R. c. Riverin | 2024 QCCQ 6805 |
COUR DU QUÉBEC | |
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CANADA | |
PROVINCE DE QUÉBEC | |
DISTRICT DE CHICOUTIMI | |
Chambre criminelle et pénale | |
N° : 150-01-068526-228 | |
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DATE : 28 novembre 2024 | |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DU JUGE PIERRE LORTIE | |
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LE ROI | |
Poursuivant | |
c.
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RAPHAËL RIVERIN | |
Accusé | |
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JUGEMENT DÉTERMINATION DE LA PEINE | |
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[1] Le Tribunal a rendu une ordonnance selon l'article 486.4 du Code criminel [C.cr.], interdisant de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d'établir l'identité des deux plaignantes.
[2] L'accusé, aujourd’hui âgé de 22 ans, a été déclaré coupable des infractions suivantes commises au Saguenay, en contravention à l'article 151a) C.cr.[1] :
[3] Lors des infractions, l'accusé avait entre 18 et 20 ans. X avait 13 et 14 ans. Pour sa part, Y était âgée de 13 ans.
[4] Au chapitre de la peine, l'accusé demande au Tribunal de prendre en compte les troubles personnels qui l’affectent en plus de son jeune âge. En outre, la couverture médiatique et les messages négatifs sur les réseaux sociaux devraient avoir un effet atténuant. Pour ces motifs, il propose une peine de 9 mois qui pourrait être purgée dans la collectivité.
[5] Pour sa part, le poursuivant souligne les facteurs aggravants et recherche un emprisonnement ferme de 12 mois, sanction qui aurait pu être plus sévère sans les facteurs personnels de l'accusé. Il s’appuie notamment sur l’arrêt Friesen[2] de la Cour suprême concernant la sévérité accrue en matière d’infractions sexuelles contre les enfants.
[6] Les parties s’entendent sur un suivi probatoire. Toutefois, il y a un désaccord concernant une ordonnance selon l'article 490.012 C.cr. afin que l'accusé se conforme à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels[3] [LERDS].
[7] Dans le verdict, le Tribunal expose en détail la trame factuelle. Pour les fins du présent jugement, il retient ce qui suit.
[8] Les deux plaignantes, qui ne sont pas des personnes proches, se sont connues à l’école et ont des amis communs. L’un d’eux est l'accusé. Ce dernier a progressivement tissé des liens d’amitié avec elles. Il a eu ses 18 ans en février 2020.
[9] En ce qui concerne X, l'accusé l’emmenait en balade automobile. À quelques reprises, il a profité de cette proximité pour faire des touchers sur les cuisses, parfois près des parties intimes. Il a de plus fait des attouchements près des seins et sur les fesses. À une occasion, il a déposé sa vapoteuse sur la poitrine de la jeune fille pour servir de « rack »[4]. Les événements se sont produits entre juin 2020 et juillet 2021. X a mis fin à cette relation et l'accusé a mal réagi.
[10] En ce qui concerne Y, il s’agit d’un événement unique survenu le 16 mars 2022, lors d’un raccompagnement en automobile. L'accusé l’a embrassée, a mis la main sous le chandail et sur les seins et tenté de doigter par-dessus le pantalon. Y a essayé de se débattre et l'accusé l’a plaquée sur son siège. Après avoir été embrassée, elle a eu des marques au cou (suçons) qui ont été vues par une amie.
[11] X rencontre les policiers le 28 février 2022 et remet une déclaration vidéo.
[12] Y fait de même le 30 mars 2022.
[13] Le 27 juillet 2022, l'accusé est inculpé des infractions de contacts sexuels et de distribution illégale de cannabis auprès d’une personne de moins de 18 ans (il s’agit de Y).
[14] Le procès se déroule en février et avril 2024. Les enregistrements vidéo sont produits en preuve et les plaignantes sont contre-interrogées. Pour sa part, l'accusé se prévaut de son droit de ne pas témoigner.
[15] Le 5 juillet 2024, le Tribunal déclare l'accusé coupable à l’égard des contacts sexuels. Un acquittement est prononcé sur le chef de distribution de cannabis.
[16] Le 23 octobre 2024[5], les parties présentent leurs observations sur la peine. Les déclarations des victimes sont alors déposées. Le Tribunal les reproduit aux annexes 1 et 2[6]. En ce qui concerne l'accusé, il appelle son père à témoigner. De plus, il produit les pièces suivantes :
1) Un rapport prédécisionnel avec volet sexologique provenant d’un dossier antérieur en matière jeunesse[7].
2) La peine prononcée dans ce dossier[8].
3) Un article publié dans un journal[9].
4) Quelques messages diffusés sur les réseaux sociaux[10].
[17] Le rapport prédécisionnel brosse le portrait complet de l'accusé.
[18] Ce rapport a été rédigé le 4 mai 2023 par la travailleuse sociale Josée Maltais, dans le contexte d’une déclaration de culpabilité à une agression sexuelle sur une jeune fille de 15 ans alors que l'accusé en avait 17. Il a embrassé la plaignante contre son gré et fait un toucher aux fesses après avoir exigé un câlin. Le rapport fait état du présent dossier qui était alors pendant.
[19] L'accusé provient d’une bonne famille. Les deux parents ont des emplois stables, mais la mère est actuellement affectée par la maladie qui la rend inapte.
[20] L'accusé, dès son plus jeune âge, présente des troubles de conduite et connait une régression du langage. À son entrée au primaire, il est vu en pédopsychiatrie et reçoit les diagnostics suivants : TDAH avec opposition, impulsivité, trouble du langage, syndrome Gilles de la Tourette et intelligence limite. Des médicaments lui sont prescrits.
[21] Tout cela s’accompagne de difficultés d’apprentissage, de troubles de comportement et d’une exposition à l’intimidation. Il fréquente des classes spécialisées.
[22] Au fil des années, l'accusé exerce divers emplois peu spécialisés et a de la difficulté à les maintenir. Il est plutôt oisif. Son réseau social est faible.
[23] En ce qui concerne la sexualité, il reçoit une éducation de sa mère et à l’école. La travailleuse sociale observe des erreurs de pensée à l’égard du consentement ainsi que dans les rapports hommes-femmes. Elle qualifie de modéré le risque de récidive.
