièce R-151);

-     Contaminated Water Supplies at Camp Lejeune: Assessing Potential Health Effects - 2009 Committee on Contaminated Drinking Water at Camp Lejeune; National Research Council (Pièce PGC-33).

[537]     L’intérêt d’examiner sommairement l’une et l’autre de ces enquêtes dans le contexte du présent dossier est de voir sous quel angle et comment ces analyses furent complétées.

Woburn

«Woburn, Massachusetts, is a community of approximately 35,000 people, located 13 miles northwest of Boston.  It has an extensive industrial history spanning over 130 years which included greenhouse operation, leather manufacturing and chemical manufacturing.  Products manufactured included arsenic compounds used in pesticides, textiles, paper, TNT, and animal glues.  The deposition of hazardous material and waste products from these industries has been a long-standing point of environmental concern for citizens and government officials.

In 1979, environmental concerns were brought to the forefront of public attention when excavation of a former industrial site unearthed significant amounts of industrial waste that proved to be contaminated with high levels of lead, arsenic, and heavy metals.  It was subsequently learned that two municipal drinking water wells which had been installed near this site were contaminated with trichloroethylene (TCE), perchloroethylene, chloroform and other organic compounds.  These wells had supplied public water primarily to the eastern  portion of Woburn between 1964 and 1979.

Woburn residents were concerned regarding health effects that may have resulted from consumption of the contaminated water.  These concerns were heightened when it was learned that between January 1969 and December 1979, twelve cases of childhood leukemia had been diagnosed in Woburn, six of theses cases resided in a six-block area which was served directly by the contaminated wells.  […]

[…]  The investigation concluded: (1) the incidence of childhood leukemia was significantly elevated in Woburn (12 observed cases vs. 5.3 expected cases between 1969 and 1979); (2) the majority of the excess cases were males; and (3) six of the cases were diagnosed while residing in a single census tract in Woburn.  […]

By the middle of 1986, a total of 21 childhood leukemia cases had been diagnosed in Woburn.  […]

Detailed analyses of data collected at interview revealed five variables for which 10 or more total positive responses were identified and that demonstrated odds ratios greater than or equal to 1.50 in relation to the childhood leukemia incidence.

Maternal alcohol consumption during pregnancy (O.R.- = 1.50, C.I. = 0.54, 4.20); diagnosis of a paternal grandfather with cancer (O.R.- = 2.01, C.I. = 0.73, 5.58); having a father who worked for industries considered high risk for occupational exposure (O.R.- = 2.50, C.I. = 0.78, 8.30); and the subject’s consumption of public water as their primary beverage (O.R.- = 3.03, C.I. = 0.82, 11.28) were all variables which showed non-significant but positive associations with childhood leukemia incidence.  A statistically significant association was identified between developing childhood leukemia and being breast-fed as a child (O.R.- = 10.17, C.I. = 1.22, 84.58).

[…]

Multivariate analyses of the relationship between childhood leukemia and exposure to water from Wells G and H revealed that although five variables discussed above showed elevated odds ratios as univariates in relation to the leukemia, they did not significantly affect odds ratios specific to water exposure.  Adjusted odds ratios were calculated controlling for socioeconomic status, maternal smoking during pregnancy, maternal age at birth of the child, and maternal alcohol consumption during pregnancy.  Of these variables, only maternal alcohol consumption during pregnancy demonstrated a slightly elevated odd ratio in univariate analyses.  […]

Adjusted odds ratios describing the effects of Wells G and H water on leukemia incidence showed a non-significant elevation for the overall etiologic period (O.R.- = 2.39, C.I. = 0.54, 10.59) and each time period subcategory.  The strongest relationship between exposure and leukemia among time period subcategories is during pregnancy (O.R.- = 8.33, C.I. = 0.73, 94,67), the second is in the two years before conception (O.R.- = 2.61, C.I. = 0.47, 14.37) and the weakest is in the time period between the birth of the case and the diagnosis of leukemia (O.R.- = 1.18, C.I. = 0.28, 5.05).

[…]

Discussion and Conclusions

This finding suggests that the relative risk of developing childhood leukemia was greater for those children whose mothers were likely to have consumed water from Wells G and H during pregnancy this association showed a significantly positive relationship to the amount of water households received.  Further research in other populations is necessary to definitively address this trend and examine potential embryologic windows of increased vulnerability to leukemogens.  In contrast, there appeared to be no association between the development of childhood leukemia and consumption of water from Wells G and H by the children prior to their diagnosis.

Few positive associations were identified between childhood leukemia incidence and residential parental occupation, and medical history related risk factor information collecting during interview.  A statistically significant relationship was identified between breast feeding and childhood leukemia, although a mechanism for this relationship is unclear.

The literature demonstrates that certain chemical exposures have been associated with health effects in both children and adults.  TCE, one chemical detected in the well water, is known to have weak hematologic effects in mammals but no effect on humans in studies thus far, although effects on the developing human fetus are unclear.  The nature and extent of historical contamination of Wells G and H is not known.  However, in our study, it seems the exposure, whether multichemical or specific in nature, may have had an effect on blood-forming organs during fetal development, but not during childhood.

The small number of study subjects lead to imprecise estimates of risk.  As a result, the exact magnitude of the association between exposure to water from Wells G and H and risk of childhood leukemia cannot be stated.  Results, however, demonstrate consistency in the direction of an association, suggest a dose-response relationship and demonstrate a decrease in effect after the elimination of the potential for exposure.  We conclude that the incidence of childhood leukemia in Woburn between 1969 and 1989 is associated with mothers’ potential for exposure to contaminated water from Wells G and H, particularly for exposure during pregnancy.»

            Camp Lejeune

[538]     Dans la préface du rapport concernant le Camp Lejeune, le président du comité précise un point qui est aussi pertinent au présent dossier.  Il précise en effet la différence entre la façon dont on doit utiliser la preuve scientifique dans le contexte d’une enquête de cette nature et la façon dont cette même preuve est utilisée dans le contexte de la réglementation et de la prévention des risques :

«Two water-supply systems on the Marine Corps Base Camp Lejeune in North Carolina were contaminated with the industrial solvents trichloroethylene (TCE) and perchloroethylene (PCE).  The contamination appears to have begun in the middle 1950s and continued until the middle 1980s, when contaminated supply wells were shut down.  The sources of the contamination were an off-base dry-cleaning establishment and on-base industrial activities.  Contaminated water was distributed to enlisted-personnel family housing, barracks for unmarried personnel, base administrative offices, schools, a hospital, industrial areas, and re­creational areas.

Many former residents and employees of the base have raised questions about whether health problems that they or members of their families have experienced could be related to their exposure to the contaminated water. […]  As directed by Congress, the U.S. Navy requested a study by the National Research Council to review the scientific evidence on associations between historical data on prenatal, childhood, and adult exposures to contaminated water at Camp Lejeune and adverse health effects.

In response to the Navy’s request, the National Research Council convened the Committee on Contaminated Drinking Water at Camp Lejeune, which prepared this report.  The members of the committee were selected for their expertise in epidemiology, toxicology, exposure analysis, environmental health, groundwater modeling, biostatistics, and risk assessment.

[…]

This report focuses on what scientific evidence can say about the causal relationship of past exposures and health outcomes.  It is important to understand the difference between how scientific evidence is used in this context, compared to how it is used in the context of regulatory risk assessment and prevention.  We should be clear that the evaluation we conducted was not for the purposes of regulatory risk assessment, and the prepublication version of this report may not have made this distinction clear enough to all readers.  The following excerpt from the 2003 Institute of Medicine report, Gulf War and Health Volume 2 provides a useful explanation of this important distinction.

              Most laws enforced by regulatory agencies permit the agencies wide latitude in the choice of data used to prevent future disease or injury.  In the present case, however, the goal is not prevention of risk, but rather the use of the best available data to categorize evidence for a relationship between a chemical exposure and the occurrence of an adverse health outcome in humans.  Here, precautionary policies have no substantial role (at least not the same way that they have in regulation).  Therefore, studies in human populations played the dominant role for the committee in identifying the relevant associations. Experimental evidence may or may not provide support for epidemiologic conclusions.

[…]

[…] The NRC developed specific instructions for the scope of the review (the charge). […]

The charge had several elements.  One was to review the scientific evidence about the kinds of adverse health effects that could occur after exposure to TCE, PCE, and other contaminants.  The second was to evaluate studies that were performed or that are under way on former residents of the base and to consider how useful it will be to conduct additional studies.  The third element was to identify scientific considerations that could help the Navy set priorities on future activities.  The responsibility of the committee was to address its charge in a dispassionate, expert, and unbiased way. […]

[…]

Many of the people who addressed the committee have suffered from serious diseases or have family members or friends who have suffered.  The committee was moved by the testimonies it heard and understands that some may have been looking for the committee to make a judgment on their particular case.  However, science does not allow the committee to determine the cause of a specific case of disease.  This may be hard to understand.  Why would scientific experts not be able to determine whether a child’s birth defect or a parent’s cancer diagnosis was due to a chemical exposure?  Unfortunately, for diseases that can have multiple causes and that develop over along period of time, it is generally impossible to establish definitely the cause in individual cases.  It was beyond the scope of the committee’s charge to try to determine whether any particular case of a disease or disorder is associated with exposure to the water supply at Camp Lejeune.

[…]

The committee divided its review into two major categories: (1) evaluating the exposures of former residents and workers to the contamination of the Tarawa Terrace and Hadnot Point water-supply systems, and (2) evaluating the potential health effects associated with the water contaminants.  The assessments were then considered together to ascertain whether conclusions could be drawn about whether any adverse health outcomes could be attributed to the water contaminants.

[…]

The committee undertook four kinds of reviews to determine what kinds of diseases or disorders (adverse health effects) have been found to result from exposure to TCE and PCE: (1) review of epidemiologic studies of solvents and their effects, including studies in occupational and industrial settings and community studies; (2) review of epidemiologic studies of other communities with solvent-contaminated water supplies; (3) review of toxicologic studies conducted in animals and humans to test for health effects of TCE and PCE; and (4) review of studies conducted specifically on the Camp Lejeune population.

[…]

The available scientific information does not provide a sufficient basis for determining whether the population at Camp Lejeune has, in fact, suffered adverse health effects as a result of exposure to contaminants  in the water supplies.  On the one hand, several lines of scientific reasoning suggest such effects are unlikely to have occurred.  The evidence includes a substantial body of research on the toxicology of TCE and PCE that indicate that the exposures requires to cause adverse effects in laboratory animals were much larger than the highest measurements available on the Camp Lejeune water supplies; evidence that humans have lower sensitivity to TCE and PCE than rodents; epidemiologic data largely from occupational settings with higher, longer-term exposures to TCE and PCE that has not generated compelling evidence of adverse health effects; and the relatively short-term, intermittent nature of the exposures incurred at Camp Lejeune.  On the other hand, the possibility that health effects have been produced by the contaminant exposures at Camp Lejeune cannot be ruled out.  Some effects of TCE or PCE exposure might have occurred below the level of detection in toxicologic studies, which focused on single contaminant exposures at high doses, used genetically homogeneous animal strains, and necessarily involved extrapolation across species.  In addition, the population exposed at Camp Lejeune is more diverse and possibly more susceptible than those who have been exposed to TCE and PCE in occupational settings, and the actual concentrations of PCE and TCE and the presence of additional water contaminants are poorly documented and could thus be higher or more complex than the limited historical measurements suggest.  There were divergent views among the committee members about the probability that each should assign to whether adverse health effects have in fact occurred, but there was consensus among them that scientific research is unable to provide more definitive answers to that question.

Conclusion and Recommendation

• It cannot be determined reliably whether diseases and disorders experienced by former residents and workers at Camp Lejeune are associated with their exposure to contaminants in the water supply because of data shortcomings and methodological limitations, and these limitations cannot be overcome with additional study.  Thus, the committee concludes that there is no scientific justification for the Navy and Marine Corps to wait for the results of additional health studies before making decisions about how to follow up on the evident solvent exposures on the base and their possible health consequences.  The services should undertake the assessments they deem appropriate to determine how to respond in light of the available information.»

[539]     Dans l'un et l'autre de ces cas, mais davantage dans celui du Camp Lejeune, on constate que l'analyse s'effectue en fonction d'une revue exhaustive des connaissances scientifiques et de la possibilité mitigée qu'un examen plus poussé de la situation de la population, eu égard au nombre de personnes concernées, puisse donner un résultat probant.

[540]     En effet, la preuve recueillie correspond-elle aux connaissances scientifiques?  Étant donné les connaissances scientifiques et la preuve recueillie, est-il pertinent d'entreprendre des études complémentaires?

[541]     Dans le présent dossier, la question se présente différemment.  Évidemment, on ne peut ignorer les connaissances scientifiques à ce jour.  Mais, l'analyse se situe davantage dans le cadre d’un litige dont la solution repose sur l'évaluation d’une preuve qui doit répondre à un critère de prépondérance des probabilités, les connaissances scientifiques étant un des éléments de cette preuve, dans le contexte d'une action en responsabilité civile extra-contractuelle.

V   Analyse

[542]     Le présent litige illustre de façon éloquente toute la difficulté que représente l'analyse d'une preuve scientifique qui, à certains égards, repose sur un consensus émanant de la communauté scientifique.

[543]     Mais, attention!  On ne doit pas ici confondre les notions de preuve scientifique et de consensus scientifique.

[544]     En effet, la question n'est pas qu'il faille décider de l'issue du litige en fonction d'un consensus scientifique car, si tel était le cas, la décision pourrait, d'un premier point de vue, paraître évidente.

[545]     La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Lafrenière c. Lawson [1991], 1 R.C.S. 541 , 608, résume ainsi cette distinction.  Le juge Gonthier écrit:

«Les règles de la responsabilité civile exigent la preuve de la faute, de la causalité et du préjudice.

•     Les actes et les omissions peuvent constituer une faute et les deux sont soumis à la même analyse pour ce qui a trait à la causalité.

•     La causalité en droit n'est pas identique à la causalité scientifique.

•     La causalité en droit doit être établie selon la prépondérance des probabilités, compte tenu de toute la preuve, c'est-à-dire la preuve factuelle, la preuve statistique et les présomptions.

•     Dans certains cas, lorsqu'une faute comporte un danger manifeste et que ce danger se réalise, il peut être raisonnable de présumer l'existence du lien de causalité, sous réserve d'une démonstration ou d'une indication contraire.

•     Une preuve statistique peut être utile à titre indicatif, mais elle n'est pas déterminante.  Plus précisément, lorsqu'une preuve statistique n'établit pas la causalité selon la prépondérance des probabilités, la causalité en droit peut quand même exister lorsque l'ensemble de la preuve étaye une telle conclusion.

•     Même si la preuve statistique et la preuve factuelle ne justifient pas de conclure à l'existence de causalité, selon la prépondérance des probabilités, à l'égard d'un préjudice particulier (c'est-à-dire le décès ou la maladie), ces mêmes preuves peuvent justifier de conclure à l'existence de causalité à l'égard d'un préjudice moindre (par exemple, un léger abrègement de la vie, une augmentation des souffrances).

