Décision

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Ghadimy-Gili et Corporation d'aliments Encore Gourmet

2008 QCCLP 2892

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

15 mai 2008

 

Région :

Montréal

 

Dossiers :

330659-71-0710      344257-71-0804

 

Dossier CSST :

119144954

 

Commissaire :

J.-David Kushner

 

Membres :

Jacques Garon, associations d’employeurs

 

Michel Gravel, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Esfandiar Ghadimy Gili

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Corporation d’aliments Encore Gourmet

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 330659-71-0710

[1]                Le 17 octobre 2007, le travailleur, monsieur Esfandiar Ghadimy Gili, dépose une requête auprès de la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue le 12 octobre 2007 par la Direction de la révision administrative (la Révision administrative) de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST).

[2]                Par cette décision, la Révision administrative rejette la demande de révision du travailleur et confirme la décision rendue le 9 juillet 2007 par la CSST qui reconsidère sa décision rendue le 25 mai 2007 concernant le pourcentage d’atteinte permanente que conserve le travailleur suivant la lésion professionnelle qu’il a subie le 20 décembre 2000.

Dossier 344257-71-0804

[3]                Le 2 avril 2008, le travailleur dépose une requête auprès de la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue le 18 mars 2008 par la Révision administrative.

[4]                Par cette décision, la Révision administrative rejette la demande de révision du travailleur et confirme la décision rendue le 23 janvier 2008 par la CSST qui entérine l’avis du Bureau d'évaluation médicale et déclare que le travailleur conserve une atteinte permanente de 7,2 %.

[5]                Les deux requêtes sont réunies pour les fins de l’audience et de la décision, suivant l’article 429.29 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) qui se lit ainsi :

429.29.  Plusieurs affaires dans lesquelles les questions en litige sont en substance les mêmes ou dont les matières pourraient être convenablement réunies, qu'elles soient mues ou non entre les mêmes parties, peuvent être jointes par ordre du président ou d'une personne désignée par celui-ci dans les conditions qu'il fixe.

 

L'ordonnance rendue en vertu du premier alinéa peut être révoquée par la Commission des lésions professionnelles lorsqu'elle entend l'affaire, si, de sa propre initiative ou à la demande d'une partie, elle est d'avis que les fins de la justice seront ainsi mieux servies.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

LES OBJETS DES REQUÊTES

[6]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer les décisions rendues par la Révision administrative, de déclarer que la décision de la CSST en reconsidération est illégale et de rétablir la décision initiale rendue le 25 mai 2007 qui entérine le rapport d’évaluation médicale du docteur Auger établissant l’atteinte permanente à 46,30 %.

[7]                Le travailleur est présent et représenté à l’audience tenue à Montréal le 30 avril 2008. Quoique convoqué par les avis d’audition envoyés le 11 décembre 2007, pour le dossier 330659-71-0710, et le 7 avril 2008, pour le dossier 344257-71-0804, l’employeur Corporation d’aliments Encore Gourmet, n’est ni présent ni représenté. La CSST, qui est intervenue au premier dossier le 28 décembre 2007, nous écrit le 28 avril 2008 pour nous informer qu’elle sera absente à l’audience.

L’AVIS DES MEMBRES

[8]                Conformément à la loi, le commissaire soussigné a reçu l’avis des membres issus des associations d’employeurs et syndicales sur les objets des litiges. Ils souscrivent aux motifs ici retenus pour accueillir les requêtes du travailleur.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[9]                La Commission des lésions professionnelles doit décider si la CSST pouvait reconsidérer sa décision rendue le 25 mai 2007.

[10]           Les articles de la loi pertinents au présent litige sont les suivants :

204.  La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.

 

La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115 .

__________

1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.

 

 

 

212.  L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :

 

1° le diagnostic;

 

2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;

 

3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;

 

4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;

 

5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.

 

L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.

__________

1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.

 

 

 

224.  Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 .

__________

1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.

 

 

 

224.1.  Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.

 

[…]

__________

1992, c. 11, a. 27.

