Décision

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Renaud c. Cyr

2019 QCCA 1348

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-09-009784-189

(115-17-000106-161)

 

DATE :

8 août 2019

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

CLAUDINE ROY, J.C.A.

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 

 

CAMILLE RENAUD

APPELANT - défendeur

et

MARIA DOYLE

APPELANTE - intervenante

c.

 

ÉTIENNE CYR

INTIMÉ - demandeur

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Les appelants se pourvoient contre un jugement de la Cour supérieure, district de Gaspé (l’honorable Alain Michaud) rendu le 1er mai 2018, lequel accueille la demande en passation de titre et en dommages-intérêts de l’intimé, rejette l’acte d’intervention volontaire de l’appelante Maria Doyle et prononce la compensation entre les dommages octroyés et le prix de vente.

[2]           Pour les motifs du juge Sansfaçon, auxquels souscrivent les juges Roy et Gagné, LA COUR :

[3]           ACCUEILLE la demande pour permission de modifier la déclaration d'appel et autorisation de produire la déclaration d’appel et le mémoire d’appel modifié, sans frais de justice;

[4]           AUTORISE la production de la déclaration d’appel et du mémoire d’appel modifié;

[5]           ACCUEILLE en partie l’appel, avec les frais de justice en faveur de l'intimé, à la seule fin de remplacer les paragraphes [206], [207] et [209] par les suivants :

[206]   CONDAMNE le défendeur à payer au demandeur la somme de 274 650 $ (pour ses pertes nettes de 2016), avec intérêts au taux légal et indemnité additionnelle à compter du 1er mai 2018;

[207]   CONDAMNE le défendeur à payer au demandeur la somme de 500 350 $ (pour ses pertes nettes de 2017), avec intérêts au taux légal et indemnité additionnelle à compter du 1er mai 2018;

[209]   ORDONNE compensation entre la somme due par le demandeur au paragraphe [204] et celles dues par le défendeur aux paragraphes [206], [207] et [208].

 

 

 

 

CLAUDINE ROY, J.C.A.

 

 

 

 

 

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

 

 

 

 

 

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 

Me Bernard Jolin

Me Justine Brien

Langlois avocats

Pour les appelants

 

Me Yvan Bujold

Me Olivier Hébert

Cain, Lamarre

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

Le 14 mars 2019


 

 

 

MOTIFS DU JUGE SANSFAÇON

 

 

[6]           Les appelants se pourvoient contre un jugement[1] de la Cour supérieure, district de Gaspé (l’honorable Alain Michaud) rendu le 1er mai 2018, lequel accueille la demande en passation de titre et en dommages-intérêts de l’intimé, rejette l’acte d’intervention volontaire de l’appelante Maria Doyle et prononce la compensation entre les dommages octroyés et le prix de vente.

[7]           Le juge relate les éléments factuels avec détails. Il suffit ici de mentionner que le litige concerne un document signé en janvier 2014 intitulé « promesse de vente », signé par l’appelant, l’intimé et la conjointe de ce dernier :

Moi, Camille Renaud, domicilié aux [...], promet de vendre les actifs de mon entreprise de pêche à Étienne Cyr, domicilié au [...], pour la somme de sept-cent cinquante milles - 750 000 $.

Les actifs vendus comprennent : [les actifs sont ici identifiés]

Cette entente est valide jusqu’au _janvier 2016_, et est conditionnelle à l’obtention du financement par l’acheteur. La transaction sera réalisée au plus tard le _janvier 2016_.

Signé à Bassin (Québec), ce samedi 18 janvier 2014.

(S)                                                                   (S)

Camille Renaud, vendeur                                Annie Renaud, témoin

(S)

Étienne Cyr, acheteur

 

[8]           En première instance, l’appelant a d’abord soutenu qu’il n’avait jamais signé ce contrat. Puis, il change son fusil d’épaule et soutient qu’il ne croyait pas signer une promesse de vente, mais plutôt un pacte de préférence. Le juge lui a donné tort et cette qualification n’est pas remise en cause par l’appel.

[9]           Le juge conclut que toutes les conditions pour la passation de titre sont remplies et, de plus, accorde des dommages pour la perte de profits pendant la durée de l’instance, de même que des dommages moraux.

*   *   *

[10]        Les trois premiers moyens concernent le financement de l’achat.

[11]        Les appelants affirment que le juge a erré en confondant la condition de la promesse de vente et celles de l’exercice du recours en passation de titre.

[12]        La vérification de la satisfaction des conditions d’un contrat ou des conditions d’exercice d’une demande de passation de titre est une question mixte de fait et de droit. Cette question est assujettie à la norme de l’erreur manifeste et dominante, à moins de pouvoir isoler une erreur de droit[2].

[13]        Les appelants soutiennent que l’intimé n’a pas respecté une des conditions de la promesse de vente, soit de démontrer qu’il avait obtenu le financement nécessaire à l’achat le 31 janvier 2016. Ils affirment à cet égard que le document signé par l’appelant et l’intimé le 18 janvier 2014 comportait une telle obligation et que cela constituait une condition de validité de l’entente. Or, selon eux, aucun des documents émis par les institutions financières avant l’expiration du délai indiqué dans la promesse ne faisait cette démonstration puisqu’ils n’étaient qu’expression d’intérêt ou offre de financement dont les conditions n’avaient pas alors été remplies ou n’était assortie de réserves et conditions faisant en sorte qu’ils ne constituaient pas l’obtention d’un financement requis.

[14]        Le fondement juridique du recours en passation de titre se trouve à l’article 1712 C.c.Q. :

1712. Le défaut par le promettant vendeur ou le promettant acheteur de passer titre confère au bénéficiaire de la promesse le droit d’obtenir un jugement qui en tienne lieu.

1712. Failure by the promisor, whether seller or buyer, to execute title entitles the beneficiary of the promise to obtain a judgment in lieu thereof.

[15]        Les conditions d’exercice de ce recours sont bien connues et se déclinent en quatre éléments : la transmission d’une mise en demeure, la présentation d’un acte de vente conforme à la promesse, l’offre et la consignation du prix de vente indiquée dans la promesse et le dépôt de la demande en justice dans un délai raisonnable[3]. On sait que certaines de ces exigences ont été assouplies au fil du temps[4].

