Décision

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Goulmane c. Giguère-Vocelle

2022 QCTAL 13523

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Longueuil

 

No dossier :

607656 37 20220120 G

No demande :

3441202

 

 

Date :

11 mai 2022

Devant le juge administratif :

Robin-Martial Guay

 

Messaoud Goulmane

 

Sadia BourezG

 

Locateurs - Partie demanderesse

c.

Léticia Giguère-Vocelle

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N    I N T E R L O C U T O I R E

 

 

[1]         Le 20 janvier 2022, les locateurs, monsieur Messaoud Goulmane et madame Sadia Bourezg, déposent une demande d'autorisation à reprendre le logement concerné pour s'y loger à compter du 1er juillet 2022.

[2]         Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022 au loyer mensuel de 925 $. (Pièce L1)

[3]         La locataire habite le logement concerné depuis l’année 2015. Le logement est un 3½ pièces situé au dernier étage d’un immeuble de trois étages en considérant le soussol comme un étage.

[4]         Le 17 décembre 2021, les demandeurs font signifier à la locataire un avis de reprise du logement concerné afin de s’y loger le 1er juillet 2022. (Pièce P1)

[5]         Le 15 janvier 2022, la locataire a répondu à l’avis de reprise des demandeurs afin d’informer ces derniers de son refus de quitter le logement concerné.

[6]         Le 20 janvier 2022, les demandeurs ont donc introduit la présente demande d’autorisation, et ce, dans le délai prévu à l’article 1963 C.c.Q.

Le moyen préliminaire

[7]         À l'audience, la locataire a formulé une objection préliminaire et demandé le rejet de la demande au motif que l’immeuble qui abrite son logement est détenu par quatre copropriétaires indivis et, qu’en raison de cette situation, les deux demandeurs ne peuvent pas reprendre le logement puisqu’ils ne remplissent pas les conditions énoncées à l'article 1958 du Code civil du Québec qui édicte ce qui suit :

« 1958. Le propriétaire d'une part indivise d'un immeuble ne peut reprendre aucun logement s'y trouvant, à moins qu'il n'y ait qu'un seul autre propriétaire et que ce dernier soit son conjoint. »


[8]         À l’audience, la demanderesse, madame Bourezg, admet que l’immeuble qui abrite le logement concerné a été acquis par quatre copropriétaires en date du 1er juillet 2021. (Pièce L2)

[9]         Toujours selon madame Bourezg, les quatre personnes sont copropriétaires par convention d’indivision dans une proportion de 98% pour elle et son conjoint alors que les deux autres copropriétaires ne détiennent chacun que 1%, tel qu’indiqué à l’acte de vente L2.

[10]     L’acte de vente stipule, entre autres, que les quatre copropriétaires sont solidairement responsables de l’acte de prêt contracté pour l’acquisition de l’immeuble.

[11]     Si l'acte de vente contient quatre copropriétaires et non uniquement les conjoints-locateurs, mais également Salah Termoul et Fazia Boumeddine, c’est en raison d’une exigence que posait le prêteur hypothécaire que de relater madame Bourezg pour qui la mention des noms de ses deux personnes n'est qu'une formalité en ce qu’eux seuls étaient les véritables locateurs.

[12]     Madame Bourezg insiste pour dire que les deux autres copropriétaires de l’immeuble ne détenaient que 1% chacun au moment de la signification de l’avis de reprise à la locataire et de l’introduction de la demande d’autorisation à reprendre le logement.

[13]     Elle estime que le fait que les deux autres copropriétaires n’avaient pas le contrôle effectif sur l’immeuble, en ce qu’elle seule et son conjoint exerçaient le contrôle, les autorise à reprendre possession du logement.

[14]     Elle affirme par ailleurs que les deux autres copropriétaires qui ne détenaient que 2% de la copropriété de l’immeuble qui abrite le logement agissaient, au surplus, comme prêtenom selon un contrat de prêtenom signé le 20 septembre 2021; contrat qu’ils auraient, ditelle, divulgué aux autorités fiscales du Québec. (Pièce P4)

[15]     Ce contrat de prêtenom intervenu entre les copropriétaires et qui vaut de contrelettre prouve que seuls son conjoint et elle étaient les véritables copropriétaires de l’immeuble assuretelle.

