Richard-Bordon c. Apostu | 2022 QCTAL 25951 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||
Bureau de Montréal | ||||
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No dossier: | 586799 31 20210901 M | No demande: | 3334980 | |
RN :
| 3406159
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Date : | 14 septembre 2022 | |||
Devant la juge administrative : | Stella Croteau | |||
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Emmanuel Richard-Bordon
Nicoleta Jalbert | ||||
Locataires - Partie demanderesse | ||||
c. | ||||
Diana Apostu
Toader (Théodore) Apostu | ||||
Locateurs - Partie défenderesse | ||||
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DÉCISION
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[1] Le 1er septembre 2021, le Tribunal est saisi d’une demande des locataires, en modification du bail, soit la fixation du loyer, conformément à l'article 1950 du Code civil du Québec (ci‑après C.c.Q.).
[2] Un amendement sera fait le 10 septembre 2021, afin d’ajouter la date du départ de la fixation, soit le 1er août 2021, et d’autoriser les locataires à compenser ainsi que l’exécution provisoire et statuer sur les frais.
[3] Une première audience eut lieu le 13 janvier 2022, en l’absence des demandeurs.
[4] Une demande en réouverture de l’audience est produite par les demandeurs le 20 janvier 2022.
[5] Une deuxième audience eut lieu le 17 février 2022 en présence de toutes les parties. La demande en réouverture est accordée le 18 mars 2022.
[6] Le bail est au nom de Toader Apostu seulement, de sorte qu'il n'existe aucun lien de droit à l'égard de la co-défenderesse.
MOTIF
[7] La section G du bail n’est pas complétée. Les locataires paient un loyer de 1 000 $ à compter du 1er août 2021, alors qu’ils prétendent que l’ancienne locataire payait 765 $ en juin 2021.
QUESTIONS EN LITIGE
[8] Les locataires ont-ils introduit leur recours dans les délais?
[9] Y a-t-il lieu de fixer le loyer selon les critères prévus au Règlement sur les critères de fixation[1] (le Règlement)?
[10] Dans l'affirmative, quel est le montant du loyer pour le bail débutant le 1er août 2021?
[11] Si non, quel sera le nouveau loyer fixé?
CONTEXTE FACTUEL
[12] Le locateur affiche le logement à louer à 1 050 $. Les locataires vont le visiter et négocient le loyer à la baisse. Ils s’entendent pour la somme de 1 000 $.
[13] Les locataires ont visité plusieurs logements. Mme Apostu soutient que les locataires ont accepté le prix du loyer. Mme Apostu et le locateur allèguent la mauvaise foi des locataires.
[14] Le bail est signé le 7 juillet 2021.
[15] Les locataires emménagent le 2 août 2021.
[16] Ils apprendront à cette date que l’ancienne locataire payait 765 $.
[17] La locataire mentionne qu’elle a trouvé le bail et sa modification dans le logement. Ce que contestent fortement le locateur et son épouse, considérant qu’ils ont effectué des travaux dans le logement et qu’ils ne l’ont pas vu.
[18] Lorsque les locataires communiquent avec le locateur et son épouse pour discuter du prix du loyer, ils se font dire de payer ou de quitter le logement.
[19] Le locateur témoignera que le logement n’avait pas subi de travaux depuis 10 ans. Il avait été refait à neuf à ce moment-là.
[20] Des travaux ont été effectués au départ de l’ancienne locataire. Les murs ont été lavés, tout a été peinturé, des rideaux furent installés, la serrure, le robinet ainsi que le comptoir de la cuisine furent remplacés.
[21] Il prétend que l’ancienne locataire bénéficiait d’un loyer de faveur. Il s’agissait d’une mère monoparentale et de son enfant. Il a loué le logement 750 $ pendant 10 ans. Elle ne leur était pas liée, ni une employée. Il voulait l’aider.
[22] Il ne savait pas que s’il n’augmentait pas le loyer, il perdait l’augmentation.
[23] Il ne savait également pas qu’il devait remplir la clause G.
[24] Il mentionne qu’il a donné les clés aux locataires lors de la signature du bail. Il les a laissés y entreposer leurs biens avant le début du bail, sans frais mais conditionnellement à mettre les frais d’électricité à leurs noms.
LE DROIT
[25] Les locataires appuient leur demande sur l'article 1950 C.c.Q., lequel prévoit :
« 1950. Un nouveau locataire ou un sous-locataire peut faire fixer le loyer par le tribunal lorsqu'il paie un loyer supérieur au loyer le moins élevé des douze mois qui précèdent le début du bail ou, selon le cas, de la sous-location, à moins que ce loyer n'ait déjà été fixé par le tribunal.