•     Il faut analyser la preuve avec soin pour déterminer la nature exacte de la faute ou du manquement à un devoir et ses conséquences de même que la nature particulière du préjudice subi par la victime.

•     Si après considération de ces facteurs, le juge n'est pas convaincu, d'après son évaluation de la prépondérance des probabilités, que la faute a causé un préjudice réel quelconque, il doit rejeter la demande d'indemnisation.»

Les questions en litige

[546]     La question que Mme Spieser soumet au Tribunal s'inscrit dans le contexte de cette distinction.

[547]     En effet, indépendamment du consensus scientifique qui requiert de la part de la communauté scientifique une reconnaissance basée sur une analyse qui dépasse largement la norme de la prépondérance des probabilités en matière de preuve civile, la preuve scientifique présentée de part et d'autre dans le présent dossier conduit-elle à une conclusion probable qu'il y a un nombre anormalement élevé de cas de cancers, autres maladies et malaises parmi les anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon?  Si tel est le cas, le TCE en est-il la cause?  C'est davantage le caractère anormal du constat qu'elle fait de la situation médicale des anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon que Mme Spieser demande au Tribunal d'évaluer.

[548]     Et, cette évaluation, essence du présent litige, fait appel à l'application des règles de la responsabilité extra-contractuelle en droit civil québécois dans le contexte procédural d'un recours collectif.

[549]     Mme Speiser doit donc démontrer par une preuve prépondérante qu’il est probable et non seulement possible que les défendeurs ont, en déversant du TCE sur le sol, contaminé la nappe phréatique et ainsi commis une faute.

[550]     Elle doit aussi démontrer qu'elle-même et les membres des deux groupes qu'elle représente ont, à la suite de cette faute, subi des dommages, qu'ils soient corporels, moraux ou matériels.

[551]     Elle doit enfin démontrer, toujours selon le critère de la prépondérance, qu'il est probable et non seulement possible qu'il existe un lien de cause à effet (un lien de causalité) entre la faute qu'elle reproche aux défendeurs et les dommages qu'elle-même et les membres des deux groupes qu'elle représente prétendent avoir subis.

[552]     Mme Spieser invite donc le Tribunal à constater une situation qu'elle considère anormale, soit la situation médicale des anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon, et à tirer les conclusions qui découlent à la fois d'une preuve directe et d’une preuve par présomption.

[553]     Niant que la situation des anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon soit anormale, les défendeurs invitent plutôt le Tribunal à considérer d'une part le consensus scientifique qui, selon eux, ne permet pas de relier cette prétendue situation des anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon au TCE et d'autre part, à ne tirer de la preuve aucune présomption ou inférence qui, selon eux, ne fait ressortir aucun élément qui rencontre les critères de gravité, de précision et de concordance nécessaires à la reconnaissance de toute présomption de faits.

[554]     Le jugement du 19 mars 2007 qui autorisait l'exercice du présent recours collectif, modifié par le jugement du 30 juillet 2009, précisait au paragraphe [118] les principales questions que l'on considérait à ce moment devoir traiter collectivement.

[555]     Ces questions peuvent, à la suite de la preuve et des plaidoiries, être résumées de façon telle qu'elles soient dorénavant considérées comme les principales questions en litige:

1)  Les défendeurs ont-ils, de façon négligente, disposé dans l'environnement et plus particulièrement sur leur propriété du TCE?

            2)   Si tel est le cas, ce comportement des défendeurs constitue-t-il une faute à l'égard de la demanderesse et des membres des deux groupes qu'elle représente, une faute qui pourrait engager leur responsabilité extra-contractuelle?

            3)   Dans un tel cas, la responsabilité extra-contractuelle des défendeurs est-elle solidaire?

            4)   La demanderesse et les membres des deux groupes qu'elle représente ont-ils subi des dommages?

            5)   Les dommages que la demanderesse et les membres des deux groupes qu'elle représente prétendent avoir subis résultent-ils de ce comportement présumé fautif des défendeurs?

            6)   Si tel est le cas, quelles sont la nature et la valeur des dommages compensatoires allégués?

            7)   Le comportement des défendeurs doit-il aussi être sanctionné par l'octroi de dommages-intérêts punitifs?

            8)   La contamination de la nappe phréatique sous la municipalité de Shannon qui résulterait du comportement des défendeurs, qu'il soit ou non fautif, constitue-t-elle un «inconvénient anormal qui excède les limites de la tolérance» donnant ainsi ouverture au «régime de responsabilité sans faute» en matière de trouble de voisinage?

            9)   Les demandes d'ordonnances d'injonction sont-elles justifiées?

Les dispositions législatives en cause

[556]     Les principales dispositions législatives en cause se retrouvent au Code civil du Québec, à la Charte canadienne des droits et libertés et à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

[557]     Premièrement, relisons quelques dispositions de principe que l'on retrouve au Code civil du Québec, de même qu'en matière de preuve et portant sur:

•     La bonne foi

Art. 6 C.c.Q.: «Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.»

Art. 7 C.c.Q.: «Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.»

Art. 2805 C.c.Q.: «La bonne foi se présume toujours, à moins que la loi n'exige expressément de la prouver.»

•     Le fardeau de la preuve

Art. 2803 C.c.Q.: «Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.»

Art. 2804 C.c.Q.: «La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.»

•     La preuve par présomption

             Art. 2846 C.c.Q.: «La présomption est une conséquence que la loi ou le tribunal tire d'un fait connu à un fait inconnu.»

Art. 2849 C.c.Q.: «Les présomptions qui ne sont pas établies par la loi sont laissées à l'appréciation du tribunal qui ne doit prendre en considération que celles qui sont graves, précises et concordantes.»

[558]     En matière de responsabilité civile extra-contractuelle, il y a:

•     Le régime de la responsabilité extra-contractuelle basée sur la faute

Art. 1457 C.c.Q.: «Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.

Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.»

•     Le régime de la responsabilité basée sur la présomption de faute

Art. 1465 C.c.Q.: «Le gardien d'un bien est tenu de réparer le préjudice causé par le fait autonome de celui-ci, à moins qu'il prouve n'avoir commis aucune faute.»

Art. 1467 C.c.Q.: «Le propriétaire, sans préjudice de sa responsabilité à titre de gardien, est tenu de réparer le préjudice causé par la ruine, même partielle, de son immeuble, qu'elle résulte d'un défaut d'entretien ou d'un vice de construction.»

•     Le régime de la responsabilité sans faute résultant d'un trouble de voisinage

Art. 976 C.c.Q.: «Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux.»

[559]     Le partage de la responsabilité est aussi prévu:

Art. 1478 C.c.Q. : «Lorsque le préjudice est causé par plusieurs personnes, la responsabilité se partage entre elles en proportion de la gravité de leur faute respective.

La faute de la victime, commune dans ses effets avec celle de l'auteur, entraîne également un tel partage.»

Art. 1480 C.c.Q. : «Lorsque plusieurs personnes ont participé à un fait collectif fautif qui entraîne un préjudice ou qu'elles ont commis des fautes distinctes dont chacune est susceptible d'avoir causé le préjudice, sans qu'il soit possible, dans l'un ou l'autre cas, de déterminer laquelle l'a effectivement causé, elles sont tenues solidairement à la réparation du préjudice.»

[560]     L'un et l'autre de ces régimes de responsabilité peuvent conduire à l'octroi de dommages-intérêts en compensation du préjudice subi:

Art 1607 C.c.Q.: «Le créancier a droit à des dommages-intérêts en réparation du préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel, que lui cause le défaut du débiteur et qui en est une suite immédiate et directe.»

[561]     Le Code civil du Québec prévoit aussi l'octroi de dommages-intérêts punitifs qui, dans le présent cas, sont reliés aux dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec:

Art 1621 C.c.Q.: «Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.»

[562]     La Charte des droits et libertés de la personne du Québec prévoit ce qui suit:

Art. 1: «Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu'à la sûreté, à l'intégrité et à la liberté de sa personne.

Il possède également la personnalité juridique.»

Art. 6: «Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.»

Art. 49: «Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.»

[563]     Notons que l'Assemblée nationale a modifié en 2006 la Charte des droits et libertés de la personne pour y ajouter notamment l'article suivant:

Art. 46.1: «Toute personne a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité.» (2006, C. 3, a. 19.)

[564]     Enfin, la Charte canadienne des droits et libertés prévoit ce qui suit:

«7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.»

«24 (1). Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.»

[565]     La Cour suprême du Canada commente plusieurs de ces articles dans le cadre de deux arrêts, l'un portant sur la responsabilité sans faute [Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette ( [2008] 3 R.C.S. 392 ) et l'autre sur l'existence du caractère autonome et distinct des dommages-intérêts punitifs (de Montigny c. Brossard [succession], [2010] 3 R.C.S. 64 ).

[566]     Dans Ciment du Saint-Laurent c. Barrette, les juges LeBel et Deschamps écrivent au nom de la Cour : «[24] L'article 7 C.c.Q. consacre ainsi le principe de la relativité des droits, y compris d'un droit en principe aussi absolu que le droit de propriété» à savoir que «le droit d'une personne est nécessairement limité par les droits d'autrui».  Aussi, «[26] l'abus de droit constitue une faute civile dans l'exercice d'un droit».

[567]     Au sujet du régime de responsabilité extra-contractuelle, ils écrivent: «[21] L'article 1457 C.c.Q. énonce les règles générales du régime de la responsabilité fondée sur la faute.  […] La première règle impose un devoir général de respecter les règles de conduite qui s'imposent eu égard aux lois, usages ou circonstances.  […] La norme de la faute civile correspond donc à une obligation d'agir raisonnablement, prudemment et diligemment et peut être qualifiée d'obligation de moyen. […] La responsabilité civile ne vise ni à blâmer, ni a punir, mais seulement à compenser une perte.  L'intention de nuire n'est donc pas nécessaire à l'existence de la responsabilité civile».

[568]     Par la suite, la Cour considère «la possibilité d'une responsabilité dans des situations où des voisins subiraient des inconvénients anormaux sans que le propriétaire à l'origine des dommages ait commis une faute

[569]     Après une revue exhaustive de l'historique législatif, de la jurisprudence et de la doctrine, la Cour conclut que:

«[86] Malgré son caractère apparemment absolu, le droit de propriété comporte néanmoins des limites.  Par exemple, l'art. 976 C.c.Q. établit une autre limite au droit de propriété lorsqu'il dispose que le propriétaire d'un fonds ne peut imposer à ses voisins de supporter des inconvénients anormaux ou excessifs.  Cette limite encadre le résultat de l'acte accompli par le propriétaire plutôt que son comportement.  Le droit civil québécois permet donc de reconnaître, en matière de troubles de voisinage, un régime de responsabilité sans faute fondé sur l'art. 976 C.c.Q., et ce, sans qu'il soit nécessaire de recourir à la notion d'abus de droit ou au régime général de la responsabilité civile.  La reconnaissance de cette forme de responsabilité établit un juste équilibre entre les droits des propriétaires ou occupants de fonds voisins.»

[570]     Pour résumer, étant donné que la faute civile est un manquement à une obligation d'agir raisonnablement, prudemment et diligemment, l'abus de droit peut constituer une faute civile dont l'auteur peut être condamné à payer à la victime des dommages-intérêts compensatoires.

[571]     Si cette faute constitue aussi une «atteinte illicite et intentionnelle» à un droit ou à une liberté reconnu par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, «le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs», même en l'absence de condamnation à des dommages-intérêts compensatoires [de Montigny c. Brossard].

[572]     Enfin, le droit civil québécois reconnaît, en matière de trouble de voisinage, un régime de responsabilité civile sans faute fondé sur l'article 976 C.c.Q., et ce, «sans qu'il soit nécessaire de recourir à la notion d'abus de droit ou au régime général de la responsabilité civile» prévu à l'article 1457 C.c.Q.

Les admissions

[573]     Les défendeurs ont admis certains faits, dispensant ainsi la demanderesse d'en faire la preuve, portant d'une part sur la présence de TCE dans l'eau souterraine et les puits privés des résidants de la municipalité de Shannon et d'autre part, sur les dossiers  médicaux.

[574]     Il y a lieu de reproduire certains extraits de ces admissions.

[575]     Le 22 novembre 2010, le PGC a admis, aux termes d'un document produit au dossier de la Cour, ce qui suit:

«1.     Le TCE se retrouve, à des concentrations, des dates et des lieux variables tels qu'indiqués à la pièce PGC-75, dans l'eau souterraine de certaines parties des propriétés du Gouvernement du Canada (Garnison et RDDC), ainsi que dans certaines parties de la municipalité de Shannon, le tout à l'est de la rivière Jacques-Cartier.

2.       Le TCE a été trouvé dans certains puits privés situés dans la municipalité de Shannon aux dates et aux concentrations indiquées dans la pièce R-11.1 - Relevés provenant de la municipalité de Shannon (Résultats MDDEP).

3.       Le TCE a été trouvé dans les puits d'eau potable de la Garnison Valcartier aux dates et aux concentrations indiquées dans les pièces suivantes:

          Puits P-2 : PGC-41 et PGC-46;

          Puits P-4 : PGC-42 et PGC-46;

          Puits P-5 : PGC-43 et PGC-46;

          Puits P-7 : PGC-44 et PGC-46.

4.       Le TCE a été trouvé dans le réseau d'eau potable ailleurs que dans les puits de la Garnison aux dates et aux concentrations indiquées dans la pièce PGC-45.

5.       Avant les dates indiquées dans la pièce R-11.1 et, à l'exception des tests commandés par Claudie Tremblay en février 1999 : la pièce PGC-20; Stéphane Jean en décembre 2000 : PGC-60, onglet 74; et SNC/Denis Beaudet en décembre 2000: PGC-21, il n'y a pas de données pour la présence de TCE dans les puits privés de la municipalité de Shannon.»

[576]     Les défenderesses corporatives ont déposé à cette même date au dossier de la Cour un document au même effet, à l'exception du paragraphe 5 qui se lit ainsi:

«5.     Avant les dates indiquées à la pièce R-11.1 et, à l'exception des tests commandés par monsieur Denis Beaudet en décembre 2000, il n'y avait pas de données confirmant la présence de TCE dans des puits privés et par conséquent, SNC-TEC n'en avait aucune connaissance.»

