Décision

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 Haddou c. Alpha (L’),  compagnie d'assurances inc.

2016 QCCS 6184

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

 

N° :

200-17-021963-152

 

 

 

DATE :

12 décembre 2016

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

PIERRE OUELLET, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

NAHID HADDOU

 

et

 

REDOUANE BERRAHMOUN

 

Demandeurs/défendeurs reconventionnels

c.

 

L’ALPHA COMPAGNIE D’ASSURANCES INC.

 

Défenderesse/demanderesse reconventionnelle

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

            Le contexte

[1]           Le 25 août 2014, en fin d’après-midi, un important incendie endommage la propriété des demandeurs, Nahid Haddou (Mme Haddou)* et Redouane Berrahmoun (M. Berrahmoun)*.

[2]           Ils sont propriétaires de cette maison unifamiliale située sur la rue des Roses dans l’arrondissement de Charlesbourg qu’ils habitent avec leurs deux jeunes enfants; à ce moment, ils sont détenteurs d’une police d’assurance[1], émise par L’Alpha, compagnie d’assurances inc. (Alpha), laquelle a été renouvelée le 16 juillet précédent.

[3]           Dans un premier temps, après avoir fait signer une reconnaissance de réserves, l’assureur prend charge des assurés, les reloge dans un condominium, entreprend même certains travaux de démolition pour éviter la contamination des matériaux par l’humidité pour finalement, le 8 octobre, les aviser du rejet de leur réclamation.

[4]           Le 26 mars 2015, les propriétaires introduisent leur recours contre Alpha et lui réclament 90 550,84 $ pour les travaux de réparation tant d’urgence que permanents, pour le nettoyage de vêtements ainsi que des dommages-intérêts pour inconvénients multiples.

[5]           Le 5 août, Alpha signifie sa défense et demande reconventionnelle reprochant aux demandeurs :

Ø  Omission de déclarer les circonstances qui aggravent les risques stipulés dans la police d’assurance.

Ø  Des déclarations incohérentes et contradictoires faites dans le cadre de l’enquête qui a suivi le sinistre, et ce, tant concernant l’exploitation ou non de la garderie que les circonstances de l’incendie.

Ø  Subsidiairement, le sinistre est le résultat d’une faute intentionnelle de la part des assurés.

[6]           En conséquence, l’assureur, dans sa procédure, conclut :

Ø  Déclarer nul ab initio le contrat d’assurance.

Ø  Remboursement des dépenses (15 525 $) encourues pour les frais d’hébergement, travaux de nettoyage et de démolition partielle après le sinistre.

Ø  Réclamation de 7 000 $ à titre de dommages pour troubles, frais et inconvénients.

Questions en litige

[7]           En juin et septembre derniers, la portion enquête de l’instruction a duré 3.5 jours, de sorte que le Tribunal traitera de la preuve documentaire et testimoniale pertinente dans le cadre de son analyse de chacune des questions en litige :

Ø  Y a-t-il eu aggravation du risque justifiant l’assureur de demander la nullité ab initio du contrat d’assurance?

Ø  Suite au sinistre, les assurés ont-ils offerts aux représentants de l’assureur des déclarations que l’on pourrait qualifier de mensongères entraînant ainsi la déchéance du droit à l’indemnisation (art. 2472, al. 1 C.c.Q.)?

Ø  Par ses interventions au lendemain du sinistre jusqu’à l’annonce du rejet de la réclamation, le 8 octobre, l’assureur a-t-il renoncé à soulever des motifs de nullité ou de risques non-couvert?

Ø  Les assurés ont-ils provoqué l’incendie de façon intentionnelle justifiant le rejet de la réclamation?

I.-         Aggravation du risque

I.1.-      La preuve

[8]           Monsieur et Madame sont propriétaires de l’immeuble depuis novembre 2007 et, à toute période pertinente au litige, ils détiennent une couverture d’assurance habitation auprès d’Alpha.

[9]           Le 17 décembre 2010, Mme Haddou s’adresse au service à la clientèle d’Alpha; la préposée aux appels, Valérie Bélanger, n’est pas en mesure de traiter la demande d’information, de sorte qu’elle réfère sa demande au service de l’indemnisation.

[10]        France Roy, agente d’assurance pour Alpha au bureau de Sherbrooke, fut chargé de donner suite à cette demande; de son témoignage à l’audience, le Tribunal retient :

Ø  Elle réfère à la fiche d’appel[2] où l’on retrouve l’inscription «Demande soumission : projet d’ouvrir garderie non accréditée.  Va avoir 6 enfants, incluant ses : 2».

Ø  Après s’être informée au service de la souscription, elle communique avec Mme Haddou pour lui faire part que : «Sylvie J. confirme que nous ne souscrivons pas ass resp prof + civile des lieux. Si projet se fait, va prendre contrat commercial avec autre cie, nous informe».

[11]        De fait, dans un document[3] mis à la disposition de ses agents, Alpha y décrit les bâtiments ou risques qui ne peuvent faire l’objet d’une couverture dont : «bâtiment avec garderie non accréditée».

[12]        Le 26 juillet 2012, M. Berrahmoun[4] communique avec le service à la clientèle d’Alpha; la défenderesse a produit l’extrait audio et une transcription[5] de la portion pertinente au litige, le Tribunal en retient :

Ø  Il interroge la préposée en soulevant une question hypothétique ce qui amène la discussion suivante :

«Monsieur :

«Vous avez une assurance de service de garde là admettons quand ma conjointe fait un projet de garder 3 ou 4 là, vous avez une assurance pour le service de garde là? Comme mon collègue, il fait ça avec La Capitale à 150$ par année là.  Je voulais savoir vous autre Alpha Assurance vous offrez ce service là? Cette assurance?»

Préposée d’Alpha :

«Ben en fait, dans le fond si votre conjointe a un service de garde c’est une analyse de risque en fait.  Donc je ne pourrais pas vous confirmer la prime ou quoi que ce soit.  Non plus, j’ai pas connaissance des rabais des autres compétiteurs, je travaille pour ma compagnie, mais c’a serait d’évaluer en fait là, le dossier.»

Monsieur :

«OK, donc c’est ça.  Je voulais juste savoir comme ça là je pensais que vous aviez déjà l’information.  Ok c’est beau normalement si on décide de savoir c’est quoi, il faut quand même contacter un agent c’est ça pour qu’il évalue.»

Préposée d’Alpha :

«Oui exactement, parce que nous on veut avoir le meilleur profil dans votre dossier advenant un sinistre on veut être en mesure de vous dédommager s’il y a quelque chose donc c’est important de toujours avoir la bonne information.»

[13]        De fait, Alpha n’entendra plus parler d’un projet de garderie jusqu’au jour du sinistre et aucune modification n’est apportée à la police d’assurance au fil des renouvellements annuels.

I.2.-      Position des parties

[14]        L’avocate de l’assureur nous soumet :

Ø  Quant à l’exploitation d’une garderie, ce risque n’a pas été révélé à l’assureur qui n’aurait pas émis la police d’assurance eu égard à sa politique de couverture en la matière.

Ø  L’article 2466 C.c.Q. contient spécifiquement l’obligation pour l’assuré de «déclarer à l’assureur, promptement, les circonstances qui aggravent les risques stipulés dans la police…».

Ø  Or, lors des appels de 2010 (madame) et 2012 (monsieur) auprès du service à la clientèle, ils ne révèlent qu’un projet d’ouverture d’une garderie et l’interrogent sur la possibilité d’obtenir une couverture d’assurance sans jamais révéler qu’il y a effectivement opération.

Ø  En conséquence, il y a donc à la fois aggravation du risque découlant du défaut de déclarer.

[15]        De son côté, l’avocat des demandeurs, nous expose :

Ø  Lors de l’appel en 2010, ce dont les assurés avaient besoin, c’est une couverture d’assurance responsabilité; eu égard à l’information inscrite sur le document interne (Info Star Habitation), la préposée Roy donne une information incomplète : elle ne précise pas que, s’il y a exploitation d’une garderie, tout le bâtiment ne sera plus assuré.

Ø  Or, la preuve révèle l’exploitation d’une garderie de façon irrégulière au cours des années ce qui ne correspond pas à la définition «d’activités professionnelles» dans la section IV de la police d’assurance: Les exclusions générales [6].

Ø  Ne s’agissant pas «d’une activité rémunérée de façon continue ou régulière» au sens de la définition d’activités professionnelles, il n’y a pas de contravention à la police d’assurances et, en conséquence, il ne peut s’agir d’une aggravation de risque comme l’entend le Code civil du Québec.

Ø  De toute façon, les assurés ont déclaré avoir cessé les activités le 5 mai 2014 et la police d’assurance a fait l’objet d’un renouvellement le 17 juillet : il n’y a plus d’activité prohibé ni à ce moment ni le 25 août, jour du sinistre.

