Décision

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Émond c. R.

2021 QCCS 2746

COUR SUPÉRIEURE

 

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

 

No:

500-36-009250-195

 

(C.M. : 115-135-691)

 

DATE:

LE 8 JUIN 2021

___________________________________________________________________

 

 

Sous la présidence de l’honorable PIERRE LABRIE, J.C.S.

 

___________________________________________________________________

 

 

STEEVE ÉMOND

APPELANT-Accusé

           INTIMÉ INCIDENT-Accusé

c.

SA MAJESTÉ LA REINE

INTIMÉE-Poursuivante

          APPELANTE INCIDENTE-Poursuivante

 

___________________________________________________________________

 

JUGEMENT

___________________________________________________________________

 

 

INTRODUCTION

[1]    L’appelant se pourvoit à l’encontre d’un jugement de la Cour municipale de Montréal (l’honorable Line Charest, j.c.m.), rendu le 27 mars 2019, le déclarant coupable d’avoir conduit un véhicule à moteur alors qu’il avait les facultés affaiblies par l’alcool.

[2]    Dans un appel incident, la poursuivante se pourvoit à l’encontre d’un jugement rendu en cours d’instance, le 2 novembre 2018, accueillant une requête en exclusion de la preuve des prélèvements obtenus avec un appareil de détection approuvé (ADA), des taux d’alcoolémie obtenus par un alcootest et du certificat d’analyse.

LE CONTEXTE

[3]           Le 11 septembre 2015, aux alentours de minuit, M. Louis-Alain Robitaille se retrouve derrière le véhicule de l’appelant à un feu rouge sur le boulevard René-Lévesque à Montréal.

[4]           Lorsque le feu tourne au vert, M. Robitaille constate que l’appelant effectue un virage beaucoup trop large et que son véhicule percute le trottoir à mi-chemin entre René-Lévesque et Viger.

[5]           M. Robitaille décrit l’impact comme étant assez fort sur la roue du côté passager qui a fait en sorte de « lever » le véhicule. Il précise qu’il y avait des gens sur le trottoir qu’il décrit comme étonnés.

[6]           M. Robitaille mentionne qu’il aurait pu penser que le conducteur envoyait un message texte, mais, à l’époque, il a tout de suite pensé à l’ivresse au volant.

[7]           Il demande à son conjoint d’appeler le 911 et il a été en contact téléphonique avec les policiers jusqu’à ce que le véhicule qu’il suivait soit arrêté.

[8]           Selon son témoignage, l’appelant roulait plus vite que lui.

[9]           M. Robitaille relate que sur la rue Notre-Dame, l’appelant fait un autre virage, comme en demi-lune, et percute à nouveau le trottoir d’« aplomb », ce qui a causé une crevaison.

[10]        Il décrit que le véhicule roulait de façon bizarre et ne demeurait pas dans sa voie. À un certain moment, l’appelant tourne sur la rue Alphonse-D.-Roy, puis se dirige dans un stationnement extérieur.

[11]        M. Robitaille stationne son véhicule 30 pieds plus loin et attend les policiers.

[12]        Il constate que l’appelant sort tout de suite de son véhicule pour aller vérifier sa roue, du côté passager. Il fait ensuite sortir son chien par la valise de son véhicule.

[13]        M. Robitaille décrit le conducteur comme un homme un peu grassouillet, fin vingtaine, et l’identifie formellement au procès.

[14]        Lorsque les policiers arrivent sur place, quelques minutes plus tard, M. Robitaille quitte les lieux.

[15]        M. Robitaille habite à environ 15 minutes de cet endroit. Alors qu’il est en route et qu’il avait un tiers du trajet d’effectué, il reçoit un appel des policiers qui recherchaient une description du conducteur. M. Robitaille va rédiger un rapport de l’événement chez lui en présence des policiers.

[16]        Lors de son témoignage, il précise que l’appelant était seul dans son véhicule. Il maintient que ce dernier n’était pas attentif dans sa conduite automobile et qu’il pourrait s’agir d’une personne qui utilisait son téléphone cellulaire pour envoyer un message texte.

[17]        M. Robitaille indique qu’alors qu’il suivait le véhicule de l’appelant, il a dû accélérer, car ce dernier roulait plus vite que la vitesse permise. Il n’a jamais perdu de vue le véhicule de l'appelant.

[18]        M. Robitaille, lorsqu’on le lui suggère, peut supposer que la crevaison ait pu survenir lors du premier impact.

[19]        Le 11 septembre 2015, le sergent-détective Yannick Allard, du SPVM, était en patrouille dans le secteur du poste 22 avec l’agent Laghdir.

[20]        Ils ont été affectés sur l’appel 911 vers 12h40-12h42. Dès l’appel 911, le véhicule de l’appelant se trouvait aux limites entre le poste 22 et le poste 23. L’appel faisait mention d’une conduite erratique et d’ivresse. Le véhicule est décrit comme un Nissan Juke de couleur foncée. Les policiers sont arrivés au stationnement, situé dans le territoire du poste 23, à 12h47.

[21]        À leur arrivée, la porte de la valise arrière du véhicule est ouverte et un homme accompagné d’un chien se promène dans le stationnement.

[22]        L’agent Allard indique que le conducteur s’affairait autour du véhicule et, en s’approchant, il constate qu’il essaie de changer un pneu.

[23]        L’agent Allard relate à l'appelant le contenu de l’appel 911 et le fait qu’il soupçonne qu’il pouvait être en état d’ébriété au volant de son véhicule.

[24]        L’appelant lui déclare qu’il est à cet endroit depuis un moment et qu’il a consommé de l’alcool en attendant un ami.

[25]        L’agent Allard relate que son collègue a perçu une odeur d’alcool lorsqu’il a parlé à l’appelant, mais que lui-même ne l’a constaté que plus tard. Il décrit l'appelant comme ne présentant pas de signes d’ébriété avancée.

[26]        Pendant que l’agent Laghdir parle à l’appelant, il procède à la recherche d’une bouteille d’alcool ouverte aux alentours. Il n’en trouve aucune.

[27]        L’agent Laghdir a joint M. Robitaille pour s’assurer que la personne devant lui était bien celle qu’il avait vu conduire. Les policiers n’avaient pas parlé à M. Robitaille avant que celui-ci quitte les lieux.

[28]        Pendant ce temps, l'appelant continue à travailler sur la crevaison avec l’autorisation des policiers.

[29]        Après avoir parlé à M. Robitaille, l’agent Laghdir confirme à l'appelant qu’il est bien la personne visée par l’appel au 911. L’agent Laghdir fait ensuite la lecture à l'appelant de la carte visant l’ordre de fournir un échantillon d’haleine avec l’ADA.

[30]        L’agent Allard indique que lors de l’interception dans le stationnement, il n’a rien noté de particulier au cours de la remise de documents par l’appelant. L’appelant n’était pas dans un état d’ébriété avancé. Il n’a noté qu’une perte d’équilibre à un moment donné puis, l’appelant a marché normalement. Il était en mesure de s’accroupir pour changer le pneu sans tomber.

[31]        L’agent Allard n’a pas noté que l'appelant avait les yeux rouges ni qu’il avait une élocution « pâteuse ».

[32]        Selon l'agent Laghdir, lorsque l'appelant a fait entrer son chien dans son véhicule, il a perçu une légère odeur d’alcool, mais a considéré, à ce moment, que ce n’était pas suffisant pour un test avec l’ADA.

[33]        Il explique que la conduite de l'appelant pouvait se justifier par un nid-de-poule. Il ne s’en remet pas uniquement à l’opinion d’un tiers. Il ne veut pas arrêter quelqu’un de façon intempestive.

[34]        Après avoir parlé à M. Robitaille, l'agent Laghdir a discuté avec l'appelant et il a alors perçu une odeur d’alcool provenant de sa bouche.

[35]        Une demande pour qu’on apporte un ADA sur les lieux est faite au poste le plus proche, soit le poste 22, bien que techniquement, les policiers se trouvaient sur le territoire du poste 23. La distance n’est pas à plus de cinq kilomètres.

[36]        Pendant l’attente de l’ADA, l'agent Laghdir avise l’appelant qu’il ne peut le laisser partir.

[37]        Le premier ordre de fournir un échantillon d’haleine est donné à 1h05. Selon l'agent Allard, l’ADA est arrivé à 1h23.

[38]        L'agent Allard indique que l’ADA était en bon état de fonctionnement. Le résultat « Fail » a été obtenu à 1h26.

[39]        L’agent Laghdir a procédé à l’arrestation de l'appelant à 1h27 et lui a lu ses droits.

[40]        L'agent Allard de son côté a fait des démarches pour la prise en charge du véhicule de l'appelant. À cet égard, la présence du chien posait problème. Après des démarches infructueuses par l'appelant pour trouver quelqu’un qui prendrait charge de son chien, il fut décidé d’emmener celui-ci au centre d’enquête qui dispose d’installations pour recevoir les chiens.

[41]        La demande pour un autre véhicule de police est faite vers 1h30 et celui-ci arrive vers 1h40-1h45.

[42]        Les policiers ont quitté les lieux vers 1h40-1h45 et sont arrivés au poste de police vers 1h55.

[43]        Pendant le transport, l'agent Allard note une légère odeur d’alcool, mais pas une odeur qui a imbibé l’habitacle du véhicule.

[44]        Selon l’agent Allard, l'appelant n’a jamais manifesté son intention de parler à un avocat avant d’arriver au poste de police. Une fois au poste, les policiers ont insisté et l’appelant a finalement communiqué avec un avocat.

[45]        L'agent Allard évalue la durée de l’écrou à environ 10 minutes.

[46]        L’appelant a exercé son droit à l’avocat de 2h26 à 2h32.

[47]        L'agent Laghdir confirme avoir pris en considération la conduite erratique de l'appelant observée par M. Robitaille, le fait qu’il ait accroché le trottoir à deux reprises, qu’il ait endommagé une roue et l’odeur d’alcool. L'agent Laghdir affirme que cela lui a pris un certain temps pour consolider tous les faits.

[48]        Au poste de police, le technicien qualifié, Michel Forget, a procédé aux tests à l’aide de l’alcootest. Les résultats furent de 117 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang à 2h31 et de 111 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang à 2h51.

[49]        Au procès, l’appelant faisait face à une accusation d’avoir conduit un véhicule à moteur alors que ses capacités étaient affaiblies par l’effet de l’alcool. L’accusation d’avoir conduit un véhicule à moteur alors que son alcoolémie dépassait 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang a fait l’objet d’une requête en exclusion de la preuve qui a été accueillie par la juge de première instance.

L’APPEL PRINCIPAL

1.    Le jugement de première instance du 27 mars 2019

[50]        Après avoir résumé la preuve, la juge de première instance pose la question suivante : La poursuite a-t-elle, dans les circonstances, fait la preuve hors de tout doute raisonnable que l’accusé a conduit alors que ses facultés étaient affaiblies par l’alcool?

[51]        La juge de première instance souligne que les seuls symptômes observés par les policiers se résument à une odeur d’alcool et à une légère perte d’équilibre.

[52]        Elle indique que s’ajoute toutefois, au stade de la formation des soupçons, la conduite de l’accusé qui a percuté sévèrement, et à deux reprises, un trottoir et qui a excédé la vitesse permise sur la rue Notre-Dame Est.

[53]        La juge se demande ensuite si cette preuve suffit, à défaut d’explications ou de justifications, à inférer que l’accusé avait ses capacités de conduire affaiblies par l’effet de l’alcool ou d’une drogue au sens de l’article 253a) du Code criminel.

[54]        La juge de première instance indique que les critères devant être considérés sur cette question ont été précisés dans l’arrêt R. c. Stellato[1] et elle cite des extraits de cet arrêt.

[55]        La juge souligne que depuis cet arrêt, une jurisprudence constante veut que l’affaiblissement de la capacité de conduire n’a pas à être marqué.

[56]        Elle note que dans le présent dossier, il est admis que les symptômes d’ébriété constatés chez l’accusé ne sont pas les plus manifestes.

[57]        Elle ajoute toutefois, et c’est là sa conclusion, que les symptômes existent et qu’ils doivent être appréciés dans leur ensemble et non pas isolément.

[58]        À cet égard, la juge de première instance retient le témoignage de M. Robitaille qu’elle estime crédible, fiable et pondéré.

[59]        Elle souligne qu’il a constaté, à deux reprises, que l’accusé a effectué des virages beaucoup trop larges où son véhicule a frappé le trottoir. Dans le premier cas, le véhicule a été soulevé par la force de l’impact avec le trottoir et les piétons qui s’y trouvaient ont été surpris. Dans le second cas, la direction du véhicule a été modifiée et a nécessité que l’accusé s’immobilise pour changer le pneu avant du côté passager.

[60]        La juge note également que, selon le témoignage de M. Robitaille, l’accusé a excédé la vitesse permise sur la rue Notre-Dame Est.

[61]        Selon la juge, ces observations, ajoutées à celles des policiers, soit l’odeur d’alcool émanant de l’accusé et une légère perte d’équilibre, suffisent pour conclure que l’accusé a conduit son véhicule le 11 septembre 2015, alors que ses capacités étaient affaiblies par l’effet de l’alcool.

[62]        Référant à Hoummady c. R.[2], la juge de première instance convient qu’une personne raisonnable ne conclurait pas qu’une infraction de conduire avec les facultés affaiblies a été commise du seul fait qu’un conducteur a consommé de l’alcool avant de prendre le volant, et ce, même s’il y a eu un accident.

[63]        La juge souligne que toutefois, en l’espèce, il ne s’agit pas d’un accident, mais de deux accidents et d’un excès de vitesse que rien n’explique.

[64]        Elle conclut qu’il faut qualifier la conduite de l’accusé comme étant un écart marqué par rapport à la conduite à laquelle on est en droit de s’attendre.

[65]        Elle ajoute qu’elle n’a pas à chercher des explications ou des justifications théoriques et que sa conclusion doit reposer sur une preuve circonstancielle et les inférences logiques qu’elle en tire.

[66]        La juge déclare donc l’appelant coupable.

LES MOTIFS D’APPEL

[67]        L’appelant soulève les motifs d’appel suivants :

1.    La juge de première instance a-t-elle erré en faits et en droit en déterminant que la preuve présentée par l’intimée lui permettait de conclure hors de tout doute raisonnable à la culpabilité de l’appelant sur le premier chef d’accusation?

2.    La juge de première instance a-t-elle commis une erreur en droit en appliquant une norme de preuve incorrecte étant en présence d’une preuve uniquement circonstancielle en l’instance?

