Immo-Éco inc. c. Grégoire | 2024 QCTAL 25136 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Drummondville | ||||||
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No dossier : | 757408 16 20240110 G | No demande : | 4170374 | |||
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Date : | 26 juillet 2024 | |||||
Devant la juge administrative : | Brigitte Morin | |||||
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Immo-Éco Inc. |
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Locatrice - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Marie-Michelle Grégoire |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] La locatrice demande une ordonnance afin que la locataire se départisse de son chien suivant la clause d’interdiction présente au bail.
[2] Les parties sont liées par un bail de 12 mois devant se terminer le 30 juin 2024, au loyer mensuel de 500 $. La locatrice est propriétaire de l’immeuble depuis novembre 2022 et la locataire occupe le logement concerné depuis 2012.
[3] Le représentant de la locatrice invoque que la locataire ne peut garder d’animaux. Le 18 décembre 2023, des plaintes ont été faites par des voisins concernant la présence d’un chien. Il n’a pas mis en demeure la locataire de se départir de l’animal, mais lui a mentionné qu’elle n’avait pas cette autorisation au terme du bail.
[4] La locataire occupe une unité de l’immeuble de 12 logements situés au dernier étage. Il s’agit d’un chien de grande taille pesant un poids d’environ 60 livres. La locatrice demande donc d’émettre une ordonnance de se départir du chien.
[5] La locataire témoigne avoir emménagé dans le logement sous l’ancien propriétaire et que l’annonce au journal ne prévoyait pas l’interdiction d’animaux. À ce moment, elle possédait déjà un chien de race Golden Retriever. Au moment de l’acquisition de l’immeuble par la locatrice, le chien était toujours présent, le représentant était au courant de la situation. Un bail signé en mars 2022 mentionne l’interdiction.
[6] Depuis juin 2023, un nouveau chien a été acquis par la locataire en remplacement du Golden. Elle dépose en preuve un billet médical sur lequel il est possible de comprendre que la locataire souffre d’anxiété et que la présence d’un animal de soutien émotionnel lui permet de diminuer sa médication.
[7] La locataire doute des plaintes des voisins. Elle part le matin avec son conjoint et travaille à la ferme toute la journée avec le chien qui n’est présent dans l’immeuble que le soir venu. Il ne jappe pas et ne fait pas de dégât. Au surplus, la bête ne fait pas ses besoins dans la cour et la locatrice permet que d’autres locataires possèdent des chats.
[8] La locataire ajoute finalement que la locatrice rénove les logements et les reloue plus cher parfois même avec des augmentations de plus de 400 $ par mois. De son avis, la locatrice veut simplement l’évincer pour relouer le logement plus cher.
Analyse :
[9] La locatrice invoque l’article
[10] La clause d’interdiction de garder des animaux dans un logement a été déclarée valide par les tribunaux.
[11] Dans l’affaire Les Placements Berry Inc c. Renner[1] décision rendue par Micheline Leclerc, la juge administrative reprend l’état du droit en présence de clauses interdisant les animaux dans les logements :
[24] L’état du droit dans un tel cas est justement et clairement résumé par l’honorable Gabriel de Pokomandy dans l’affaire Office municipal d’habitation c. Luce1 :
« [39] Les clauses interdisant les animaux dans les logements ont à plusieurs reprises été examinées par les tribunaux12, et la doctrine s'est aussi intéressée à ce sujet13.
[40] Quoiqu'on ait déjà pu affirmer qu'il y avait un flottement jurisprudentiel et une certaine incertitude, faisant en sorte que les décisions étaient parfois en faveur du locateur et parfois en faveur du locataire, l'état du droit nous apparaît maintenant considérablement clarifié14.
[41] Le droit semble être fixé au sujet des principes fondamentaux permettant de résoudre le problème sans cependant, comme c'est le cas généralement dans le domaine juridique, que les résultats soient parfaitement uniformes.
[42] Ainsi, il est maintenant bien établi que la clause d'interdiction de posséder un animal n'est pas en soi déraisonnable (Art.
