Droit de la famille — 161130 |
2016 QCCA 814 |
COUR D'APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
No : |
200-09-009167-153 |
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(200-04-024076-158) |
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PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE |
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DATE : |
12 mai 2016 |
CORAM : LES HONORABLES |
FRANÇOIS DOYON, J.C.A. (JD1630) |
PARTIE APPELANTE |
AVOCAT |
C... B...
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Me MARTIN LAPIERRE (Gobeil & Lapierre)
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PARTIE INTIMÉE |
AVOCAT |
Y... L...
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Me RICHARD-PHILIPPE GUAY Mme MARIE-NOËLE BOULANGER, stagiaire (RPG Avocats)
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En appel d'un jugement rendu le 17 novembre 2015 par l'honorable Jocelyn-F. Rancourt de la Cour supérieure, district de Québec. |
NATURE DE L'APPEL : |
Famille (autorité parentale) |
Greffière : Marianik Faille (TF0891) |
Salle : 4.33 |
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AUDITION |
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9 h 35 |
Continuation de l'audience du 11 mai 2016; |
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Arrêt. |
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(s) |
Greffière audiencière |
PAR LA COUR
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ARRÊT |
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[1] Le juge de première instance refuse la demande de déchéance d’autorité parentale présentée par l’appelante, mais retire à l’intimé l’exercice de la presque totalité de ses attributs (éducation, soins de santé, voyages et passeports), tout en omettant de se prononcer sur la demande de changement de nom (retrait du nom L... de celui des jumeaux nés le [...] 2006 pour ne conserver que B... et substitution du nom B... au nom L... pour la jeune fille née le [...] 2010).
[2] Le juge reprend d’abord le point de vue des parties :
[1] […] Les parties ne font plus vie commune depuis 2011. Un divorce est prononcé le 21 octobre 2011 et le Tribunal confie la garde exclusive des trois enfants issus du couple à la demanderesse.
[2] La mère précise que le père a abandonné ses trois enfants depuis plus de 44 mois, qu’elle a été victime de violence conjugale, que la vie personnelle du défendeur est inconciliable avec ses responsabilités parentales et que les enfants n’ont aucun lien affectif à son endroit.
[3] Le père admet qu’il n’a pas vu ses trois enfants depuis 44 mois. Il reconnaît avoir présenté des problèmes personnels liés à la consommation de drogues, avoir purgé une peine de prison découlant de condamnations pour vols, de vente de stupéfiants et de fraude. Il dit avoir mis de l’ordre dans sa vie depuis deux ans et désire reprendre contact avec ses enfants.
[3] Il résume ainsi le témoignage de l’appelante :
[7] À l’audience, Madame raconte que la vie de couple n’a jamais été de tout repos. Elle dit avoir été violée par Monsieur en 2007 peu après qu’il soit sorti de prison. Elle est également l’objet de violence psychologique tout au long de leur vie commune.
[8] Elle doit déclarer faillite le 4 février 2011 à la suite d’un stratagème de fraude mis en place par Monsieur. Ce dernier force Madame à se procurer de nombreuses cartes de crédit pour obtenir de l’argent. Au moment de la faillite, Madame possède 19 cartes de crédit à son nom et elle doit 100 906 $ à différents créanciers, la grande majorité étant des institutions financières.
[9] Elle est sous le joug de Monsieur qu’elle qualifie de fraudeur et polytoxicomane.
[10] Elle souligne au Tribunal que Monsieur n’a jamais répondu aux besoins moraux, physiques et psychologiques de ses trois enfants. Il n’a jamais vu aux soins, à l’entretien et à l’éducation des enfants. Elle s’est occupée des trois enfants qui réussissent très bien à l’école et qui sont sa fierté, tout en entreprenant des études universitaires en psychoéducation. Le Tribunal n’a aucune hésitation à la féliciter pour sa résilience et pour sa profonde affection à l’endroit de ses enfants.
[11] La dernière rencontre entre Monsieur et les enfants remonte à l’été 2011, rencontre ayant duré à peine une heure. Entre 2011 et 2015, soit pendant une période de 44 mois, il ne manifeste aucun intérêt à leur égard.