[24] Elle conclut en mentionnant que l'accusé accepte les services en psychiatrie et qu’il prend sa médication. De plus, il reconnaît les gestes posés en 2019 et accepte de collaborer avec les différents services qui seront offerts.
[25] Le rapport recommande de mettre l'accusé sous probation avec diverses conditions : suivis, protection de la victime, travaux bénévoles.
[26] La juge jeunesse suivra ces recommandations en prononçant la peine suivante le 15 mai 2023 : probation de 12 mois avec divers suivis, des clauses de protection de la victime et 25 heures de travaux communautaires.
[27] L'accusé dépose la version papier d’un article de journal publié le 30 juillet 2024 (donc après le verdict du 5 juillet) intitulé : « Des poitrines d’ados pour ranger ses vapoteuses ». Cet article est accompagné de sa photo (format de presque 6″ par 6″) sous la rubrique « justice agressions ». Son nom est mentionné. Le tout est également publié sur le site Internet d’un média associé[11].
[28] Tout cela s’accompagne d’une vague de commentaires sur les réseaux sociaux. Ces messages sont teintés de vulgarité, d’insultes et de formes de menace (ex. : souhait que l'accusé soit agressé en détention; « on va finir par te trouver »; etc.).[12]
[29] En outre, le père de l'accusé relate ce qui suit :
[30] Lors de l’audience, la procureure présente les deux déclarations des victimes.
[31] Chacune a son histoire, mais on retrouve un dénominateur commun : crainte de revoir l'accusé, situations qui rappellent de mauvais souvenirs (ex. : lorsqu’il y a une voiture semblable à celle de l'accusé), perte de confiance envers les hommes, sentiment de culpabilité, impression d’avoir été manipulées.
◊
[32] Le Tribunal doit maintenant infliger la peine.
[33] L'article 718 C.cr. expose les objectifs généraux : dénoncer, dissuader, isoler au besoin le délinquant, favoriser la réinsertion sociale, assurer la réparation des torts et susciter la conscience de la responsabilité par la reconnaissance du tort causé. L'article 718.1 C.cr. ajoute ce principe fondamental : la peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant.
[34] En toile de fond, la Cour suprême, dans l’arrêt Friesen[13], lance un message clair concernant les infractions sexuelles contre les enfants : « Il faut imposer des peines plus lourdes pour ces crimes ». Cela pourrait permettre de s’écarter vers le haut des fourchettes antérieures. Outre le caractère répréhensible inhérent de ces infractions, le préjudice à la victime peut se manifester à court ou à long terme. De plus, des attouchements superficiels peuvent constituer une atteinte grave; il n’y a pas de hiérarchie sur le type d’actes physiques[14].
[35] En même temps, la Cour mentionne qu’il ne s’agit pas d’une directive « de faire abstraction des facteurs pertinents pouvant atténuer la culpabilité morale du délinquant. Le principe de proportionnalité exige que la peine infligée soit ‘‘juste et appropriée, rien de plus’’ […]. Premièrement, comme l’agression sexuelle et les contacts sexuels sont des infractions définies de manière générale qui englobent une vaste gamme d’actes, la conduite du délinquant sera moins blâmable sur le plan moral dans certains cas que dans d’autres. Deuxièmement, la situation personnelle des délinquants peut avoir un effet atténuant. Par exemple, les délinquants ayant des déficiences mentales qui comportent de grandes limites cognitives auront probablement une culpabilité morale réduite »[15].
[36] Cela étant, les facteurs aggravants s’établissent comme suit :
1) Sur le plan législatif, la peine maximale de 14 ans prévue à l'article 151a) C.cr. reflète la gravité objective de l’infraction. À noter que la Cour d’appel, dans Caron Barrette[16], a déclaré que la peine minimale obligatoire d’un an est inopérante à l’égard de cet accusé au regard de l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés puisqu’elle constitue une peine cruelle et inusitée. Le présent Tribunal est lié par cet arrêt en vertu du stare decisis vertical[17], soit le principe en vertu duquel les tribunaux rendent des décisions conformes à celles prononcées par les tribunaux supérieurs[18].
Comme le mentionne la Cour suprême dans l’arrêt Friesen, au fil des années, le législateur a amendé le Code criminel pour hausser les peines maximales, lançant ainsi un signal clair concernant une sévérité accrue. Toutefois, le Tribunal doit faire preuve de prudence sur la caractérisation d’un facteur aggravant par rapport aux éléments qui font partie inhérente des infractions[19].
2) Le Code criminel codifie certains facteurs aggravants :
718.01 [Objectif – Infraction perpétrée à l’égard des enfants] Le tribunal qui impose une peine pour une infraction qui constitue un mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de dix-huit ans accorde une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion d’un tel comportement.
718.2 [Principes de la détermination de la peine] Le tribunal détermine la peine à infliger compte tenu également des principes suivants :
(ii.1) que l’infraction perpétrée par le délinquant constitue un mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de dix-huit ans,
(iii) que l’infraction perpétrée par le délinquant constitue un abus de la confiance de la victime […],
(iii.1) que l’infraction a eu un effet important sur la victime en raison de son âge et de tout autre élément de sa situation personnelle […],
3) Les gestes se sont répétés sur deux victimes entre 2020 et 2022.
[37] Lors de l’audience sur la détermination de la peine, les avocats exposent des positions contradictoires sur la question des antécédents de l'accusé en regard du dossier jeunesse. L'accusé considère qu’il ne peut être qualifié de récidiviste. Le poursuivant est d’opinion contraire.