ANALYSE

a)    La norme d’intervention

[68]        Dans l’arrêt Benhaim c. St-Germain[3], la Cour suprême du Canada énonce ce qui suit :

[36]  La norme de contrôle applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte, alors que c’est la norme de l’erreur manifeste et dominante qui s’applique aux conclusions et inférences de fait (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 8, 10 et 19; St-Jean, par. 33-36). L’existence du lien de causalité est une question de fait, de sorte que la conclusion du juge du procès à cet égard commande la retenue en appel (St-Jean, par. 104-105; Clements c. Clements, 2012 CSC 32, [2012] 2 R.C.S. 181, par. 8; Ediger c. Johnston, 2013 CSC 18, [2013] 2 R.C.S. 98, par. 29).

[37]  Il peut être utile de rappeler les nombreuses raisons pour lesquelles les cours d’appel s’en remettent aux conclusions de fait des tribunaux de première instance, raisons que notre Cour a longuement décrites dans l’arrêt Housen, par. 15-18. La retenue à l’égard des conclusions de fait réduit le nombre, la durée et le coût des appels, ce qui favorise l’autonomie du procès et son intégrité. Qui plus est, il est présumé en droit que les juges de première instance et les juges d’appel sont également capables d’apporter des solutions justes aux litiges. Donner aux cours d’appel toute latitude pour infirmer les conclusions de fait des tribunaux de première instance reviendrait à reprendre le procès à grands frais, sans garantie de solutions plus justes. Enfin, en traitant avec déférence les conclusions de fait du juge de première instance, on reconnaît qu’il est le mieux placé pour tirer des conclusions de fait. Il est plongé dans la preuve, entend les témoins et connaît le dossier dans son ensemble. Son expertise lorsqu’il s’agit d’apprécier de grandes quantités d’éléments de preuve et de tirer des conclusions de fait commande le respect. Ces considérations revêtent une importance particulière en l’espèce, vu le dossier de preuve volumineux et complexe.

[38]  Il est tout aussi utile de rappeler ce qu’on entend par « erreur manifeste et dominante ». Le juge Stratas décrit la norme déférente en ces termes dans l’arrêt South Yukon Forest Corp. c. R., 2012 CAF 165, 4 B.L.R. (5th) 31, par. 46 :

                    L’erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue […] Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier.

[39]  Ou, comme le dit le juge Morissette dans l’arrêt J.G. c. Nadeau, 2016 QCCA 167, par. 77 (CanLII), « une erreur manifeste et dominante tient, non pas de l’aiguille dans une botte de foin, mais de la poutre dans l’œil. Et il est impossible de confondre ces deux dernières notions. »

[69]        La Cour d’appel du Québec a réitéré ce qui suit dans l’arrêt Gercotech inc. c. Kruger inc. Master Trust (CIBC Mellon Trust Company)[4]:

[6]  Les normes d’intervention applicables en appel sont bien connues.

[7] D’une part, à l’égard des pures questions de droit, notre Cour n’interviendra que si la partie appelante parvient à démontrer l’existence d’une telle erreur et que cette erreur a influé sur l’issue du litige.

[8] D’autre part, rappelons ce qu’est une erreur « manifeste et déterminante », soit la norme d’intervention à l’égard des questions de fait, ou mixtes de fait et de droit :

a)     une erreur est « manifeste » lorsque le plaideur peut l’identifier « avec une grande économie de moyens, sans que la chose ne provoque un long débat de sémantique, et sans qu’il soit nécessaire de revoir des pans entiers d’une preuve documentaire et testimoniale qui est partagée et contradictoire, … »; c’est une erreur « that is obvious », qui peut être « montrée du doigt » et qui tient « non pas de l’aiguille dans une botte de foin, mais de la poutre dans l’œil »;

b)     une erreur manifeste est « déterminante » lorsqu’elle a un impact « fatal » sur une conclusion de fait, ou mixte de fait et de droit, lorsqu’elle « fait obstacle, de manière dirimante, à la conclusion du juge sur une question de fait et qu’elle est de nature à influer sur l’issue du litige »; pour démontrer une telle erreur, le plaideur ne doit pas se limiter à « … pull at leaves and branches and leave the tree standing. The entire tree must fall ».

                                                                          (Nos soulignements)

[9]  ll n’appartient donc pas à une cour d’appel de refaire le procès, ce à quoi les appelants nous invitent en l’espèce. Les juges Iacobucci et Major le rappelaient comme suit pour la majorité dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen :

18. Le juge de première instance est celui qui est le mieux placé pour tirer des conclusions de fait, parce qu’il a l’occasion d’examiner la preuve en profondeur, d’entendre les témoins de vive voix et de se familiariser avec l’affaire dans son ensemble. Étant donné que le rôle principal du juge de première instance est d’apprécier et de soupeser d’abondantes quantités d’éléments de preuve, son expertise dans son domaine et sa connaissance intime du dossier doivent être respectées.

[10]  Enfin, est-il besoin de rappeler que c’est la partie appelante qui porte le lourd fardeau de démonstration d’une erreur révisable.

[Références omises]

 

[70]        Gardant ces principes à l’esprit, le Tribunal aborde maintenant les motifs d’appel.

b)   Le premier motif d’appel

1.    La juge de première instance a-t-elle erré en fait et en droit en déterminant que la preuve présentée par l’intimée lui permettait de conclure hors de tout doute raisonnable à la culpabilité de l’appelant sur le premier chef d’accusation?

[71]        L’appelant soumet que le verdict de culpabilité repose uniquement sur les quatre éléments suivants :

·        Un excès de vitesse;

·        Deux accidents;

·        Une odeur d’alcool;

·        Une légère perte d’équilibre.

[72]        Selon l’appelant, rien dans la preuve ne permet de conclure qu’il y a eu « excès de vitesse » et surtout, que ce présumé excès de vitesse puisse être interprété comme un indice d’affaiblissement de ses capacités de conduire un véhicule automobile en lien avec l’alcool.

[73]        L’appelant concède que la preuve révèle qu’il roulait effectivement plus vite que la vitesse permise. Toutefois, il soumet qu’en aucun temps, l’écart entre la vitesse permise et la vitesse à laquelle il conduisait n’a été prouvé.

[74]        Par ailleurs, l’appelant soumet que la notion même d’« excès de vitesse » est à géométrie variable et, à cet égard, il réfère à l’article 328.1 du Code de la sécurité routière[5] (C.S.R.) où l’on retrouve différentes fourchettes de vitesse pour définir les grands excès de vitesse.

[75]        Quant à la question des deux accidents, l’appelant pose la question à savoir si le fait de percuter le trottoir à deux reprises pouvait raisonnablement être interprété comme deux accidents par la juge de première instance. Au surplus, l’appelant soulève la question de savoir si ces deux accidents pouvaient être interprétés comme étant causés par l’affaiblissement de sa capacité de conduire par l’alcool.

[76]        L’appelant réfère aux définitions des termes « accident » et « incident » de l’Office québécois de la langue française.

[77]        Il réfère également à la définition d’accident que l’on trouve à l’article 67 du C.S.R.

[78]        L’appelant soumet que la juge de première instance ne pouvait raisonnablement conclure que le fait de heurter à deux reprises le trottoir avec le pneu avant de son véhicule, de surcroît du côté où il y avait une crevaison, constituait deux accidents.

[79]        L’appelant réfère aux éléments de preuve suivants :

·        L’appelant a circulé à une vitesse qui dépassait la vitesse maximale permise, sans aucune autre précision;

·        Le pneu avant -côté passager -du véhicule de l’appelant aurait percuté le trottoir à deux reprises ;

·        Le pneu avant -côté passager -du véhicule de l’appelant avait une crevaison, sans aucune précision sur le moment de survenance de cette crevaison;

·        Il s’est arrêté à la première occasion possible, de façon sécuritaire dans un stationnement d’entreprise, afin de changer sa crevaison;

·        Une odeur d’alcool (non détectée d’emblée par l’agent Laghdir) émanait de l’haleine de l’appelant ;

·        L’appelant aurait légèrement perdu l’équilibre, une seule fois;

·        Tout au long de l’intervention des policiers, l’appelant continue à changer son pneu crevé;

·        L’appelant ne rencontre aucune difficulté à rester accroupi pendant un long moment pendant qu’il le fait et ne rencontre aucune difficulté d’exécution ;

·        Il parlait normalement;

·        Il a remis normalement son permis de conduire, son certificat d’immatriculation et sa preuve d’assurance ;

·         Il n’avait pas la bouche pâteuse ;

·        Il n’avait pas les yeux rouges et/ou vitreux ;

·        Ses gestes et son élocution ne dénotaient aucune lenteur ;

·        Pendant la totalité de l’intervention policière, notamment dans le véhicule patrouille et une fois rendu au centre opérationnel, les policiers n’ont noté aucun symptôme d’ébriété par l’alcool[6].

[Soulignements de l’appelant]

[80]        Selon l’appelant, non seulement la juge n’a pas considéré l’ensemble des éléments de preuve qui lui furent présentés, mais elle n’a pas interprété de façon raisonnable les éléments qu’elle a retenus.

[81]        À cet égard, l’appelant réitère que la juge de première instance fait reposer son verdict de culpabilité uniquement sur :

·        Un excès de vitesse;

·        Deux accidents;

·        Une odeur d’alcool;

·        Une légère perte d’équilibre.

[82]        Or, selon l’appelant, la question de l’excès de vitesse et celle des deux accidents ont été interprétées de façon erronée et déraisonnable par la juge et ceci a eu un impact significatif sur son jugement.

[83]        L’appelant pose la question de savoir comment une conclusion basée sur des prémisses incorrectes, à au moins 50%, peut s’avérer valide. Il soumet que comme les prémisses de départ sont fausses, la conclusion est nécessairement viciée.

[84]        Il ajoute que la juge a omis de considérer une partie importante de la preuve et, à cet égard, il réfère à Lafleur c. R.[7]

[85]        L’appelant réfère au fardeau de preuve hors de tout doute raisonnable et aux arrêts R. c. Lifchus[8] et R. c. Starr[9].

[86]        L’appelant cite l’arrêt R. c. Jobin[10] et le jugement dans Denis c. R.[11], selon lesquels le comportement qui est criminalisé n’est pas de conduire alors que les capacités sont affaiblies, mais bien de conduire alors que les capacités sont affaiblies par l’alcool ou la drogue.

[87]        L’appelant reproche par ailleurs à la juge de première instance d’avoir fait un commentaire voulant qu’il serait plus facile pour un camionneur de changer un pneu que pour quelqu’un qui ne l’est pas. Selon l’appelant, il s’agit là d’une autre erreur commise par la juge.

[88]        À cet égard, il réfère à Schiro c. Ville de Montréal[12] où l’on rappelle, notamment, qu’un juge doit se baser sur la preuve et éviter les considérations, comme le métier ou les connaissances juridiques d’un accusé, qui ne ressortent pas de la preuve.

[89]        Selon l’appelant, le fait qu’un camionneur sache nécessairement comment changer un pneu n’est pas de connaissance judiciaire et, en l’absence de preuve à cet effet, la juge ne pouvait tirer une telle inférence.

[90]        L’appelant soumet que la preuve faite en première instance ne permettait  pas à la juge de le déclarer coupable hors de tout doute raisonnable de conduite avec les capacités affaiblies par l’alcool.

[91]        Pour les motifs qui suivent, le premier motif d’appel doit être rejeté.

[92]        Sur la question de l’excès de vitesse, le Tribunal est d’avis que la juge de première instance pouvait se fonder sur le témoignage de M. Robitaille qui, par ailleurs, est non contredit.

[93]        Il est reconnu qu’une personne, qui n’est pas un témoin expert, peut être admise à donner un témoignage d’opinion fondé sur ses connaissances personnelles sur certains sujets dont, notamment, la vitesse d’un véhicule[13].

[94]        Par ailleurs, pour les fins du présent dossier, il n’était pas requis d’établir avec précision l’écart entre la limite de vitesse permise et la vitesse du véhicule de l’appelant.

[95]        Certes, peut-être qu’un écart important serait plus significatif qu’un écart moins important, mais en l’espèce, la juge de première instance retient que l’appelant roulait plus vite que la vitesse permise. Cette conclusion ne doit pas être isolée des autres éléments retenus par la juge, comme les deux accidents, l’odeur d’alcool et la légère perte d’équilibre.

[96]        La conclusion de la juge de première instance de retenir que l’appelant roulait plus vite que la vitesse permise n’est pas déraisonnable en l’espèce. La juge n’a commis aucune erreur manifeste et déterminante à ce chapitre et sa conclusion mérite la déférence.

[97]        Quant à la question des deux accidents, l’exercice de sémantique de l’appelant ne lui est d’aucun secours.

[98]        Le Tribunal est d’avis qu’il faut donner au mot accident son sens courant.

[99]        L’appelant a frappé violemment le trottoir à deux reprises.

[100]     Le fait de qualifier les deux événements d’« accident » n’a rien de déraisonnable. Il ne s’agit pas ici de jouer sur les mots, mais plutôt d’analyser la conduite du véhicule par l’appelant.

[101]     La juge de première instance ne commet ici aucune erreur manifeste et déterminante et, encore une fois, ses conclusions de faits méritent la déférence.

[102]     L’appelant, au paragraphe 156 de son mémoire, énumère certains éléments de preuve, que le Tribunal a reproduits plus avant[14], puis reproche à la juge de première instance d’avoir omis de considérer des éléments de preuve, sans toutefois préciser lesquels.

[103]     Or, une lecture attentive du jugement démontre que l’ensemble des éléments cités au paragraphe 156 du mémoire de l’appelant ont été considérés par la juge de première instance.

[104]     Ainsi, on peut lire qu’elle mentionne :

·        Que l’appelant excédait la vitesse permise sur la rue Notre-Dame Est[15];

·        Qu’il a percuté sévèrement le trottoir à deux reprises[16];

·        Qu’il a eu une crevaison[17];

·        Qu’il s’est arrêté à proximité de l’endroit où a eu lieu le deuxième impact, dans le stationnement d’une entreprise, pour y changer son pneu[18];

·        Qu’il a continué à changer son pneu après l’arrivée des policiers et qu’il n’avait pas de difficulté à rester accroupi pour ce faire[19];

·        Que l’appelant parlait normalement[20];

·        Que l’appelant a remis ses papiers correctement[21];

·        Que l’appelant n’avait pas la bouche pâteuse[22];

·        Que l’appelant n’avait pas les yeux rougis ou vitreux[23];

·         Que l’appelant n’avait pas de difficulté de langage[24].

[105]     De fait, selon la juge, les seuls symptômes observés se résument à une odeur d’alcool émanant de l’appelant et à une légère perte d’équilibre[25].

[106]     Elle précise par ailleurs que ces symptômes ne sont pas les plus manifestes[26].

[107]     Si tant est que les éléments de preuve que la juge de première instance aurait omis de considérer sont ceux mentionnés au paragraphe 156 du mémoire de l’appelant, force est de constater qu’une telle affirmation est erronée.

