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Commission municipale du Québec

(Division juridictionnelle)

 

 

 

 

Date : Le 8 janvier 2024

 

 

 

Dossier : CMQ-69872-001   (33458-24)

 

 

 

Sous la présidence du Juge administratif : Mélanie Robert

 

 

 

 

 

Direction des enquêtes et des poursuites

en intégrité municipale

Partie poursuivante

 

c.

 

Jeanne Noreau

conseillère, Ville de Cap-Santé

Élu visé

 

 

 

 

ENQUÊTE EN ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE

EN MATIÈRE MUNICIPALE

 

 

 

D écision

PARTIE 1 : LES MANQUEMENTS

INTRODUCTION

[1]               La Commission municipale du Québec (la Commission) est saisie d’une citation en déontologie municipale[1] (la citation) concernant Jeanne Noreau, conseillère de la Municipalité de Cap-Santé (la Municipalité), conformément à l’article 22 de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale[2] (LEDMM).

[2]               La citation déposée par la Direction des enquêtes et des poursuites en intégrité municipale de la Commission (la DEPIM) allègue que l’élue aurait commis des manquements au Règlement 22-178 – Règlement édictant le code d’éthique et de déontologie des élus(es) municipaux, lequel a été adopté le 14 mars 2022 (le Code)[3] :

 

« 1. Le ou vers le 8 août 2022, madame Noreau s’est adressée à la directrice générale en adoptant une attitude et des propos intimidants et vexatoires, contrevenant ainsi à l’article 5.2.1 du Code.

 

2. Le ou vers le 28 octobre 2022, madame Noreau s’est comportée de façon irrespectueuse et incivile en minant l’intégrité de la directrice générale auprès d’une employée de la ville, contrevenant ainsi à l’article 5.2.1 du Code.

 

3. Le ou vers le 11 avril 2023, madame Noreau a, en séance du Conseil, divulgué publiquement des renseignements privilégiés concernant une plainte de harcèlement psychologique et l’identité du plaignant, contrevenant ainsi aux articles 5.2.1, 5.2.6.2 et 5.2.6.4 du Code.

 

4. Le ou vers le 14 avril 2023, madame Noreau a incité la propagation et la diffusion sur les réseaux sociaux des renseignements privilégiés qu’elle a divulgués le ou vers le 11 avril 2023 en séance publique, contrevenant ainsi à l’article 5.2.6.4 du Code. »


CONTEXTE[4]

[3]               Jeanne Noreau a d’abord été mairesse de la Municipalité de 2005 à 2009 pour ensuite être élue conseillère en 2018 et réélue, toujours comme conseillère, en 2021.

[4]               Au moment des évènements, le conseil municipal est composé de six conseillers, dont font partie les conseillers qui seront entendus comme témoins Mario Denis, François Trottier, Danny Perron et la conseillère Jeanne Noreau, ainsi que d’un maire, monsieur Michel Blackburn.

[5]               À titre de conseillère, madame Noreau est très impliquée et siège sur de nombreux comités : Conseil du patrimoine culturel de Cap-Santé, Comité du Symposium Riche en couleurs, Office municipal d’habitation du Grand Portneuf (OMHGP), Conseil d’établissement École du Bon Pasteur.[5]

[6]               La directrice générale et greffière-trésorière de la Municipalité est madame Nancy Sirois, en poste depuis 12 ans.

[7]               Les principales fonctions de madame Sirois sont notamment de planifier et diriger les ressources matérielles, financières et humaines de la Municipalité, préparer les séances et caucus du conseil municipal, rédiger des procès-verbaux et autres documents légaux ainsi que voir à la gestion budgétaire de la Municipalité.[6]

La relocalisation de la bibliothèque municipale

[8]               Depuis 1989, l’École primaire du Bon-Pasteur abrite la bibliothèque municipale, et ce, en vertu d’un bail intervenu entre le Centre de services scolaire de Portneuf et la Municipalité.

[9]               En 2021, la démographie étant en croissance constante au sein de la Municipalité, l’école vient à manquer d’espace notamment pour ses maternelles « 4 ans » et avise la Municipalité qu’elle souhaite récupérer le local occupé par la bibliothèque municipale.[7]

[10]           La Municipalité amorce donc des recherches pour relocaliser temporairement sa bibliothèque laquelle doit avoir libéré le local de l’école au plus tard le 1er août 2022.[8]

[11]           Deux nouveaux emplacements sont alors envisagés : le 271, route 138 (ACMAT), et le 7, Place de l’Église (funérarium).

[12]           Il faut savoir qu’à court terme, la Municipalité préfère louer plutôt qu’acheter un nouvel espace pour sa bibliothèque. Puisqu’à l’inverse, le funérarium n’est pas intéressé par une location, même si celle-ci est accompagnée d’une option d’achat, la recommandation de madame Sirois au conseil municipal sera de louer l’emplacement situé au 271, route 138 (ACMAT), et ce, pour une durée d’un an.

[13]           Le ou vers le 27 juin 2022, la présidente du Conseil d’établissement de l’École du Bon-Pasteur fait parvenir à madame Sirois et au maire Blackburn la lettre d’appui DEP-8 quant à « la relocalisation de la bibliothèque à proximité de l’école », un choix qui permettrait notamment à la Municipalité « de maintenir l’accessibilité à ce service pour tous les élèves ».

[14]           Le 4 juillet 2022, la lettre DEP-8 est également envoyée à madame Noreau, pour son information, qui la transférera à l’ensemble des conseillers le 8 juillet suivant.[9]

[15]           La position ainsi prise par le Conseil d’établissement, sur lequel siège madame Noreau, favorise le 7, Place de l’Église (funérarium), au détriment de l’immeuble situé sur la route 138.

[16]           Lorsque la lettre DEP-8 est transmise le ou vers le 27 juin 2022 à madame Sirois, celle-ci est en vacances. À son retour le 7 juillet suivant, sa boîte courriel contient plusieurs centaines de courriels, dont celui du Conseil d’établissement que madame Sirois aperçoit mais ne priorise pas. Ce courriel n’est donc pas traité par elle sur le moment.

[17]           Malgré la recommandation de la direction générale de retenir l’immeuble de la route 138, le conseil donnera à madame Sirois le mandat de poursuivre les négociations avec le funérarium. Ce dernier finira par accepter de louer son local avec une promesse d’achat.

[18]           Le 13 juillet 2022, une séance extraordinaire a donc lieu lors de laquelle le conseil municipal adopte la résolution 22-07-218[10], autorisant madame Sirois à signer un bail pour la location de l’immeuble situé au 7, Place de l’Église
(le funérarium), pour une durée de 12 mois.

[19]           Quand finalement madame Sirois prendra connaissance du contenu du courriel DEP-8, la décision du conseil d’aller de l’avant avec le funérarium est prise, la résolution 22-07-218 du conseil entérinant cette option. Le courriel
DEP-8 ne sera donc jamais envoyé par madame Sirois, ni par le maire Blackburn, aux membres du conseil.


Évènements du 8 août 2022 en lien avec la citation

[20]           Le 8 août 2022 doit avoir lieu une séance publique du conseil municipal. Les conseillers Denis, Noreau et Perron se présentent donc à la salle du conseil. Madame Sirois est également présente.

[21]           Trois ou quatre citoyens, dont Gaétan Leclerc et Rémi Odorico, sont sur place pour pouvoir assister à la séance.

[22]           Devant l’absence du quorum, madame Sirois annonce que la séance doit être ajournée au 15 août suivant et met fin à l’enregistrement.

[23]           À partir de cet instant, les différentes versions divergent quant à la suite des évènements. Cela a toutefois peu d’incidence. Voici ce que le Tribunal retient.

[24]           Alors que la séance est ajournée, des questions sont posées par monsieur Leclerc qui s’interroge sur l’avenir de la bibliothèque municipale.

[25]           Madame Noreau lui répond qu’elle sera relocalisée au salon funéraire.

[26]           Au bout de quelques minutes, alors que madame Sirois quitte son siège pour raccompagner l’ensemble des citoyens jusqu’à la sortie, madame Noreau lui annonce qu’elle désire lui parler à son retour, et ce, devant les deux autres conseillers présents.

[27]           Lorsqu’elle regagne sa place, madame Sirois interroge madame Noreau sur les raisons pour lesquelles elle souhaite lui parler.

[28]           Madame Noreau commence en lui spécifiant que « c’est important, j’ai deux témoins »[11], faisant ainsi référence aux conseillers messieurs Perron et Denis.

[29]           Madame Noreau poursuit en demandant à madame Sirois la procédure à suivre pour consulter les procureurs de la Municipalité. Rapidement, madame Noreau dit ceci à madame Sirois : « C’est de toi dont il est question ». Elle précise alors que cela concerne la lettre du Conseil d’établissement de l’école (DEP-8) qu’elle n’a pas remise au conseil municipal.[12]

[30]           Madame Noreau reconnaît avoir probablement « saisi » madame Sirois à ce moment-là.[13]

[31]           Madame Sirois se sent soudainement accusée d’avoir retenu de l’information, d’avoir mal effectué son travail. Elle sent que son intégrité professionnelle est remise en question, voire attaquée. Le ton de madame Noreau, qui s’avance sur son bureau, est de plus en plus élevé quand elle s’adresse à elle.[14]

[32]           Le conseiller monsieur Perron, assis à sa place habituelle, se trouve alors entre madame Sirois et madame Noreau.[15]

[33]           Comprenant que madame Noreau prétend, par ses questions, que madame Sirois aurait caché de l’information au conseil relativement à la « fameuse lettre du conseil d’établissement », monsieur Perron se tourne vers madame Noreau et intervient pour lui dire de faire attention, que ce sont de graves accusations sans fondement.[16]

[34]           Toujours selon le témoignage de monsieur Perron, madame Noreau ne l’écoute pas, insiste, tape avec impatience et pointe madame Sirois du doigt. De son côté, madame Sirois est visiblement stressée, sa voix est tremblante et elle est au bord des larmes.[17]

[35]           En réaction aux propos de monsieur Perron, Madame Noreau admet avoir monté le ton.[18]

[36]           Selon le témoignage de monsieur Denis, assis face aux conseillers Noreau et Perron, il qualifie l’évènement « d’une des bonnes réactions » qu’il ait vues depuis le début de sa carrière en politique municipale en 2009. Devant l’absence de réponse ou d’explication de madame Sirois, situation que monsieur Denis qualifie de « dérangeante », madame Noreau se fait insistante et tenace.[19]

[37]           Finalement, Madame Sirois demande à madame Noreau de lui soumettre ses questions par courriel, met fin à la rencontre et quitte la salle du conseil.

[38]           À l’étage où se trouve son bureau, Madame Sirois croise une première fois Monsieur Jean Girard, chef de division à la Régie Portneuvoise de Protection Incendie. Madame Sirois poursuit alors son chemin pour aller se réfugier et pleurer dans son bureau. Monsieur Girard se rappelle son teint rougi et son air ébranlé.

