Office municipal d'habitation de la Plaine de Bellechasse c. Therrien |
2019 QCRDL 19669 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Québec |
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Nos dossiers : |
363842 18 20171025 G 374502 18 20180108 G 378305 18 20180124 G |
Nos demandes : |
2361726 2409648 2424805 |
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Date : |
11 juin 2019 |
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Régisseure : |
Lucie Béliveau, juge administrative |
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OFFICE MUNICIPAL D’HABITATION de la Plaine de Bellechasse
OFFICE MUNICIPAL D’HABITATION de Saint-Gervais & Protais |
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Locateur - Partie demanderesse (363842 18 20171025 G) (374502 18 20180108 G) (378305 18 20180124 G) |
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c. |
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Natasha Therrien Locataire - Partie défenderesse (363842 18 20171025 G)
Louise Guy Locataire - Partie défenderesse (374502 18 20180108 G)
Marie-Josée Denault |
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Locataire - Partie défenderesse (378305 18 20180124 G) |
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D É C I S I O N
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[1] Par des recours introduits le 25 octobre 2017, le 8 janvier et le 25 janvier 2018, le locateur demande la résiliation des baux de logements des locataires en raison d’un refus de respecter la règlementation de l’ensemble immobilier concernant l’interdiction de posséder un chien.
[2] Les demandes du locateur portant les numéros de dossiers 374502, 363842 et 378305, sont réunies et instruites en même temps et la preuve faite dans l’une servira aux autres, et ce, en vertu de l'article 57 de la Loi sur la Régie du logement[1] puisque le fondement du recours est le même dans les trois dossiers. Des décisions distinctes seront toutefois rendues.
[3] Des amendements sont accordés à l’audience :
• Suite à une fusion, le nom du locateur est maintenant l’« Office municipal d’habitation de la Plaine de Bellechasse » (ci-après O.M.H.);
• Le locateur demande une exécution en nature dans les trois dossiers, soit une ordonnance à l’encontre des locataires de se départir de leurs chiens dans les trente (30) jours du jugement et de façon subsidiaire il demande la résiliation des baux de logement;
• Ajouter à l’objet des demandes que les conclusions sont recherchées également en vertu du nouveau règlement du 29 juin 2017.
APERÇU
[4] Les locataires sont liées avec l’O.M.H. par des baux de logements, comme suit :
• Mme Nathasha Therrien, par un bail de logement du 1er août 2007 au 30 juin 2008, reconduit au 30 juin 2019;
• Marie-Josée Denault, par un bail de logement du 1er mai 2006 au 30 juin 2007, reconduit au 30 juin 2019;
• Mme Louise Guy, par un bail de logement du 1er septembre 1999 au 30 juin 2000, reconduit au 30 juin 2019.
[5] Les logements à loyer modique sont des habitations semi-détachées qui possèdent des petites cours arrières. Les clôtures sont interdites pour faciliter la tonte du gazon.
[6] Le 9 mars 2010, le conseil d'administration de l'O.M.H adopte une résolution par laquelle il est décidé, à l'unanimité, d'approuver le « Nouveau règlement de l'immeuble 2010 » qui entre en vigueur le 1er juillet 2010.
[7] Cette nouvelle réglementation prévoit entre autres que les chiens sont désormais interdits, mais que les locataires en possédant déjà bénéficient de droits acquis, mais sans pouvoir remplacer l’animal.
[8] Une « annexe B » est signée par les locataires, laquelle est une déclaration des animaux possédés avant l’entrée en vigueur du nouveau règlement. Cette annexe déclare et est signée comme suit :
• Le 17 mars 2010, Mme Nathasha Therrien déclare avoir un caniche noir;
• Le 30 mars 2010, Mme Denault déclare qu’elle aura probablement un chat et une note manuscrite en bas du document stipule « Juin 2010 (achat petit chiwawa) »;
• Le 3 mai 2010, Mme Guy déclare avoir un chien nommé Maguy.
[9] Une « annexe A » est signée par les locataires, laquelle spécifie que les locataires ont lu et compris les clauses du nouveau règlement. Cette annexe est signée comme suit :
• Le 17 mars 2010 par Mme Nathasha Therrien;
• Le 30 mars 2010 par Mme Denault;
• Le 3 mai 2010 par Mme Guy.