I.3.-      Analyse et décision

[16]        Le Code civil du Québec prévoit que, dans le cadre de l’obligation de se conduire de bonne foi, l’assuré doit dévoiler les circonstances qui peuvent influencer l’acceptation du risque, et ce, tant à l’étape de la proposition qu’en cours de durée du contrat d’assurance (art. 2408, 2466 et 2467 C.c.Q.).

[17]        Mais encore faut-il que l’assureur établisse, en fonction du critère objectif de l’assureur raisonnable, que s’il avait connu l’exploitation d’une garderie en milieu familial par Mme Haddou, il n’aurait pas émis ou renouvelé la police d’assurance.

[18]        De la jurisprudence que le Tribunal a consultée, il ressort clairement qu’il ne peut s’agir d’un critère subjectif, c’est-à-dire de la seule politique interne de l’assureur.

[19]        Le Tribunal se réfère aux autorités suivantes :

Ø  Dans Paradis c. L’Abitibienne[7], la Cour d’appel s’exprime ainsi :

«[6]               Cette disposition établit un test objectif applicable à un assureur raisonnable.  La simple déclaration de l'assureur, après coup, qu'il n'aurait pas assumé le risque s'il avait connu les faits non révélés ne suffit pas.

[7]                L'assureur doit faire la preuve qu'un assureur raisonnable, s'il avait connu les faits omis, aurait été influencé au point de refuser le risque ou de demander une prime plus élevée.

[8]                En l'espèce, l'intimée n'a pas fait cette preuve sauf par son «ipse dixit», ce qui selon la jurisprudence de notre Cour ne suffit pas.»

Ø  La formation se réfère à deux arrêts antérieurs de la Cour[8].

Ø  Dans une affaire où il a été démontré qu’un bar avait opéré durant trois jours avec danseuses et, à certains autres moments, avec orchestre seulement, le juge Doiron[9] de notre Cour s’exprime ainsi :

«Il ne suffit pas aux défenderesses d'affirmer que la politique administrative interne de leur compagnie était de ne pas couvrir tel risque pour soutenir qu'elles se sont déchargées du fardeau de preuve qui leur incombait, surtout lorsque cette preuve ne s'appuie sur aucun élément externe ou données statistiques établissant que le risque d'incendie est grand lorsque le bar est opéré avec danseuses plutôt qu'avec orchestre seulement.

[…]

En définitive, la preuve doit se faire suivant un caractère objectif et non pas uniquement par le témoignage des agents des défenderesses qui affirment après coup qu'ils n'auraient pas couvert le risque s'ils avaient connu les faits.

Il s'agit là d'une appréciation subjective qui ne saurait satisfaire au fardeau de la preuve qui leur incombait pour satisfaire aux exigences de la nouvelle loi. »

[20]        Or dans le présent cas, l’assureur Alpha s’est contenté d’introduire en preuve les déclarations[10] des demandeurs lors de conversations téléphoniques ainsi que son document interne[11] décrivant sa politique de ne pas couvrir des garderies en milieu familial non subventionnées.

[21]        Compte tenu du fardeau de la preuve qui repose sur les épaules de l’assureur, le document[12] intitulé «10 questions à vous poser lors du renouvellement de votre police d’assurance» ne peut constituer un élément déterminant pour conclure, eu égard aux circonstances du présent dossier, que les assurés devaient comprendre de la question : «vous exercez des activités professionnelles ou commerciales à votre résidence?» que l’assureur ne couvrait pas l’exploitation d’une garderie.  D’ailleurs, à l’audience, aucune question n’a été posée aux demandeurs au sujet de ce document.

[22]        En conséquence, le Tribunal est en mesure de conclure que l’assureur n’a pas démontré, par une preuve objective, qu’un assureur raisonnable n’aurait pas émis une police d’assurance au nom des assurés.

[23]        Dans certaines des décisions[13] auxquelles l’avocate de l’assureur nous a référé, il y a justement eu preuve, par des responsables de la souscription non liés à l’assureur, des pratiques reconnues en la matière.

[24]        Avec respect, le soussigné ne peut suivre l’interprétation retenue dans l’affaire Fleury[14], laquelle ne nous apparaît pas s’insérer dans la lignée des arrêts de la Cour d’appel.

[25]        En conséquence, le premier moyen de défense de l’assureur Alpha doit être rejeté.

II.-        Déclarations mensongères

II.1.-     Déclarations après le sinistre et éléments d’enquête

[26]        Le lendemain du sinistre, l’assureur désigne un expert en sinistre, Mme Julie Boucher; elle procède aux démarches urgentes en vue de sécuriser les lieux et de relocaliser les membres de la famille.

[27]        Après une première rencontre, le 27 août, où les assurés signent la reconnaissance de réserves, le 28 août, elle s’entretient avec monsieur pour obtenir une première déclaration. 

[28]        Dans le document chronologie sinistre habitation[15], on retrouve certaines références aux jouets que les pompiers ont retracés dans la cour arrière et monsieur s’explique ainsi, selon le sommaire de Mme Boucher :

«Il faisait du ménage au s-sol.  Il était en train de sortir les jouets que ses enfants ne se servaient plus ainsi il faisait du ménage des jouets du service de garde dans le but éventuellement de faire une vente de garage…

(…)

Aucune rénovation majeure faites dans le bâtiment.  Aucune affectation commerciale dans la maison.  Depuis 2012, le service serait inactif selon les dires de l’assuré et c’est pour cette raison qu’il faisait du ménage pour se débarrasser des choses de la garderie dans le but de donner une chambre à chacun des enfants.»

[29]        Le 29 août, Boucher tient une conversation téléphonique[16] avec Jean-Pierre Boilard, investigateur du Bureau du commissaire aux incendies de la Ville de Québec (le Commissariat) :

Ø  Il lui fait part qu’une enquête policière est en cours suite à l’obtention d’un mandat de perquisition le soir même de l’incendie.

Ø  Il lui résume ses constats et fait part de son questionnement quant aux circonstances de l’incendie dont la possibilité d’un acte volontaire.

Ø  Dans les notes manuscrites de Boilard le soir même du sinistre lorsqu’il a rencontré les assurés, l’on retrouve la note : «2011 Service de garde pour un an - temps partiel».

[30]        Le 2 septembre, Boucher et son supérieur, Luc Demers, directeur des sinistres chez Alpha, se rendent rencontrer monsieur et madame en vue d’obtenir leur version des faits; la conversation est enregistrée et fut transcrite par un sténographe[17].

[31]        Concernant l’exploitation de la garderie, l’on en retient des déclarations de Mme Haddou :

Ø  La garderie a été ouverte en 2011.

Ø  Elle avait déjà entrepris des études pour devenir infirmière clinicienne : début en 2005, diplôme obtenu à l’été 2012.

Ø  La garderie était annoncée sur des sites comme Kijiji.

Ø  Les activités consistaient surtout en dépannage pour d’autres parents, les heures de garde sont irrégulières.

Ø  Vu son nouveau travail, elle a fermé la garderie d’où la décision, fin août 2014, de procéder à un grand ménage pour «se débarrasser des jouets».

Ø  Elle s’exprime ainsi :

«Parce que là je suis engagée comme infirmière auxiliaire, ça fait que pour moi la garderie c’est quelque chose… dépannage, tout ça, c’est fini, je peux gagner mieux maintenant ma vie.» (page 54)

Ø  Plus loin, elle affirme qu’elle a arrêté la garderie en 2011 à cause de ses démêlés avec Revenu Québec qui refusait de reconnaître certaines dépenses au motif qu’elle ne pouvait présenter des pièces justificatives. (pages 66-67)

Ø  En 2012 et 2013, elle a pu garder des enfants pour des connaissances, du dépannage, échange de bons procédés… (pages 68-69).

[32]        Plus tard, au cours de la rencontre, Boucher et Demers interrogent Berrahmoun qui tient des propos similaires[18]; madame intervient d’ailleurs au cours de cette conversation.

[33]        Julie Boucher demande à rencontrer les responsables de l’enquête aux services des incendies et de la police de la Ville de Québec (SPVQ); finalement, l’on obtient un rendez-vous au commissariat pour le 18 septembre; toutefois, Boilard est absent, de sorte que l’enquêteur en devoir les réfère sur-le-champ à un enquêteur du service de police.

[34]        Leur interlocuteur les informe que son service est débordé, que ce dossier n’est pas prioritaire, mais leur transmet certaines informations dans les termes suivants :

«T’es au courant, la DPJ au mois de mai.»

«Vérifiez sur Google, des publications en mai 2014.»

[35]        Demers entreprend des recherches sur le moteur de recherche Google, il y découvre :

Ø  Publication du 23 mai 2014 sur un site intitulé Northern Penn[19] : «Un cas de négligence rapporté dans une garderie de Charlesbourg».

Ø  On y réfère à un appel logé par une mère au SPVQ : elle vient chercher son enfant à la garderie, c’est un garçon de six ans qui répond, aucun adulte ne se trouve à l’intérieur.

