Décision

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Royer c. Groupe immobilier Eddy Savoie inc.

2022 QCTAL 12780

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

588579 31 20210917 G

No demande :

3344723

 

 

Date :

02 mai 2022

Devant la juge administrative :

Francine Jodoin

 

Huguette Royer

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Groupe Immobilier Eddy Savoie Inc.

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         La locataire demande une diminution de loyer (25 %) pour la période du 10 mai 2021 au 13 septembre 2021, des dommages matériels (1 564,57 $), des dommages moraux (2 000 $) et des dommages punitifs (2 000 $).

[2]         Elle demande « la correction » d’une clause apparaissant à l’annexe au bail qui impose l’obligation à la locataire d’assumer les frais assumés par la Résidence qu’elle habite en cas de découverte de punaises de lit dans les six (6) premiers mois suivant son emménagement.

[3]         La locataire recherche également une ordonnance d’exécution en nature pour la mise en place d’un protocole « efficient et diligent » pour le contrôle de la vermine dans la résidence.

DEMANDE DE REMISE

[4]         Les parties sont convoquées une première fois en novembre 2021. À cette date, l’audience est remise pour permettre la ratification de la demande signée par le fils de la locataire[1].

[5]         Le procès-verbal indique également qu’il n’existe pas de lien de droit entre la partie défenderesse et le co-demandeur, André Quilicot. Celui-ci est mandaté par sa mère, âgée de 89 ans, qui ne peut se déplacer à l’audience. Le nom de ce dernier est retiré de la demande de même que le co-défendeur, Pierre Fortin, directeur de la résidence.

[6]         Lors de la reprise d’audience, la partie défenderesse formule une demande de remise. Il est représenté par madame Johanne Larocque, employée au seul service du locateur. Bien qu’elle n’ait pas apporté son mandat écrit, monsieur Quilicot qui représente sa mère, consent à ce qu’elle représente la Résidence. Il lui remet, d’ailleurs, copie de la demande ratifiée.

[7]         Celle-ci explique que monsieur Pierre Fortin n’est pas disponible. Elle remet un formulaire de disponibilité daté du 3 mars 2022 et produit après l’envoi des avis de convocation indiquant que ce dernier n’est pas disponible du 21 au 29 mars 2022. Elle ne peut fournir aucune autre explication pertinente pour justifier l’absence de monsieur Fortin ou de toute autre personne qui aurait pu avoir connaissance du dossier.


[8]         Monsieur Quilicot s’oppose fermement à cette remise.

[9]         En l’absence du consentement de la partie adverse, la remise d’une audience n’est pas automatique. Celle-ci doit s’appuyer sur des motifs sérieux et valables. Lorsque comme en l’instance aucune explication n’est soumise au soutien de la demande de remise, le Tribunal n’est pas en mesure de justifier valablement celle-ci.

[10]     Après avoir entendu les représentations des parties, la demande de remise du locateur a été rejetée par le Tribunal, séance tenante, pour les motifs énoncés verbalement à l'audience, sous réserve de pouvoir les compléter dans une décision écrite[2].

[11]     À cet égard, le Tribunal applique les principes maintes fois énoncés et repris dans l’affaire Roger c. Groupe immobilier Celico[3] :

« [22] Le droit d'être entendu est, dans le cadre d'un procès, un droit qui appartient aux deux parties. Les deux parties ont également le droit d'être entendues dans les meilleurs délais.

[23] Une partie qui désire obtenir une remise doit donc démontrer le bien-fondé de la demande et sa diligence à poser tout geste qui permettrait à l'instance de procéder. »

[12]     Vu l’absence de motifs au soutien de la demande de remise, celle-ci a été rejetée séance tenante.

[13]     Madame Larocque a choisi de quitter l’audience.

QUESTIONS EN LITIGE

[14]     La locataire a-t-elle droit à une diminution de loyer et des dommages (moraux, matériels et punitifs) en lien avec la présence de punaises au logement?