[10] Le locateur prétend que Mme Therrien a acquis un deuxième chien (un schnauzer nain), et ce, après l’entrée en vigueur du nouveau règlement. Il allègue qu’elle n’avait pas de droit acquis pour ce deuxième chien qu’elle possède et qu’en vertu de cette règlementation, elle doit s’en départir.
[11] Il soutient également que Mme Denault n’avait pas de chien lorsqu’elle a signé l’annexe B et qu’en conséquence elle n’avait pas de droit acquis pour son chien et qu’en vertu de cette règlementation, elle doit elle aussi s’en départir.
[12] Par ailleurs, il s’avère que cette nouvelle règlementation pose problème et crée de la jalousie et des conflits entre locataires, car certains voudraient posséder un chien. Cette situation engendre de l’insatisfaction généralisée et une difficulté de gestion pour le locateur.
[13] Ainsi, le 29 juin 2017, le conseil d’administration de l’O.M.H. adopte une nouvelle résolution par laquelle il est décidé, à l'unanimité, de modifier le « Nouveau règlement de l'immeuble 2010 », pour interdire totalement la possession d’un chien sans égard aux droits acquis et obliger les locataires à se départir de leurs chiens dans un délai de 30 jours de l’avis qui leur sera donné.
[14] Le locateur explique avoir avisé tous les locataires de cette nouvelle règlementation. En preuve, le locateur dépose une pétition signée par les locataires, le 24 juillet 2017, qui s’oppose à la nouvelle règlementation, prouvant par conséquent qu’ils étaient au courant de la modification au règlement.
[15] Devant le défaut des locataires concernées de se départir de leurs chiens, elles ont reçu une mise en demeure à la fin septembre 2017, les enjoignant de respecter le nouveau règlement et qu’à défaut d’obtempérer, un recours serait entrepris contre elles devant la Régie du logement.
[16] La procureure des locataires maintient que Mme Therrien avait un droit acquis quant à son deuxième chien, le Schnauzer nain, car elle l’a acquis avant l’adoption du premier règlement.
[17] De plus, elle allègue que la dernière modification aux règlementations qui interdisent totalement la possession d’un animal est invalide, car le locateur n’a pas respecté la procédure applicable en pareil cas.
QUESTIONS EN LITIGE
1- Les nouvelles règlementations ont-elles été adoptées en respectant les procédures concernant les modifications de bail?
2- Dans l’affirmative, les ordonnances d’exécution en nature sont-elles justifiées?
3- Subsidiairement, la résiliation des baux de logement est-elle justifiée?
ANALYSE ET DÉCISION
[18] D’entrée de jeu, le Tribunal a reçu des communications des procureurs de chaque partie qui demandaient, d’une part, de considérer une réouverture d’enquête puisqu’une preuve avait été altérée par un des locataires et d’autre part, une admission que cette pièce avait été effectivement altérée.
[19] En tout état de cause, le Tribunal estime qu’il n’y a pas lieu à réouverture d’enquête puisqu’il y a une admission quant à l’altération de la pièce en question et qu’au surplus cette pièce n’a pas d’incidence sur le jugement que va rendre le Tribunal.
Fardeau de la preuve
[20] Le Tribunal tient à souligner qu’il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante. Ainsi, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante, la preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal.
[21] Le degré de preuve requis ne réfère pas à son caractère quantitatif, mais plutôt qualitatif. La preuve testimoniale est évaluée en fonction de la capacité de convaincre des témoins et non pas en fonction de leur nombre.
[22] Le plaideur doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable et il n'est pas toujours aisé de faire cette distinction. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas nécessairement conduire à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux.
[23] Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée.[2]
Les nouvelles règlementations et les procédures concernant les modifications de bail
[24] Au moment où les locataires ont signé leur bail, il n’y avait pas d’interdiction de posséder un chien.
[25] Ainsi, le locateur désirant
modifier les conditions de leur bail devait, en vertu de l'article
[26] Le premier alinéa de l’article 1942 C.c.Q.[4] se lit comme suit :
« 1942 alinéa 1. Le locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions de celui-ci, notamment la durée ou le loyer; il ne peut cependant le faire que s'il donne un avis de modification au locataire, au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l'arrivée du terme. Si la durée du bail est de moins de 12 mois, l'avis doit être donné, au moins un mois, mais pas plus de deux mois, avant le terme.