Ø  À la fin de la publication, il y a un lien avec un article du journal de Montréal du 8 mai :

«C’est une cliente de la garderie qui a contacté les policiers, lundi, après être allée chercher son fils à la «Gardery chez Nanny, située au 4455, rue des Roses».

[36]        Demers poursuit ses recherches au moyen du numéro de téléphone cellulaire[20] qui apparaît au dossier des assurés chez Alpha; il y découvre sur le site Ma garderie.com les publications[21] suivantes :

Ø  SGMF chez Nanny 10.00 $

ü  Après la description des services, tarifs, des places disponibles : «à partir de mai 2014»;

ü  «Pour me contacter, appeler moi au […] et demander Nanny».

ü  Dernière mise à jour de la fiche : 2014-05-08 08 :34 :47.

Ø  Gardry Chez Nadine :

ü  On y annonce deux places disponibles à compter de février 2014.

ü  À la fin on y retrouve les coordonnées : «appelez-moi au […]»

ü  Dernière mise à jour de la fiche : 2014-02-11 14 :00 :31.

Ø  Gardery chez Érika et Nanny :

ü  On y annonce deux places disponibles.

ü  Pour communication : «contactez-nous au […], demander Érika ou Nanny».

ü  Dernière mise à jour de la fiche : 2014-05-06 09 :35 :02.

 

 

[37]        Devant ce qui leur apparaît contradictoire par rapport aux affirmations catégoriques des deux assurés lors de la rencontre du 2 septembre, Demers et Boucher téléphonent à Mme Haddou le 23 septembre; de la transcription[22], l’on retient :

Ø  Ils réfèrent madame à la rencontre antérieure où elle avait affirmé avoir fermé la garderie en 2011 à cause des démêlés avec Revenu Québec et Nahid Haddou de répondre :

«Non. Non, moi je n’ai pas fermé.  Moi, ce que j’ai dit, c’est qu’en deux mille onze (2011) la garderie, j’en avais des enfants à temps plein.  Après ça, c’est une diminution de la fréquentation des gens dans mon service de garde.  Puis moi, le service de garde, je l’ai pas fermé, j’ai pas dit à tout le monde j’ai fermé mon service de garde, il était toujours ouvert pour le dépannage aussi.  Par contre, je ne pouvais plus avoir six (6) enfants par jour comme en deux mille onze (2011). En deux mille onze (2011) il y avait beaucoup de demandes, ça fait que c’était un service de garde qui était fonctionnel.»

(Page 188)

Ø  Peu après, elle ajoute :

«Q- Mais vous l’avez fermé quand exactement?

R- Bien, la fermeture, je vous dis, la fermeture c’est probablement, je vous dirais, environ le mois de mai cette année, là, j’ai pas eu aucune personne.»

(Page 190)

Ø  Dans les pages suivantes, elle traite d’une fréquentation très irrégulière en 2012 : deux enfants un mois, trois l’autre mois, elle fait référence à des promotions à 10 $ par jour au lieu du tarif de 25 $ pour attirer la clientèle et conclut ainsi :

«Moi, j’écoute pas beaucoup les journaux, je sais pas qu’est-ce qui se passe, mais ce que je sais, c’est qu’en deux mille onze (2011) il y en avait beaucoup de demandes, puis après ça,  ça a dégradé.  Puis comme là, au mois de mai, j’ai aucun appel, j’ai rien du tout. Ça fait que là j’ai décidé d’arrêté tout ça.»

(Page 192)

Ø  Plus tard, dans la conversation, elle reconnaît avoir utilisé la dénomination : «Service de garde chez Nanny» et avoir changé de nom «juste dernièrement»[23] .

Ø  Puis intervient l’échange suivant :

«Q- Mais ça a pas fonctionné, puis là, depuis le mai deux mille quatorze (2014) il y a aucune personne, là, qui s’est inscrite?

R- Non, pas du tout.  J’ai même pas un seul appel.  Je n’ai pas eu personne pour… Je ne sais pas, peut-être que ça a coïncidé avec les vacances, puis le monde, les vacances, t’sais, ils partent chez eux, ils profitent de l’été, puis… c’est ça.

Donc, juste avoir peut-être le lien de la garderie, peut-être avoir… Est-ce que ça veut dire que j’avais pas le droit de travailler? Parce que vous êtes trop concentré sur la garderie, est-ce que j’ai pas le droit de travailler comme gardienne?»

(Pages 211-212)

Ø  Questionnée sur les annonces publiées sur le site Ma Garderie, elle s’exprime ainsi :

«Q- O.K. Puis les dernières annonces, elles datent de quand selon vous?

R- Bien, à peu près… en fait, quand j’avais arrêté au mois d’avril, j’ai laissé quand même des annonces, mais quand je voulais retourner les enlever, c’était impossible.  Probablement je me rends pas quand c’est les mots de passe, ça me dit : «Madame, c’est pas le mot de passe, c’est pas le mot de passe que vous avez fait», ça fait qu’ils sont là toujours.  Là, il faut que je contacte le site, il faut que je contacte le site pour leur dire : «C’est moi la responsable de cette annonce-là, voulez-vous l’enlever», mettons.  Mais ils vont-tu savoir que c’est vraiment moi? Je ne sais pas.

Q- O.K. Donc, les dernières annonces que vous avez faites en lien avec votre service de garde, c’est avril deux mille quatorze (2014)?

R- Oui.  Mais c’est ça que je vous ai dit, je n’ai pas eu d’appels, ça fait que c’est pour ça que … en plus ça a coïncidé avec le feu qui s’est passé, ça fait qu’il y a aucun appel non plus, donc…

Q- O.K.

R- C’est comme fini, là.»

(Page 223)

Ø  Dans les pages suivantes[24], Nahid Haddou donne de longues explications concernant l’évolution de sa clientèle depuis 2011, l’impact de ses études sur sa disponibilité, des problèmes avec des parents qui ne paient pas, la bonne réputation de son service en 2011 et 2012 et de la dégradation de la situation depuis pour ensuite conclure ainsi :

«Parce que même maintenant je travaille, mais je pars à trois heures et demie (3 h 30) pour travailler, ça fait qu’il y a juste une (1) heure, comprenez-vous, il y a juste une (1) heure que j’ai besoin de quelqu’un pour faire le départ des enfants.  C’est juste une (1) heure, une (1) heure par jour que j’ai besoin de quelqu’un de professionnel pour faire le départ des enfants, à part ça, je suis à la maison toute la journée, puis je m’ennuie beaucoup à rester seule dans la maison.»

(Pages 230-231)

[38]        Le 8 octobre 2014, en compagnie de Julie Boucher, Demers se rend au condominium où ils résident depuis le sinistre pour leur faire part que l’assureur détient des motifs suffisants pour rejeter la réclamation et il les énumère brièvement.

II.2.-     Témoignage des demandeurs lors du procès concernant le service de garde

[39]        Interrogé à ce sujet à l’étape du contre-interrogatoire, Redouane Berrahmoun est peu loquace précisant que c’est son épouse qui s’en occupait; de ses affirmations, le Tribunal en retient :

Ø  Sa conjointe a opéré un service de garde à des fins de dépannage, c’est en 2011.

Ø  Vu qu’il y avait peu de fréquentation (un enfant ou deux) et qu’elle devait effectuer un stage dans le cadre de sa formation comme infirmière, elle entend cesser d’offrir ce service.

Ø  C’est cette dernière qui s’occupait du service de garde, mais il ne lui a pas demandé si elle a entrepris des démarches à ce sujet auprès de l’assureur.

Ø  Il nie avoir parlé avec un représentant de l’assureur de l’opération éventuelle d’un service de garde par Nahid : «jamais parlé à ce sujet».

[40]        En interrogatoire en chef, Nahid Haddou traite brièvement du service de garde :

Ø  Elle réfère à sa première rencontre avec l’experte en sinistre Boucher et reprend l’information donnée à ce moment : «je l’ai opéré par le passé, à ce moment je ne travaille plus dans ce domaine, les jouets sont tous placés dans une chambre au rez-de-chaussée…»

[41]        En contre-interrogatoire, son témoignage est beaucoup plus laborieux, le Tribunal en retient :

Ø  Elle affirme avoir débuté les opérations de la garderie au cours de l’année 2011 et avoir terminé le 5 mai 2014 : «pour la dernière fois».

Ø  À ce moment, il s’agissait de dépannage; confrontée à certaines de ses réponses lors des rencontres avec Boucher et Demers, elle précise que, depuis 2011, elle n’a pas eu l’intention de recommencer l’exploitation d’une garderie soulignant la différence par rapport à un service de garde privé.