[15]     La clause imposant les frais d’extermination à la locataire est-elle valide?

[16]     Le Tribunal a-t-il compétence juridictionnelle pour imposer la mise en place d’un protocole efficient et diligent pour le contrôle de la vermine dans la résidence?

LES FAITS

[17]     La locataire occupe un logement depuis 2018 à la Résidence Soleil Pointe-aux-Trembles au loyer mensuel de 1 790 $. Il s’agit d’un immeuble de 400 unités locatives.

[18]     Le 10 mai 2021, Monsieur Quilicot reçoit un appel de sa mère. Il se présente à son domicile le lendemain et constate qu’elle a des piqûres sur les jambes et des taches de sang sur sa chemise de nuit. En vérifiant le matelas, il constate que le sommier est couvert de punaises.

[19]     La direction de la Résidence est aussitôt alertée. On jette son matelas et lui en donne un nouveau. On l’informe que la firme d’extermination mandatée par le locateur qui se présente une fois par semaine dans la résidence doit passer le 17 mai suivant.

[20]     Monsieur Quilicot insiste pour que sa mère soit changée de logement ce qui lui est accordé. Sa mère sera déplacée dans un nouvel appartement mais dans l’intervalle il l’amène chez lui. Elle signe un bail pour la période du 1er juin 2021 au 31 mai 2022 au loyer de 1 735,70 $ pour le nouveau logement.

[21]     La locataire y habite néanmoins dès la mi-mai 2021. Toutefois, elle n’est pas autorisée à y apporter tous ses biens immédiatement le temps que les traitements d’extermination soient complétés.

[22]     Dans l’annexe A jointe au bail, on retrouve la clause suivante :

« A-14. Le locataire devra permettre au personnel de la résidence et/ou à un technicien en extermination de faire des vérifications à l’intérieur de son appartement. Le locataire devra se soumettre à une vérification de son matelas, divan et fauteuil lors de son premier entretien ménager dans les deux (2) semaines suivant son emménagement. Le locataire est tenu responsable des frais d’inspection et des frais inhérentes au(x) traitement(s) de différents appartements fait par un technicien en extermination choisi par Les Résidences Soleil s’il y a découverte de punaises de lit dans son appartement dans les six (6) mois suivant son emménagement. Le locataire devra acquitter la facture sur réception de celle-ci. »

[Notre soulignement]

[23]     Monsieur Quilicot visite sa mère le 29 juin 2021 dans le nouveau logement et constate la présence de punaises sur le fauteuil de sa mère. Il communique aussitôt avec la Résidence qui lui mentionne que l’exterminateur va passer le 6 juillet 2021.

[24]     Dans l’intervalle, il achète des produits qu’il trouve en vente libre pour contenir, autant que faire se peut, la prolifération des insectes.

[25]     Le 30 juillet 2021, l’exterminateur passe au logement. Monsieur Qulicot tente d’obtenir des informations au téléphone d’un dirigeant de l’entreprise qui lui raccroche la ligne au nez.

[26]     À nouveau, il fait l’achat de produits en attente de nouveaux traitements.

[27]     Le 31 juillet 2021, on déplace sa mère dans un logement temporaire. Elle n’a pas son téléviseur et se plaint d’avoir froid et d’être inconfortable.

[28]     Le lendemain, il lui apporte son téléviseur, une couverture chaude et un oreiller.

[29]     Dans l’intervalle, ses vêtements sont ensachés et disposés dans sa douche. Il a fallu les envoyer au nettoyage à sec.

[30]     En août 2021, sa mère est hospitalisée durant deux jours.

[31]     Le 27 août, il voit encore des punaises sur le matelas et sommier mais personne n’est présent à la Résidence pour s’en occuper.

[32]     Le 31 août 2021, on lui dit que l’exterminateur a confirmé qu’il n’y a plus de punaises alors qu’il en trouve une vivante.

[33]     Le directeur de la résidence contacte immédiatement la firme d’extermination pour obtenir des explications.