[39]           Madame Sirois ressortira quelques minutes plus tard de son bureau et ira retrouver monsieur Girard, toujours installé près des photocopieurs. Monsieur Girard demande alors à madame Sirois, les yeux rougis et manifestement toujours en état de choc, ce qui se passe. Lorsque monsieur Girard demande si cela concerne « madame N. », madame Sirois fait un signe de tête et quitte de son côté.[20]

[40]           En témoignage, monsieur Girard explique sa question par l’implication très soutenue de madame Noreau dans plusieurs comités et l’animosité ressentie au sein du conseil relativement à certains dossiers.

[41]           Toujours le 8 août 2022, à 20 h 31, et suivant l’invitation de madame Sirois, madame Noreau transmet à cette dernière « ses questions »[21] par un courriel dont les propos sont importants. Les voici :

 

« Bonjour Nancy, pour faire suite à notre rencontre de ce soir. Voici mes questions à demander au procureur : Est-ce que la directrice générale peut retenir de l’information pour influencer une décision? Dans ce cas, toi et le maire avez reçu une lettre du conseil d’établissement de l’école qui favorisait la localisation de la bibliothèque à proximité de l’école, lettre que vous n’avez pas transmise aux conseillers.

Aussi, est-ce qu’une directrice de la ville peut tenter d’influencer son conseil de ville? Dans ce cas, en écrivant aux conseillers à quelques heures de la réunion pour dire ce qu’elle favorise pour la localisation de la bibliothèque.

J’aurais bien d’autres sujets à apporter, pour le moment, j’en reste là.

Je crois qu’un conseil de ville doit avoir toutes les informations pour prendre une décision éclairée.

Merci au procureur de répondre à ces questions.

Jeanne Noreau. »[22]

[nous soulignons]

 

[42]           Considérant son émotion évidente lors de la soirée du 8 août, monsieur Perron appellera madame Sirois le lendemain pour prendre de ses nouvelles.[23]

[43]           Le 26 septembre 2022, madame Sirois remplit le formulaire de plainte[24] disponible en annexe à la Politique pour contrer le harcèlement psychologique au travail.[25]

[44]           En contre-interrogatoire, madame Sirois précise que s’agissant d’une première à la Municipalité et devant deux politiques qui se chevauchent, soit la Politique pour contrer le harcèlement psychologique au travail nommée précédemment et la Politique Tolérance Zéro : concernant les abus, l’intimidation et la violence verbale ou physique[26], elle remplit le formulaire DEP-11 de bonne foi et suit le processus du mieux qu’elle peut.

[45]           Tel que recommandé par le procureur de la Municipalité, madame Sirois transmet sa plainte DEP-11 en harcèlement psychologique par courriel au maire Blackburn.

[46]           Le 11 octobre 2022, lors d’un caucus qui suit une séance du conseil municipal, madame Noreau apprend qu’elle fait l’objet d’une dénonciation écrite pour harcèlement psychologique.[27] Sous le choc, madame Noreau rentre chez elle.


[47]           À partir de cet instant, et selon son propre témoignage, « elle parle de ça à tout le monde ». Selon elle, « tout Cap-Santé était au courant, tellement elle en parlait ». Ses propres fils lui ont même recommandé de cesser d’en parler, que « ça n’a pas de bon sens ».

[48]           Le 24 octobre 2022, « considérant la nécessité de tenir une enquête administrative interne en lien avec un dossier de ressources humaines », le conseil municipal adopte la résolution 22-10-277 afin d’autoriser des honoraires professionnels en ressources humaines et relations de travail.[28] Cette résolution est adoptée à l’unanimité des membres du conseil présents, madame Noreau ayant quitté la salle et s’étant retirée des délibérations et du vote.

Évènements du 28 octobre 2022 en lien avec la citation

[49]           Le 28 octobre 2022 a lieu un spectacle musical d’Halloween à l’église de la Municipalité.

[50]           Madame Marie-Claude Bédard, alors adjointe administrative et services aux citoyens de la Municipalité, assiste à ce spectacle, son fils en faisant partie.

[51]           Madame Noreau est également présente à cet évènement pour y encourager ses petits-enfants.

[52]           Avant le début de la représentation, madame Bédard croise madame Noreau qui vient s’asseoir près d’elle.

[53]           Après quelques premiers échanges, madame Noreau aborde le sujet de la bibliothèque municipale. En témoignage, madame Noreau précise avoir « pensé qu’elle [en parlant de madame Bédard] savait tout ça. » Madame Noreau confirme donc avoir dit « tout ça » à madame Bédard : que madame Sirois avait retenu de l’information, qu’elle-même avait été rencontrée par le procureur qui lui avait donné raison, que madame Sirois ne pouvait cacher de l’information aux élus.[29]

[54]           Madame Bédard lui répond ne pas être au courant de la situation.[30]

[55]           En témoignage, Madame Bédard explique s’être alors sentie envahie dans sa sphère de vie privée par des propos qu’elle trouve déplacés, irrespectueux à l’endroit de sa supérieure hiérarchique et douteux d’un point de vue déontologique.

[56]           Dans son témoignage, madame Noreau donne les explications suivantes : « moi, j’explose, c’est pas mêlant », « quand on me fait de la peine, je garde pas ça en dedans de moi », « moi, les secrets, je garde pas ça en dedans, c’est la source des cancers », « moi quand j’ai de quoi, faut que ça sorte ».

[57]           Le 2 novembre 2022, à la demande de madame Sirois, madame Bédard écrit un courriel à cette dernière résumant sa rencontre du 28 octobre avec madame Noreau, courriel que madame Sirois transmettra à l’enquêteur[31].

Évènements du 11 avril 2023 en lien avec la citation

[58]           L’enquête au sujet de la plainte de harcèlement psychologique déposée par madame Sirois à l’encontre de madame Noreau est complétée et le rapport de l’enquêteur, monsieur Zubrzycki, est signé le 10 janvier 2023.[32]

[59]           L’enquêteur ne retient pas la plainte en harcèlement psychologique de madame Sirois. Il conclut toutefois à un comportement vexatoire au sens de la Politique tolérance zéro DEP-6 commis le 8 août 2022 par madame Noreau à l’endroit de madame Sirois.[33] Il recommande notamment que madame Noreau reçoive une formation relativement aux obligations des élus, au respect des règles de gouvernance et aux bonnes pratiques.

[60]           Cette formation a lieu le 31 janvier 2023 à laquelle l’ensemble des élus de la Municipalité participent.[34]

[61]           Le 15 février 2023, madame Noreau écrit un courriel au maire Blackburn et à madame Sirois relativement au compte d’honoraires pour les services professionnels rendus par son avocat dans le cadre de l’enquête:

 

« Voici les honoraires de Me Marchand.

Comme l’accusation n’a pas été retenue, vous êtes priés de me rembourser. Autrement, comme Me Marchand me le recommande, j’envoie tout le dossier à la Commission des affaires municipales. »[35]

 

[62]           Constatant les propos publics tenus par madame Noreau depuis la sortie du rapport d’enquête DEP13, s’agissant d’une situation « peu anodine » pour lui et voulant éviter une escalade[36], le maire Blackburn décide, le 3 avril 2023, d’écrire une lettre à madame Noreau. Il lui rappelle notamment ceci :

 

« Depuis le début de cette affaire, nous mettons tout en œuvre pour respecter les deux parties et conserver ce dossier à l’interne. Je vous demande de faire de même. »[37]

 

[63]           Le 11 avril 2023, a lieu une séance publique du conseil municipal à laquelle assistent plus ou moins 25 personnes du public.

[64]           Le maire Blackburn ainsi que le conseiller François Trottier, la conseillère Jeanne Noreau et la directrice générale Nancy Sirois sont présents. Madame Noreau annonce qu’elle souhaite intervenir lors de la période réservée aux élus(es).

[65]           Lorsque vient son tour, madame Noreau demande d’abord à madame Sirois de sortir de la salle, ce que cette dernière refuse de faire.

[66]           Après avoir obtenu le micro et s’être assurée que tous l’entendaient bien, madame Noreau prend alors la parole pour revenir sur la soirée du 8 août 2022. Elle indique avoir alors demandé à madame Sirois de pouvoir consulter le procureur de la Municipalité parce qu’une lettre n’avait pas été envoyée dans le cadre de la décision à prendre pour la relocalisation de la bibliothèque.[38]

[67]           Elle poursuit en spécifiant qu’un enquêteur a été mis « après elle », qu’on l’a accusée de harcèlement psychologique, qu’elle ne pouvait pas faire autrement que de prendre un avocat pour se défendre et que finalement, le résultat de l’enquête, « c’est qu’il n’y a pas eu de harcèlement psychologique ».[39]

[68]           Elle précise ensuite que ce qu’elle veut maintenant, « c’est de se faire payer ses frais d’avocats par la ville ». Elle termine son intervention en lisant l’entièreté de l’avis juridique qu’elle a obtenu de son avocat, lequel avis porte spécifiquement et exclusivement sur l’enquête interne concernant la plainte logée par madame Sirois à son endroit.[40]

[69]           À la fin de la lecture, des applaudissements du public se font entendre.[41]

[70]           Madame Sirois se dit alors terrorisée, se voyant identifiée et réalisant que l’essentiel de son dossier interne est présenté publiquement. Monsieur Blackburn, quant à lui, dit être encore sous le choc. Sur le coup, voyant madame Sirois devenir livide, il est trop « déboulonné » pour intervenir.


[71]           Le conseiller monsieur Trottier assiste également à cette séance qu’il qualifie de « non harmonieuse » ainsi qu’aux applaudissements des citoyens qu’il estime « non élégants ». Après la séance, il se fait aborder par madame Noreau qui lui demande s’il est d’accord avec les citoyens afin qu’elle se fasse rembourser ses honoraires d’avocats. Monsieur lui répond qu’il n’est pas de cet avis, s’agissant d’un dossier de ressources humaines.[42]

Évènements du 14 avril 2023 en lien avec la citation

[72]           Le 14 avril 2023, madame Noreau publie un message sur la page Facebook « Infos municipales complémentaires, Cap-Santé »[43] à laquelle sont abonnés entre 300 et 500 membres.

[73]           Par cette publication, madame Noreau écrit « Voici un résumé de la dernière réunion. Il faut que vous sachiez. » et elle partage un reportage réalisé par Info CJSR du 13 avril qui reprend des extraits de son allocution lors de la séance publique du 11 avril 2023.