[…] »
[27] Par ailleurs, comme il s’agit d’un logement à loyer modique, il appartient au locataire de s'adresser au tribunal pour faire statuer sur la modification demandée par le locateur, dans le mois de la réception de l'avis, sinon il est réputé l'avoir accepté[5]. Cette disposition est donc lourde de conséquences, c’est pourquoi le formalisme est d’autant plus important. (notre soulignement)
[28] La modification du 1er juillet 2010 a été portée à l’attention de Mme Therrien et Mme Denault sous forme de l’« Annexe A » qu’elles étaient invitées à signer sans autre choix. Cette annexe est en fait un acquiescement à ladite modification dès la signature du locataire sans possibilité de l’accepter ou de la refuser.
[29] On ne peut pas qualifier cette annexe « d’avis » à proprement parler. En effet, un avis a pour objet d’annoncer une modification afin de laisser l’opportunité au locataire de la refuser, tel que la législation le lui permet, alors que l’annexe A fait en sorte que le locataire accepte d’avance la modification et renonce dès lors à son droit de la refuser.
[30] Il est admis qu'un
locataire ne peut renoncer à l'avance aux « Règles particulières au
bail d'un logement », soit les articles
[31] Cette protection agit en faveur des locataires et la Cour suprême l’explique en ces termes dans l'affaire Garcia Transport c. Trust Royal[6]:
« La règle générale veut que la renonciation ne soit valide que si elle intervient après que la partie, en faveur de laquelle la loi a été édictée, a acquis le droit qui découle de cette loi. C'est alors, et alors seulement, que la partie la plus faible, tel le débiteur en l'espèce, peut faire un choix éclairé entre la protection que la loi lui accorde et les avantages qu'elle compte obtenir de son cocontractant en échange de la renonciation à cette protection, comme l'explique Gégout, loc. cit., fasc. 2, à la p. 10:
... l'apparition de plus en plus fréquente de règles de protection dans l'ordre public économique a multiplié les cas où les parties peuvent renoncer à un ordre public édicté dans leur seul intérêt. Mais il faut s'entendre sur la portée de cette affirmation: l'ordre public protecteur intervient pour assurer l'entière liberté du contractant le plus faible contre le contractant le plus fort; il manquerait complètement son but si la personne protégée pouvait y renoncer au moment où elle contracte.
[...] Il faut qu'en toute connaissance de cause, au moment où la protection doit produire ses effets, l'intéressé ne risque plus de subir les pressions de son adversaire. »
[32] Et la juge Claire L'Heureux-Dubé édicte[7] :
« Pour conclure sur ce point, disons qu'il est possible de renoncer à une disposition d'ordre public économique de protection puisque sa violation n'est sanctionnée que par une nullité relative. En raison de la nature même de la protection accordée, toutefois, cette renonciation n'est valide que si elle est consentie après l'acquisition du droit et non avant. À mon avis, le juge Jacques de la Cour d'appel a correctement exposé l'état du droit lorsqu'il a écrit à la page 929 :
Il est maintenant acquis que la partie qui bénéficie
de la protection d'une loi d'ordre public économique de protection peut y
renoncer. Cependant, cette renonciation ne peut être anticipée. Elle ne peut
avoir lieu que lorsque le droit que cette loi accorde est né et peut être
exercé en toute connaissance de cause, tout comme, par analogie, un acte de
ratification d'une obligation annulable doit exprimer, entre autres,
l'intention de couvrir la cause de l'annulation (art.
[33] En ce qui concerne Mme Guy, elle a reçu le 3 mai 2010 un « avis de modification de loyer » où dans un espace encadré intitulé « Remarques » on ordonne aux locataires de lire le nouveau règlement en vigueur et de retourner les annexes A et B dument complétés. (notre soulignement)
[34] Or, la loi prescrit l'obligation pour toute personne d'exercer ses droits, selon les exigences de la bonne foi. Cette obligation de bonne foi doit gouverner la conduite des parties tant au moment de la naissance qu'à celui de son exécution ou de son extinction.[8]
[35] Pour Mme Therrien et Mme Denault, le Tribunal considère que le locateur a pris un moyen détourné afin de ne pas s’exposer à des contestations en faisant renoncer les locataires à l’avance à leurs droits de refuser la modification : il ne les a pas avisées d’une modification à venir, mais les a mises devant le fait accompli sans possibilité de contester.
