Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Ville de Québec c. Cummings

2022 QCCM 64

 

COUR MUNICIPALE
DE LA VILLE DE QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

 

 

No :

7903010765

 

DATE :

29 septembre 2022

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

PATRICE SIMARD

______________________________________________________________________

 

Ville de Québec

Poursuivante

c.

Tommy Cummings

Défendeur

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

1. INTRODUCTION

[1]                On reproche au défendeur d’avoir consommé de l’alcool et/ou davoir en sa possession une bouteille, une cannette ou un récipient débouché contenant de l’alcool dans une rue ou un endroit public, et ce, en contravention avec l’article 3 du Règlement sur la paix et le bon ordre de la Ville de Québec[1].

[2]                Le défendeur n’a pas transmis de plaidoyer dans les délais légaux[2]. Le défendeur est donc réputé avoir transmis un plaidoyer de non-culpabilité et la poursuite a été instruite par défaut[3].

2. RÉSUMÉ DES FAITS

[3]                Le 4 novembre 2021, vers 14 h 48, le défendeur est interpellé par deux policiers du SPVQ[4] alors qu’il se trouve sur la rue Sainte-Hélène, près de l’intersection avec la rue de la Chapelle, dans le quartier Saint-Roch à Québec.

[4]                La poursuivante a déposé en preuve le constat d’infraction et le rapport d’infraction signés par les agents Steve Bastien et Nelson Cloutier, et ce, pour valoir témoignages des agents de la paix[5].

[5]                Quant aux faits pertinents, l’agent Bastien atteste avoir personnellement constaté ce qui suit :

« Le contrevenant consommait de lalcool sur la rue St Hélene [sic]. On lui a demandé de la vider, mais préférait un constat. Il buvait une Molson Dry 1.18 litre qui était à moitié pleine. »

3. ANALYSE

[6]                L’article 3 du Règlement se lit comme suit :

3. Il est interdit à une personne se trouvant dans une rue ou dans un endroit public d’être en état d’ivresse.

  Sous réserve du troisième alinéa, il est interdit à une personne se trouvant dans une rue ou dans un endroit public de consommer de l’alcool ou d’avoir en sa possession une bouteille, une canette ou un récipient débouché contenant de l’alcool. Il est aussi interdit à une personne se trouvant dans une rue ou dans un endroit public de fumer ou de vapoter du cannabis ou un produit dérivé du cannabis.

  La consommation d’alcool est toutefois permise aux endroits et aux périodes autorisés en vertu d’une loi ou d’un autre règlement. En outre, le comité exécutif peut autoriser, par ordonnance, la consommation d’alcool à l’occasion d’un repas dans certains sites de plein air, certains parcs et certaines rues, aux périodes et aux conditions qu’il détermine.

[Soulignements ajoutés]

[7]                Les éléments constitutifs de l’infraction décrite au deuxième alinéa de l’article 3 du Règlement se résument comme suit :

 l’identi du contrevenant;

 le lieu de l’infraction, à savoir une rue ou un endroit public;

 la consommation d’alcool ou la possession d’une bouteille, canette ou récipient débouché contenant de l’alcool par le contrevenant.

[8]                L’infraction peut donc être commise de deux manières, soit par la consommation d’alcool ou la simple possession d’une bouteille, cannette ou récipient débouché qui contient de l’alcool. En l’espèce, les deux modalités de commission de l’infraction sont mentionnées indistinctement au constat d’infraction.

[9]                Les policiers ont procédé à l’identification du défendeur à laide des renseignements disponibles au CRPQ[6]. De même, la preuve établit que le défendeur « se trouve dans une rue » lorsque les policiers l’aperçoivent en train de boire une « Molson Dry 1,18 litre ». Les deux premiers éléments constitutifs de l’infraction sont donc prouvés, hors de tout doute raisonnable, par la poursuivante.

[10]           Quant au troisième élément, la poursuivante plaide que la simple déclaration de l’agent Bastien selon laquelle le « contrevenant consommait de l’alcool » établit, en l’absence de toute preuve contraire, que la boisson consommée par le défendeur (ou le récipient débouché en sa possession) contenait de l’alcool.

[11]           Or, le policier ne mentionne pas les éléments factuels sur lesquels il s’appuie pour conclure que la boisson consommée par le défendeur contenait de l’alcool. Au mieux, l’agent Bastien mentionne laconiquement que le défendeur est en possession d’une « Molson Dry 1,18 litre ». Il ne précise pas si le contenant est une bouteille, une cannette ou un autre type de récipient. La nature de la boisson n’est pas davantage spécifiée.

[12]           Est-ce que la nature et les caractéristiques de la boisson « Molson Dry 1,18 litre » relèvent de la connaissance judiciaire?

[13]           Dans Cyr c. La Reine[7], la Cour supérieure rappelle les arrêts de principe en matière de connaissance d’office :

[37]  À cet égard, le Tribunal réfère à l'arrêt Ville de Baie-Comeau c. Yves D'Astous[8] de la Cour d'appel :

En somme, il est des faits dont l'existence et la véracité sont acquises à toute personne avertie; ces connaissances évoluent avec les époques et sont sujettes, pour certaines, au lieu où siège le tribunal. Ainsi, par exemple, si tout Parisien connaît l'importance et la localisation de la rue du Faubourg St- Honoré, il lui en sera tout autrement de la rue St-Germain à Rimouski. De même, la télévision, le cinéma et le principe de la rotation de la terre sont aujourd'hui d'indiscutables réalités, mais chacun sait qu'il n'en fut pas toujours ainsi.

