Décision

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[Texte de la décision]

Section des affaires sociales

En matière de sécurité ou soutien du revenu, d'aide et d'allocations sociales

 

 

Date : 9 octobre 2015

Référence neutre : 2015 QCTAQ 10130

Dossier  : SAS-Q-205333-1410

Devant le juge administratif :

MICHEL RIVARD

 

P… L…

Partie requérante

c.

RÉGIE DES RENTES DU QUÉBEC

Partie intimée

 


DÉCISION


[1]              Le requérant conteste une décision en révision de la Régie des rentes du Québec (la Régie) du 16 septembre 2014 confirmant une décision de l’agente de rentes spécialiste qui refusait de lui accorder une rente de soutien aux enfants pour son fils X. Le requérant est présent et n’est pas représenté par procureur. L’intimée, quant à elle, est représentée par avocat.

La preuve

[2]              Le requérant est séparé de son ex-conjointe depuis quelques années. La relation entre les deux parents est cordiale et ceux-ci voient aux soins, à l’entretien et à l’éducation de leurs deux fils de façon optimale.

[3]              Au début de l’année 2012, la mère confie la garde de X au requérant, et ce, à la suite d'une entente à l'amiable. Ce changement devait être de courte durée; cependant, cette situation a perduré durant toute l'année 2012.

[4]              Puisque le requérant ne paie pas de pension alimentaire, les parties conviennent de laisser à la mère les allocations de soutien aux enfants, et ce, en toute bonne foi.

[5]              Cependant, le requérant inscrit X à sa charge dans sa déclaration d'impôts 2012.

[6]              Dès le début de l’année 2013, la mère reprend la garde du jeune X.

[7]              Présente à titre de témoin devant le Tribunal, la mère témoigne à l’effet que la Régie des rentes lui a réclamé toutes les sommes perçues au soutien de X pour 2012 puisqu’il n’était pas sous sa garde.

[8]              Cette réclamation survient en 2014.

[9]              Toujours en 2014, au mois d’avril, le requérant réclame le soutien aux enfants pour le jeune X dont il avait la garde pour toute l’année 2012.

[10]           Devant le Tribunal, le requérant témoigne à l’effet qu’il croyait fermement qu’il pouvait laisser les allocations à la mère d’autant plus que le changement de garde devait être de courte durée.

[11]           Il verbalise qu’il ne connaissait pas cet aspect de la loi. Ce n’est que lorsque les prestations canadiennes de la mère ont été coupées qu’il a compris que seul le parent qui a la garde peut obtenir le soutien pour l'enfant.

[12]           Il reproche à la Régie de ne pas l’avoir avisé plus tôt; ce qui aurait peut-être permis d’éviter une demande tardive de sa part.

[13]           Le requérant reproche également à la régie de ne verser qu’un paiement rétroactif pour une période maximale de douze (12) mois incluant le mois de la demande alors que celle-ci peut rétroagir jusqu’à trois (3) ans dans le cas de trop-perçus.

[14]           Le procureur de l’intimée, de son côté, plaide que la décision en révision fut rendue suivant l’article 1029.8.61.24 de la Loi sur les impôts (RLRQ chapitre J. 3) dont voici un extrait :

« 1029.8.61.24. un particulier ne peut être considéré comme un particulier admissible, à l’égard d’un enfant à charge, au début d’un mois donné que s’il présente une demande, à l’égard de cet enfant à charge admissible, auprès de la Régie au plus tard 11 mois après la fin du mois donné.

Prolongation du délai.

La régie peut, en tout temps, proroger le délai fixé pour présenter une demande visée au premier alinéa. […] »

[15]           Dans cet article de la Loi, il n’y a aucune indication sur les motifs autorisant la Régie à proroger le délai pour présenter une demande.

[16]           Le Tribunal comprend qu’il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire qui doit être exercé de manière raisonnable.

[17]           À l’époque des faits, selon le procureur de l’intimée, la prorogation était possible même dans les cas d’ignorance de la Loi.

[18]           Depuis le 1er janvier 2014, la pratique opérationnelle appliquée par la Régie des rentes est la suivante, soit la PO 2061-05 :

« PO 2061-05 Prorogation

 

La régie peut, à sa discrétion et pour motifs valables, accorder un montant rétroactif pour une période supérieure à la période de 11 mois précédant celui de la demande.

La Régie vérifie s’il y a lieu de proroger la période de rétroactivité de 11 mois lorsque le requérant ou le bénéficiaire l’informe par écrit, qu’il a été dans l’impossibilité d’agir, c’est-à-dire de faire sa demande plus tôt.