[16]     Aussi, preuve à l’appui, madame Bourezg signale qu’au jour de l’audience du 9 mars 2022 elle et son conjoint étaient devenus les deux seuls copropriétaires de l’immeuble, soit en date du 7 mars 2022. (Pièce L6)

[17]     C’est ainsi que les deux autres copropriétaires de l’immeuble ont chacun cédé la part de 1% qu’ils détenaient dans la propriété. Cet acte de vente a été publié au registre de la publicité des droits en date du 9 mars 2022. (Pièce L7)

[18]     Madame Bourezg plaide que ce changement dans le titre de propriété de l’immeuble en date du 7 mars 2022 les autorise à exercer la reprise du logement concerné puisqu’étant les seuls copropriétaires de l’immeuble, ils remplissent les conditions prévues par l’article 1958 C.c.Q depuis cette date.

[19]     Pour sa part, la locataire estime que le fait que l’immeuble était détenu en copropriété indivise et que les copropriétaires de l’immeuble abritant le logement concerné étaient au nombre de quatre lors de l’envoi de l’avis de reprise, voire même lors de l’introduction de la demande le 20 janvier 2022, est fatal et commande le rejet de la demande d’autorisation des demandeurs puisqu’ils ne remplissent pas les conditions édictées par l’article 1958 C.c.Q.

[20]     Cette situation juridique de copropriété indivise de l’immeuble dans le temps suivant la chronologie des faits privetelle les demandeurs du droit prévu par la loi d’exercer la reprise du logement concerné pour s’y loger?

Discussion

[21]     Le droit à la reprise d’un logement par des copropriétaires indivis est circonscrit par l’article 1958 C.c.Q.

[22]     L’article 1958 édicte ce qui suit:

« 1958. Le propriétaire d'une part indivise d'un immeuble ne peut reprendre aucun logement s'y trouvant, à moins qu'il n'y ait qu'un seul autre propriétaire et que ce dernier soit son conjoint. »

[23]     L'article 1958 C.c.Q. exige clairement la double qualité de locateur et de propriétaire en indivision uniquement avec son conjoint au moment de l'envoi de l’avis de reprise, lequel avis qui doit être reçu au moins 6 mois avant la fin du bail pour un bail de 12 mois.


[24]     En l’espèce, la preuve révèle que quatre personnes détenaient en copropriété par indivision l’immeuble abritant le logement concerné au temps de l’avis de reprise, voire même au jour de l’introduction de la demande de reprise.

[25]     Le fait qu’au moment de donner l’avis de reprise à la locataire il n’y avait pas qu’un seul autre copropriétaire et que celuici soit son conjoint empêche et ne permet pas la reprise du logement, dans ce casci en faveur de deux des quatre copropriétaires de l’immeuble.

[26]     Il est en effet bien établi que la reprise de logement est une exception au droit au maintien dans les lieux. S’agissant d’un texte dérogatoire, il doit être interprété restrictivement.

[27]     Il vaut aussi de souligner que la jurisprudence bien établie du Tribunal administratif du logement exige que l’évaluation du droit à la reprise pour un locateur soit faite à compter de la date de l'envoi de l'avis de reprise au locataire.

[28]     Il est ainsi bien établi que l’avis de reprise du logement est l'élément créateur du droit. Toutes les conditions nécessaires à son exercice doivent donc être réunies lors de l'envoi de l'avis de reprise au locataire.[1]

[29]     Ainsi donc, puisque le droit à la reprise débute par l'envoi de l'avis, c’est au moment de l'envoi de l'avis que le demandeur doit remplir toutes les conditions et exigences prévues par la loi.[2]

[30]     Soutenir la validité d'un avis de reprise expédié dans le délai, alors que le titre de propriété de l’immeuble indique que quatre personnes sont copropriétaires par indivision au jour de l’envoi de cet avis, équivaut à demander la prolongation du délai pour donner un avis de reprise et déposer une demande d'autorisation de reprise.

[31]     Or, une telle prolongation de délai ne peut être accordée en vertu de l'article 59 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.[3]

[32]     Dit autrement, un locateur ne peut se qualifier à la reprise du logement en cours de route en cours de bail, soit entre le jour de l’envoi de l’avis de reprise et la décision du Tribunal.