[38] Pour trancher cette question, il convient de comparer le cheminement des deux dossiers :
Date | Dossier jeunesse | Dossier adulte |
Février 2002 | Naissance de l'accusé. |
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Juillet 2019 | Agression sur une jeune fille âgée de 15 ans. L'accusé a 17 ans. |
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Février 2020 | L'accusé devient majeur. |
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Juin 2020 Juillet 2021 |
| Contacts sexuels sur X. |
16 mars 2022 |
| Contacts sexuels sur Y. |
21 avril 2022 | Inculpation de l'accusé. |
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27 juillet 2022 |
| Inculpation de l'accusé. |
8 décembre 2022 | L'accusé plaide coupable. Ordonnance d’un rapport prédécisionnel avec volet sexologique. |
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4 mai 2023 | Rapport prédécisionnel. |
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15 mai 2023 | Prononcé de la peine. |
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Février et avril 2024 |
| Procès. |
5 juillet 2024 |
| Verdict de culpabilité. |
23 octobre 2024 |
| Représentations sur la peine. Production du rapport prédécisionnel. |
28 novembre 2024 |
| Prononcé de la peine. |
[39] Strictement parlant, l'accusé a raison de prétendre qu’au moment des actes reprochés, il n’avait pas d’antécédent[20]. Ainsi, l’infraction jeunesse a été commise en 2019. Celles à l’âge adulte se situent entre 2020 et 2022 alors qu’il n’avait pas encore été inculpé dans le dossier jeunesse. Il ne peut donc être qualifié de « récidiviste » au sens légal du terme.
[40] Par ailleurs, le Tribunal retient les circonstances atténuantes suivantes :
1) Il s’agit d’un jeune accusé. Comme le mentionne la Cour d’appel dans l’arrêt Glaude, les tribunaux, dans le but d'assurer la réhabilitation des jeunes adultes, se montrent cléments et évitent généralement de les placer dans un milieu carcéral où ils pourraient côtoyer d’autres individus criminalisés[21]. Il faut se rappeler que l'accusé venait à peine d’atteindre ses 18 ans lors des premières infractions.
2) On retrouve certains facteurs de stabilité. Ainsi, les parents offrent un bon encadrement. De plus, l'accusé tente d’occuper des emplois.
3) Malgré certaines réserves, le rapport prédécisionnel est globalement positif.
[41] Comme un procès a été tenu, l'accusé ne peut bénéficier du facteur atténuant d’un plaidoyer de culpabilité.
[42] Cela étant, la question de ses limites personnelles doit faire l’objet d’une attention particulière.
[43] Comme il a été mentionné, les diagnostics suivants ont été établis : TDAH avec opposition, impulsivité, trouble du langage, syndrome Gilles de la Tourette, intelligence limite.
[44] Régulièrement, des personnes affectées par des problèmes de santé mentale comparaissent devant les tribunaux pour diverses infractions criminelles. Ces problèmes ne conduisent pas nécessairement à une défense de non-responsabilité criminelle au sens de l'article 16 C.cr.
[45] Toutefois, la condition mentale d’un accusé peut constituer un facteur atténuant en raison d’une culpabilité morale moindre[22]. C’est d’ailleurs ce que mentionne explicitement la Cour suprême dans l’arrêt Friesen[23].
[46] En outre, la Cour d’appel, dans l’arrêt Martin[24], reconnaît que même si la maladie mentale ne donne pas ouverture à un verdict de non-responsabilité criminelle, il n’y a pas lieu d’en écarter l’impact sur la détermination de la peine[25]. De plus, lorsqu’un accusé est affligé d’une telle limite, il est reconnu que l’accent doit être placé sur des mécanismes permettant la réhabilitation et le traitement au lieu de la punition[26].
[47] Ces principes doivent être appliqués au présent cas.
[48] Qu’en est-il de la couverture médiatique ?
[49] Selon la Cour suprême[27], les médias participent à la vie en société et ont un rôle primordial à jouer dans une société démocratique. En réunissant et en diffusant les informations, ils permettent aux membres de la société de se former une opinion éclairée sur les questions susceptibles d’avoir un effet important sur leur vie et leur bien‑être. Dans une certaine mesure, la médiatisation constitue une conséquence inévitable de ce type d’accusation[28].
[50] En même temps, la Cour d’appel, dans l’arrêt Harbour[29], mentionne que le passage médiatisé à travers le système de justice criminelle peut contribuer à véhiculer les objectifs de dénonciation et de dissuasion. La Cour souligne que « les médias ont un pouvoir indéniable »[30].
[51] Un autre élément s’ajoute à la grille d’analyse : les messages envoyés sur les réseaux sociaux.
[52] La Cour suprême, dans l’arrêt Suter[31], détermine que le tribunal peut prendre en compte les conséquences indirectes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation de l'accusé. Dans cette affaire qui provient de l’Alberta, un accusé au volant de son véhicule avait foncé sur une terrasse et causé la mort d’un enfant de deux ans. Après une inculpation de conduite avec les capacités affaiblies, il a été kidnappé par de supposés justiciers civils qui l’ont battu. La Cour énonce que ce type de représailles peut être pris en compte jusqu’à un certain point, même s’il ne s’agit pas strictement d’une circonstance atténuante[32].
[53] Dans le présent cas, le Tribunal prend en considération la couverture médiatique qui contribue à véhiculer les objectifs de dénonciation et de dissuasion. De plus, la peine doit être atténuée sur la base des conséquences indirectes découlant des messages disgracieux sur les réseaux sociaux. Comme le mentionne la Cour suprême dans l’arrêt Suter, ces éléments ne rendent pas semblable la situation de l'accusé comparée à d’autres délinquants[33].
[54] Par ailleurs, selon l'article 718.2b) C.cr., le Tribunal doit tenir compte de l’harmonisation des peines, « c'est-à-dire l'infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables ».
[55] Le Tribunal joint aux annexes 3 et 4 la liste des autorités jurisprudentielles produites par les avocats.
[56] Bien entendu, les résultats varient selon les circonstances en cause.
[57] Dans le récent arrêt Courchesne[34], la Cour d’appel analyse les fourchettes générales de peines en matière de contacts sexuels. La Cour retient l’analyse des auteurs Parent et Desrosiers que ce type d’infraction donne généralement lieu à des peines de quelques mois à 4 ans d’emprisonnement environ. La Cour d’appel se réfère également à l’arrêt Londono[35], dans lequel le juge Guy Gagnon recense des jugements postérieurs à l’arrêt Friesen en matière de peines sanctionnant les infractions des articles 151a) ou 152a) C.cr. Il en ressort une fourchette générale de 10-12 mois à 24 mois moins un jour.