La demande doit être présentée dans les dix jours de la conclusion du bail ou de la sous-location. Elle doit l'être dans les deux mois du début du bail ou de la sous-location lorsqu'elle est présentée par un nouveau locataire ou par un sous-locataire qui n'ont pas reçu du locateur, lors de la conclusion du bail ou de la sous-location, l'avis indiquant le loyer le moins élevé de l'année précédente; si le locateur a remis un avis comportant une fausse déclaration, la demande doit être présentée dans les deux mois de la connaissance de ce fait. »
[26] Le recours en fixation de loyer prévu à l'article 1950 C.c.Q. est offert aux locataires désirant faire réviser le montant du loyer convenu au bail.
[27] L'article 1950 C.c.Q. est l'une des mesures les plus aptes à assurer le contrôle des loyers en empêchant un locateur d'exiger des hausses excessives à l'occasion de la nouvelle location d'un logement, alors qu'il n'aurait pu obtenir une telle hausse de son ancien locataire.
[28] Suivant l’article 1896 C.c.Q., le locateur a l’obligation suivante :
« 1896. Le locateur doit, lors de la conclusion du bail, remettre au nouveau locataire un avis indiquant le loyer le plus bas payé au cours des 12 mois précédant le début du bail ou, le cas échéant, le loyer fixé par le tribunal au cours de la même période, ainsi que toute autre mention prescrite par les règlements pris par le gouvernement.
Il n'est pas tenu de cette obligation lorsque le bail porte sur un logement visé aux articles 1955 et 1956. »
[29] Sur le formulaire obligatoire du bail, on fait référence à la clause « G ». Cet avis doit être écrit comme le mentionne l'article 1898 C.c.Q. :
« 1898. Tout avis relatif au bail, à l'exception de celui qui est donné par le locateur afin d'avoir accès au logement, doit être donné par écrit à l'adresse indiquée dans le bail, ou à la nouvelle adresse d'une partie lorsque l'autre en a été avisée après la conclusion du bail; il doit être rédigé dans la même langue que le bail et respecter les règles prescrites par règlement.
L'avis qui ne respecte pas ces exigences est inopposable au destinataire, à moins que la personne qui a donné l'avis ne démontre au tribunal que le destinataire n'en subit aucun préjudice. »
ANALYSE ET DÉCISION
[30] En l'espèce, les locataires ont établi être de nouveaux locataires et payer un loyer supérieur à celui assumé par la locataire précédente. Les locataires ont donc accès à l'article 1950 C.c.Q.
[31] De plus, le logement ne fait pas partie des exceptions prévues aux articles 1955 C.c.Q. (coopérative, immeuble de moins de cinq ans) et article 1956 C.c.Q. (logement à loyer modique).
Les locataires ont-ils introduit leur recours dans les délais?
[32] La clause G n’a pas été complétée. Les locataires avaient deux mois à partir du début du bail pour soumettre leur demande. Le bail débute le 1er août 2021 et la demande a été produite le 1er septembre 2021. Le délai est respecté.
Y a-t-il lieu de fixer le loyer selon les critères prévus au Règlement sur les critères de fixation[2] (le Règlement)?
[33] Le seul fait pour les locataires de consentir à payer le loyer convenu, alors que leur délai pour le recours en fixation de loyer n'est pas expiré, ne peut constituer une renonciation à l'exercice d'un droit.
[34] Le seul fait pour les locataires de négocier le montant du loyer, d’accepter le montant puis de faire une demande en fixation du loyer, ne peut être considéré comme de la mauvaise foi. Il s’agit d’un droit que les locataires possèdent.
[35] Les dispositions sur le louage résidentiel relèvent de l'ordre public. Les locataires peuvent renoncer selon les règles propres à ce régime, ce qui exige qu'ils le fassent clairement.
[36] La signature du bail ne constitue pas une renonciation à l'exercice subséquent d'un recours en fixation de loyer, alors même qu'ils consentent au montant du loyer.
[37] En effet, il est bien établi qu'il s'agit là d'une exception à la règle de la liberté contractuelle, ceci dans l'objectif de prioriser la protection des locataires contre des hausses abusives de loyer à l'occasion d'un changement de locataire.
[38] Sommes-nous en présence d’un loyer de faveur au bénéfice de l’ancienne locataire?