Ø  Pour expliquer le mot «fermeture» utilisé lors des rencontres de septembre 2014 avec les deux représentants de l’assureur, elle s’exprime ainsi :

«Mme Haddou : Par rapport à la fermeture de 2011, à la fin de 2011 ça commencé comme à baisser, comme je vous dis, ça commencé toute la petite époque où on a eu beaucoup d’enfants, j’ai quasiment dès fois pas d’enfant, ça fait que c’est pour ça que j’en employé le mot de la fermeture, parce que j’avais l’intention d’arrêter ça parce que j’en n’ai plus de la demande comme avant, ok, puis avec mon travail, mes études et tout ça, j’avais toujours l’intention d’arrêter ce dépannage là, mais dès quand j’avais besoin d’argent, je recommençais à faire l’annonce pour pouvoir encore trouver des enfants dans l’espoir d’en avoir.  Donc, c’était relié là à mes besoins d’argent que je recommençais à faire des annonces pour ça, mais quand des fois c’est beau je n’ai plus capable, ben là c’est ça je dis aux parents, je peux plus continuer avec vous.

Avocate : ok, donc périodiquement, pendant les années 2012, 2013, 2014, vous refaites des annonces pour reprendre le service de garde privé

Mme Haddou : Oui

Avocate : c’est pour cette raison-là que vous gardez autant de jouets, que vous avez jusqu’au sinistre, jusqu’en mai 2014, vous avez gardé quand même des jouets et les biens de la garderie?

Mme Haddou : J’ai gardé les jouets de mes enfants, j’ai gardé les jouets des enfants qui jouaient avec mes enfants, voilà»[25]

Ø  Questionnée sur son affirmation au début du contre-interrogatoire selon laquelle elle a cessé ses opérations le 5 mai 2014, elle s’exprime ainsi :

«Parce qu’on a eu un problème un jour avec la DPJ, moi je faisais, je gardais mes enfants puis les enfants des fois comme je dis comme c’est temporaire, puis cette journée-là c’était des enfants avec nous autres je ne peux pas dire cette journée-là, mais cette époque-là que j’ai eu le problème avec la DPJ, tout à fait, votre Honneur, en fait moi j’avais demandé à une voisine de venir me remplacer parce que moi je devrais partir, cette voisine-là elle est venue puis c’est son mari qui me l’avait référé, je l’avais vu quelques fois, elle semblait correcte, cette fois-ci qui est venue pour remplacer mon départ, ce qu’elle avait décidé votre Honneur d’aller au dépanneur qui est à côté de moi, elle est partie, elle a laissé les enfants, elle dit qu’elle était partie leur acheter des bonbons.  Au moment qu’elle est allé acheter les bonbons pour les enfants, il y a une mère qui rentre pour chercher son enfant, moi j’avais appelé cette mère-là puis je lui ai dit écoute moi je vais sortir, veux-tu venir chercher ton enfant avant que je parte, elle m’a dit non ce n’est pas grave, j’ai dit ça va être une autre personne, elle m’a dit c’est pas grave.  Alors le moment que elle elle vient finalement ça coïncider avec la madame qui est allée au dépanneur.  Elle a appelé la DPJ pour cet évènement-là. C’est une personne qui ramenait ses enfants là à cette époque-là.»[26]

Ø  Le lendemain de cet évènement, une autre mère de famille s’adresse à elle pour faire garder un enfant, se référant à l’article publié dans le journal la veille, elle conseille à celle-ci de chercher ailleurs en lui disant : «Probablement que je vais fermer».

II.3.-     Déclarations concernant les circonstances de l’incendie

[42]        Lors de la rencontre du 2 septembre, monsieur et madame sont questionnés concernant les circonstances de l’incendie.

 

[43]        Lors de ses représentations, l’avocate de l’assureur porte à notre attention les éléments suivants :

Ø  Détecteurs de fumée : (D-3, pages 33 et 115) :

ü  Les deux assurés affirment que les piles dans les deux détecteurs ont été changées en avril lors du changement d’heure.

ü  Or, l’investigateur Boilard n’a pas retrouvé de pile dans ces deux détecteurs, ils n’étaient pas fonctionnels.

Ø  Activités de cuisson juste avant la découverte de l’incendie (D-3, pages 81 et ss et 211 et ss) :

ü  Lors de sa rencontre avec Boilard, elle affirme qu’il y avait un sac de frites congelées sur le comptoir près de la cuisinière.

ü  À l’audience, pour expliquer que ce dernier n’a pas retrouvé un sac de frites, elle précise qu’il s’agissait plutôt de petites portions préemballées.

ü  Lors de la rencontre du 2 septembre, elle affirme que les autres poêlons et casseroles (3) sur la cuisinière étaient vides.

ü  Au procès, elle est confrontée avec des photos[27] qui montrent un chaudron plein de légumes.

Ø  Concernant ses interventions suite à la découverte des flammes au-dessus de la cuisinière :

ü  En interrogatoire en chef puis en contre-interrogatoire, la version de monsieur évolue lorsqu’il explique sa démarche pour fermer l’alimentation en électricité par rapport à son retour dans la maison pour y chercher un téléphone afin d’appeler les pompiers.

ü  Lors de la rencontre du 2 septembre, il donne une version différente pour ce qui est de ses interventions[28] à ce moment.

Ø  Concernant l’état des revêtements au sous-sol :

ü  Au procès, les demandeurs affirment qu’ils ne sont pas au courant de vices ou de désordres affectant les murs.

ü  Lors de la rencontre du 2 septembre :

·        Monsieur déclare qu’il y a des infiltrations d’eau sur le mur est lors des fortes pluies, que ça ne lui apparaissait pas important, qu’il a tenté de colmater les fissures, qu’il a nettoyé les surfaces avec de l’eau de javel et consulté un ami, diplômé en génie civil concernant la façon de régler le problème (page 162 et ss).

·        Madame affirme qu’il y avait des moisissures vu les infiltrations d’eau et qu’il s’agissait d’un vice caché.

II.4.-     Position des parties

            Pour l’assureur

[44]        L’avocate de l’assureur Alpha nous soumet pour soutenir sa thèse quant aux déclarations mensongères :

Ø  Si effectivement les opérations de la garderie avaient cessé en 2011 comme monsieur et madame l’ont affirmé dans un premier temps, l’assureur ne pourrait se plaindre du défaut d’avoir révélé l’existence d’une garderie parce que la situation n’existe plus, au moment de l’incendie, et ce, depuis longtemps.

Ø  Au surplus, du dépannage à l’occasion en vue de garder les enfants de parents, de connaissances ou d’amis, ce n’est pas répréhensible.

Ø  Toutefois, le bât blesse lorsque l’on prend connaissance des déclarations de monsieur et madame lors des communications subséquentes au sinistre par rapport aux informations découvertes lors des recherches sur internet dans le cadre de l’enquête.

Ø  Il s’agit donc de déclarations mensongères au sens de 2472(1) C.c.Q. entraînant «la déchéance de son droit à l’indemnisation» : madame admet qu’elle a opéré une garderie en 2014 et elle donne au moins quatre dates différentes quant à la cessation des activités dont lors de l’entrevue du 23 septembre, elle conclut ainsi : «c’est comme fini là».

Ø  Or, l’assureur n’a pas à choisir une version en particulier parmi celles que l’assuré lui offre en espérant choisir celle qui est vraie; la fausse déclaration  n’a pas nécessairement à porter sur la cause immédiate du sinistre, mais peut aussi porter sur l’aggravation du risque (signifiant le bâtiment et son usage) : exploiter une garderie pour en soutirer un revenu alors que l’assureur n’émet pas de couverture d’assurance pour une garderie non-subventionnée.

Ø  Sont également mensongères leurs déclarations concernant les circonstances de l’incendie et les démarches suite à sa découverte.

Ø  La présomption de bonne foi est donc repoussée.

Pour les demandeurs

[45]        L’avocat de monsieur et madame nous a dressé un long sommaire du déroulement de cette journée fatidique pour mettre en évidence :

Ø  Monsieur a confondu les panneaux où il devait interrompre l’alimentation en électricité.

Ø  Il était logique que les parents veulent rejoindre en premier leurs enfants et les éloigner du site avant même d’appeler les pompiers.

Ø  À l’arrivée de ces derniers, monsieur collabore pour les diriger vers les endroits où ils doivent intervenir; il ne s’agit pas de l’attitude d’un assuré qui a intérêt à obtenir une indemnité plus grande.

Ø  Il nous réfère à la distinction à faire entre une déclaration mensongère dans le but d’obtenir une indemnité à laquelle on n’a pas droit par rapport à des exagérations ou des erreurs de faits qui, selon la jurisprudence, ne constituent pas des mensonges au sens de la disposition du Code civil du Québec.

II.5.-     Analyse et décision

Le droit

[46]        Dans un arrêt prononcé en 2004, la Cour d’appel[29], sous la plume du juge Tessier, résume, de façon claire et concise, la règle en matière de déclarations mensongères :

«[130]             L'appel porte sur l'applicabilité du premier alinéa de l'article 2472 C.c.Q. qui énonce :  «  Toute déclaration mensongère entraîne pour son auteur la déchéance de son droit à l'indemnisation à l'égard du risque auquel se rattache ladite déclaration ».  L'assurée a-t-elle été l'auteure d'une déclaration mensongère lorsqu'elle réclame jusqu'au 3 octobre 2003 une indemnité pour perte de ce contrat avec Purolator?