[58] Ce large éventail s’explique par le fait que ces crimes « couvrent une très vaste gamme de comportements, allant du jeune de 19 ans qui incite une adolescente de 13 ans à avoir des contacts sexuels, au proxénète imposant des relations sexuelles dégradantes à une adolescente, au pédophile invétéré, au parent qui commet l’inceste et au prédateur sexuel, le tout sur des périodes plus ou moins longues, avec ou sans abus d’autorité ou manipulation. L’âge des victimes et des délinquants constitue aussi un facteur très variable. Et tout cela, dans des contextes où les conséquences pour la victime peuvent être très différentes de l’une à l’autre »[36].
[59] Tout cela illustre que la détermination d’une peine juste et appropriée est une opération éminemment individualisée qui ne se limite pas à un calcul purement mathématique[37].
[60] Qu’en est-il de la collectivité ?
[61] Selon l’article 742.1 C.cr., certains délinquants peuvent purger leur peine au sein de la collectivité (ordonnance de sursis).
[62] Le poursuivant reconnaît qu’il n’y a pas ici d’exclusion à la collectivité. Le débat concerne le caractère approprié d’une telle sanction.
[63] Pour trancher la question, il convient de se référer à l’arrêt Proulx[38] de la Cour suprême rendu en 2000 qui établit les balises générales :
1) Les mesures probatoires et l'emprisonnement dans un pénitencier doivent être écartés.
2) La loi ne doit pas prévoir de peine minimale d'emprisonnement.
3) Le fait de purger la peine au sein de la collectivité ne doit pas mettre en danger la sécurité de celle-ci.
4) Il n'y a pas de présomption d'exclusion de l'application du régime.
5) Le sursis à l'emprisonnement peut être octroyé même dans les cas où il y a des circonstances aggravantes.
6) Une fois ces préalables établis, le Tribunal doit envisager sérieusement l'emprisonnement avec sursis.
7) Le Tribunal doit alors composer avec les objectifs fixés par le législateur : la réduction du recours à l'incarcération et l'importance à accorder à la justice corrective.
8) La peine dans la collectivité doit comporter un aspect punitif. À titre d'exemple, la détention à domicile et des couvre-feux devraient être la règle. Par ailleurs, l'emprisonnement avec sursis n'ouvre droit à aucune réduction de peine. Aussi, la durée d'application peut être plus longue qu'une peine d'emprisonnement traditionnelle. Si l'accusé enfreint sans excuse raisonnable une condition de l'ordonnance, il y a une présomption que le reste de la peine doit être purgée en prison.
9) Dans certains cas, « la nécessité de dénoncer est si pressante que l’incarcération est alors la seule peine qui convienne pour exprimer la réprobation de la société à l’égard du comportement du délinquant »[39].
[64] Il est vrai que la jurisprudence postérieure à l’arrêt Friesen ne privilégie pas la peine dans la collectivité pour les crimes sexuels.
[65] Toutefois, les tribunaux n’ont pas érigé une muraille. À titre illustratif, la Cour d’appel, dans l’arrêt Lajoie[40], annule un emprisonnement ferme de deux ans moins un jour et substitue une peine de douze mois dans la collectivité, et ce, dans le contexte d’une déclaration de culpabilité relativement à un acte d’attentat à la pudeur commis en 1971. Le juge Lévesque, après s’être référé à l’arrêt Friesen, exprime l’opinion suivante :
[58] L’emprisonnement avec sursis peut être vu comme un adoucissement de la peine, mais il n’en demeure pas moins que cette mesure constitue une peine d’emprisonnement et qu’elle sert bien les objectifs de dénonciation et de dissuasion lorsque les circonstances de l’affaire le justifient.
[66] Le Tribunal a retracé quelques autres précédents de collectivité qui sont répertoriés à l’annexe 5.
[67] Dans le présent cas, les deux premières conditions sont satisfaites. Premièrement, il ne s’agit pas de mesures probatoires et la peine est inférieure à deux ans. Deuxièmement, il n’y a pas de peine minimale.
[68] Le poursuivant s’oppose à cette mesure pour deux motifs principaux.
[69] Premièrement, cela n’atteindrait pas les objectifs de dénonciation et de dissuasion. Or, la Cour suprême souligne que la collectivité comporte un aspect punitif qui permet la réalisation de ces objectifs[41]. De plus, l’emprisonnement avec sursis peut avoir un effet dénonciateur appréciable[42].
[70] Deuxièmement, le poursuivant soutient qu’il y a un risque de récidive, mettant en cause la sécurité des plaignantes ou d’autres jeunes filles.
[71] Le Tribunal entend bien ces préoccupations.
[72] Toutefois, l’analyse doit être élargie sur la base des facteurs suivant :
1) Le rapport prédécisionnel parle d’un risque modéré.
2) Le rapport mentionne aussi que l'accusé accepte les services en psychiatrie et prend assidument sa médication[43].
3) Il n’y a pas de récidive depuis 2022.
4) L'accusé a fait ses suivis probatoires et exécuté ses travaux communautaires dans le dossier jeunesse antérieur.
5) Il est ouvert à d’autres suivis.
6) Il présente plusieurs facteurs de stabilité, dont l’appui de ses parents et l’exercice d’un emploi. Il est important de préserver cet acquis.
[73] En somme, même si on ne retrouve pas un risque zéro, il peut être atténué par de bonnes mesures d’encadrement comme l’énonce l’arrêt Proulx[44].
[74] Il faut également prendre en compte que, selon le rapport prédécisionnel, le comportement de l'accusé n’est pas caractérisé par une déviance. Le problème repose plutôt sur la compréhension du consentement et des rapports hommes-femmes. Cela peut faire l’objet de suivis.
[75] Finalement, dans le contexte où il s’agit d’un jeune contrevenant qui est affecté par des limites personnelles, il convient d’axer la peine sur la réhabilitation et le traitement et non sur la punition sans l’éliminer complètement, et ce, comme l’énonce la Cour d’appel dans l’arrêt Martin[45].
[76] Pour toutes ces raisons, le Tribunal retient la proposition de la défense d’infliger une peine dans la collectivité. Toutefois, la durée sera supérieure à celle suggérée. Le total s’établira à 18 mois, c’est-à-dire deux peines de 9 mois consécutives entre elles.
[77] De surcroît, l'accusé sera sous probation pour une durée de trois ans avec un suivi de deux ans. Comme le mentionne la Cour d’appel dans l’arrêt St-Germain[46], la probation, tout en limitant la liberté d’un accusé, est un moyen de le mettre à l'épreuve et de protéger la société.