[108]     Que la juge de première instance n’ait pas tiré de ces éléments les inférences qu’aurait souhaité l’appelant est une toute autre question.

[109]     Il s’agit ici de l’appréciation de la preuve par la juge de première instance et, à ce chapitre, le Tribunal conclut que la juge n’a commis aucune erreur manifeste et déterminante dans son appréciation des faits. Les conclusions de faits de la juge méritent la déférence.

[110]     Quant à la question du fardeau de preuve en lien avec l’affaiblissement des capacités de conduire par l’alcool ou la drogue, le Tribunal estime que la juge de première instance s’est bien dirigée en droit.


 

[111]     Ainsi, après avoir résumé la preuve, la juge de première instance pose la question en litige en ces termes :

« La poursuite a-t-elle, dans les circonstances, fait la preuve hors de tout doute raisonnable que le défendeur a conduit alors que ses facultés étaient affaiblies par l’alcool? »[27]

[Nos soulignements]

[112]     Par ailleurs, dans son jugement, la juge, tel que mentionné plus avant, réfère aux critères énoncés dans l’arrêt Stellato[28]:

The Court notes in Smith that if Parliament intended to provide any impairment however slight, it could have done so. On the other hand, if Parliament had intended to prescribe impairment driving only where accompanied by a marked departure from the norm, it also could have done so. With all due respect to those who hold a counter-review, it is my opinion that the interpretation of section 253a) which was (inaudible) in Winlaw (ph), Bluejail (ph) and Campbell, I... the correct one, specially I agree with Mitchell (ph) G.A. in Campbell that the Criminal Code does not prescribe any special test for determining impairment. In the word of Mitchell, impairment is an issue of fact which the trial judge must decide on the evidence and the standard of
proof is neither more or less than that required for any other element of criminal offence. Courts should not apply tests which imply a tolerance that does not exist in law.

[…]

If the evidence of impairment is so frail as to leave the trial judge with some reasonable doubt as to impairment, the accused must be acquitted. If the evidence of impairment established any degree of impairment ranging from slight to (inaudible) the offence has been made out[29].

[113]     La juge réfère également au passage suivant de Hoummady c. La Reine[30] :

Une personne raisonnable ne conclurait pas qu'une infraction de conduire avec les facultés affaiblies a été commise du seul fait qu'un conducteur a consommé de l'alcool avant de prendre le volant, et ce, même s'il y a eu un accident.[31]

[114]     Considérant ce qui précède, le Tribunal en arrive à la conclusion que la juge de première instance n’a commis aucune erreur en droit quant au fardeau de preuve que devait rencontrer la poursuivante pour établir la culpabilité de l’appelant d’avoir conduit un véhicule alors que sa capacité de conduire était affaiblie par l’effet de l’alcool.

[115]     Quant à la question du commentaire de la juge sur la capacité d’un camionneur à changer un pneu, le Tribunal note ce qui suit.

[116]     Premièrement, il faut replacer ce commentaire dans son contexte.

[117]     En effet, celui-ci faisait suite à des commentaires de l’avocate de l’appelant qui référait à sa situation personnelle :

Me Myre

Pace (sic) que vous me dites qu’il change son pneu, il ne semble pas…écoutez, moi, à jeun, j’ai de la difficulté à changer un pneu. Je fais une confession à la cour. Ça n’a rien à voir avec le fait que (sic) sois une femme. Je suis convaincue qu’il y a des femmes très compétentes pour faire ça, mais…

La Cour

Oui, mais elles ne sont peut-être pas chauffeurs de camion.

Me Myre

Elles ne sont peut-être pas chauffeurs de camion effectivement.[32]

[118]     Par ailleurs, ce commentaire s’inscrivait dans un débat sur la suffisance des motifs où, dans le cadre d’un voir-dire, une déclaration de l’appelant, selon laquelle il est chauffeur de camion, fut mise en preuve au niveau de l’existence des soupçons.

[119]     Enfin, dans son jugement, la juge de première instance ne fait aucune mention de l’occupation de l’appelant ni d’une aisance particulière à changer un pneu du fait de son emploi.

[120]     Aucune inférence négative n’a été tirée de ce commentaire par la juge.

[121]     Dans les circonstances, le Tribunal est d’avis que ce commentaire de la juge ne constitue pas une erreur révisable justifiant l’intervention du Tribunal.

[122]     La juge de première instance ne commet aucune erreur manifeste et déterminante dans son analyse de la preuve menant à sa conclusion que la poursuivante a prouvé hors de tout doute raisonnable que l’appelant a conduit son véhicule automobile alors que sa capacité de conduire était affaiblie par l’effet de l’alcool.

[123]     Elle ne commet non plus aucune erreur en droit en arrivant à cette conclusion.

[124]     Son verdict n’est pas déraisonnable eu égard à la preuve.

[125]      Le premier motif d’appel est donc rejeté.


 

c)    Le deuxième motif d’appel

2.    La juge de première instance a-t-elle commis une erreur en droit en appliquant une norme de preuve incorrecte étant en présence d’une preuve uniquement circonstancielle en l’instance?

[126]     L’appelant soumet que la juge de première instance commet une erreur en droit lorsqu’elle mentionne ce qui suit :

« Le Tribunal n’a pas à chercher des explications, des justifications théoriques, sa conclusion doit reposer sur une preuve circonstancielle et les inférences qu’il en tire. »[33]

[Soulignements de l’appelant]

[127]     Selon l’appelant, s’agissant d’une preuve circonstancielle, la culpabilité devrait être la seule inférence logique découlant de la preuve.

[128]     L’appelant ajoute que la juge devrait se demander si elle pouvait raisonnablement tirer de la preuve une autre inférence que sa culpabilité.

[129]     L’appelant soumet deux exemples d’inférences possibles qui ressortaient directement de la preuve de la poursuivante :

·        L’appelant utilisait son téléphone cellulaire au volant pour envoyer un message texte, comme l’évoque le témoin Robitaille;

·        L’appelant tentait d’éviter un ou des nids-de-poule, comme l’évoque l'agent Laghdir.

[130]     Selon l’appelant, il existait donc d’autres inférences possibles résultant de la preuve et, en conséquence il devait être acquitté.

[131]     L’appelant ajoute qu’en matière de preuve circonstancielle, il existe une crainte légitime et particulière inhérente au processus de raisonnement par inférences. Selon lui, on craint qu’inconsciemment, le jury (ou le juge seul) « comble les vides » de la preuve ou supplée aux lacunes de celle-ci d’une manière qui appuie l’inférence que le Ministère public l’invite à tirer.

[132]     À cet égard, l’appelant réfère à l’affaire Hodge[34].

[133]     Selon l’appelant il est tout à fait raisonnable d’inférer de la preuve, telle que présentée et sans aucune distorsion intellectuelle, soit que les deux virages larges effectués avec son véhicule étaient dus à la crevaison du pneu avant droit du côté passager; ou que le premier virage large était causé par son inattention et que le deuxième virage large était dû à la crevaison; ou que les deux virages larges ont été faits parce qu’il tentait d’éviter quelque chose sur la chaussée, comme des nids-de-poule; ou qu’il était en train de « texter » au volant ou encore, toute autre combinaison de ces facteurs.

[134]     Pour les motifs qui suivent, ce deuxième motif d’appel doit être rejeté.

[135]     Dans son jugement, la juge de première instance s’exprime comme suit :

De fait, le seul symptôme observé se résume à une odeur d'alcool émanant du défendeur et une légère perte d'équilibre. S'ajoute toutefois, au stade de la formulation des soupçons, la conduite du défendeur qui a percuté sévèrement et à deux reprises un trottoir et qui a excédé la vitesse permise sur la rue Notre-Dame est.

Cette preuve suffit-elle, à défaut d'explications ou de justifications, à inférer que le défendeur avait ses capacités de conduire affaiblies par l'effet de l'alcool ou d'une drogue au sens de 253a du Code criminel? (…)[35]

[136]     L’appelant n’ayant pas présenté de défense, la juge note le défaut d’explications ou de justifications.

[137]     La juge de première instance conclut à la culpabilité de l’appelant en tirant des inférences des deux impacts du véhicule avec le trottoir, du fait que l’appelant excédait la vitesse permise, de l’odeur d’alcool et de la perte d’équilibre :

À ce propos, le tribunal retient le témoignage de monsieur Robitaille qu'il estime crédible, fiable et pondéré. Ce dernier a témoigné à l'effet que le défendeur a opéré à deux reprises des virages beaucoup trop larges, au point où, dans un des cas, le devant du véhicule a été soulevé par la force de l'impact avec le trottoir et a surpris les piétons qui s'y trouvaient et, pour le deuxième impact, la direction du véhicule a été modifiée et a nécessité que le défendeur s'immobilise pour changer le pneu avant côté passager.

Monsieur Robitaille témoigne aussi que le défendeur a excédé la vitesse permise sur la rue Notre-Dame en direction est. Ces observations ajoutées à celles des policiers, que l'on pense à l'odeur d'alcool qui émane du défendeur et à une légère perte d'équilibre, suffisent à conclure que monsieur Émond a conduit le 11 septembre 2015 alors que ses capacités étaient affaiblies par l'effet de l’alcool.[36]

[138]     La juge avait bien précisé que, bien que les symptômes d’ébriété manifestés par l’appelant n’étaient pas les plus manifestes, ils existent et doivent être appréciés dans leur ensemble et non pas isolément.

[139]     La juge de première instance est donc très claire quant aux symptômes qu’elle retient aux fins de tirer l’inférence de culpabilité.

[140]     Ainsi, lorsqu’elle mentionne qu’elle n’a pas à chercher des justifications ou des explications théoriques, on doit faire le lien avec l’affirmation suivante :

Cette preuve suffit-elle, à défaut d'explications ou de justifications, à inférer que le défendeur avait ses capacités de conduire affaiblies par l'effet de l'alcool ou d'une drogue au sens de 253a) du Code criminel?[37]

[141]     Ceci doit nécessairement faire référence au fait que l’appelant incitait la juge à conclure à d’autres inférences que la culpabilité, fondées soit sur le fait qu’il « textait », soit que la conduite erratique résultait de la crevaison, ou soit qu’il tentait d’éviter des nids-de-poule.

[142]     Dans l’arrêt R. c. Villaroman[38], la Cour suprême du Canada énonce ce qui suit :

[30]    Il s’ensuit que, dans une affaire où la preuve d’un ou de plusieurs éléments d’une infraction dépend exclusivement ou largement d’éléments de preuve circonstancielle, il est généralement utile d’avertir les jurés d’éviter de tirer trop hâtivement des inférences de culpabilité. Aucune formulation particulière n’est requise. Dire au jury qu’une inférence de culpabilité tirée d’éléments de preuve circonstancielle doit être la seule inférence raisonnable qui peut être tirée de ces éléments constituera dans la plupart des cas une manière succincte et précise d’aider le jury à éviter de « combler les vides » en écartant trop rapidement d’autres inférences raisonnables. Un exemple pourrait être utile afin d’illustrer la crainte qu’un jury tire des conclusions hâtives. Prenons le cas d’une personne qui regarde par la fenêtre et voit que la chaussée est mouillée. Il est possible qu’elle conclue hâtivement qu’il a plu. Mais elle pourrait ensuite remarquer que les trottoirs sont secs ou encore entendre au loin un bruit intense, susceptible d’être causé par un véhicule nettoyant la chaussée, et alors réexaminer sa conclusion prématurée. À elle seule, la constatation que la chaussée est mouillée n’exclut pas d’autres explications raisonnables, outre celle qu’il a plu. Les inférences pouvant être tirées de cette constatation doivent être considérées au regard tant de l’ensemble de la preuve disponible que de l’absence de preuve, appréciées logiquement, ainsi qu’au regard de l’expérience humaine et du bon sens.

 

[…]    

 

[35]    Il est arrivé que des tribunaux ont affirmé que, dans les affaires reposant sur des éléments de preuve circonstancielle, [traduction] « les solutions compatibles avec l’innocence de l’accusé doivent être logiques et fondées sur des déductions tirées des faits prouvés » : voir R. c. McIver, [1965] 2 O.R. 475 (C.A.), p. 479; conf., sans analyse de cette question, par [1966] R.C.S. 254. Toutefois, ce point de vue n’est plus accepté. Pour évaluer une preuve circonstancielle, des inférences compatibles avec l’innocence n’ont pas à découler de faits établis : R. c. Khela, 2009 CSC 4, [2009] 1 R.C.S. 104, par. 58; voir également R. c. Defaveri, 2014 BCCA 370, 361 B.C.A.C. 301, par. 10; R. c. Bui, 2014 ONCA 614, 14 C.R. (7th) 149, par. 28. Exiger que des faits établis appuient des explications autres que la culpabilité a pour effet d’imposer à tort à l’accusé l’obligation de prouver des faits et va à l’encontre de la règle selon laquelle l’existence ou non d’un doute raisonnable est déterminée eu égard à l’ensemble de la preuve. Pour ce qui est de la preuve circonstancielle, il s’agit de considérer l’éventail des conclusions raisonnables qui peuvent être tirées de cette preuve. S’il existe d’autres conclusions raisonnables que la culpabilité, la preuve du ministère public ne satisfait pas à la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable.

 

[36]    Je suis d’accord avec l’intimé pour dire qu’un doute raisonnable, ou une autre thèse que la culpabilité, ne devient pas « conjectural » du seul fait que ce doute ou cette thèse repose sur une absence de preuve. Comme l’a fait remarquer notre Cour dans l’arrêt Lifchus, un doute raisonnable « est un doute fondé sur la raison et le bon sens, et qui doit reposer logiquement sur la preuve ou l’absence de preuve » : par. 30 (je souligne). Une lacune particulière dans la preuve peut fonder d’autres inférences que la culpabilité. Mais ces inférences doivent être raisonnables compte tenu d’une appréciation logique de la preuve ou de l’absence de preuve, et suivant l’expérience humaine et le bon sens.

 

[37]    Lorsqu’il apprécie des éléments de preuve circonstancielle, le juge des faits doit considérer [traduction] « [d’]autre[s] thèse[s] plausible[s] » et d’« autres possibilités raisonnables » qui ne sont pas compatibles avec la culpabilité : R. c. Comba, [1938] O.R. 200 (C.A.), p. 205 et 211, le juge Middleton, conf. par [1938] R.C.S. 396; R. c. Baigent, 2013 BCCA 28, 335 B.C.A.C. 11, par. 20; R. c. Mitchell, [2008] QCA 394 (AustLII), par. 35. Je conviens avec l’appelant qu’il peut donc être nécessaire pour le ministère public de réfuter ces possibilités raisonnables, mais il n’a certainement pas à « réfuter toutes les hypothèses, si irrationnelles et fantaisistes qu’elles soient, qui pourraient être compatibles avec l’innocence de l’accusé » : R. c. Bagshaw, [1972] R.C.S. 2, p. 8. Une « autre thèse plausible » ou une « autre possibilité raisonnable » doit être basée sur l’application de la logique et de l’expérience à la preuve ou à l’absence de preuve, et non sur des conjectures.