[34]     Puis le 8 septembre 2021, on l’avise qu’un traitement à la chaleur sera fait deux jours plus tard. Il doit sortir sa mère durant 24 heures.

[35]     Le 13 septembre 2021, la situation est résolue.

[36]     Il allègue ne pas avoir reçu de feuille d’instructions en vue de la préparation du logement pour les traitements d’extermination. L’avis d’intervention se fait verbalement au téléphone. Parfois, la date n’était pas respectée et on arrivait à l’improviste quelques jours plus tard. Cela laissait sa mère dans l’incertitude.

[37]     Sa mère s’est sentie ostracisée par les autres résidents parce qu’on l’associe à la présence de punaises. Elle ne souhaite plus participer aux activités de la résidence et serait en perte d’autonomie depuis.

ANALYSE

La locataire a-t-elle droit à une diminution de loyer et des dommages (moraux, matériels et punitifs) en lien avec la présence de punaises au logement?

[38]     Ce recours de la locataire est fondé sur l’article 1863 du Code civil du Québec qui prévoit :

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »

LES OBLIGATIONS CONTRACTUELLES DU LOCATEUR QUANT AUX PUNAISES DE LIT

[39]     Suivant la loi, le locateur assume, entre autres, l'obligation de délivrer un logement en bon état de réparation de toute espèce et de procurer au locataire la jouissance paisible de son logement (article 1854 C.c.Q.), le maintien de celui-ci en bon état d'habitabilité (article 1910 C.c.Q.) et l'exécution de toutes les réparations nécessaires sauf celles qui sont purement locatives (article 1864 C.c.Q.).

[40]     Selon les auteurs[4], ces obligations du locateur sont qualifiées de résultats, de sorte que les moyens de défense sont limités. Une fois le manquement établi, le locateur ne peut alors invoquer simplement sa diligence raisonnable ou se contenter de rapporter la preuve d'un comportement prudent et diligent[5].

[41]     Également, soulignons l'article 25 du Règlement de la Ville de Montréal portant sur la salubrité, l'entretien et la sécurité des logements[6] qui prohibe la présence de punaises de lit et les conditions qui favorisent la prolifération de celles-ci. Cette obligation incombe également au locateur.

[42]     Comme le mentionne le professeur Paul-André Crépeau dans son ouvrage intitulé, L’intensité de l'obligation juridique ou des obligations de diligence, de résultat et de garantie[7] :

« 16. L'obligation de résultat est celle où le débiteur est tenu d'obtenir un résultat précis, déterminé. Il ne s'agit plus, comme dans l'obligation de diligence, d'un résultat envisagé ou souhaité, mais bien d'un résultat promis ou imposé.

[...]

18. Ainsi, dans le cas de l'obligation de résultat, l'intensité du devoir est plus forte, plus exigeante, plus astreignante que celle d'une obligation de diligence, car il ne suffit pas au débiteur d'avoir agi en « bon père de famille », d'avoir pris, les moyens raisonnables pour accomplir son obligation; il doit s'exécuter, fournir le résultat que la loi ou le contrat lui avait imposé. »

[Références omises] [Notre soulignement]

[43]     Lorsqu’il est question de la présence de punaises dans un logement, la jurisprudence majoritaire[8] a toutefois nuancé l’intensité de ces obligations. Dans la mesure où la preuve ne révèle pas que la présence de punaises résulte du fait personnel du locateur ou du locataire lui-même, les règles régissant les troubles de faits causés par un tiers devaient s’appliquer[9].

[44]     Ceci implique qu’une fois la situation dénoncée, le locateur qui agit diligemment pour remédier à la problématique ne pourra se voir imputer une responsabilité quant aux dommages encourus.

[45]     En revanche, en raison de l’intensité de l’obligation qu’il assume, le locateur se voit contraint d’agir afin d’assurer au locataire la jouissance paisible des lieux[10] et peut ainsi avoir à assumer une diminution de loyer pour la période qui suit la dénonciation[11].