[16]        Cela dit, et avant même d’analyser ces conditions, le demandeur doit être en mesure de démontrer que sa promesse est valide et exécutoire. Les auteurs Jobin et Vézina écrivent :

Par ailleurs, si la promesse comportait une obligation assortie d’une condition - laquelle est généralement exprimée sous forme de condition suspensive - il convient de s’assurer que l’événement visé par cette condition (telle une inspection ou l’obtention de financement) s’est réalisé et que, conséquemment, l’obligation du promettant est née et exigible au moment de l’action en passation de titre.[5]

[Renvoi omis]

[17]        Les auteurs Lluelles et Moore ajoutent :

Le succès de l’action en passation de titre exige qu’un acte, conforme aux stipulations de la promesse, soit déjà préparé, prêt à être signé par le défendeur. Il importe, en outre, que le demandeur soit, le cas échéant, disposé à exécuter ses propres obligations, qu’il ait déjà respecté les obligations que lui imposait la promesse, comme le versement d’un acompte et qu’il soit apte juridiquement à conclure le contrat considéré (avoir, par exemple, l’aptitude à acquérir le bien convoité).[6]

[Soulignement ajouté; renvois omis]

[18]        Quant à savoir si une promesse comporte une telle condition, la réponse dépendra de l’interprétation qui en sera donnée. Le rôle d’un tribunal d’appel et les limites à son pouvoir d’intervention, lorsque invité à revoir la lecture d’un contrat faite par un juge de première instance, ont été encadrés par la Cour suprême dans Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec[7] :

[49]      Cela dit, il convient de rappeler qu’en l’espèce, tant l’interprétation que la qualification du Contrat demeurent des questions mixtes de fait et de droit : Uniprix inc. c. Gestion Gosselin et Bérubé inc., 2017 CSC 43, [2017] 2 R.C.S. 59, par. 41-42; voir aussi Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633, par. 50. Puisqu’elles portent sur un ensemble particulier de circonstances qui n’est pas susceptible de présenter d’intérêt à titre de précédent, l’interprétation et la qualification de ce Contrat par le juge d’instance ne peuvent être renversées qu’en cas d’erreur manifeste et déterminante : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 28 et 36.

[19]        Dans Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp.[8], la Cour suprême rappelait un des fondements de cette déférence due par le tribunal d’appel à l’égard du jugement de première instance :

De même, la Cour dans l’arrêt Housen conclut que la retenue à l’égard du juge des faits contribue à réduire le nombre, la durée et le coût des appels tout en favorisant l’autonomie du procès et son intégrité (par. 16-17). Ces principes militent également en faveur de la déférence à l’endroit des décideurs de première instance en matière d’interprétation contractuelle. Les obligations juridiques issues d’un contrat se limitent, dans la plupart des cas, aux intérêts des parties au litige. Le vaste pouvoir de trancher les questions d’application limitée que notre système judiciaire confère aux tribunaux de première instance appuie la proposition selon laquelle l’interprétation contractuelle est une question mixte de fait et de droit.

[20]        C’est à tort que les appelants soutiennent que le juge a confondu l’obligation de démontrer que le financement avait été obtenu à titre de condition de validité de la promesse de vente assortie de l’obligation d’en faire la démonstration préalablement à l’exercice du recours.

[21]        Cet élément est analysé par le juge aux paragraphes [154] à [156] de son jugement. Il conclut (au paragr. [160]) que l’intimé « doit donc démontrer qu’il avait le financement nécessaire, fin janvier 2016, pour procéder à la transaction qu’il réclame » et que cette « condition » de la promesse de vente n’ajoute rien à la condition d’offrir et consigner le prix de vente nécessaire pour forcer la passation du titre. Il note que les situations en litige dans les arrêts Ferme Miclair 2000 inc. c. Lapierre[9], Penterman c. Ferme brune des Alpes inc.[10] et Kouddar c. Benoît[11], cités par les appelants, se distinguent. Dans ces trois arrêts, la Cour avait conclu que les conditions particulières stipulées dans les promesses de vente conditionnaient le droit d’action : dans deux des cas, la promesse de vente stipulait expressément comme condition que le promettant acheteur fasse un dépôt dans un délai déterminé, ce qu’il n’avait pas fait, et dans le troisième, qu’il devait avoir obtenu son financement dans le délai mentionné dans la promesse, mais aussi en avoir remis la preuve « au promettant vendeur avant cette date, faute de quoi la présente promesse de vente sera nulle et non avenue »[12], ce qu’il n’avait pas fait.

[22]        En l’espèce, la promesse ne prévoyait aucune telle obligation de démontrer qu’il possédait le financement requis à une date précise.

[23]        Le juge tient aussi en compte le comportement des parties, dont la mauvaise foi des appelants. Il rappelle que ces derniers ont d’abord tenté de se dégager de leur obligation de vendre en niant avoir signé la promesse de vendre, puis en niant la nature même du contrat. Ce n’est que tardivement qu’ils ont soulevé la question du financement qui, jusque-là, ne semblait pas leur poser de problème. Le juge conclut donc que les parties n’ont pas souhaité que démonstration de la disponibilité du financement soit faite avant le 31 janvier 2016 ou même lors du dépôt de la demande. L’important était que l’intimé disposait bien de ce financement le 31 janvier 2016, ce dont le juge devait s’assurer.

[24]        À la suite d’une analyse détaillée de la preuve, le juge conclut que l’intimé a toujours été en mesure d’obtenir les fonds nécessaires à l’achat et qu’ainsi la condition de la promesse de vente était satisfaite. Il s’appuie notamment sur le témoignage du directeur général de la Caisse populaire de Havre-aux-Maisons, M. Francis Simard. Bien que sa lettre d’intention du 15 octobre 2015 indique que le financement est conditionnel à l’octroi de garanties additionnelles, le juge a estimé que ces conditions avaient été remplies puisque M. Simard s’était alors assuré de la garantie exigée auprès de M. Albéric Cyr, le père de l’intimé. Le juge a aussi, et peut-être surtout, considéré le témoignage de M. Gino Ouellet, un entrepreneur prospère de la région et ami de l’intimé, selon lequel tant à l’été 2015 qu’au jour du procès, il était disposé à prêter à ce dernier l’intégralité du montant, sur simple demande de sa part, et la preuve par son comptable qu’il disposait durant toute cette période des fonds suffisants à cette fin. Ces témoignages ont été jugés crédibles.