[39] Le locateur doit démontrer que le loyer est inférieur au loyer habituellement payé pour des logements comparables et prouver qu'il se trouve dans l'une des situations précises prévues à l'article 1 du Règlement :
« 1. Dans le présent règlement, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« « loyer de faveur »: le loyer d'un logement qui est inférieur au loyer habituellement payé pour celui de logements comparables, dans l'une des situations suivantes:
1° le locataire est un parent, allié ou employé du locateur;
2° le locateur est ou était le soutien du locataire;
3° le logement est situé dans un immeuble transmis par succession et le loyer découle de la gestion inadéquate de la personne décédée;
4° le locateur est un ministère ou un organisme du gouvernement du Québec; »
[40] Les critères de l’article 1 du Règlement ne sont pas satisfaits. Le locateur ne peut donc invoquer le loyer de faveur.
[41] La preuve démontre que le loyer payé par l’ancienne locataire était de 765 $. Un avis d’augmentation a été envoyé à l’ancienne locataire pour augmenter le loyer à 775 $, à partir du 1er juillet 2021.
Quel sera le nouveau loyer fixé?
[43] En matière d'application de l'article 1950 C.c.Q., il n'y a pas lieu de tenir compte de la valeur marchande locative.
[44] Le processus de fixation est prévu au Règlement sur les critères de fixation de loyer qui détermine les seuls critères applicables. Pour ce faire, le Tribunal analyse les données et renseignements transmis par le locateur sur le formulaire de fixation (formulaire destiné à calculer, selon une formule accessible, le pourcentage d'augmentation autorisé).
Taxes municipales et scolaires | (6,49 $) |
Assurances | 6,80 $ |
Gaz | 0,00 $ |
Électricité | 0,00 $ |
Mazout | 0,00 $ |
Frais d’entretien | 0,16 $ |
Frais de services | 0,00 $ |
Frais de gestion | 0,60 $ |
Réparations majeures, améliorations majeures, mise en place d’un nouveau service |
0,00 $ |
Ajustement du revenu net | 4,40 $ |
TOTAL |
5,47 $ |
[45] Le loyer payable par les locataires pour le logement est, par conséquent, à 769 $ par mois.
[46] Le préjudice causé aux locataires ne justifie pas l'exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à l'article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[3].
COMPENSATION
Le Tribunal doit-il autoriser la compensation sur les loyers?
[47] Le Tribunal est d'avis que cette conclusion est sans objet. En effet, l'article 1673 C.c.Q. prévoit déjà qu'il y a compensation de plein droit entre deux dettes monétaires qui sont également certaines, liquides et exigibles :
« 1673. La compensation s'opère de plein droit dès que coexistent des dettes qui sont l'une et l'autre certaines, liquides et exigibles et qui ont pour objet une somme d'argent ou une certaine quantité de biens fongibles de même espèce.
Une partie peut demander la liquidation judiciaire d'une dette afin de l'opposer en compensation. »
[48] Ainsi, le présent jugement, une fois passé en force de chose jugée, constituera une créance pour les locataires qu'ils pourront, à la lumière de l'article précité, déduire sur les loyers impayés.
[49] Cette demande des locataires est rejetée, ceux-ci n’ayant pas besoin d’une autorisation pour ce faire, la loi l’autorise.
AUGMENTATION DU 1ER AOÛT 2022
[50] À titre informatif, le locateur peut s'adresser au Tribunal pour faire fixer le loyer pour la présente reconduction 2022-2023, en vertu de l'alinéa 2 de l'article 1948 C.c.Q. :
« 1948. (...).
Si le tribunal accueille la demande du locataire, mais que sa décision est rendue après l'expiration du délai pour donner un avis de modification du bail, celui-ci est reconduit, mais le locateur peut alors s'adresser au tribunal pour faire fixer un nouveau loyer, dans le mois de la décision finale. »
[51] Le délai pour ce faire est d’un mois de la décision finale.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[52] ACCUEILLE en partie la demande des locataires;
[53] FIXE le loyer, après arrondissement au dollar le plus près, à 769 $ par mois à partir du 1er août 2021;
[54] CONDAMNE le locateur Toader Apostu, au paiement des frais de 89,75 $.
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Stella Croteau | ||
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Présence(s) : | la locataire agissant pour elle-même et à titre de mandataire pour le locataire les locateurs | ||
Date de l’audience : | 6 juillet 2022 | ||
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[1] Règlement sur les critères de fixation de loyer, RLRQ, c. T-15.01, r. 2.
[2] Règlement sur les critères de fixation de loyer, RLRQ, c. T-15.01, r. 2.
[3] RLRQ, c. T-15.01.
AVIS :
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