[131]              Selon la définition du dictionnaire Le Petit Robert, un mensonge est une « assertion sciemment contraire à la vérité, faite dans l'intention de tromper ».  Par une déclaration contraire à la réalité, de façon consciente et délibérée, l'assuré a l'intention de frauder son assureur en voulant obtenir une indemnité à laquelle il n'aurait pas droit, s'il avait agi de façon honnête et de bonne foi.  Par mensonge, l'assuré tente de façon dolosive de frustrer l'assureur d'une somme d'argent.  L'assureur doit écarter la présomption de bonne foi rattachée à la conduite de l'assurée (art. 2805 C.c.Q.) et établir de façon prépondérante (art. 2804 C.c.Q.) une intention frauduleuse de la part de ce dernier en vue de le tromper et de s'avantager à ses dépens. La simple exagération, l'erreur de bonne foi ne suffit pas;  ce qui est faux n'est pas nécessaire mensonger.

[132]              Puisque l'on ne peut examiner le cerveau d'une personne pour en découvrir l'intention, cette preuve de l'intention sera le plus souvent déduite de la conduite de cette personne, suivant le principe qu'une personne consciente et saine d'esprit est présumée rechercher les conséquences prévisibles et probables de ses actes volontaires.  L'intention peut s'inférer des actes d'une personne, dans le contexte d'une preuve par présomption de faits.  Il convient à cette fin d'examiner la conduite d'un assuré à la lumière de l'ensemble des faits pertinents. Il y a donc lieu de vérifier la portée de la conduite de l'assurée dans ce contexte factuel en vue de la qualifier à la lumière de la norme posée par l'article 2472 C.c.Q.»

[47]        La bonne foi de l’assuré dans ses rapports avec son assureur se présume (2805 C.c.Q.), mais elle revêt un caractère particulier dans ses relations avec ce dernier comme nous l’enseigne la Cour d’appel[30] :

«[15]          Le contrat d'assurance est fondé sur la confiance et, par conséquent, fait appel à la meilleure bonne foi. Il est formé par l'acceptation par l'assureur de la proposition du preneur ou de l'assuré (2398 C.c.Q.) dans laquelle ceux-ci doivent dévoiler toutes les circonstances qui peuvent influencer l'assureur sur l'acceptation ou le rejet du risque ou peuvent modifier la prime (art. 2408 C.c.Q.). Enfin, si des faits ou gestes posés par l'assuré au cours de l'existence de la police sont de nature à aggraver le risque, celui-ci doit en prévenir promptement son assureur (art. 2466 C.c.Q.).»

[48]        Rappelons les conséquences lorsqu’une partie perd le bénéfice de cette présomption de bonne foi; certains auteurs et juges parlent de renversement du fardeau de la preuve :

Ø  Le professeur Karim[31] :

«La personne dont la bonne foi est mise en question ne peut plus bénéficier de la présomption de l’article 2805 C.c.Q. dès qu’elle se trouve dans l’une des situations ci-haut exposées.  En effet, lorsqu’il est en preuve des faits soulevant un doute quant à la bonne foi d’une partie, le fardeau de preuve est renversé et cette dernière se trouve dans l’obligation de défendre sa bonne foi.»

Ø  Me Geneviève Cotnam[32], maintenant juge à la Cour du Québec :

«92 Contradictions ou incompatibilités - Trop d’incohérences ou d’incompatibilités dans les déclarations de l’assuré, que ce soit eu égard aux circonstances du sinistre ou aux biens volés, amèneront le tribunal à conclure à l’existence d’une déclaration mensongère.  Des déclarations contradictoires ne suffisent pas à établir prima facie qu’elles sont mensongères.  Un assuré n’a d’ailleurs pas à avoir une mémoire à toute épreuve et à l’abri de toute défaillance.  Il appartiendra alors à l’assuré d’expliquer ses différentes versions contradictoires.

Pour conclure à déclaration mensongère, il faut toutefois qu’il y ait réellement des contradictions entre les versions, et non un simple manque d’exactitude de la part de quelqu’un qui n’est pas familier avec le récit des événements.  Ainsi, le simple fait d’ajouter à chaque déclaration des biens manquants ne pourra être considéré en soi comme une contradiction, puisqu’il peut être normal qu’une personne se souvienne avec le temps de la disparition d’un objet dont elle ne dispose plus.»

[49]        Il nous apparaît approprié de dresser un sommaire des déclarations des demandeurs dont nous avons traitées auparavant aux sections II.1, II.2, II.3 ci-haut :

Ø  Concernant l’exploitation de la garderie :

ü  Alors qu’en 2010 et 2012, ils communiquent avec l’assureur pour voir s’il offre une couverture au cas où l’on décide d’opérer une garderie.

ü  Au procès, Berrahmoun affirme n’avoir jamais communiqué avec l’assureur à ce sujet.

ü  Interrogé par l’investigateur Boilard et surtout par les deux représentants de l’assureur, Boucher et Demers, ils offrent différentes dates tant quant au moment où madame a cessé l’exploitation de la garderie que quant à l’ampleur des opérations pour finalement conclure que c’est au moment de la communication du 23 septembre qu’elle cesse «c’est comme fini là?».

ü  Eu égard aux publications sur le site Ma Garderie, aux déclarations faites à Demers et Boucher ainsi qu’à son témoignage devant nous, nous en retenons qu’au moment de l’incendie, elle a toujours d’intention de continuer ses opérations, c’était juste une question de savoir à quel moment des clients se présenteront.

Ø  Concernant les circonstances de l’incendie :

ü  Nahid Haddou fait des affirmations concernant la cuisson de frites, la présence d’un sac à moitié plein sur le comptoir alors que manifestement il n’y a pas présence d’un tel sac de frites, puis elle parle de petites portions pré-emballées; de plus, elle ne traite pas du chaudron qui contient des légumes alors qu’elle affirme que les autres chaudrons  ou poêlons sur la plaque de cuisson sont vides.

ü  Redouane Berrahmoun donne des explications divergentes quant aux démarches qu’il fait une fois avisé de la présence de fumée, ses déclarations concernant le bruit provenant des détecteurs de fumée et la coupure d’électricité sont difficiles à suivre sinon incompréhensibles.

ü  Rappelons qu’il a affirmé avoir changé les piles dans deux des détecteurs lors du changement d’heure au printemps alors que l’investigateur n’a retrouvé aucune trace de pile.

Ø  Concernant l’état des revêtements au sous-sol :

ü  Au procès, ils affirment qu’ils ne sont pas au courant de vices affectant ces revêtements.

ü  Lors de la rencontre du 2 septembre, les deux reconnaissent qu’il y a des infiltrations d’eau qui ont causé des moisissures, qu’ils ont tenté d’y mettre fin et madame emploie l’expression vice caché.

[50]        Retenons également les contradictions entre leurs versions à l’audience, à l’étape de l’interrogatoire en chef par rapport au contre-interrogatoire.

[51]        Tout cela ne peut que constituer des déclarations mensongères que le Tribunal ne peut attribuer qu’à une seule volonté : devant l’insistance des questions de Boucher et Demers sur certains sujets et connaissant les moyens de contestations contenus dans la défense écrite de l’assureur, ils ont tenté tant lors de ces rencontres que lors du procès d’ajuster leurs versions dans le but de sauver la mise, c’est-à-dire d’obtenir le paiement de l’indemnité de la part de l’assureur.

[52]        Le Tribunal est donc en mesure de tirer les conclusions suivantes :

Ø  L’assureur a présenté une preuve sérieuse qui fait perdre aux demandeurs le bénéfice de la présomption de bonne foi.

Ø  Les nombreuses déclarations évolutives et contradictoires portant sur des éléments importants par rapport au sinistre ne peuvent que constituer des déclarations mensongères au sens de la Loi.

Ø  Il ne ‘agit pas de simples inexactitudes, exagérations ou omissions.

Ø  Lors de leur témoignage, ils n’ont pas donné d’explications qui auraient permis de rétablir la présomption de bonne foi en leur faveur.

[53]        Même si le Tribunal serait en mesure d’imposer la sanction que prévoit l’article 2472(1) C.c.Q., à savoir la déchéance du droit à l’indemnité[33], il nous faut auparavant étudier l’argument de la fin de non-recevoir (estoppel) que soulèvent les demandeurs à l’encontre de l’assureur.

III.-       Fin de non-recevoir (estoppel)

III.1.-    La preuve

[54]        Les demandeurs plaident que l’implication de l’assureur à compter du lendemain du sinistre jusqu’au 8 octobre constitue une fin de non-recevoir connue dans le domaine de l’assurance sous la dénomination d’estoppel.