 

[38]    Il va de soi que la ligne de démarcation entre une « thèse plausible » et une « conjecture » n’est pas toujours facile à tracer. Cependant, la question fondamentale qui se pose est celle de savoir si la preuve circonstancielle, considérée logiquement et à la lumière de l’expérience humaine et du bon sens, peut étayer une autre inférence que la culpabilité de l’accusé.

 

[39]    J’ai trouvé deux énoncés particulièrement utiles de ce principe.

 

[40]    Le premier est tiré d’un vieil arrêt australien, l’affaire Martin c. Osborne (1936), 55 C.L.R. 367 (H.C.), p. 375 :

                    [traduction] Pour inculper une personne, les circonstances constituant la preuve ne doivent appuyer aucune autre explication raisonnable. Cela signifie que, dans le cours ordinaire de la vie, le degré de probabilité que les faits établis s’accompagnent du fait qui doit être établi est si élevé qu’on ne saurait raisonnablement supposer le contraire. [Je souligne.]

 

[41]    Bien qu’une telle façon de s’exprimer ne soit pas appropriée dans une directive à des jurés, j’estime que l’idée exprimée dans ce passage — à savoir que pour justifier une déclaration de culpabilité, la preuve circonstancielle, appréciée à la lumière de l’expérience humaine, doit être telle qu’elle exclut toute autre possibilité raisonnable — constitue une façon utile de décrire la ligne de démarcation entre une thèse plausible et une conjecture.

 

[42]    Le deuxième énoncé est tiré de l’arrêt R. c. Dipnarine, 2014 ABCA 328, 584 A.R. 138, par. 22 et 24-25. Dans cette affaire, la cour a déclaré [traduction] « [qu’il] n’est pas nécessaire que la preuve circonstancielle exclue toute autre inférence imaginable »; que le juge des faits ne devrait pas s’appuyer sur d’autres interprétations des faits qu’il considère déraisonnables; et que les autres inférences susceptibles d’être envisagées doivent être raisonnables, non pas seulement possibles.

 

[43]    La façon dont il convient de tracer la ligne de démarcation entre une conjecture et une inférence raisonnable dans un cas précis ne saurait être décrite plus clairement qu’elle ne l’est dans les passages cités plus haut.

[143]     Il y a lieu de référer à l’arrêt Bélanger c. R.[39] où la Cour d’appel énonce ce qui suit :

[41]    Les principes applicables à la possibilité pour une cour d’appel de réformer l’appréciation de la preuve par le juge du procès sont bien connus. Ce corridor est étroit et la barre à franchir au bout du corridor est haute. Les principes ont été rappelés clairement et simplement par la Cour suprême dans R. c. Clark :

[9]         […] Les cours d’appel ne peuvent pas modifier les inférences et conclusions de fait du juge du procès, à moins qu’elles soient manifestement erronées, non étayées par la preuve ou par ailleurs déraisonnables. De plus, l’erreur imputée doit être clairement relevée. Il faut aussi démontrer qu’elle a influé sur le résultat.[…].

                                                                          [Nos soulignements]

[42]    Dans l’arrêt récent Dubourg c. R., notre Cour rappelait les principes applicables lorsqu’un appelant soutient que le verdict est déraisonnable parce que le juge du procès ne pouvait conclure que sa culpabilité est la seule conclusion raisonnable pouvant être tirée de la preuve circonstancielle:

[18]   Les principes qui s’appliquent à ce moyen d’appel sont bien connus. Un verdict est déraisonnable s’il ne peut s’appuyer sur une évaluation pondérée et soigneuse de l’ensemble des éléments de preuve ou s’il se fonde sur un raisonnement illogique. L’exercice requiert une importante déférence envers l’appréciation de la preuve faite en première instance par le juge des faits. Il ne s’agit pas de savoir si la Cour en serait arrivée au même verdict, mais si une évaluation raisonnable de la preuve peut y mener. Le passage suivant dans Richard, fréquemment cité, résume avec justesse les principes applicables :

[…]       

[25]      Il y a lieu de retenir des arrêts plus récents de la Cour suprême dans R. c. SinclairR. c. R. (P.) et R. c. W. (H.), les enseignements suivants :

1.         Le tribunal d’appel doit d’abord déterminer si le verdict est un de ceux qu’un jury ayant reçu les directives appropriées et agissant de manière judiciaire aurait rendus au vu de l’ensemble de la preuve;

2.         Le verdict est déraisonnable si le juge des faits a tiré une inférence essentielle au verdict qui est clairement contredite par la preuve invoquée à l’appui de l’inférence;

3.         Le verdict est déraisonnable si le raisonnement qui le soutient est à ce point irrationnel ou incompatible avec la preuve qu’il a pour effet de vicier le verdict;

4.         Il faut faire preuve d’une grande déférence dans l’appréciation de la crédibilité faite en première instance lorsqu’il s’agit de déterminer si le verdict est déraisonnable;

5.         La cour d’appel qui se prononce sur un verdict de culpabilité doit dûment prendre en compte la position privilégiée des juges des faits qui ont assisté au procès et entendu les témoignages et ne doit pas conclure au verdict déraisonnable pour le seul motif qu’elle entretient un doute raisonnable après l’examen du dossier. Elle doit plutôt examiner et analyser la preuve et se demander, à la lumière de son expérience, si l’appréciation judiciaire des faits exclut la déclaration de culpabilité.

                                                                  [Nos soulignements]

[43]    La Cour ajoutait les considérations particulières suivantes dans cet arrêt Dubourg lorsque les accusations sont fondées, en tout ou pour un élément essentiel, uniquement sur de la preuve circonstancielle :

[19]  La Cour suprême dans Villaroman a établi qu’une preuve circonstancielle hors de tout doute raisonnable est faite lorsque la seule inférence raisonnable qu’elle peut soutenir est celle de la culpabilité de l’accusé. Si ce n’est pas le cas et qu’une inférence raisonnable est compatible avec son innocence, il subsiste forcément un doute raisonnable et il doit être acquitté. Les inférences compatibles avec l’innocence n’ont pas à être fondées sur la preuve ou sur des faits prouvés, puisque le doute raisonnable peut découler de l’absence de preuve.

[20] (…) En résumé, les conclusions tirées de la preuve par le juge des faits et la conclusion que la seule inférence raisonnable est celle de la culpabilité sont-elles raisonnables?

[21]    Pour répondre à cette question, il faut souligner que lorsque la Cour dans Villaroman parle de « la seule inférence raisonnable », il faut être exact sur le sens de ces mots. Deux précisions s’imposent. Premièrement, comme la Cour le dit, la seule inférence raisonnable se distingue de la seule inférence rationnelle puisqu’une inférence peut être rationnelle sur un plan logique sans pour autant être raisonnable après une évaluation de tous les éléments de preuve et même l’absence de la preuve. Deuxièmement, et dans le même ordre d’idées, la seule inférence raisonnable n’implique aucunement que cette inférence soit la seule possible dans le même sens qu’une preuve hors de tout doute raisonnable n’équivaut pas à une preuve hors de tout doute possible.

                         [Nos soulignements et caractères gras; références omises]

[44]    Ainsi, une inférence possible constitue une simple possibilité théorique, ou de la spéculation, et ne peut donc soulever un doute raisonnable. Si une lacune particulière dans la preuve peut fonder d’autres inférences que la culpabilité, ces inférences, toutefois, «  doivent être raisonnables compte tenu de l’appréciation logique de la preuve ou de l’absence de preuve, et suivant l’expérience humaine et le bon sens.», d’une part, et ne sauraient constituer des conjectures, d’autre part. La ligne de démarcation entre une thèse plausible non compatible avec la culpabilité et de simples conjectures ou spéculations n’est toutefois pas toujours facile à tracer et il importe donc en ces matières de respecter l’important principe qu’il «… appartient fondamentalement au juge des faits de tracer dans chaque cas la ligne de démarcation entre le doute raisonnable et les conjectures. Cette appréciation du juge des faits ne peut être écartée que si elle est déraisonnable».

[Références omises]

[144]     Le Tribunal est d’avis qu’en l’espèce, les inférences autres que la culpabilité soumises à la juge de première instance par l’appelant relèvent de la conjecture ou de la spéculation.

[145]     Quant à l’inférence suggérée par l’appelant, voulant qu’il aurait « texté » au volant, il y a lieu de préciser ce qui suit.

[146]     Parlant du premier impact avec le trottoir, M. Robitalle affirme :

(…) tout de suite quand j’ai vu ce genre de "loop"-là... si c'était aujourd'hui, j'aurais pensé qu'il textait, mais maintenant...c'est un phénomène qui est plus récent, mais dans ce temps-là, je me suis tout de suite dit: mon Dieu, il est probablement ivre.[40]

[147]     Le Tribunal est d’avis que la juge de première instance ne pouvait tirer une inférence raisonnable de cette partie du témoignage de M. Robitaille voulant que l’appelant « textait » au volant. M. Robitaille n’a jamais constaté que, de fait, l’appelant « textait » au volant.

[148]     En l’espèce, conclure au contraire relèverait de la conjecture ou de la spéculation.

[149]     Quant à l’inférence suggérée par l’appelant voulant qu’il tentait d’éviter des nids-de-poule, il y a lieu de référer au témoignage de l'agent Laghdir :

R.   Quand je lui ai demandé de faire entrer son chien dans le véhicule puis il parlait avec son chien, il a passé devant moi puis là, j'ai perçu une odeur puis ce n'était pas... dans ma tête à moi, je n'en avais pas assez pour dire c'est du 100 pour cent odeur d'alcool. J'ai senti une certaine odeur, mais je n'étais pas satisfait de cette odeur-là. Sinon, j'aurais tout de suite passé à l'étape de l'ADA, mais je n'étais pas rendu là.[41]

[…]

R.   Je n'ai pas dit que je sentais une odeur d'alcool. Si j'avais senti l'odeur d'alcool à 100 pour cent, ça aurait été l'ADA tout de suite, mais je n'ai pas senti l'odeur d'alcool. J'ai perçu une certaine odeur qui, ça... qui ressemblait à de l'alcool, mais dans mon... dans ma tête à moi, je n'étais pas satisfait à 100 pour cent pour aller plus loin. Il m'en fallait plus que ça.

 

Q. Donc, vous n’aviez pas assez de soupçons à ce moment-là?

 

R.   Non, parce que pour la conduite, ça pouvait être n'importe quoi. Il veut éviter un nid de poule ou n'importe quoi. C'est... je ne suis pas rendu là. C'est... je ne suis pas rendu à l'étape... ce n'est pas parce que quelqu'un me dit: monsieur est en état d'ébriété, que je vais aller l'arrêter automatiquement. Il faut que j'aille valider certaines choses.

 

Q. Ah non! ça, je suis la première à vous le concéder. Je plaide ça souvent. Inquiétez-vous pas. C'est juste que là, c'est drôle, je ne pensais pas un jour plaider ça, mais je trouve que c'est très long avant que vous accumuliez vos soupçons puis que vous commenciez à lui parler de l'ADA.

 

R. Bien oui. Juste pour renchérir sur ce que vous dites, effectivement, c'est... des fois, ça peut prendre plus longtemps que ça aussi, mais je préfère prendre mon temps, m'assurer que j'ai assez d'éléments pour ne pas arrêter quelqu'un de façon...

 

Q. Intempestive?

 

R. Effectivement, puis […][42]

[150]     Tel qu’on peut le constater, l'agent Laghdir était à l’étape de l’appréciation de soupçons raisonnables en lien avec un possible test d’ADA.

[151]     Il précise qu’à cette étape, la conduite « ça pouvait être n’importe quoi. Il veut éviter un nid-de-poule ou n’importe quoi » et qu’il devait valider certaines choses.

[152]     Le Tribunal est d’avis que la juge de première instance ne pouvait tirer une inférence raisonnable du témoignage de l'agent Laghdir voulant que l’appelant tentait d’éviter des nids-de-poule.

[153]     La preuve ne révèle rien quant à la présence de nids-de-poule et le témoignage de l'agent Laghdir ne permet pas de tirer une inférence raisonnable à cet effet.

[154]     Conclure au contraire relèverait encore une fois de la conjecture ou de la spéculation.

[155]     Le Tribunal est d’avis que la même conclusion s’impose quant à l’inférence suggéré par l’appelant voulant que sa conduite erratique s’explique par une crevaison dès le départ, avant le premier impact avec le trottoir.

[156]     Il ne s’agit pas en l’espèce d’une inférence raisonnable. Rien, ici, ne permet de soutenir une telle inférence.

[157]     Si une lacune particulière dans la preuve peut fonder d’autres inférences que la culpabilité, ces inférences doivent toutefois être raisonnables compte tenu de l’appréciation logique de la preuve ou de l’absence de preuve, et suivant l’expérience humaine et le bon sens, d’une part, et ne sauraient constituer des conjectures, d’autre part.[43]

[158]     En résumé, les inférences suggérées par l’appelant ne sont que des inférences possibles et ne constituent que de simples possibilités théoriques. De l’avis du Tribunal elles relèvent de la conjecture ou de la spéculation et ne pouvaient permettre de soulever un doute raisonnable dans l’esprit de la juge.

[159]     En l’espèce, la juge de première instance a considéré l’effet cumulatif des deux accidents, du dépassement de la vitesse permise, de l’odeur d’alcool et de la légère perte d’équilibre.

[160]     Elle ne commet aucune erreur manifeste et déterminante en inférant de ces faits que l’appelant a conduit son véhicule alors que ses facultés de conduire étaient affaiblies par l’effet de l’alcool. Elle ne commet non plus aucune erreur en droit à ce chapitre.

[161]     Le deuxième motif doit donc être rejeté.

CONCLUSIONS QUANT À L’APPEL PRINCIPAL

[162]     Le jugement de la juge de première instance ne comporte aucune erreur manifeste et déterminante quant à l’appréciation de la preuve ni aucune erreur en droit.

[163]     Le verdict n’est pas déraisonnable eu égard à la preuve.

[164]     L’appel principal doit donc être rejeté.

L’APPEL INCIDENT 

1.    Le jugement de première instance du 2 novembre 2018

[165]     La juge de première instance rappelle que les policiers sont intervenus suite à un appel au 911 et qu’ils n’ont pas vu l’intimé incident conduire. À leur arrivée, le véhicule de l’intimé incident était déjà stationné.

