Décision

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Pelletier c. Manoir Laure-Gaudreault

2025 QCTAL 2391

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Québec

 

No dossier :

790645 18 20240507 G

No demande :

4308835

 

 

Date :

20 janvier 2025

Devant la juge administrative :

Chantale Trahan

 

Manon Pelletier

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Manoir Laure-Gaudreault

 

Locatrice - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

  1.          Par une demande introduite le 7 mai 2024, la locataire demande à être autorisée à posséder son animal comme soutien émotionnel, malgré une interdiction prévue au bail. Elle demande l’exécution provisoire malgré l’appel, de même que la condamnation aux frais.

Contexte

  1.          Les parties sont liées par un bail ayant débuté le 2 décembre 2023 au 30 juin 2024, au loyer de 1 018,43 $, reconduit jusqu’au 30 juin 2025, au loyer actuel de 1 059,61 $ par mois, plus un espace de rangement.

Preuve de la locataire

  1.          Mme Pelletier témoigne que lorsqu’elle a signé un bail, elle sortait à peine d’une hospitalisation de deux (2) mois. Elle a un diagnostic de maladie auto-immune (sclérodermie et insuffisance surrénale), qui s’attaque à plusieurs organes vitaux.
  2.          Au niveau émotionnel, Mme Pelletier témoigne avec grande émotivité qu’elle possède un petit chien depuis la séparation d’avec son époux il y a 12 ans. Elle ne veut pas créer de précédent dans la résidence où elle habite, mais elle assure qu’elle a besoin de son chien. Elle explique que la présence de son petit chien fait toute la différence dans son quotidien. Elle appelle sa mère plusieurs fois par jour, qui s’occupe de son animal en attendant que le Tribunal dispose de sa demande. Elle habitait en condo jusqu’en 2023, mais dû à une perte de capacités physiques, elle a choisi d’emménager dans la résidence de la locatrice comprenant quelque 135 logements.
  3.          Elle a signé son bail alors qu’elle avait son chien depuis 12 ans et elle n’a pas porté attention à la clause d’interdiction de posséder un animal. Elle respecte cette interdiction, mais elle a demandé à la directrice de la résidence de pouvoir le garder dans son logement, mais celle-ci a refusé.

  1.          Mme Pelletier a présenté ses documents à la directrice qui elle les a soumis au conseil d’administration, qui les a refusés.
  2.          Mme Pelletier a une santé fragile et elle a besoin d’être entourée. Elle aime participer à la vie sociale, mais lorsqu’elle est seule dans son logement, elle a besoin de son chien comme soutien émotionnel.
  3.          Cela fait 2 ans qu’elle est en arrêt de travail et elle est actuellement en invalidité de longue durée. Son implication sociale n’enlève rien au besoin de soutien émotionnel de son petit chien, qu’elle bénéficie depuis 12 ans, et ce, même si elle se tient occupée dans sa communauté et dans la résidence.
  4.          Elle soutient que l’avis de son psychiatre ne changerait pas aujourd’hui, son besoin de soutien émotionnel demeure le même. Le document du psychiatre, daté du 15 mars 2024, indique ceci :

« OBJET :  Certificat médical

RAPPORT

Je soussigné, docteur Sylvain lceta médecin psychiatre à l'Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec certifie avoir examiné madame Manon Pelletier, née le [...] 1967.

De l'évaluation médicale réalisée ce jour, il ressort que l'état de santé de madame Manon Pelletier montre des atteintes de type anxieux et dépressif. Ces atteintes semblent particulièrement reliées à différents stresseurs récents. Madame me cite notamment un vécu de solitude difficile.

Compte tenu de ces éléments psychiques, l'établissement conjoint du plan de soins avec madame met en avant la nécessité d'un renforcement des stratégies de gestion émotionnelles par la présence d'un chien de soutien émotionnel.