[25]        Cette appréciation de la preuve était du ressort du juge et non de celui de la Cour. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’intervenir.

*   *   *

[26]        Les appelants soutiennent par ailleurs que le juge a erré en rejetant l’acte d’intervention de l’appelante Maria Doyle pour motif de prescription.

[27]        Les appelants ont raison quant au rejet de l’acte d’intervention. La prescription applicable est celle de trois ans et non de deux ans. L’intimé reconnait d’ailleurs dans son mémoire l’erreur du juge. L’article 2261.1 C.c.B.C. prévoyait que l’action en nullité d’un acte accompli par un époux sans le consentement de son conjoint se prescrivait par deux ans à compter de la connaissance de l’acte, si ce consentement était requis. Cette courte prescription n’a pas été reprise par le nouveau code, faisant en sorte que c’est la règle générale de l’article 2925 C.c.Q. qui s’applique à ces situations[13].

[28]        Néanmoins, cette erreur de droit ne change rien sur le sort du litige. Les appelants soutiennent en effet que le juge a erré en concluant que l’appelante avait donné son concours à la promesse de vente. Ce moyen est mal fondé, puisque le juge, en concluant de la sorte, n’a pas commis d’erreur révisable.

[29]        Ce moyen d’appel repose sur l’article 1292 du C.c.B.C., qui continue de s’appliquer aux époux mariés sous le régime de la communauté de biens[14] malgré son abrogation[15] :

1292. Le mari administre seul les biens de la communauté sous réserve des dispositions de l’article 1293 et des articles 1425a et suivants.

 

Il ne peut, sans le concours de sa femme, vendre, aliéner ou hypothéquer les immeubles de la communauté, mais il peut, sans ce concours, vendre, aliéner ou nantir les biens meubles autres que les fonds de commerce et les meubles meublant affectés à l’usage du ménage.

 

Le mari ne peut, sans le concours de sa femme, disposer entre vifs à titre gratuit des biens de la communauté, excepté de sommes modiques et de présents d’usage.

 

 

Le présent article ne limite pas le droit d’un mari de désigner un propriétaire selon l’article 2540 ou de désigner un tiers bénéficiaire d’une rente, d’une pension de retraite ou d’une assurance sur la vie, et aucune récompense n’est due en raison des sommes ou primes payées à même les biens de la communauté si le conjoint ou les enfants du mari ou du conjoint sont bénéficiaires ou propriétaires.

 

1292. The husband alone administers the property of the community subject to the provisions of article 1293 and articles 1425a and following.

 

 

He cannot sell, alienate or hypothecate without the concurrence of his wife any immoveable property of the community but he can, without such concurrence, sell, alienate or pledge any moveable property other than a business or than household furniture in use by the family.

 

The husband cannot, without the concurrence of his wife, dispose by gratuitous title inter vivos of the property of the community, except small sums of money and customary presents.

 

This article does not limit the right of a husband to name an owner under article 2540 or to name a third person beneficiary of annuities, retirement pensions or life insurances, and no compensation is due by reason of the sums or premiums paid out of the property of the community if the beneficiary or owner be the spouse or the children of either the husband or the spouse.

 

[Soulignements ajoutés]

 

 

[30]        Malgré que cet article ait été adopté en 1980 et qu’il continue de s’appliquer le cas échéant, et même que le mot « concours » était déjà employé dans le Code civil du Bas-Canada, peu d’auteurs de la doctrine ont émis une opinion sur le sens qui doit être donné à ce mot.

[31]        Dans un ouvrage paru en 1979, l’auteur et notaire Roger Comtois traite comme suit de l’utilisation des mots « concours », « consentement » et « autorisation » employés par les notaires dans leurs actes :

13. L’on aura déjà observé que le terme « autorisation » qui avait cours avant la loi de 1964, pour désigner l’acte qui pouvait relever l’épouse de son incapacité n’est plus dorénavant utilisé, si ce n’est pour signifier l’autorisation judiciaire. L’expression « concours » est sans doute la plus appropriée pour décrire la participation du conjoint à un acte posé par l’autre époux. Quant au mot « consentement », le Code Civil l’emploie beaucoup plus rarement. […]

14. Et alors, pour être bien précis, un acte de vente d’immeuble ou un acte d’hypothèque ne devrait pas se référer à une « autorisation » ou à un « consentement » du conjoint, mais bien au concours de celui-ci. Certains praticiens ont l’habitude d’employer côte à côte les termes « autorisation », « concours » et « consentement ». Ces expressions ne sont pas toujours justes. Quoi qu’il en soit, nous ne voyons pas comment la femme qui a donné son « consentement » ou son « autorisation » à un acte pourrait prétendre qu’elle n’a pas donné son « concours ». En d’autres termes, même si les actes peuvent être imparfaits dans leur rédaction dans l’emploi des termes, l’essentiel est là : la femme a effectivement donné son accord et elle serait malvenue de prétendre qu’elle n’a pas participé à l’acte de façon à ce que cet acte lui soit opposable.[16]

[32]        Traitant plus spécifiquement des contrats préalables à l’aliénation, l’auteur explique :

34. Les contrats préparatoires à l’aliénation d’un immeuble de communauté, telles l’option, l’offre d’achat et l’offre de vente, sont des actes qui conduisent à l’aliénation proprement dite de l’immeuble. Le concours du conjoint est donc nécessaire pour que l’acte proposé lui soit opposable. Les courtiers d’immeubles tiennent généralement compte de cette exigence dans leur pratique et les formules de la Chambre d’immeubles prévoient un endroit où le conjoint exprime son accord. Comme au moment où l’offre est proposée, le régime matrimonial peut être inconnu, l’agent immobilier demande la signature des deux époux, étant alors pressé par le temps et n’ayant pas toujours les moyens de vérifier l’état matrimonial du client. […] L’épouse qui n’a pas concouru à l’offre de vente ne saurait être tenue de concourir au contrat de vente définitif.[17]

[33]        Dans un article paru dix années plus tard, ce même auteur aborde l’exigence de la signature de l’épouse sur l’acte de vente :