Certains faits peuvent aussi être vérifiés aisément en consultant des documents généralement accessibles et dont l'autorité est reconnue comme une carte géographique, un dictionnaire, une encyclopédie. Fortin écrit :

« La règle est la suivante: si le fait est notoire au point de ne pas être susceptible d'être raisonnablement contesté, ou si son exactitude peut être facilement vérifiée au moyen d'autorités accessibles, le juge peut en prendre connaissance d'office. Le critère est donc la fiabilité de la connaissance du tribunal, qui se mesure au regard de la notoriété du fait dans le milieu où siège le tribunal. Si le tribunal ne connaît pas le fait en question, il peut quand même en prendre connaissance d'office en vérifiant son exactitude dans une source accessible et indiscutable. En revanche, si le fait en cause peut être raisonnablement mis en doute, le juge du tribunal ne peut en prendre d'office connaissance. »

[38] Ainsi qu'à l'arrêt R. c. Find[9], rendu par la Cour suprême qui mentionne :

[48] Dans la présente affaire, l’appelant s’appuie considérablement sur le mode de preuve fondé sur l’admission d’office de certains faits par le tribunal. La connaissance d’office dispense de la nécessité de prouver des faits qui ne prêtent clairement pas à controverse ou qui sont à l’abri de toute contestation de la part de personnes raisonnables. Les faits admis d’office ne sont pas prouvés par voie de témoignage sous serment. Ils ne sont pas non plus vérifiés par contre-interrogatoire. Par conséquent, le seuil d’application de la connaissance d’office est strict. Un tribunal peut à juste titre prendre connaissance d’office de deux types de faits : (1) les faits qui sont notoires ou généralement admis au point de ne pas être l’objet de débats entre des personnes raisonnables; (2)  ceux dont l’existence peut être démontrée immédiatement et fidèlement en ayant recours à des sources facilement accessibles dont l’exactitude est incontestable : R. c. Potts (1982), 1982 CanLII 1751 (ON CA), 66 C.C.C. (2d) 219 (C.A. Ont.); J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (2e éd. 1999), p. 1055.

[14]           Dans Renaud c. Directeur des poursuites criminelles et pénales[10], la Cour supérieure fait la mise en garde suivante lorsque l’on demande au juge d’instance de prendre connaissance d’office d’un élément qui fait partie intégrante du débat :

[48]      Ainsi, il n’y a pas lieu de se prononcer sur la connaissance judiciaire des cartes géographiques. La Cour mentionne cependant que le juge d’instance doit baser ses conclusions sur la preuve faite devant lui. D’ailleurs, un plan a été déposé dans cette affaire afin de permettre d’illustrer la scène de l’infraction. Le juge a le devoir de connaître le droit et, pour ce faire, celui de consulter la loi, la doctrine et la jurisprudence pour former son opinion. Par ailleurs, il a l’obligation de ne fonder sa décision que sur les faits dont les parties lui ont légalement fait la preuve. En principe, il ne peut référer à des connaissances acquises ou par l’étude personnelle de certains sujets. Notre régime de débats contradictoires commande qu’il en soit ainsi[11].

[49]     Dans la présente affaire, l’on demande au juge d’instance de prendre connaissance d’office de la distance entre les deux viaducs permettant peut-être d’établir l’endroit exact de ce dépassement. Cet élément fait partie intégrante du débat et peut ainsi avoir une incidence directe sur l’issue du procès[12]. Il se prête clairement à la controverse et n’est pas à l’abri de contestation[13]. Le juge se doit d’être encore plus prudent lorsqu’il s’agit du point litigieux.

[Soulignements ajoutés]

[15]           À la lumière de ces enseignements, le Tribunal estime qu’un élément constitutif de l’infraction ne peut être prouvé en ayant recours à la connaissance d’office. Il s’agit-là d’un élément litigieux qui peut prêter à la controverse ou qui n’est pas à l’abri de toute contestation par une personne raisonnable.

3. CONCLUSION

[16]           En résumé, le Tribunal estime que la poursuivante na pas prouvé, hors de tout doute raisonnable, l’un des éléments essentiels de l’infraction reprochée. De même, le Tribunal ne peut s’autoriser de sa connaissance d’office pour suppléer aux lacunes de la preuve soumise par la poursuivante. Par conséquent, le défendeur sera acquitté de l’infraction.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[17]           ACQUITTE le défendeur de l’infraction décrite au constat d’infraction.

 

 

________________________________

Patrice Simard

Juge municipal

 

 

Me Mathieu Camirand

Procureur de la poursuivante

 

Aucun avocat ne représente le défendeur

 

Date d’audience :

2 septembre 2022

 

 

 


[1]  R.V.Q. 1091. Ci-après désigné le « Règlement ».

[2]  Article 160 C.p.p.

[3]  Article 188 C.p.p.

[4]  Acronyme du « Service de police de la Ville de Québec ».

[5]  Article 62 C.p.p. 

[6]  Acronyme du « Centre de renseignements policiers du Québec ».

[7]  2011 QCCS 2073 (Juge France Charbonneau).

[8]   1992 CanLII 2956 (QC CA).

[9]  R. c. Find, 2001 CSC 32 (CanLII).

[10]  2015 QCCS 2606 (Juge Manon Lavoie). Voir également les commentaires du juge Beaupré dans R. c. Blackburn-Laroche, 2021 QCCA 59 (CanLII), au paragraphe 74.

[11]  Ville de Baie-Comeau c. D’Astous, 1992 CanLII 2956 (QC CA).

[12]   R. c. Spence, 2005 CSC 71 (CanLII).

[13]   R. c. Find, 2001 CSC 32 (CanLII).

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.