[46]     Il va sans dire que la présence de punaises dans un immeuble constitue un fléau qu'il importe d'éradiquer rapidement.

[47]     Les parties doivent collaborer afin qu'il n'y ait pas prolifération, accroissement ou propagation de ces insectes qui peuvent affecter l'habitabilité du logement.

[48]     En l’occurrence, la preuve révèle qu’il y a eu présence de punaises durant environ quatre mois, de la mi-mai 2021 jusqu’à la mi-septembre 2021.

LA DIMINUTION DE LOYER

[49]     Le recours en diminution de loyer doit être distingué de celui en dommages en ce qu'il ne participe pas des mêmes conditions d'application.

[50]     L'un vise à rétablir l'équilibre des prestations en évaluant la valeur objective de la perte locative subie et l'autre à compenser le préjudice subi (moral, matériel) ou à punir l'auteur d'un fait dommageable (dommage punitif).

[51]     En raison de la présence de punaises et vue l’intensité de l’obligation assumée par le locateur, la locataire a droit à une diminution de loyer afin de compenser la perte de valeur locative pour la période où elle a été aux prises avec cette situation après la dénonciation.

[52]     La locataire réclame 25 % de son loyer mensuel pour toute la période concernée.

[53]     La diminution doit être évaluée en fonction de l’ampleur de l’infestation subie et du degré de manquement que l’on peut attribuer en lien avec la perte locative objective encourue. À cet égard, la preuve est peu documentée à part quelques photos illustrant un spécimen de punaises.

[54]     En l’instance, à la lumière de la preuve soumise, sur le caractère intermittent et limité des troubles subis, le Tribunal alloue une diminution de 15 % du loyer payable pour les mois de mai à septembre 2021.

LES DOMMAGES

[55]     Comme mentionné plus haut, en matière de punaises de lit, l’octroi de dommages en sus de la diminution du loyer est tributaire de la démonstration que le locateur n’a pas agi avec diligence[12] pour répondre à son obligation de faire cesser les troubles de jouissance.

[56]     Imposer au locateur l'obligation d'éliminer sur le champ et sans délai toute présence de punaises au logement s'avère une tâche impossible. La jurisprudence lui impose l'obligation d'agir avec diligence pour s'assurer de l'élimination et éviter la prolifération des punaises.

[57]     Généralement, les traitements ne permettent pas, de façon instantanée, de régler immédiatement la problématique. Il faut laisser les produits agir et les traitements doivent, la plupart du temps, être répétés plusieurs fois.

[58]     Ayant en tête ces principes, il fut décidé que le fait que les « traitements d'extermination aient été longtemps inefficaces ne sont pas suffisantes pour conclure à la négligence du locateur »[13] sauf évidemment si la durée permet de comprendre qu’il y a inadéquation des traitements utilisés[14] ce qui n’a pas été réellement démontré en l’instance.

[59]     Dans l'affaire Garita précitée, le Tribunal juge qu'un délai de plus de cinq (5) jours avant de faire intervenir un exterminateur est déraisonnable :

« [55] Néanmoins, le tribunal juge qu'en l'instance, les dommages résultant du délai d'intervention du locateur suite de l'apparition des punaises entraînent sa responsabilité. Le délai de cinq jours entre la dénonciation et le premier traitement est déraisonnable, et ce, même, s'il pouvait être imputable au manque de services d'urgence offerts par l'exterminateur habituel. Le locateur n'a pas valablement démontré l'impossibilité de trouver un exterminateur prêt à intervenir durant le week-end de la Saint-Jean-Baptiste. La présence de punaises dans un logement constitue une situation d'urgence envers laquelle toutes les parties impliquées doivent réagir prestement. »

[Notre soulignement]

[60]     En l’occurrence, la preuve révèle que malgré la dénonciation de la présence de punaises au logement le 11 mai 2021 ce n’est que six jours plus tard qu’un exterminateur se présente au logement.