[43] La tolérance du propriétaire de la présence d'animaux n'équivaut pas non plus nécessairement à une renonciation à l'application de la clause d'interdiction, mais peut, dans certaines conditions, être invoquée avec succès par le locataire pour faire déclarer la clause saris effet, par exemple une tolérance constante et généralisée d'animaux dans l'immeuble".
[44] Lorsque le propriétaire demande la résiliation du bail pour motif de la présence d'animaux malgré la clause d'interdiction d'en posséder, il doit prouver un préjudice sérieux (Art.
[45] Toutefois, si le locateur ne demande que l'expulsion de l'animal, c'est-à-dire l'exécution en nature de l'obligation prévue à la clause du bail, il n'aura pas à prouver l'existence d'un tel préjudice. Il lui suffit de démontrer la violation de cette clause du contrat.
[46] Ultimement, si la violation persiste en ce que le locataire ne se défait pas de son animal malgré une ordonnance de la Régie, le locateur pourra obtenir la résiliation du bail.
[47] La zoothérapie ayant de plus en plus d'adeptes et jouissant d'une reconnaissance grandissante au Québec, la jurisprudence québécoise admet plus volontiers l'utilité thérapeutique de l'animal de compagnie. Devant une preuve médicale convaincante que sans la présence de l'animal le locataire et sa famille subiraient un préjudice affectif ou psychologique, la clause d'interdiction peut être déclarée déraisonnable.
[48] Il est aussi acquis que le locataire qui demande l'annulation de la clause ou la réduction de l'interdiction prévue dans le bail assume le fardeau de la preuve qui pourrait les justifier16.
[49] Devant ces règles maintenant établies, le seul flottement qui demeure est le résultat de la discrétion exercée par le décideur de la Régie pour apprécier si on se trouve dans une situation de zoothérapie où la présence de l'animal est nécessaire pour la santé ou la sécurité du locataire, et que la présence de l'animal ne cause aucun trouble de quelque nature ni au locateur ni aux autres locataires17.
[50] L'interprétation plus ou moins large de la notion de zoothérapie, c'est-à-dire de l’activité impliquant l'utilisation d'un animal auprès de personnes, dans un but récréatif ou clinique, pour favoriser les liens naturels et bienfaisants existant entre les humains et les animaux à des fins préventives et thérapeutiques18, sera un facteur de la décision.
[51] La division que présente la jurisprudence sur la question n'est qu'apparente, car à notre avis elle n'est que le reflet des situations particulières appréciées par les décideurs selon la preuve présentée.
[52] Dans la majorité des cas, le droit du locataire au logement découle d'une entente contractuelle valide entre les parties où on retrouve une clause d'interdiction explicite et librement négociée.
[53] L'argument de la partie appelante qu'en exerçant sa discrétion la régisseure a fait fi de la liberté contractuelle nous semble sans fondement.
[54] Au contraire, il nous semble qu'elle a exercé cette discrétion que lui accorde la loi et qui relève de sa fonction de vérifier si l'on se trouve dans une des situations où l'application de la clause d'interdiction causerait un préjudice affectif ou psychologique à la locataire ou à un membre de sa famille, et de ce fait cette clause deviendrait dans le contexte particulier de l'affaire déraisonnable.
[55] C'est l'article
[56] La clause déraisonnable sera nulle, ou l'obligation qui en découle réductible.
[57] Ce remède prévu par le législateur s'applique généralement à des obligations légales librement négociées et contractées.
[…]
[62] Devant le non-respect de la clause du bail interdisant la présence d'animaux dans le logement, il est maintenant bien établi que le locateur a le choix de demander la résiliation du bail et l'éviction du locataire, ou encore demander purement et simplement l'exécution en nature de l'obligation de son locataire et une ordonnance lui intimant de se débarrasser de son animal.
[63] Dans le premier cas, le locateur doit prouver non seulement qu'il y a inexécution de l'obligation, mais que cette inexécution cause un préjudice sérieux20.