[74]           Le 3 mai 2023, le conseil municipal adopte en séance extraordinaire la résolution 23-05-095 mandatant ses procureurs pour l’envoi de mises en demeure à certains citoyens concernés afin de faire respecter l’ordre et le décorum lors des séances du conseil municipal.[44]

[75]           Le 15 mai 2023, le conseil municipal adopte en séance extraordinaire la résolution 23-05-126 refusant le remboursement des frais d’honoraires professionnels engagés par madame Noreau au montant de 1 586,66 $.[45]

ANALYSE

Le fardeau de preuve applicable

[76]           Dans le cadre d’une enquête en matière d’éthique et de déontologie municipale, le Tribunal doit analyser les faits mis en preuve afin de décider si l’élu(e) a commis les actes ou les gestes dérogatoires reprochés.


[77]           Le degré de preuve alors requis est celui applicable en matière disciplinaire et commun aux instances civiles, soit celui de la prépondérance des probabilités. Cela signifie que le Tribunal doit examiner la preuve pertinente pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu [46].

L’appréciation des valeurs et règles déontologiques par le Tribunal

La Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale (LEDMM)

[78]           L’article 4 de la LEDMM spécifie les valeurs en matière d’éthique qu’un code d’éthique et de déontologie municipale doit énoncer. Y apparaît notamment :

 

«  le respect et la civilité envers les autres membres d’un conseil de la municipalité, les employés de celle-ci et les citoyens; »

 

[79]           Ce même article conclut en spécifiant que les valeurs ainsi énoncées dans le code doivent guider les membres de tout conseil de la Municipalité dans l’appréciation des règles déontologiques qui leur sont applicables.

[80]           Les articles suivants de la LEDMM traitent des règles de conduite déontologique des élu(e)s que doit aussi contenir le code ainsi que les objectifs que ces règles doivent poursuivre. Plus particulièrement, les articles 5 et 6 édictent ce qui suit :

 

« 5. […]

Ces règles doivent notamment avoir pour objectifs de prévenir:

 

 toute situation où l’intérêt personnel du membre du conseil peut influencer son indépendance de jugement dans l’exercice de ses fonctions;

 

[…]

6. Les règles prévues au code d’éthique et de déontologie doivent notamment interdire à tout membre d’un conseil de la municipalité:

0.1° de se comporter de façon irrespectueuse envers les autres membres du conseil municipal, les employés municipaux ou les citoyens par l’emploi, notamment, de paroles, d’écrits ou de gestes vexatoires, dénigrants ou intimidants ou de toute forme d’incivilité de nature vexatoire; »

 


[81]           À son article 25, la LEDMM spécifie que les valeurs qui sont énoncées dans le code d’éthique et de déontologie d’une Municipalité ainsi que les objectifs mentionnés à son article 5 doivent guider la Commission dans l’appréciation des règles déontologiques applicables.

Le Règlement édictant le code d’éthique et de déontologie des élus(es) municipaux (le Code)

[82]           Le Code précise à son article 2.1 qu’il doit être interprété selon les principes et les objectifs contenus à la LEDMM dont les règles sont réputées faire partie intégrante du Code et prévalent sur toute règle incompatible énoncée au Code.

[83]           L’article 4 du Code annonce les principales valeurs de la Municipalité en matière d’éthique et apporte les précisions suivantes quant à celles qui nous concernent plus particulièrement :

 

« 4.1.4 Respect et civilité envers les autres membres du conseil de la municipalité, les employés de celle-ci et les citoyens

 

De façon générale, le respect exige de traiter toutes les personnes avec égard et considération. La civilité implique de faire montre de courtoisie, politesse et de savoir-vivre. »

 

[84]           À l’instar de la LEDMM, le Code rappelle à son article 4.2 que ces valeurs doivent guider les membres dans l’appréciations des règles déontologiques qui leur sont applicables.

[85]           Toutefois, le Code apporte une nuance importance à son article 4.3 :

 

« Lorsque des valeurs sont intégrées à l’article 5 du présent Code, celles-ci doivent, en plus de guider la conduite du membre du conseil, être respectées et appliquées par celui-ci. »

Les règles déontologiques pertinentes du Code

[86]           La citation réfère aux articles suivants du Code :

 

« 5.2.1  Le membre du conseil doit se conduire avec respect et civilité

 

Il est interdit à tout membre du conseil de se comporter de façon irrespectueuse ou incivile envers les autres membres du conseil municipal, les employés municipaux ou les citoyens par l’emploi, notamment, de paroles, d’écrits ou de gestes vexatoires, dénigrants ou intimidants ou de toute forme d’incivilité de nature vexatoire.

 

Plus particulièrement, tout membre du conseil doit :

 

a)      Faire preuve de civilité et de courtoisie dans ses échanges et ses communications, incluant celles sur le Web et les médias sociaux;

b)      Respecter la dignité et l’honneur des autres membres du conseil, des employés municipaux et des citoyens.

 

[…]

 

5.2.6.2  Il est interdit à tout membre du conseil d’utiliser ou divulguer, à son propre avantage ou à l’avantage d’un tiers, une information privilégiée ou une information qu’il détient et qui ne serait pas autrement disponible ou que le conseil municipal n’a pas encore divulguée.

 

5.2.6.4  Tout membre du conseil doit faire preuve de prudence dans ses communications, notamment sur le Web et les médias sociaux, afin d’éviter de divulguer directement ou indirectement une information privilégiée ou qui n’est pas de nature publique. »

 

[87]           Puisqu’il est question aux articles 5.2.6.2 et 5.2.6.4 de « renseignements privilégiés », le Tribunal croit nécessaire de reproduire également cet article du Code :

 

« 5.2.6.5  Pour les fins de la présente section, et sans limiter la généralité de ce qui précède, sont notamment, mais non limitativement, considérés comme des informations privilégiées et des renseignements qui ne sont pas de nature publique: les documents et les renseignements ne pouvant être divulgués ou dont la confidentialité doit être assurée en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (RLRQ, c. A-2.1), les discussions tenues lors des séances privées et tout ce qui est protégé par le secret professionnel, tant que la Municipalité n’y a pas renoncé dans ce dernier cas. »

Les questions en litige[47]

[88]           Les questions en litige soumises par les parties au Tribunal sont les suivantes :

  1. Le ou vers le 8 août 2022, madame Noreau a-t-elle fait défaut de se comporter avec civilité et respect envers la directrice générale, contrevenant ainsi à l’article 5.2.1 du Code?
  2. Le ou vers le 28 octobre 2022, madame Noreau a-t-elle fait défaut de se comporter avec civilité et respect envers la directrice générale, contrevenant ainsi à l’article 5.2.1 du Code?
  3. Le ou vers le 11 avril 2023, madame Noreau a-t-elle divulgué des renseignements privilégiés, contrevenant ainsi à l’article 5.2.6.2 du Code?
  4. Le ou vers le 11 avril 2023, madame Noreau a-t-elle fait défaut de se comporter avec civilité et respect envers la directrice générale, contrevenant ainsi à l’article 5.2.1 du Code?
  5. Le ou vers le 11 avril 2023, madame Noreau a-t-elle manqué de prudence dans ses communications, contrevenant ainsi à l’article 5.2.6.4 du Code?
  6. Le ou vers le 14 avril 2023, madame Noreau a-t-elle manqué de prudence dans ses communications sur les réseaux sociaux, contrevenant ainsi à l’article 5.2.6.4 du Code?

[89]           Le Tribunal reprend chacune de ces questions à la lumière des manquements allégués à la citation et des articles pertinents du Code.

Question 1 (relative au manquement 1):

Est-ce que madame Noreau s’est comportée de façon irrespectueuse ou incivile envers la directrice générale le ou vers le 8 août 2022, contrevenant ainsi à l’article 5.2.1 du Code?

[90]           La DEPIM prétend que le 8 août 2022, madame Noreau a adopté une attitude et a tenu des propos intimidants et vexatoires envers madame Sirois, et ce, en contravention avec la règle de conduite édictée à l’article 5.2.1 du Code.

[91]           De son côté, l’avocat de l’élue soulève qu’il s’agit d’un évènement isolé, qu’il n’y a aucune preuve d’harcèlement et plaide l’abus de procédure et de représailles à l’endroit de madame Noreau qui a déjà fait l’objet d’une enquête pour harcèlement psychologique.

[92]           Le Tribunal tient d’emblée à apporter les précisions suivantes.

[93]           Son travail ne consiste pas à analyser ni à se prononcer sur le bien-fondé de la plainte en harcèlement psychologique[48] logée par madame Sirois à l’endroit de madame Noreau. Il n’a pas non plus à se demander si le cheminement procédural de cette plainte, prévu aux politiques de la Municipalité[49], a bien été suivi.

[94]           Par ailleurs, est-ce que le courriel du Conseil d’établissement de l’école DEP-8 aurait dû faire l’objet d’une communication par la directrice générale, madame Sirois, à l’ensemble des élus de la Municipalité, et ce, à titre de documentation utile à la prise de décision?[50] Peut-être. Et est-ce que les questions de madame Noreau relativement à sa non-transmission, étaient légitimes? Probablement. Mais là n’est pas le débat non plus.

[95]           La question en litige à laquelle le Tribunal doit répondre, en est une d’éthique et de déontologie municipale : est-ce que madame Noreau, par son attitude et ses propos du 8 août 2022, s’est comportée de façon irrespectueuse ou incivile envers madame Sirois en contravention avec son Code?

[96]           D’abord, qu’est-ce qu’un comportement irrespectueux ou incivil? Le Code, à son article 5.2.1, donne quelques exemples : l’emploi de paroles, d’écrits ou de gestes vexatoires ou intimidants. À l’inverse, toujours à l’article 5.2.1, tout membre du conseil doit, plus particulièrement, faire preuve de civilité et de courtoisie dans ses échanges et communications.

[97]           Le dictionnaire Larousse définit la civilité comme étant : « Observation des convenances en usage chez les gens qui vivent en société. »[51] À titre de synonymes, il suggère notamment : courtoisie, politesse, savoir-vivre et usage.

[98]           Après avoir revu sa jurisprudence impliquant le respect, la Commission dans la décision (Re) Demande d’enquête en éthique et déontologie concernant l’élue Manon Derome[52], fait le constat suivant :

 

« [57] Malgré les définitions possibles et l’analyse de la jurisprudence, le manquement à une obligation de respect demeure toujours une question de fait applicable à chaque cas en fonction du contexte où l’acte reproché a été posé. Par conséquent, pour déterminer si un élu a manqué de respect envers un tiers, ce n’est pas seulement la nature de ses propos qui doit être prise en considération, mais également les gestes des interlocuteurs, le niveau de leur rapport, le ton employé, le lieu de leur échange, le climat et l’ambiance entourant leur discussion. Il faut nécessairement procéder à une analyse contextuelle et ne pas se limiter seulement aux mots prononcés ou aux gestes posés par l’élu. »

 

[99]           Il faut donc comprendre que les faits propres à chaque affaire et le contexte particulier dans lequel ils se produisent revêtent une importance capitale dans le travail d’analyse et d’appréciation des règles de respect par le Tribunal.

[100]      Qu’en est-il ici?