[166]     Elle note également qu’après enquête, les policiers décident de soumettre l’intimé incident à un test à l’aide de l’ADA. Ils n’ont pas l’appareil en leur possession et font une demande en ce sens. L’intervention se déroule dans un secteur de la ville attenant à leur territoire d’intervention habituel.

[167]     La juge souligne que l’attente de l’appareil prendra 18 minutes et que jamais, pendant cette attente, les policiers n’informent l’intimé incident de son droit au silence et de son droit à l’avocat. Ses droits ne lui sont donnés qu’au moment de l’arrestation. Ce n’est qu’une fois rendu au poste de police, et suite à l’insistance des policiers que l’intimé incident s’entretient avec un avocat.

[168]     La juge de première instance résume ainsi les prétentions de l’intimé incident.

[169]     Les policiers n’avaient pas de motifs raisonnables de soupçonner la présence d’alcool dans son organisme et sa détention était donc non fondée et illégale.

[170]     Il plaide de plus que l’ordre de se soumettre au test de l’ADA ne satisfaisait pas l’exigence d’immédiateté prévue au Code criminel, alors que son droit au silence et son droit de recourir à l’assistance d’un avocat sans délai n’ont pas été respectés.

[171]     Alléguant une atteinte à ses droits constitutionnels, l’intimé incident réclame que la preuve obtenue suite à son arrestation illégale soit exclue.

[172]     Dans son résumé des faits, la juge de première instance note que l’ordre de fournir un échantillon d’haleine dans un ADA est donné à 1h05, que l’intimé incident dit qu’il ne soufflera pas et que parallèlement, l’agent Allard fait une demande sur les ondes radio pour obtenir un ADA.

[173]     La juge note qu’à 1h20, l'agent Allard reçoit confirmation que des agents sont en route avec l’ADA qui lui sera remis à 1h23. Pendant l’attente de l’appareil, l’intimé incident n’est pas informé de son droit au silence ni de son droit de consulter un avocat. La demande de l’ADA avait été faite aux policiers du secteur où les agents Allard et Laghdir sont rattachés. Toutefois, l’ADA disponible viendra du secteur où se déroule l’intervention.

[174]     Selon la juge, elle comprend du témoignage de l'agent Allard que le fait que l’intervention ne se soit pas déroulée sur leur territoire a créé un certain flottement administratif, notamment pour l’obtention de l’ADA.

[175]     La juge note par ailleurs qu’une fois l’appareil arrivé, l’intimé incident accepte de passer le test. À 1h26 le résultat « Fail » est obtenu.

[176]     L’intimé incident est mis en état d’arrestation à 1h27. La lecture des droits au silence et à l’avocat est faite à l’aide d’une carte fournie par le SPVM. L’intimé incident répond qu’il ne veut pas parler à un avocat.

[177]     Les policiers entreprennent des démarches pour la prise en charge du véhicule de l’intimé incident et de son chien. Ils ne peuvent joindre un ami de l’intimé incident pour venir chercher le chien. Après des vérifications, les policiers trouvent un centre opérationnel où ils peuvent amener le chien. Ils y arrivent à 1h50.

[178]     Après avoir insisté auprès de l’intimé incident, ce dernier parle à un avocat de 2h26 à 2h32.

[179]     Des tests pour mesurer l’alcoolémie de l’intimé incident sont effectués.

[180]     Selon la juge, les policiers admettent que l’intimé incident parlait clairement, n’avait pas les yeux rouges, marchait correctement et comprenait les consignes.

[181]     La juge de première instance identifie les questions en litige comme suit :

·        L'agent Laghdir avait-il des motifs raisonnables de soupçonner la présence d’alcool dans l’organisme de l’intimé incident l’autorisant à lui ordonner de se soumettre à un test de dépistage?

·        Est-ce que l’ordre donné à l’intimé incident de se soumettre à un test de dépistage à l’aide d’un ADA respecte les exigences de l’article 252 du Code criminel, en ce qu’il s’est écoulé 18 minutes entre cet ordre et l’arrivée de l’appareil?

·        En cas de violation de ses droits constitutionnels au regard de son droit au silence et à l’assistance d’un avocat, l’intimé incident a-t-il droit à l’exclusion des éléments de preuve obtenus?

[182]     La juge de première instance indique qu’il n’est pas inutile de souligner que l’intimé incident n’a pas témoigné et qu’elle doit donc apprécier le poids de la preuve en fonction des témoins entendus, soit M. Robitaille, les agents Allard et Laghdir et le technicien qualifié, l’agent Forget.

[183]     Elle note qu’il est admis que les policiers ont agi de bonne foi.

[184]     Elle note également que, suite à son arrivée sur les lieux, l'agent Laghdir, tout en reconnaissant que l’appel 911 soulevait l’hypothèse d’un conducteur ivre, voulait faire des vérifications pour lui permettre d’apprécier la situation correctement. Les policiers devaient également prendre des dispositions pour assurer leur sécurité en raison du chien.

[185]     La juge retient que lors de leur intervention, les policiers n’avaient pas vu l’intimé incident conduire et ils n’avaient pas encore parlé à M. Robitaille.

[186]     La juge mentionne que ces démarches ont pris un certain temps et elle évalue à 18 minutes le temps écoulé entre l’arrivée des policiers et l’ordre donné à l’intimé incident de se soumettre au test de l’ADA.

[187]     La juge estime que le délai inhérent à l’enquête est acceptable.

[188]     La juge retient qu’au terme de son enquête, l'agent Laghdir a conclu avoir des soupçons raisonnable que l’intimé incident avait de l’alcool dans son organisme et qu’il avait conduit un véhicule peu de temps avant. Elle note que l’agent a tenu compte des observations de M. Robitaille sur la conduite erratique, notamment les deux impacts avec le trottoir. Elle note également qu’il a tenu compte de l’haleine d’alcool de l’intimé incident, qu’il a eu une légère perte d’équilibre et qu’à deux reprises, il a fourni des explications impliquant qu’il avait consommé de l’alcool.

[189]     Selon la juge, il s’agit d’un ensemble de faits objectivement discernables qui pouvaient faire naître chez l’agent Laghdir des motifs raisonnables de soupçonner la présence d’alcool dans l’organisme de l’intimé incident.

[190]     Elle note que l’ordre de souffler donné à l’intimé incident à 1h05 a été fait dès que l'agent Laghdir a eu des motifs raisonnables de soupçonner la présence d’alcool dans l’organisme de l’intimé incident.

[191]     La juge de première instance conclut que l’ordre a été donné promptement.

[192]     Par la suite, elle se penche sur l’impact du délai d’attente de l’ADA.

[193]     Elle établit à 18 minutes le délai entre l’ordre donné à 1h05 et l’arrivée de l’ADA.

[194]     Elle ajoute que, tentant compte du fait que le test a été effectué à 1h26, il y a alors trois minutes supplémentaires, donc un total de 21 minutes.

[195]     La juge de première instance analyse ensuite l’article 254(2) du Code criminel et l’exigence d’immédiateté.

[196]     À cet égard, elle cite l’affaire R. c. Gaétani[44]. Elle réfère également à l’affaire R. c. Lauzier[45] où l’on reprend l’arrêt R. c. Quansah[46] dans lequel on résume les éléments à prendre en considération dans l’analyse du critère d’immédiateté.

[197]     La juge souligne que la question n’est pas celle de la somme des minutes écoulées, mais plutôt celle de savoir si, pendant le délai d’attente, il existait une possibilité réaliste pour l’intimé incident de consulter un avocat avant de se soumettre au test de l’ADA.

[198]     La juge indique que l’attente de l’ADA en soi n’est pas fatale puisqu’il est convenu que toutes les voitures de police n’ont pas à être dotées d’un tel appareil.

[199]     Toutefois, elle note qu’en l’espèce, le délai de 18 minutes entre l’ordre et l’arrivée de l’ADA est long.

[200]     Elle rappelle que la Cour suprême a déjà jugé qu’un délai de 15 minutes pouvait, dans certaines circonstances, se justifier sans que l’exigence de l’immédiateté soit compromise.

[201]     Elle se demande donc si c’est le cas en l’espèce.

[202]     Selon la juge, le délai d’attente de l’ADA serait, en partie, attribuable à la confusion quant au poste du SPVM qui devait fournir l’ADA aux agents Allard et Laghdir, lesquels se trouvaient à l’extérieur de leur secteur habituel d’intervention.

[203]     La juge indique que cette confusion opérationnelle peut expliquer un certain délai.

[204]     La juge trouve toutefois cette explication un peu courte. À ce sujet, elle souligne que l’intervention est au cœur de Montréal et que l’ADA a été envoyé d’un poste de police situé tout près des lieux de l’intervention.

[205]     La juge indique que si la priorité avait été accordée à trouver un ADA et à le remettre aux policiers rapidement, cela aurait été tout à fait possible. À ce sujet, elle souligne que ce n’est qu’à 1h20 que l’agent Allard apprend que l’ADA est en route et que les policiers attendaient alors depuis 15 minutes.

[206]     La juge en arrive à la conclusion que l’ordre donné à l’intimé incident, dans les circonstances, ne respectait pas l’exigence d’immédiateté prévue à l’article 254(2) du Code criminel.

[207]     Elle note par ailleurs qu’il est admis que les policiers n’ont pas envisagé d’offrir à l’intimé incident l’opportunité de consulter un avocat pendant l’attente de l’ADA.

[208]     Quant à la question de savoir si le délai aurait permis ou non à l’intimé incident de consulter un avocat et de bénéficier d’une consultation confidentielle, la juge souscrit aux propos de l’honorable Martin Vauclair, j.c.a. dans l’arrêt R. c. Piazza[47].

[209]     Ainsi, elle estime qu’il s’agit d’un faux problème, car ce droit est suspendu pendant l’enquête précédant l’ordre visé à l’article 254(2) du Code criminel, de même que pour les fins du test de l’ADA.

[210]     La juge est d’avis qu’offrir la possibilité de consulter un avocat dans l’intervalle, si délai il y a, serait non seulement difficile d’application, mais que cela ne servirait à rien, comme l’illustre R. c. Woods[48].

[211]     Selon la juge, bien qu’elle ait conclu que l’ordre de souffler dans l’ADA a été donné promptement, dès que les soupçons ont été acquis, l’absence de possibilité d’y répondre immédiatement ne fait pas revivre le droit à l’avocat.

[212]     Elle conclut qu’en l’espèce, le délai de 21 minutes entre l’ordre de souffler et l’exécution du test est trop long et que rien ne peut justifier qu’un tel délai soit qualifié d’immédiat.

[213]     La juge ajoute que cette conclusion en entraîne une seconde.

[214]     Ainsi, l’intimé incident n’a pas été informé de ses droits au silence et à l’avocat et l’ordre de souffler dans l’ADA ne respectait pas l’article 254(2) du Code criminel.

[215]     Selon la juge, il s’agit d’une violation de la Charte canadienne des droits et libertés[49] (la Charte) et, comme le veut la jurisprudence majoritaire en cette matière, la gravité de cette violation et son impact à long terme sur l’administration de la justice et la confiance du public envers elle, conduisent à l’exclusion de la preuve obtenue suite à cette violation.

[216]     La juge indique qu’elle n’a aucune hésitation à conclure que les policiers, quoique de bonne foi, ont fait preuve d’insouciance, au mieux de désinvolture, à l’égard des droits constitutionnels de l’intimé incident.

[217]     La juge conclut que l’incidence de cette violation est importante puisque toute la preuve recueillie l’a été pendant la détention de l’intimé incident, alors qu’il n’avait pas bénéficié de son droit au silence ni de son droit à l’avocat.

[218]     La juge de première instance se dit consciente de l’intérêt de la société à ce que cette affaire soit jugée au fond. Elle ajoute que cet intérêt milite en faveur de l’utilisation de la preuve.

[219]     Toutefois, elle indique que, vu la durée de la détention illégale en l’espèce, il faut prendre en compte que le public a également intérêt à ce que le fonctionnement du système de justice demeure irréprochable au regard des individus accusés d’infractions graves, comme l’affirme la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Spencer[50].

[220]     Ainsi, conformément à l’article 24(2) de la Charte, la juge ordonne l’exclusion de la preuve des résultats de l’ADA, des résultats de l’alcootest et du certificat d’analyse.

2.    Les motifs d’appel

[221]     L’appelante incidente soumet que la juge de première instance a erré en droit en ne sauvegardant pas la preuve en vertu de l’arrêt R. c. Grant[51] pour les motifs qui suivent :

a)    La conclusion à l’effet que les policiers ont fait preuve d’insouciance et de désinvolture est déraisonnable et ne s’appuie pas sur la preuve;

b)    L’honorable juge de première instance a omis de tenir compte de la bonne foi comme facteur atténuant;

c)    L’honorable juge de première instance a erré quant à la portée de la durée de la détention illégale, ce qui a influencé erronément son évaluation des effets sur les droits de l’accusé;

d)    L’honorable juge de première instance a omis de tenir compte du caractère peu intrusif des prélèvements par l’ADA et par l’alcootest, ainsi que de la fiabilité de la preuve matérielle en matière de facultés affaiblies.

ANALYSE

1.    La norme d’intervention

[222]     Outre les références aux arrêts Benhaim c. St-Germain[52] et Gercotech inc. c. Kruger inc. Master Trust (CIBC Mellon Trust Company)[53] plus avant, il y a lieu de référer à l’arrêt R. c. Côté[54]. La Cour suprême du Canada y énonce ce qui suit :

[44]      La norme de contrôle applicable à la détermination, par le juge du procès, de ce qui, suivant le par. 24(2), est susceptible de déconsidérer l’administration de justice eu égard aux circonstances, n’est pas controversée.  La Cour l’énonce dans Grant, puis la confirme dans R. c. Beaulieu, 2010 CSC 7, [2010] 1 R.C.S. 248.  Lorsque le juge du procès a pris en compte les considérations applicables et n’a tiré aucune conclusion déraisonnable, sa décision justifie une grande déférence en appel (Grant, par. 86, et Beaulieu, par. 5).

[223]     Par ailleurs, « lorsque les facteurs pertinents ont été négligés ou ignorés, une nouvelle analyse fondée sur l’arrêt Grant est nécessaire et opportune. »[55]

[224]     Également, dans R. c. Manchulenko[56], on peut lire ce qui suit :

[43]   Fourth, the ultimate question of the admissibility of evidence under s. 24(2) of the Charter is a question of law.  Where a trial judge excludes evidence under s. 24(2) on the basis of

i.           an error in principle;

ii.          a misapprehension of material evidence; or

iii.         an unreasonable assessment of the evidence

the exclusion constitutes an error of law: R. v. Harris, 2007 ONCA 574, 87 O.R. (3d) 214, at para. 51; R. v. Buhay, 2003 SCC 30, [2003] 1 S.C.R. 631, at para. 42; and R. v. H. (J.M.), 2011 SCC 45, [2011] 3 S.C.R. 197, at para. 29.