Cordialement, »([1])

  1.      Du côté de la locatrice, les représentants du conseil d’administration, messieurs Savard et Boucher, précisent que le bail indique bien que les animaux sont interdits et que la locataire l’a signé en toute connaissance de cause. Elle a pris les dispositions pour garder son chien ailleurs que dans son logement. De plus, au renouvellement du bail, elle a signé aux mêmes conditions.
  2.      De plus, au niveau médical, monsieur Savard est d’avis que la résidence devrait avoir une mise à jour de la condition médicale de Mme Pelletier et une expertise plus détaillée avant d’autoriser la présence de son animal. Il soulève le fait que Mme Pelletier ne vit pas tant de solitude comme elle en témoigne, elle vit au sein de la communauté et participe beaucoup et avec enthousiasme aux activités de la résidence. Elle reçoit aussi des invités et donc elle a une vie sociale qui révèle que son intégration est positive. Elle a aussi participé au concours des décorations de l’Halloween et l’étage de Mme Pelletier s’est vu décerner le premier prix.
  3.      Mme participe également au comité de milieu de vie temporaire, qui deviendra un comité permanent de résidents.
  4.      Messieurs Savard et Boucher croient que la situation problématique au début présentée par Mme Pelletier n’est plus d’actualité. Ils s’inquiètent au contraire que si la présence du chien est accordée, cela pourrait créer plus de solitude chez Mme Pelletier. Ils ne veulent surtout pas créer un effet d’entrainement chez les nouveaux locataires. La vie communautaire doit être priorisée et actuellement, il y a un consensus au sein de la résidence de ne pas accepter d’animaux, ce qui contribue au maintien de la quiétude dans l’immeuble.
  5.      Ils ont été mis au courant de la démarche de Mme Pelletier pour la première fois en juin 2024, lors d’une réunion du conseil d’administration. Si le tribunal n’en venait qu’à accorder la demande de Mme Pelletier, ils souhaitent que ce droit de posséder un animal soit très encadré.


Question en litige

  1.      La locataire doit-elle être autorisée à posséder son petit chien malgré l’interdiction prévue au bail ?

Analyse et décision

  1.      Le Tribunal tient à souligner qu’il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante. Ainsi, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante, la preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal.
  2.      Le degré de preuve requis ne réfère pas à son caractère quantitatif, mais plutôt qualitatif. La preuve testimoniale est évaluée en fonction de la capacité de convaincre des témoins et non pas en fonction de leur nombre.
  3.      Le plaideur doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable et il n'est pas toujours aisé de faire cette distinction. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas conduire à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux.
  4.      Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée.([2])
  5.      La question à savoir si une interdiction de garder un animal dans un logement est valide ne se pose plus. Une telle clause n'est pas en soi déraisonnable (article 1901 C.c.Q.) ni contraire à la Charte québécoise des droits et libertés. Ainsi, en présence d'une telle clause au bail, le locateur peut obtenir une ordonnance pour que la locataire se départisse de son animal. Néanmoins, la seule contravention à cette clause ne peut soutenir une demande de résiliation de bail en l'absence d'un préjudice sérieux causé au locateur.
  6.      Par ailleurs, il est pertinent de noter que la tolérance n'équivaut pas à une permission tacite. À ce sujet, l'auteur Jean Turgeon([3]) s'exprime ainsi :

« La tolérance est une situation « qu'un propriétaire courtois tolère »190. Mais il faut distinguer entre la permission tacite et la tolérance. La tolérance sous-entend mutisme et passivité alors que la permission tacite requiert un fait positif constatant un consentement191. Au sens commun du terme, la tolérance est le fait de ne pas interdire, ni d'exiger quelque chose, alors qu'on le pourrait192. Ou encore, c'est l'attitude d'admettre chez autrui une façon d'agir ou de penser différente de la sienne193. Il faut donc qu'il y ait un droit de refuser une situation donnée. Si le droit de refus n'existe pas, ou s'il y a absence de connaissance de la situation, il ne peut être question de tolérance. »

(Références omises)

  1.      Dans l’affaire D.C. c. OMH de Berthierville([4]), la Cour du Québec, sous la plume du juge Richard Landry, analyse la question de l'applicabilité d'une clause interdisant la présence d'animaux dans un logement. Il cite Me Pierre Gagnon :