[61]     En fait, le locateur n’a pas appelé en urgence son exterminateur mais a plutôt laissé le soin à ce dernier à intervenir selon son horaire régulier.

[62]     Ce n’est pas le comportement attendu dans un contexte de punaises. Le locateur doit agir sans trop de délais pour éviter la prolifération et le maintien de la locataire dans un logement infesté.

[63]     Par la suite, la preuve révèle qu’il y a eu quelques traitements sans que l’on puisse définitivement enrayer la présence des punaises jusqu’à ce qu’un traitement à la chaleur ait lieu en septembre 2021.

[64]     Le Tribunal estime que ce retard à agir efficacement constitue une forme de négligence pour laquelle la locataire peut se voir allouer des dommages.


[65]     Quant aux dommages matériels, ils ont été subis par le mandataire de la locataire. Or, la locataire ne peut, dans le cadre de la présente procédure réclamer des dommages subis par un tiers. Elle ne peut donc formuler une demande de compensation pour des dépenses faites par lui.

[66]     Par ailleurs, puisqu’il n’existe pas de lien de droit contractuel entre lui et la partie défenderesse[15], il ne peut faire une telle demande en son nom devant le présent Tribunal.

[67]     Quant aux dommages moraux, la juge administrative Linda Boucher énonce dans la décision 157159 Canada inc. c. Schaefer[16], ce qui suit :

« Dommages moraux

[148] Les dommages moraux peuvent être définis ainsi :

« Sous ce titre, on entend les pertes non pécuniaires subies par les locataires, pour les angoisses, les inconvénients, les problèmes de quelques natures qu'on a pu leur faire subir. L'évaluation de tels dommages demeure un défi important car, sans nécessairement en laisser le quantum à la discrétion du tribunal, la jurisprudence a établi des balises vastes et larges, pour en arriver finalement à donner comme règle que ces pertes non pécuniaires doivent équitables et raisonnable » (7).

« Le dommage ne se présume jamais; il doit être prouvé selon les règles ordinaires de prépondérance » (8). S'il s'agit de dommages moraux, « ...la difficulté à chiffrer un préjudice non économique ne doit pas équivaloir à une dispense d'avoir à prouver sa survenance. (...) Le simple fait que le préjudice soit moral ne permet pas de se contenter d'une simple affirmation générale » expliquant qu'on a subi un quelconque préjudice. (9) »

[Références omises] [Notre soulignement]

[68]     Selon le procès-verbal de l’audience tenue en novembre 2021, le mandataire de la locataire est informé qu’il ne peut témoigner des dommages subis par sa mère.

[69]     En effet, pour évaluer l’existence, la nature et l’étendue du préjudice subi par la locataire, le Tribunal doit être à même de recevoir une preuve directe et causale avec la faute commise. L’âge de la locataire ou sa vulnérabilité ne constitue pas une exception à cette règle d’autant plus que divers moyens existent pour lui éviter un déplacement au Tribunal.

[70]     Par ailleurs, l’article 56.10 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[17] prévoit dorénavant que tout acte de procédure déposé au dossier du tribunal est réputé fait sous serment. 

[71]     Cela permet de considérer que la déclaration qui y est faite, sous la signature de la locataire, comme un témoignage écrit des dommages subis. Le tout sous réserve, évidemment, que le Tribunal soit convaincu et au-delà d’une simple affirmation générale quant au préjudice subi.

[72]     Dans la procédure ratifiée, il est écrit :

« Les infestions de punaises de lit que ma mère, Madame Royer, a subies, lui ont causé de sévères préjudices pour lesquels le locateur est responsable, notamment la fatigue, de l’anxiété (voire hospitalisation), de l’insomnie, une atteinte à sa réputation, une perte de sa qualité de vie en général et une atteinte non négligeable à sa jouissance paisible du logement, à laquelle elle a droit. »

[73]     À la lumière de cette déclaration, le Tribunal exclut comme comportant une relation causale suffisamment démontrée l’hospitalisation de la locataire et l’atteinte à la réputation[18].