[577]     Le 20 janvier 2011, les défendeurs ont admis, aux termes d'un document produit au dossier de la Cour, ce qui suit:

«1. Les défenderesses admettent les dossiers médicaux complets signifiés par la demanderesse et contenus à la pièce R-138, référant à cet égard à leurs Avis selon l'article 294.1 C.p.c. signifiés le 4 janvier 2011;

2.   Cependant, pour les seules fins de détermination d'un lien causal entre le TCE et les dommages à la santé, lien qui n'est d'aucune façon admis, allégués par les membres du groupe, les parties défenderesses font les admissions suivantes:

3.   Dans la mesure où les témoins membres du groupe venaient témoigner, ils témoigneraient à l'effet qu'ils:

(i)   ont habité aux adresses civiques indiquées à la pièce R-31.4A, et celles indiquées aux rapports de Raymond Van Coillie, datés respectivement de novembre 2008 (pièce R-15.2) et du 14 janvier 2010 (pièce R-15.2A);

(ii)  ont résidé à ces adresses civiques aux périodes indiquées à la pièce R-31.4A et celles indiquées aux rapports de Raymond Van Coillie datés respectivement de novembre 2008 (pièce R-15.2) et du 14 janvier 2010 (pièce R-15.2A);

(iii) ont eu les maladies indiquées à la pièce R-31.4A et celles indiquées aux rapports de Raymond Van Coillie, datés respectivement de novembre 2008 (pièce R-15.2) et du 14 janvier 2010 (pièce R-15.2A);»

4.   Les parties défenderesses se réservent le droit de faire la preuve contraire des éléments qui ne sont pas contenus aux dossiers médicaux et qu'elles n'ont pas pu vérifier;

5.   Les parties défenderesses n'admettent aucun autre élément ou conclusion contenu à la pièce R-31.4A ou aux rapports de Raymond Van Coillie, datés respectivement de novembre 2008 (pièce R-15.2) et du 14 janvier 2010 (pièce R-15.2A), sauf en ce qui a trait à la date de décès et au travail des membres, et se réservent également le droit d'en faire la preuve contraire et de faire la preuve contraire des informations contenues aux dossiers médicaux;

6.   Enfin, pour bien délimiter la portée et le contexte des présentes admissions, les parties défenderesses indiquent qu'advenant que la Cour conclut dans son jugement final qu'il y a un lien causal entre le TCE et les dommages à la santé allégués par les membres du groupe, l'étape subséquente sera l'individualisation des dommages (conformément aux articles 1037 et ss. C.p.c.).  À cette étape ultérieure où les membres devront prouver, le cas échéant, leur dommage individuel à la santé, les parties défenderesses exigeront que le dossier médical complet de tous les membres du groupe leur soit communiqué.  Les experts médicaux des parties défenderesses verront alors à valider les dommages à la santé allégués par les membres du groupe;

7.   Les défenderesses se réservent le droit de faire la preuve selon l'analyse de ses experts, de la situation médicale de chacun des membres du groupe;»

[578]     En résumé, ces admissions établissent entre autres la preuve:

1)  De la présence de TCE dans l'eau souterraine, les puits d'alimentation en eau potable de la Base militaire et des résidences situées dans la municipalité de Shannon, tous ces puits étant situés à l'est de la rivière Jacques-Cartier, selon ce qui est indiqué aux différentes pièces mentionnées;

2)  que les dossiers médicaux complets contenus à la Pièce R-138 sont admis;

3)  «Pour la seule fin de la détermination du lien causal entre le TCE et les dommages à la santé, lien qui n'est d'aucune façon admis», les membres des deux groupes ont habité et résidé aux adresses civiques précisées aux différentes pièces identifiées, et ce, pour les périodes qui y sont mentionnées et qu'ils ont eu les maladies indiquées.

Discussion

[579]     La preuve démontre que du début des années 1940 jusqu'en 1985, date de l'entrée en vigueur du Règlement sur la disposition des déchets dangereux, on aurait, au RDDC Nord et à l'usine de fabrication de munitions, déversé à divers endroits sur le sol du TCE dont l'une et l'autre des entreprises se servaient dans le cadre de ses opérations.

[580]     L'on ignore la quantité exacte.  Cependant, on sait que quelques mois avant la cessation de ses opérations au mois de juin 1991, Les Produits de défense SNC, Division IVI, demandait au ministère de l'Environnement du Québec l'autorisation de construire un site où on comptait entreposer, entre autres, près 400 gallons de TCE (Pièce R-17).

[581]     Cette seule information permet de présumer que, pendant les années de grande production de munitions, soit de la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945) jusqu'à la fin de la Guerre du Vietnam (1964-1975), on a dû faire grand usage de TCE, dont l'utilisation était précisément spécifiée par les autorités militaires pour la production de munitions.

[582]     La preuve démontre donc, du moins en ce qui concerne l'usine de fabrication de munitions, qu'on aurait utilisé du TCE en grande quantité et qu'une fois usé, on en disposait en le déversant sur le sol.

[583]     On peut dès lors s'interroger à savoir si ce comportement constitue une faute, c'est-à-dire s'il enfreint «les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi», s'imposaient alors.

[584]     Par ailleurs, la preuve démontre aussi que des anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon ont été atteints de cancers, de maladies ou autres malaises, c'est d'ailleurs admis.

[585]     À ce moment-ci, la question n'est pas tant de savoir si le fait d'avoir déversé sur le sol du TCE constitue ou non une faute.  Mais, la question est davantage de déterminer si la preuve démontre un lien de causalité entre la présence du TCE dans la nappe phréatique et, selon ce que prétend Mme Spieser, le nombre anormalement élevé de cas de cancers, maladies et autres malaises parmi la population de Shannon.

[586]     Que révèle la preuve sur cette question du lien de causalité?

[587]     La preuve hydrogéologique, quoique très exhaustive, n'est pas probante. Cette conclusion repose sur la nature même de la preuve présentée de part et d'autre.

[588]     En effet, l'hydrogéologie permet probablement de connaître avec une certaine précision le comportement en temps réel de la nappe phréatique à l'intérieur des différentes unités aquifères et aquitards.

[589]     Les recherches et les analyses effectuées ont d'ailleurs permis, entre autres, de connaître l’orientation de l'écoulement des eaux souterraines, la concentration en TCE de ces eaux et ainsi délimiter le panache de contamination avec une certaine précision pour enfin être en mesure de proposer différentes solutions visant à remédier à la situation, soit décontaminer la nappe phréatique.

[590]     L'hydrogéologie permet donc assurément de connaître l'état exact d'une situation présente et fort possiblement d'une situation antérieure lorsque les vestiges du passé, encore présents, le démontrent.

[591]     Mais ici, la question est beaucoup plus complexe en ce sens qu'il n'existe aucun élément du passé qui puisse apporter une réponse.  Le seul élément connu est que l'on a déversé à différents endroits sur le sol une quantité importante de TCE qui a atteint et contaminé la nappe phréatique.  Certains de ces endroits sont encore aujourd'hui identifiables.

[592]     Cette seule information ne nous permet pas de connaître à quel moment précisément le TCE dans l'eau souterraine a atteint les puits d'approvisionnement en eau potable du réseau d'aqueduc de la Base militaire et ceux des résidences de la municipalité de Shannon, de même qu'elle ne nous permet pas de connaître le niveau de concentration en TCE de cette eau avant l’année 2000.

[593]     C'est donc à l'aide de modèles numériques que l'on peut tenter de trouver une réponse à ces questions.

[594]     Et, encore là, construire un modèle numérique pour connaître l'état d'une situation présente à partir de données actuelles, c'est un fait courant.  Mais, élaborer un modèle numérique pour connaître l'état d'une situation antérieure à partir de données actuelles seulement, dont certaines qui ont une importance déterminante sur le résultat peuvent être différentes de celles du passé, n'est pas chose facile.

[595]     C'est précisément dans ce contexte très particulier que les Drs Chapuis et Lefebvre ont travaillé pour tenter de répondre aux questions énoncées précédemment.

[596]     Le Dr Chapuis témoigne que son rapport d'expertise est essentiellement un contrôle de qualité des données numériques de base et des différentes études hydrogéologiques effectuées depuis le début des années 2000 dont s'est servi le Dr Lefebvre pour réaliser son expertise hydrogéologique du mois de juillet 2010 (Pièce DC-147) et sa contre-expertise du 20 décembre 2010 (Pièce DC-147 a).

[597]     Procédant à l'analyse de ces données et du premier rapport d'expertise du Dr Lefebvre, le Dr Chapuis diffère d'opinion avec celle du Dr Lefebvre au sujet de trois paramètres, soit:

•           Le caractère perméable du roc souterrain;

•           La conductivité hydraulique;

•           L'infiltration de l'eau dans le sol.

[598]     Trois paramètres qui, selon lui, ont une incidence directe sur la vitesse de l'écoulement de l'eau souterraine.  D'ailleurs, il est d'avis que celle-ci circule trois fois plus vite que ce que propose le Dr Lefebvre.

[599]     Mais, le Dr Chapuis ajoute que le Dr Lefebvre, dans son rapport du mois de juillet 2010, n'a pas pris en considération l'effet de pompage des différents puits que l'on retrouve à proximité des voies de migration, ce qui a certainement eu une incidence sur l'écoulement des eaux souterraines.

[600]     Ce que reconnaît le Dr Lefebvre qui refait son modèle numérique (Pièce DC-147 a) dont le résultat est de réduire la vitesse de l'écoulement de l'eau souterraine et de retarder ainsi l'arrivée du TCE aux puits d'alimentation du réseau d'aqueduc de la Base militaire et des résidences de la municipalité de Shannon.

[601]     L'Annexe «B», qui reproduit sur une même page les tableaux synthèses élaborés par le Dr Chapuis et le Dr Lefebvre, illustre les propos ci-dessus.

[602]     Premièrement, on aura remarqué que dans le titre de leur tableau respectif qui concerne le «temps de migration du TCE et durée d'exposition», le Dr Chapuis utilise le mot probable et le Dr Lefebvre le mot possible.  C'est essentiellement la question!

[603]     Les rapports d'expertise des Drs Chapuis et Lefebvre ainsi que leur témoignage à l'audience démontrent bien que leur opinion respective, d'une part en ce qui concerne la concentration en TCE dans l'eau souterraine et d'autre part, en ce qui concerne l'arrivée du TCE dans les puits alimentant le réseau d'aqueduc de la Base militaire et les résidences de la municipalité de Shannon, en somme la durée d'exposition, s'inscrit davantage dans un contexte de possibilité que de probabilité.

[604]     C'est d'ailleurs l'expression qu'utilise le Dr Lefebvre lorsqu'il résume son opinion sur la question au tableau 3 intitulé: «Temps de migration du TCE et durée d'exposition possible au TCE des puits résidentiels à Shannon jusqu'à 2001» que l'on retrouve à la page 20 de son rapport du 20 décembre 2010 (Pièce DC-147 a).

[605]     L'Annexe «B» démontre aussi toute l'ambivalence et le questionnement qui subsistent à la suite de l'analyse de ces deux rapports.  Cela fait en sorte que ni l'un et ni l'autre se situe au niveau d'une preuve probante.

[606]     Ce constat ne résulte pas des divergences qui existent entre ces deux rapports, mais bien de l'incertitude des données de base avec lesquelles l'un et l'autre des modèles numériques ont été construits.

[607]     Comment expliquer que dans son rapport du 30 septembre 2010 le Dr Chapuis, qui propose un modèle numérique, constate à juste titre que dans son rapport du mois de juillet 2010 que le Dr Lefebvre n'a pas pris en considération l'effet de pompage des puits situés à proximité de certaines voies de migration? Cette remarque, qui démontre toute la complexité de construire un modèle numérique dans les circonstances, ne peut avoir pour effet que de ralentir la vitesse de l'écoulement de l'eau souterraine.

[608]     Cette remarque du Dr Chapuis démontre donc toute la difficulté que représente l'élaboration d'un modèle conceptuel d'une situation passée, dont on ignore précisément les données de base nécessaires aux multiples calculs informatiques.

[609]     Aussi, si on regarde uniquement la situation des trois zones sources suivantes:

-     Lagon bleu (RDDC Nord/voie de migration 2)

-     Secteur 214 (SIVI/voie de migration 2)

-     Dépotoir SIVI (SIVI/voie de migration 3)

[610]     Le docteur Chapuis propose que les puits des résidences de la municipalité de Shannon ont été exposés au TCE provenant de ces trois sources jusqu'en 2001, depuis 31 ans, 45 ans et 18 ans (durée moyenne).

[611]     Selon le Dr Lefebvre, ces puits, en 2001, n'étaient pas encore exposés au TCE provenant de ces trois zones sources (-6 ans, -1 an et -6 ans, durée moyenne).

[612]     Il est d'avis que seules les zones sources, les lagunes X et A (voie de migration 3) et la lagune C (voie de migration 4), toutes situées sur le territoire de SIVI, auraient pu en 2001 avoir contaminé les puits des résidences de la municipalité de Shannon depuis au plus six ans, trois ans et un an (durée moyenne).

[613]     Pour le Dr Lefebvre, les données de base sont à ce point incertaines que la marge d'erreur qu'il attribue à ses propres résultats, en ce qui concerne le «temps de migration», est égale à plus ou moins la période elle-même qu'il considère que l'eau souterraine a pris pour circuler dans l'aquifère deltaïque, soit ± 10 ans ou ± 5 ans.

[614]     Ce que l'on sait toutefois, c'est qu'en 1995 on constate la présence de TCE dans le réseau d'aqueduc de la Base militaire, soit le 25 avril 1995, au bâtiment 516 (gymnase et piscine), 101µg/l, et le 27 avril 1995 au bâtiment 601 (chlorinateur et contrôle), 85,8µg/l (Pièce PGC-45).

[615]     Et, le 24 octobre 1997, on constate que l'eau de la borne-fontaine FH-59, située sur le terrain de SIVI mais qui fait partie du réseau d'aqueduc de la Base militaire alimenté par le puits P5, a une concentration en TCE de 46µg/l selon une première analyse et de 57µg/l selon une deuxième analyse (Pièce DC-94 a, EDB-38).

[616]     Enfin, les 15 et 17 novembre 2000, les certificats d'analyse d'un échantillon de l'eau potable de la résidence située au 10, King's Drive, dans la municipalité de Shannon, démontrent une concentration en TCE de 178µg/l et de 160µg/l (Pièce DC-94, EDB-40).

[617]     À quel moment précisément le TCE a-t-il atteint ces différentes sources d'approvisionnement?  On l'ignore toujours, tout comme on ignore toujours la concentration passée de TCE dans l'eau.  La preuve hydrogéologique ne permet même pas de présumer une date ou une concentration probable qui découlerait de circonstances graves, précises et concordantes.

[618]     La preuve sur les intrusions de vapeurs dans l'air intérieur des résidences de la municipalité de Shannon couvre la période du mois de mars 2007 au mois de mars 2010.  À quelques exceptions près, l'Annexe «D» démontre qu'à plusieurs occasions pendant une période de deux ans, soit de 2007 à 2009, on ne détecte aucune concentration de TCE dans l'air intérieur des résidences sélectionnées.  Ou bien, les concentrations de TCE alors détectées sont inférieures à la norme provisoire de 5 µg/m3.

[619]     Au mois de mars 2009, LNA détecte à la résidence située au 6, rue Juneau, une concentration de TCE dans l'air intérieur de 7.7 µg/m3.  Cependant, la concentration de TCE dans l'air sous la dalle est de 5.7 µg/m3, ce qui soulève un doute au sujet de l'exactitude de cette mesure.  En effet, étant donné «l'effet cheminée», il serait normal que la concentration de TCE dans l'air sous la dalle soit supérieure à la concentration de TCE dans l'air intérieur.