« Lorsque le propriétaire demande la résiliation du bail, il doit prouver un « préjudice sérieux » (article 1863 C.c.Q.); toutefois, s'il ne demande que l'expulsion de l’animal (exécution en nature), il n'a pas à prouver l'existence d'un tel préjudice; »

  1.      Dans le cas où un locataire demande d’être exonéré de la clause interdisant la possession d’un animal, en vertu de l’article 1901 du Code civil du Québec, il y a la question de la zoothérapie. Lorsque cette thérapie démontre qu’il est essentiel pour le locataire, pour des raisons sérieuses de santé et d’équilibre psychologique, que l’animal soit présent auprès de la personne, le Tribunal peut permettre la présence de l’animal dans le logement, malgré l’interdiction prévue au bail à cet égard.

  1.      Dans l'affaire Berniqué c. Office municipal d'habitation de Salaberry-de-Valleyfield([5]), l'honorable juge Claude Montpetit, j.c.q., dresse une liste de circonstances dont le Tribunal administratif du logement peut prendre en compte dans le cadre de l'examen d'une demande d'exonération fondée sur l'article 1901 du Code civil du Québec; circonstances auxquelles fait référence l'honorable juge Tremblay précédemment cité, comme suit :

« [25] Le Tribunal est également d'avis, comme le juge Tremblay, que le Tribunal administratif du logement peut tenir compte de toutes les circonstances entourant la possession de l'animal comme :

a) l'adoption de l'animal depuis 2011 au vu et au su des autres locataires;

b) l'absence de plaintes concernant les odeurs, le bruit ou la simple présence du lapin;

c) le bien-être et le réconfort que procure la présence de l'animal à madame Berniqué ;

d) la démesure d'une demande d'expulsion fondée sur la présence de l'animal;

e) le besoin thérapeutique de celle-ci d'avoir un animal de compagnie dans un contexte de solitude et d'isolement;

f) le préjudice affectif et psychologique qui découlerait de l'obligation d'avoir à se départir de son animal de compagnie depuis presque dix ans;

g) l'animal (lapin nain) a pratiquement atteint la fin de son espérance de vie. »

  1.      En l'espèce, la preuve démontre que la locataire a signé librement un bail comportant un règlement qui en fait partie intégrante, lequel contient des clauses interdisant expressément de garder un chien dans le logement. Cette clause est valide, sauf si elle démontre qu’elle peut être exonérée de l’application de cette clause.
  2.      L’article 1901 du Code civil du Québec stipule ce qui suit :

1901. Est abusive la clause qui stipule une peine dont le montant excède la valeur du préjudice réellement subi par le locateur, ainsi que celle qui impose au locataire une obligation qui est, en tenant compte des circonstances, déraisonnable.

Cette clause est nulle ou l'obligation qui en découle, réductible.

  1.      Dans l'affaire Duhamel c. Arseneault et al.([6]), la juge administrative Suzanne Guévremont fait un résumé de la jurisprudence sur cette notion :

« [30] Ainsi dans l'affaire Coopérative de l'Ébène(4), en présence d'une preuve établissant que la privation de son chat causerait préjudice à la jeune fille aux prises avec des problèmes d'anxiété, la cour du Québec conclut que la clause d'interdiction est abusive.

[31] Même résultat dans D.C. c. Berthierville (Office municipal d'habitation)(5), où la cour du Québec permet au locataire de garder son animal parce qu'il « serait inapproprié et déraisonnable de le forcer à se départir de son chiot vu les conséquences néfastes probables sur son bien-être physique et mental ».

[32] Soulignons que dans cette affaire, le juge Landry accepte comme preuve médicale un billet laconique d'un médecin énonçant simplement que le locataire doit garder son animal pour des fins de zoothérapie. Pour le paraphraser « tout aussi laconique soit-il, ce billet constitue néanmoins une preuve médicale ».