L’article 1292 vise les actes de vente et d’hypothèque d’immeuble. Les praticiens, en accord avec la doctrine, estiment que l’on doit comprendre dans le terme "vente" toute aliénation d’immeuble, même conditionnelle. L’époux commun en bien ne peut accepter une offre de vente d’un immeuble sans le concours de son épouse, puisqu’il y a là une vente au moins conditionnelle : l’acte notarié vient constituer la preuve définitive de l’entente intervenue entre les parties. Les formules d’offre d’achat en usage dans le marché prévoient d’ailleurs le concours du conjoint en regard de l’acceptation du vendeur. […]

Concourir, c’est plus qu’être présent, sans protester. L’on ne peut pas appliquer ici l’adage populaire : "Qui ne dit mot consent". Cela ne vaut pas en droit. Le concours pourrait ne pas apparaître dans l’acte même et résulter d’un autre acte : dans un cas, l’on a jugé que l’épouse qui avait concouru à l’acte d’hypothèque d’un certain immeuble avait implicitement concouru à la vente, alors que l’hypothèque avait été contractée en vue de cette vente.[18]

[34]        Dans L'examen des titres immobiliers, les auteurs Jean Gagnon, Lucie Laflamme, Marie Galarneau et Pierre Duchaîne[19] en référant à l’arrêt de cette Cour Lacroix c. Tardif[20], soulignent l’importance de préciser dans un acte la nature de l’intervention de l’épouse : « La sévérité du tribunal, en dépit de la présence du mari, souligne bien l’importance de faire comparaître les parties ou intervenants en fonction du rôle précis qu’ils entendent exercer : autoriser, ce n’est pas vendre; concourir ne l’est pas davantage; corroborer une déclaration d’état matrimonial n’a rien à voir avec le consentement … ».

[35]        L’année suivante, dans Examen des titres - Consentement, concours ou simple signature[21], le professeur Yvan Desjardins se dit en désaccord avec cet énoncé de ces auteurs :

Il importe de dire ici que nous ne pouvons qu'être en désaccord sur ce qui est écrit sous le titre « Absence de pouvoirs de la femme sur les immeubles communs », dans L'examen des titres immobiliers, ouvrage par ailleurs excellent dans son ensemble. On y laisse entendre, en s'appuyant sur l'arrêt Lacroix c. Tardif, qu'une vente consentie par l'épouse, avec l'autorisation, mais non le concours de son mari, d'un immeuble faisant partie de la communauté de biens, serait une vente nulle.

Il ne faut pas oublier que cet arrêt de la Cour d'appel remonte à plus de 80 ans (1927), alors qu'existaient, d'une part, l'incapacité juridique de la femme mariée et, d'autre part, l'article 1312 C.c.B.C., lequel prescrivait que la séparation de biens judiciaire demeurait sans effet tant qu'elle n'avait pas été exécutée. Dans la jurisprudence, cet article a été invoqué notamment dans le cadre d’une promesse de vente d’un immeuble.

[36]        Il explique :

Le mot « consentement » signifie : acquiescement donné à quelque chose, décision de ne pas s'y opposer. Le mot « concours » signifie : participation à un acte posé par un autre en vue, soit de l'autoriser, soit de l'approuver. Ce sont là des définitions tirées de dictionnaires usuels. Quant à la simple « signature », nous nous permettons de reprendre ici, en résumé, la définition qu'en donne le grand juriste français René Savatier :

« La signature est l'empreinte personnelle par laquelle un individu atteste non seulement son consentement, mais sa présence physique, en laissant une trace non équivoque de son regard sur l'acte. »

Comme on peut le constater, il n'y a pas de différence notable entre chacun de ces mots. À toutes fins utiles, tous trois veulent dire juridiquement la même chose : l'adhésion à l'acte, son approbation et le refus de le remettre en cause. Finalement, dans tous les cas exposés plus haut ou autres cas semblables, ces trois mots ont chacun le même effet indiscutable, celui de rendre l'acte valide. On pourrait aussi soutenir que consentir, de quelque manière que ce soit, à ce qu'une autre personne vende nos droits dans un bien équivaut à conférer à cette autre personne un mandat exprès de les aliéner.

[37]        Commentant à son tour le sens du mot «  concours  » employé à l’article 1292 C.c.B.C, l’auteure Édith Lambert[22] reprend l’opinion de Me Comtois publiée en 1979 voulant qu’un acte ne saurait être invalidé parce qu’il comporterait l’indication que la femme y a donné son consentement plutôt que la mention qu’elle y a concouru, et reprend l’opinion de Me Desjardins au sujet de l’arrêt Lacroix c. Tardif, ajoutant que celle de Me Comtois va dans le même sens.

[38]        Quant à la preuve du concours, Me Lambert écrit :

Preuve du concours de la femme

Les actes de vente, d’aliénation ou d’hypothèque relatifs à un immeuble contiennent généralement une clause de déclaration d’état civil et de régime matrimonial. Le mari peut alors y déclarer être marié sous le régime de la communauté de biens. En principe, on peut également constater l’existence ou l’absence du concours de la femme à l’acte du mari à cet endroit.

En général, le défaut de concours de la femme constitue un vice de titre de propriété immobilière. En fait, la sanction varie en fonction de l’époque où la contravention à l’article 1292 C.c.B.C. a eu lieu, c’est-à-dire à quel moment l’acte a été conclu. En effet, l’article 1292 C.c.B.C. a été modifié à plusieurs reprises […].

Contrairement à la plupart des actes relatifs à des biens immeubles, ceux liés à des biens meubles sont moins susceptibles d’être constatés par un écrit et d’être publiés dans un registre (par ex., un don manuel a lieu sans écrit ni publication dans un registre), ce qui peut engendrer certains problèmes au moment de vérifier si la femme a réellement concouru ou non à l’acte : il s’agit donc d’un problème de preuve.

Le défaut d’obtenir le concours de la femme peut être sanctionné par la nullité relative [voir ci-dessous la rubrique « Illustration jurisprudentielle »]. Cette action doit généralement être exercée dans un délai de prescription de trois ans [art. 2925 C.c.Q.]. Rappelons toutefois qu’en principe, la prescription ne court pas entre les époux […].