[620]     Quant aux mesures de concentration de TCE dans l'air intérieur prises par LNA au mois de janvier 2010, l'on constate qu'une seule mesure de concentration de TCE a été détectée dans le secteur du «triangle rouge» et qu'elle est inférieure à la norme provisoire de 5 µg/m3.

[621]     Les autres mesures de concentration de TCE dans l'air intérieur supérieures à 5 µg/m3 détectées à l'extérieur du «triangle rouge» par LNA au mois de janvier 2010 n'ont pas été détectées par CRA au mois de mars 2010 qui, par ailleurs, n'a pas détecté de concentration de TCE dans l'air sous la dalle de ces mêmes résidences.

[622]     Cette preuve, controversée en ce qui concerne les mesures de concentration de TCE prises par LNA et CRA aux mois de janvier et mars 2010, ne peut certes pas démontrer quelle était la situation de l'air intérieur des résidences de la municipalité de Shannon avant le mois de décembre 2000, et même au cours des années qui ont suivi.

[623]     La preuve portant sur les sciences médicales repose sur deux éléments, à savoir:

1)      Le postulat selon lequel la nappe phréatique sous la municipalité de Shannon aurait été fortement contaminée par une concentration élevée de TCE pendant une longue période de temps;

2)      Les déclarations des anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon faites auprès des infirmières, mesdames Giroux et Trottier, ainsi que leur dossier médical contenu à la Pièce R-138.

[624]     Selon le rapport du Dr Chapuis, le TCE aurait atteint les puits alimentant le réseau d'aqueduc de la Base militaire depuis au moins 1963 et ceux des résidences de la municipalité de Shannon depuis au moins 1956, exposant ainsi les résidants au TCE pendant une période de 45 à 50 ans.  Et cela, à des concentrations nettement supérieures à celles connues en 2001, étant donné que l'on aurait arrêté d'utiliser du TCE vers 1985, date à laquelle le Règlement sur la disposition des déchets dangereux est entré en vigueur.

[625]     Et, selon la mise à jour au 31 octobre 2010 du rapport du Dr Shields (Pièce R-31 A-3), il y avait à cette date 414 personnes qui avaient déclaré avoir été atteintes d'un ou de plusieurs cancers, pour un total de 489 cas de cancers.

[626]     Les procureurs de Mme Spieser invitent le Tribunal à considérer la preuve dans son ensemble.  Une preuve qui, selon eux, démontre une situation anormale en ce qui concerne le nombre de personnes atteintes d'un ou de plusieurs cancers, de maladies ou autres malaises parmi les anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon.

[627]     Selon eux, cette preuve, analysée dans le contexte de la présence du TCE dans l'eau de consommation, explique directement ou présume du caractère anormal de la situation qu'ont vécue et que vivent encore les anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon.

[628]     Par ailleurs, les procureurs des défendeurs invitent le Tribunal à conclure que cette preuve médicale ne démontre pas que le TCE soit la cause d'une situation qui, selon eux, n'est de toute façon pas anormale, s'inspirant en cela de ce qu'a décidé en 2009 le comité scientifique formé par le National Research Council dans son rapport intitulé «Contaminated water supplies at Camp Lejeune: Assessing potential health effects».

[629]     Mais, ils ajoutent que cette preuve ne permet pas davantage de conclure à un lien de cause à effet entre la faute qui leur est reprochée qui se traduit par la présence de TCE dans la nappe phréatique et les préjudices allégués, soit les cas de cancers, maladies et autres malaises.

[630]     Si l'on s'en tient au strict consensus scientifique, la preuve démontre uniquement que le TCE, produit reconnu cancérogène, peut probablement causer le cancer du rein et possiblement causer le cancer du foie et le lymphome non-hodgkinien.

[631]     Indépendamment de ce consensus scientifique qui s'appuie sur un ensemble d'analyses qui dépassent largement le niveau de la probabilité requis en droit civil, la preuve médicale présentée par la partie demanderesse démontre-t-elle que le préjudice allégué, soit le caractère anormal de la situation médicale des anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon, est en lien avec la faute reprochée?

[632]     C'est sur la base de cette question que doit être analysée la preuve.

[633]     La preuve portant sur la toxicologie moléculaire démontre que les cellules analysées ont subi un processus néoplasique, c'est-à-dire que ce sont des cellules cancéreuses.

[634]     L'expertise du Dr Finkelstein peut, selon la preuve, probablement démontrer que les résultats qu'il obtient des analyses des cellules sont en lien avec la présence d’un cancer et possiblement le type de cancer, ou encore que ces résultats démontrent la sévérité de ce cancer, une information souvent utile au traitement selon le Dr Drouin.

[635]     C’est d’ailleurs ainsi qu’il décrit sa méthode d’analyse, soit un test diagnostic :

«PathFinderTG is a molecular DNA-based cancer diagnostic test which obtains a genetic fingerprint of mutation from routine histology and cytology slides as well as fluid samples.» Pièce R-315, p. 10)

[636]     Aussi, de l'aveu même du Dr Finkelstein, sa méthode de dépistage ne lui permet pas d'identifier l'agent qui a causé le cancer:

«Q. 239 […]

And my question to you is:  In your analysis of the LOHs, did you attempt to differentiate, just looking at the DNA, or are you able to differentiate what, in fact, gave rise to the mutation? Was it an environmental agent, was it an agent in cigarette smoke, was it some medication?

Are you, when you look at the DNA, are you able to identify what, in fact, may underlie that mutation?

R.        No, I did not.  I meant for the analysis to be integrated with other information.»

[637]     Cette «autre information» repose sur le postulat selon lequel la nappe phréatique sous la municipalité de Shannon aurait été fortement contaminée par la présence de TCE.

[638]     Sans cette «autre information», le Dr Finkelstein ne peut pas relier le constat d'un processus cancérogène qu'il observe dans une molécule d'ADN à un agent cancérogène précis.

[639]     Cette seule preuve portant sur la toxicologie moléculaire ne démontre donc pas que c'est précisément le TCE qui est la cause du processus cancérogène constaté dans les cellules que le Dr Finkelstein a observées.

[640]     Mais, il y a plus!  Lorsqu'on regarde les Annexes «E» et «F» qui regroupent certaines informations dont le «Fractional Allelic Loss (FAL)» des résidants à l'intérieur et à l'extérieur du «triangle rouge», il est vrai que l'on constate que le FAL sur le chromosome 3 des cellules observées chez les résidants à l'intérieur du «triangle rouge» est toujours supérieur à 0.3, d'où la déduction des Drs Finkelstein et Charbonneau.

[641]     Cependant, si on regarde les cas de cancers du rein que le consensus scientifique associe entre autres au TCE, on constate qu'à l'intérieur du «triangle rouge» il y a un seul cas de cancer du rein dont le FAL est de 0.5 et qu'à l'extérieur du «triangle rouge» il y a trois cas de cancer du rein dont les FAL sont respectivement de 0.50, 0.00 et 0.83.

[642]     Donc, même si on considère qu'il puisse y avoir un lien entre le TCE et un FAL de 0.30 et plus, la présence des trois cas de cancers du rein à l'extérieur du «triangle rouge» ne démontre-t-elle pas que d'autres facteurs entrent en considération et peuvent provoquer un tel cancer?  Aussi, comment expliquer l'absence de cas de cancers du foie et le lymphome non-hodgkinien aussi associés au TCE à l’intérieur du «triangle rouge»?

[643]     Il est vrai que les cellules analysées par le Dr Finkelstein ont été sélectionnées par le Dr Charbonneau.  Cependant, étant donné la présence présumée de TCE, ne devrait-il pas y avoir plus de cas de cancers du foie et de lymphomes non-hodgkiniens?

[644]     En somme, cette preuve démontre probablement, comme l'affirme le Dr Drouin, que les cellules analysées sont cancérogènes.  Mais cette preuve ne démontre pas un lien entre la présence du TCE et le fait que les cellules étudiées soient cancérogène.

[645]     La preuve toxicologique s'appuie aussi sur les deux éléments énoncés précédemment, soit les déclarations et dossiers médicaux des anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon contenus à la Pièce R-138, et le postulat selon lequel la nappe phréatique sous la municipalité aurait été fortement contaminée.  Quoique pour ce dernier aspect, le Dr Van Coillie propose une concentration moyenne de la contamination par le TCE des puits des résidences situées dans «le triangle rouge» de 214 µg/l.

[646]     Le rapport d’expertise du Dr Van Coillie porte essentiellement sur deux aspects.

[647]     À partir d’une concentration moyenne de 214 µg/l de TCE que détermine le Dr Van Coillie, il émet une première opinion selon laquelle les résidants du «triangle rouge» sont confrontés à un risque plus élevé d'être atteints d'un cancer au cours de leur vie que les autres citoyens du Canada.

[648]     Ce risque additionnel (R. add.) est de 4,69/1 000 000, alors que le risque considéré comme essentiellement négligeable par Santé Canada est de 1/1 000000.

[649]     Par ailleurs, à partir des données colligées par mesdames Giroux et Trottier (Pièce R-138), le Dr Van Coillie compare la situation des résidants de 84 résidences situées à l'intérieur du «triangle rouge», soit à l'est de la rivière Jacques-Cartier, avec la situation des résidants de 84 résidences situées à l'extérieur du «triangle rouge», soit à l'ouest de la rivière Jacques-Cartier.  Le Dr Van Coillie est alors d’avis qu'à l'intérieur du «triangle rouge»:

•    Le nombre de personnes atteintes d'un cancer est supérieur de 2.8 fois;

•    Le nombre de cancers primaires est supérieur de 2.5 fois;

•    Les malaises autres que le cancer sont supérieurs de 4.6 fois.

[650]     La première conclusion du Dr Van Coillie qui concerne le risque additionnel résulte d'une analyse de nature toxicologique.  Cette première conclusion soulève toutefois deux préoccupations.

[651]     La première, c'est qu’elle repose sur une prémisse dont la valeur probante n'est pas établie. En effet, à quel moment le TCE a-t-il atteint la nappe phréatique sous la municipalité de Shannon et quelle a été la concentration en TCE de l'eau des puits des résidences de cette municipalité jusqu’au mois de décembre 2000?  Les expertises des Drs Chapuis et Lefebvre nous donnent au mieux une réponse possible à ces questions, mais certes pas une réponse probable.

[652]     La deuxième de ces préoccupations est que cette première conclusion peut-elle à elle seule, dans un contexte aussi complexe que celui-ci, faire la preuve du lien de causalité?  Certainement pas, d'où l'importance d'avoir recours à d'autres éléments de preuve.

[653]     Ce qui nous conduit à la deuxième conclusion du Dr Van Coillie qui, cette fois-ci, s'apparente davantage d’une analyse de nature épidémiologique.  C'est d'ailleurs pour cette raison que cette deuxième conclusion sera analysée avec la preuve épidémiologique.

[654]     La preuve épidémiologique s'appuie aussi sur l’une des prémisses énoncées précédemment, soit les déclarations des anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon et leurs dossiers médicaux (Pièce R-138).

[655]     Dans son analyse épidémiologique descriptive de type «morbidité proportionnelle», le Dr Tremblay compare des rapports, soit la proportion de personnes atteintes d'un cancer parmi la population de Shannon qui aurait été exposée au TCE avec la proportion de personnes atteintes du même cancer dans la province de Québec qui n'a pas été exposée au TCE, et cela, pour la période du 1er janvier 1992 au 31 décembre 2005.

[656]     Au sujet de son analyse, le Dr Tremblay, rappelons-le, émet la réserve suivante:

«Le calcul est simple puisqu'il s'agit de fractionner chaque cancer et de comparer les pourcentages dans les deux groupes, exposés et non exposés, ce qui constitue le ratio de morbidité proportionnel (PMR).  Cependant, l'interprétation qu'on en fait doit être limitée.  De fait, le PMR peut montrer une augmentation d'une cause de cancer spécifique dans le groupe exposé, sans qu'on puisse conclure à une association causale (cause à effet).  Il s'agit ici de la simple comparaison de deux proportions et ne réfère pas à la comparaison de deux risques, au sens épidémiologique.

En épidémiologie, l'inférence causale (association cause à effet) ne peut être démontrée que par la comparaison des risques spécifiques estimés dans les deux groupes, l'un exposé et l'autre non exposé.»

[soulignements ajoutés]

[657]     Que signifie cette réserve:  «De fait, le PMR peut montrer une augmentation d'une cause de cancer spécifique dans un groupe exposé, sans qu'on puisse conclure à une association causale (cause à effet)».

[658]     On retrouve une réserve de même nature dans le rapport portant sur le Camp Lejeune, lorsqu’on discute de la revue des études épidémiologiques faites par l'«Institute of Medicine» en 2003 à la suite de la Guerre du Vietnam et la Guerre du Golfe (1990-1991):

«Epidemiologic studies examine whether people with greater exposure to particular chemicals have greater frequency of disease than people with lesser or no exposure (also referred to as greater incidence or greater risk of disease).  To manage the review of the vast amount of peer-reviewed scientific literature on TCE and PCE, the committee began with a comprehensive review of the epidemiologic studies of those solvents that was conducted by the Institute of Medicine (IOM) in 2003.  IOM categorized the evidence according to an established scheme accepted by the Department of Veteran's Affairs in evaluating risks to veterans of the Vietnam War and the Gulf War.  These categories are shown in Box 1.  […]

BOX 1 Five Categories Used by IOM to Classify Associations

Sufficient Evidence of a Causal Relationship

[…]

Sufficient Evidence of an Association

[…]

Limited/Suggestive Evidence of an Association

[…]

Inadequate/Insufficient Evidence to Determine Whether an Association Exists

[…]

Limited /Suggestive Evidence of No Association

[…]

IOM's approach to evaluating the literature is to determine whether a statistical association exists between the chemicals and diseases and disorders.  When studies are conducted properly, a statistical association means that people who are exposed to the chemicals are more likely to have or develop the disease or disorder than people who are not exposed.  A statistical association, however, does not establish that the chemicals cause the diseases or disorders.  Judgment about the quality of each study and additional supporting evidence from other studies are needed. Statistical associations are often represented by numeric estimates, known as relative risks or odd ratios

[soulignements ajoutés]

[659]     Cela confirme qu'une étude ou une analyse épidémiologique, malgré sa complexité, ne peut à elle seule établir un lien de causalité.  De plus, comme il l'affirme lui-même, le Dr Tremblay n'a fait que des calculs comparatifs avec les informations dont il disposait, soit les cas de cancers «autodéclarés» (Pièce R-138) et les statistiques du Québec.

[660]     Cela nous conduit donc à regarder les résultats de ses calculs qui, dans l'ensemble, s'apparentent aux statistiques du Québec sur le cancer.

[661]     En effet, de façon générale, en ce qui concerne la proportion de cancers observés chez les femmes et chez les hommes, il constate que:

«Il n'y a pas de différence dans les proportions observées chez les femmes à Shannon et dans la province de Québec (47% vs 48%) ou chez les hommes (53% vs 52%).