[101]      Rappelons que madame Noreau, alors que la séance est ajournée, demande à madame Sirois de revenir à la salle du conseil, une fois qu’elle aura reconduit les citoyens jusqu’à la sortie.

[102]      Cette demande, formulée devant les deux autres conseillers présents, n’est pas faite de façon spontanée ou informelle. Au contraire, il ressort de l’ensemble des témoignages entendus que la démarche de madame Noreau est réfléchie et sérieuse.

[103]      Lorsque madame Sirois revient à sa place, madame Noreau en rajoute : « C’est important, j’ai deux témoins ». De l’avis du Tribunal, ces propos, à eux seuls, suffisent pour mettre quelqu’un sur la défensive.

[104]      Madame Noreau poursuit en réitérant cette question qu’elle avait pourtant déjà soulevée à madame Sirois par le biais d’un courriel envoyé le 1er août précédent et pour laquelle elle avait obtenu une réponse le 4 août suivant[53] : « Si les élu(es) veulent consulter les procureurs de la Municipalité, quelle est la procédure à suivre? » Et elle enchaîne en précisant : « C’est à ton sujet ».

[105]      Si ce n’était pas évident jusqu’alors, ça le devient à ce moment précis : madame Noreau a des reproches à faire à madame Sirois relativement à la non-transmission du courriel DEP-8 et entend prendre les moyens nécessaires pour se faire entendre. Madame Sirois le verbalise ainsi : « Je me sens accusée ». Elle est à ce point ébranlée qu’elle viendra même à souhaiter que ces « accusations » ne mettent pas fin à son emploi qu’elle occupe depuis 12 ans.

[106]      « Je l’ai probablement saisie » reconnaîtra madame Noreau elle-même.

[107]      Les paroles prononcées par madame Noreau, en salle de conseil devant les deux « témoins », le ton et l’attitude qu’elle adopte font réagir le conseiller monsieur Perron qui sent le besoin d’intervenir pour la calmer. Il s’agit également, pour le conseiller Denis, « d’une des bonnes réactions » qu’il ait vue dans son expérience en politique municipale.

[108]      Le Tribunal note d’ailleurs que lors de son témoignage, alors qu’elle se remémore les évènements de la soirée du 8 août 2022 et reconstitue ses échanges avec madame Sirois, madame Noreau pointe du doigt.

[109]      De retour à la maison le soir du 8 août 2022, madame Noreau transmettra « ses questions »[54] à madame Sirois par le courriel DEP-10. Cette fois-ci, l’ensemble des conseillers de la Municipalité, en copie conforme, seront « témoins » de ses propos : « Est-ce que la directrice générale peut retenir de l’information pour influencer une décision? […] Aussi, est-ce qu’une directrice de la ville peut tenter d’influencer son conseil de ville? […] J’aurais bien d’autres sujets à apporter, pour le moment, j’en reste là. ».

[110]      Le Tribunal comprend qu’il s’agit essentiellement des paroles verbales que madame Noreau a prononcées plus tôt en soirée devant madame Sirois, en présence de messieurs Perron et Denis.

[111]      Le Tribunal est d’avis que le comportement de madame Noreau, par ses communications verbales et écrites et son attitude envers madame Sirois le 8 août 2022, déroge aux usages, aux convenances, aux règles de base fondamentales en matière de respect, de courtoisie et de politesse.

[112]      À l’instar des circonstances de l’affaire (Re) Demande d'enquête en éthique et déontologie concernant l'élu Pierre Lafond[55], le Tribunal tient à rappeler qu’il ne s’agissait pas d’un débat en séance publique entre 2 adversaires politiques où, compte tenu des circonstances particulières, les propos peuvent dépasser la limite consensuelle habituelle. Nous sommes plutôt devant des échanges entre un élu et un officier municipal qui font appel aux règles usuelles de respect et de civilité chez les gens qui vivent en collectivité.

[113]      Rappelons que les standards en éthique et déontologie dans le milieu municipal ont été rehaussés en 2021 lors de l’adoption du projet de loi 49[56] rendant obligatoire l’intégration aux codes d’éthique ces valeurs et règles de respect envers les autres élus, les employés municipaux et les citoyens.

[114]      La règle n’est pas là pour empêcher un élu d’effectuer pleinement et correctement son travail, ce qui inclut notamment d’être le porte-voix des électeurs et de participer à des débats parfois vigoureux sur des enjeux d’intérêt public.[57].

[115]      Cette liberté d’expression, bien qu’elle soit un aspect crucial de l’engagement politique des élus, n’est toutefois pas absolue et ne peut justifier des débordements contraires aux règles de respect et de civilité, ce pour quoi la règle déontologique a été introduite.

[116]      Le Tribunal est d’avis que le manque de respect et l’incivilité ne se comptent pas en minutes. Contrairement au harcèlement psychologique, pour qu’une conduite soit vexatoire, dénigrante ou intimidante, elle n’a point besoin de produire un effet nocif continu ou de revêtir un caractère répétitif.[58]

[117]      En terminant, il tient également à souligner que le directeur général effectue son travail sous l’autorité de l’ensemble du conseil et c’est à celui-ci qu’il répond de la bonne gestion de la Municipalité[59]. Ainsi, il n’appartenait pas à madame Noreau, de son propre chef et à l’insu du maire et de certains conseillers, d’organiser et de tenir une rencontre visant à questionner la qualité de la prestation de travail du fonctionnaire principal de la Municipalité.

[118]      Le tribunal conclut que madame Noreau s’est comportée de façon irrespectueuse ou incivile envers la directrice générale le 8 août 2022, contrevenant ainsi à l’article 5.2.1 du Code.


Question 2 (relative au manquement 2) :

Est-ce que madame Noreau s’est comportée de façon irrespectueuse ou incivile envers la directrice générale le ou vers le 28 octobre 2022, contrevenant ainsi à l’article 5.2.1 du Code?

[119]      Les faits suivants, mis en preuve tant par le témoignage de madame Noreau que par celui de madame Bédard, ne sont pas contestés et sont pertinents dans l’analyse du manquement 2 :

  • Le 28 octobre 2022, Madame Noreau s’assoit aux côtés de madame Bédard dans l’église de la Municipalité;
  • Après quelques premiers échanges, madame Noreau aborde le sujet de la bibliothèque municipale;
  • Madame Noreau dit à madame Bédard avoir été rencontrée par le procureur de la Municipalité qui lui aurait donné raison : madame Sirois ne peut pas retenir de l’information aux élus;
  • Madame Noreau précise à madame Bédard que madame Sirois a retenu de l’information aux élus concernant la relocalisation de la bibliothèque.
  • Madame Bédard lui répond ne pas être au courant de la situation.

[120]      Madame Bédard ayant témoigné précisément sur cet évènement du 28 octobre 2022, son courriel du 2 novembre 2022 dont l’objet est « Résumé de ma rencontre avec Mme Noreau » déposé en preuve[60], et dont l’essentiel est corroboré par le témoignage de madame Noreau, ne constitue pas du ouï-dire comme le suggère l’avocat de l’élue.

[121]      L’avocat de l’élue prétend également que la Commission n’aurait pas juridiction pour se prononcer sur un évènement d’une durée de tout au plus quelques minutes, survenu dans l’enceinte de l’église de la Municipalité.

[122]      En premier lieu, les obligations déontologiques de respect et de civilité qui découlent de son statut de conseillère municipale accompagnent madame Noreau même à l’extérieur des murs de l’Hôtel de ville de la Municipalité.

[123]      Rappelons qu’au moment des faits, Madame Noreau est conseillère municipale dont :

 


« une conduite conforme à l’éthique et à la déontologie municipale doit demeurer une préoccupation constante ».[61]

[nous soulignons]

 

[124]      Le Tribunal reprend ici les propos de la Cour supérieure dans Paulus c. Commission municipale du Québec[62] :

 

« Rappelons par ailleurs que le but de la Loi sur l’éthique est d’assurer le développement et le maintien d’une culture éthique dans le milieu municipal. Ses objectifs fondamentaux sont, entre autres, d’accroître la confiance de la population dans ses institutions et envers la démocratie municipale, et d’en assurer l’adoption et le respect des codes d’éthique et de déontologie chez les élus. »

 

[125]      Cela dit, l’article 5.2.1 du Code ne spécifie pas que l’élu est tenu à cette obligation de respect et de civilité « dans le cadre » ou « dans l’exercice de ses fonctions ». Est-ce qu’on doit en conclure que dès qu’il agit irrespectueusement, l’élu contrevient à son devoir?

[126]      Tout comme l’a exprimé la Commission dans les décisions (Re) Demande d'enquête en éthique et déontologie concernant l'élu Justin Bessette[63], le Tribunal est d’avis que les codes d’éthique et de déontologie des élus municipaux sont adoptés, non pas pour régir leur comportement dans la sphère de leur vie privée, mais pour régir le comportement attendu dans l’exercice de leurs fonctions, ce qui inclut celles qu’ils exercent en-dehors de la table des délibérations.

[127]      Dans la détermination du sens à donner à l’expression « dans l’exercice de ses fonctions », le Tribunal trouve pertinent d’ajouter ici ces extraits de décisions de la Cour d’appel. D’abord sous la plume du juge Thibault dans l’affaire Beaulieu c. Packington (Municipalité de)[64] la Cour d’appel s’exprime ainsi :

 

« [42] À mon avis, la proposition de l'intimée cherche à rouvrir un débat qui a été clos il y a plus d'un demi-siècle, dans l'arrêt Houde c. Benoît. »

 

[43] La Cour [dans Houde. Benoit [1943] B.R. 713.] a conclu que le conseiller municipal était dans l'exercice de ses fonctions municipales même si celles-ci n'ont pas été exercées lors d'une séance du conseil, à la condition que l'acte posé résulte de son mandat :

 Les fonctions municipales, comme les autres fonctions publiques, ne s'exercent pas seulement autour d'une table de délibérations. Elles suivent l'officier public dans tous les actes qu'il pose, en tant qu'officier public, et ses actes revêtent et gardent le même caractère d'autorité ou de responsabilité lorsqu'ils sont faits en raison même des fonctions qu'il exerce ou, si l'on veut, lorsqu'ils sont posés ou exercés dans l'intérêt public. Ainsi le maire d'une municipalité, quelles que soient les circonstances de lieu, de temps et de personnes, n'abdique nullement son caractère d'officier public, lorsqu'il prend une initiative ou accomplit un devoir inhérent à sa fonction. Il en est de même d'un conseiller municipal, d'un commissaire d'écoles ou d'un syndic de fabrique. En d'autres termes, pour déterminer le caractère de ces fonctions publiques, il suffit de se demander si l'acte accompli résulte du mandat confié à cet officier ou si ce dernier n'a fait qu'agir en une qualité purement personnelle. »

[nous soulignons]

 

[128]      Ensuite, selon les propos du juge Dalphond, dans l’arrêt Berniquez St-Jean c. Boisbrand (Ville de) [65] cette expression signifie :

 

« [30]  En d’autres mots, l’expression « dans l’exercice de ses fonctions» est indicative selon ma collègue la juge Thibault de l’intention du législateur d’accorder la protection aux actes ou omissions suivants :

i)  ceux qui découlent de l’exécution par une élue des fonctions et responsabilités conférées expressément ou implicitement par la loi;

ii) ceux qui sont inhérents à sa charge; et

iii)  ceux qui sont en lien avec les situations dans lesquelles l’exercice de ses fonctions place l’élue.