[Soulignement ajouté; renvois omis]

[39]        Je ne peux qu’être en accord avec le fait que la meilleure pratique notariale veut que le notaire reçoive la signature de l’épouse sur l’acte lui-même ou sur un autre acte, sans quoi le titre pourra être perçu comme étant vicié et sujet à annulation. La déclaration de l’épouse dans la promesse ou dans l’acte de vente indiquant qu’elle consent ou qu’elle y concourt, jointe à sa signature, est certainement la façon la plus certaine de s’assurer que le consentement de l’épouse a véritablement été donné et de limiter le risque de contestation ultérieure.

[40]        Cela dit, le concours de l’épouse doit-il nécessairement être inscrit dans l’acte et être accompagné de sa signature?

[41]        La réponse à cette question m’apparaît être négative.

[42]        Dans l’arrêt Lacroix c. Tardif, dont il est fait mention par les auteurs, les époux étaient séparés et étaient tous deux sous la fausse impression que l’épouse vendait un immeuble qui lui était devenu propre, et dont la vente nécessitait du mari qu’il lui donne l’autorisation maritale, soit le supplément de capacité requis à cette époque sans lequel la vente par la femme d’un de ses biens propres ne pouvait avoir lieu, la femme mariée étant à cette époque incapable juridiquement. La Cour déclare d’abord que, pour des raisons de procédure entourant la séparation, l’immeuble en litige était demeuré dans la communauté des biens des époux et donc n’était pas devenu un bien propre que l’épouse pouvait vendre avec cette seule autorisation maritale de l’époux. Ainsi, ajoute la Cour, puisque l’époux avait concouru à l’acte mais sous l’impression erronée qu’il accordait cette autorisation matrimoniale, il en découlait qu’il n’avait pas donné son concours à la vente d’un bien de la communauté et que la vente était nulle.

[43]        Or, cette incapacité absolue de la femme mariée telle qu’elle existait au moment où cet arrêt a été rendu n’existait plus sous l’article 1292 C.c.B.C. Le concours exigé par l’article 1292 C.c.B.C. est demeuré une condition essentielle à la capacité de l’époux, mais là n’est pas la difficulté, celle-ci résidant plutôt dans l’expression de ce concours de l’épouse à la vente.

[44]        Je suis d’avis que le concours mentionné à l’article 1292 C.c.B.C. n’est pas synonyme de signature et qu’il signifie la participation volontaire à la décision d’aliéner, que l’épouse y a consenti. La seule présence de l’épouse sur les lieux des discussions et là où l’acte est signé par l’époux ne suffira pas, pas plus que la seule démonstration que l’épouse a été tenue informée des démarches entreprises par l’époux. L’épouse ne sera jamais présumée avoir participé à la décision, à moins qu’elle n’ait accordé à l’époux un mandat dans ce sens.

[45]        Notre Cour a déjà reconnu que le concours de l’épouse peut se manifester autrement que par une signature apposée dans l’acte. Dans Rioux c. Babineau[23], le juge Robert Lesage de la Cour supérieure se penchait, entre autres, sur le caractère de la nullité qui entachait une donation importante d’argent faite par le mari sans le concours de son épouse. Le juge y différencie le consentement du concours en ces termes :

30. Il est intéressant de souligner que les articles 479 C.C.Q. (1980) et 2261.1 C.C.B.C. traitent des actes qui requièrent le consentement du conjoint et qui prévoient une possibilité de ratification par le conjoint qui n’a pas donné son consentement. Or, l’article 1292 C.C.B.C. ne parle pas de consentement, mais du concours de la femme commune en biens. Remarquons de plus, à l’égard des dispositions entre vifs, que la disposition analogue sous le régime de société d’acquêts, soit l’article 494 C.C.Q. (1980), se lit comme suit :   

Un époux ne peut cependant, sans le consentement de son conjoint, disposer de ses acquêts entre vifs à titre gratuit, si ce n’est de sommes modiques et pour des cadeaux d’usage.

Toutefois, il peut être autorisé par le tribunal à passer seul un tel acte, si le consentement ne peut être obtenu pour quelque cause que ce soit ou si le refus n’est pas justifié par l’intérêt de la famille.

Cette rédaction modifiait le texte de l’article 1266o C.C.B.C., introduit en 1970, en changeant l’expression sans le concours de son conjoint par l’expression sans le consentement de son conjoint. Les deux mots peuvent paraître synonymes, mais en vérité, seul le défaut de consentement permet une ratification ultérieure. Le concours s’opère lors de l’accomplissement de l’acte. L’article 1292 C.C.B.C., qui exige le concours de l’épouse, n’a pas été modifié en 1980. Sur le strict plan de l’analyse grammaticale des textes, l’article 479 C.C.Q. (1980) ne permet que de ratifier une absence de consentement.[24]

[Soulignement ajouté]

[46]        La décision est portée en appel et l’interprétation donnée par le juge Lesage à la notion de «  concours  » est infirmée :

[22] D’autre part, [le juge de première instance] souligne que les articles 479 C.c.Q. et 2261.1 C.c.B.-C. traitent des actes qui requièrent le consentement du conjoint et non le concours de l’épouse commune en biens comme le prévoit l’article 1292 C.C.B.-C. Selon lui, les mots « consentement » et « concours » ne sont pas synonymes. Le concours de l’épouse commune en biens se manifesterait lors de l’accomplissement même de l’acte et on ne pourrait remédier à son absence par la suite. Seul le défaut de consentement permettrait une ratification ultérieure. Le premier juge conclut donc qu’à défaut du concours de l’épouse, l’acte est radicalement nul.  

[…]

[31] […] contrairement à ce qu’affirme le premier juge, l’article 1292 C.c.B.-C. n’exige pas que le concours de l’épouse se manifeste au moment même de l’acte (Trust Général du Canada c. Bouchard, [1971] C.A. 765, pp. 772-773 par le juge Brossard);[25]

 

[Soulignement ajouté]

 

[47]        L’arrêt Babineau milite en faveur de l’assertion voulant que signer un acte juridique ne soit pas la seule manière d’y concourir. En effet, s’il est possible de concourir à un moment autre qu’à celui où l’acte est conclu, c’est que ce  concours  peut se manifester autrement qu’à travers une signature apposée dans l’acte en question. C’est ce qu’exprimait Me Desjardins dans l’extrait reproduit plus haut.