[74]     Bien que la preuve offerte soi très sommaire, le Tribunal estime que la situation vécue par la locataire a causé la fatigue, l’insomnie, l’anxiété et la perte de jouissance paisible du logement que le Tribunal évalue à 1 000 $, selon la preuve limitée soumise par les seuls allégués de la demande et corroboré partiellement par le témoignage de son fils.

[75]     Les dommages punitifs doivent être reliés à une disposition législative qui y donne ouverture[19]. Le mandataire de la locataire n’a pas fait cette démonstration.

[76]     En l'occurrence, les reproches adressés par la locataire ne donnent pas ouverture à de tels dommages. La preuve ne révèle aucune atteinte intentionnelle pour brimer les droits de la locataire.


[77]     La jurisprudence soumise pour en justifier l’octroi d’une telle compensation n’a aucune application en l’instance alors que la locataire avait été expulsée de son logement suivant l’apparition de punaises de lit[20].

La clause imposant les frais d’extermination à la locataire est-elle valide?

[78]     Pour plus de facilité, nous reproduisons la clause contestée :

« A-14. Le locataire devra permettre au personnel de la résidence et/ou à un technicien en extermination de faire des vérifications à l’intérieur de son appartement. Le locataire devra se soumettre à une vérification de son matelas, divan et fauteuil lors de son premier entretien ménager dans les deux (2) semaines suivant son emménagement. Le locataire est tenu responsable des frais d’inspection et des frais inhérentes au(x) traitement(s) de différents appartements fait par un technicien en extermination choisi par Les Résidences Soleil s’il y a découverte de punaises de lit dans son appartement dans les six (6) mois suivant son emménagement. Le locataire devra acquitter la facture sur réception de celle-ci. »

[Notre soulignement]

[79]     La locataire conteste la deuxième partie de cette clause. Celle-ci la rend responsable des frais d’inspection et de traitements d’extermination en laissant présumer sa responsabilité dans l’apparition de punaises au logement.

[80]     De plus, elle l’empêche, le cas échéant, de s’adresser à un technicien en extermination de son choix.

[81]     Une telle clause est assujettie dans le louage résidentiel, comme on va le voir, à certaines règles qui peuvent limiter leur véritable impact.

[82]     Soulignons que toute clause qui contrevient aux dispositions d'ordre public applicables au louage résidentiel est sans effet (article 1893 du Code civil du Québec).

[83]     Il importe ici de reproduire les dispositions du Code civil du Québec qui concernent les clauses prohibées en matière de louage résidentiel :

« 1900. Est sans effet la clause qui limite la responsabilité du locateur, l'en exonère ou rend le locataire responsable d'un préjudice causé sans sa faute.

Est aussi sans effet la clause visant à modifier les droits du locataire en raison de l'augmentation du nombre d'occupants, à moins que les dimensions du logement n'en justifient l'application, ou la clause limitant le droit du locataire d'acheter des biens ou d'obtenir des services de personnes de son choix, suivant les modalités dont lui-même convient. 

« 1901. Est abusive la clause qui stipule une peine dont le montant excède la valeur du préjudice réellement subi par le locateur, ainsi que celle qui impose au locataire une obligation qui est, en tenant compte des circonstances, déraisonnable.

Cette clause est nulle ou l'obligation qui en découle, réductible. »

[Notre soulignement]

[84]     La clause du bail déroge à ces règles en ce qu’elle tient la locataire responsable de la présence de punaises dans son logement en lui faisant supporter les frais afférents d’intervention sur simple constat qu’elles apparaissent dans les six mois de son arrivée au logement. Cela rend cette clause sans effet.

[85]     Réitérons que la découverte de punaises de lit dans un logement ne constitue pas une preuve irréfutable de la responsabilité du locataire dans un tel évènement, ni du locateur au demeurant, comme on l’a déjà vu.