[78] La probation inclura 100 heures de travaux communautaires. D’une part, cela contribuera à sortir l'accusé de son isolement et de l’oisiveté. D’autre part, comme le mentionne le juge Healy dans l’affaire Cherchar[47], les travaux communautaires visent à sensibiliser d'une façon constructive la responsabilité du délinquant. Cette option est compatible avec l'injonction du législateur de ne pas ordonner l'emprisonnement à moins que cela soit nécessaire. La probation peut viser à la fois la protection de la société et la réinsertion sociale du délinquant.
[79] Qu’en est-il de l’enregistrement des renseignements sur les délinquants sexuels ?
[80] Le paragraphe 3 de l'article 490.012 C.cr. prévoit que le tribunal prononce une ordonnance à moins qu’il ne soit convaincu que la personne a établi :
a) soit qu’il n’y aurait pas de lien entre l’ordonnance et l’objectif d’aider les services de police à prévenir les crimes de nature sexuelle ou à enquêter sur ceux-ci par l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels prévu par cette loi,
b) soit que l’ordonnance aurait à son égard, notamment sur sa vie privée ou sa liberté, un effet nettement démesuré par rapport à l’intérêt que présente, pour la protection de la société contre les crimes de nature sexuelle au moyen d’enquêtes ou de mesures de prévention efficaces, l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels prévu par cette loi.
[81] Le paragraphe 4 énumère les facteurs que le tribunal doit prendre en compte : a) la nature et la gravité de l’infraction désignée ; b) l’âge de la victime et ses autres caractéristiques ; c) la nature de la relation entre la victime et la personne en cause et les circonstances qui l’entourent ; d) les caractéristiques et la situation personnelle de la personne en cause ; e) les antécédents criminels de la personne en cause, notamment son âge au moment de la perpétration de toute infraction antérieure et le temps qu’elle a passé en liberté sans commettre d’infraction ; f) l’avis des experts qui ont examiné la personne en cause ; g) tout autre facteur qu’il juge pertinent.
[82] Dans le présent cas, la durée s’établirait à 20 ans[48].
[83] La Cour suprême, dans l’arrêt Ndhlovu[49], mentionne que la loi impose des obligations nombreuses, envahissantes et détaillées. De plus, « l’impact sur quiconque est assujetti aux obligations de déclaration d’une ordonnance prévue par la LERDS est considérable. Le caractère personnel des renseignements qui sont consignés, la fréquence à laquelle les délinquants sont tenus de les mettre à jour et la menace d’emprisonnement rendent ces conditions onéreuses. Il ne s’agit pas d’obligations de déclaration de routine ».
[84] À titre illustratif, le juge Wolf, de la Cour provinciale de la Colombie-Britannique, dans l’affaire D.M.W.[50], exempte un accusé de 18 ans qui avait abusé sexuellement une jeune fille de 13 ans. Le juge prend notamment en compte la jeunesse de l'accusé et les changements raisonnablement prévisibles de résidence et d'emploi. Cela entraînerait une obligation contraignante pour un jeune homme de déclarer tous ces changements au registre.
[85] Le présent Tribunal s’inscrit dans la même logique, d’autant plus que l'accusé sera encadré pendant quatre ans et demi et qu’il est affecté par des limites personnelles.
[86] En somme, les critères prévus au Code criminel sont réunis et conduisent à accorder une exemption d’enregistrement.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[87] EN CE QUI CONCERNE X (chef 1), inflige une peine de neuf mois à être purgée dans la collectivité.
[88] EN CE QUI CONCERNE Y (chef 2), inflige une peine de neuf mois consécutifs à être purgée dans la collectivité.
[89] PRÉVOIT diverses ordonnances dont les modalités seront déterminées à l’audience.
[90] DISPENSE l'accusé de s’inscrire selon la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels.
[91] DISPENSE l'accusé de la suramende compensatoire.
| __________________________________ PIERRE LORTIE Juge à la Cour du Québec | |
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Me Nicole Ouellet Directeur des poursuites criminelles et pénales | ||
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Me Sylvain Morissette Avocat de l'accusé | ||
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Date d’audience : | 23 octobre 2024 | |
1. RÉPERCUSSIONS D’ORDRE ÉMOTIF
Depuis deux ans, j’ai peur de le croiser. En 2022, j’avais de la difficulté à aller à l’école par peur qu’il y soit. Cela m’a causé un énorme stress. Tellement gros que cela m’a causé un choc post-traumatique. Cela m’a pris un bout avant de me laisser toucher par un homme et d’avoir simplement confiance en un homme.
2. RÉPERCUSSIONS D’ORDRE PHYSIQUE
Physiquement, cela m’a créé des complexes.
4. CRAINTES CONCERNANT LA SÉCURITÉ
J’ai toujours peur de le croiser près de chez moi, car il sait où je vis ou même l’année dernière à l’école. Il est beaucoup plus énorme que moi, alors j’ai peur que si je le croise, il arrive quelque chose. Quand je travaille, je ne me sens jamais en sécurité par peur qu’il entre dans l’établissement.
1. RÉPERCUSSIONS D’ORDRE ÉMOTIF
J’avais du mal à me concentrer à l’école, car je pensais seulement à ce qu’il m’a fait. Je n’étais pas capable de sortir seule de chez moi, même pour 5 minutes, par peur de le croiser. Toutes les voitures qui pouvaient ressembler à son auto me faisaient peur. Je ne voulais pas que mon copain soit trop tactile avec moi, car je me repassais les événements dans ma tête, même pour un simple câlin. Mon père avait commencé à travailler le jour et ma mère le soir pour que je ne sois jamais seule à la maison.
2. RÉPERCUSSIONS D’ORDRE PHYSIQUE
J’avais l’impression que mon corps était devenu attirant, alors j’avais du mal à me montrer à l’extérieur en chandail court ou même en short.
3. RÉPERCUSSIONS D’ORDRE ÉCONOMIQUE
Mon père a dû prendre des congés non payés et changer son horaire pour rester avec moi. Mes parents ont également acheté des caméras de surveillance pour voir s’il venait où notre maison. Mes parents m’ont payé un suivi de psychologue au privé pour que je puisse ressortir seule.