[225]     Enfin, dans R. c. Lefebvre[57], on peut lire ce qui suit :

[274]   Dans l’arrêt R. c. Cole, le juge Fish offre la description suivante de la norme de contrôle :

[82]       La norme de contrôle commande la retenue : « Lorsque le juge du procès a pris en compte les considérations applicables et n’a tiré aucune conclusion déraisonnable, sa décision justifie une grande déférence en appel » (R. c. Côté, 2011 CSC 46, [2011] 3 R.C.S. 215, par. 44). Cependant, lorsque les facteurs pertinents ont été négligés ou ignorés, une nouvelle analyse fondée sur l’arrêt Grant est nécessaire et opportune.

[Le soulignement est ajouté]

[Référence omise]

2.    Les motifs d’appel

[226]     Bien que l’appelante incidente formule les quatre questions identifiées plus avant[58], elle ne les aborde pas dans cet ordre. Elle procède plutôt à l’analyse de celles-ci dans le cadre des critères de l’arrêt Grant[59].

[227]     L’appelante incidente soumet que l’analyse menée par la juge de première instance quant à l’exclusion de la preuve est déficiente dans son appréciation des faits, dans son application de l’arrêt Grant[60] aux faits, et en raison de l’omission de la prise en considération de certains facteurs.

[228]     Le Tribunal abordera donc les motifs d’appel sous l’angle des critères de l’arrêt Grant[61] comme le propose l’appelante incidente.

a.    La gravité de la conduite attentatoire de l’État, le comportement des policiers et la bonne foi

[229]     Référant à l’affaire R. c. Latour[62], l’appelante incidente soumet que la question de la gravité de la violation constitutionnelle nécessite une évaluation qui se veut comparative, c’est-à-dire que cette gravité doit être mesurée relativement à une échelle de culpabilité.

[230]     Toujours en référence à cette même décision, l’appelante incidente souligne que la bonne foi mitige la gravité de la violation à condition que celle-ci soit raisonnable. Elle souligne également que la bonne foi est antithétique à la négligence ou à la violation manifeste d’une règle bien établie régissant la conduite de l’État.

[231]     L’appelante incidente note que la juge de première instance retient que la violation n’est pas mineure et qu’elle qualifie la conduite des policiers d’insouciante, désinvolte, mais de bonne foi.

[232]     Elle soumet que cette double qualification est antinomique, que la bonne foi n’a rien à voir avec la gentillesse et qu’elle ne doit pas être confondue avec la courtoisie.

[233]     Elle soumet également que la bonne foi a tout à faire avec le respect de la règle de droit, sauf en cas de confusion de la jurisprudence, auquel cas, la méprise pourrait être excusée.

[234]     Elle ajoute que l’arrêt Grant[63] dissocie clairement la bonne foi de la négligence.

[235]     L’appelante incidente soumet que la juge de première instance justifie sa position en raison d’une « confusion opérationnelle » qui serait liée au fait que le lieu de l’intervention était situé aux abords du poste 23, près du poste 22.

[236]     Selon l’appelante incidente, cette « confusion opérationnelle » n’est pas conforme à la preuve et constitue une inférence injustifiée. Elle soumet que l’agent Allard a choisi d’appeler un véhicule du poste 22 parce qu’il était plus près, et non un véhicule du poste 23, et que c’est bien un véhicule du poste 22 qui a livré l’ADA.

[237]     Selon l’appelante incidente, ceci ne traduit aucune négligence, ni désinvolture, bien au contraire. Elle ajoute qu’il n’y a eu aucune confusion opérationnelle.

[238]     Elle soumet que la juge de première instance se méprend lorsqu’elle affirme :

« Comme à l’habitude, ils communiquent avec leur collègue qui travaille dans le même secteur qu’eux. Toutefois, l’appareil disponible viendra du secteur dans lequel ils se trouvent. »[64]

[239]     Selon l’appelante incidente, la juge confond avec le véhicule du poste 23, qui a pris en charge le véhicule de l’intimé incident, et le véhicule du poste 22 qui a servi à la livraison de l’ADA et qui a quitté par la suite.

[240]     Quant à la priorité accordée à la demande d’ADA, l’appelante incidente soumet que rien dans la preuve ne soutient une quelconque négligence ou désinvolture de la part des services policiers en général.

[241]     L’appelante incidente souligne que la demande d’ADA a été faite immédiatement après l’ordre et que le temps d’attente fut consacré à convaincre l’intimé incident à se soumettre au test, ce dernier ayant exprimé un refus. L’intimé incident a également continué à changer son pneu suite à sa demande aux policiers.

[242]     Par ailleurs, l’appelante incidente soumet que la juge de première instance se prononce sur la bonne foi des policiers, tout en ne leur accordant aucun crédit sur la gravité de la violation.

[243]     Elle ajoute que pour démontrer la bonne foi des policiers, il faut analyser les motivations de ces derniers. Elle souligne que les policiers ont démontré de différentes façons que leurs motivations étaient légitimes.

[244]     Quant au rôle de la bonne foi dans l’appréciation de la gravité de la violation, l’appelante incidente réfère à l’affaire Bourdon c. R.[65], où l’on énonce, notamment, que la bonne foi et la mauvaise foi contribuent à situer la gravité de la violation vers l’une ou l’autre des extrémités de l’éventail des possibilités.

[245]     L’appelante incidente soumet qu’aucun blâme ne peut être adressé aux actions des agents Allard et Laghdir quant au délai d’attente excédentaire de trois minutes. Au contraire, elle soumet qu’il n’y a aucune négligence de leur part et que leur conduite est empreinte de bonne foi et du souci de respecter les limites imposées par la loi et la Charte.

[246]     L’appelante incidente ajoute que même si elle mérite déférence, l’appréciation de la conduite des policiers par la juge de première instance ne prend pas appui sur la preuve.

[247]     Elle ajoute que la juge évacue complètement la bonne foi des policiers comme facteur atténuant de la violation.

[248]     L’appelante incidente soumet que même si le Tribunal en arrivait à la conclusion que l’explication du délai était insuffisante, la preuve démontre un contexte où toutes les circonstances étaient réunies pour engendrer un retard : une nuit occupée, les ressources disponibles et le fait qu’il n’y avait que deux ADA pour tout le secteur.

[249]     Selon l’appelante incidente, on ne peut considérer que la conclusion de la juge de première instance aurait été la même si elle avait analysé la première étape de Grant[66] en tenant compte de la bonne foi des policiers, et sans l’erreur notée dans son résumé des faits, qui a fait l’objet d’une inférence très importante dans son raisonnement.

[250]     Dans son mémoire[67], l’appelante incidente soumet un tableau synoptique, par ordre chronologique, des délais liés à l’ADA et des éléments pertinents postérieurs; un tableau sur les explications relatives au délai d’obtention de l’ADA et un tableau sur l’attitude des policiers quant au souci des droits de l’intimé incident.

[251]     Par la suite, l’appelante incidente aborde la question de la violation de la Charte et le concept de détention en fonction du premier critère de l’arrêt Grant[68].

[252]     Référant à l’arrêt R. c. Petit[69], l’appelante incidente considère que le moment où l’ordre de souffler fut donné correspond au début du délai pour les fins de l’article 254(2) du Code criminel et elle calcule ce délai jusqu’à l’arrivée de l’ADA, soit 18 minutes, donc trois minutes de plus que le délai de 15 minutes reconnu par les cours d’appel comme ne contrevenant pas au critère d’immédiateté.

[253]     L’appelante incidente soumet que le délai peu considérable de trois minutes n’a pas été considéré par la juge de première instance dans son analyse de l’article 24(2) de la Charte.

[254]     L’appelante incidente soumet que l’encadrement de la détention prévu dans les arrêts R. c. Grant[70] et R. c. Suberu[71] ne prévoit pas que chaque interaction entre la police et le public, même dans un but d’enquête, équivaut à une détention.

[255]     Elle cite également Vinet c. R. et R.[72] c. MacMillan[73] au même effet.

[256]     Selon l’appelante incidente, dans le présent dossier, ce n’est pas parce que les faits mènent à un ordre de souffler dans l’ADA et ultimement à une arrestation que l’intimé incident est détenu depuis le début de l’intervention policière.

[257]     L’appelante incidente souligne le contexte précédant l’ordre de souffler, le fait que l’intimé incident n’a pas témoigné pour dire comment il se sentait et soumet donc qu’en l’espèce, la détention de l’intimé incident a débuté à 1h05 puisqu’il était alors contraint par une sommation.

[258]     L’appelante incidente aborde ensuite la question de la détention illégale et du droit à l’avocat.

[259]     Référant à R. c. Orbanski[74], R. c. Petit[75] et R. c. Piazza[76], l’appelante incidente soumet que le droit à l’avocat de l’intimé incident était validement suspendu jusqu’à 1h20, ce qui correspond au délai de 15 minutes suivant l’ordre de souffler qui a été jugé acceptable par les tribunaux d’appel.

[260]     L’appelante incidente reconnaît qu’entre 1h20 (arrivée de l’ADA) et 1h27 (arrestation), l’intimé incident n’a pas été informé de ses droits constitutionnels.

[261]     Toutefois, même si elle reconnaît que le volet informatif du droit à l’avocat a été enfreint, elle soumet que la mise en œuvre du droit à l’avocat n’était pas possible en pratique, comme le reconnaît l’arrêt Piazza[77].

[262]     L’appelante incidente souligne que l’intimé incident n’a jamais demandé à parler à un avocat une fois qu’il a eu ses droits.

[263]     Selon l’appelante incidente, la mise en œuvre du droit à l’avocat se matérialise à la première occasion raisonnable en vertu de l’arrêt R. c. Taylor[78], ce qui se trouve à être au centre opérationnel environ une heure plus tard, et suite à l’insistance des agents puisque l’intimé incident ne souhaitait pas exercer son droit.

[264]     L’appelante incidente soumet qu’en l’espèce, il ne s’agit pas d’une violation gravissime du droit à l’avocat justifiant d’en faire un cas exemplaire d’exclusion de la preuve relative à l’alcoolémie de l’intimé incident.


 

b.    L’impact de la violation sur les droits de l’intimé incident

[265]     L’appelante incidente souligne que l’arrêt Grant[79] énonce que l’effet de l’atteinte à un droit constitutionnel peut être passager, d’ordre simplement formel ou profondément attentatoire.

[266]     Elle réfère également à l’affaire Latour[80] au même effet.

[267]     L’appelante incidente note que la juge de première instance s’exprime ainsi sur cette question :

« L’incidence de cette violation est importante puisque toute la preuve recueillie l’a été pendant la détention du défendeur alors qu’il n’avait pas bénéficié de son droit au silence non plus que de son droit à l’avocat. »[81]

[268]     Référant à nouveau à l’affaire Latour[82], l’appelante incidente soumet que la présence de soupçons valides est pertinente au stade de l’évaluation du caractère arbitraire de la détention.

[269]     L’appelante incidente soumet qu’en l’espèce, il y avait présence de soupçons valides tel que l’affirme la juge de première instance.

[270]     Elle ajoute que l’absence d’information mandatoire sur les droits constitutionnels dure sept minutes.

[271]     Selon l’appelante incidente, l’effet sur le droit à l’avocat de l’intimé incident a peu ou pas d’effet réel en raison des circonstances déjà énoncées.

[272]     Elle soumet que jamais la juge ne fait de relation avec sa décision sur les violations, ni avec les faits qui la sous-tendent. Elle ajoute que sa décision sous 24(2) de la Charte s’avère injustement compartimentée et fait donc fi de considérer l’ensemble des circonstances.

[273]     Selon l’appelante incidente, la juge de première instance néglige d’analyser l’incidence sur la façon d’obtenir la preuve. Elle soumet que, tant pour l’ADA que pour l’alcootest, la prise d’échantillons s’avère peu intrusive selon l’arrêt Grant[83], ayant une faible incidence sur l’intégrité corporelle et la dignité de l’intimé incident.

[274]     Selon l’appelante incidente, même si la juge n’a pas considéré l’article 8 de la Charte dans sa décision, cela s’excuse par le fait d’avoir occulté cet aspect puisque les paragraphes 99 à 111 de l’arrêt Grant[84] s’attachent à la preuve corporelle et non à la violation comme telle.

[275]     L’appelante incidente illustre ce qui précède en référant à l’arrêt Taylor[85]. Dans cet arrêt, où la Cour suprême se penchait exclusivement sur une violation de l’article 10 b) de la Charte, l’analyse sous l’article 24(2) de la Charte comprenait également un passage fondé sur le paragraphe 111 de l’arrêt Grant :

[41]    Il n’est point besoin de s’interroger sur les conseils que M. Taylor aurait pu recevoir si on lui avait donné accès à un avocat comme il l’avait demandé, par exemple s’il aurait, par suite d’une telle consultation, refusé de consentir au prélèvement d’échantillons sanguins à des fins médicales. Il est manifeste que le refus de l’accès demandé a eu pour effet de le priver de la possibilité de prendre une décision éclairée à l’égard de la question de savoir s’il devait consentir à ce traitement médical de routine susceptible de créer — et qui a en définitive créé — une preuve incriminante qui a été utilisée contre lui au procès.  L’incidence de la violation des droits garantis par l’al. 10b) a été exacerbée lorsque M. Taylor a été inutilement placé dans la situation de vulnérabilité d’avoir à choisir entre ses intérêts médicaux et ses intérêts constitutionnels, sans le bénéfice des conseils juridiques qu’il avait demandé d’obtenir.  Les échantillons sanguins prélevés de M. Taylor en violation directe du droit à l’assistance d’un avocat que lui garantit l’al. 10b) ont considérablement compromis son autonomie, sa dignité et son intégrité physique.  Ce facteur appuie l’exclusion de ces éléments de preuve.  Comme l’a affirmé la Cour dans Grant, « on peut dire que, en règle générale, les éléments de preuve seront écartés en dépit de leur pertinence et de leur fiabilité lorsque l’atteinte à l’intégrité corporelle est délibérée et a des effets importants sur [. . .] l’intégrité corporelle et la dignité de l’accusé » (par. 111).

 

[276]     Selon l’appelante incidente, l’omission par la juge de première instance de considérer cet aspect de l’incidence de la violation sur les droits de l’intimé incident constitue une erreur en droit.

[277]     Sur cette question du caractère peu intrusif de l’obtention d’échantillons d’haleine, l’appelante incidente réfère à l’arrêt R. v. Jennings[86] de la Cour d’appel de l’Ontario. Elle réfère également à l’affaire R. v. Barr[87].

[278]     L’appelante incidente souligne que la Cour d’appel du Québec, lorsqu’elle revoit l’analyse sous l’article 24(2) de la Charte, ne néglige jamais de considérer cet aspect[88].