[48]        À la veille de son abrogation, le Code civil du Bas Canada faisait référence à la notion de concours dans 11 articles, que l’on peut classer en quatre catégories d’articles : (1) les articles traitant de la réunion des qualités de créancier et de débiteur en une même personne[26]; (2) les articles traitant d’une compétition entre plusieurs créanciers pour obtenir leur créance d’un même débiteur[27]; (3) les articles traitant d’une concurrence entre des héritiers relativement à une succession[28]; et (4) les articles traitant de la nécessité d’obtenir l’approbation d’une personne pour accomplir un acte juridique donné[29]. C’est à cette dernière catégorie qu’appartient l’article 1292 C.c.B.C. Les autres articles de cette catégorie sont rédigés ainsi :


 

Article 692

L’époux commun en biens peut provoquer seul le partage de biens à lui échus et qui doivent lui rester propres; mais il ne peut, sans le concours de son conjoint, provoquer le partage des biens à lui échus, qui peuvent tomber dans la communauté, en tout ou en partie.

Les cohéritiers d’un conjoint commun en biens ne peuvent provoquer le partage définitif des biens qui tombent dans la communauté sans mettre en cause les deux époux.

1866 a. 692; 1969, c. 77, a. 14

Article 1172

La novation par la substitution d’un nouveau débiteur peut s’opérer sans le concours du premier.

1866 a. 1172

Article 1266o

Chaque époux a l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens propres et de ses acquêts. Il ne peut cependant, sans le concours de son conjoint, disposer de ses acquêts entre vifs à titre gratuit, si ce n’est de sommes modiques et de présents d’usage.

Le présent article ne limite pas le droit d’un époux de désigner un propriétaire selon l’article 2540 ou de désigner un tiers bénéficiaire d’une rente, d’une pension de retraite ou d’une assurance sur la vie, et aucune récompense n’est due en raison des sommes ou primes payées à même les acquêts si le conjoint ou les enfants de l’époux ou du conjoint sont bénéficiaires ou propriétaires.

1969, c. 77, a. 27; 1974, c. 70, a. 442; abrogé 1980, c. 39, a. 45

 

Article 1425a

Les produits du travail personnel de la femme commune en biens, les économies qui en proviennent et les meubles ou immeubles qu’elle acquiert en en faisant emploi, sont, à peine de nullité de toute convention contraire, réservés à l’administration de la femme, et elle en a la jouissance et la libre disposition.

La femme ne peut, cependant, sans le concours de son mari, les aliéner à titre gratuit, ni aliéner ou hypothéquer les immeubles, ni aliéner ou nantir les fonds de commerce et les meubles meublants affectés à l’usage du ménage.

Elle peut ester en justice, sans autorisation, dans toute action ou contestation relative à ses biens réservés.

Ces biens réservés ne comprennent pas les gains résultant du travail commun des époux.

Le présent article ne limite pas le droit de la femme de désigner un propriétaire selon l’article 2540 ou de désigner un tiers bénéficiaire d’une rente, d’une pension de retraite ou d’une assurance sur la vie, et aucune récompense n’est due en raison des sommes ou primes payées à même les biens réservés si le conjoint ou les enfants de la femme ou du conjoint sont bénéficiaires ou propriétaires.

Aj. 1930-1931, c. 101, a. 27; 1945, c. 66, a. 5; 1964, c. 66, a. 22; 1969, c. 77, a. 87; 1974, c. 70, a. 444; abrogé 1980, c. 39, a. 45

 

Article 1850

 

Lorsque plusieurs des associés sont chargés de l’administration des affaires de la société généralement, sans stipulation que l’un ne pourra agir sans les autres, chacun d’eux peut agir séparément; mais si cette stipulation existe, l’un d’eux ne peut agir en l’absence des autres, lors même qu’il est impossible à ces derniers de concourir à l’acte.

1866 a. 1850

[Soulignement ajouté]

[49]        On constate qu’à nul endroit le législateur n’a spécifié la façon dont doit s’exprimer l’exercice du concours. Le concours est requis, mais non obligatoirement par l’apposition de la signature dans l’acte.

[50]        Sous l’ancien code, le mot « concours » était aussi utilisé en matière de novation à l’article 1172 reproduit ci-haut, qui prévoyait que la novation par la substitution d’un nouveau débiteur pouvait s’opérer « sans le concours du premier ». Cet article a été remplacé au Code civil du Québec par l’article 1660, qui prévoit dorénavant qu’en pareilles circonstances, la novation peut « s’opérer sans le consentement de l’ancien débiteur ». Dans ses commentaires relatifs au nouvel article[30], le ministre de la Justice assimile la notion de concours que l’on retrouvait à l’article 1172 C.c.B.C, à celle de consentement :

L’article regroupe les dispositions des articles 1169 et 1172 C.C.B.C. quant à la nature et aux formes de la novation.

La novation suppose une mutation du lien d’obligation unissant à l’origine deux parties, par changement de créancier, de débiteur ou d’objet.

La novation éteint l’obligation originale au profit de la création d’une nouvelle obligation.

L’article maintient la règle de l’article 1172 C.C.B.C., selon laquelle la novation peut s’opérer sans le consentement de l’ancien débiteur[31].

[Soulignement ajouté]

[51]        Si l’apposition de la signature est courante en matière immobilière, elle l’est certainement moins en matière de biens meubles. Pourtant, ce même article 1292 C.c.B.C. mentionne que, sauf pour certaines exceptions, la femme doit aussi concourir aux dispositions entre vifs à titre gratuit faites par l’époux des biens de la communauté. Un tel don pourra donc être attaqué, auquel cas le résultat dépendra de la preuve qui sera faite du concours de l’épouse. Ainsi, bien qu’en matière immobilière le concours de l’épouse sera démontré par l’apposition de sa signature dans l’acte et que cela sera le cas dans la très vaste majorité des cas vu le rôle joué par les notaires qui s’en assureront, la preuve du concours de l’épouse pourra, tant en matière immobilière que mobilière, aussi être faite d’une autre façon, dont par la preuve testimoniale, permettant ainsi de renverser la présomption de vice du titre auquel référait Me Lambert[32]. Cette preuve pourra dans certains cas être difficile à faire, particulièrement en appliquant les règles de preuve du Code civil du Québec. Tout comme en matière de confirmation, il s’agira d’une question de fait.