[12] Pour la mère, les enfants ne s’identifient pas à leur père biologique. La figure parentale pour les enfants est le nouveau conjoint de la mère. Les enfants ne démontrent pas d’intérêt à voir leur père biologique. Les deux plus vieux veulent porter le nom de « B... ». Madame se dit ouverte à ce que les enfants puissent avoir des contacts avec leur père, mais ne veut pas que ces contacts soient forcés.
[4] On comprend de la preuve que les jumeaux ne sont pas vraiment intéressés à revoir leur père.
[5] Quant à l’intimé, il vit avec une dame depuis près de trois ans et a eu un enfant avec elle en […] 2014. Il n’a toujours pas d’emploi depuis 19 ans même s’il ne consomme plus et ne fait plus le commerce de la drogue depuis deux ans dit-il. Il admet ne pas avoir vu ses enfants depuis le départ de l’appelante, mais affirme avoir tenté de les appeler à deux ou trois reprises. Le juge ne le croit pas à ce sujet.
[6] L’intimé dit aussi être prêt à « rentrer graduellement dans la vie de ses enfants », mais sans forcer la note. Il explique qu’il attendait le bon moment pour ce faire et que c’est le temps maintenant, vu qu’il s’est repris en main. Il nie toute violence à l’endroit de l’appelante. Il témoigne avoir été dérouté par le départ de cette dernière et avoir été alors dans l’obligation de s’occuper de leur commerce d’élevage et de vente de chiens. Tout a périclité à la suite de l’incendie qui a frappé les lieux et il en a souffert au point où il n’aurait plus eu la santé pour s’occuper des enfants. Il a profité des années qui ont suivi pour modifier sa manière de vivre. Il accepte enfin qu’on lui retire l’exercice des attributs parentaux décrits plus haut.
[7] Le juge tient compte des deux facteurs pertinents : présence de motifs graves et intérêt des enfants. Sur le premier, il rappelle que l’abandon peut être un motif grave s’il est suffisamment long et s’il est univoque. Citant la Cour dans Droit de la famille - 133181, 2013 QCCA 1963, paragr. 52 (« il faut plutôt une période de quatre ou cinq années ») il estime que si 4 à 5 ans peuvent suffire, 44 mois ici ne sont pas suffisants :
[32] Ce délai de 44 mois est cependant en-deçà du barème appliqué par la Cour d’appel pour qualifier l’abandon de motif grave justifiant la déchéance de l’autorité parentale.
[8] On comprend de la suite du jugement que c’est le changement de conduite de l’intimé depuis deux ans qui est déterminant :
[33] De plus, le Tribunal est enclin à prêter foi à Monsieur qui s’est repris en main depuis deux ans. Il vit avec une nouvelle conjointe depuis cette période. Il a eu un enfant avec cette dernière et réside en appartement avec eux. Il dit ne plus consommer de drogues et s’être éloigné des activités criminelles auxquelles il a été longtemps associé.
[34] Monsieur se dit disposé à reprendre graduellement contact avec ses enfants même si, pour le moment, X et Y n’en ont guère envie. Le Tribunal comprend la déception des enfants qui n’ont pas vu leur père depuis 44 mois et qui ont adopté le nouveau conjoint de Madame comme figure parentale. Toutefois, rien dans la preuve n’indique que Monsieur a adopté un comportement nuisible à l’endroit des enfants, ni qu’il a mis, par ce même comportement, leur santé, sécurité et moralité en danger. Force est de reconnaître cependant que Monsieur a une sévère côte à remonter pour gagner leur estime.
[35] Dans ces circonstances, le Tribunal est d’avis que les conditions exceptionnelles lui permettant de prononcer la déchéance de l’autorité parentale ne sont pas rencontrées.
[9] La déchéance d’autorité parentale demeure une mesure extrême, un remède radical, exceptionnel. Le juge a vu et entendu les parties. Il a cru l’intimé sur son changement de conduite. Il a, peut-on dire, confiance en lui, tout en rappelant qu’il a une « sévère côte à remonter » pour regagner la confiance de ses enfants. En somme, absence de motifs suffisamment graves selon le juge, même si la situation est sérieuse.