[86]     La loi prohibe aussi la clause qui stipule une peine dont le montant excède la valeur du préjudice réellement subi ainsi que celle qui impose une obligation déraisonnable.

[87]     Dans un premier temps, si la clause contenue au bail vise à punir la locataire d’un manquement contractuel, il s’agit d’une forme de clause pénale.


[88]     L'intérêt pratique de ce genre de clause réside dans le fait qu'elle évite normalement au créancier d'avoir à faire la preuve d’une faute et des dommages réellement subis à la suite d’un manquement contractuel en fixant d'avance un montant ou une formule de calcul pour établir le montant permettant de réparer le tort occasionné. Cela a également pour effet d’établir à l’avance la responsabilité de la locataire dans l’apparition de punaises au logement.

[89]     Ce type de clause établit une somme fixe ou déterminable à être payée par une partie en cas de non-respect d'une obligation au contrat. En louage résidentiel ces clauses sont particulièrement utilisées pour les retours de chèque ou le non-respect de l'échéance de paiement[21]. Il s'agit en somme d'une sanction à un manquement dont la valeur est déterminée par contrat.

[90]     La jurisprudence semble maintenant bien fixée précisant que bien que le bail contienne de telles clauses, les frais y associés ne peuvent être accordés automatiquement puisqu'ils sont assujettis à l'article 1901 du Code civil du Québec.

[91]     Le Tribunal déclarera sans effet la partie suivante de la clause A-14 de l’annexe A du bail :

« Le locataire est tenu responsable des frais d’inspection et des frais inhérentes au(x) traitement(s) de différents appartements fait par un technicien en extermination choisi par Les Résidences Soleil s’il y a découverte de punaises de lit dans son appartement dans les six (6) mois suivant son emménagement. Le locataire devra acquitter la facture sur réception de celle-ci. »

Le Tribunal a-t-il compétence juridictionnelle pour imposer la mise en place d’un protocole efficient et diligent pour le contrôle de la vermine dans la résidence?

[92]     On demande de « mettre en place un protocole efficient et diligent pour le contrôle de la vermine dans la résidence ».

[93]     Le mandataire de la locataire dépose un document émanant de la Direction de la santé publique du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’île-de-Montréal qui fait état du portrait des infestations de punaises de lit et autres vermines dans les résidences privées pour ainées (RPA) à Montréal.

[94]     Les auteurs de ce rapport n’ayant pas été entendus comme témoin cela rend ce document et son contenu inadmissible en preuve.

[95]     Par ailleurs, ce document permet, le cas échéant, d’identifier un besoin chez les gestionnaires de résidence mais cela ne permet pas pour autant au Tribunal administratif du logement, dans les conditions et limites de sa compétence d’attribution, de se substituer à ceux-ci pour imposer un tel protocole[22].

[96]     Il va de soi que le locateur a tout intérêt à se prémunir d’une méthode d’intervention qui soit conforme à ses obligations légales. Il appartient ensuite aux tribunaux d’analyser, dans le cadre des litiges qui lui sont soumis, si ces obligations légales ont été satisfaites.

[97]     L’émission d’une ordonnance d’exécution en nature n’est possible que lorsqu’il est démontré un manquement aux obligations contractuelles. Or, la locataire n’a pas établi ni démontré que le locateur détenait une telle obligation. On précise même que les règles associées à l’obtention ou maintien de la certification de la Résidence n’imposent aucunement une telle obligation.

[98]     Le Tribunal estime qu’il ne relève pas de son autorité de décréter le protocole qui doit être suivi par la Résidence lors de l’apparition de punaises de lit.