Dans tous ces cas, il y a un lien de pertinence suffisant avec les affaires municipales et les actes qui ont une nature plus altruiste que personnelle (même s’ils contribuent à une réélection de l’élue!) »

 

[129]      Appliquons maintenant ces enseignements au cas qui nous concerne.

[130]      Alors qu’elles assistent toutes les deux au concert d’Halloween, madame Noreau aborde de sa propre initiative le dossier épineux qu’est celui de la bibliothèque municipale. Madame Noreau cible alors expressément la directrice générale de la Municipalité, madame Sirois, qu’elle accuse de retenir/cacher de l’information relativement à sa relocalisation. Elle supporte alors ses affirmations par des renseignements qu’elle détient à titre de conseillère municipale, siégeant sur le Conseil d’établissement de l’école. Elle réfère au passage à un échange qu’elle a eu à ce propos avec l’avocat de la Municipalité qui, selon elle, « lui aurait donné raison ».

[131]      D’abord, il ne fait pas de doute pour le Tribunal que les propos de madame Noreau sont tenus dans le cadre du mandat ou de la mission de la relocalisation de la bibliothèque municipale. La pertinence eu égard aux affaires municipales est évidente.

[132]      Il importe ensuite de souligner que madame Noreau ne s’adresse pas à n’importe qui lorsqu’elle se permet ainsi un suivi, une mise à jour du dossier de la bibliothèque. En effet, le statut de son interlocutrice n’est pas anodin. Madame Bédard est une employée municipale, dont la supérieure hiérarchique est la directrice générale. Mais il y a plus. Rappelons que madame Noreau, à titre de conseillère municipale, occupe une position d’autorité à l’égard de madame Sirois et, à plus forte raison, de madame Bédard, lesquelles font toutes les deux partie du personnel administratif de la Municipalité.[66]

[133]      Madame Noreau franchit donc la frontière de sa sphère privée et enfile son chapeau de conseillère lorsqu’elle aborde un dossier sensible de la Municipalité pour dépeindre sans retenue et sous un jour peu glorieux la directrice générale, et ce, auprès d’une fonctionnaire municipale, employée de la principale concernée.

[134]      Par ses propos, madame Noreau a manqué, alors qu’elle agissait dans le cadre de ses fonctions, de respect à la dignité envers la directrice générale de la Municipalité. Cette conduite est d’autant plus déplorable qu’elle survient alors qu’une enquête en harcèlement psychologique est en cours.

[135]      Accepter ou tolérer ce comportement minerait la confiance des citoyens envers leurs instances démocratiques locales et irait à l’encontre des objectifs poursuivis par la LEDMM:

 

« Lorsqu’un élu interagit avec un autre élu, un employé municipal ou un citoyen dans le cadre de ses fonctions, il est important qu’il fasse preuve d’exemplarité dans la façon dont il se comporte à l’égard des autres. […]

Pour ces raisons, la LEDMM a été modifiée afin de mettre en évidence l’importance de ces principes. La notion de « civilité » a été ajoutée aux valeurs devant être énoncées dans le code d’éthique et de déontologie des élus municipaux (art. 4, LEDMM), tandis que de nouvelles interdictions figurent maintenant parmi les règles déontologiques obligatoires (art. 6, LEDMM). »[67]

 

[136]      Le tribunal conclut que madame Noreau s’est comportée de façon irrespectueuse ou incivile envers la directrice générale le 28 octobre 2022, contrevenant ainsi à l’article 5.2.1 du Code.


Question 3 (relative au manquement 3) :

Est-ce que madame Noreau a divulgué des renseignements privilégiés le ou vers le 11 avril 2023, contrevenant ainsi à l’article 5.2.6.2 du Code?

[137]      Le 11 avril 2023, en séance publique du conseil municipal, madame Noreau fait la lecture intégrale de l’avis juridique D-19 qu’elle a obtenu de son avocat, Me Marchand. Ce fait est admis dans l’attestation commune signée par les parties le 12 octobre 2023.[68]

[138]      En entête, cet avis, daté du 27 janvier 2023, porte l’objet « Enquête interne – Jeanne Noreau – Ville de Cap-Santé ».

[139]      La DEPIM soulève une contravention à la confidentialité des renseignements privilégiés prévue à l’article 5.2.6.2 du Code. L’avocat de l’élue prétend que par la transmission du rapport DEP-13 aux élus, il y a eu renonciation implicite à la confidentialité, que Cap-Santé est un petit milieu et que sa cliente n’avait pas le choix d’en parler pour se défendre.

[140]      Avant de reprendre plus en détail l’intervention de madame Noreau le soir du 11 avril 2023, revoyons d’abord la règle de conduite et le contexte dans lequel la séance du 11 avril 2023 s’inscrit.

[141]      L’article 5.2.6.2 du Code édicte ceci : « Il est interdit à tout membre du conseil d’utiliser ou de divulguer, à son avantage ou à l’avantage d’un tiers, une information privilégiée ou une information qu’il détient et qui ne serait pas autrement disponible ou que le conseil municipal n’a pas encore divulguée. » L’article 5.2.6.5 donne des exemples de renseignements privilégiés qui ne peuvent être divulgués.

[142]      Dans sa Politique pour contrer le harcèlement psychologique au travail, la Municipalité a intégré la déclaration suivante :

 

« La Ville de Cap-Santé s’engage à ce que son intervention soit impartiale, respectueuse et équitable envers les personnes concernées. Elle agit avec discrétion pour régler la situation qui lui est révélée et elle exige la confidentialité des personnes qui, à un titre ou à un autre, sont interpellées dans le règlement de la situation. La Ville ne pénalise pas une personne qui, de bonne foi, lui demande d’intervenir. »[69]

[le caractère gras est du Tribunal]

 

[143]      La Politique Tolérance Zéro : concernant les abus, l’intimidation et la violence verbale ou physique, adoptée à l’unanimité par le conseil municipal le 13 juin 2022[70], prévoit notamment les dispositions suivantes :

 

« 4.3 Le supérieur immédiat : Le supérieur immédiat (le maire dans le cas où le directeur(trice) est visé) qui reçoit un signalement relativement à un manquement à la Politique de tolérance zéro doit s’assurer de la confidentialité du processus, à moins qu’il ne soit nécessaire, dans le cadre d’une enquête ou d’une mesure disciplinaire ou administrative, ou d’un litige, de divulguer certains faits. […]

5.6 Confidentialité : Les élus municipaux et la « personne désignée » s’engagent à garder confidentielle toute l’information concernant le dossier de la plainte sous réserve de ce qui suit : cette information ne sera utilisée que pour les besoins d’une enquête ou pour la gestion des mesures de réparation ou des sanctions, dont les mesures disciplinaires ou lorsque cela requis par la loi ou les tribunaux. »

 

[144]      Le 14 octobre 2022, le maire Blackburn transmet un courriel à madame Noreau lui recommandant, pour toute demande qui pourrait avoir un lien avec la situation, de ne pas impliquer la directrice générale ni les membres du conseil et de passer par lui. Il termine en précisant que « les membres du conseil ont été avisés de respecter la confidentialité du dossier et de ne pas s’immiscer dans le processus. »[71]

[145]      Le conseiller Denis Perron corrobore cette mise en garde lors de son témoignage. Il dit s’être fait rappeler à plusieurs reprises, tant par le maire que par l’enquêteur, et ce, verbalement et par courriel, que la démarche est confidentielle.

[146]      Le 24 octobre 2022, la Municipalité adopte la résolution 22-10-277, autorisant une dépense pour la tenue d’une « enquête administrative interne », et rappelle la confidentialité d’un tel dossier.[72]

[147]      Le rapport d’enquête DEP-13 déposé le 10 janvier 2023 et remis aux élus rappelle dans son paragraphe introductif que par sa politique DEP-7, la Municipalité s’engage à protéger tout membre de son personnel victime de harcèlement psychologique par un mécanisme interne d’aide et de recours.[73]

[148]      Le 31 janvier 2023, suivant une des recommandations formulées par l’enquêteur, une formation a été dispensée à l’ensemble des élus du conseil, incluant madame Noreau.[74] Cette formation couvrait notamment les règles déontologiques en matière d’informations confidentielles.

[149]      Finalement, le 3 avril 2023, le maire Blackburn sent le besoin d’écrire la lettre DEP-16 à madame Noreau, qui se dit « blanchie par l’enquête » pour lui rappeler que « nous mettons tout en œuvre pour respecter les deux parties et conserver ce dossier à l’interne. Je vous demande de faire de même. »

[150]      Il appert donc de la preuve que non seulement il n’y a pas eu renonciation, même implicite, au caractère confidentiel du processus, mais qu’à l’inverse, la Municipalité se fait un point d’honneur de le préserver.

[151]      L’argument voulant que madame Noreau n’avait pas le choix d’en parler pour se défendre contre le rapport DEP-13 qui n’était confidentiel « qu’en façade » tient donc difficilement la route. Par ailleurs, s’il y a eu un bris de confidentialité en cours de processus, le Tribunal comprend du témoignage de madame Noreau qu’elle en est elle-même à l’origine, elle qui « en parlait à tout Cap-Santé. ».

[152]      Le 11 avril 2023 a donc lieu la séance du conseil où madame Noreau demande de prendre la parole.

[153]      Faisant fi des politiques internes, de la formation dispensée sur la question et des rappels qui lui ont été faits, madame Noreau raconte sa version des évènements du 8 août 2022 et lit l’entièreté de l’avis DEP-19. Madame Noreau précise dans son témoignage avoir préalablement obtenu la confirmation de Me Marchand qu’elle pouvait procéder de la sorte.

[154]      Elle divulgue ainsi l’identité de la plaignante, la directrice générale étant nommée à douze reprises, ainsi que des informations et conclusions partielles du rapport d’enquête DEP-13 commentées par Me Marchand.

[155]      Madame Noreau termine son intervention avec cet ajout : « Je suis bien contente de vous avoir lu ça, parce que moi je demande de me faire rembourser mes frais d’avocats. »[75].

[156]      Voyant qu’elle ne recevait pas la réponse souhaitée à son courriel du 15 février 2023 quant au remboursement de ses honoraires d’avocats[76], madame Noreau se sert donc de la séance du 11 avril 2023 comme tribune pour mettre de la pression sur le conseil municipal.