4. CRAINTES CONCERNANT LA SÉCURITÉ
Je ne sortais jamais seule. Ma mère allait me porter tous les matins à l’école et je rentrais à la maison avec des amis. Si j’étais seule à la maison, j’invitais des amis à rester avec moi jusqu’au retour de mes parents. J’avais peur qu’il vienne où mon école, car il passait souvent devant ou se stationnait dans le parking alors qu’il n’était même pas un élève.
5. DESSIN, POÈME OU LETTRE
Il m’a fait perdre confiance en moi pendant longtemps. Les actes qu’il a faits ne sortiront jamais de ma tête, les paroles qu’il m’a dites, les messages qu’il m’envoyait et encore, moi, les endroits où il a placé ses mains. Tout ça va rester gravé sur mon corps et dans ma tête pour le reste de mes jours. Encore aujourd’hui, je me réveille en sursaut, car je revois la scène dans mes rêves, ou devrais-je dire, dans mes cauchemars.
R. c. E.P.,
[7] En l'espèce, l'intimé est un délinquant atteint d'une déficience intellectuelle sérieuse qui, sans le dégager de sa responsabilité pénale, diminue le degré de dissuasion requis dans ces circonstances, ce dont le juge de première instance tenu compte dans l'évaluation de la sentence.
R. c. Martin,
Harbour c. R.,
[66] Or, les médias ont un pouvoir indéniable. L'importance de la couverture médiatique variera selon les cas. L'impact médiatique, pris comme le simple dévoilement du crime et de son auteur, n'autorise pas en soi à inférer, dans la plupart des cas, des conséquences qui en feraient un facteur atténuant. C'est, je crois, ce confirme la Cour dans les arrêts Thibault, Chav, et Savard précités. En effet, l'inférence d'une stigmatisation découlant d'une accusation n'est pas toujours un facteur, celle-ci étant intrinsèque à des niveaux variables, correspondants au crime. À l'évidence, la gravité du crime et la stigmatisation sont directement proportionnelles : R. c. Martineau
[67] Par contre, il me semble difficile d'affirmer que la preuve de la déchéance d'un délinquant à la suite d'une accusation et d'une condamnation, médiatisée ou non, ne puisse jamais être pertinente. Je suis plutôt d'opinion que la jurisprudence reconnaît bien cela comme circonstance pertinente dans la détermination de la peine. Un juge peut, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsque la preuve le justifie, considérer que le passage à travers le système de justice criminelle contribue en soi à l'atteinte d'objectifs de la peine, notamment, mais non exclusivement, en raison de sa médiatisation.
[74] Plus ce facteur est appuyé par la preuve, plus le juge doit le considérer tout en le pondérant avec les autres éléments et les objectifs de la peine. Il s’agit d’un élément contextuel pertinent.
[75] En l’espèce, c’est certainement le cas.
[76] La preuve de l’impact médiatique qui est probante est surtout invoquée ici pour son effet sur la stabilité occupationnelle de l’appelant en plus d’avoir eu un effet de nature psychologique. Le lien n’est pas théorique et ne repose sur aucune spéculation. Trois ans après les faits, alors qu’il avait réussi à réintégrer le marché du travail, il perd ses emplois en raison de la médiatisation des accusations. Des lettres non contredites le confirment. Toujours selon la preuve, une condamnation met à risque son emploi actuel. L’appelant vit maintenant une situation financière précaire. Clairement, la réinsertion sociale de l’appelant passe principalement par la possibilité de réintégrer le marché du travail. Il n’y a aucune autre facette de la réhabilitation en cause, que ce soit une problématique psychologique ou comportementale qui, en sus de l’emploi, mériterait que la peine s’y attarde de quelque manière.
[81] […] c’est une erreur de croire que seul l’emprisonnement peut répondre adéquatement aux objectifs de dénonciation et de dissuasion, la sévérité n’étant pas l’apanage de l’emprisonnement.
R. c. Caron,
R. c. Londono,
R. c. Simon,
[90] Le principe de la modération repose en partie sur le fait que les tribunaux considèrent que les jeunes contrevenants ont un plus grand potentiel de réinsertion sociale. Dans cette perspective, les tribunaux, dans le but d’assurer la réhabilitation des jeunes délinquants, se montrent cléments et évitent généralement de les placer dans un milieu carcéral où les détenus purgent de longues peines et sont souvent lourdement criminalisés96.
96 R. c. Fournier,
[131] […] le Tribunal conclut que la peine de 48 mois demandée par la Couronne est proportionnelle et appropriée, quoiqu’une peine encore plus sévère aurait pu être envisagée.
R. c. Tremblay,
[27] Au chapitre des facteurs atténuants, l’appelant a raison de noter que les éléments ciblés par le juge ne se rattachent ni à la gravité de l’infraction ni au degré de responsabilité du délinquant. Ils ne sont donc pas à proprement parler des facteurs atténuants, mais cela ne veut pas dire pour autant qu’ils n’étaient pas tous pertinents à la détermination de la peine. Le syndrome de Gilles de la Tourette n’a pas directement contribué à la commission de l'infraction et n'est donc pas un facteur atténuant, mais, selon le rapport sexologique, il s’inscrit dans le contexte global de l’enfance difficile de l’intimé, qui a pu contribuer au passage à l’acte.
[34] Quant à la sécurité de la collectivité, comme discuté plus haut, le juge ne commet aucune erreur révisable dans son évaluation du risque de récidive. Il conclut que la possibilité pour l’intimé de purger sa peine dans la collectivité ne mettrait pas en danger la sécurité du public, soulignant que ce dernier « s’est pris en main de façon marquée; il a changé son mode de vie. Il est sous traitement, en thérapie multifonctionnelle »[23]. L’on ne saurait voir une erreur révisable dans ces conclusions qui reflètent le fait que le crime a été commis plus de huit ans avant la détermination de la peine et que, hormis les condamnations en 2022 pour des crimes commis lors d’une psychose toxique et qui ont mené au changement radical dans son mode de vie, l’intimé n’a fait l’objet d’aucune accusation, que ce soit en matière sexuelle ou autre.