[52]        En l’espèce, le juge conclut que l’appelante a donné son concours à la promesse de vente. Puisque la preuve d’un tel concours de l’appelante est essentiellement une question de fait, les appelants devaient démontrer une erreur manifeste et déterminante commise par le juge.

[53]        Le juge n’accorde d’abord qu’une très faible crédibilité aux témoignages des deux appelants. Il relève les contradictions et admissions présentes dans la preuve qu’ils présentent, plus particulièrement l’attitude générale de l’appelante et « l’inconsistance de ses dénégations[33] », tant au préalable qu’à l’audience, et mentionne qu’il rejette son témoignage selon lequel l’appelant ne lui avait pas demandé son avis sur cette transaction.

[54]        Continuant son analyse de la preuve, le juge conclut que l’appelante a bien concouru à l’acte. Ce résultat atteint par le juge apparait des faits qu’il relate, mais aussi du témoignage de l’appelante. En outre, lors de son interrogatoire au préalable, elle admet à plusieurs occasions qu’elle a toujours été d’accord, avant même que la promesse de vente soit signée, pour que « le rig », c’est-à-dire le permis de pêche et l’équipement, soit vendu à l’intimé, qu’elle a continué à être d’accord avec sa vente après la signature de la promesse par son époux en janvier 2014, de même qu’avec le fait que ce soit l’intimé qui l’acquière, et qu’elle était heureuse qu’il reste dans la famille.

[55]        L’appelante admet aussi que, bien que ce soit son mari qui s’occupait des affaires de pêche, elle a bien participé à la décision de vendre le permis de pêche et l’équipement à l’intimé :

Q.     Okay. Les décisions là, de vendre ou de ne pas vendre et d’accorder une priorité à Étienne ou à quelqu’un d’autre est-ce que c’est exact que c’est Camille qui prenait ces décisions-là?

R.     Ben c’est lui qui décidait, c’est certain que c’était, c’était à lui, y prenait la décision, y m’en parlait aussi si, si...

Q.     C’est ça.

R.     ... hein pour vendre.

Q.     Okay.

R.     Oui, oui.

Q.     C’est une décision que vous preniez ensemble?

R.     Oui.

[56]        À cela s’ajoute le fait que le juge a trouvé convaincant le témoignage de M. Gino Ouellet rapportant des propos de l’appelante tenus après la signature de la promesse de vente, à deux occasions distinctes lors d’autant de soupers, dont sa déclaration faite à la conjointe de l’intimé qu’ils allaient « avoir une belle vie avec l’entreprise de pêche »[34].

[57]        Le juge considère aussi que le différend survenu entre l’appelante et la conjointe de l’intimé à la suite du refus de l’appelant de tenir parole et de vendre son permis de pêche et l’équipement [35] explique l’intervention de l’appelante au dossier. Les faits qui soutiennent cette appréciation faite par le juge apparaissent de l’interrogatoire de l’appelante, alors qu’elle déclare qu’elle était d’accord pour que ce soit l’intimé qui achète et qu’elle est toujours d’accord à ce que ce soit lui, et qu’elle mettrait fin à son opposition si l’intimé et sa conjointe « viennent jaser comme avant ». L’appelante admet d’ailleurs, lors de cet interrogatoire, qu’elle n’a plus été d’accord pour vendre bien après la signature de la promesse d’achat, soit à compter du moment où l’intimé a transmis sa mise en demeure de signer l’acte de vente.

[58]        Il n’appartient pas à cette Cour de revoir la crédibilité des témoins afin d’établir qui dit vrai. Le juge a apprécié l’ensemble de la preuve et a conclu que l’appelante a bien donné son concours. Les appelants ne démontrent pas d’erreur révisable de sa part.

*  *  *

[59]        Enfin, l’appelant demande l’autorisation de modifier sa déclaration d’appel afin d’ajouter un nouveau moyen, soit que le juge aurait erré en omettant d’ordonner le paiement d’intérêts sur le prix de vente, tout en le condamnant à payer des intérêts sur les dommages équivalents à la perte de revenus pour les saisons de pêche 2016 et 2017. De plus, le juge aurait erré en ordonnant la compensation sur la base des montants en capital, sans tenir compte des intérêts.

[60]        Puisque la conclusion qu’il désire ajouter n’entraîne pas un nouveau débat qui aurait pour effet de forcer la réouverture de la preuve, j’accorderais l’autorisation d’ajouter ce nouveau moyen d’appel.

[61]        Le juge de première instance n’a pas accordé d’intérêts sur le prix inscrit à la promesse de vente lorsqu’il a ordonné la remise par l’intimé d’une somme de 750 000 $ à l’appelant. Cette décision ne contient pas d’erreur révisable puisque l’intimé a toujours été disposé à acheter et payer le permis de pêche et l’équipement. C’est l’appelant qui a toujours refusé de le lui vendre. Jamais, donc, l’intimé n’a été en demeure de lui payer le prix convenu, condition pour que des intérêts puissent être octroyés en telle matière (article 1617 C.c.Q.).

[62]        Il y a par ailleurs erreur dans le point de départ du calcul des intérêts eu égard à la condamnation en dommages pour pertes de revenus. Le juge octroie des intérêts à partir du dernier débarquement pour les saisons de pêche, soit à partir du 17 juillet 2016 et du 24 juillet 2017 respectivement pour les saisons de pêche 2016 et 2017 (voir les paragraphes 207 et 208 du jugement).

[63]        Or, l’article 1618 C.c.Q. précise que les dommages-intérêts autres que ceux résultant du retard dans l’exécution d’une obligation de payer une somme d’argent portent intérêt depuis la demeure ou depuis toute autre date postérieure que le tribunal estime appropriée, eu égard à la nature du préjudice et aux circonstances.

[64]       Au paragraphe 10 de son jugement, le juge mentionne que la demande introductive d’instance est modifiée une première fois le 7 février 2017 pour réclamer la perte de profits pour la saison de pêche 2016, et que la demande est modifiée à nouveau le 13 mars 2018 pour réclamer la perte de profits pour la saison de pêche 2017. Le calcul des intérêts ne pouvait donc pas commencer avant les 7 février 2017 et 13 mars 2018 respectivement.