 

 

 

365.  La Commission peut reconsidérer sa décision dans les 90 jours, si celle-ci n'a pas fait l'objet d'une décision rendue en vertu de l'article 358.3, pour corriger toute erreur.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'une partie, si sa décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel, reconsidérer cette décision dans les 90 jours de la connaissance de ce fait.

 

Avant de reconsidérer une décision, la Commission en informe les personnes à qui elle a notifié cette décision.

 

Le présent article ne s'applique pas à une décision rendue en vertu du chapitre IX.

__________

1985, c. 6, a. 365; 1992, c. 11, a. 36; 1996, c. 70, a. 43; 1997, c. 27, a. 21.

 

 

 

[11]           Les faits pertinents de la réclamation, du suivi médical, des investigations et cetera, sont repris dans une décision[2] antérieure de la Commission des lésions professionnelles et la présente Commission des lésions professionnelles s’y réfère sans voir la nécessité de reproduire l’ensemble de ces éléments.

[12]           Il suffit de rappeler, pour les fins du présent litige, que par cette décision, la Commission des lésions professionnelles reconnaît que le travailleur a subi une lésion professionnelle le ou vers le 3 février 2003 sous la forme d’une aggravation de son syndrome douloureux régionale complexe de type I, ceci suivant la lésion professionnelle initiale qu’il a subie le 20 décembre 2000.

[13]           À la suite de la décision de la Commission des lésions professionnelles, le docteur Mainville consolide cette lésion professionnelle reconnue par la CSST en date du 30 janvier 2007 et le travailleur est dirigé auprès du docteur Auger pour les fins d’évaluation. Ainsi, le docteur Auger devient le médecin qui a charge et son statut à cet effet n’est pas remis en question au dossier.

[14]           Dans son rapport d’évaluation médicale produit le 18 mars 2007 faisant suite à son examen du 13 mars 2007, le docteur Auger conclut ainsi :

Il s’agit d’un monsieur qui souffre d’une douleur régionale complexe de type 1 avec des conséquences dramatiques qui ont entraîné aussi entre autres une atrophie au niveau de la ceinture scapulaire droite et par similitude je vais accorder une deuxième atteinte des tissus mous pour celle-ci.

 

 

[15]           Il évalue les séquelles actuelles à 44,95% versus les séquelles antérieures de 12 %, de sorte que la nouvelle atteinte permanente est de 32,95 % + 13,35 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie.

[16]           Le 24 avril 2007, le médecin régional de la CSST écrit que le bilan du docteur Auger est conforme au Règlement sur le barème des dommages corporels[3] (le Barème) et, le 25 mai 2007, la CSST entérine son évaluation et rend la décision suivante :

À la suite de l’aggravation de votre lésion professionnelle survenue le 3 février 2003, votre atteinte permanente a été évaluée par votre médecin à 32,95 %. À ce pourcentage s’ajoute 13,35 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie, pour un total de 46,30 %.

 

            Ce pourcentage vous donne droit à une indemnité de 26 012,73 $.

 

            À cette somme s’ajouteront les intérêts courus depuis la date de réception de votre réclamation. Le montant total (y compris les intérêts) vous sera versé dans un peu plus d’un mois, si aucune des parties ne demande la révision de cette décision et si l’employeur ne conteste pas le rapport de votre médecin.

 

            Nous vous invitons à communiquer avec nous si vous avez besoin de renseignements supplémentaires au sujet de cette décision ou pour toute autre question. Vous pouvez demander la révision de la décision dans les 30 jours suivant la réception de la présente lettre. Toutefois, prenez note que vous ne pouvez contester le rapport médical de votre médecin traitant.

 

[17]           Mais le 9 juillet 2007, la CSST rend la décision en reconsidération suivante :

En vertu de l’article 365 , 1 er alinéa de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, il y a lieu de reconsidérer la décision du 25 mai 2007 concernant l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique.

 

En conséquence, cette décision a été rendue prématurément. Le rapport d’évaluation médicale daté du 13 mars 2007 devra être apprécié en regard d’une expertise que produira notre médecin désigné quant au pourcentage d’APIPP.