Somme toute, la proportion des nouveaux cas rapportés chez les femmes et chez les hommes de Shannon dans la période 1992-2005 est équivalente à la proportion des nouveaux cas déclarés au Registre des tumeurs de la province de Québec pour la même période. […] À l'image, il n'y a pas de surdéclaration de cas chez les femmes ou les hommes.» (Pièce R-125, p. 26)

[662]     Par ailleurs, si on regarde les résultats par type de cancer, le Dr Tremblay constate aussi que:

«Tel qu'attendu, le cancer du sein chez la femme et celui de la prostate chez l'homme occupent le premier rang comme c'est le cas pour l'ensemble du Québec.»

[663]     On peut aussi se poser la question pour les autres types de cancers plus fréquents.  L'analyse du Dr Shields nous donne une réponse.

[664]     L'Annexe «G» est une compilation de certains types de cancers en fonction de l’âge et du nombre de cas déclarés pendant une certaine période, compilation faite à partir des données fournies par le Dr Shields.

[665]     Si on divise le nombre de cas d'un type de cancer par le nombre d'années de la période concernée, on obtient un rapport qui devrait  nous indiquer «sommairement» lequel de ces cancers est le plus fréquent.

-     Poumon:           52 cas pendant 35 ans (52/35)     = 1.48

-     Sein:                 64 cas pendant 36 ans (52/36)     = 1.77

-     Prostate:          52 cas pendant 41 ans (52/41)     = 1.26

-     Intestin:             52 cas pendant 40 ans (52/40)     = 1.30

-     Rein:                 16 cas pendant 19 ans (16/19)     = 0.84

-     Foie:                 4 cas pendant 9 ans (4/9)              = 0.44

-     LNH:                 16 cas pendant 24 ans (16/24)     = 0.66

-     Cerveau:          17 cas pendant 27 ans (17/27)     = 0.62

[666]     Comme les Statistiques canadiennes sur le cancer 2010 (Pièce PGC-100) le démontrent:

«Les cancers les plus fréquents demeurent le cancer de la prostate chez l'homme et le cancer du sein chez la femme […]»

«Tant chez les hommes que chez les femmes, le deuxième siège de cancer le plus fréquent est le cancer du poumon (13,9%), tandis que le cancer du côlon et du rectum arrivent au troisième rang (12,9%).»

«Quatre cancers (sein, poumon, côlon, rectum et prostate) représenteront 54,4% de tous les cancers diagnostiqués au Canada en 2010.»

[667]     Les constats des Drs Tremblay et Shields, du moins en ce qui a trait aux types de cancers les plus fréquents, sont à peu près identiques à ce que l'on retrouve parmi la population canadienne en générale (sein 1.77, poumon 1.48, prostate 1.26 et intestin 1.30).

[668]     Par ailleurs, en ce qui concerne spécifiquement le cancer du rein auquel la communauté scientifique associe le TCE, le Dr Tremblay écrit:

«Le risque estimé pour le cancer du rein se démarque également, sans être statistiquement significatif : 2,05 (0,74 - 5,64).»

[soulignements ajoutés]

[669]     De plus, le Dr Tremblay identifie trois cancers chez la femme dont le risque lui apparaît plus élevé :  estomac, sein, cerveau.  Chez l'homme, trois cancers se démarquent également :  estomac, cerveau, mélanome.

[670]     Selon le Dr Tremblay, le risque de cancer de l’estomac chez la femme et l’homme, de même que le cancer du cerveau et le mélanome chez l’homme, seraient «statistiquement significatifs».

[671]     Cependant, les cancers du sein et du cerveau chez la  femme ne seraient pas «statistiquement significatifs».

[672]     Si un produit chimique est la cause d’un type de cancer chez l’être l’humain, pourquoi ce cancer, en l’occurrence le cancer du cerveau, serait «statistiquement significatif» chez l’homme et «non statistiquement significatif» chez la femme, les deux étant en principe soumis aux mêmes conditions d’exposition?

[673]     Selon le Dr Siemiatycki, les nombres en cause, soit la population concernée et le nombre de cas de cancers, ne permettent pas de faire une étude épidémiologique probante.  Selon lui, la faiblesse des nombres conduira toujours à des résultats dont la fiabilité sera toujours incertaine.

[674]     Enfin, à la lumière de ce qui précède, on comprend mieux le caractère nuancé de la conclusion du Dr Tremblay lorsqu’il écrit :

«L’hypothèse d’un lien avec une exposition d’origine environnementale, étant donné la connaissance d’une contamination historique du milieu par des composés organiques multiples, s’avère des plus plausibles.  La contamination par le TCE a été largement évoquée».

[Soulignements ajoutés]

[675]     L'utilisation des mots «hypothèse» et «plausible» interpelle quelque peu.  En effet, le premier signifie dans son sens courant: «Conjecture concernant l'explication ou la possibilité d'un événement»; le second «qui semble devoir être admis» et renvoie au mot «probable».

[676]     Mais, la situation des anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon est-elle réellement anormale ou d'autres facteurs peuvent-ils faire en sorte qu'elle puisse paraître anormale?

[677]     Selon les Statistiques canadienne sur le cancer 2010 (PGC-100) «Les hausses du nombre de nouveaux cas de cancers sont principalement attribuables à la croissance démographique et au vieillissement de la population.»

[678]     «Le triangle rouge» est situé dans la plus vieille partie de la municipalité de Shannon qui a été établie le 1er janvier 1947.

[679]     Cela signifie entre autres deux choses:

1)    Depuis 1947, des personnes ont résidé un certain temps à Shannon et elles ont déménagé, et d'autre personnes résident toujours à Shannon;

2)    Ces personnes qui ont résidé ou qui résident encore à Shannon ont vieilli.

[680]     Et, contrairement au Registre des tumeurs du Québec qui considère le lieu de résidence de la personne au moment du diagnostic du cancer, les cas de cancers répertoriés par mesdames Giroux et Trottier ne considèrent pas le lieu de résidence, faisant ainsi en sorte d'influencer positivement le facteur démographique, c'est-à-dire d'augmenter à un moment précis le nombre de personnes dans la municipalité de Shannon.

[681]     À titre d'exemple, si on prend un immeuble à logements construit en 1947 qui compte cent appartements et que l'on demande aujourd'hui aux personnes qui l'habitent quelles sont celles qui sont atteintes d'un cancer, ou ont été atteintes d'un cancer.  La réponse sera certes différente de celle que l'on pourrait obtenir si l'on s'informait auprès de toutes les personnes qui ont habité cet immeuble depuis 1947, mais qui ont déménagé depuis.

[682]     Le nombre de personnes dans ce dernier sera certes plus élevé, sans que l'on puisse d'aucune façon relier le fait d'avoir habité cet immeuble avec le fait d'avoir été ou d'être atteint d'un cancer.  Seul le nombre plus considérable de personnes qui ont habité l'immeuble depuis ses débuts et le vieillissement de celles-ci pourront être à l'origine du nombre de cas de cancers qui paraîtra alors anormalement élevé.

[683]     Donc, la façon dont on a recensé les personnes qui ont habité ou qui habitent encore la municipalité de Shannon, plus particulièrement «le triangle rouge», influence toute forme de comparaison entre la situation des anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon et les statistiques, que ce soit le Fichier des tumeurs du Québec ou les Statistiques canadiennes sur le cancer.

[684]     De plus, malgré la façon d'effectuer ce recensement, les analyses démontrent que la situation à Shannon, en ce qui concerne la proportion de cancers entre les femmes et les hommes, de même que les types de cancers, s'apparente à la situation de la population canadienne en général.

[685]     On le constate, les analyses des Drs Van Coillie, Trembley et Shield ne sont donc pas de véritables études épidémiologiques.  Ce sont, comme ils le confirment d’ailleurs, des exercices de calculs dont les résultats seront toujours tributaires des faiblesses ou des biais des données de base, faisant en sorte que les conclusions qu’elles proposent ne rencontrent pas le critère de la prépondérance des probabilités.

La responsabilité civile extra-contractuelle et les dommages-intérêts compensatoires

[686]     Les procureurs de Mme Spieser soutiennent que l'analyse du présent dossier repose sur l'examen du constat de la situation dans laquelle se retrouvent les anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon, et non par l'analyse individuelle de chaque cas de cancer eu égard au lieu de résidence de la personne concernée, comme le prétendent les procureurs des défendeurs.

[687]     Même analysé sous cet angle, Mme Spieser doit démontrer par une preuve prépondérante une faute, un préjudice et un lien de causalité.

[688]     La faute serait le déversement de TCE sur le sol et la contamination qui en a résulté de la nappe phréatique et des puits d'alimentation en eau potable.  Le préjudice serait le nombre anormalement élevé de cas de cancers, maladies et autres malaises parmi le population de la municipalité de Shannon.  Enfin, on devrait démontrer un lien de causalité entre la contamination des puits et le nombre anormalement élevé de cas de cancers, maladies et autres malaises.

[689]     Même si l'on considère que le fait d'avoir déversé du TCE sur le sol, contaminant ainsi la nappe phréatique et les puits d'alimentation en eau potable, puisse constituer une faute, d'autres questions demeurent:

-     La preuve démontre-t-elle qu'il y a un nombre anormalement élevé de cas de cancers, maladies et autres malaises parmi la population de la municipalité de Shannon?

-     Si tel est le cas, la preuve démontre-t-elle que cette situation est causée par la présence du TCE dans la nappe phréatique et les puits d'alimentation en eau potable?

[690]     Il n'y a pas au dossier de véritable preuve épidémiologique qui démontre le caractère anormal de la situation de la population de la municipalité de Shannon.

[691]     Par ailleurs, la preuve ne démontre pas davantage que la présence du TCE dans la nappe phréatique et les puits d'alimentation en eau potable puisse être la cause des cas de cancers allégués.

[692]     D'une part, il faut bien le reconnaître, la preuve hydrogéologique ne révèle pas, selon le critère de la probabilité, les conditions d'exposition des citoyens de la municipalité de Shannon.

[693]     Tout ce que l'on sait, c'est que les résidants des logements familiaux de la Base militaire sont approvisionnés en eau potable par un réseau d'aqueduc dans lequel on a détecté une première fois la présence de TCE en 1995, une vérification en 1987 n'ayant pas démontré la présence de TCE dans le réseau.

[694]     En ce qui concerne les résidants de la municipalité de Shannon, seule la Pièce R-11.1 nous donne cette information.

[695]     D'autre part, la preuve portant sur la toxicologie moléculaire présentée par les Drs Charbonneau et Finkelstein démontre la présence d'un processus cancérogène, mais ne peut identifier l'agent cancérogène.

[696]     De la même façon, la preuve toxicologique présentée par le Dr Van Coillie n'identifie pas l'agent cancérogène.  Et, la relation qu'il tente de faire entre la situation des anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon, notamment les cas de cancers, est tributaire des mêmes faiblesses que l'analyse du Dr Tremblay, les deux ayant les mêmes sources d'information.

[697]     Enfin, les Drs Shields et Tremblay le reconnaissent d'ailleurs.  Le rapport du Dr Shields est, comme il le déclare lui-même, le résultat d'une compilation et le constat qu'il fait d'une situation qu'il considère anormale.  Le rapport du Dr Tremblay est essentiellement une comparaison du nombre de cas de cancers «autodéclarés» par des personnes qui ont vécu ou vivent toujours dans la municipalité de Shannon avec les statistiques du Registre des tumeurs du Québec.

[698]     En somme, la preuve ne démontre pas qu'il est probable que les déversements de TCE sur le sol qui ont contaminé la nappe phréatique sous la municipalité de Shannon puissent être la cause d'un nombre anormalement élevé de cas de cancers, maladies et autres malaises allégués par Mme Spieser, d'autant plus que la preuve sur ce dernier aspect ne rencontre pas elle-même le critère de la probabilité.

[699]     Il résulte donc de l'analyse de l'ensemble de la preuve que Mme Spieser n'a pas démontré de façon prépondérante, soit par une preuve directe ou par présomption, que le déversement de TCE qui a contaminé la nappe phréatique soit la cause d’un nombre de cas de cancers, maladies et autres malaises qu'elle considère anormalement élevé parmi les anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon.

Les dommages-intérêts punitifs ou exemplaires

[700]     Dans l'arrêt de Montigny c. Brossard [2010] CSC 51 , un jugement unanime de la Cour suprême du Canada rendu le 10 novembre 2010, le juge LeBel écrit au nom de la Cour au sujet des objectifs poursuivis par les dommages exemplaires:

«[47] Contrairement aux dommages compensatoires, dont la raison d’être est la réparation du préjudice résultant d’une faute, les dommages exemplaires existent, quant à eux, pour une autre fin. L’octroi de ces dommages a pour but de marquer la désapprobation particulière dont la conduite visée fait l’objet. Il est rattaché à l’appréciation judiciaire d’une conduite, non à la mesure des indemnités destinées à réparer un préjudice réel, pécuniaire ou non. […]

[48] Le régime des dommages exemplaires conserve, en droit québécois, un caractère d’exception. En effet, l’art. 1621 C.c.Q. précise que ces derniers ne peuvent être octroyés que lorsque la loi le prévoit. C’est le cas de la Charte qui, comme nous l’avons vu, permet l’octroi de tels dommages-intérêts dans les cas d’atteintes illicites et intentionnelles aux droits et libertés qu’elle garantit. […]

[49]  En raison du caractère exceptionnel de ce droit, les tribunaux québécois ont, jusqu’à maintenant, mis en œuvre de façon assez stricte la fonction préventive que donne aux dommages exemplaires l’art. 1621 C.c.Q. en limitant leur emploi à la punition et à la dissuasion (particulière et générale) de comportements jugés socialement inacceptables (Béliveau St-Jacques, par. 21 et 126; St-Ferdinand, par. 119). Par l’octroi de ces dommages, on cherche à punir l’auteur de l’acte illicite pour le caractère intentionnel de sa conduite et à le dissuader, de même que les membres de la société en général, de la répéter en faisant de sa condamnation un exemple.»

[701]     L'article 1621 C.c.Q. prévoit ce qui suit:

«Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.»

[702]     L'attribution de dommages-intérêts punitifs doit donc reposer sur une disposition législative.

[703]     Dans un cas tel celui-ci, c'est la Charte des droits et libertés de la personne du Québec qui est la source de cette réclamation.  En effet, l'article 6 de la Charte énonce que: «Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens».

[704]     Et, l'article 49 prévoit les modalités de la réparation d'une atteinte à ce droit:

«Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.»

[705]     Une atteinte illicite à un droit reconnu par la Charte, tel le «droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens» confère à la victime le droit d'obtenir «la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte».