[99]            La conclusion visant l’octroi « d’intérêts judiciaires » est inadéquate et ne permet pas l’octroi d’intérêts au taux légal, ni l’indemnité additionnelle prévue par la loi.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[100]        DIMINUE le loyer d’un montant équivalent à 15 % du loyer payable pour la période du 10 mai 2021 au 13 septembre 2021;


[101]        CONDAMNE le locateur à payer à la locataire la somme de 1 000 $;

[102]        DÉCLARE sans effet la partie de la clause A-14 contenue à l’annexe A du bail qui prévoit :

« […] Le locataire est tenu responsable des frais d’inspection et des frais inhérentes au(x) traitement(s) de différents appartements fait par un technicien en extermination choisi par Les Résidences Soleil s’il y a découverte de punaises de lit dans son appartement dans les six (6) mois suivant son emménagement. Le locataire devra acquitter la facture sur réception de celle-ci. »

[103]        CONDAMNE la partie défenderesse aux frais de justice soit 88,75 $;

[104]        REJETTE la demande quant au surplus.

 

 

 

 

 

 

 

 

Francine Jodoin

 

Présence(s) :

le mandataire de la locataire

le mandataire du locateur

Date de l’audience : 

22 mars 2022

 

 

 


 


[1] Appartements Tour Stanley inc. c. Emberley, [2004] J.L. 147 (C.Q); Harvey c. Guerreiro [2005] J.L. 189 (C.Q.), Simard c. Courcy [2005] J.L. 357; Quenneville c. Villa Fleurie [2005] J.L. 421 (C.S.).

[3] Roger c. Groupe immobilier Celico, 2011 QCRDL 39933. Voir également, Klein c. Di Cesare, 2014 QCRDL 28649.

[5] Baudouin J.-L. et P.-G. Jobin, Motifs d'exonération dans les obligations, 6e Édition par Pierre-Gabriel Jobin, avec la collaboration de N. Vézina, 2005, EYB2005OBL32, approx. 22 pages.

[6] Ville de Montréal, Règlement 03-096 (Codification administrative).

[7] Crépeau, Paul-André, L'intensité de l'obligation juridique ou des obligations de diligence, de résultat et de garantie, Montréal, Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec; Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1989, page 11.

[8] Ye c. 9175-7856 Québec inc. 2014 QCCQ 989; Ye c. 9175-7856 Québec inc., 2013 QCRDL 40365; Entreprises Agostino inc. c. Goddard, 2016 QCCQ 5084; Garita c. Marcotte, 2013 QCRDL 21867. Voir aussi : Wang c. Parkview realties inc., 2015 QCRDL 40827; Lanoue c. 9280-8666 Québec inc., 2015 QCRDL 40172 et Turmel c. Québec (Office municipal d'habitation de), 2016 QCRDL 835.

[9] Article 1859 du Code civil du Québec.

[10] Article 1854 alinéa 2 et 1910 du Code civil du Québec.

[11] Garita c. Marcotte, 2013 QCRDL 21867, paragraphes 50 et 51.

[12] Voir note 8.

[13] Gasmi c. Corporation Immo 1ère inc., 2018 QCRDL 24634, paragraphe 61; Raymond c. Immeubles BMA, 2021 QCTAL 1971, paragraphe 68. Fahem c. Quan, 2021 QCTAL 29472.

[14] Jean-Pierre c. Raamco International Properties Canadian Ltd., 2018 QCRDL 7367.

[15] Article 28 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement, RLRQ, c. T-15.01.

[16] 157159 Canada inc. c. Schaefer, 2014 QCRDL 42685, requête pour permission d'en appeler rejetée; Schaefer c. 157159 Canada inc., 2014 QCCQ 11664.

[17] RLRQ, c. T-15.01.

[18] Qui est davantage apprécié comme constituant une faute délictuelle.

[19] Article 1621 C.c.Q.

[20] Leclair c. Ouellet, 2021 QCTAL 2393.

[21] Le Puil c. Vacchino ltée (Appartements Mozart), 2019 QCRDL 28045; FDL Compagnie Ltée c. Zafar.

[22] Un Guide de prévention des infections dans les résidences privées pour ainées contient une section sur les punaises de lits (chapitre 5).

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