Exception

La Régie peut proroger la période de rétroactivité maximale de 11 mois pour les demandes de changement de garde ou de début de garde partagée, qui sont reçues tardivement de l’un des parents, et ce, jusqu’à concurrence du nombre de mois réclamés à l’autre parent.

Il n’y a pas de prorogation pour un requérant ou bénéficiaire qui est dans une des situations suivantes

·      Ignorance de la loi;

·      Erreur de droit (sauf si elle est induite par la Régie);

·      Il y a erreur de droit lorsque le bénéficiaire fait une interprétation erronée de la loi et des règlements.

·      Retard à produire sa demande de PSE en raison de son inaction, négligence, manque de diligence, absence d’intérêts ou désistement;

·      Manque d’argent et dépendance à un parent. »

[19]           Cette pratique de la Régie exclut expressément les cas où l’on invoque l’ignorance de la loi comme dans la présente situation où le requérant fait sa demande en avril 2014.

Analyse et décision

[20]           Au cours des dernières années, il était de jurisprudence établie du Tribunal que l’ignorance de la loi ne pouvait pas être invoquée.

[21]           Cependant, une décision récente du Tribunal[1] datée du 21 septembre 2015 est venue nuancer quelque peu la maxime selon laquelle « nul n’est censé ignorer la loi ».

[22]           Dans ce dossier où il était question d’une demande de prestation tardive en vertu de la Loi d’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC), notre collègue nous rappelle que « la Cour Suprême nous enseigne que l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » tire sa justification de la nécessité d’interdire qu’une personne invoque ignorer la loi pour se défendre d'une infraction criminelle ou pénale ou pour se soustraire à ses obligations ».

[23]           Dans le cas sous espèce et le présent cas, il s’agit plutôt de matière de droit administratif où il y a lieu de tenir compte de certaines nuances étant donné la multiplicité des recours, règlements et pratiques.

[24]           Notre collègue, dans sa décision du 21 septembre 2015, nous invite bien sûr à considérer le contexte du défaut de respecter le délai et de vérifier s’il y a eu diligence ou négligence de la part de l’administré.

[25]           Pour ce faire, le Tribunal peut s’inspirer de l’article 106 de la Loi sur la justice administrative et vérifier si la conduite du requérant est responsable et acceptable à l’opposé d’une négligence ou bien d’un désintérêt.

[26]           Dans le cas sous étude, le requérant fait sa demande de rente de soutien aux enfants auprès de la Régie dès que lui et son ex-conjointe reçoivent leurs avis de cotisation. Le requérant agit dès que son ex-conjointe l’avise des coupures des prestations canadiennes.

[27]           La demande d’indemnité est datée du 31 mars 2014[2], et ce, pour l’année 2012 seulement alors que l’enfant était sous sa charge.

[28]           Pour le Tribunal, il n’y a pas eu de négligence et/ou désintérêt de la part du requérant. Le requérant n’avait pas renoncé à sa demande et a fait la preuve prépondérante des motifs acceptables et raisonnables.

[29]           L’intimée, pour sa part, invoque une pratique opérationnelle du 1er janvier 2014 où la Régie ne peut proroger la période de rétroactivité au-delà des onze (11) mois sauf dans les cas d’ignorance de la loi.

[30]           La même demande de la part du requérant, quelques mois plus tôt, aurait été accueillie différemment.

[31]           On ne peut certes reprocher au requérant sa méconnaissance des centaines d’articles de la Loi sur l’impôt ainsi que toutes les pratiques opérationnelles de la Régie des rentes.

[32]           Dans la présente affaire, le requérant ne voulait que bénéficier pour son fils d’une mesure de soutien à caractère social.

[33]           En l’absence de négligence de la part du requérant, il convient de lui permettre d’être admissible au paiement de soutien aux enfants au-delà des onze (11) mois prévus dans la pratique opérationnelle de la Régie.

PAR CES MOTIFS, le Tribunal :

ACCUEILLE la requête;

ORDONNE à la Régie de verser au requérant la prestation de soutien aux enfants pour son fils X, et ce, pour l’année 2012.


 

 

MICHEL RIVARD, j.a.t.a.q.


 

Lafond, Robillard & Laniel

Me Michel Bélanger

Procureur de la partie intimée


 



[1]           2015 QCTAQ 0916

[2]           P. 4 du dossier tel que constitué

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