[10] Il est vrai, comme le plaide l’appelante, que, dans Droit de la famille - 112845, 2011 QCCA 1646, et dans d’autres arrêts, la Cour souligne que l’exercice de détermination de ce qu’est un motif grave n’est pas qu’une pure question de fait et qu’il s’agit plutôt d'une question de qualification, sujette au contrôle de la Cour. Par contre, il faut préciser que, dans Droit de la famille - 112845, la situation ne se comparaît pas à la présente :
[…] il [le père] n'a pas contesté la requête initiale de l'appelante, ne s'est pas présenté en première instance, n'a pas produit de mémoire en appel et ne s'est pas présenté à l'audience devant la Cour. C'est dire qu'à tout moment pertinent durant le processus judiciaire recherchant la déchéance de son autorité parentale et le changement de patronyme de son enfant, l'intimé n'a pas manifesté le moindre intérêt pour son enfant.
[11] S’il est vrai que la Cour peut intervenir en ce qui a trait à la qualification de la situation, cela ne signifie pas qu’elle puisse le faire ici. Il reste qu’il y a en l’espèce une dimension hautement factuelle à la conclusion du juge.
[12] Il a vu et entendu les parties et a estimé que l’intimé, en qui il a une certaine confiance, a fait des efforts suffisants pour refuser la demande de l’appelante, tout en étant conscient des difficultés qui l’attendent s’il veut revoir ses enfants. La Cour ne voit pas d’erreur révisable dans ce constat.
[13] Quant au changement de nom, l’intimé paraît s’y résigner ou à tout le moins s’en remettre à la discrétion de la Cour.
[14] Sans prétendre qu’elle est exhaustive, la Cour dresse une liste de divers facteurs qui peuvent être pris en compte dans A.B. c. M.-J.H., 2006 QCCA 8 :
14 Parmi les facteurs qui permettent d'apprécier si une demande de changement de nom est dans l'intérêt de l'enfant et dans le respect de ses droits, on retrouve notamment : l'âge de l'enfant, les raisons qui expliquent l'absence d'identification du père à la déclaration de naissance, les raisons de l'absence du père dans la vie de l'enfant depuis sa naissance, l'existence d'un lien significatif entre le père et l'enfant, le désir sincère du père d'être une personne significative dans la vie de l'enfant, ses efforts pour s'impliquer dans la vie de l'enfant, ses efforts pour assurer son bien-être, la qualité de la relation père-enfant, l'apport du père dans la vie de l'enfant jusqu'au moment de la demande, l'incidence du nom de l'enfant comme facteur identitaire et l'incidence chez l'enfant du changement de nom demandé.
[15] Selon l’art. 65 C.c.Q., un changement de nom peut être ordonné en cas d’abandon, même si cet abandon ne suffit pas à constituer un motif suffisamment grave pour entraîner la déchéance de l’autorité parentale. Par contre, le résultat de l’exercice serait ici hautement symbolique et pourrait même avoir un impact dévastateur sur la suite des choses et sur la possibilité même que les objectifs du jugement se réalisent.
[16] Dans ces circonstances, l’appelante ne convainc pas la Cour que l’intérêt des enfants justifie un changement de nom, sauf en ce qui a trait à Z L..., dont le nom sera changé pour L... B.... En effet, la preuve établit qu’il est dans le meilleur intérêt de l’enfant d’ordonner ce changement, d’autant qu’elle portera ainsi le même nom que ses deux frères. Les deux parties en conviennent.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[17] ACCUEILLE l’appel en partie;
[18] ORDONNE que les actes de l’état civil soient corrigés afin que l’acte de naissance de Z L... soit modifié pour qu’elle porte dorénavant le nom de famille L... B...;
[19] LE TOUT, sans frais de justice.
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FRANÇOIS DOYON, J.C.A. |
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NICHOLAS KASIRER, J.C.A. |
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ÉTIENNE PARENT, J.C.A. |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.