[157]      En témoignage, elle ajoutera que son objectif était également de « montrer que les accusations d’harcèlement n’avaient pas été retenues ».

[158]      Elle instrumentalise ainsi la séance du 11 avril 2023 à des fins personnelles, même si cela doit impliquer de divulguer des renseignements pourtant protégés pour lesquels elle ne semble accorder aucune importance.

[159]      Il s’agit d’un manque flagrant de ses obligations déontologiques en matière de renseignements privilégiés et dont la confidentialité devait être assurée en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[77] :

 

« Une élue qui divulgue le nom de plaignants en harcèlement psychologique à un citoyen n’agit certes pas dans l’intérêt public de sa Ville. Il s’agit de renseignements confidentiels en vertu de la loi. »[78]

 

[160]      Le Tribunal est d’avis que la conduite adoptée par madame Noreau le 11 avril 2023 est aux antipodes de celle attendue d’un membre du conseil à qui il incombe « de respecter ce Code pour s’assurer de rencontrer des standards élevés d’éthique et de déontologie en matière municipale ».[79]

[161]      Le tribunal conclut que madame Noreau a divulgué des renseignements privilégiés le 11 avril 2023, contrevenant ainsi à l’article 5.2.6.2 du Code.

[162]      Considérant sa conclusion quant à la contravention à l’article 5.2.6.2 du Code et le principe interdisant la double condamnation[80], le Tribunal prononce l’arrêt des procédures à l’égard des contraventions à l’article 5.2.1 et 5.2.6.4 du Code alléguées relativement au manquement 3.

Question 4 (relative au manquement 3) :

Est-ce que madame Noreau s’est comportée de façon irrespectueuse ou incivile envers la directrice générale le ou vers le 11 avril 2022, contrevenant ainsi à l’article 5.2.1 du Code?

[163]      Tel qu’indiqué précédemment, considérant sa conclusion quant à la contravention à l’article 5.2.6.2 du Code et le principe interdisant la double condamnation, le Tribunal prononce l’arrêt des procédures à l’égard de la contravention à l’article 5.2.1 du Code alléguée relativement au manquement 3.


Question 5 (relative au manquement 3) :

Est-ce que madame Noreau a manqué de prudence dans ses communications le ou vers le 11 avril 2023, contrevenant ainsi à l’article 5.2.6.4 du Code?

[164]      Tel qu’indiqué précédemment, considérant sa conclusion quant à la contravention à l’article 5.2.6.2 du Code et le principe interdisant la double condamnation, le Tribunal prononce l’arrêt des procédures à l’égard de la contravention à l’article 5.2.6.4 du Code alléguée relativement au manquement 3.

Question 6 (relative au manquement 4) :

Est-ce que madame Noreau a manqué de prudence dans ses communications sur les médias sociaux le ou vers le 14 avril 2023, contrevenant ainsi à l’article 5.2.6.4 du Code?

[165]      Le 14 avril 2023, madame Noreau fait une publication sur Facebook où elle transmet un reportage reproduisant les extraits de la séance du 11 avril 2023, accompagnée du commentaire « Il faut que vous sachiez »[81]. Ce fait n’est pas contesté.

[166]      N’est pas contesté non plus le fait que cette page compte plusieurs centaines de membres.

[167]      La DEPIM prétend qu’il s’agit d’une contravention à l’article 5.2.6.4 qui se lit comme suit : « Tout membre du conseil doit faire preuve de prudence dans ses communications, notamment sur le Web et les médias sociaux, afin d’éviter de divulguer directement ou indirectement une information privilégiée ou qui n’est pas de nature publique. ».

[168]      Entre le 11 et le 14 avril 2023, les informations divulguées par madame Noreau lors de la séance du 11 avril n’ont pas fait l’objet d’une renonciation quant à leur caractère confidentiel ou privilégié ni été autrement rendues publiques, que ce soit par la Municipalité ou par madame Sirois.


[169]      Le Tribunal ne peut voir dans la publication du 14 avril 2023 qu’une insouciance déroutante dans la protection des renseignements confidentiels de la part de madame Noreau et un entêtement à rejoindre le plus grand auditoire possible dans ses revendications personnelles. Par cette publication, elle rend en effet disponible à quelques 300, 400, 500 personnes un lien qui permet de prendre connaissance des informations privilégiées qu’elle-même a divulguées 3 jours auparavant.

[170]      Par son commentaire « Il faut que vous sachiez », elle encourage le visionnement. Et cela fonctionne, des citoyens lui emboîtent le pas :

 

« Prenez 7 minutes de votre temps pour mieux comprendre pourquoi ça ne tourne pas rond à Cap-Santé de la 19em minute à la 26em du reportage qui suit. Écoutez entre autres la Conseillère Jeanne Noreau raconter comment la directrice Générale, aidée par monsieur le maire et d’autres conseillers, a tenté de l’intimider pour la faire taire et peut-être même démissionner. »

écrivent Lise Beaupré Daniel Piché.

[nous soulignons]

 

[171]      Des félicitations et applaudissements, cette fois-ci virtuels, se manifestent ensuite sur la page.

[172]      Rappelons qu’en lisant l’avis juridique DEP-19, madame Noreau divulgue des informations confidentielles, mais également parcellaires et commentées à travers le prisme de l’opinion juridique de son avocat.

[173]      À l’ère des réseaux sociaux et dans le cadre de la mission d’intérêt public qui leur revient, il incombe plus que jamais aux élus de s’assurer que leurs communications soient faites de façon objective et avec discernement. Une élue qui publie sur une page Facebook des renseignements confidentiels, informations qui au surplus l’avantagent au détriment d’une autre personne, ne prend pas une décision pour le plus grand bien de la collectivité. En agissant de la sorte, elle est au service d’un intérêt qui lui est propre, personnel.

[174]      Le 14 avril 2023, madame Noreau a eu un comportement contraire aux règles d’éthique de prudence en matière de communications, pourtant essentielles afin de maintenir le lien de confiance entre la Municipalité et les citoyens.

[175]      Le Tribunal conclut que madame Noreau a manqué de prudence dans ses communications sur les réseaux sociaux le 14 avril 2023, contrevenant ainsi à l’article 5.2.6.4 du Code.


CONCLUSION

[176]      Le Tribunal conclut que madame Jeanne Noreau, conseillère à la Municipalité de Cap-Santé, s’est comportée de façon irrespectueuse ou incivile envers la directrice générale le 8 août 2022, contrevenant ainsi à l’article 5.2.1 du Code.

[177]      Le Tribunal conclut que madame Noreau s’est comportée de façon irrespectueuse ou incivile envers la directrice générale le 28 octobre 2022, contrevenant ainsi à l’article 5.2.1 du Code.

[178]      Le Tribunal conclut que madame Noreau a divulgué des renseignements privilégiés le 11 avril 2023, contrevenant ainsi à l’article 5.2.6.2 du Code.

[179]      Considérant sa conclusion quant à l’article 5.2.6.2 pour les évènements survenus le 11 avril 2023, le Tribunal prononce l’arrêt des procédures à l’égard des contraventions à l’article 5.2.1 et 5.2.6.4 du Code alléguées relativement au manquement 3.

[180]      Finalement, le Tribunal conclut que madame Noreau a manqué de prudence dans ses communications sur les réseaux sociaux le 14 avril 2023, contrevenant ainsi à l’article 5.2.6.4 du Code.

[181]      La conseillère madame Noreau a commis les manquements 1, 2, 3 et 4 qui lui sont reprochés.

PARTIE 2 : LA SANCTION

SANCTION

[182]      Le 23 novembre 2023, le Tribunal transmet à madame Noreau un avis d’audience sur sanction indiquant les conclusions et les motifs eu égard aux 4 manquements de la citation. Cette audience sur sanction a lieu le 12 décembre 2023.

LES PRINCIPES ET OBJECTIFS VISÉS PAR LA SANCTION

[183]      À maintes reprises, la Commission a eu l’occasion de statuer que si la sanction en matière d’éthique et de déontologie municipale n’a pas pour objet de punir les élus qui contreviennent à leur code, elle doit toutefois permettre de préserver et, pour les cas où elle a été ébranlée, de rétablir la confiance des citoyens envers leurs institutions municipales et les élus qui les représentent. Dans de telles circonstances, un volet dissuasif peut être nécessaire[82].

[184]      De façon plus exhaustive, le Tribunal reprend ici les principes développés en droit disciplinaire dont tient compte la Commission lorsqu’elle établit la sanction juste et appropriée[83]:

-          La parité des sanctions: Des sanctions semblables devraient être infligées pour des manquements semblables;

-          L’individualisation: La sanction doit correspondre aux circonstances particulières de chaque cas d’espèce, ce qui entraîne un certain degré de disparité dans les sanctions infligées;

-          La proportionnalité: La sanction doit être proportionnelle à la gravité du manquement;

-          La gradation des sanctions: Tout comme un professionnel en matière disciplinaire, un élu qui a déjà été condamné pour une infraction « devrait se voir imposer une peine plus sévère lors d’une deuxième condamnation, et à plus forte raison lors d’une récidive »[84];

-          La globalité : Lorsqu’un tribunal est appelé à imposer plus d’une sanction à l’égard de plusieurs manquements, il doit soupeser leur effet global pour éviter qu’elles ne deviennent excessives par rapport à la culpabilité générale du contrevenant;

-          La dissuasion: La sanction doit permettre de rétablir la confiance que les citoyens doivent entretenir envers les institutions et les élus municipaux;

-          L’exemplarité: Cela signifie que de semblables comportements ne peuvent et ne seront pas tolérés. La notion d'exemplarité trouve notamment son fondement dans la gravité de l'infraction, dans son caractère répétitif et dans la nécessité d'assurer la protection du public.[85]

[185]      En ce qui a trait à ces deux derniers facteurs de dissuasion et d’exemplarité, la jurisprudence en droit disciplinaire nous enseigne que ces concepts sont loin d’être statiques ou cristallisés dans le temps. Ils doivent plutôt être adaptés aux enjeux contemporains permettant à la jurisprudence d’être représentative d’une société en constante mouvance :

 

« Traitant ensuite de l’évolution de la jurisprudence, il [le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec] constate que l’existence d’une tendance à l’accroissement de la sévérité des sanctions pour un même type d’infraction « n’est pas nécessairement inapproprié. » Il souligne que la jurisprudence se doit d’être évolutive afin de pouvoir s’adapter à l’époque dans laquelle elle s’inscrit et aux différentes problématiques qui surgissent au fil du temps en regard d’un type d’infraction en particulier. Il cite, entre autres références, les propos du Tribunal des professions dans les affaires Mercier et Drolet-Savoie, d’où il ressort qu’une tendance des conseils de discipline à imposer des sanctions plus sévères pour des infractions auxquelles correspondaient auparavant des sanctions plus clémentes ne doit pas nécessairement amener le Tribunal à intervenir. Il incombe aux conseils de discipline d’assurer la protection du public et de tenter de dissuader les membres de la profession de commettre le même genre d’infraction.[86]»

 

[nous soulignons/références omises]

 

[186]      Ces principes de dissuasion et d’exemplarité revêtent une importance particulière dans le présent dossier considérant l’évolution des différents objectifs poursuivis par la LEDMM en matière de respect et de civilité.