[706]     La Cour suprême du Canada définit comme suit l'atteinte illicite dans l'arrêt Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'Hôpital St-Ferdinand [1996] 3 R.C.S. 211 :

«116 Pour conclure à l'existence d'une atteinte illicite, il doit être démontré qu'un droit protégé par la Charte a été violé et que cette violation résulte d'un comportement fautif.  Un comportement sera qualifié de fautif si, ce faisant, son auteur transgresse une norme de conduite jugée raisonnable dans les circonstances selon le droit commun ou, comme c'est le cas pour certains droits protégés, une norme dictée par la Charte elle-même.»

[707]     Les résidants de la municipalité de Shannon ont été privés de leur puits d'alimentation en eau potable.  Sans qu’il soit nécessaire de décider ici du caractère illicite de cette atteinte au sens de la Charte, on doit reconnaître que ces puits ont été remplacés par la construction d'un réseau d'aqueduc entièrement payé par le gouvernement du Canada.  Il y a donc «réparation du préjudice matériel» au sens du premier alinéa de l'article 49 de la Charte et de l'article 1457 C.c.Q.

[708]     Si cette atteinte illicite est intentionnelle, l'auteur pourra en outre être condamné à des dommages-intérêts punitifs.

[709]     Pour qu'une atteinte illicite à un droit reconnu par la Charte soit aussi qualifiée d'intentionnelle et ainsi être source de dommages-intérêts punitifs, la Cour suprême du Canada écrit dans le même arrêt:

«117 […] pour qu'une atteinte illicite soit qualifiée d'intentionnelle, l'auteur de cette atteinte doit avoir voulu les conséquences que son comportement fautif produira.

118 Dans cette perspective, afin d'interpréter l'expression atteinte illicite et intentionnelle, il importe de ne pas confondre le fait de vouloir commettre un acte fautif et celui de vouloir les conséquences de cet acte.  À cet égard, le deuxième alinéa de l'article 49 de la Charte ne pourrait être plus clair: c'est l'atteinte illicite - et non la faute - qui doit être intentionnelle.  En conséquence, bien que certaines analogies soient possibles, je crois qu'il faille néanmoins résister à la tentation d'assimiler la notion d'atteinte illicite et intentionnelle propre à la Charte aux concepts traditionnellement reconnus de faute lourde, faute dolosive ou même faute intentionnelle.

[…]

[121] En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l’art. 49 de la Charte lorsque l’auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera.  Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence.  Ainsi, l'insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.»

[soulignements ajoutés]

[710]     Également à ce chapitre, même si l'on considérait que le fait d'avoir déversé du TCE sur le sol, contaminant ainsi la nappe phréatique et les puits d'alimentation en eau potable, puisse constituer une atteinte illicite au «droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens», cette atteinte illicite, dans les circonstances que la preuve démontre, n'est certainement pas intentionnelle au sens du second alinéa de l'article 49 de la Charte.

[711]     En effet, même si l'on qualifie le comportement des préposés des défendeurs «d'insouciant», la preuve ne démontre pas que les défendeurs et leurs préposés ont agi dans «un état d'esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences (de leur conduite fautive) ou encore (qu'ils ont agi) en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probable, que cette conduite engendrera».

Troubles de voisinage

[712]     Selon l'article 976 C.c.Q., «Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux».

[713]     Si le fait de constater dans les circonstances de la présente cause que le puits d'alimentation en eau potable de sa résidence est contaminé par la présence de TCE n'est pas «un inconvénient anormal qui excède les limites de la tolérance», on peut dès lors s'interroger à savoir ce qu'est réellement un trouble de voisinage.

[714]     Selon la preuve, seuls le RDDC et l'entreprise de fabrication de munitions ont déversé sur le sol du TCE, contaminant ainsi la nappe phréatique.  On ne peut donc pas parler d'usages locaux.  Seuls deux citoyens corporatifs parmi l'ensemble de la population de la région se livraient à cet usage.

[715]     Bref, nous sommes ici en présence d'un trouble de voisinage prévu à l'article 976 du Code civil du Québec.

[716]     Mais, la preuve ne nous permet pas d'établir un partage de responsabilité entre les défendeurs.  Les déversements de TCE sur le sol par les employés du centre de recherche et par ceux de l'usine de fabrication de munitions sont susceptibles d'avoir causé la contamination de la nappe phréatique et des puits d'alimentation en eau potable, sans qu'il soit possible, dans l'un ou l'autre des cas, de déterminer lequel de ces déversements a effectivement causé l'inconvénient (art. 1480 C.c.Q.).

[717]     La difficulté est davantage de déterminer quelles sont les personnes qui doivent être compensées pour ce trouble de voisinage et de quelle façon elles doivent l'être.

[718]     La preuve démontre que le panache de contamination de la nappe phréatique est situé dans la vallée de Val-Bélair, circulant de l'est vers l'ouest, sur une longueur approximative de 4.5 kilomètres, d'une largeur moyenne de 400 mètres et de 100 mètres en bordure de la rivière Jacques-Cartier, couvrant ainsi la partie est de la municipalité de Shannon.  C'est ce que démontre l'Annexe «A».

[719]     Aussi, l'avis du 21 décembre 2000 de la municipalité de Shannon (Pièce R-12) est adressé «AUX RÉSIDENTS DU PÉRIMÈTRE KING'S DRIVE, JACQUES-CARTIER ET DE LA STATION», périmètre au-dessus du panache de contamination situé à l'est de la rivière Jacques-Cartier.

[720]     De plus, le 7 février 2001, la Ville de Shannon écrit à certains de ses citoyens ce qui suit:

«Les 17, 18 et 19 janvier derniers, la Municipalité a procédé à l'échantillonnage des puits dans un secteur déterminé par le Ministère de l'Environnement, soit les rues de la Station, King's Drive, Jacques-Cartier, Conway, Juneau, Sioui et des Mélèzes.» (Pièce R-13)

[721]     Ces rues sont toutes situées dans le «triangle rouge».

[722]     Enfin, l'Annexe «C» intitulé «CONCENTRATION MOYENNE EN TCE DANS LESPUITS RÉSIDENTIELS DE SHANNON SELON LEUR LOCALISATION PAR RAPPORT AUX PANACHES DE TCE» nous informe des résultats de tests faits sur 295 puits situés du côté est de la rivière Jacques-Cartier entre les années 2000 et 2009.

[723]     On constate que dans le panache principal, la concentration moyenne en TCE est de 78.4µg/l.

[724]     Deux autres pièces ont aussi une importance dans le contexte de la présente analyse.  Ces pièces sont les suivantes:

-     Pièce R-11.1: Adresses du périmètre MDDEP décembre 2000 et zone rouge élargie Van Coillie

-     Pièce R-132: Phases de raccordement par rue des résidences à l'aqueduc municipal de Shannon

 

[725]     L'analyse comparée de ces deux pièces aide aussi à déterminer quelles pourraient être les personnes qui doivent être indemnisées:

Pièce R-11.1

Adresses du périmètre MDDEP décembre 2000 et zone rouge élargie Van Coillie

Pièce R-132

Phase de raccordement par rue des résidences à l'aqueduc municipal de Shannon

Rues

# Civiques

Rues

# Civiques

 

 

 

Phase 1

Conway

3 à 25

Conway

3 à 58

Jacques-Cartier

417 à 435 - 364

Jacques-Cartier

415 à 435

Gosford

3 à 9 - 19

Gosford

3 à 49

Juneau

3 à 14

Juneau

3 à 405

King

1 à 31

King

1 à 31

Des Pins

377

Des pins

377 à 389

Sioui

4 à 17

Sioui

1 à 17

Station

8 à 30

Station

8 à 30

St-Patrick

10 - 50

St-Patrick

10 à 105

 

 

 

Phases subséquentes

Mélèzes

9 (0.27µg/l) à 15 - 48 (0µg/l)

Mélèzes

1 à 21 (phase 2)

Birch

17 (0µg/l)

Birch

5 à 23 (phase 2)

Riverside

17 (0µg/l)

Riverside

 

Elm

10 (0µg/l)

Elm

6 à 30 (phase 3)

Willow

4 (0µg/l)

Willow

2 à 5 (phase 2)

Cedar

11 (0µg/l)

Cedar

1 à 14 (phase 3)

 

[726]     Les résidences raccordées au réseau de l'aqueduc municipal de Shannon au cours de la phase 1, qui s'est terminée au mois de décembre 2001, sont situées dans le même secteur que celui où on a constaté aux mois de décembre 2000 et janvier 2001 la présence de TCE dans les puits d'alimentation en eau potable.

[727]     Ce sont donc les personnes qui occupaient une résidence raccordée au réseau d'aqueduc de la municipalité de Shannon au cours de la phase 1 qui seront indemnisées.

[728]     La situation des résidants des logements familiaux est différente.  On a effectivement constaté la présence de TCE dans le réseau d'aqueduc de la Base militaire, mais la concentration détectée se situait aux alentours de à la norme de 50µg/l.  Très rapidement, on s'est assuré d'un approvisionnement de qualité en eau potable.  On ne peut donc, à l'égard des résidants des logements familiaux, parler de trouble de voisinage au même titre qu'à l'égard des résidants des environs du «triangle rouge», dont les résidences ont dû être branchées à un nouveau réseau d'aqueduc de la municipalité.

[729]     Pour être indemnisée, une personne devra avoir été âgée de 18 ans au 21 décembre 2000 et avoir résidé à titre de propriétaire, locataire ou occupant dans l'une des résidences raccordées au réseau d'aqueduc de la municipalité de Shannon au cours de la phase 1 qui s'est terminée au mois de décembre 2001.

[730]     Quant au montant de l'indemnisation, malgré son caractère discrétionnaire, l'on doit, dans la mesure du possible, déterminer ce montant à partir de critères objectifs.

[731]     La preuve démontre que la population de Shannon, et plus particulièrement les personnes résidant dans le secteur identifié «le triangle rouge» ont été perturbées par la présence de TCE dans certains puits d'alimentation en eau potable.  Les témoignages entendus à l'audience démontrent que plusieurs personnes, à l'instar de Mme Spieser, ont éprouvé de l'inquiétude, de la frustration et de la méfiance, sans compter tous les inconvénients que cette situation leur a occasionnés.

[732]     Même si les autorités municipales et publiques ont tenté de les rassurer, il n'en demeure pas moins que ces personnes ont été d'une part perturbées et d'autre part, privées de leur puits d'alimentation en eau potable.

[733]     Une eau de qualité est un produit précieux, essentiel à la consommation et aux activités de tous les jours.  On ne peut certes douter de l'importance et du caractère indispensable de ce produit.  Être privé de sa source d'eau potable dans les circonstances ci-dessus décrites mérite compensation pour la crainte, les troubles et inconvénients que cela occasionne, d'autant plus si on assume une responsabilité à l'égard d'enfants.

[734]     Il apparaît donc raisonnable d'accorder à chacune des personnes physiques majeures un montant de 1000 $ par mois ou partie de mois d'occupation d'une résidence pour la période débutant le 21 décembre 2000, date à laquelle elles ont été informées de la présence de TCE, jusqu'au 20 décembre 2001, date à laquelle ont été complétés les derniers raccordements des résidences à l'aqueduc municipal de Shannon, ce qui donne un montant pouvant ainsi atteindre la somme de 12 000 $ par personne.

[735]     Par ailleurs, la personne ayant eu sous sa garde ou sa responsabilité un ou plusieurs enfants âgés de moins de 18 ans qui vivaient avec elle dans une résidence concernée verra cette indemnité majorée d'un montant forfaitaire de 3 000 $, l'indemnité pouvant ainsi atteindre la somme de 15 000 $.

La demande d'ordonnance d'injonction

[736]     Mme Spieser demande que soit prononcées à l'égard des défendeurs des ordonnances d'injonction visant à les obliger à décontaminer la nappe phréatique.

[737]     La preuve démontre que depuis le constat de la présence de TCE dans la nappe phréatique, les ministères et agences concernées des gouvernements du Canada et du Québec, de même que les responsables des défenderesses corporatives, ont multiplié les efforts pour d'une part identifier les sources de contamination et d'autre part, trouver une solution à ce problème de contamination.

[738]     Selon plusieurs témoignages, ce travail se poursuit présentement.  D'ailleurs, il est autant dans l'intérêt des autorités gouvernementales que celui de la population que ce travail soit complété.

[739]     Dans les circonstances actuelles, il n'y a pas lieu de prononcer les ordonnances d'injonction demandées.

Le caractère abusif de la réclamation en dommages-intérêts exemplaires ou punitifs

[740]     Les défenderesses corporatives ont, le 30 mars 2011, amendé leur défense afin de faire valoir que la réclamation de la demanderesse de 200 M $ à titre de dommages exemplaires était abusive et manifestement mal fondée.

[741]     Sur la base d'allégations détaillées et précisées dans leur défense amendée, les défenderesses corporatives demandent de:

«DÉCLARER que la réclamation en dommages exemplaires ou punitifs de la demanderesse se retrouvant au paragraphe 263.5 de sa Requête introductive d'instance “précisée et réamendée”, en dommages-intérêts [après jugement du 20 décembre 2010] est abusive;

RENDRE toutes les ordonnances appropriées afin de permettre aux défenderesses corporatives d'établir le montant des dommages et intérêts subis en raison de l'abus de procédure;»

[742]     Dans sa requête introductive d'instance amendée en date du 15 novembre 2011, Mme Spieser a retiré le paragraphe [263.5] de sa requête, mais réclame au paragraphe [272] des dommages-intérêts punitifs reliés tant à l'atteinte au droit de propriété, à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens qu'à l'atteinte au droit et à l'intégrité et à la sûreté de la personne, et ce, en raison du comportement asocial et hautement répréhensible et de la connaissance des conséquences immédiates et naturelles des actes des défendeurs.  Elle réclame 30 000 $ pour elle-même et chacun des membres des deux groupes qu'elle représente.

[743]     Il est vrai qu'une grande partie de la preuve des défendeurs a été administrée de façon à contrer la réclamation en dommages-intérêts exemplaires ou punitifs.  Toutefois, cette preuve a aussi servi à faire la démonstration de la prise de conscience et de l'ampleur des travaux qui ont été effectués suite au constat de la présence de TCE dans la nappe phréatique et ainsi contrer la demande d'ordonnance d'injonction.

[744]     La conclusion recherchée par les défenderesses corporatives visant à faire déclarer abusive la réclamation en dommages-intérêts exemplaires ou punitifs ne sera donc pas accordée.

Les frais et les honoraires des experts

[745]     La demanderesse réclame, à titre de déboursés divers, frais et honoraires de ses experts, un montant de 1 971 255,12 $.  Les défenderesses réclament, pour les frais et honoraires de leurs experts, un montant de 920 912,30 $.

[746]     L'article 477 C.p.c. dispose de la question des frais judiciaires qui comprennent les frais et les honoraires relatifs aux expertises faites à l'initiative des parties:

«La partie qui succombe supporte les dépens, frais du sténographe compris, à moins que, par décision motivée, le tribunal ne les mitige, ne les compense ou n'en ordonne autrement.

Le tribunal peut également, par décision motivée, mitiger les dépens relatifs aux expertises faites à l'initiative des parties, notamment lorsqu'il estime que l'expertise était inutile, que les frais sont déraisonnables ou qu'un seul expert aurait suffi.»