[36] Pour Mme Guy, elle n’a pas reçu l’avis de modification dans le délai prescrit par la loi. De plus, même si la nouvelle règlementation est portée à l’attention de la locataire dans l’avis de modification de loyer, il est ambigu, car il n’indique pas qu’il s’agit d’une modification de bail, mais d’une modification de loyer et indique qu’une nouvelle règlementation est dorénavant applicable, qu’elle doit lire la nouvelle règlementation et compléter les annexes A et B et les retourner au locateur. Dans ce cas particulier, elle aurait quand même pu contester, mais l’avis est de toute façon hors délai.
[37] Le Tribunal est
d'opinion que le locateur devait suivre la procédure prévue à la loi et aviser
les locataires, clairement et précisément, sans ambiguïtés, et ce, conformément
à l'article
[38] Le Tribunal doit conclure que cette irrégularité à la procédure empêche le locateur de demander aux locataires qui n’avaient pas de droits acquis de se départir de leurs chiens.
[39] En ce qui concerne la modification au règlement adopté le 29 juin 2017, interdisant totalement la possession d’un chien et obligeant les locataires à se départir de leurs chiens dans un délai de 30 jours, le locateur se devait de respecter la procédure relative aux modifications de bail et le Tribunal estime qu’il ne l’a pas fait sous plusieurs aspects.
[40] Il se peut que le locateur ait avisé les locataires par écrit de cette modification de bail même s’il n’en fournit pas la preuve devant le Tribunal. Il est vrai que la pétition des locataires fait croire qu’elles ont effectivement reçu l’avis.
[41] Toutefois, les délais pour apporter une modification à un bail n’ont pas été respectés. Ces délais sont de trois mois ou au plus six mois avant l’arrivée du terme, ce qui obligeait le locateur à donner l’avis de modification entre le 1er janvier et le 31 mars 2018.
[42] La mise en demeure reçue par chacune des locataires à la fin septembre 2017, les enjoignant de respecter le nouveau règlement, n’est pas un avis de modification, mais une mise en demeure de respecter le nouveau règlement. Encore là, même s’il avait été un avis de modification, il ne respectait pas les délais prescrits.
[43] Le Tribunal doit conclure que cette irrégularité à la procédure empêche le locateur de demander aux locataires visées par le présent recours de se départir de leurs chiens, car la modification de leur bail ne leur est pas opposable, la procédure n’ayant pas été respectée.
Les ordonnances d’exécution en nature
[45] Pour les motifs ci-dessus mentionnés, une ordonnance enjoignant aux locataires de se départir de leurs chiens est rejetée.
La résiliation de bail
[46] Comme le Tribunal a conclu que les modifications au bail des locataires ne sont pas valides, le Tribunal ne peut pas analyser le litige sous l’angle d’une contravention au bail pouvant justifier une résiliation, cette demande sera donc rejetée.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
Dossier 374502
[47] REJETTE la demande du locateur qui en supporte les frais.
Dossier 363842
[48] REJETTE la demande du locateur qui en supporte les frais.
Dossier 378305
[49] REJETTE la demande du locateur qui en supporte les frais.
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Lucie Béliveau |
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Présence(s) : |
Me Alexandra Brassard-Lapointe, avocate des locateurs les locataires Me Émilie Fleury, avocate des locataires |
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Date de l’audience : |
22 mai 2019 |
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[1] « 57. Plusieurs demandes entre les mêmes parties, dans lesquelles les questions en litige sont en substance les mêmes, ou dont les matières pourraient être convenablement réunies en une seule, peuvent être jointes par ordre de la Régie, aux conditions qu'elle fixe.
La Régie peut en outre ordonner que plusieurs demandes portées devant elle, qu'elles soient mues ou non entre les mêmes parties, soient instruites en même temps et jugées sur la même preuve, ou que la preuve faite dans l'une serve dans l'autre, ou que l'une soit instruite et jugée la première, les autres étant suspendues jusque-là. »
[3] Article
[4] Code civil du Québec, CCQ - 1991.
[5] Article
[6] Garcia Transport ltée c. Cie Trust Royal, C.S. Can.,
1992-06-25,
[7] Idem.
[8] Articles
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.