[65]       Mais il y a plus. Ici, l’intimé n’a pas eu à défrayer les coûts pour le financement de l’achat pendant l’instance. Il appert du jugement que le juge n’a pas tenu compte de ce fait dans le calcul des pertes de profit nettes pour les saisons de pêche 2016 et 2017. Aux paragraphes 171 à 175 du jugement, il calcule les dommages en prenant appui sur les revenus nets de l’appelant, avec une déduction pour tenir compte de l’expérience moindre de l’intimé. Dans ces circonstances, il paraît approprié de ne calculer des intérêts sur les dommages qu’à partir de la date du jugement.

[66]       Pour ces motifs, j’accueillerais sans frais de justice la demande pour permission de modifier la déclaration d'appel et autorisation de produire la déclaration d’appel et le mémoire d’appel modifié, j’autoriserais la production de la déclaration d’appel et du mémoire d’appel modifié et j’accueillerais en partie l’appel, avec frais de justice en faveur de l'intimé à la seule fin de remplacer les paragraphes [206], [207] et [209] par les suivants :

[206]         CONDAMNE le défendeur à payer au demandeur la somme de 274 650 $ (pour ses pertes nettes de 2016), avec intérêts au taux légal et indemnité additionnelle à compter du 1er mai 2018;

[207]         CONDAMNE le défendeur à payer au demandeur la somme de 500 350 $ (pour ses pertes nettes de 2017), avec intérêts au taux légal et indemnité additionnelle à compter du 1er mai 2018;

[209]         ORDONNE compensation entre la somme due par le demandeur au paragraphe [204] et celles dues par le défendeur aux paragraphes [206], [207] et [208].

 

 

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 



[1]     Cyr c. Renaud, 2018 QCCS 3172.

[2]     Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235, paragr. 37.

[3]     Houlachi c. Bray,  J.E. 97-2114, 1997 CanLII 10151 (C.A.); Théberge c. Durette, 2007 QCCA 42, paragr. [48]; Zanetti c. 2946-6117 Québec inc., 2012 QCCA 477, paragr. [76]-[77].

[4]     Id.

[5]     Jean-Louis Baudouin, Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, no 744.

[6]     Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, 2e éd., Montréal, Thémis, 2012, no 483.

[7]     Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec, 2018 CSC 46.

[8]     2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633, paragr. [50] à [52].

[9]     Ferme Miclair 2000 inc. c. Lapierre, 2007 QCCA 796.

[10]    2006 QCCA 1318.

[11]    2008 QCCA 2314.

[12]    Ferme Miclair 2000 inc. c. Lapierre, 2007 QCCA 796, paragr. [2].

[13]    Loi sur l’application de la réforme du Code civil, L.Q., 1992, c. 57, art. 6 : l’appelante ayant eu connaissance de la promesse le 18 janvier 2014, elle avait jusqu’au 19 janvier 2017 pour déposer son intervention. Les commentaires du ministre sont limpides quant à l’application de l’article 2261.1 C.c.B.C. après l’entrée en vigueur du C.c.Q. : « Il n’a pas paru nécessaire de reprendre la règle de l’article 2261.1 C.c.B.C. concernant le délai de prescription de l’action en nullité d’un acte accompli par un époux sans le consentement de son conjoint ou de l’action en dommages-intérêts concernant cet acte. On peut douter, si la vie commune est paisible, qu’un époux poursuive son conjoint pour un tel acte. En conséquence, l’exception à la règle générale n’est pas requise et l’article 2925 s’appliquera. »; Ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice : Le Code civil du Québec, t. 2, Québec, Publications du Québec, 1993, art. 2906 C.c.Q.

[14]    Loi instituant un nouveau Code civil et portant réforme du droit de la famille, L.Q. 1980, c. 39, art. 66.

[15]    Loi instituant un nouveau Code civil et portant réforme du droit de la famille, L.Q. 1980, c. 39, art. 45.

[16]    Roger Comtois, « Les pouvoirs des époux en droit québécois », (1979) C.P. du N. 179, p. 187-188.

[17]    Id., p. 193.

[18]    Roger Comtois, « Jurisprudence : Nullité relative de la promesse de vente acceptée par le mari sans le concours de l’épouse - dommages accordés au promettant-acquéreur », (1988) 90 R. du N. 560, p. 562-563.

[19]    3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 393. Ce commentaire est repris dans la quatrième édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014.

[20]    (1927) 42 B.R. 252.

[21]    (2010) 19-4 Entracte 38.

[22]    Édith Lambert, Communauté de biens : art. 1272 à 1425i et 1450 C.c.B.C., Commentaires sur le Code civil du Bas Canada (DCQ) hors-série, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012, n1292 570.

[23]    [1998] J. E. 98-1123, 1998 CanLII 9716 (C.S.).

[24]    Id., paragr.30.

[25]    Babineau c. Rioux, J.E. 2000-1148, 2000 CanLII 6877, paragr. 22, 30 (C.A.) [Babineau].

[26]    Voir l’art. 1199 C.c.B.C.

[27]    Voir l’art. 1981 C.c.B.C.

[28]    Voir les art.105, 620 et 737 C.c.B.C.

[29]    Voir les art. 692 al.1, 1172, 1266o al. 1, 1292, 1425a al.2 et 1850 C.c.B.C.

[30]    L’article 1660 C.c.Q. prévoit que : « La novation s’opère lorsque le débiteur contracte envers son créancier une nouvelle dette qui est substituée à l’ancienne, laquelle est éteinte, ou lorsqu’un nouveau débiteur est substitué à l’ancien, lequel est déchargé par le créancier; la novation peut alors s’opérer sans le consentement de l’ancien débiteur ». Le Code civil du Québec ne réfère qu’à une occasion à la notion de concours, à l’article 2214 C.c.Q., qui reprend intégralement le texte de l’ancien article 1850 C.c.B.C., mais qui ne semble pas avoir été commenté utilement aux fins de notre propos.

[31]    Ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice : Le Code civil du Québec, t. 1, Québec, Publications du Québec, 1993, art. 1660.

[32]    Déjà cité, paragr. [33].

[33]    Jugement entrepris, paragr. [136]-[150].

[34]    Jugement entrepris, paragr. [141].

[35]    Jugement entrepris, paragr. [147].

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