[747]     La demanderesse et les défendeurs ont, dans des lettres respectivement datées du 9 et du 19 décembre 2011, communiqué les montants qui leur ont été facturés par les différents experts qu'ils ont mandatés.

[748]     Les défendeurs s'objectent à plusieurs des montants réclamés par la demanderesse pour le remboursement des frais et honoraires de ses experts, selon ce qu'ils précisent dans les lettres du 19 et du 21 décembre 2011.

[749]     Ces objections portent principalement sur l'admissibilité et la pertinence de certaines expertises ou parties de celles-ci et sur le montant des honoraires réclamés.

 

 

[750]     Le tableau comparatif qui suit démontre les sommes réclamées de part et d'autre, selon la nature des sujets traités:

Honoraires facturés par les experts

En demande

En défense

Connaissance des lieux

M. Martin Boisvenue

11 116,23 $

 

 

Connaissance et utilisation du tce

Dr David Ozonoff

Dr Anthony Travis

Dr Agardy

18 033,02 $

71 566,17 $

23 186,63 $

 

Dr Robert Murry

 

107 312 $

Hydrogéologie

Dr Robert Chapuis

236 508,46 $

Dr René Lefebvre

166 588,43 $

Intrusion de vapeurs

M. Patrick Renaud

85 738,56 $

M. Gordon Thompson

M. Éric Bergeron

55 630,00 $

51 417,05 $

Collecte de données

Infirmières:

Mme Micheline Giroux

Mme France Trottier

 

78 357,27 $

82 600,11 $

 

 

Toxicologie moléculaire

M. Michel Charbonneau

Dr Sidney Finkelstein

Redpath

149 700,64 $

25 656,29 $

208 722,95 $

Dr Leonard Ritter

Dr Regen Drouin

132 974,05 $

117 031,89 $

Toxicologie

Dr Raymond Van Coillie

109 998,22 $

M. Robert Tardif

67 826,40 $

Épidémiologie

Dr Claude Tremblay

146 532,03 $

Jack Siemiatycki

126 730,81 $

Hématologie - Oncologie

M. Claude Shields

Dr Lavoie

147 387,04 $

54 545,00 $

Dr Daniel Bélanger

33 342,50 $

Gastro-entérologie

Dr Lacerte

11 118,60 $

Dr Raymond Lahaie

16 004,83 $

Psychiatrie

Dr Jean.-Pierre. Fournier

7 929,33 $

 

 

Évaluation de dommages

M. Luc Rivest

275 55,70 $

M. Antoine Ponce

46 054 $

Total:

1 612,362,11 $

Total:

920 912,30 $

 

 

[751]     Le travail de collecte de données et de recensement des deux infirmières, Mmes Giroux et Trottier, a servi de base aux rapports des experts en toxicologie, toxicologie moléculaire, et épidémiologie.  Il a aussi servi aux travaux effectués par le Dr Claude Shields.

[752]     Ce travail des deux infirmières doit être considéré comme faisant partie de la preuve d'experts et doit être remboursé en conséquence.

[753]     Quant à l'admissibilité et la pertinence de certaines expertises, entre autres celles des Drs Charbonneau et Finkelstein, l'analyse de la preuve dispose de la question.  Cette expertise a, comme les expertises en toxicologie et en épidémiologie, contribué à l'analyse des différents problèmes soulevés et finalement à l'analyse des questions en litige.

[754]     Quant aux montants réclamés, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils sont substantiels.  Toutefois, lorsque l'on compare les honoraires facturés par les experts de part et d'autre dans un domaine donné, on constate qu'il devient difficile d'arbitrer quel montant d'honoraires aurait dû être facturé et réclamé.

[755]     La demanderesse a donc droit au remboursement des frais et honoraires des experts ci-dessus désignés, ce qui donne la somme de 1 612 362,11 $.

[756]     Elle a aussi droit au remboursement des copies des dossiers médicaux (Pièce R-138), soit un montant de 36 748,61 $ (28 445,20 $ + 8 303,41 $) et des avis dans les journaux, soit 26 830,85 $.

[757]     Elle pourra réclamer ces montants, ainsi que les autres auxquels elle pourrait avoir droit, de la manière prévue à l'article 480 C.p.c.

[758]     POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[759]     ACCUEILLE l'action de la demanderesse, madame Marie-Paule Spieser, personnellement et à titre de représentante des membres des deux groupes décrits au paragraphe [1] de ce jugement;

[760]     DÉCLARE que les défendeurs, le Procureur général du Canada, General Dynamics produits de défense et système-tactiques Canada inc. et la Société immobilière Vancartier inc., ont, dans le cadre de l'exploitation d'un centre de recherche d'une part, et d'une entreprise de fabrication de munitions d'autre part, contaminé la nappe phréatique sur une partie du territoire de la municipalité de Shannon en déversant sur le sol de leur propriété respective du trichloroéthylène (TCE);

[761]     DÉCLARE que cette contamination de la nappe phréatique sur une partie du territoire de la municipalité de Shannon a eu pour conséquence directe de rendre inutilisables les puits privés des résidences situées à l'intérieur et aux environs d'un périmètre identifié «le triangle rouge» situé à l'est de la rivière Jacques-Cartier, causant ainsi aux propriétaires et occupants de ces résidences des «inconvénients anormaux qui ont excédé les limites de la tolérance», soit un trouble de voisinage au sens de l'article 976 du Code civil du Québec;

[762]     MODIFIE la description du groupe qui dorénavant doit être définie en fonction de la preuve et des conclusions qui en découlent, à savoir:

Toute personne physique qui a subi un trouble de voisinage par la contamination de la nappe phréatique par le trichloroéthylène (TCE) et ses sous-produits de dégradation issus des immeubles propriétés du gouvernement du Canada à la base des Forces canadiennes Valcartier et de la Société immobilière Valcartier inc. qui, entre le 21 décembre 2000 et le 31 décembre 2001, était âgée de 18 ans et plus et qui, au cours de cette période, a résidé à l'intérieur ou aux environs d'un périmètre identifié «le triangle rouge» et dont la résidence qu'elle habitait a été raccordée au réseau d'aqueduc de la municipalité de Shannon à l'occasion de la construction de sa première phase.

[763]     CONDAMNE les défendeurs solidairement, soit le Procureur général du Canada, General Dynamics produits de défense et système-tactiques Canada inc. et la Société immobilière Valcartier inc., à payer aux membres du groupe décrit ci-dessus des dommages-intérêts résultant de ce trouble de voisinage, à savoir selon que leur situation correspond à l'une ou l'autre de celles-ci:

1)  À toute personne physique âgée de 18 ans et plus le 21 décembre 2000, propriétaire, locataire ou résidant d'une résidence située à l'intérieur ou dans les environs du périmètre identifié «le triangle rouge» qui a été, entre le 21 décembre 2000 et le 31 décembre 2001, raccordée au réseau d'aqueduc de la municipalité de Shannon (phase I), la somme de 1 000 $ par mois ou partie de mois de résidence, l'indemnité pouvant ainsi atteindre la somme de 12 000 $;

2)  À toute personne physique, dont une femme enceinte, parent d'un ou de plusieurs enfants ou agissant à son égard «in loco parentis», résidant avec ce dernier à quelque moment que ce soit entre le 21 décembre 2000 et le 31 décembre 2001, à titre de propriétaire, locataire ou résidant d'une résidence située à l'intérieur ou dans les environs du périmètre identifié «le triangle rouge» qui a été entre le 21 décembre 2000 et le 31 décembre 2001 raccordée au réseau d'aqueduc de la municipalité de Shannon (phase I), un montant forfaitaire additionnel de 3 000 $, l'indemnité pouvant ainsi atteindre la somme de 15 000 $;

Plus, dans l'un et l'autre de ces cas, l'intérêt légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. à compter du 16 juillet 2007, date de la signification de la requête introductive d'instance.

[764]     ORDONNE que les réclamations des membres du groupe fassent l'objet de réclamations individuelles;

[765]     DÉCLARE que lorsque le jugement final aura acquis l'autorité de la chose jugée, les membres du groupe pourront, suite à la publication de l'avis prévu par l'article 1030 C.p.c., produire leur réclamation individuelle selon les modalités qui auront alors été déterminées sur demande de l'une ou l'autre des parties;

[766]     LE TOUT avec dépens, incluant les frais et honoraires des experts de la demanderesse précisés au paragraphe [750] du présent jugement.

 

 

 

 

BERNARD GODBOUT, j.c.s.

Me Charles-A. Veilleux

Me Karim Diallo

Me Valérie Roy

Me Barbara Ann Cain

Me Simon Pelletier (BCF)

Me Stephen O. Clarke

Charles Veilleux & associés (casier 136)

Procureurs de la demanderesse

 

Me David Lucas

Me Sébastien Gagné

Me Michelle Kellam

Me Geneviève Bourbonnais

Côté Marcoux Joyal

Complexe Guy-Favreau, Tour Est, 9è étage

200, boul. René-Lévesque Ouest

Montréal (Québec)  H2X 1X4

Pour le Procureur général du Canada

 

Me Jean St-Onge

Me Bernard Larocque

Me Jonathan Lacoste-Jobin

Lavery De Billy

1, place Ville-Marie, bur. 4000

Montréal (Québec)  H3B 4M4

Procureurs des défenderesses

GD-OTS Canada inc. et Société immobilière Valcartier inc.

 

Dates d'audition:  Du 10 janvier 2011 au 18 novembre 2011

 

Correspondance des procureurs concernant les honoraires des experts:

9 décembre 2011, 19 décembre 2011, 21 décembre 2011 et 9 février 2012


ANNEXE «A»


ANNEXE «B»

 

TEMPS DE MIGRATION DU TCE ET DURÉE D'EXPOSITION

(PROBABLE SELON LE Dr CHAPUIS ET POSSIBLE SELON LE Dr LEFEBVRE) AU TCE DES PUITS RÉSIDENTIELS À SHANNON JUSQU'A 2001

 

Selon le Dr Chapuis

(Rapport du 30 septembre 2010

Selon le Dr Lefebvre Durée d'exposition jusqu'à 2001 (années)

(Rapport du 20 décembre 2010)

Voie de migration

Zone source

Propriété

Période d'utilisation

du TCE

 

 

Temps de migration (années)

Durée d'exposition jusqu'en 2001 (années)

Temps de migration (années)

Année d'arrivée (moyenne)

Durée d'exposition jusqu'en 2001 (années)

Début de la migration vers Shannon

Avant le deltaïque

Dans le deltaïque

Incertitude

Année d'arrivée (moyenne)

 

Minimum

Moyenne

Maximum

2

B98

RDDC Nord

1958-1965

16

1974

27

1997

19 (pas considéré)

10

±10

2007

*—-

-16

-6

4

2

B67

RDDC Nord

1971-1990

10

1981

20

1997

0

10

±10

2007

*—-

-16

-6

4

2

Lagon Bleu

RDDC Nord

1960-1988

10

1970

31

1997

0

10

±10

2007

*1992

-16

-6

4

2

Secteur 214

SIVI

1946-1991

10

1956

45

1992

0

10

±10

2002

*1978

-11

-1

9

3

Dépotoir SIVI

SIVI

1972-1974

11

1983

18

1972-1994

30

5

±5

2007

* à vérifier

-11

-6

-1

3

Lagune X

SIVI

1960-2002

11

1971

20

1960-2002

30

5

±5

1995

* à vérifier

1

6

11

3

Lagune A

SIVI

1963-1984

11

1974

27

1963-1984

30

5

±5

1998

* à vérifier

-2

3

8

4

Lagune C

SIVI

1963-1970

6

1969

32

1992

0

8

±5

2000

*1982

-4

1

6

Tableau confectionné à partir:       Rapport d'expertise du Dr Chapuis (Pièce R-126 a), p. 148

                                                          Rapport d'expertise du Dr Lefebvre (Pièce DC-147 a), p. 20

* Rapport de juillet 2010

 


ANNEXE «C»

 

CONCENTRATIONS MOYENNES EN TCE DANS LES PUITS RÉSIDENTIELS DE SHANNON

SELON LEUR LOCALISATION PAR RAPPORT AUX PANACHES DE TCE

(données du suivi du mddep dans les puits résidentiels entre 2000 et 2009)

(Statistiques sur les 295 puits de la carte 2 du côté est de la rivière jacques-cartier)

 

Panache principal

Panache secondaire

Hors panache

Statistiques sur les concentrations en TCE

TCE Minimum

Non détecté

0.05 µg/L

Non détecté

TCE Maximum

949 µg/L

1.87 µg/L

3.44 µg/L

TCE Moyen

78.4 µg/L

0.74 µg/L

0.16 µg/L

TCE Médian

3.4 µg/L

0.62 µg/L

Non détecté

Nombre de puits selon les intervalles de concentration en tce

Concentration

Nombre

%

Nombre

%

Nombre

%

Non détecté (n.d.)

16

23.5 %

0

0.0 %

141

66.5 %

n.d. < TCE <=5

19

27.9 %

15

100.0 %

71

33.5 %

5 < TCE <=50

13

19.1 %

0

0.0 %

0

0.0 %

50 < TCE <=590

19

27.9 %

0

0.0 %

0

0.0 %

TCE > 590

1

1.5 %

0

0.0 %

0

0.0 %

Nombre total

68

100.0%

15

100.0 %

212

100.0%

 

                                  Rapport d'expertise du Dr Lefebvre, juillet 2010 (Pièce DC-147, p. 16).


ANNEXE «D»

 


 

 

Échantillon

Pièce R-11.1

Golder

CRA

LNA

CRA

 

 

Phase I

(2000-12)

µg/l

Phase II

(2001-01)

µg/l

 

(2007-03)

 

 

(2007-2009)

 

(2009-03)

«1 à 5»*

 

(2010-01)

«6 à 18»*

 

03-2010

Triangle rouge

            - 16, rue de la Station

 

 

 

 

 

              • Air intérieur (AI) (µg/m3)

 

 

0,75

 

 

 

 

              • Air sous la dalle (ASD) (µg/m3)

 

 

0,91

 

 

 

 

              • Eau du puits (EDP) (µg/l)

 

11

 

 

 

 

 

«1»     - 22, rue de la Station

 

 

 

 

 

              • AI

 

 

 

 

3.3

 

 

              • ASD

 

 

 

 

8.1 - 9.2

 

 

              • EDP

110

72

 

 

1,9 (2008-12)

 

 

«16»  - 26, rue de la Station

 

 

 

 

 

              • AI

 

 

0,53 - ND

ND (2007-11) - 0,64 (2008-02)

0,81 (2008-05) - 1,2 (2008-07)

 

(ND)

 

              • ASD

 

 

6,4 - 6,4

 

 

 

 

              • EDP

 

128

 

 

 

 

 

            - 28, rue de la Station

 

 

 

 

 

              • AI

 

 

1,2

0,64 - ND (2007-11) - 1,0 (2008-02) - 0,64 - 0,51 (2008-05)

ND (2008-07)

 

 

 

              • ASD

 

 

11

 

 

 

 

              • EDP

 

494

 

 

 

 

 

«12»  - 30, rue de la Station

 

 

 

 

 

              • AI

 

 

 

 

 

(ND)

 

              • ASD

 

 

 

 

 

 

 

              • EDP

 

250

 

 

 

 

 

* Les chiffres «1» à «18» identifient les mesures effectuées par LNA.