[55]        À part les affirmations des demandeurs voulant que Julie Boucher ait confirmé qu’ils seraient indemnisés, la preuve ne comporte pas de contradictions concernant les interventions de l’assureur; la documentation révèle :

Ø  26 août début p.m. : Julie Boucher se rend sur les lieux, procède aux premiers constats, retient les services d’une firme (GAM) pour des travaux d’urgence (barricader portes, fenêtres et clôtures), communique avec un entrepreneur pour déterminer les travaux de conservation urgents (Frank Langevin), rencontre M. Berrahmoun sur les lieux; enfin elle prend les dispositions pour les reloger (Urgence Logis) d’abord à l’hôtel puis dans un condominium.

Ø  28 août à compter de 9 h, les différentes interventions de Julie Boucher sont :

ü  Rencontre avec monsieur et madame pour recueillir une première version quant aux circonstances de l’incendie et obtenir des éclaircissements quant à certains de ses constats : présence de moisissures au bas des murs au sous-sol et de trappes à souris.

ü  Déterminer l’ampleur des travaux à faire dans les pièces où le feu et l’eau ont causé des dommages.

ü  Déterminer les biens qui doivent être sortis de la maison soit pour être entreposés chez Frank Langevin ou être nettoyés par rapport à ceux qui seront placés dans un conteneur dans l’entrée d’automobile.

ü  Convient avec Mme Haddou du processus pour la récupération du linge de la famille par rapport à ce qui doit être envoyé à une entreprise de nettoyage (Nettoyeur de Choix).

ü  Demande à monsieur des documents dont les comptes de taxes et la dette hypothécaire et l’avise de récupérer la nourriture et de photographier ce qui doit être jeté.

Ø  2 septembre :

ü  Rencontre avec monsieur et madame à leur logement temporaire aux fins de recueillir leur version de façon plus détaillée.

ü  Les documents de reconnaissance de réserves et de consentement à la cueillette d’informations ayant été signés les 27 et 28 août[34], elle les avise que l’enquête se continue dans le cadre de cette reconnaissance de réserves.

Ø  3 septembre :

ü  L’on entreprend le travail pour sortir des lieux meubles et effets personnels, et ce, tant par M. Redouane que les préposés de Frank Langevin.

ü  Boucher détermine avec ces derniers l’ampleur des travaux de curetage, c’est-à-dire d’enlèvement des revêtements de plancher et muraux (gypse) pour faciliter l’assèchement et éviter la propagation des moisissures.

ü  Suite à une discussion avec l’assuré, elle lui transmet un courriel[35] pour l’aviser des travaux de curetage et que ceux de réparation des revêtements muraux du sous-sol seront à ses frais vu que les dommages découlent d’infiltrations d’eau antérieures à l’incendie.  Comme alternative, elle lui propose de procéder lui-même à l’enlèvement de ces matériaux sur une hauteur de quatre pieds.

Ø  4 septembre : Entente avec le représentant du nettoyeur pour faire le suivi des démarches avec Mme Haddou : cette dernière a déterminé ce qu’elle désire faire nettoyer immédiatement par rapport à ce qui pourra attendre.

Ø  5 septembre : Rencontre sur le site avec les représentants de Langevin et l’entrepreneur («Seigneurie») qui entreprend les travaux de curetage des surfaces (murs et planchers).

Ø  15 septembre : Réception de la facture[36] de Seigneurie : les travaux sont complétés (73.5 heures de travail : 5 842 $).

[56]        Du témoignage de monsieur et madame quant aux interventions de l’assureur, le Tribunal retient :

Ø  Mme Boucher a pris charge des opérations d’enlèvement des biens, du nettoyage et a déterminé, avec l’entrepreneur, l’ampleur des surfaces à dégarnir.

Ø  En interrogatoire en chef, Redouane Berrahmoun affirme que Julie Boucher leur a dit qu’ils étaient assurés et qu’en conséquence, «c’est elle qui décide» et ce, lorsqu’ils s’inquiètent de l’ampleur des travaux de curetage;

Ø  En contre-interrogatoire, lorsqu’on lui rappelle sa déclaration du matin à ce sujet, il précise que c’est constatant que ces travaux de démolition sont entrepris, qu’il en parle à Mme Boucher et il ajoute : «donc, j’ai compris que tout est beau, c’est-à-dire que son enquête est faite. C’est pour ça que j’ai signé tous les documents qu’elle a demandés»[37].

Ø  Lorsque les travaux de curetage débutent le vendredi 5 septembre, il s’entretient avec Mme Boucher et en conclut que l’enquête est terminée, ce qui explique le début des travaux de démolition.

[57]        Du témoignage de Luc Demers, le Tribunal retient :

Ø  De concert avec Julie Boucher, ils ont convenu que les travaux d’enlèvement des couvre-sols et du gypse étaient nécessaires : il y avait un fort taux d’humidité suite à l’intervention des pompiers, un assèchement avec des ventilateurs n’aurait pas suffi, et ce, dans le but d’éviter la prolifération des moisissures.

Ø  Cette intervention était d’autant plus nécessaire qu’en ce début septembre, la température extérieure est élevée.

Ø  Début septembre, rien, dans l’enquête, ne justifiait de douter de la véracité des déclarations des deux assurés.

 

Ø  Lors de la rencontre du 2 septembre avec les deux assurés, Julie Boucher leur explique que l’enquête se poursuit :

«Dans un premier temps, on vous a fait signer des documents, des reconnaissances de réserve, des permissions, là, pour divulguer de l’information soit aux pompiers ou aller chercher de l’information aux pompiers ou aux policiers.

(…)

De la façon que je vais procéder, nous on est là pour recueillir de l’information.  Après on va parler aux policiers et aux pompiers qui vont nous compléter notre enquête.»[38]

Ø  Même si Mme Boucher s’était entretenu avec l’investigateur Boilard qui avait fait part de ses questionnements, il ne s’agit qu’un des éléments à considérer; il ne voulait surtout pas être contaminé par l’opinion de celui-ci sans avoir pu recueillir toute l’information, pour ensuite prendre une décision.

Ø  Ce n’est que suite aux discussions, le 18 septembre, avec un représentant du commissariat et surtout avec le policier enquêteur, qu’il entreprend son processus de révision complet du dossier pour l’amener à la décision qui fût communiquée le 8 octobre.

III.2.-    Position des parties

[58]        L’avocat des demandeurs nous soumet :

Ø  Le 29 août, Julie Boucher s’entretient avec l’enquêteur Boilard qui nous soulève ses interrogations et hypothèses suite à ses constats ainsi que ceux des pompiers.

Ø  Le 2 septembre, elle recueille la version des assurés et, dès le lendemain, l’assureur prend la décision de procéder aux travaux de démolition malgré les interrogations et hypothèses de Boilard.

Ø  On n’avise pas les assurés de la possibilité que leur réclamation ne soit pas acceptée, l’on entreprend les travaux de curetage importants qui entraîneront pour ceux-ci des coûts majeurs dans l’éventualité où l’on conclurait au rejet.

Ø  À ce moment, Alpha possédait déjà suffisamment d’information pour dresser un portrait complet de la situation; étant à l’intérieur du délai de 60 jours (2473 C.c.Q.), l’assureur n’était pas obligé de s’impliquer, le temps de son enquête et les demandeurs n’auraient aucunement pu s’en plaindre.

Ø  Les décisions et gestes suivants de l’assureur constituent une renonciation à soulever des moyens d’exclusion ou de nullité :

ü  Les reloger;

ü  L’opération de nettoyage des vêtements;

ü  Disposer des biens irrécupérables;

ü  Décider de l’ampleur des travaux de curetage dont à des endroits où il n’y a pas eu de feu (ex. : chambre de bain à l’étage).

Ø  En conséquence, les trois critères reconnus par la jurisprudence et la doctrine pour l’application de la fin de non-recevoir sont rencontrés dont celui du préjudice : ils devront faire exécuter des travaux de réparation de l’ordre de 70 000 $[39].

[59]        L’avocate d’Alpha réplique à cette argumentation de la façon suivante :

Ø  L’un des critères d’application de cette théorie implique que l’assuré, de façon sincère, ait cru que l’enquête était terminée et qu’en conséquence, il sera indemnisé.

Ø  Or, lors de la rencontre du 2 septembre, les demandeurs ont été avisés que l’enquête se continuait : c’est justement à cette fin que Boucher leur avait fait signer les documents de réserves et de consentement, et ce, dans les jours précédents.

Ø  Le 3 septembre, il fallait prendre des mesures pour empêcher la contamination par moisissures; les demandeurs n’ont pas subi de préjudice du fait de ces travaux : ils auraient dû faire effectuer les mêmes travaux si l’assureur n’était pas intervenu dès ce moment; de toute façon, les demandeurs n’ont pas démontré au moyen d’un expert que ces travaux de curetage étaient inutiles ou exagérés.

Ø  En conséquence, ils ne pouvaient croire, de façon sincère, que tout était réglé et qu’ils seraient indemnisés.