[279]     Selon l’appelante incidente, le fait par la juge de première instance d’avoir omis de considérer ce facteur constitue une erreur en droit qui affecte de façon majeure le résultat de la mise en balance des droits et donc, de l’exclusion de la preuve qui en a résulté.

c.    L’impact sur la société et sur l’intérêt public

[280]     L’appelante incidente soumet que bien que la juge de première instance ait considéré que l’intérêt public militait en faveur de l’utilisation de la preuve, elle ne justifie en rien sa conclusion.

[281]     Selon elle, cette absence de justification permet de douter de la valeur de la mise en balance des intérêts contraires devant prévaloir lors de l’exercice de pondération.

[282]     L’appelante incidente soumet que l’arrêt Grant[89] prévoit que le type de preuve à exclure appelle différents types de considération. Elle souligne que la prise d’échantillons pour évaluer, soit la présence d’alcool dans l’organisme, soit le taux d’alcoolémie, vise à obtenir des preuves fiables qui sont essentielles à la poursuite.

[283]     L’appelante incidente soumet que ce facteur est absent des motifs de la juge alors qu’il est pourtant essentiel à sa conclusion.

[284]     Quant à la mise en balance des différents intérêts, l’appelante incidente réfère au passage suivant du jugement de première instance :

Toutefois, vu la durée de la détention illégale dans le présent dossier, il faut prendre en compte que le public a également intérêt à ce que le fonctionnement du système de justice demeure irréprochable au regard des individus accusés de ces infractions graves, comme l'affirmait la Cour suprême dans R. contre Spencer[90].

[285]     Selon l’appelante incidente, pour la juge de première instance, la gravité de la violation entraîne l’exclusion de la preuve, écartant ainsi toute autre considération.

[286]     Elle ajoute que la seconde étape de l’arrêt Grant[91] ne faisait que confirmer un effet, que la juge considérait théoriquement important, mais qu’elle ne se penche pas sur les faits propres à la présente affaire.

[287]     Selon l’appelante incidente, la mise en balance des différents intérêts par la juge de première instance tient compte de facteurs qui sont surestimés et elle omet complètement d’autres facteurs.

[288]     Ainsi, selon l’appelante incidente, la juge ne tient pas compte des soupçons valides, de la bonne foi des policiers, ni de leurs efforts et explications.

[289]     L’appelante incidente ajoute que, bien que sérieuse, la violation en l’espèce n’est pas à l’extrémité de l’échelle de la gravité.

[290]     Quant à l’incidence de la violation, l’appelante incidente soumet que la juge de première instance ne tient pas compte de la réalité du droit à l’avocat dans le présent dossier, qu’elle omet de considérer le caractère non intrusif des tests et qu’elle n’évalue pas vraiment la durée de la détention, ni son effet réel sur les droits de l’intimé incident.

[291]     Quant à l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond, l’appelante incidente soumet que, bien que la juge la reconnaisse, elle ne mentionne pas la fiabilité de la preuve et son rôle dans la preuve de la poursuivante.

[292]     L’appelante incidente soumet donc que le Tribunal devrait procéder à une nouvelle analyse sous l’article 24(2) de la Charte en prenant en considération les facteurs appropriés.

[293]     Pour les motifs qui suivent, les motifs d’appel de l’appelante incidente relativement à l’exclusion de la preuve en vertu de l’arrêt Grant[92] doivent être rejetés.

[294]     Le Tribunal aborde en premier lieu la question de la conduite attentatoire de l’État, le comportement des policiers et la bonne foi.

[295]     La juge de première instance qualifie la conduite des policiers d’insouciante et désinvolte.

[296]     Il s’agit là d’une question d’appréciation de la preuve face à laquelle un Tribunal d’appel doit faire preuve de déférence.

[297]     Le comportement des policiers doit être analysé en fonction de l’ensemble de la preuve.

[298]     Le Tribunal est d’avis que la juge de première instance ne commet aucune erreur manifeste et déterminante dans sa conclusion que les policiers ont fait preuve d’insouciance et de désinvolture.

[299]     Le Tribunal ne croit pas que le fait que la juge de première instance ait ajouté que les policiers étaient de bonne foi après avoir conclu à l’insouciance et à la désinvolture constitue une erreur révisable.

[300]     Dans l’arrêt R. c. Orbanski[93], on peut lire:

[57]    Également, l’atteinte au droit à l’assistance d’un avocat ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire à la réalisation de l’objectif.  Comme je l’ai indiqué, la portée des mesures policières permises est soigneusement limitée à ce qui est raisonnablement nécessaire pour atteindre l’objectif consistant à détecter les conducteurs en état d’ébriété.  De plus, la restriction du droit à l’assistance d’un avocat est strictement limitée dans le temps - il ne fait aucun doute que l’automobiliste qui n’est pas autorisé à poursuivre sa route mais qui doit fournir un échantillon d’haleine ou de sang bénéficie de l’entière protection du droit à l’assistance d’un avocat garanti par la Charte.

[301]     La bonne foi des policiers ne peut excuser le non-respect du droit au silence et du droit à l’avocat de l’intimé incident[94].

[302]     Quant à la question de la « confusion opérationnelle », le Tribunal juge utile de référer à nouveau à l’extrait du jugement de première instance :

« Comme à l’habitude, ils communiquent avec leur collègue qui travaille dans le même secteur qu’eux. Toutefois, l’appareil disponible viendra du secteur dans lequel ils se trouvent. »[95]

[303]     Il est vrai que la preuve révèle que l’agent Allard n’a pas appelé un véhicule du poste 23 pour l’ADA, mais plutôt un véhicule du poste 22 parce qu’il était plus près.

[304]     Toutefois, le Tribunal est d’avis qu’il ne s’agit pas ici d’une erreur manifeste et déterminante par la juge de première instance.

[305]     En effet, malgré cette méprise relativement à une demande d’ADA au poste 23, la juge retient que l’ADA disponible viendra du poste 22 où les policiers se trouvaient.

[306]     Par ailleurs, ce que la juge retient, et qui sera déterminant dans sa décision, c’est le délai d’attente de l’ADA.

[307]     À cet égard, il vaut de noter que la juge souligne que ce n’est qu’à 1h20, soit 15 minutes après la demande de l’ADA par l’agent Allard, que les policiers reçoivent confirmation que le véhicule de police transportant l’ADA est en route.

[308]     La juge souligne par ailleurs que l’ADA remis aux policiers provenait d’un poste de police situé tout près du lieu de l’intervention.

[309]     Elle ajoute qu’on peut penser que si la priorité avait été accordée à trouver un ADA et à la remettre aux policiers rapidement, la chose aurait été tout à fait possible.

[310]     Cette erreur de la juge ne donne donc pas ouverture à l’intervention du Tribunal.

[311]     Le Tribunal aborde maintenant la question de la bonne foi des policiers qui, selon l’appelante incidente, n’aurait pas été prise en compte par la juge de première instance dans son évaluation de la gravité de la violation.

[312]     La juge retient que les policiers étaient de bonne foi.

[313]     Selon l’appelante incidente, cette bonne foi a complètement été évacuée par la juge de première instance dans son analyse de la gravité de la violation.

[314]     À cet égard, le Tribunal juge utile de référer au passage suivant du jugement de première instance :

Dans ces circonstances, un délai de 15... dans certaines circonstances, un délai de 15 minutes n'est pas fatal parce qu'il s'explique. Dans d'autres, et notre dossier en fait partie, le délai de 21 minutes entre l'ordre de souffler et l'exécution du test est trop long et rien ne peut justifier qu'un tel délai soit, malgré toute logique, qualifié d'immédiat.

Cette conclusion en entraîne une seconde. Le défendeur n'a pas été informé de ses droits constitutionnels au silence et à l'avocat alors que l'ordre donné de souffler dans l'ADA ne respectait pas l'article 254(2). Il s'agit d'une violation à la Charte et, comme le veut la jurisprudence majoritaire en cette matière, la gravité de cette violation et son impact à long terme sur l'administration de la justice et la confiance du public envers elle conduisent à l'exclusion de la preuve obtenue suite à cette violation.

Je n'ai pas d'hésitation à conclure que les agents, quoique de bonne foi, ont fait preuve d'insouciance, au mieux, de désinvolture à l'égard des droits du défendeur qui lui sont garantis par la Charte. L'incidence de cette violation est importante puisque toute la preuve recueillie l'a été pendant la détention du défendeur alors qu'il n'avait pas bénéficié de son droit au silence non plus que de son droit à l'avocat.[96]

[315]     On peut constater, de ce qui précède, que la juge de première instance fait référence à la bonne foi, alors qu’elle traite précisément de la gravité de la violation.

[316]     On peut donc raisonnablement inférer qu’elle en a tenu compte dans cette partie de son analyse.

[317]     À cet égard, le Tribunal juge utile de rappeler les principes qui suivent.

[318]     Dans l’arrêt R. c. Boucher[97], on peut lire ce qui suit :

29        Avec égards pour l’opinion contraire, il ne s’agissait pas en l’espèce d’un cas d’application de l’arrêt W. (D.).  Pour neutraliser la présomption, la juge devait seulement avoir un doute raisonnable quant à l’exactitude du résultat de l’alcootest.  La démarche énoncée dans W. (D.) ne constitue pas une formule sacro-sainte emprisonnant les tribunaux d’instance dans un carcan.  Les juges d’instances rendent quotidiennement des jugements oraux et limitent souvent leurs motifs à l’essentiel.  Ce serait une erreur de leur imposer l’obligation d’expliquer par le menu le cheminement qu’ils ont suivi pour arriver au verdict.  Il leur suffit de motiver leur jugement de façon à en permettre la compréhension par les parties et l’examen par les tribunaux d’appel : R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, 2002 CSC 26, et R. c. Burns, [1994] 1 R.C.S. 656.  En l’espèce, en déclarant qu’elle ne croyait pas M. Boucher, la juge s’exprimait implicitement sur les deux premières étapes de W. (D.).

[319]     Également, dans l’arrêt R. c. R.E.M.[98], on peut lire ce qui suit :

[56]     (…) On ne doit pas conclure que le juge du procès a commis une erreur de droit parce qu’il a omis de décrire chaque facteur qui l’a mené à une conclusion sur la crédibilité, ou à la conclusion de culpabilité ou d’innocence.  On ne doit pas non plus conclure à l’erreur de droit parce que le juge du procès a omis de concilier chacune des faiblesses de la preuve ou de faire allusion à chaque principe de droit applicable.  Nul n’est besoin d’énoncer les inférences raisonnables.  Si, par exemple, dans une cause dont l’issue repose sur la crédibilité, le juge du procès explique avoir écarté la preuve offerte par l’accusé, mais ne précise pas qu’il a un doute raisonnable, il ne s’agit pas d’une erreur de droit.  En pareil cas, la déclaration de culpabilité permet en soi d’inférer que la preuve de l’accusé ne soulevait pas un doute raisonnable.  Enfin, les cours d’appel doivent se garder de simplement passer le dossier en revue et substituer leur propre analyse de la preuve à celle du juge du procès parce que les motifs ne correspondent pas à l’idée qu’ils se font de motifs parfaits.  Comme l’a établi l’arrêt Harper c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 2, p. 14, « [u]n tribunal d’appel n’a ni le devoir ni le droit d’apprécier à nouveau les preuves produites au procès afin de décider de la culpabilité ou de l’innocence. [. . .] S’il se dégage du dossier, ainsi que des motifs de jugement, qu’il y a eu omission d’apprécier des éléments de preuve pertinents et, plus particulièrement, qu’on a fait entièrement abstraction de ces éléments, le tribunal chargé de révision doit alors intervenir. »

[57]     Les cours d’appel doivent se poser la question cruciale formulée dans l’arrêt Sheppard : les motifs du juge du procès, considérés dans le contexte de la preuve versée au dossier, des questions en litige telles qu’elles sont ressorties au procès et des observations des avocats, privent-ils l’appelant du droit à un véritable examen en appel?  Pour procéder à un véritable examen en appel, la cour doit pouvoir discerner le fondement de la déclaration de culpabilité.  Les conclusions essentielles sur la crédibilité doivent avoir été tirées, et les questions de droit fondamentales doivent avoir été résolues.  Si la cour d’appel arrive à la conclusion que, compte tenu de l’ensemble du dossier, le juge du procès n’a pas tranché sur le fond les questions essentielles en litige (comme ce fut le cas dans Sheppard et Dinardo), elle peut alors, mais seulement alors, conclure que la déficience des motifs constitue une erreur de droit.

[320]     Enfin, dans Bourdeau c. R.[99], on peut lire :

[14]     Un juge d’instance n’est pas tenu de mentionner tous les éléments de preuve qu’il a examiné ou d’expliquer en détail l’appréciation qu’il a faite de chacun d’eux et les conclusions qu’il en a tirées. En définitive, et au vu de l’ensemble de la preuve, le juge est tenu d’expliquer ses conclusions de droit qui sont justifiées par la preuve et à l’égard desquelles il n’a aucun doute raisonnable. C’est ce que le premier juge a fait ici. L’appelant invite la Cour à refaire son procès, mais, en somme, il est incapable d’identifier avec précision une erreur manifeste et déterminante qui justifierait son intervention.

[321]     Considérant ce qui précède, le Tribunal conclut que, quant aux questions de la conduite attentatoire de l’État, de la conduite des policiers et de la bonne foi, la juge de première instance n’a commis aucune erreur manifeste et déterminante dans son appréciation de la preuve, ni aucune erreur en droit.

[322]     Le Tribunal aborde maintenant la seconde question, soit l’impact de la violation sur les droits de l’intimé incident.

[323]     La juge de première instance considère que la violation est importante puisque toute la preuve recueillie l’a été pendant la détention de l’intimé incident, alors qu’il n’avait pas bénéficié de son droit au silence ni de son droit à l’avocat.

[324]     Elle retient qu’il existait en l’espèce des motifs raisonnables de soupçonner la présence d’alcool dans l’organisme de l’intimé incident.

[325]     L’appelante incidente soumet que la violation du volet informatif du droit à l’avocat a duré sept minutes et qu’elle a eu peu ou pas d’effet réel.

[326]     À cet égard, il y a lieu de référer au jugement de première instance.

[327]     La juge y mentionne :

Je conclus de la preuve entendue que l'ordre donné au défendeur dans les circonstances ne respectait pas le caractère d'immédiateté de l'article 254(2) du Code criminel. Cela dit, il est admis que les agents n'ont pas envisagé d'offrir au défendeur l'opportunité qu'il puisse pendant l'attente consulter un avocat.

À cette question de savoir si le délai aurait permis ou non au défendeur de consulter un avocat et de bénéficier d'une consultation confidentielle, je souscris aux propos du juge Vauclair dans l'affaire Piazza. J'estime qu'il s'agit d'un faux problème car le droit est suspendu pendant l'enquête précédant l'ordre visé au paragraphe 254(2) du Code criminel, de même que pour les fins du test de l'ADA.