«14»  -       429, Jacques-Cartier

 

 

 

 

 

                    • AI

 

 

 

 

 

(ND)

 

                    • ASD

 

 

 

 

 

 

 

                    • EDP

 

12

 

 

 

 

            -       13, King's Drive

 

 

 

 

 

                    • AI

 

 

2,9

ND (2007-11)

 

 

 

                    • ASD

 

 

2,1

 

 

 

 

                    • EDP

 

0,19

 

 

 

 

 

«6»     -       15, King's Drive

 

 

 

 

 

                    • AI

 

 

ND

ND (2007-11) ND (2008-02-05-07)

 

(ND)

 

                    • ASD

 

 

ND

 

 

 

 

                    • EDP

 

120

 

 

 

 

 

«2»     -       17, King's Drive

 

 

 

 

 

                    • AI

 

 

0,75

ND (2007-11) - 1.0 (2008-02-05)

- 0,91 (2008-05) - 9,1 (2008-07)

1,7 (2008-07) - 0,54 (2009-01)

ND (2009-01) ND (2009-07)

0,46

 

 

                    • ASD

 

 

140-150

 

100-110

 

 

                    • EDP

 

935

 

 

160-160 D (1008-12)

 

 

«3»     -       25, King's Drive

 

 

 

Non retenue

 

                    • AI

 

 

ND

ND (2007-11) ND (2008-02-05-07)

<0,27; 1.1; 2.0

 

 

                    • ASD

 

 

ND

 

 

 

 

                    • EDP

 

105

 

 

130-110 D (2008-12)

 

 

                    • Air extérieur

 

 

 

 

2-0

 

 

            -       27, King's Drive

 

 

 

 

 

                    • AI

 

 

ND

ND (2007-11) ND (2008-02-05-07)

 

 

 

                    • ASD

 

 

ND

 

 

 

 

                    • EDP

 

 

 

 

170

 

 

 

 

            -       31, King's Drive

 

 

 

 

 

                    • AI

 

 

ND

 

 

 

 

                    • ASD

 

 

ND

 

 

 

 

                    • EDP

8,2

19

 

 

 

 

 

            -       3, rue Juneau

 

 

 

 

 

                    • AI

 

 

0,97

ND (2007-11) ND (2008-02-05-07)

 

 

 

                    • ASD

 

 

<0,54

 

 

 

 

                    • EDP

 

 

 

 

 

 

 

«13»  -       4, rue Juneau

 

 

 

 

 

                    • AI

 

 

 

 

 

4,59-4,92

3,8

                    • ASD

 

 

 

 

 

 

4,4 et 16

                    • EDP

 

0

 

 

 

 

 

«4»     -       6, rue Juneau

 

 

 

 

 

                    • AI

 

 

 

 

7,7

 

0,49

                    • ASD

 

 

 

 

5,7

 

ND et ND

                    • EDP

 

0

 

 

60 (2008-12)

 

 

Périphérie

«5»     -       39, rue Juneau

 

 

 

 

 

                    • AI

 

 

 

 

<0,27

 

 

                    • ASD

 

 

 

 

0,65

 

 

                    • EDP

 

0

 

 

0,6 (2008-12)

 

 

«17»  -       7, rue Gosford

 

 

 

 

 

                    • AI

 

 

 

 

 

6,36

ND

                    • ASD

 

 

 

 

 

 

ND et ND

                    • EDP

Phase IV

8,7

 

 

 

 

 

«11»  -       15, rue Gosford

 

 

 

 

 

                    • AI

 

 

 

 

 

9,93-10,00

ND

                    • ASD

 

 

 

 

 

 

ND-ND

                    • EDP

 

 

 

 

 

 

 

«9»     -       11, rue Conway

 

 

 

 

 

                    • AI

 

 

 

 

 

(ND) 4,27

1,4

                    • ASD

 

 

 

 

 

 

75.0 - 34.0

                    • EDP

 

0

 

 

 

 

 

«15»  -       517, rue des Mélèzes

 

 

 

 

 

                    • AI

 

 

 

 

 

(ND)

 

                    • ASD

 

 

 

 

 

 

 

                    • EDP

 

 

 

 

 

 

 

«8»     -       16, rue Lilac

 

 

 

 

 

                    • AI

 

 

 

 

 

6,53

ND

                    • ASD

 

 

 

 

 

 

ND et ND

                    • EDP

 

 

 

 

 

 

 

«18»  -       34, rue Birch

 

 

 

 

 

                    • AI

 

 

 

 

 

4,62 - 5,09

ND - ND

                    • ASD

 

 

 

 

 

 

ND - ND

                    • EDP

 

 

 

 

 

 

 

«10»  -       14, rue Hillside

 

 

 

 

 

                    • AI

 

 

 

 

 

(ND)

 

                    • ASD

 

 

 

 

 

 

                    • EDP

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

«7»     -       50, rue Hillside

 

 

 

 

 

                    • AI

 

 

 

 

 

4,46

ND

                    • ASD

 

 

 

 

 

 

ND - ND

                    • EDP

 

 

 

 

 

 

 

Eau souterraine - PO-49

 

 

 

23 µg/l (11-2007)

42 µg/l (02-2008)

16 µg/l (04-2008)

28 µg/l (07-2008)

 

 

 

 



137

 
ANNEXE «E»

Tableau 1:     Données sur la durée de l'exposition et le nombre d'années observées avant l'apparition d'un cancer chez les résidants étudiés de la zone rouge

Tableau 2:     Summary of Number of Loss of Heterozygosity on Chromosome 3 and the Fractional Allelic Loss for Citizens from the Red Zone

 

Résidant

 

Année de

résidence dans

l'habitation concernée#

 

Année du diagnostic de cancer

 

Nombre d'années d'exposition après 1980

 

Nombre d'années après le

début de l'exposition pour

l'apparition du cancer

 

Cancer

 

Number of Loss of

Heterozygosity on

chromosome 3

(LOH)

 

Fractional Allelic Loss

(FAL)

A

1968-2002

2003

22

23

Utérus

4

4/8 = 0.50

A

 

 

 

 

Ovaire

3

3/8 = 0.38

B

1958-1987

1995

7

15

Cerveau

7

7/13 = 0.54

C

1989-2002

1994

5

5

Cerveau

5

5/9 = 0.56

D

1955-1962

1986-2001

2001

15

15

Rein

5

5/10 = 0.50

E

1965-1991

2002

11

22

Sein

13

13/14 = 0.93

F

1965-2001

2005

21

25

Colon

4

4/12 = 0.33

G

1989-1996

1996

7

7

Prostate

5

5/13 = 0.38

H

1980-2001

2003

21

23

Colon

4

4/7 = 0.57

I

1980-2001

2007

21

27

Colon

5

5/7 = 0.71

J

1980-2001

2004

18

25

Colon

4

4/7 = 0.57

K

1983-2001

2008

18

25

Colon

4

4/10 = 0.40

L

1983-2001

2008

18

25

Colon

11

11/13 = 0.85

M

1980-1983

2007

3*

27

Colon

5

5/8 = 0.63

#    L'année de fin de résidence correspond à la première échéance soit de la date réelle ou de la date à laquelle le puits d'alimentation de cette résidence a été scellé.

 

*     Cette résidante a été sélectionnée bien qu'elle n'ait habité cette demeure que trois ans après 1980, car les deux résidants qui ont habité par la suite ont, tout comme cette résidante, développé un cancer du colon.


138

 
ANNEXE «F»

 

Réunion des tableaux # 3 et # 4

Tableau 3:     Données sur la durée de l'exposition et le nombre d'années observées avant l'apparition d'un cancer chez les résidants étudiés hors de la zone rouge

Tableau 4:     Summary of Number of Loss of Heterozygosity on Chromosome 3 and the Fractional Allelic Loss for Citizens Outside the Red Zone

 

Résidant

 

Année de

résidence dans

l'habitation concernée#

 

Année du diagnostic de cancer

 

Nombre d'années d'exposition après 1980

 

Nombre d'années après le

début de l'exposition pour

l'apparition du cancer

 

Cancer

 

Number of Loss of

Heterozygosity on

chromosome 3

(LOH)

 

Fractional Allelic Loss

(FAL)

A

1980-1985

1999

5

19

Rein

4

4/8 = 0.50

B

2000-2004

2007

4*

7

Cerveau

3

3/11 = 0.27

C

1981-1984

1988

4*

7

Lymphome

4

4/12 = 0.33

D

1980-1987

2003

7

23

Prostate

2

2/6 = 0.33

E

1969-1982

2000

2

20

Œsophage

5

5/8 = 0.63

F

1998-2001

2005

3

7

Abdomen

5

5/9 = 0.56

G

1981-2001

2001

20

20

Prostate

5

5/7 = 0.71

H

1988-2007

2008

19

20

Rein

0

0/8 = 0.00

I

1985-1993

2003

8

18

Thyroïde

5

5/10 = 0.50

J

1996-2005

2006

9

10

Rein

5

5/6 = 0.83

K

1980-1996

2000

16

20

Estomac

2

2/7 = 0.29

L

1980-1988

2004

8

24

Utérus

3

3/8 = 0.38

M

1980-1984

2003

4*

23

Prostate

1

1/12 = 0.09

N

1980-1985

2000

5

20

Sein

0

0/8 = 0.00

O

Témoin

2008

0

0

Cerveau

2

2/11 = 0.18

P

Témoin

2008

0

0

Sein

1

1/10 = 0.10

#    L'année de fin de résidence correspond à la première échéance soit de la date réelle ou de la date à laquelle le puits d'alimentation de cette résidence a été scellé.

 

*     Cet résidant a été sélectionné bien qu'il n'ait habité cette demeure moins que cinq ans après 1980.  À noter que si la période complète de cinq ans d'exposition est nécessaire pour l'induction d'une tumeur, cette sélection va augmenter la probabilité d'obtenir un résultat négatif.


ANNEXE «G»

139

 
 


COMPILATION DE CERTAINS CANCERS

 

Type de cancer

Nombre de cancers

Période

Âge du diagnostic

Poumon

52

(1974-2009) 35 ans

2 cas de moins de 39 ans

4 cas de 40 à 49 ans

9 cas de 50 à 59 ans

21 cas de 60 à 69 ans

16 cas de plus de 70 ans

Sein

64

(1973-2009) 36 ans

10 cas de moins 39 ans

22 cas de 40 à 49 ans

18 cas de 50 à 59 ans

14 cas de plus de 60 ans

Prostate

52

(1969-2010) 41 ans

3 cas de moins 49 ans

16 cas de 50 à 59 ans

21 cas de 60 à 69 ans

12 cas de 70 à 79 ans

Intestin

52

(1969-2009) 40 ans

5 cas de moins de 49 ans

15 cas de 50 à 59 ans

16 cas de 60 à 69 ans

13 cas de 70 à 79 ans

Rein

16

(1991-2010) 19 ans

4 cas  de moins 49 ans

7 cas de 50 à 59 ans

3 cas de 65 à 69 ans

2 cas de 70 à 79 ans

Foie

4

(1990-1999) 9 ans

4 cas + de 50 ans

Lymphome non- hodgkinien

16

(1985-2009) 24 ans

7 cas  de moins 39 ans

3 cas de 40 à 49 ans

3 cas de 55 à 59 ans

3 cas de plus de 60 ans

 

Cerveau

17

(1981-2008) 27 ans

140

 
7 mois: 1

10 à 14 ans: 1

15 à 19 ans: 2

25 à 29 ans: 1

35 à 39 ans: 2

40 à 44 ans: 2

45 à 49 ans: 2

50 à 54 ans: 2

55 à 59 ans: 2

60 à 64 ans: 1

65 à 69 ans: 1

 



[1]     Les deux groupes ont été modifiés et précisés par le jugement du 30 juillet 2009, QCCS 4042.

[2]     L.R.C. (1985), ch. C-50.

[3]     Le lymphome non-hodgkinien est un cancer qui prend naissance dans les lymphocytes, c’est-à-dire les cellules du système lymphatique.  Ce système agit de concert avec d’autres parties du système immunitaire pour aider l’organisme à se défendre contre les infections et les maladies (Source : Société canadienne du cancer).

[4]     Pièce PGC-4, p. 1 et Santé Canada (2004) Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada: Documentation à l'appui - Le trichloroéthylène.  Bureau de la qualité de l'eau et de la santé, Direction générale de la santé environnementale et de la sécurité des consommateurs, Santé Canada, Ottawa (Ontario).

[5]     IARC Monograph 63, 1995 (Pièce R-142), p. 120 et 145.

[6]     IARC, volume 97, 2008 (Pièce DC-153), p. 425.

[7]     Statistique Canada - Recensement de 2011.

[8]     Un aquifère est défini comme une unité géologique totalement ou partiellement saturée en eau souterraine qui permet un écoulement significatif de cette eau qui peux y être extraite par pompage de façon économique.  Les aquifères les plus fréquents sont des dépôts de sable et gravier (aquifères granulaires ou non consolidés) et les roches fracturées ou altérées (aquifères fracturés ou consolidés).

      Un aquitard est défini comme une unité géologique totalement ou partiellement saturée en eau, d'où on ne peut pas extraire d'eau par pompage de façon économique, mais qui est assez perméable pour laisser passer des quantités d'eau appréciables quand on se place à l'échelle du kilomètre carré ou plus.  Les aquitards sont constitués de sédiments fins tels les argiles, les silts et les shales.

      N.B.: La nappe phréatique représente la partie d'un aquifère saturé en eau souterraine.  Les termes «aquifère» et «nappe» sont souvent utilisés de façon équivalente.  Mais, l'aquifère réfère plutôt au contenant (le matériel géologique), alors que la nappe représente plutôt le contenu (l'eau souterraine).

[9]     La conductivité hydraulique est l'aptitude à laisser circuler de l'eau dans les pores d'un sol ou les interstices d'un roc.

[10]    Pièce DC-174 a), annexe 1 - Cartes.

[11]    Capable de provoquer une tumeur maligne, un néoplasme.  Le terme «cancérogène» peut aussi être utilisé.

[12]    Notes sténographiques du témoignage du Dr Michel Charbonneau à l'audition du 17 mars 2011, p. 305, l. 10 à p. 306, l. 2, et p. 307 l. 10 à l. 15.

[13]    Notes sténographiques du témoignage du Dr Sydney Finkelstein à l'audition du 16 mars 2011, p. 138, l. 22 à p. 139, l. 13, p. 140, l. 10 à l. 15, p. 146, l. 20 à p. 147, l.6 et p. 154, l. 16 à p. 155, l. 4.

[14]    Présentation PowerPoint, p. 31)

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.