[33]     Encore une fois, permettre et valider un avis de reprise alors que le locateur ne remplissait pas les conditions au moment d’envoyer son avis reviendrait à permettre de prolonger le délai pour donner un avis de reprise du logement ou encore de valider rétroactivement une situation. 

[34]     En l’espèce, l’immeuble qui abrite le logement concerné était au jour de l’avis de reprise du logement du 17 décembre 2021, voire au jour de l’introduction de la demande le 20 janvier 2022, détenu par quatre copropriétaires par convention d’indivision, ce qui empêche la reprise du logement concerné en vertu de l’article 1958 C.c.Q.

[35]     Qu’importe le pourcentage que détenait chacun des quatre indivisaires, un fait est et demeure; les demandeurs ne remplissaient pas les conditions énoncées à l'article 1958 du Code civil du Québec au moment de transmettre lavis de reprise à la locataire.

[36]     Aussi, peu importe le but visé par les locateurs en consentant à ce que les noms de Salah Termoul et de Fazia Boumeddine apparaissent dans l’acte de vente du 1er juillet 2021, il n’en reste pas moins qu’ils en sont tous quatre copropriétaires. Malgré une interprétation aussi libérale soitelle de l’article 1958 C.c.Q., la reprise du logement est prohibée en pareil cas.[4]

[37]     Encore une fois, les demandeurs étant copropriétaires indivis de l’immeuble abritant le logement concerné avec deux autres personnes que sont Salah Termoul et Fazia Boumeddine au temps de l’avis et de l’introduction de la demande, ils ne peuvent reprendre le logement concerné pour s’y loger puisqu’ils ne rencontrent pas les exigences émises à l'article 1958 précité.

[38]     Quant à l’argument de la demanderesse voulant que l’existence d’une contrelettre constituée d’un contrat de prêtenom entre les copropriétaires à l’effet qu’elle seule et son conjoint sont les véritables copropriétaires de l’immeuble, ce qui permet de reprendre possession du logement puisqu’ils rencontrent les exigences de l’article 1958 C.c.Q, le Tribunal ne retient pas cet argument et pour cause.


[39]     Certes, en vertu de l’article 1451 C.c.Q., lorsqu’il y a simulation, la contrelettre l’emporte entre les parties sur le contrat apparent. Toutefois, l’article 1452 C.c.Q. édicte tout aussi clairement que le tiers de bonne foi, en l’occurrence la locataire, peut, selon son intérêt, se prévaloir du contrat apparent ou de la contrelettre.

[40]     Comme la locataire invoque dans le présent cas le contrat apparent[5], à savoir l’acte de vente notarié du 1er juillet 2021 qui stipule que quatre personnes sont copropriétaires indivis de l’immeuble qui abrite le logement concerné, son objection préliminaire demandant le rejet de la demande pour cette raison est jugée bien fondée par le Tribunal et la reprise ne peut donc pas être autorisée.

[41]     En l’espèce, le Tribunal juge que le moyen préliminaire soulevé par la locataire est bien fondé en faits et en droit et doit être accueilli.

[42]     Par conséquent, la demande d’autorisation à la reprise du logement concerné ne peut être accordée.

[43]     En corolaire, l’examen des faits sur le fond de la demande par le Tribunal n’est pas utile puisque devenu théorique.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[44]     ACCUEILLE le moyen préliminaire en irrecevabilité;

[45]     REJETTE la demande des demandeurs qui en assument les frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Robin-Martial Guay

 

Présence(s) :

la locatrice

la locataire

Dates des audiences :

9 mars 2022

4 avril 2022

27 avril 2022

 

 

 

 


[1]  Menczer c. Jauvin, [1994] J.L. 111 (R.L.). Voir au même effet : Bourbonnière c. Turcotte, [2001] J.L. 125 (R.L.). Piette c. Trevino, R.L. Montréal 31 040109 139 G, 25 juin 2004, r. De Palma.

[2]  Desire c. Bilodeau, 2011 QCRDL 11560, par. 9.

[3]  Amram c. Arnstein, 2017 QCRDL 21154.

[4]  Cornett c. Loyer, [2006] J.L. 113 (R.L.).

[5]  Deschambault c. Pallai, [2000] J.L. 19 (R.L.).

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