Par ailleurs, offrir la possibilité de consulter un avocat dans l'intervalle si délai il y a serait non seulement difficile d'application, mais cela ne servirait rien, comme l'illustre l'arrêt Woods. Aussi et quoique j'ai conclu que l'ordre de souffler dans l'ADA a été donné promptement, dès que les soupçons ont été acquis, l'absence de possibilité
 d'y répondre immédiatement ne fait pas revivre le droit à l'avocat.[100]

[328]     Considérant ce qui précède, le Tribunal est d’avis que l’argument de l’appelante incidente voulant que la violation du droit à l’avocat ait eu peu ou pas d’effet ne peut être retenu.

[329]     L’appelante incidente reproche également à la juge de première instance que sa décision sur l’article 24(2) de la Charte est compartimentée et ne tient pas compte de l’ensemble des circonstances.

[330]     Le Tribunal estime que cet argument est non fondé. La juge réfère abondamment à la preuve entendue.

[331]     De plus, les références à R. c. Boucher[101], R. c. R.E.M.[102] et Bourdeau c. R.[103] énoncés plus avant s’appliquent également à cet argument de l’appelante incidente.

[332]     L’appelante incidente reproche également à la juge de première instance de ne pas avoir tenu compte du caractère peu intrusif des prélèvements d’échantillons d’haleine.

[333]       La juge retient que l’intimé incident a accepté de passer le test de dépistage avec l’ADA et qu’il était coopératif. Elle mentionne également que des tests quant à son alcoolémie seront effectués au poste de police.

[334]     Il est exact qu’elle ne fait pas référence spécifiquement au caractère peu intrusif de ces prélèvements.

[335]     Toutefois, il vaut de rappeler que la juge a conclu à une violation importante du droit à l’avocat et du droit au silence de l’intimé incident.

[336]     On peut penser que dans ce contexte, le caractère peu intrusif des tests n’avait pas un effet déterminant dans sa décision.

[337]     Par ailleurs, encore une fois, le Tribunal est d’avis que les principes énoncés dans R. c. Boucher[104], R. c. R.E.M.[105] et Bourdeau c. R.[106] cités plus avant s’appliquent également quant à cet argument de l’appelante incidente.

[338]     Considérant ce qui précède, le Tribunal conclut que, dans son analyse de l’impact de la violation sur les droits de l’intimé incident, la juge de première instance n’a commis aucune erreur manifeste et déterminante dans son appréciation de la preuve, ni aucune erreur en droit.

[339]     Le Tribunal aborde maintenant la question de l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond.

[340]     Sur ce sujet, la juge de première instance s’exprime comme suit :

Évidemment que le tribunal est conscient de l'intérêt de la société à ce que cette affaire soit jugée au fond. Cet intérêt milite en faveur de l'utilisation de la preuve. Toutefois, vu la durée de la détention illégale dans le présent dossier, il faut prendre en compte que le public a également intérêt à ce que le fonctionnement du système de justice demeure irréprochable au regard des individus accusés de ces infractions graves, comme l'affirmait la Cour suprême dans R. contre Spencer.[107]

[341]     La juge reconnaît l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond.

[342]     Il est par ailleurs exact que la juge ne fait pas spécifiquement référence à la fiabilité des échantillons d’haleine et à leur importance pour la poursuite.

[343]     Toutefois, ses motifs permettent de comprendre que, compte tenu de l’importance de la violation des droits de l’intimé incident, elle estime qu’il est dans l’intérêt de la société que le fonctionnement du système de justice demeure irréprochable au regard d’individus accusés d’infractions graves.

[344]     Le Tribunal est d’avis qu’encore une fois les principes énoncés dans R. c. Boucher[108], R. c. R.E.M.[109] et Bourdeau c. R.[110] cités plus avant s’appliquent également ici.

[345]     Considérant ce qui précède, le Tribunal conclut que dans son analyse de l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond, la juge de première instance ne commet aucune erreur manifeste et déterminante dans son appréciation de la preuve ni aucune erreur de droit.

[346]     Le Tribunal aborde maintenant la question de la mise en balance des différents intérêts.

[347]     Tel que déjà mentionné, l’appelante incidente reproche à la juge de première instance d’avoir omis de considérer certains facteurs dans la mise en balance des différentes intérêts.

[348]     Plus spécifiquement, l’appelante incidente reproche à la juge de ne pas avoir considéré les éléments suivants :

·        La présence de soupçons valides;

·        La bonne foi des policiers, ainsi que leurs efforts et explications;

·        La réalité du droit à l’avocat dans le présent dossier;

·        Le caractère non intrusif des tests;

·        La durée de la détention ni son effet réel sur les droits de l’accusé;

·        La fiabilité de la preuve découlant des tests et son rôle dans la preuve de la poursuite.[111]

[349]     Le Tribunal a déjà abordé les éléments qui précèdent, à l’exception de la fiabilité de la preuve découlant des tests et de son rôle dans la preuve de la poursuite.

[350]     Il n’était pas nécessaire pour la juge de revenir sur l’ensemble des éléments mentionnés plus avant à chacune des questions qu’elle traitait.

[351]     On peut raisonnablement penser que la juge les avait à l’esprit lorsqu’elle procède à la mise en balance des différents intérêts.

[352]     Quant à la question de la fiabilité de la preuve découlant des tests et de leur rôle dans la preuve de la poursuite, le Tribunal est d’avis que l’absence d’une mention spécifique de ce facteur ne constitue pas, en l’espèce, une erreur révisable.

[353]     À cet égard, le Tribunal rappelle une fois de plus les principes de R. c. Boucher[112], R. c. R.E.M.[113] et Bourdeau c. R.[114] cités plus avant.

[354]     Également, il est utile de citer l’extrait qui suit du jugement de première instance :

[…] Le défendeur n'a pas été informé de ses droits constitutionnels au silence et à l'avocat alors que l'ordre donné de souffler dans l'ADA ne respectait pas l'article 254(2). Il s'agit d'une violation à la Charte et, comme le veut la jurisprudence majoritaire en cette matière, la gravité de cette violation et son impact à long terme sur l'administration de la justice et la confiance du public envers elle conduisent à l'exclusion de la preuve obtenue suite à cette violation.

Je n'ai pas d'hésitation à conclure que les agents quoique de bonne foi, ont fait preuve d'insouciance, au mieux, de désinvolture à l'égard des droits du défendeur qui lui sont garantis par la Charte. L'incidence de cette violation est importante puisque toute la preuve recueillie l'a été pendant la détention du défendeur alors qu'il n'avait pas bénéficié de son droit au silence non plus que de son droit à l'avocat.

Évidemment que le tribunal est conscient de l'intérêt de la société à ce que cette affaire soit jugée au fond. Cet intérêt milite en faveur de l'utilisation de la preuve. Toutefois, vu la durée de la détention illégale dans le présent dossier, il faut prendre en compte que le public a également intérêt à ce que le fonctionnement du système de justice demeure irréprochable au regard des individus accusés de ces infractions graves, comme l'affirmait la Cour suprême dans R. contre Spencer.[115]

[355]     Considérant ce qui précède, le Tribunal conclut que, dans sa mise en balance des différents intérêts, la juge de première instance n’a commis aucune erreur manifeste et déterminante dans son appréciation des faits ni aucune erreur en droit.

CONCLUSIONS QUANT À L’APPEL INCIDENT

[356]     Le Tribunal est d’avis que la juge de première instance n’a commis aucune erreur manifeste et déterminante dans son appréciation de la preuve, ni aucune erreur en droit en concluant à l’exclusion de la preuve des résultats de l’ADA, des résultats de l’alcootest et du certificat d’analyse. Elle a pris en compte les considérations applicables et n’a tiré aucune conclusion déraisonnable.

[357]     L’appel incident doit donc être rejeté.

CONCLUSIONS

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[358]     REJETTE l’appel principal;

[359]     REJETTE l’appel incident.

 

 

__________________________________

PIERRE LABRIE, J.C.S.

 

 

 

Me Stéphanie Myre

Procureure de l’appelant-intimé incident

 

Me France Larochelle

Direction des poursuites pénales et criminelles, Ville de Montréal

Procureure de l’intimée-appelante incidente

 

Date d'audience :

Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, les parties ont accepté que le présent appel soit décidé sur la base d’observations écrites, sans la tenue d’une audition. Les parties furent de plus invitées à soumettre des arguments écrits supplémentaires, ainsi que de la jurisprudence additionnelle. Ces documents additionnels ont été soumis les 29 avril et 19 mai 2020. Le Tribunal a pris la présente affaire en délibéré le 19 mai 2020.

 

 

 



[1] 1994 CanLII 94 (CSC) [Stellato].

[2] 2018 QCCA 4088 [Hoummady].

[3] 2016 CSC 48.

[4] 2019 QCCA 1168.

[5] Code de la sécurité routière, RLRQ, c. C-24.2.

[6] Mémoire de l’appelant, par. 156.

[7] [2010] J.Q. No. 7829, par. 85.

[8] 1997 CanLII 319 (CSC).

[9] 2000 CanLII 40 (CSC).

[10] [2002] J.Q. 575, par. 51 à 53.

[11] [2008] J.Q. No. 12911, par. 9, 13, 14.

[12] [2013] J.Q. No. 13004, par. 30 à 36.

[13] Graat c. R., 1982 CanLII 33 (CSC), pp. 826, 835 à 838.

[14] Voir paragraphe 79 du présent jugement.

[15] Transcription du jugement de première instance du 27 mars 2019, p. 6.

[16] Id., pp. 7, 8.

[17] Id., p. 8.

[18] Ibid.

[19] Transcription du jugement de première instance du 27 mars 2019, p. 8, 9.

[20] Id., p. 11.

[21] Ibid.

[22] Ibid.

[23] Ibid.

[24] Ibid.

[25] Ibid.

[26] Id., pp. 13, 14.

[27] Transcription du jugement de première instance du 27 mars 2019, p. 10.

[28] Stellato, supra, note 1.

[29] Transcription du jugement de première instance du 27 mars 2019, pp. 11, 12, 13.

[30] Hoummady, supra, note 2.

[31] Transcription du jugement de première instance du 27 mars 2019, p. 15.

[32] Notes sténographiques du 8 juin 2018, p.82.

[33] Transcription du jugement de première instance du 27 mars 2019, p. 15.

[34] 1838, 2 Lewin cc 227, 168 E.R. 1136.

[35] Transcription du jugement de première instance du 27 mars 2019, p. 11.

[36] Id., pp. 14, 15.

[37] Transcription du jugement de première instance du 27 mars 2019, p. 11.

[38] 2016 CSC 33 (CanLII).

[39] 2020 QCCA 431 [Bélanger].

[40] Notes sténographiques du 21 février 2018, p. 14.

[41] Notes sténographiques du 8 juin 2018, p. 76.

[42] Id., pp. 77, 78.

[43] Bélanger, supra, note 39, par. 44.

[44] 2015 QCCS 426.

[45] 2014 QCCS 11937.

[46] 2012 ONCA 123.

[47] 2018 QCCA 948 [Piazza].

[48] [2005] 2 R.C.S. 205.

[49] Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11

   (R.-U.).

[50] 2014 CSC 43 (CanLII).

[51] 2009 CSC 32 [Grant].

[52] 2016 CSC 48.

[53] 2019 QCCA 1168.

[54] 2011 CSC 46.

[55] R. c. Cole, 2012 CSC 53, par. 82.

[56] 2013 ONCA 543.

[57] 2018 QCCS 4468.

[58] Voir paragraphe 221 du présent jugement.

[59] Grant, supra, note 51.

[60] Grant, supra, note 51.

[61] Ibid.

[62] 2018 QCCS 4900, par. 297 [Latour].

[63] Grant, supra, note 51, par. 75.

[64] Transcription du jugement de première instance du 2 novembre 2018, p. 12.

[65] 2018 QCCS 4859, par. 39 à 44.

[66] Grant, supra, note 51.

[67] Mémoire de l’appelante incidente, pages 47 à 50.

[68] Grant, supra, note 51.

[69] 2005 QCCA 687 [Petit].

[70] Grant, supra, note 51.

[71] 2009 RCS 33.

[72] 2019 QCCA 437, par. 29, 30.

[73] 2013 ONCA 109 CanLII, par. 36, 37.

[74] 2005 CSC 37 [Orbanski].

[75] Petit, supra, note 69.

[76] Piazza, supra, note 47.

[77] Ibid.

[78] 2014 CSC 50 (CanLII) [Taylor].

[79] Grant, supra, note 51, par. 76.

[80] Latour, supra, note 62, par. 298.

[81] Transcription du jugement de première instance du 2 novembre 2018, p. 30.

[82] Latour, supra, note 62, par. 306, 307.

[83] Grant, supra, note 51, par. 99 à 111.

[84] Grant, supra, note 51.

[85] Taylor, supra, note 78.

[86] 2018 ONCA 260, par. 29 à 32.

[87] 2018 ONSC 2417.

[88] Anderson c. R., 2013 QCCA 2160 (CanLII), par. 30; R. c. Delisle, 2012 QCCA 769 (CanLII), par. 26.

[89] Grant, supra, note 51, par. 79 à 83, 110.

[90] Transcription du jugement de première instance du 2 novembre 2018, p. 30.

[91] Grant, supra, note 51.

[92] Grant, supra, note 51.

[93] Orbanski, supra, note 74.

[94] R. c. Paterson, 2017 CSC 15 (CanLII), par. 44.

[95] Transcription du jugement de première instance du 2 novembre 2018, p. 12.

[96] Transcription du jugement de première instance du 2 novembre 2018, pp. 29, 30.

[97] [2005] 3 R.C.S. 499 [Boucher].

[98] [2008] 3 R.C.S. 3 [R.E.M.].

[99] 2018 QCCA 786 [Bourdeau].

[100] Transcription du jugement de première instance du 2 novembre 2018, pp. 28, 29.

[101] Boucher, supra, note 97.

[102] R.E.M., supra, note 98.

[103] Bourdeau, supra, note 99.

[104] Boucher, supra, note 97.

[105] R.E.M., supra, note 98.

[106] Bourdeau, supra, note 99.

[107] Transcription du jugement de première instance du 2 novembre 2018, p. 30.

[108] Boucher, supra, note 97.

[109] R.E.M., supra, note 98.

[110] Bourdeau, supra, note 99.

[111] Mémoire de l’appelante incidente, par. 360 à 363.

[112] Boucher, supra, note 97.

[113] R.E.M., supra, note 98.

[114] Bourdeau, supra, note 99.

[115] Transcription du jugement de première instance du 2 novembre 2018, pp. 29, 30.

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