Ø  Appliquer la logique de son confrère équivaut à dire : étant à l’intérieur du délai de 60 jours, l’assureur fait enquête, il ne fait aucune intervention et si la réclamation est accueillie, la détérioration sera plus importante et l’assureur n’aura qu’à en supporter les coûts supplémentaires.

III.3.-    analyse et décision

[60]        Vu que la notion d’estoppel origine de la common law, la Cour d’appel et la Cour suprême ont reconnu, en droit civil québécois, l’application de la notion de fin de non-recevoir[40].

 

 

 

[61]        Dans un jugement prononcé en 2011, notre collègue, le juge Pierre-C. Gagnon[41], résume ainsi les critères d’application de cette notion :

[42]        Au-delà de son comportement fautif, les tribunaux québécois ont, depuis, conclu à renonciation ou à fin de non-recevoir quand une partie contractuelle se comportait :

·        de façon volontaire, c'est-à-dire en connaissance de cause et non dans l'ignorance des faits lui procurant le droit répudié [21];

·        de façon non équivoque, que ce soit expressément ou tacitement, mais sans ambiguïté, au point de susciter une croyance sincère de renonciation chez l'autre partie [22];

·        de façon concrète, c'est-à-dire en renonçant non pas à un droit inexistant, futur ou éventuel, mais à un droit existant bel et bien à ce moment [23].

[43]        Il peut donc y avoir fin de non-recevoir même en absence de faute par celui qui renonce.

[Références omises]

[62]        Avec égards pour la présentation de l’avocat des demandeurs, le Tribunal ne peut la retenir :

Ø  Il est indéniable que les travaux d’urgence devaient être entrepris dès le lendemain du sinistre, tant pour sécuriser le bâtiment que pour récupérer les biens qui pouvaient l’être et procéder à une première étape des travaux d’assèchement, ce qui a été entrepris à compter du 26 août en après-midi.

Ø  L’assureur s’est conduit de façon tout à fait responsable en prenant les dispositions pour reloger la famille composée de deux adultes et deux jeunes enfants temporairement à l’hôtel puis en condominium.

Ø  Lorsqu’ils signent le document de reconnaissance de réserves (27 août) et de consentement à la cueillette de renseignements (28 août), seulement ces travaux ont été entrepris (GAM).

Ø  Les travaux plus importants de dégarnissement débutent le vendredi 5 septembre; donc, Berrhamoun n’a pu avoir compris les 27 et 28 août que l’assureur avait pris sa décision de façon définitive et, que c’est en conséquence de cette décision que des travaux de plus grand ampleur sont exécutés.

Ø  Même si son enquête continuait, l’assureur était justifié de faire entreprendre ces travaux de dégarnissement et d’assèchement; eu égard à ces chaudes journées de début septembre, il y aurait eu foisonnement de moisissures vu la présence d’eau et d’humidité dans les murs et sous les revêtements de planchers.

Ø  Rappelons que les demandeurs n’étaient pas intervenus par le passé au sous-sol pour faire cesser l’infiltration d’eau, d’où la présence de moisissures à plusieurs endroits.

Ø  Avec respect pour les demandeurs, ils ne sont pas des experts en construction et en interventions après sinistre, le Tribunal ne peut retenir leur opinion à l’effet que ces travaux étaient inutiles et exagérés.

Ø  Ce n’est que le 18 septembre que Boucher et Demers peuvent s’entretenir avec l’enquêteur du SPVQ qui leur transmet des informations nouvelles qui auront pour effet de réorienter leur enquête et amener Demers à entreprendre une révision complète de tous les éléments de l’enquête, alors que les travaux de l’entrepreneur Seigneurie sont complétés.

[63]        En conséquence, le Tribunal est en mesure de conclure que les critères pour l’application de la notion de fin de non-recevoir ne sont pas rencontrés :

Ø  L’assureur n’a pas décidé de faire exécuter des travaux urgents et ensuite de curetage, de façon volontaire, en connaissant des informations qui auraient justifié de nier couverture, à savoir les déclarations contradictoires et mensongères.

Ø  Le fait que l’on ait décidé de reloger la famille et la laisser dans le condominium après la rencontre avec l’enquêteur du SPVQ ne peut être interprété contre l’assureur: ses représentants ont agi de façon responsable, leur résidence était inhabitable.

Ø  Ils ne sont pas conduits de façon non équivoque en laissant croire aux assurés que leur enquête était complétée et qu’ils seraient indemnisés; au moment où ceux-ci signent les documents de réserves et de cueillette des informations ainsi que le 2 septembre, ils savent très bien que l’enquête se poursuit.

[64]        Avec respect pour l’affirmation de l’avocat des demandeurs, le Tribunal ne peut retenir son argument : l’assureur, étant dans la période de 60 jours, n’avait qu’à laisser les assurés se dépêtrer avec leurs problèmes et ne pas intervenir.

[65]        Eu égard à la présomption de bonne foi, s’il fallait que les assureurs se conduisent de cette façon au lendemain d’un sinistre, l’on peut facilement imaginer le tollé social qui s’ensuivrait : les émissions JE et La Facture seraient en mesure de rapporter des histoires d’horreur, à chaque semaine, en soulignant le manque de sens social et de responsabilité des assureurs.

[66]        Ce moyen soulevé par les demandeurs à l’encontre de l’assureur est donc rejeté.

 

 

IV.-      Le motif de défense de faute intentionnelle et le quantum des réclamations    respectives

IV.1.-   Faute intentionnelle

[67]        À titre subsidiaire, dans sa défense, Alpha allègue :

«33.       Subsidiairement, si la Cour concluait à la validité de la police d’assurance invoquée par les demandeurs, pièce P-1, les circonstances entourant l’incendie sont des plus nébuleuses et comprennent des éléments discordants, irréguliers, improbables ou invraisemblables;»

[68]        Au soutien de cette allégation, la preuve repose sur le rapport d’enquête de l’investigateur Jean-Pierre Boilard du Bureau du Commissariat aux incendies de la Ville de Québec et le témoignage de ce dernier à l’audience.

[69]        Dans son rapport[42], Boilard conclut ainsi :

«CONCLUSIONS

Après avoir rencontré les témoins pertinents et après avoir effectué ma recherche sur les lieux de l’incendie, j’en viens à la conclusion qu’il s’agit d’un incendie où il y a eu une intervention humaine volontaire.

En conformité avec la loi sur la sécurité incendie selon l’article 45(2) le dossier fut remis au service de police pour enquête.»

[70]        À l’audience, il témoigne longuement, tant en chef qu’en contre-interrogatoire, il a été appelé à commenter les photographies[43] prises en sa présence par un technicien du service d’identité judiciaire du SPVQ, le constable Nicolas Gagnon.

[71]        Lors de son témoignage, il précise les motifs pour lesquels, dans la soirée du 25 août 2014, il a fait appel aux services d’un enquêteur des crimes majeurs et à un membre de l’identité judiciaire, et ce, comme le prévoit l’article 45, par. 2, de la Loi sur la sécurité incendie[44], il affirme que ses doutes reposaient sur les éléments suivants :

Ø  Les déclarations des pompiers quant à l’intensité de la chaleur à l’intérieur dans le secteur de la cuisine.

Ø  La caserne de pompier est située à 2 minutes.

Ø  Il est surpris que les dommages soient aussi grands alors que les pompiers sont intervenus rapidement suite à l’appel.

Ø  Les explications données par monsieur et madame lors de l’entrevue exploratoire ne fonctionnent pas, il y a des discordances.

Ø  La batterie du détecteur située au plafond de la cuisine n’a pas été retracée.

 

Ø  Madame a parlé de frites congelées, alors qu’il n’en a retrouvé aucune trace, soit sur le comptoir, soit au sol, ce qui est impossible, vu que la chaleur monte vers le haut.  Si le sac avait été laissé sur le comptoir, les frites ne peuvent fondre.  Il a vu des feux pas mal plus importants dans les cuisines et il avait retrouvé les frites.

Ø  Elle lui a déclaré qu’elle discutait avec son mari au sous-sol, qui lui a dit que ça sentait l’huile et qu’elle monte immédiatement au rez-de-chaussée; pour lui, si elle a allumé un rond et qu’elle est descendue en bas immédiatement, ce n’est pas possible que les flammes soient apparues 2 minutes après.

[72]        Retenons que le rapport de M. Boilard n’a pas été communiqué à titre de rapport d’expertise pour les fins de la preuve de la partie défenderesse comme le prévoit le Code de procédure civile (238, 293 et 294).

[73]        À l’audience, l’avocat des demandeurs a présenté une objection selon laquelle le témoin Boilard ne pouvait pas témoigner comme expert eu égard aux règles applicables en la matière.