[35] L’appelant plaide en outre que le juge a erré en omettant de prioriser les objectifs de dénonciation et de dissuasion, considérant la nature de l’infraction, le degré de responsabilité de l’intimé, son risque de récidive et la prédominance des facteurs aggravants. Il a raison de faire valoir que le juge avait l’obligation de prioriser ces facteurs, notamment en application de l'article 718.01 C.cr. qui énonce que lorsque l'infraction constitue un mauvais traitement à l'endroit d'une personne âgée de moins de 18 ans, le juge doit accorder une « attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion d'un tel comportement » [24]. Pourtant, loin d’avoir ignoré ces consignes, le juge note précisément que, s’agissant d’un cas d’agression sexuelle, les objectifs de dénonciation et de dissuasion doivent primer[25]. La question est donc de savoir si la priorisation qui s’imposait fait obstacle au fait de permettre que la peine soit purgée dans la collectivité dans les circonstances de ce dossier.
[36] Le juge réfère à l’énoncé de principe de l’arrêt Proulx[26] où la Cour suprême indique que, « [l]orsque des objectifs tels que la dénonciation et la dissuasion sont particulièrement pressants, l’incarcération sera généralement la sanction préférable, et ce en dépit du fait que l’emprisonnement avec sursis pourrait permettre la réalisation d’objectifs correctifs » [27]. Il cite également les propos du juge Doyon[28] dans l’arrêt récent de la Cour R. c. Lemieux[29] (où l’emprisonnement avec sursis était jugé inapproprié dans ce dossier d’agression sexuelle), en soulignant le devoir du juge qui détermine la peine de pondérer les facteurs applicables afin d’individualiser la peine[30].
[37] Dans Lemieux, le juge Doyon souligne que, même si l’objectif de dissuasion « peut être atteint par un emprisonnement avec sursis, il reste que “[l]’incarcération, qui est habituellement une sanction plus sévère, peut avoir un effet plus dissuasif que l’emprisonnement avec sursis” » [31]. Si l’appelant y voit un énoncé de principe selon lequel l’emprisonnement en milieu carcéral est toujours de rigueur afin de prioriser la dénonciation et la dissuasion, il se trompe. Bien qu’en règle générale, les objectifs de dissuasion et de dénonciation exigent des peines d’emprisonnement en milieu carcéral dans les cas d’agression sexuelle avec emploi de la force, la question de la proportionnalité demeure le fondement essentiel de toute peine infligée[32]. C’est d’ailleurs ce qu’indique le juge Lamer dans l’arrêt Proulx en précisant qu’il serait erroné d’écarter d’emblée la possibilité de l’octroi du sursis à l’emprisonnement au seul motif qu’il y a présence de facteurs aggravants qui augmentent le besoin de dénonciation et de dissuasion, et que chaque cas doit être apprécié individuellement[33].
[38] La Cour a récemment réitéré, dans l’arrêt Lajoie c. R., que les objectifs de dénonciation et de dissuasion peuvent être remplis par l’emprisonnement avec sursis, tout étant une question de contexte et d’individualisation. À cet égard, le juge Levesque écrit :
[58] L’emprisonnement avec sursis peut être vu comme un adoucissement de la peine, mais il n’en demeure pas moins que cette mesure constitue une peine d’emprisonnement et qu’elle sert bien les objectifs de dénonciation et de dissuasion lorsque les circonstances de l’affaire le justifient.[34]
[39] Tenant compte de tous les éléments au dossier, le juge conclut que tel est le cas en l’espèce. Il n’a commis aucune erreur de principe.
[23] Jugement entrepris, E.A., p. 43.
[24] R. c. Friesen,
[25] Jugement entrepris, E.A. p. 40.
[26] Jugement entrepris, E.A. p. 42.
[27] R. c. Proulx,
[28] Jugement entrepris, E.A. p. 41.
[29]
[30] Id., par. 91.
[31] Id., par. 102, citant R. c. Proulx,
[32] « La proportionnalité joue un rôle restrictif et, en ce sens, elle est garante d’une peine qui est individualisée, juste et appropriée. » : R. c. Bissonnette,
[33] R. c. Proulx,
[34] Lajoie c. R.,
R. c. J.D.,
[50] Le Tribunal ne peut ignorer que si l’accusé avait posé ces gestes quelques jours ou quelques semaines auparavant, il aurait comparu devant la Chambre de la jeunesse.
[55] Le Tribunal doit considérer le principe de modération avant d’envisager la privation de liberté, et ce, particulièrement lorsqu’il a devant lui un délinquant primaire qui avait à peine 18 ans lors des événements.
R. v. M.M.,
[13] The Crown argues that the trial judge erred in principle and the conditional sentence he imposed was demonstrably unfit in light of [Friesen].
[14] We agree.
[15] The Supreme Court’s instructions from Friesen could not be clearer: sentences for sexual offences against children must increase. There are no qualifications here. Sentences have been too low for too long. Denunciation and deterrence are of primary importance: […]. Those who commit sexual offences against children must understand that carceral sentences will ordinarily follow.
[16] Conditional sentences for sexual offences against children will only rarely be appropriate[51]. Their availability must be limited to exceptional circumstances that render incarceration inappropriate – for example, where it gives rise to a medical hardship that could not adequately be addressed within the correctional facility. It would not be appropriate to enumerate exceptional circumstances here and we make no attempt to do so. Suffice it to say that no exceptional circumstances are present in this case. A sentence of imprisonment should have been imposed.
[17] The sentencing judge failed to give effect to several aggravating factors, and in particular to the appellant’s breach of trust. As the Supreme Court explained in Friesen, a breach of trust is likely to increase the harm to the victim and the gravity of the offence: at paras. 125-26. It is a significant aggravating factor, but the sentencing judge mentioned it only in passing. At the same time, some of the sentencing judge’s remarks suggest that he minimized the nature of the appellant’s offending. For example, he stated that the photos and videos of the complainant “couldn’t be less sinister, and still be child pornography”.
[18] Of course, as with any offence, there is a spectrum of offences involving child pornography. But it is not a mitigating circumstance that the photos and video sent to the appellant did not depict acts perpetrated against infants and very young children, nor is it a mitigating circumstance that the appellant was not trolling the internet in search of child pornography. Although the child pornography was sent to the appellant unsolicited, it was plain that the appellant had been grooming the complainant – a child in foster care who was especially vulnerable as a result.