[33] Dans un autre cas similaire, l'affaire Bilodeau c. Chabot(6), la cour du Québec mentionne que dans le cadre d'une demande fondée sur l'article 1901 C.c.Q., la possibilité pour un tribunal de juger une obligation déraisonnable pour un locataire ne se limite pas au cas où il existe une preuve médicale, mais peut tenir compte de l'ensemble des circonstances mises en preuve devant lui(7).

[34] Il importe également de référer à Berniqué(8) dans laquelle la cour du Québec renverse une décision de notre Tribunal ayant ordonné à une locataire de se départir d'un lapin qu'elle garde depuis dix ans chez elle malgré une clause du bail qui le lui interdit.

[35] Dans cette affaire, le juge Claude Montpetit rejette une application systématique de la clause restrictive et écrit que le Tribunal administratif du logement peut tenir compte, dans le cadre de l'examen d'une demande d'exonération fondée sur l'article 1901 C.c.Q, de toutes les circonstances entourant la possession de l'animal comme le bien-être et le réconfort qu'il procure à son maître et le préjudice affectif et psychologique qui découlerait de l'obligation d'avoir à s'en départir.


[36] La soussignée applique cette approche au cas sous étude, d'autant que la preuve documentaire, dont le billet du médecin exhibé durant l'audience et produit sous la cote P-5, conjugué au témoignage crédible du locataire Arsenault, suffisent à convaincre de manière prépondérante de sa condition médicale et des liens bienfaisants existant entre lui et son chat Cachou à des fins thérapeutiques. »

(Références omises)

  1.      Par la décision Berniqué, il est désormais établi que le Tribunal peut prendre en considération l’ensemble des circonstances pour décider si l’interdiction de posséder un animal est déraisonnable pour un locataire en vertu de l’article 1901 du Code civil du Québec, et non pas strictement par une preuve médicale.
  2.      Dans le cas qui nous occupe, le billet médical du psychiatre de Mme Pelletier est suffisamment détaillé et démontre bien que de façon prépondérante que la possession de l’animal est essentielle à la santé physique et psychologique de la locataire. Le témoignage senti de Mme Pelletier et des faits décrivant sa vie des deux dernières années convainc le tribunal que la présence de son chien est indispensable à son équilibre émotionnel. Lui imposer le contraire et maintenir l’interdiction telle que prévue au bail est déraisonnable dans les circonstances.
  3.      Cependant, la présente décision ne sera valable que pour la durée de vie de son petit chien actuel. Advenant le cas où Mme Pelletier voudrait remplacer son animal, elle devra demander l’autorisation de la résidence et justifier la nécessité d’en posséder un à nouveau.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.      ACCUEILLE la demande de la locataire;
  2.      PERMET à la locataire Pelletier de posséder son petit chien dans l’immeuble et dans son logement, tant que ce dernier vivra;
  3.      DÉCLARE inopposable à la locataire la clause du bail interdisant de garder un animal dans son logement, en ce qui concerne son chien actuel;
  4.      LE TOUT sans frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Chantale Trahan

 

Présence(s) :

la locataire

le mandataire de la locatrice

Date de l’audience : 

19 novembre 2024

 

 

 


 


[1] Billet médical de Dr. Sylvain Iceta du 15 mars 2024.

[2] Articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec, C.c.Q. - 1991.

[3] TURGEON, Jean, La Régie du logement, l'interdiction d'un animal de compagnie et son expulsion sans préjudice sérieux : abus de droit ou droit d'abus ?, (2013) 72 R. du B. 287. Disponible en ligne : https://edoctrine.caij.qc.ca/revue-du-barreau/72/1347341639.

[4] D...C... c. OMH de Berthierville, 2012 QCCQ 1524. Lire notamment à ce sujet : HO c. Group Properties AZZ ou Z Inc. 2009 QCCQ 100 (CanLII), J.E. 2009-397 (C.Q.).

[5] Manon Berniqué c. Office municipal d'habitation de Salaberry-De-Valleyfield, Cour du Québec, 2021 QCCQ 7326 (CanLII), 760-80-003211-191 du 16 juillet 2021.

[6] Duhamel c. Arseneault et al., 2022 QCTAL 4284.

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