[74]        Le Tribunal a permis son témoignage en autant que le témoin décrivait ses constats eu égard à sa vaste expérience comme enquêteur en matière d’incendie, tant à la Sûreté du Québec qu’au Commissariat, et ce, parce que l’avocate de la défenderesse voulait démontrer les éléments qui ont amené l’investigateur Boilard à s’adresser au service de police (45, par. 2 de la Loi sur la sécurité incendie).

[75]        Le Tribunal ne peut considérer ce témoignage comme en étant un d’un expert qui serait autorisé à soumettre au Tribunal son opinion.

[76]        Toutefois, ce témoignage soulève plusieurs faits troublants et, eu égard aux conclusions du Tribunal dans les sections précédentes quant à la déchéance du droit à l’indemnisation, il n’est pas nécessaire d’étudier tout ce volet de la preuve afin de déterminer si la défenderesse a démontré, de façon prépondérante, au moyen de présomptions graves, précises et concordantes (art. 2849 C.c.Q.) que l’incendie résulte d’un acte volontaire de la part des assurés.

IV.2.-   Quantum de la réclamation des demandeurs

[77]        Dans leur procédure, les demandeurs réclament :

Ø  Par. 15 : 72 773,38 $ : Évaluation de Les Constructions Gagnon (1980) inc.;

Ø  Par. 16 : 2 277,46 $ : Travaux d’urgence exécutés par cet entrepreneur;

Ø  Par. 17 : 20 097,00 $ : Perte de biens meubles;

Ø  Par. 18 : 10 000,00 $ : Nettoyage, réparations de vêtements et de certains effets mobiliers.

[78]        Par leur témoignage et celui de l’entrepreneur Gagnon, les demandeurs ont prouvé le bien-fondé et la quotité de ces postes de réclamation; d’ailleurs, la défenderesse n’a présenté aucune preuve à l’encontre ni fait de représentations à ce sujet.

[79]        Ils réclament également 5 000 $ à titre de dommages et intérêts «pour les inconvénients multiples provoqués par cette situation».

[80]        Le Tribunal n’aurait pas fait droit à ce poste de réclamation eu égard à la preuve qui lui a été présentée; l’on ne peut réclamer des dommages-intérêts à son cocontractant qui, de bonne foi, a exercé son droit d’enquêter conformément au contrat d’assurance et au Code civil du Québec.

IV.3.-   La réclamation de la défenderesse Alpha

[81]        De son côté, Alpha se porte demanderesse reconventionnelle pour réclamer le remboursement des dépenses encourues pour frais d’hébergement, de nettoyage et d’intervention après sinistre.

[82]        La défenderesse a présenté une preuve appropriée au moyen des factures et des chèques[45] attestant du paiement, de sorte qu’elle est en droit d’en réclamer le remboursement à partir du moment où les demandeurs sont déchus de leur droit à l’indemnisation.

[83]        Au surplus, aucune preuve n’a été présentée en demande au moyen d’un témoin indépendant aux fins de démontrer que les travaux ont été soit inutiles, soit qu’ils ont fait l’objet d’une surfacturation.

[84]        En ce qui concerne les coûts de nettoyage et de logement, les demandeurs en ont bénéficié directement.

[85]        De plus, Alpha réclame, à titre de dommages-intérêts, 7 000 $ pour «troubles, frais, inconvénients qu’elle a dû assumer en raison des réticences et fautes des demandeurs».

[86]        Le Tribunal ne fera pas droit à ce poste de réclamation :

Ø  Aucune preuve n’a été présentée quant à la quotité de ces dommages;

Ø  Le fait pour un assureur d’analyser une réclamation, de faire enquête, fait partie de ses devoirs et prérogatives;

Ø  Il ne serait pas approprié d’accorder une telle indemnité sauf en cas de circonstances exceptionnelles.

[87]        En conséquence, la demande reconventionnelle sera accueillie selon ses conclusions en ce qui concerne la demande de remboursement de la somme de 15 525,45$.

[88]        Enfin, le Tribunal ne fera pas droit à la demande de déclaration de nullité ab initio du contrat d’assurance :

Ø  Il n’a pas retenu le premier moyen de défense concernant l’aggravation du risque.

Ø  L’assureur n’offre pas de rembourser les sommes perçues à titre de prime d’assurance depuis l’émission de la police.

[89]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[90]        ACCUEILLE pour partie la défense et demande reconventionnelle;

[91]        REJETTE la demande introductive d’instance;

[92]        CONDAMNE les demandeurs à payer à la défenderesse la somme de 15 525,45 $ avec intérêts au taux légal en plus de l’indemnité additionnelle conformément à la Loi, et ce, à compter du 5 août 2015, date de signification de la demande reconventionnelle;

[93]        Avec frais de justice.

 

 

 

 

__________________________________

PIERRE OUELLET, j.c.s.

 

 

 

Me Jean Beaupré

Joli-Cœur Lacasse

Casier 6

 

 

Me Sophie Vézina

Gagné Larouche Vézina

21, Notre-Dame Est

Thetford Mines (Québec) G6G 2J6

 

 

Dates d’audience :  7 et 8 juin, 7 et 8 septembre 2016

 



*     Dans le but de faciliter la lecture du jugement, le Tribunal emploiera le nom de famille ou le prénom des personnes impliquées ou seulement le préfixe monsieur ou madame avant leur nom de famille en ayant aucunement l’intention de faire preuve de familiarité ou de leur manquer de respect.

[1]     Pièce P-1.

[2]     Pièce D-2.

[3]     Pièce D-10, Info Star Habitation : Risques Prohibés.

[4]     Pièce D-2.1, fiches d’appel.

[5]     Pièces D-20 (11 :10 min à 12 :40 min) et D-20.1.

[6]     Pièce P-1, pages 3 et 13/28.

[7]     Paradis c. L’Abitibienne société mutuelle d’assurance générale, [2000] R.R.A. 154 (C.A.).

[8]     Mutual Life Co. of Canada c. Bernier [1968] B.R. 595 J. Rinfret p. 600 ;

      L'Industrielle compagnie d'assurance sur la vie c. Beaulieu [1990] R.R.A. 172 (C.A. J. Vallerand).

[9]     Salon Bar Le Farfelu Inc. c. Le groupe Desjardins Assurances Générales, [1988] R.R.A. 154 (C.S) pages 160 et 161. Voir au même effet la jurisprudence citée sous l’article 2466 dans le Code civil du Québec annoté (2016) des auteurs Baudouin et Renaud.

[10]    Pièces D-2 et D-2.1.

[11]    Pièce D-10.

[12]    Pièce D-12.

[13]    Aviva Canada inc. c. Dubé, 2007 QCCA 1117;

      Harvey c. ING Assurance inc., 2007 QCCS 1747;

      Rocheleau c. Axa Assurances inc., 2014 QCCS 1860;

      Boucher c. Promutuel Deux-Montagnes, 2015 QCCS 3296.

[14]    Fleury c. Promutuel du Lac au Fjord, société mutuelle d’assurances générales, 2013 QCCS 6894.

[15]    Pièce D-21.

[16]    Pièce D-21, à 17 h, pages 8 à 10.

[17]    Pièce D-3, pages 18 à 183.

[18]    Pages 136, 150 et 151.

[19]    Pièce D-4.

[20]    Pièces D-2 et D-2.1 : fiches d’appel.

[21]    Pièce D-1, pages 1 à 5.

[22]    Pièce D-3, à compter de la page 184.

[23]    Page 210.

[24]    Pages 226 ss.

[25]    Transcription de l’enregistrement à l’audience, 8 juin 2014 à compter de 10 h 24.

[26]    Transcription de l’enregistrement à l’audience, 8 juin 2014 à compter de 10 h 36.

[27]    Pièce D-14, #082 et 086.

[28]    Pièce D-3, pages 102 et ss.

[29]    Boiler Inspection and Insurance Company of Canada c. Moody, 2006 QCCA 887.

[30]    Aviva Canada inc. c. Dubé, 2007 QCCA1117.

[31]    Vincent KARIM, Preuve et présomption de bonne foi, (1996) 26 R.D.U.S., page 438.

[32]    Geneviève COTNAM, Dispositions générales applicables aux assurances de dommages, dans Jurisclasseur Québec, coll. Droit civil, Contrats nommés 2, fasc. 20, Montréal, LexiNexis Canada, feuilles mobiles, par. 92.

[33]    Rocheleau c. Axa Assurances inc., 2014 QCCS 1860, par. 59 ss.

[34]    Pièce D-9.

[35]    Pièce D-19.

[36] Pièce D-7.

[37] Transcription de l’enregistrement, 7 juin 2016 à compter de 15h27.

[38] D-3, page 19

[39]    Pièce P-2.

[40]    Sinyor Spinners of Canada Ltd c. Leesona Corp, [1976] C.A. 395 et Banque nationale du Canada c. Soucisse [1981] 2 R.C.S. 339

[41]    Turcotte c. Pelletier, 2012 QCCS 2462

[42]    Pièce D-5.

[43]    Pièce D-14.

[44]    RLRQ, c. S-3.4.

[45]    Pièce D-7.

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