[19] We accept the Crown’s submission that a 15-month sentence of imprisonment plus 12 months’ probation would have been appropriate, albeit at the low end of the range.
R. v. D.M.,
[41] In the reasons for sentence, the trial judge gave detailed and specific consideration to factors about the circumstances of the offence that he considered to be aggravating, as well as mitigating circumstances in relation to the appellant. In the latter category the trial judge included the fact that the offence was an isolated and unplanned event, the appellant’s age, health issues, absence of a criminal record, letters of reference, lengthy work history, and his role in supporting his wife, who also has health issues.
[42] Read as a whole, the sentencing reasons are clear that, having considered all of the circumstances of the case, including the aggravating and mitigating circumstances, the trial judge rejected a conditional sentence as inadequate to express denunciation and general deterrence. This conclusion made a conditional sentence unavailable pursuant to s. 742.1(a) of the Criminal Code, because the trial judge was not satisfied, in all the circumstances, that a conditional sentence would be consistent with the fundamental purposes and principles of sentencing. That conclusion was open to the sentencing judge on the record before him.
R. c. K.H.,
Courchesne c. R.,
[49] On rappellera dans ce cadre que, aux fins de la détermination de la peine visant à sanctionner la commission d’une infraction sexuelle à l’endroit d’une personne de moins de 18 ans, ce qui est ici le cas, l’art. 718.01 C.cr. exige du tribunal qu’il accorde « une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion d’un tel comportement / primary consideration to the objectives of denunciation and deterrence of such conduct ». Cela ne signifie pas que les autres objectifs, au nombre desquels figure, bien sûr, la réhabilitation, n’ont plus d’importance ou peuvent être ignorés, comme le rappelle d’ailleurs la Cour suprême dans R. c. Bertrand Marchand (« […] Les termes souples de l’art. 718.01 limitent le pouvoir discrétionnaire des tribunaux en accordant la priorité à ces objectifs, mais l’importance primordiale de ceux‑ci n’exclut pas la prise en compte d’autres objectifs de détermination de la peine, y compris la réinsertion sociale (Rayo, par. 102‑108) »). Toutefois, comme le précise également la Cour suprême dans le même arrêt, si « le juge peut accorder un poids important à d’autres facteurs, [il] ne peut leur accorder une priorité équivalente ou plus grande qu’aux objectifs de dénonciation et de dissuasion […] ».
[50] Cela reste vrai même lorsque le délinquant est jeune et sans antécédents judiciaires. Sans doute, en pareil cas, la modération demeure-t-elle de mise, et ce, « malgré l’importance des facteurs de dénonciation et de dissuasion générale dans l’imposition de peines pour des abus sexuels contre des enfants », facteurs auxquels on doit néanmoins « accorder la priorité », comme l’écrit la Cour suprême dans Friesen […].
1) R. c. Bouchard,
2) R. c. Côté,
3) R. c. Hébert-Ledoux,
4) R. c. Rhéaume,
5) Nabi Zadah c. R.,
6) R. c. M.C.,
7) R. c. Otis, C.Q. Roberval, no 155-01-002694-214, 3 avril 2023
8) R. c. Boudreau-Dénommé,
9) R. c. A.T., 2023, QCCQ 7498
[1] Jugement rapporté R. c. Riverin,
[2] R. c. Friesen,
[3] L.C. 2004, ch. 10.
[4] Pages 98 et 99 des notes sténographiques du 20 février 2024. L’expression provient de X.
[5] Le Tribunal a offert une date en août 2024, mais les avocats n’étaient pas disponibles.
[6] Les déclarations sont respectivement déposées sous SP-1 et SP-2. Le Tribunal procède à des corrections de l’orthographe.
[7] SD-1. L’avocat de l'accusé précise que ce dernier consent expressément à la production du rapport prédécisionnel. L'article 110(3) LSJPA précise que toute personne de plus de 18 ans peut publier ou faire publier des renseignements de nature à révéler son identité et permettant de savoir qu’elle a fait l’objet de mesures prises sous le régime de cette loi. Sur la renonciation à la confidentialité, voir : Place Biermans inc. c. C.D.,
[8] SD-2.
[9] SD-3.
[10] SD-4.
[11] SD-3.
[12] SD-4.
[13] Friesen, préc., note 2, par. 5. Caractère gras ajouté.
[14] Id., par. 144 à 146.
[15] Id., par. 91. Caractère gras ajouté. Les références ne sont pas reproduites.
[16] Caron Barrette c. R.,
[17] R. c. Sullivan,
[18] Hubert Reid et Simon Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 6e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2023, p. 603.
[19] Voir les observations du juge Vauclair dans Lacelle Belec c. R.,
[20] R. c. Skolnick,
[21] R. c. Glaude,
[22] Clayton C. Ruby et al., Sentencing, 9e ed., Toronto, Lexis Nexis, 2017, §5.292, p. 338.
[23] Friesen, préc., note 2, par. 91.
[24] R. c. Martin,
[25] Id., par. 37.
[26] Id., par. 38.
[27] R. c. St-Cloud,
[28] R. c. Côté-Vachon,
[29] Harbour c. R.,
[30] Id. par. 66.
[31] R. c. Suter,
[32] Id., par. 45 et suivants.
[33] Id., par. 48.
[34] Courchesne c. R.,
[35] R. c. Londono,
[36] Id., par. 68 de Londono.
[37] R. c. Lacasse, préc. note 19, par. 58.
[38] R. c. Proulx,
[39] Id., par. 106.
[40] Lajoie c. R.,
[41] Proulx, préc., note 38, par. 22.
[42] Id., par. 102.
[43] Rapport SD-1, p. 8.
[44] Proulx, préc., note 38, par. 72.
[45] R. c. Martin, préc., note 24.
[46] St-Germain c. R.,
[47] R. c. Cherchar,
[48] Article 490.013(2)b) C.cr.
[49] R. c. Ndhlovu,
[50] R. v. D.M.W., 2024 BCPC 82, par. 63.
[51] Caractère gras ajouté.
[52] Requête pour permission d'appeler sur la peine rejetée,
[53] Appel sur la peine rejeté :
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.