 

 

[18]           Le 20 juillet suivant, la CSST convoque le travailleur pour un examen auprès du médecin désigné, l’orthopédiste, le docteur Godin qui, le 24 septembre 2007, émet son évaluation.

[19]           La CSST soumet les évaluations des docteurs Auger et Godin au Bureau d'évaluation médicale qui, le 9 janvier 2008, rend son avis sous la plume de l’orthopédiste, le docteur Wiltshire. Le 23 janvier suivant, la CSST entérine l’avis du Bureau d'évaluation médicale et déclare que le travailleur conserve une atteinte permanente de 7,2 %.

[20]           Que penser de tout ceci?

[21]           La Commission des lésions professionnelles n’abordera pas l’aspect du bien-fondé des évaluations médicales puisque la problématique est plutôt juridique.

[22]           Il faut dire que la démarche entreprise par l’agente d’indemnisation de la CSST nous laisse perplexe.

[23]           À partir du moment où la CSST entérine l’évaluation du docteur Auger et rend sa décision le 25 mai 2007, elle est liée par le rapport d’évaluation médicale du médecin qui a charge en vertu de l’article 224 de la loi.

[24]           De plus, à ce moment-là, la CSST a épuisé sa juridiction et est devenue alors functus officio en ce qui concerne la question de l’évaluation de l’atteinte permanente.

[25]           Or, seul l’employeur pouvait déclencher le processus de contestation alors que le travailleur ne pouvait pas contester le rapport de son propre médecin.

[26]           L’examen des circonstances amenant la CSST à reconsidérer la décision du 25 mai 2007 ne permet pas de déceler l’existence d’un fait essentiel non connu au moment où la décision est rendue. Les notes évolutives de l’agente d’indemnisation sont muettes à ce sujet, d’autant plus que dès le 24 avril 2007, le médecin régional de la CSST prend la peine de constater que l’évaluation du docteur Auger est conforme au Barème.

[27]           Il est aussi difficile de comprendre en quoi la décision du 25 mai 2007 serait prématurée, alors que le fait que la CSST décide de changer d’idée et de soumettre la question de l’évaluation de l’atteinte permanente au médecin désigné ne saurait guère, de notre avis, un fait essentiel non connu ni d’ailleurs un motif donnant ouverture à la reconsidération. Faisant ainsi, la CSST s’est dotée, par voie d’une reconsidération illégale, d’une compétence qu’elle avait déjà épuisée. Si la CSST s’interrogeait sur le bien-fondé de l’évaluation du docteur Auger, et ce, malgré l’opinion favorable du médecin régional, elle aurait dû déclencher le processus de nommer un médecin désigné et de faire évaluer le travailleur avant d’épuiser sa compétence par voie de la décision du 25 mai 2007.

[28]           Le pouvoir de reconsidération est une exception au principe de la stabilité des décisions et il est assujetti à certaines conditions d’ouvertures, lesquelles ne sont pas rencontrées dans le présent dossier.

[29]           Il s’ensuit que les requêtes doivent être accueillies.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossiers 330659-71-0710 et 344257-71-0804

ACCUEILLE les requêtes déposées le 17 octobre 2007 et le 2 avril 2008 par le travailleur, monsieur Esfandiar Ghadimy Gili;

INFIRME les décisions rendues le 12 octobre 2007 et le 18 mars 2008 par la Direction de la révision administrative ainsi que celles rendues le 9 juillet 2007 et le 23 janvier 2008 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail;

RÉTABLIT et confirme la décision rendue le 25 mai 2007 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail;

DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail est liée par le rapport d’évaluation médicale émis le 13 mars 2007 par le docteur Auger; et

DÉCLARE que le travailleur conserve une atteinte permanente de 46,30 %.

 

 

__________________________________

 

J.-David Kushner

 

Commissaire

 

 

 

 

M. Pierre Normandeau

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Gaétane Beaulieu

Panneton Lessard

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           205679-71-0304, 31 mars 2006, J.-C. Danis.

[3]           (1987) 119 G.O. II, 5576.

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