[187]      Déjà en 2010, dans le cadre de l’adoption de la LEDDMM, le législateur était guidé par les principes de renforcement de la confiance des citoyens envers la démocratie municipale, d’appropriation d’une culture éthique et de responsabilisation des élus.[87]

[188]      En 2021, le projet de loi 49 a pour objectif, entre autres, de contrer l’incivilité en hausse dans le monde municipal, rapportée presque quotidiennement dans les médias. Le législateur est alors motivé à faire de la civilité non seulement une valeur, mais également une règle déontologique obligatoire devant gouverner le comportement des élus. Il en fait même une priorité, voulant envoyer un message clair à ceux et celles qui veulent s’investir dans le milieu de la politique municipale : ils seront protégés contre des paroles et des gestes inacceptables ou inappropriés, déviant de la norme sociale[88].

[189]      C’est donc dans ce contexte, pertinent pour la suite, qu’est née l’interdiction :

 

« à tout membre d’un conseil d’une municipalité de se comporter de façon irrespectueuse envers les autres membres du conseil municipal, les employés municipaux ou les citoyens par l’emploi, notamment, de paroles, d’écrits ou de gestes vexatoires, dénigrants ou intimidants ou de toute forme d’incivilité de nature vexatoire ».[89]

 

[190]      L’imposition de sanctions concurrentes, s’appliquant de façon simultanée, demeure la règle pour atteindre une peine juste et appropriée. C’est le cas pour les sanctions qui découlent d’un même incident ou de plusieurs qui sont étroitement liés[90]. Toutefois, si les faits à l’origine des sanctions n’ont aucun lien entre eux, les sanctions s’additionnent alors les unes aux autres et deviennent alors consécutives.

[191]      Finalement, dans la fixation de la sanction, la Commission tient compte des facteurs aggravants ou atténuants propres au dossier analysé. Le Tribunal rappelle toutefois que des facteurs aggravants d’importance peuvent justifier l’imposition d’infractions consécutives qui, autrement, auraient suivi la règle générale des infractions concurrentes.

La position des parties

[192]      À la lumière de sanctions imposées pour des manquements semblables et tenant compte des facteurs aggravants et atténuants, la DEPIM recommande une suspension totale de 75 jours pour l’ensemble des manquements, soit 15 jours pour le manquement 1, 15 jours pour le manquement 2, 30 jours pour le manquement 3 et 15 jours pour le manquement 4.

[193]      De son côté, l’avocat de l’élue, s’appuyant sur les critères retenus par la Commission dans l’affaire Re Demande d'enquête en éthique et déontologie concernant l'élue Denise Laferrière[91], prétend qu’aucune sanction ne devrait être imposée à sa cliente. Voici pourquoi, selon lui :

-          Renforcement de la confiance des citoyens envers leurs élus : madame Noreau a été mairesse avant d’être conseillère et bénéficie d’un appui constant de ses électeurs;

-          Effet dissuasif : le dossier de la bibliothèque municipale est clos;

-          Protection du public et satisfaction aux critères d’exemplarité et de dissuasion : il ne faut pas confondre entêtement et droit de plaider sa cause;

-          Prise en compte de la parité, la globalité et la gradation : il s’agit d’un seul et même évènement à l’origine des 4 manquements soit le dossier de la bibliothèque municipale;

-          Gravité du manquement notamment l’obtention ou non d’un avis d’un conseiller à l’éthique et à la déontologie : madame Noreau a obtenu l’opinion DEP-19 et les conseils de son avocat, Me Marchand.

L’ANALYSE

Remarques préliminaires

[194]      Dans le cadre de son analyse de la sanction juste et appropriée, la Commission tient compte des recommandations des parties impliquées sans toutefois y être liée ou limitée.[92] À la lumière des objectifs et principes ci-avant abordés, dont la gravité du manquement et les circonstances dans lesquels il s’est produit, elle décide d’imposer une ou plusieurs des sanctions prévues à l’article 31 de la LEDMM. Elle peut aussi décider qu’aucune sanction ne soit imposée.[93]

[195]      Dans le présent dossier, la proposition de l’avocat de l’élue de n’imposer aucune sanction est déraisonnable et non proportionnelle à la gravité des infractions commises par madame Noreau qui a démontré un comportement d’entêtement et de déni, tant au niveau des règles de respect que celles de protection des renseignements personnels.

[196]      Le Tribunal s’écarte également de la proposition de la DEPIM d’imposer une suspension de 15 jours pour le manquement 4, qui ne tient pas compte du caractère sérieux de l’infraction commise et du volet dissuasif que la sanction doit comporter afin de rétablir la confiance du public. Nous y reviendrons.

Manquement 1

[197]      Le Tribunal rappelle ici la démarche délibérée de madame Noreau dans la soirée du 8 août 2022 ainsi que l’impact de ses propos et gestes sur madame Sirois. Il doit également tenir compte de son courriel, DEP-10, qui suit la séance ajournée et supporte de manière écrite et devant un auditoire encore plus large les accusations qu’elle lui adresse.

[198]      Certes, il s’agit d’un premier manquement pour madame Noreau. Toutefois, considérant l’objectif clairement exprimé par le législateur en matière de civilité, le pouvoir que madame Noreau s’arroge sur le travail de madame Sirois et l’absence de regret ou à tout le moins de reconnaissance qu’elle exprime, le Tribunal est d’avis qu’une simple réprimande ne comporterait pas les effets exemplaire et dissuasif que la sanction doit comporter.

[199]      Le Tribunal impose une suspension de vingt-et-un (21) jours pour le manquement 1.

Manquement 2

[200]      Madame Noreau ne s’en cache pas : à partir 11 octobre 2023, elle parle de la plainte en harcèlement psychologique dont elle fait l’objet « à tout le monde », même si cela doit impliquer l’atteinte à l’intégrité professionnelle de la directrice générale de la Municipalité, et ce, auprès d’une employée municipale.

[201]      Dans les facteurs aggravants, le Tribunal doit donc considérer le caractère répétitif de l’infraction, le processus d’enquête en harcèlement psychologique alors en cours, les fonctions exercées par son interlocutrice ainsi que l’effet de ces propos à la fois sur mesdames Bédard et Sirois.

[202]      Considérant la gravité du manquement et son impact sur la directrice générale de la Municipalité, le Tribunal impose une suspension de vingt-et-un (21) jours pour le manquement 2.

[203]      La DEPIM prétend que l’événement du 28 octobre 2022 (manquement 2) est indépendant de l’évènement du 8 août 2022 (manquement 1). S’agissant d’infractions distinctes, elle soumet que les sanctions qui en découlent devraient être imposées de manière consécutive. Le Tribunal n’est pas de cet avis.

[204]      Les manquements 1 et 2 ont ce lien étroit puisqu’ils tirent leur source d’un même évènement, à savoir la non-communication par madame Sirois du courriel DEP-8. Dans les circonstances, les sanctions rattachées à ces deux manquements sont imposées de manière concurrente.

Manquement 3

[205]      D’abord, s’il est vrai que madame Noreau a retenu les services d’un avocat de manière contemporaine aux évènements, le Tribunal retient surtout de la preuve qu’il s’agissait pour elle de s’assurer d’une défense face à la plainte en harcèlement psychologique qui la visait personnellement. L’opinion DEP-19 n’est donc pas un « avis écrit et motivé d’un conseiller à l’éthique et à la déontologie ni une précaution prise en vue de se conformer à ses obligations déontologiques » au sens de l’article 26 de la LDEMM.

[206]      Même en considérant le feu vert qu’elle aurait obtenu de Me Marchand quant à la lecture de son avis DEP-19 en pleine séance publique, madame Noreau a surtout décidé d’ignorer les rudiments en matière de renseignements privilégiés et de taire les nombreux rappels qui lui ont été faits relativement à la confidentialité du processus.

[207]      Il s’agit d’une action préméditée, dont les conséquences sont sérieuses pour madame Sirois et qui traduit une insouciance téméraire à la fois peu commune et peu compatible avec les fonctions d’une conseillère municipale, et encore moins d’une ancienne mairesse de la Municipalité.

[208]      Considérant sa gravité, le contexte dans lequel il s’est produit ainsi que les principes de dissuasion et d’exemplarité, le Tribunal impose une suspension de trente (30) jours pour le manquement 3.

[209]      Le Tribunal est d’avis qu’une sanction moindre, dans les circonstances particulières de l’affaire, ne permettrait pas de rétablir la confiance des citoyens envers la démocratie municipale. En tout respect pour la position exprimée par l’avocat de l’élue sur cette question, les citoyens ainsi visés correspondent à l’ensemble de l’électorat et non seulement aux électeurs qui appuient madame Noreau.

Manquement 4

[210]      Par la diffusion de sa publication DEP-21, rappelons que madame Noreau propage sur les réseaux sociaux, soit à plusieurs centaines de citoyens en un seul clic, de l’information confidentielle au sens de la Loi et dommageable pour l’intégrité professionnelle de madame Sirois.

[211]      Plutôt que de s’amender, Madame Noreau s’entête à servir ses intérêts personnels, au détriment de ceux de la plus haute fonctionnaire de la Municipalité ainsi que ceux de la collectivité qui se font ainsi offrir une représentation partielle et déformée de la réalité.

[212]      Dans le choix de la sanction appropriée pour ce manquement, le Tribunal croit nécessaire de signifier aux citoyens que de semblables comportements ne peuvent pas être tolérés, et ce, en vertu du principe d’exemplarité.

[213]      Il importe de spécifier que dans l’affaire Re Demande d'enquête en éthique et déontologie concernant l'élue Denise Laferrière[94], soumise par Me Marchand, l’élue avait choisi le mauvais forum pour s’exprimer en faveur d’un projet. La Commission, venant à la conclusion que les propos alors tenus par l’élue étaient de nature à servir l’intérêt public quoique le moyen pour y parvenir n’était pas approprié, estime qu’une réprimande est raisonnable. Les faits à l’origine de ce dossier se distinguant à bien des niveaux du cas qui nous concerne, le Tribunal croit qu’il est justifié de s’en écarter.

[214]      Le manquement 4 présente davantage de parallèles avec l’affaire Re Demande d’enquête en éthique et déontologie concernant l’élue Louisette Langlois[95], où l’élue a été suspendue 45 jours pour avoir divulgué sur Messenger à un citoyen le nom d’employés ayant formulé des plaintes en harcèlement psychologique. La Commission justifie alors cette sanction par l’intérêt personnel qu’avait l’élue à « passer » l’information, son insouciance face à ses devoirs de loyauté et de confidentialité, son expérience et la gravité du manquement.