[64] Ce n'est donc que si la preuve permet de conclure que le locateur subit un préjudice sérieux justifiant la résiliation du bail, par le fait de son locataire de posséder un animal en contravention d'une clause de celui-ci, qu'il y a lieu d'accorder sa résiliation.
[65] En ce qui a trait à la deuxième situation, c'est-à-dire lors d'une demande pour obtenir une ordonnance d'exécution en nature de l'obligation de son locataire, le locateur n'a qu'à prouver le défaut de celui-ci de s'exécuter. Il n'a pas à établir le préjudice que l'inexécution peut lui faire subir21.
[66] Le professeur Pierre-Gabriel Jobin souligne que contrairement à ce qui est le cas pour la résiliation, le locateur qui demande l'exécution en nature n'a pas à démontrer qu'il subit un préjudice sérieux ni même, semble-t-il, quelque préjudice que ce soit. Il lui suffit de prouver la violation du contrat par le locataire, par exemple la possession d'un animal domestique en violation d'une clause du bail ou du règlement de l'immeuble22.
[…]
[73] Dans l'optique d'une demande d'exécution en nature, le locataire qui demande l'annulation d'une clause ou la réduction de l'obligation devra assumer le fardeau de preuve24.
[74] Étant donné que la ligne de démarcation entre l'agrément que procure le simple compagnonnage d'un animal et le besoin thérapeutique d'un locataire de la présence de son animal (zoothérapie) n'est pas toujours facile à tracer, il faut une preuve médicale pour établir qu'on est bien dans la deuxième situation, la seule qui permet de réduire l'obligation découlant d'une clause d'interdiction25.
[75] La locataire doit donc se décharger de son fardeau d'établir que la présence de l'animal a une utilité thérapeutique, et que l'application de la clause d'interdiction du bail lui causerait un préjudice affectif ou psychologique qui rendrait cette clause déraisonnable dans les circonstances particulières du dossier. »
[12] Dans le présent cas, le Tribunal note que la locataire habite le logement depuis 2012 et que depuis ce moment, elle a toujours eu en sa présence un chien puisque le bail verbal ne l’interdit pas. En mars 2022, un bail est signé et la clause d’interdiction apparaît. La locatrice devient propriétaire en novembre 2022. Ce n’est que le 10 janvier 2024, par l’introduction de la présente demande, que le respect de la clause d’interdiction de garder des animaux est demandé.
[13] La locatrice peut donc demander que la locataire se départisse de son animal, puisque tel que mentionné plus haut, une clause prévue au bail est légale et la tolérance d’un locateur n’équivaut pas à une renonciation à la clause d’interdiction.
[14] Toutefois, il est mis en preuve qu’il y a présence d’animaux dans d’autres unités de l’immeuble. Cette preuve n’a pas été contredite par le représentant de la locatrice. De plus, depuis 2012, la locataire habite l’immeuble sans qu’il n’y ait eu de plaintes à cet égard. Il y a donc présence constante d’animaux dans l’immeuble. Le représentant de la locatrice n’a pas démontré, par une preuve concluante, que des plaintes ont été effectivement formulées par d’autres locataires. À ce stade, la clause invoquée par la locatrice peut donc être déclarée sans effet.
[15] Mais il y a plus. La locataire souffre d’un problème de santé mentale nécessitant une médication. Cette médication se voit diminuer par la présence de son animal qui lui apporte un soutien émotionnel.[2] La clause, en soi, est déraisonnable à l’égard de la locataire puisqu’elle lui causerait un préjudice psychologique.
[16] La locataire s’est déchargée de son fardeau de preuve, la clause d’interdiction d’animaux lui est inopposable.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[17] REJETTE la demande.
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Brigitte Morin | ||
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Présence(s) : | le mandataire de la locatrice la locataire | ||
Date de l’audience : | 29 avril 2024 | ||
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[2] Billet médical.
AVIS :
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appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.