[215]      En l’espèce, madame Noreau utilise le canal de communication à grand déploiement qu’est Facebook pour propager dans son propre intérêt des informations tronquées et protégées par la Loi, et ce, malgré les nombreux rappels et avertissements dont elle a bénéficié. Précisions que la DEPIM reconnaît elle-même la gravité de cette infraction en recommandant que la sanction qui en découle soit purgée de manière consécutive.

[216]      Étant donné les similitudes avec l’affaire Langlois précitée et considérant l’auditoire beaucoup plus large auquel la publication DEP-21 était destinée, le Tribunal impose une pénalité de quarante-cinq (45) jours pour le manquement 4.

[217]      Les manquements 3 et 4 sont intimement liés, le deuxième n’aurait pas existé sans la survenance du premier. Toutefois, s’agissant de manquements graves, commis au mépris des règles de confidentialité en matière d’informations privilégiées, considérant l’intérêt public en cause et les dommages subis par la directrice générale qui voit sa réputation entachée, le Tribunal déclare que les sanctions qui en découlent seront imposées de manière consécutive.

LA CONCLUSION

[218]      Le cumul des sanctions imposées par le Tribunal s’élève à quatre-vingt-seize (96) jours. Voici ce que l’auteur Pierre Bernard écrit au sujet du principe de globalité :

 

« Le juge lorsqu’il est appelé à imposer plusieurs sanctions en regard de plusieurs chefs d’accusation pour lesquels le professionnel a été reconnu coupable doit alors faire appel à un autre principe de détermination de la sanction soit le principe de globalité, c’est-à-dire qu’il doit regarder, en imposant les différentes sanctions, l’effet global qui va être obtenu à la fin du compte. Le résultat global auquel il doit en arriver ne doit pas, selon cette règle, être excessif par rapport à la culpabilité générale du contrevenant. [96] »

 

[219]      À la lumière de ce principe, le Tribunal estime qu’une sanction globale de
quatre-vingt-seize (96) jours s’avère appropriée eu égard aux circonstances particulières de cette affaire.


EN CONSÉQUENCE, LE TRIBUNAL :

        CONCLUT QUE madame Jeanne Noreau, conseillère à la Municipalité de Cap-Santé, s’est comportée de façon irrespectueuse ou incivile envers la directrice générale le 8 août 2022, contrevenant ainsi à l’article 5.2.1 du Code;

        IMPOSE à l’égard du manquement 1 une suspension de 21 jours;

        CONCLUT QUE madame Noreau s’est comportée de façon irrespectueuse ou incivile envers la directrice générale le 28 octobre 2022, contrevenant ainsi à l’article 5.2.1 du Code;

        IMPOSE à l’égard du manquement 2 une suspension de 21 jours. Cette suspension sera purgée de manière concurrente à la première.

        CONCLUT QUE madame Noreau a divulgué des renseignements privilégiés le 11 avril 2023, contrevenant à l’article 5.2.6.2 du Code;

        IMPOSE à l’égard du manquement 3 une suspension de 30 jours. Cette suspension sera purgée de manière consécutive aux autres suspensions imposées en vertu de la présente décision;

        PRONONCE l’arrêt des procédures à l’égard des contraventions à l’article 5.2.1 et 5.2.6.4 du Code alléguées relativement au manquement 3;

        CONCLUT QUE madame Noreau a manqué de prudence dans ses communications sur les réseaux sociaux le 14 avril 2023, contrevenant à l’article 5.2.6.4 du Code;

        IMPOSE à l’égard du manquement 4 une suspension de 45 jours. Cette suspension sera purgée de manière consécutive aux autres suspensions imposées en vertu de la présente décision;


        SUSPEND la conseillère Jeanne Noreau pour une durée totale de
96 jours consécutifs à compter du 16 janvier 2024, et ce, sans rémunération, allocation ou toute autre somme provenant de la Municipalité, de toutes fonctions de conseillère municipale, membre du conseil ou d’un autre organisme sur lequel elle siège à titre de membre du conseil.

 

 

 

 

Mélanie Robert

Juge administratif

 

MR/md

 

Me Dave Tremblay

Me Érika Delisle

Direction des enquêtes et des poursuites

en intégrité municipale

Partie poursuivante

 

Me François Marchand

Cabinet d'avocats Saint-Paul

Procureur de l’élu visé

 

Audience tenue à Québec, les 24, 25 et 26 octobre ainsi que le 12 décembre 2023.

 

 

La version numérique de
ce document constitue l’original de la Commission municipale du Québec

 

 

Secrétaire

Président

 


[1]  Ré-amendée le 12 octobre 2023.

[2]  RLRQ, chapitre E-15. 1. 0. 1.

[3]  DEP-1.

[4] Cette section est basée à la fois sur les admissions contenues à l’attestation commune modifiée signée par les parties le 12 octobre 2023 et sur les témoignages entendus.

[5] Témoignage de madame Noreau. Voir également DEP-2.

[6] Témoignage de madame Sirois.

[7] Témoignage de madame Noreau.

[8] DEF-4.

[9]  DEP-9.

[10]  DEF-4.

[11]  Témoignage de madame Noreau; déclaration DEP-12.

[12]  Témoignage de madame Noreau; déclaration DEP-12.

[13]  Témoignage de madame Noreau.

[14]  Témoignage de madame Sirois.

[15]  Croquis DP-1 et MD-1.

[16]  Témoignage de monsieur Perron.

[17]  Témoignage de monsieur Perron.

[18]  Témoignage de madame Noreau.

[19]  Témoignage de monsieur Denis.

[20]  Témoignage de monsieur Girard.

[21]  Témoignage de madame Noreau.

[22]  DEP-10.

[23]  Témoignage de monsieur Perron.

[24]  DEP-7.

[25]  DEP-11.

[26]  DEp-6 et DEP-7.

[27]  Témoignage de madame Noreau.

[28]  DEP-5.

[29]  Témoignage de madame Noreau.

[30]  Témoignage de madame Bédard.

[31]  DEP-14.

[32]  DEP-13.

[33]  Ibid.

[34]  DEP-26.

[35]  DEP-15.

[36]  Témoignage du maire, monsieur Blackburn.

[37]  DEP-16.

[38]  DEP-17.

[39]  Ibid.

[40]  Admissions des parties. DEP-19.

[41]  Témoignages de madame Sirois, de monsieur Blackburn, de madame Noreau et de monsieur Trottier.

[42]  Témoignage de monsieur Trottier.

[43]  DEP-21.

[44]  DEP-4 et DEF-1.

[45]  DEP-3.

[46]  Personne visée par l’enquête : André Bourassa, CMQ, no CMQ-63969 (26243-12), 30 mars 2012; (Re) Demande d'enquête en éthique et déontologie concernant l'élu Gaétan Dutil, 2021 CanLII 28440 (QC CMNQ).

[47]  Attestation commune signée par les parties le 12 octobre 2023.

[48]  DEP-11.

[49]  DEP-6 et DEP-7.

[50]  Article 319 de la Loi sur les cités et villes, chapitre C-19.

[51]  https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/civilit%C3%A9/16281

[52]  2018 CanLII 127211 (QC CMNQ).

[53]  DEP-25.

[54]  Témoignage de madame Noreau.

[55]  2019 CanLII 107525 (QC CMNQ.

[56]  Projet de loi no 49 (2021, chapitre 31).

[57]  Prud’homme c. Prud’homme (2002) 4 CSC 85, paragraphes 42 et suivants.

[58]  DEP-13 qui réfère à l’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail, chapitre N-1.1.

[59]  Article 114 de la Loi sur les cités et villes, précitée.

[60]  DEP-14.

[61]  Voir les « Attendus » du Code, DEP-1.

[62]  2021 QCCS 4275.

[63]  2017 CanLII 61162 (QC CMNQ) et 2017 CanLII 61197 (QC CMNQ).

[64]  2008 QCCA 442.

[65]  2013 QCCA 2197.

[66]  Voir Lemay (Re), 2016 CanLII 65978 (QC CMNQ).

[67]  Rapport sur la mise en oeuvre de la Loi sur l'éthique et la déontologie en matière municipale (quebec.ca) :https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/affaires-municipales/publications-adm/documents/ministere/RAP_LEDMM.pdf

[68]  DEP-17.

[69]  DEP-7.

[70]  DEP-6.

[71]  DEP-24.

[72]  DEP-5.

[73]  DEP-13.

[74]  DEP-26.

[75]  DEP-17.

[76]  DEP-15.

[77]  Chapitre A-2.1 (la Loi).

[78]  (Re) Demande d’enquête en éthique et déontologie concernant l’élue Louisette Langlois, 2020 CanLII 106391.

[79]  DEP-1.

[80]  Sarazin c. R. 2018 QCCA 1065; (Re) Demande d'enquête en éthique et déontologie concernant l'élu Richard Dion, 2019 CanLII 120096 (QC CMNQ).

[81]  DEP-21.

[82]. Voir notamment (Re) Demande d'enquête en éthique et déontologie concernant l'élue Manon Derome, précitée. Ouellet c. Médecins (Ordre professionnel des) 2006 QCTP 74.

[83]  Voir notamment (Re) Demande d'enquête en éthique et déontologie concernant l'élu Gaétan Dutil, 2021 CanLII 28440 (QC CMNQ).

[84]  Jean-Guy VILLENEUVE, Nathalie DUBÉ et TINA HOBDAY, Précis de droit professionnel, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, pp.249-250.

[86] Chbeir c. Médecins (Ordre professionnel des), 2017 QCTP 4 (CanLII), décision de principe souvent citée par la Commission dans le cadre de son analyse de la sanction applicable.

[87] Remarques préliminaires du Ministre Laurent Lessard lors des débats parlementaires, C.A.T. 26 octobre 2010, Journal des débats – Vol. 41 No 57.

[89] Article 6 de la LEDMM, précité, alinéa 0.1.

[90] Néron c. médecins (Ordre professionnel) 2015 QCTP 31 

[91]  2017 CanLII 61167 (QC CMNQ) par. 69.

[92]  Voir notamment les décisions (Re) Demande d'enquête en éthique et déontologie concernant l'élu Denis Langlois, 2022 CanLII 39242 (QC CMNQ) et (Re) Demande d'enquête en éthique et déontologie concernant l'élu Roland-Luc Béliveau, 2017 CanLII 69421 (QC CMNQ) où la Commission a imposé des sanctions plus sévères que celles recommandées par la partie poursuivante.

[93]  Article 26 de la LEDMM.

[94] Précitée

[95] Précitée.

[96]  Pierre Bernard, « La sanction en droit disciplinaire : quelques réflexions », S.F.B.Q., vol. 206, Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire (2004), Cowansville, Yvon Blais, p. 73, à la page 123.

AVIS :
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